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POUR LA SCIENCE PHYSIQUE QUANTIQUE ET RÉALITÉ
Hors-série numéro 122
H O R S - S É R I E
n° 122 – 02.24/03.24
« À elles seules, les mathématiques ne peuvent donner les clés du monde. La philosophie est indispensable » Alexia Auffèves
Directrice de recherche au CNRS
Quand nos certitudes vacillent Le monde est-il imaginaire ?
Derrière les succès, la part d’ombre
La stabilité de la matière expliquée
Édition française de Scientific American - BEL./LUX. : 12,50 € - SUISSE : 17,60 CHF - CAN. : 18,99 $CA - PORT. CONT. : 12,50 €
Bientôt l’ordinateur quantique ?
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02.24/03.24
H O R S - S É R I E
Au-delà du réel
Ont contribué à ce numéro
par Loïc Mangin Rédacteur en chef adjoint à Pour la Science
« Vous allez participer à une grande aventure et faire l’expérience du mystère », telle était la promesse de la série télévisée du début des années 1960 Au-delà du réel. Et c’est aussi celle de ce numéro consacré à la physique quantique, tant celle-ci s’apparente parfois, par ses énoncés contre-intuitifs, à de la magie : superposition d’états, intrication, dualité onde-corpuscule… Aussi la question surgit-elle : à quelle réalité renvoie cette théorie qui par ailleurs ne cesse de faire ses preuves, la première révolution quantique (smartphones, lasers, ordinateurs, GPS…) en faisant foi ! Les auteurs de ce Hors-Série s’attachent à répondre à la lueur des expériences les plus récentes. À la clé, sans doute une seconde révolution quantique, celle des ordinateurs quantiques et tout l’écosystème de communication qui va avec, tout aussi quantique. Mais au-delà de ces applications, l’objectif est plus ambitieux : comprendre notre monde. La porte vers le réel est peut-être alors mâtinée de poésie en ce qu’elle emprunte… au surréalisme. De fait, André Breton, le père de ce mouvement, voyait dans celui-ci une recherche de l’union du réel et de l’imaginaire : « Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, en une sorte de réalité absolue. » La physique quantique est en passe de l’exaucer.
www.pourlascience.fr
Alexia Auffèves est directrice de recherche au CNRS. Elle dirige le laboratoire MajuLab, à Singapour, et est cofondatrice de la Quantum Energy Initiative.
Nicolas Gisin est professeur émérite à l’université de Genève, professeur à la Constructor University, en Suisse, et cofondateur de la société ID Quantique.
Marc-Olivier Renou est physicien au centre de physique théorique de l’École polytechnique et à Inria, où il va bientôt diriger une équipe projet consacrée à l’information quantique théorique.
Antoine Tilloy est chercheur au centre automatique et systèmes des Mines Paris, au sein de l’université Paris Sciences et Lettres, et membre de l’équipe Quantic (ENS, Inria, Mines et CNRS).
SOMMAIRE
PHYSIQUE QUANTIQUE 01 ET RÉALITÉ
De quoi le réel est-il le nom ?
p. 6 Repères Des schémas, des chiffres, des définitions : toutes les clés pour entrer sereinement dans ce numéro. 4
p. 10 Grand témoin
Alexia Auffèves
p. 18 Un problème
sur mesure
Anil Ananthaswamy Comment définir une « mesure », voire un « observateur » ?
p. 26 De la particule
Nous devons changer de modèle, et innover sous la contrainte de ressources finies
à l’Univers : le retour de l’onde pilote
Ward Struyve
La théorie de De Broglie-Bohm retrouve des couleurs.
p. 34 Le monde
est-il imaginaire ?
Marc-Olivier Renou, Antonio Acín et Miguel Navascués Les nombres dits « imaginaires », semblent indispensables au réel.
p. 44 La réalité, somme
de tous les possibles ?
Charly Wood
La formule de Richard Feynman, puissante et mystérieuse.
Pour la Science Hors-Série n° 122 / Février-mars 2024
Hors-Série 02.24/03.24
02
Une théorie mise à l’épreuve p. 54 Spin et idéal
Davide Castelvecchi La stabilité de la matière ? On la doit à une abstraction : le spin.
p. 62 Ô temps ! Suspends
ton vol… quantique
Anil Ananthaswamy
Dans l’infiniment petit, pas simple de mesurer une durée.
p. 70 L’effondrement
d’une idée ?
Philip Ball
Une onde de probabilité peut-elle s’effondrer physiquement ?
03
La réalité de demain p. 80 De la locomotive
à vapeur au bit quantique
Alexia Auffèves
Chaleur, travail et entropie à hauteur de particule.
p. 90 « L’origine
de la puissance des ordinateurs quantiques n’est pas totalement comprise »
5
ENTRETIEN avec Antoine Tilloy
p. 98 Téléportation
quantique : un pas décisif
Sean Bailly
L’internet quantique ne relève plus de la science-fiction.
p. 102 « La communication
quantique décolle »
ENTRETIEN avec Nicolas Gisin
p. 109 Rendez-vous 110 En image 112 Rebondissements 116 Infographie 118 Incontournables En couverture : © fran_kie/Shutterstock
Pour la Science Hors-Série n° 122 / Février-mars 2024
Les basiques Décrivant les lois de l’infiniment petit, la mécanique quantique est une théorie mise en place dans la première moitié du XXe siècle. Elle requiert quelques notions de base pour être abordée sereinement.
Dualité onde-corpuscule
1
l’on doit à l’Américain Richard Feynman. Il imagine un canon à électrons capable de tirer d’abord des salves d’électrons, puis des électrons un par un, à travers deux minces fentes dans une paroi. À l’arrière du dispositif, un écran détecte les particules qui ont pu franchir l’obstacle. Au XVIIIe siècle, le Britannique
Avec un faisceau d’électrons, 2 fentes ouvertes
Détecteur De nombreux électrons franchissent les fentes. L’écran détecteur enregistre non pas des points, mais des alternances de bandes sombres et lumineuses. Interprétation : les électrons se comportent comme des ondes, ils sont diffractés au passage des fentes et interfèrent entre eux, de la même façon que la lumière dans l’expérience de Young.
Canon à électrons
2
Avec des électrons un à un, 2 fentes ouvertes
Thomas Young avait utilisé un procédé comparable pour démontrer le caractère ondulatoire de la lumière. Dans les années 1960, au moment où il propose cette expérience de pensée dans ses cours, Feynman sait qu’il n’est pas possible de la réaliser en laboratoire : elle ne le sera que plus tard.
(a)
(b)
Lorsque les électrons sont envoyés un à un, l’écran enregistre une suite d’impacts qui révèlent leur position. Mais à mesure que le temps passe, l’accumulation de points dessine les motifs d’interférence obtenus dans (1). Interprétation : tout se passe comme si chaque électron empruntait les deux fentes à la fois en interférant avec lui-même.
(c)
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© Illustrations Pour la Science
6
En s’appuyant sur les travaux d’Albert Einstein, le Français Louis de Broglie a postulé qu’une onde est associée à chaque corpuscule de matière ou de lumière (les photons). Une expérimentation fameuse met en évidence cette double nature. C’est au départ une expérience de pensée que
Repères
du quantique Principe d’incertitude
Principe de complémentarité Observées à l’échelle microscopique, la lumière et la matière semblent un peu comme ce cylindre qui ne pourrait être connu que sous forme d’ombre chinoise, et qui apparaîtrait tantôt comme un disque, tantôt comme un carré. Tout dépend de la manière de le regarder. En physique quantique, bien qu’incompatibles, les deux conceptions, celle de l’onde et de la particule, sont nécessaires. La théorie postule que l’objet observé a réellement les propriétés d’une onde ET d’une particule, mais qu’il ne se révélera à nous, comme onde OU particule, qu’au moment où il sera mesuré et en fonction du dispositif choisi. Le Danois Niels Bohr résume cela par l’expression « principe de complémentarité ».
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Découlant du principe de complémentarité, il limite la précision de certaines mesures. Ainsi, si on détermine exactement la position d’une particule, elle aura tout un éventail de vitesses simultanées. Si, au contraire, c’est sa vitesse qu’on mesure exactement, sa position s’étalera de manière inéluctable. Plus largement, le principe d’incertitude (ou d’indétermination) de l’Allemand Werner Heisenberg édicte que plus notre connaissance d’une certaine propriété d’un système est précise, plus notre connaissance d’une autre propriété dite « complémentaire » du même système sera imprécise. Position déterminée avec précision
Vitesse floue, imprécisément définie
Position floue imprécise
Vitesse déterminée avec précision
7
Superposition d’états
Intrication de particules Les parties d’un système quantique ayant interagi, par exemple une paire de photons, restent liées : les mesures faites sur l’une ont un effet immédiat sur les résultats des mesures faites sur l’autre, même quand ces parties sont très éloignées. Les états des deux parties
sont corrélés sans qu’aucun signal ne soit échangé entre elles. Il existe de nombreuses méthodes pour créer une paire de particules intriquées. Concernant les photons, l’une d’entre elles consiste à exciter les atomes d’un cristal qui émet alors simultanément deux photons.
Cristal Faisceau laser
Avant d’être mesuré, chacun de ces deux photons intriqués a 50 % de chances d’être polarisé verticalement et 50 % horizontalement. Mais dès lors que la polarisation de l’un sera mesurée, par exemple verticalement, l’autre aura 100 % de chances d’être polarisé horizontalement.
Photon 1
Photon 2
Mesure de la polarisation
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© Shutterstock/Marco_Sc - Pour la Science
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Un système microscopique, par exemple un atome – qui est comme la lumière à la fois onde et particule –, peut, à l’instar d’une onde, se trouver en plusieurs endroits à la fois ; il peut aussi être en même temps dans des états d’énergies ou de polarisation différentes. Si cette propriété était observable à l’échelle macroscopique qui est la nôtre, un joueur de tennis pourrait se trouver à plusieurs endroits du court en même temps. En 1935, l’Autrichien Erwin Schrödinger a illustré cette dichotomie entre mondes microscopique et macroscopique à travers une expérience de pensée devenue emblématique. Il a imaginé un chat placé dans une boîte fermée contenant un flacon de poison, dont l’ouverture est activée par la désintégration d’un atome radioactif. Tant qu’il n’est pas observé, l’atome se trouve dans une superposition quantique d’états : il est à la fois désintégré et intact. En toute logique, le chat devrait donc être à la fois mort et vivant, ce qui n’a bien sûr jamais été observé. L’expression « chat de Schrödinger » qualifie, depuis, tout objet classique (par exemple, le faisceau lumineux d’un laser) préparé dans un état de superposition quantique.
Repères
Glossaire Quanta
L’idée de « quantum » d’énergie (au pluriel, quanta) est au départ une simple béquille pour la physique du XIXe siècle. En effet, quand on calculait le spectre de la lumière émise par un objet chaud (un corps noir) en se plaçant dans le cadre classique, les résultats prédisaient une absurde émission de rayons ultraviolets et X, susceptible d’aveugler quiconque regarderait, par exemple, un poêle à charbon ! La solution vint de l’Allemand Max Planck. Mais elle s’appuie sur une hypothèse si étrange que lui-même la renia pendant plusieurs années : il avait dû admettre que son corps noir n’émettait de l’énergie que par petites bouffées, par « quanta ». Prenant l’hypothèse au sérieux, Einstein fournit avec elle une explication à l’effet photoélectrique : la physique quantique était née !
Spin
Les électrons, beaucoup d’autres particules et même des défauts dans le réseau d’atomes de carbone d’un diamant ont un moment cinétique intrinsèque, le spin, un peu comme s’ils étaient de minuscules billes en rotation (ce n’est qu’une image, le spin n’ayant pas d’équivalent classique). À ce spin est associé un moment magnétique. On représente les spins par des vecteurs, orientés vers le haut ou vers le bas. Par leur spin, les électrons se comportent comme de minuscules aimants.
Qubit
Un bit quantique, ou qubit, est l’unité quantique d’information, l’équivalent du bit classique. Cependant, alors que ce dernier ne peut avoir comme valeur que 0 ou 1, le qubit peut représenter deux états à la fois, 0 et 1, chacun avec une certaine probabilité. On représente les états quantiques d’un qubit avec la « sphère de Bloch », toute opération sur le qubit correspondant à des rotations du vecteur sur la sphère. Les qubits ne peuvent être manipulés que par une nouvelle classe de machines : les ordinateurs quantiques.
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Fonction d’onde
Calculée à partir de l’équation de Schrödinger, elle indique la probabilité de trouver une particule en un point. Ce n’est qu’en faisant la mesure que l’on sait où elle se trouve. Outre la position, cette incertitude probabiliste concerne d’autres grandeurs physiques comme la vitesse, l’énergie, le moment cinétique, le spin…
Effondrement de la fonction d’onde, ou décohérence
Une superposition quantique de multiples états ne peut se maintenir qu’avec un système isolé. Toute tentative d’observation ou de mesure d’une particule entraîne automatiquement son effondrement en un état unique, autrement dit le choix d’une possibilité. On parle aussi de « décohérence ». Ce phénomène doit être freiné pour parvenir à faire fonctionner un ordinateur quantique. En effet, pour exprimer son potentiel, cette machine a besoin de conserver les qubits dans des états superposés.
Cryptographie quantique
La cryptographie actuelle repose sur des systèmes de chiffrement à base de clés, lesquelles sont des nombres très grands traités sous forme binaire. Dans sa version quantique, la cryptographie repose sur la transmission de qubits engendrés aléatoirement. Dans la mesure où il est impossible de cloner une information quantique sans qu’elle soit détruite, ou de mesurer un état quantique sans le modifier, la lecture de l’information par un intrus serait immédiatement détectée par les destinataires du message. Pour échanger des qubits sur de grandes distances, le support privilégié est le photon.
Avantage quantique
Il désigne la situation où un ordinateur quantique vient à bout de calculs résistant aux meilleurs supercalculateurs actuels. L’expression « suprématie quantique » est parfois aussi utilisée.
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« La physique quantique a envahi aussi bien la thermodynamique que la cosmologie » 10
Alexia Auffèves
est directrice de recherche au CNRS. Elle dirige le laboratoire MajuLab, à Singapour, et est cofondatrice de la Quantum Energy Initiative.
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Grand témoin
DR
La physique quantique a pénétré tous les domaines et sous-domaines de la physique. Quel est le ressort de ce succès ?
La physique statistique nous a habitués à une vision réductionniste, selon laquelle le monde se réduit à la dynamique d’un ensemble de particules microscopiques identiques. L’état de ces particules, ou micro-état, constitue la réalité fondamentale, les niveaux macroscopiques imparfaits auxquels nous avons accès émergeant par moyennages successifs. Le programme est donc de capturer la réalité aux échelles ultimes et de dévoiler les lois qui la gouvernent. L’appliquer à toute branche de la physique conduit nécessairement à la physique quantique, qui régit ces échelles. Dès lors, les équations fondamentales ne sont plus celles de Newton, mais celles de Schrödinger. Après l’électromagnétisme, la physique quantique a envahi aussi bien la thermodynamique, dont le champ est par définition placé à l’échelle microscopique, que la cosmologie, qui rend compte des origines de l’Univers. Elle vient néanmoins buter sur la théorie de la relativité générale d’Einstein, avec laquelle elle n’est pas unifiée. Cette réunification reste le grand défi de la physique.
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Elle est même aujourd’hui enseignée dans certains cursus d’ingénieurs, belle preuve de « démocratisation ».
C’est un aspect un peu différent. La mécanique quantique a déjà donné lieu à une première révolution, celle des GPS, des lasers et de l’électronique qui nous environne. Nous commençons à vivre la «%deuxième révolution quantique%», celle qui exploite non plus la quantification des niveaux d’énergie et de matière, mais les effets de cohérence et d’intrication. Quand on applique cela à ce qui relève de l’information, son traitement, sa communication et son extraction par la mesure, on donne naissance aux nouvelles technologies quantiques où tout peut être réduit à des systèmes à deux niveaux, les bits quantiques (ou qubits). C’est assez simple mathématiquement, tout en conservant les paradoxes et les aspects contreintuitifs de la physique quantique%: c’est un point d’entrée idéal pour la discipline%! De fait, chaque époque a sa propre façon d’enseigner. Dans les années 1970, «%le%» manuel de mécanique quantique en France était celui d’Albert Messiah, exprimé avec des idées issues de la physique nucléaire. Dans les années 1980-1990, en plein boom de la physique atomique, c’était celui de
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Les Singapouriens ont eu le nez creux en créant le premier Centre de technologies quantiques du monde. Le décollage de la Chine en fait aussi un acteur majeur
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Claude Cohen-Tannoudji. Désormais, les cours qui feront référence traiteront des technologies quantiques de l’information.
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Le centre de gravité historique de la physique quantique fut l’Europe dans la première moitié du XXe siècle. Est-ce encore le cas ?
Clairement, non. Déjà, la fuite des scientifiques européens pendant les années 1930, puis la Seconde Guerre mondiale, a déplacé ce centre de gravité vers les États-Unis. On pourrait aussi parler de l’Amérique latine%: le Brésil, par exemple, a une école d’optique quantique absolument extraordinaire, fortement connectée à l’optique quantique française. En Asie, le développement est très fort ainsi que je peux le constater depuis que je suis en poste à Singapour, dans un laboratoire international du CNRS. Les Singapouriens ont eu le nez creux en créant le premier Centre de technologies quantiques du monde (CQT) en 2007. Le gouvernement singapourien a mandaté Artur Ekert, l’un des pionniers de l’information quantique, pour y attirer des talents académiques, en anticipant le développement de technologies de rupture. Le décollage économique de la Chine la positionne également comme un acteur majeur. Avec l’avènement des technologies quantiques et notamment la course à l’ordinateur quantique, le coût des expériences est tel que la capacité à investir vite et beaucoup fait désormais la différence. En raison de ces contraintes
nouvelles, des groupes de recherche nichent maintenant dans de grandes entreprises mondialisées telles que Google et IBM, mais aussi dans une floraison de start-up, pour la plupart issues de laboratoires académiques. Ainsi, on observe très clairement que les technologies quantiques sont des deep tech, des alliages de recherche fondamentale et d’ingénierie. Cela change drastiquement le paysage de la recherche en physique quantique. Dans les années 1920, on a vu les physiciens quantiques se diviser en deux camps : réalistes et antiréalistes. Pour quelle raison ?
En physique classique, l’état d’une particule est parfaitement décrit par sa position et son impulsion. Si je connais ces deux grandeurs à un instant donné, alors j’accède à la dynamique passée et future de la particule. Or, en physique quantique, un tel état est inaccessible comme on peut en avoir l’intuition avec l’expérience dite «%du microscope de Heisenberg%»%: pour connaître son état, il faut observer la particule, c’est-à-dire la faire interagir avec un «%grain de lumière%», ou photon. Ce photon contient une information sur la position de la particule, mais cette information est acquise en lui communicant une impulsion dans une direction aléatoire. Ainsi, on ne peut pas mesurer simultanément position et impulsion. En somme, le couple de variables qui composent l’état est «%voilé%», du fait de l’interaction même avec nos appareils de mesure.
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Grand témoin
«%fondements de la physique quantique%» (quantum foundations). Même si ces deux voies ne sont pas incompatibles a priori, les deux communautés de recherche divergent de plus en plus. Diriez-vous qu’en physique quantique les mathématiques masquent la réalité au lieu de l’exprimer ?
Dès lors, deux camps se sont formés dans les années 1920. D’un côté, celui des «%réalistes%», emmené par Albert Einstein, qui cautionne l’existence de telles variables cachées, et pose que la physique quantique est «%incomplète%». En face, un camp plus radical prend acte que cet état inaccessible per se est parfaitement inutile, et déclare en conséquence qu’il n’existe pas. Cela invite à faire table rase, et à reconstruire une ontologie qui prend en compte cette situation. Tels sont les antiréalistes, Niels Bohr en tête. Jusqu’à la dérivation des inégalités de Bell en 1964, ce débat était purement métaphysique, aucune hypothèse n’étant «%falsifiable%» au sens de Karl Popper. Un siècle plus tard, qu’est-ce qui a changé ?
Entre-temps, il y a eu la violation des inégalités de Bell (voir Le monde est-il imaginaire#?, par M.-O. Renou, page 34) et l’expérience d’Alain Aspect, qui montraient, finalement, que le monde rassurant d’Einstein n’existait pas et que la vision de Bohr devait prévaloir. À partir de là, deux chemins sont possibles. Ou bien on considère que même si ce monde est difficile à capturer avec nos intuitions classiques, cela n’empêche pas d’exploiter ses aspects contre-intuitifs pour bâtir les nouvelles technologies de l’information%: c’est la seconde révolution quantique que nous vivons actuellement. Ou bien on continue de sonder la nature de la réalité quantique, et notamment les liens qu’elle entretient avec le formalisme mathématique qui la décrit. Ce chemin est celui des
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C’est le risque. Et c’est humain%! En physique classique, on peut commencer à postuler ce qu’est la réalité avant de la décrire sous forme mathématique, tout simplement parce que le monde nous envoie des images, gratuitement, en continu, sur lesquelles construire nos intuitions. Les mots et les concepts qui en découlent peuvent ensuite être mathématisés. C’est différent à l’échelle quantique, car nous ne connaissons ce monde qu’à travers quelques résultats, discontinus, d’expériences extrêmement onéreuses. Le réservoir d’images accessibles en continu – et gratuitement — est in fine le réservoir d’images qu’on a en tête, fourni par les mathématiques. On a donc tendance à construire ses intuitions et ses concepts à partir de la banque des concepts mathématiques, ce qui peut être problématique. Par exemple, on entend souvent qu’une fonction d’onde est un «%état quantique%». Alors que si on réfléchit avec un esprit naturaliste, cela est loin d’aller de soi. Parce qu’on peut raisonnablement attendre d’un état qu’il puisse donner lieu à un accord intersubjectif. Or la mesure d’une «%fonction d’onde%», sans autre précision, ne donne pas nécessairement lieu à des résultats identiques pour deux observateurs, tant qu’ils ne se sont pas mis d’accord sur un contexte expérimental commun. Cela a pu amener certains à parler de «%relativité des faits%». C’est absurde et dangereux%: on ne peut pas attendre des mathématiques uniquement qu’elles nous donnent les clés du monde. Une base de philosophie est indispensable. Constatez-vous un manque de curiosité philosophique ?
Oui, et je le regrette – mais dans nos sociétés occidentales, il y a un déficit de curiosité à tous les niveaux, vous ne trouvez pas%? Plus spécifiquement pour la physique quantique, la difficulté peut se poser sur le plan des échelles de temps.
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Le questionnement philosophique, comme la recherche fondamentale, se développe sur du temps long et des interrogations sans finalité applicative directe. Œuvrer dans la durée permet la créativité, les changements de perspective et, à la clé, les technologies de rupture. Ce sont bien les débats philosophiques entre Einstein et Bohr, leur désir de proposer une vision cohérente du monde, qui ont conduit au concept d’intrication, c’est-à-dire au moteur des technologies quantiques%! À l’opposé, l’explosion actuelle des technologies quantiques conduit à une exigence de rapidité et d’efficacité imposées par la logique industrielle et les attentes des investisseurs. Cette accélération engendre beaucoup d’excitation, et aboutit à un renouvellement du domaine avec des aspects très positifs pour nos jeunes chercheurs qui partent en start-up. Mais l’accélération peut aussi aller de pair avec une perte de disponibilité intellectuelle, ce qui peut être difficile à vivre pour les chercheurs. La quantum hype, ce bruit et ces effets d’annonce permanents, est un autre souci. Tout l’enjeu pour l’avenir de notre domaine est d’inventer des modes d’interaction respectant les temps et les logiques propres à la recherche académique d’une part, et au secteur privé d’autre part. La perspective de la « deuxième révolution quantique » draine d’importants investissements. Quelles sont les attentes ?
Comme bien souvent, le souci de souveraineté est moteur. Souveraineté nationale au premier chef%: les premiers financements sont arrivés avec la peur que l’ordinateur quantique permette
“en tant que chercheuse spécialisée en énergétique quantique, je vois arriver le mur énergétique vers lequel nous courons. Nous entrons dans un temps où l’innovation débridée a vécu”
de casser la protection des clés de chiffrement sur laquelle, aujourd’hui, le système mondial de paiement repose. Puis la souveraineté industrielle, liée aux parts de marché à prendre sur ces nouvelles technologies de l’information. Cependant, en tant que chercheuse spécialisée en énergétique quantique, je vois arriver le mur énergétique vers lequel nous courons. Nous entrons dans un temps où l’innovation débridée a vécu et j’espère que les trésors que les technologies quantiques pourront nous apporter seront réservés à des tâches pertinentes sur le plan sociétal. Quand cette préoccupation d’efficacité énergétique vous est-elle venue ?
Dans les années 2017-2022. J’étais de plus en plus impliquée en énergétique quantique, qui étudie notamment les coûts énergétiques des mécanismes quantiques fondamentaux. En parallèle, je coordonnais le centre quantique de Grenoble. De ce fait, j’assistais au déploiement de la stratégie quantique nationale, dans laquelle la préoccupation énergétique était initialement absente. Avec mon collègue du CNRS Robert Whitney et le consultant et auteur Olivier Ezratty, nous avons donc travaillé à convaincre les décideurs de l’importance de connecter l’énergétique fondamentale aux technologies quantiques, même émergentes. L’idée est de changer radicalement de modèle d’innovation, et de pratiquer celle-ci sous la contrainte de ressources finies. Du point de vue intellectuel, cette
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Grand témoin
Comment l’énergétique a-t-elle fini par s’imposer comme un enjeu ?
reformulation est extrêmement stimulante%! Les contraintes, en physique, ont toujours engendré de nouveaux effets et de nouveaux concepts. Et très honnêtement, je me sens plus «%alignée%» à travailler au développement de machines qui consommeront moins à moyen terme qu’à des machines qui calculeront plus vite. Avez-vous été tout de suite entendus ?
Les avis étaient partagés%! Sur le principe, globalement, tout le monde est d’accord. Mais quand il faut déclencher des financements, c’est une autre histoire. Nous avons dû apprendre à répondre à différentes objections – la plus courante étant de nous renvoyer à la construction d’un ordinateur quantique en état de fonctionner, avant d’optimiser son coût en ressources. Avec cette justification sous-jacente que si on calcule plus vite, alors on consommera moins d’énergie – un argument fallacieux, car optimiser une durée n’est simplement pas équivalent à optimiser une consommation énergétique. J’ai finalement compris que la raison pour laquelle il n’y avait pas de travail collectif sur l’efficacité énergétique des technologies quantiques venait en premier lieu d’un manque de méthodologie%: la ligne de recherche correspondante n’existait pas et devait être créée%! Afin que d’autres puissent bénéficier de l’argumentaire qui naissait de notre travail de lobbying, j’ai publié en juin 2022 un article où j’appelle à la création de cette nouvelle communauté de recherche interdisciplinaire.
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À la suite de l’article, nous avons lancé la Quantum Energy Initiative (QEI) en août 2022. Il s’agissait d’abord d’un manifeste tel que celui qui avait conduit au programme européen (flagship) sur les technologies quantiques. Ce texte mettait en avant notre souci de construire un cadre scientifique et objectif, pour modéliser et optimiser l’efficacité énergétique des technologies quantiques émergentes. Des collègues académiques ont signé, puis des partenaires industriels nous ont rejoints – le dernier en date étant IBM, excusez du peu%! La QEI a rapidement pris de l’ampleur, il s’agit maintenant d’une communauté ouverte et en construction que peuvent rejoindre des experts d’un large spectre de disciplines, de la physique quantique fondamentale (énergétique, contrôle, algorithmique, correction d’erreurs…), aux technologies habilitantes (cryogénie, microondes, électronique, laser, détecteurs de photons…) en passant par les développeurs de logiciels quantiques. La QEI est structurée par une liste de diffusion pour partager régulièrement des informations et une chaîne YouTube qui donne accès aux séminaires et autres événements. Elle a organisé sa première conférence QEI 2023 à Singapour en novembre dernier, il y a tout juste quelques semaines, et compte actuellement plus de 370 participants de plus de 50 pays. C’est un bon début.
― À lire ― > A. Auffèves, Quantum technologies need a quantum energy initiative, PRX Quantum, 2022. > Le site de la QEI : quantum-energy-initiative.org > La chaîne YouTube de la QEI : www.youtube.com/ @quantumenergyinitiative > La conférence QEI 2023 : qei2023.sciencesconf.org
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DE QUOI LE RÉEL EST-IL LE NOM ?
Inventée par le physicien Richard Feynman, « l’intégrale de chemin » a tout d’une formule magique : elle fonctionne à merveille, mais son sens fait débat. L’enjeu ? La compréhension du monde réel !
La réalité,
somme de tous les possibles ? Charly Wood
© Kristina Armitage/Quanta Magazine
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Pour Richard Feynman, la trajectoire rectiligne d’une particule dans l’espace peut être considérée comme la somme de toutes ses trajectoires possibles.
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DE QUOI LE RÉEL EST-IL LE NOM ?
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La formule la plus puissante de la physique commence par un S élancé, le symbole d’une sorte de somme appelée «"intégrale"». Un peu plus loin on croise un deuxième S, représentant une quantité connue sous le nom d’«"action"». Ensemble, ces deux S sont l’essence (et même l’eSSence"!) de l’équation sans doute la plus efficace jamais conçue pour prédire l’avenir. Son nom": l’intégrale de chemin de Feynman. Autant que les physiciens puissent en juger, elle prédit le comportement de tout système quantique – électron, rayon de lumière et même trou noir. On lui doit tant de succès que nombre de scientifiques y voient une fenêtre ouvrant sur le cœur même du réel. Bien qu’elle orne des milliers de pages d’articles de physique, cette équation relève plus de la philosophie que de la recette rigoureuse. Elle suggère que notre réalité est un assemblage – une somme – de tous les possibles imaginables. Mais sans préciser exactement comment il faut additionner. En conséquence, depuis des décennies, les physiciens multiplient les approximations pour appliquer l’intégrale à différents systèmes physiques, avec assez de réussite pour que les plus intrépides visent l’intégrale de chemin ultime": celle qui, mixant toutes les formes possibles d’espace et de temps, accouche pile poil de «"notre"» univers. Hélas, la confusion est grande quand il s’agit de décider quelles possibilités exactes la somme doit prendre en compte. La physique quantique a vraiment pris son envol en 1926, quand Erwin Schrödinger décrivit, dans l’équation qui porte son nom, comment les
― En bref ――― > Publiée en 1948 par son inventeur Richard Feynman, l’intégrale de chemin est l’une des plus importantes formules de la physique.
états ondulatoires des particules évoluent à tout moment. Puis Paul Dirac proposa sa vision, différente, d’un monde quantique fondé selon lui sur le «"principe de moindre action"» – schématiquement, entre A et B, la route empruntée est forcément la plus économe en temps et en énergie. En enrichissant cette idée, Richard Feynman a dévoilé son intégrale de chemin en 1948.
> Elle suppose par exemple que, dans l’expérience des fentes de Young , les particules empruntent tous les chemins possibles et permet de calculer la somme de ces chemins. > Bien qu’elle soit utilisée quotidiennement pour son efficacité, son sens fait débat. La rendre compatible avec l’espacetemps d’Einstein est aussi un enjeu crucial.
TOUTES POUR UNE Le cœur de sa philosophie se révèle dans l’expérience fondatrice de la double fente de Young (voir les Repères, page 6). À l’aide de particules, on bombarde une barrière percée de deux fentes et on observe le résultat sur un mur derrière. S’il s’agissait de balles, une série d’impacts se formerait derrière chaque fente. Mais les particules, elles, atteignent le mur sous forme de bandes alternées. Cela suggère que, au travers des fentes, circule en réalité une onde représentant les positions possibles de la particule. Les deux fronts d’onde qui émergent interfèrent l’un avec l’autre, dessinant des pics où la particule a le plus de chance d’être détectée. Ces franges d’interférence sont de la plus haute bizarrerie": elles impliquent que les deux chemins possibles empruntés par les particules à travers la barrière ont une réalité physique. L’intégrale de chemin suppose que les particules se comportent ainsi, qu’il y ait ou pas fente et barrière. Ajoutez une troisième fente, et la figure d’interférence s’adaptera pour refléter la nouvelle route possible. Balafrez la barrière jusqu’à
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La réalité, somme de tous les possibles ?
Cette vision du comportement des quanta est radicale, mais quantité de physiciens la prennent au sérieux
ce qu’elle ne soit plus que fentes"; puis remplissez tout l’espace avec ce genre de barrière percée. D’une certaine manière, toute particule traversant cet espace passe par toutes ces fentes, même si sa route étrange multiplie les détours sous forme de loopings. Tout ça pour que, additionnées correctement, toutes ces options se comportent comme s’il n’y avait aucune barrière": en formant un simple point lumineux sur le mur. Cette vision du comportement particulaire est radicale, mais nombre de physiciens la prennent au sérieux. «"Pour moi, c’est complètement réel"», est convaincu Richard McKenzie, de l’université de Montréal, au Canada. Comment diable une infinité de routes incurvées peuventelles finir en ligne droite"? En caricaturant, l’astuce de Feynman consiste à considérer chaque route, calculer son action (le temps et l’énergie requis pour parcourir le chemin), et en tirer un nombre appelé «"amplitude"», dont le carré indique la probabilité qu’une particule prenne cette route particulière. La somme de toutes les amplitudes donne l’amplitude totale d’une particule en mouvement entre ici et là – l’intégrale de tous les chemins. Dit naïvement, une route en lacets est tout aussi probable qu’une droite, parce que chaque trajectoire individuelle a une amplitude de même taille. Ces amplitudes s’expriment par des nombres complexes – et c’est crucial. À la différence des nombres réels, semblables à un point sur une ligne, les complexes sont comme des flèches. Ils pointent dans des directions différentes, pour différents chemins. En conséquence,
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pour une particule en déplacement, les amplitudes des trajectoires plus ou moins rectilignes pointent toutes dans la même direction. Elles s’amplifient l’une l’autre, alors que les trajectoires sinueuses pointent chacune dans une direction, et finissent par se neutraliser. Seule la ligne droite demeure. Ainsi est démontré comment un chemin de moindre action, unique, émerge d’une infinité d’options quantiques. Feynman a montré que son intégrale de chemin équivaut à l’équation de Schrödinger. Sa méthode a pour avantage d’aborder le monde quantique de façon plus intuitive": sommez tous les possibles"!
LA SOMME DE TOUTES LES VAGUES Les physiciens ont vite compris que les particules étaient des excitations des champs quantiques – des entités qui remplissent l’espace avec des valeurs en tout point. Là où une particule peut se déplacer d’un endroit à l’autre en suivant divers chemins, un champ peut onduler de diverses manières. Par bonheur, l’intégrale de chemin fonctionne aussi avec les champs quantiques. «"Ce qu’il faut faire est évident, insiste Gerald Dunne, de l’université du Connecticut. Au lieu de faire la somme de tous les chemins, vous additionnez toutes les configurations de vos champs."» Vous identifiez les agencements initiaux et finaux, puis vous envisagez toutes les histoires possibles qui les relient. En 1949, s’appuyant sur son intégrale, Feynman élabore une théorie quantique du
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champ électromagnétique. Des confrères s’efforcent de calculer les actions et amplitudes pour d’autres forces et d’autres particules. Quand des physiciens prédisent l’issue d’une collision au Grand collisionneur de hadrons du Cern, enfoui sous la frontière franco-suisse, l’intégrale du chemin sous-tend quantité de leurs calculs. La boutique du Cern propose même un mug affichant l’équation qui permet d’en calculer l’élément clé": l’action du champ quantique connu. En dépit de son triomphe en physique, l’intégrale de chemin sème le trouble chez les mathématiciens. La particule en mouvement la plus simple dispose d’une infinité de chemins possibles. Avec les champs, c’est pire encore": leur valeur peut changer d’une infinité de manières et dans une infinité de lieux. Avec ingéniosité, les physiciens savent faire face à cet édifice branlant truffé d’infinis, mais aux yeux des mathématiciens l’intégrale n’a jamais été conçue pour fonctionner dans un tel environnement. Avec humour, le physicien théoricien Yen Chin Ong, de l’université de Yangzhou, en Chine, n’hésite pas à affirmer que «"c’est comme de la magie noire"». Et pourtant, les résultats sont là, incontestables. Les physiciens sont même parvenus à estimer l’intégrale de chemin pour l’interaction forte, cette force extraordinairement complexe qui maintient ensemble les particules dans le noyau atomique. Pour y parvenir, ils ont réussi deux coups de «"pirates"». Tout d’abord, ils ont fait du temps un nombre imaginaire, une astuce étrange qui transforme les amplitudes en nombres réels.
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Puis ils ont réussi une approximation du continuum espace-temps, infini, sous forme d’une grille finie. Les adeptes de cette approche de la théorie quantique des champs «"sur le réseau"» utilisent l’intégrale de Feynman pour calculer les propriétés des protons et autres particules soumises à l’interaction forte, triomphant de mathématiques encore chancelantes pour obtenir des réponses solides qui concordent avec les expérimentations.
DE QUOI L’ESPACE-TEMPS EST-IL LA SOMME ? Toutefois, le plus grand mystère de la physique théorique demeure hors de portée de toute expérience. Les physiciens souhaitent comprendre l’origine quantique de la force de gravité. En 1915, dans sa grande refonte théorique, Albert Einstein a fait de la gravité le résultat d’une courbure dans la trame de l’espace-temps. Il a révélé que la longueur d’un bâton de mesure et le tic-tac d’une horloge changent selon l’endroit": en d’autres termes, il a fait de l’espace-temps un champ malléable. Puisque les autres champs sont de nature quantique, la plupart des physiciens s’attendent à ce que l’espace-temps le soit aussi, et que l’intégrale de chemin rende compte de ce comportement. La philosophie de Feynman est sans ambiguïté": les physiciens doivent faire la somme de toutes les formes possibles de l’espace-temps. Mais en regardant de près la forme de l’espace et du temps, qu’est-ce qui est possible, exactement"?
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Images extraites de l'animation de Alexander Gustafsson - www.quantamagazine.org
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Dans l’expérience de la double fente, une onde passe par les deux fentes à la fois et interfère avec elle-même de l’autre côté. L’onde représente les positions possibles d’une particule ; le blanc indique l’endroit où elle a le plus de chances d’être détectée.
Que l’espace-temps puisse se diviser, par exemple en séparant un lieu d’un autre, cela est concevable. Qu’il puisse être perforé par des tubes – ou trous de vers – connectant un lieu à un autre aussi. Les équations d’Einstein autorisent ces formes exotiques, mais interdisent les changements qui pourraient y conduire"; en effet, les déchirures ou les fusions dans la trame violeraient le principe de causalité et soulèveraient le paradoxe du voyage dans le temps. Nul ne sait si une telle audace – et plus encore – est permise à l’échelle quantique, si bien que les physiciens hésitent à injecter dans «"l’intégrale de chemin
Pour certains physiciens, le prix à payer est néanmoins exorbitant. Abandonner un élément du réel aussi structurant que le temps est pour eux détestable
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gravitationnelle"» cet espace-temps aux allures d’emmental. Un camp, néanmoins, soupçonne qu’on peut tout y ranger. Stephen Hawking, par exemple, s’est fait le héraut d’une intégrale de chemin compatible avec les déchirures, trous de vers, beignets et autres variations «"topologiques"» sauvages. Pour rendre les mathématiques plus faciles d’emploi, il s’appuie sur le tour de pirate qui consiste à exprimer le temps en nombre imaginaire. En effet, rendre le temps imaginaire en fait une dimension supplémentaire de l’espace. Sur une scène désormais intemporelle, il n’y a plus de notion de causalité que les trous de ver ou les univers déchirés puissent venir gâcher. Cette intégrale de chemin hors du temps et «"euclidienne"», Hawking l’utilise pour soutenir que le temps trouve son origine dans le Big Bang et pour dénombrer les «"briques"» d’espace-temps à l’intérieur d’un trou noir. Récemment, d’autres chercheurs ont employé l’approche euclidienne pour défendre l’hypothèse qu’un trou noir en fin de vie laisse fuiter de l’information. Voilà qui «"semble être le point de vue le plus riche à épouser, note Simon Ross, de l’université de Durham, au Royaume-Uni. L’intégrale de chemin gravitationnelle, définie de façon à inclure toutes les topologies, a des propriétés magnifiques que nous ne comprenons pas encore tout à fait"». Aux yeux de certains physiciens, le prix à payer est néanmoins exorbitant. Abandonner un élément du réel aussi structurant que le temps est pour eux inacceptable. L’intégrale de chemin
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« C’est comme de la magie noire », relève avec humour le physicien théoricien Yen Chin Ong, de l’université de Yangzhou, en Chine
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euclidienne «"est vraiment totalement non physique"», n’hésite pas à contester Renate Loll, de l’université Radboud, à Nimègue, aux Pays-Bas. Son camp s’efforce de conserver le temps dans l’intégrale de chemin, dans le cadre de l’espace-temps que nous connaissons et aimons, celui dans lequel les causes précèdent strictement les effets. L’intégrale de chemin est alors bien plus redoutable, mais, après des années à chercher des façons d’en trouver une approximation, Renate Loll a fini par trouver des indices encourageants. Dans un article, avec ses collaborateurs, elle a par exemple additionné un ensemble de formes standard de l’espace-temps (chacune représentée, en première approximation, par un matelas de minuscules triangles) et obtenu quelque chose comme notre Univers – ce qui équivaut, pour l’espace-temps, à montrer que les particules se meuvent en ligne droite. D’autres ont fait avancer l’intégrale de chemin euclidienne, en prenant en considération tous les changements topologiques. En 2019, des chercheurs ont défini avec rigueur une intégrale complète – pas une approximation – pour des univers à deux dimensions, mais les outils mathématiques utilisés ont fini par brouiller le sens que cela pourrait avoir dans la réalité physique. De tels travaux ne font qu’accroître l’impression, chez les physiciens et les mathématiciens, que l’intégrale de chemin détient un pouvoir qui ne demande qu’à être maîtrisé. «"Peut-être n’avonsnous pas encore tout défini dans le détail"», veut bien reconnaître Yen Chin Ong. Mais la confiance est là. «"Ce n’est qu’une question de temps."»
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― L’auteur ―
― À lire ―
> Charlie Wood diplômé en physique à l'université Brown, est journaliste spécialisé en physique à la rédaction de Quanta Magazine. Cet article est la traduction de « How reality may be a sum of all possible realities », publié sur www.quantamagazine.org le 6 février 2023.
> P. Saad et al., JT gravity as a matrix integral, arXiv : 1903.11115, 2019. > R. Feynman, Lumière et matière, une étrange histoire, Seuil, 1992. > R. Feynman, Space-time approach to quantum electrodynamics, Physical Review, 1949.
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La réalité de demain
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Peut-on imaginer maîtriser ce qu’on ne comprend, au mieux, qu’à moitié ? Non, et c’est bien la difficulté à laquelle se heurtent physiciens et ingénieurs qui travaillent sur ce qu’on nous promet sous le terme de « seconde quantique. Aussi convient-il peut-être de revenir aux fondamentaux, aux concepts de base de la physique, ceux de la thermodynamique, et de tenter de les réinterpréter dans le monde quantique. Alors, seulement, les bits quantiques, leur téléportation et tout ce qui relève de la communication quantique seront à notre portée.
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© Bartlomiej K. Wroblewski/Shutterstock
révolution quantique » : ordinateurs et cryptographie
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LA RÉALITÉ DE DEMAIN
Les concepts de la thermodynamique, forgés dans le creuset de la première révolution industrielle, s’exportent depuis peu vers le monde quantique. C’est la promesse de nouvelles technologies économes en énergie.
De la locomotive à vapeur au
bit quantique Alexia Auffèves
© neuroncollective.com / Chalmers University of Technology
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Simone Gasparinetti et son équipe, à l’université Chalmers, en Suède, utilisent les outils de la thermodynamique quantique pour réduire l’empreinte énergétique des horloges atomiques.
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LA RÉALITÉ DE DEMAIN
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Depuis l’aube de l’humanité, cette dernière s’est évertuée à créer des machines pour exécuter des tâches à sa place. D’abord actionnées par le vent, l’eau… ces machines ont évolué pour, au xixe siècle, fonctionner grâce à la chaleur et conduire à la première révolution industrielle, dont la locomotive à vapeur est l’un des symboles. Cela aurait été impossible sans un dialogue constant entre ingénieurs et physiciens, les seconds fournissant aux premiers un cadre pour optimiser les performances de leurs machines : la thermodynamique. En retour, cette nouvelle branche donna naissance au concept fondamental de flèche du temps, fermant la boucle entre fondements et applications. Les concepts de la thermodynamique sont si universels qu’ils ont irrigué des disciplines aussi diverses que l’informatique, la biologie, les neurosciences… Mais sa rencontre récente avec l’une des grandes révolutions scientifiques du xxe siècle, la physique quantique, a offert un regard radicalement neuf sur les liens intimes entre temps, énergie et information): bienvenue dans la thermodynamique quantique !
― En bref ――― > Le développement récent des technologies quantiques soulève la question de leur consommation en énergie. > Pour y répondre, les outils de la thermodynamique classique ne sont pas adaptés. > Une nouvelle discipline commence à voir le jour : la thermodynamique quantique. Elle se situe à la croisée de deux sciences du hasard – la physique statistique et la mécanique quantique. > Elle explore des thèmes aussi variés que l’avantage quantique énergétique, le coût de la lutte
CHALEUR, TRAVAIL ET ENTROPIE
contre la décohérence,
De prime abord, ce rapprochement a de quoi surprendre. Là où la thermodynamique s’intéresse à de vastes collections de particules décrites par des grandeurs macroscopiques comme la température ou la pression, la physique quantique se concentre sur le comportement de particules individuelles. Pour concilier les points de
aux échelles
ou l’irréversibilité quantiques.
vue, il est nécessaire d’étendre les lois de la thermodynamique à des systèmes comportant un nombre réduit de particules classiques et, ultimement, à des objets quantiques. Chacune de ces étapes demande de redéfinir les concepts de chaleur, de travail et d’entropie. À la clé, des moteurs d’un type nouveau. La ressource énergétique n’est plus la chaleur au sens classique ; elle est issue des perturbations irréversibles induites par l’acte de mesure d’un objet quantique, ce qui constitue un «)bruit quantique)» fondamental. S’il ne s’agit pas (encore) de machines utilitaires, ces moteurs permettent néanmoins d’approfondir notre compréhension de la mesure en physique quantique, dont le statut fait toujours l’objet de débats. D’un point de vue pratique, la thermodynamique quantique fournit un cadre pour modéliser l’empreinte énergétique de ces technologies émergentes. Celles-ci visent à exploiter l’intrication et la cohérence quantiques pour calculer plus vite, mesurer plus précisément et communiquer de façon plus sûre. Or la question du coût en ressources de ces dispositifs du futur, tout comme la possibilité d’atteindre un avantage de nature énergétique, reste encore largement inexplorée. La motivation première de la thermodynamique a été de transformer la chaleur en travail. Dans la vision classique, la chaleur est une ressource naturellement abondante fournie par le soleil, des sources géothermiques, ou encore la combustion du charbon. Mais elle doit être convertie en travail pour être utile, par exemple pour faire avancer un train. Ainsi le graal
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De la locomotive à vapeur au bit quantique
L’entropie, une mesure de l’ignorance
poursuivi par les physiciens du xixe siècle était le moteur monotherme, une machine utopique qui extrairait de façon cyclique du travail à partir d’une seule source chaude.
SOUFFLER LE CHAUD ET LE FROID Mais il fut vite évident, notamment grâce au physicien anglais lord Kelvin, que le moteur monotherme resterait un mirage. Pour le comprendre, prenons le plus célèbre des dispositifs thermiques): le moteur de Carnot, imaginé par Sadi Carnot en 1824. Ce dispositif exploite la détente d’un gaz chaud pour extraire du travail. Pour répéter le processus de façon cyclique, il est essentiel à la fin de la détente de comprimer le gaz pour le ramener à son volume initial. Si la compression a lieu à la même température que la détente, l’opération consomme l’intégralité du travail produit): le bilan est nul. Afin d’extraire un travail, le gaz doit être refroidi avant compression, obligeant donc à disposer d’une source chaude, mais aussi d’une source froide. Cet «)interdit de Kelvin)» est l’une des nombreuses expressions de la deuxième loi de la thermodynamique, la première garantissant la conservation de l’énergie. Cette deuxième loi introduit en physique le concept fondamental d’irréversibilité, qui trace une frontière rigoureuse entre deux formes d’échanges énergétiques jusqu’alors définis intuitivement): tandis que le travail seul est le plus souvent échangé de façon réversible, la chaleur seule ne l’est généralement pas. Elle apparaît ainsi comme
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L’essor de la thermodynamique classique a troublé de nombreux physiciens du XIXe siècle, habitués à la mécanique newtonienne, déterministe. En thermodynamique, les savants ont rapidement compris qu’à un macroétat, défini par des grandeurs comme la température ou la pression, correspondait de nombreuses configurations microscopiques (des microétats) données par la position et la vitesse des atomes du système, et auxquelles l’observateur du système macroscopique n’a pas accès. Pour quantifier cette ignorance, Rudolf Clausius a forgé en 1865 le mot « entropie », inspiré du terme grec entropê (« transformation »). L’entropie caractérise notre ignorance du système, mais aussi sa désorganisation. Un système a une entropie d’autant plus élevée qu’il est désorganisé. L’entropie est une notion centrale en thermodynamique. Elle est par exemple intimement liée à la deuxième loi de la thermodynamique, qui est énoncée de plusieurs façons, mais notamment celle-ci : « L’entropie d’un système thermodynamique isolé ne peut que croître au cours du temps. » De façon remarquable, cette loi donne une mesure de l’irréversibilité des transformations physiques. Alors que la mécanique newtonienne est parfaitement symétrique par inversion du temps, la thermodynamique reconnaît l’existence d’une flèche du temps. Plus étonnant, l’entropie peut être formulée de différentes façons et dans des contextes aussi variés que la thermodynamique classique, bien sûr, (entropie de Boltzmann, entropie de Gibbs), mais aussi la théorie de l’information (entropie de Shannon) ou la physique quantique (entropie de von Neumann). Ainsi, Claude Shannon, l’un des fondateurs de la théorie de l’information, s’est intéressé à des problèmes concrets dans le domaine des télécommunications. En voulant évaluer le contenu en information d’un signal, il a commencé par définir la probabilité d’apparition d’un symbole (une lettre, ou un bit) dans le signal considéré. Le signal contient davantage d’information si les symboles qu’il contient sont inattendus, c’est-à-dire avec une faible probabilité. En exprimant la moyenne de l’information d’un signal, Shannon a obtenu une formule équivalente à celle de l’entropie en thermodynamique classique. On parle de « l’entropie de Shannon ». Sean Bailly, Pour la Science
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une forme dégradée d’énergie, qui nécessite quelques précautions pour être exploitée en tant que ressource. En particulier, un moteur thermique atteint son efficacité maximale s’il opère en régime réversible. Pour limiter l’impact des étapes irréversibles, les échanges thermiques doivent se faire le plus lentement possible, c’est-à-dire dans un régime quasi statique. Un fonctionnement trop rapide entraîne une dissipation de chaleur, altérant les performances énergétiques.
EXORCISER LE DÉMON… DE MAXWELL C’est l’un des messages les plus importants de la thermodynamique classique): l’irréversibilité instaure des «)bornes fondamentales)», qui restreignent quantitativement les performances des machines thermiques. D’une part, ces bornes fixent le travail maximal pouvant être extrait de ressources thermiques données. D’autre part, elles définissent le travail minimal nécessaire pour exécuter une tâche qui s’oppose à l’équilibre thermique, comme le fait un réfrigérateur. La thermodynamique a ainsi connecté performances énergétiques et flèche du temps avec le concept d’entropie (voir l’encadré, page précédente). De façon remarquable, l’entropie relie également énergie et information au sein d’une thermodynamique de l’information. Les prémisses de la discipline ont été posées par James Clerk Maxwell. En 1867, le physicien britannique a revisité le moteur de Carnot et imaginé qu’un «)démon)» avait connaissance de la position et de la vitesse de chaque particule à la fin
de la détente du gaz. Le démon exploiterait alors ces informations pour ramener les particules dans le volume initial, et recommencer le cycle sans avoir eu à comprimer le gaz au préalable, c’est-à-dire sans avoir eu à dépenser de travail et sans source froide)! Un tel mécanisme violait clairement l’interdit de Kelvin. Il a fallu près d’un siècle pour exorciser le démon de Maxwell. La clé est de reconnaître que l’information n’est pas un concept éthéré et immatériel, mais qu’elle s’encode sur des systèmes physiques respectant les lois de la thermodynamique. Les outils quantitatifs de résolution ont été fournis par les sciences et les technologies de l’information, qui ont connu des progrès fulgurants à partir de la Seconde Guerre mondiale. L’information est devenue une quantité mesurable dont l’unité est le bit. Par définition, un bit d’information est acquis lors de la lecture d’une variable pouvant prendre deux valeurs équiprobables, généralement symbolisées par 0 et 1, correspondant à deux états d’un système physique comme ceux d’un transistor. L’empreinte thermodynamique de l’information se comprend intuitivement dans le cadre d’une expérience de pensée impliquant un moteur de Carnot à une seule particule. Celle-ci peut se trouver à gauche (état 0 du bit) ou à droite (état 1) d’une paroi partitionnant le volume accessible à ce «)gaz)» idéalisé. Supposons la particule initialement à gauche et considérons la détente du gaz en rendant mobile la paroi séparatrice. Par analogie avec le moteur réel, cette étape permet d’extraire un travail élémentaire. À la fin de la détente, la particule peut se trouver à gauche ou à droite avec la même probabilité): l’information initiale est perdue. Dit autrement, un bit d’information a été consommé pour produire un travail élémentaire. L’étape réciproque de compression a des conséquences pratiques très importantes. Partant d’une
Il est possible d’extraire du travail d’un système quantique seulement en l’observant
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De la locomotive à vapeur au bit quantique
© A. Auffèves (pile) ; E. Lucero/Google (Sycamore)
ÉNERGÉTIQUE DES TECHNOLOGIES QUANTIQUES Nos technologies numériques actuelles sont extrêmement gourmandes en énergie (11 % de l’électricité dans le monde). L’information quantique peut-elle apporter des solutions en ce domaine et s’accompagner d’économies d’énergie ? Le coût énergétique d’un calcul quantique reste un problème ouvert et la question « y a-t-il un avantage quantique de nature énergétique ? » divise. Selon les tenants du « non », un vrai calcul quantique reposera sur une vaste collection de qubits. En effet, à cause de la décohérence, les processeurs quantiques sont « bruités », avec de forts taux d’erreur par qubit. Une solution consiste en des mécanismes de correction d’erreur qui requièrent un grand nombre de qubits « physiques ». Le « passage à l’échelle » vers ces processeurs de grande taille risquera alors d’augmenter leur consommation énergétique de façon déraisonnable, a fortiori si les qubits doivent être refroidis. À l’opposé, les partisans du « oui » mettent en avant l’avantage quantique computationnel, par lequel un algorithme quantique obtient un résultat similaire à sa contrepartie classique avec beaucoup moins d’opérations physiques. Cet avantage doit logiquement se traduire par une diminution de la consommation énergétique. C’est bien ce qu’a clamé Google en octobre 2019. Avec nos collègues, nous avons mené une étude quantitative sur un exemple concret. En 2021, avec un supercalculateur, une équipe d’Inria a battu le record de factorisation (en nombres premiers) d’une clé RSA
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Applications Algorithmes Compilateurs Architecture Contrôle des qubits Processeurs quantiques Cryogénie, vide…
contenant 829 bits en consommant 965 gigajoules. Du côté quantique, l’algorithme de Shor est connu pour factoriser ce type de clé très efficacement. Nous avons considéré un ordinateur quantique doté de qubits supraconducteurs avec un taux d’erreur deux mille fois plus faible que ceux du processeur de Google. En modélisant toutes les dépenses d’énergie d’un tel système avec un code de correction d’erreur parmi les plus gourmands en énergie, nous avons obtenu une consommation de seulement 2,7 gigajoules. Ces prédictions menées sur des systèmes très idéalisés constituent une preuve de concept et doivent maintenant être confirmées avec des systèmes réels et en exécutant des optimisations tout au long de la construction des calculateurs. Ce défi requiert de mettre en synergie la recherche fondamentale, les développements technologiques et l’ingénierie. À la clé, des technologies
La QEI (Quantum Energy Initiative) prône une analyse de bout en bout d’un ordinateur quantique (ici le Sycamore, de Google) pour en évaluer l’efficacité énergétique. Cette approche se décompose en différentes strates (à gauche). quantiques sobres, pour lesquelles l’optimisation énergétique sera intégrée dès la conception. Afin de recenser et de structurer la communauté de recherche interdisciplinaire et internationale nécessaire pour ces travaux, nous avons lancé l’initiative pour l’énergétique quantique (QEI, Quantum Energy Initiative) en août 2022. Elle est d’ores et déjà soutenue par de nombreux spécialistes des technologies quantiques, chercheurs et entrepreneurs du monde entier, qui ont signé son manifeste et souhaitent intégrer dès maintenant la question énergétique dans leurs travaux. Alexia Auffèves, Olivier Ezratty (consultant en technologies quantiques) et Robert Whitney (CNRS, LPMMC à Grenoble).
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LA RÉALITÉ DE DEMAIN
UN ÉCLAIRAGE INATTENDU SUR LA RÉALITÉ
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position inconnue de la particule (état 0 ou 1), celle-ci se retrouve dans une position déterminée (état 0) au prix du même travail élémentaire, dit «)travail de Landauer)». Cette étape résout le paradoxe du démon de Maxwell, car le travail nécessaire à l’effacement de la mémoire du démon permet de respecter l’interdit de Kelvin et donc la deuxième loi. En informatique, cette transformation correspond à la réinitialisation d’un bit, essentielle à la fin d’un calcul avant de lancer le suivant. Le travail de Landauer à température ambiante vaut typiquement 10 – 20 joules, soit quatre ordres de grandeur de moins que la chaleur dissipée dans nos ordinateurs, pour lesquels le traitement de l’information s’opère de façon encore largement irréversible. L’irréversibilité est de nature thermodynamique (les opérations de calcul ne sont pas effectuées à l’équilibre thermodynamique), mais surtout logique (les portes logiques, comme «)et)», «)si… alors…)», utilisées consomment typiquement deux bits en entrée en n’en renvoyant qu’un en sortie). L’empreinte énergétique des technologies numériques est un obstacle majeur à leur durabilité, motivant d’importants efforts de recherche. Une voie révolutionnaire serait celle du calcul réversible. Dans les années 1980, Charles Bennett a proposé d’inverser le calcul après extraction du résultat, réinitialisant le processeur sans dissipation de chaleur. Cette idée promet ainsi de s’affranchir de la borne fondamentale de Landauer. Cependant, son coût matériel est élevé, car il repose sur des opérations dites «)logiquement réversibles)»): toute l’information doit
Si le formalisme quantique fait montre d’une efficacité prédictive et d’une fécondité technologique inégalées, la nature de la réalité qu’il capture reste mystérieuse – donnant lieu à de nombreuses interprétations qui se ramènent souvent au statut de la mesure. En particulier, celle-ci émerge-t-elle de l’équation de Schrödinger ? Auquel cas le postulat de la mesure ne serait plus un postulat mais une simple conséquence de la dynamique quantique ? Ou bien, au contraire, le postulat de la mesure est-il fondamental, rendant caduque toute tentative de l’éliminer du paysage ? La thermodynamique quantique offre un point de vue nouveau sur ces questions en les associant à des bilans énergétiques et entropiques. Pour en donner un aperçu rapide, les tenants d’un monde intégralement régi par l’équation de Schrödinger (à l’instar de la théorie d’Everett et ses mondes multiples) parleront plutôt de « travail » pour désigner l’énergie transmise à un système quantique lors d’une mesure, toutes les transformations apparaissant comme fondamentalement réversibles. À l’opposé, les « néocopenhaguiens » voyant dans la mesure un mécanisme irréversible par essence préféreront le concept de « chaleur quantique » pour définir ces échanges d’énergie. La thermodynamique quantique dote ainsi les interprétations de la physique quantique de nouveaux outils d’exploration, terreau de nouvelles expériences.
être préservée au cours du calcul pour permettre d’inverser les opérations. Cette voie reste relativement peu explorée, tous les espoirs se portant actuellement vers le calcul quantique.
THERMODYNAMIQUE STOCHASTIQUE La thermodynamique de l’information est profondément différente de la thermodynamique macroscopique): en effet, les bits sont des systèmes physiques élémentaires pour lesquels l’analogie avec un gaz devient rapidement insatisfaisante. Définir rigoureusement les concepts de travail, de chaleur et d’irréversibilité à cette échelle a demandé d’adapter les outils de la thermodynamique classique et relève de la thermodynamique
Pour la Science Hors-Série n° 122 / Février-mars 2024
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De la locomotive à vapeur au bit quantique
stochastique née au xxe siècle. Ce cadre permet notamment d’étudier des systèmes microscopiques contenant un petit nombre de particules dont le comportement reste a priori classique, par exemple des colloïdes, des enzymes… Contrairement aux évolutions lisses et moyennées des systèmes à grand nombre de particules de la thermodynamique macroscopique, l’évolution d’un système de la thermodynamique stochastique est caractérisée par des fluctuations, donnant lieu à des «)trajectoires stochastiques)». Ces trajectoires sont induites par l’action conjointe de l’opérateur, qui impose la transformation thermodynamique du système, et du thermostat qui génère des sauts aléatoires entre les états accessibles (par exemple un bit qui change de valeur de façon non contrôlée). On parle de «)bruit thermique)» pour caractériser ces fluctuations. La «)chaleur)» correspond alors aux fluctuations d’énergie induites par le bruit, tandis que le «)travail)» désigne l’échange continu d’énergie avec l’opérateur. La frontière entre chaleur et travail reflète donc désormais celle qui s’érige entre contrôle et fluctuations. Dans ce contexte, les moteurs acquièrent une nouvelle signification : ce sont des dispositifs qui «)rectifient)» les fluctuations, transformant le bruit thermique en ressource énergétique pour l’opérateur. À l’échelle microscopique, on s’attendrait à ce que les lois de la physique soient réversibles et la deuxième loi caduque. Sans répondre sur le caractère fondamental ou effectif de la flèche du temps, la thermodynamique stochastique propose à tout le moins une vision opérationnelle de l’irréversibilité à cette échelle. En l’absence de bruit, la
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trajectoire suivie par le système est parfaitement déterministe. L’opérateur est donc capable d’inverser le protocole à volonté, pour ramener le système à son état initial : en régime de contrôle total, la transformation est réversible. En revanche, en présence de bruit, un tel contrôle devient impossible à l’échelle de la trajectoire, qui n’est alors plus nécessairement réversible. Les outils de la thermodynamique stochastique aident à quantifier cette irréversibilité, avec le concept de «)production d’entropie)»): celle-ci est positive, voire nulle pour les transformations réversibles, et d’autant plus grande que la transformation est davantage irréversible.
ET LE BRUIT DEVIENT QUANTIQUE On voit que l’irréversibilité, de même que la frontière entre travail et chaleur, dépend simplement de l’existence d’une source de bruit, qui perturbe aléatoirement les trajectoires du système induites par l’opérateur. C’est un message essentiel de la thermodynamique stochastique): pour construire les concepts thermodynamiques, il suffit d’un système, d’une entité pour le contrôler, et de perturbations aléatoires, peu importe leur origine. Si ces concepts ont émergé dans le contexte traditionnel des machines thermiques alimentées par des sources chaudes, ils vont acquérir une tout autre signification dans le cadre de la physique quantique. Depuis une vingtaine d’années, la thermodynamique quantique est le prolongement naturel de la thermodynamique stochastique et de l’information
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LA RÉALITÉ DE DEMAIN
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quantique. D’une part, la thermodynamique s’est adaptée à la miniaturisation, à l’individualisation, et finalement à la nature quantique de ses objets d’étude. D’autre part, la théorie de l’information s’est historiquement dotée de sa propre thermodynamique, posant très naturellement la question de son extension dans le régime quantique. Cette fusion des deux disciplines produit un bouillonnement de concepts théoriques et attire un nombre croissant d’expérimentateurs. Une caractéristique du monde quantique est que les états obéissent au principe de superposition. Ainsi un bit quantique ou «)qubit)» peut non seulement se trouver dans l’état 0, dans l’état 1, mais aussi dans toute superposition dite «)cohérente)» de ces états. Généralisées à deux qubits ou plus, de telles superpositions définissent des états dits «)intriqués)». D’un point de vue applicatif, cohérence et intrication promettent notamment d’accélérer le traitement quantique de l’information): c’est l’«)avantage quantique computationnel)». L’idée que la cohérence et l’intrication sont des ressources a aussi donné lieu aux premiers questionnements de la thermodynamique quantique): sont-elles également à l’origine d’un «)avantage quantique énergétique)», grâce auquel ces moteurs seraient plus efficaces que leurs équivalents classiques)? En 2003, Marlan Scully a formulé la première proposition théorique dans ce sens pour un moteur de Carnot optique, permettant de visualiser l’impact de la cohérence sur les performances énergétiques d’une machine quantique élémentaire, ouvrant un champ fécond de
recherches. Ainsi, en 2015, Raam Uzdin, de l’université de Jérusalem, et ses collègues ont suggéré que la cohérence dans un moteur quantique augmentait bien sa puissance, une prédiction confirmée quatre ans plus tard par le groupe d’Ian Walmsley, de l’université d’Oxford. D’un point de vue pratique, l’avantage quantique énergétique commence également à être étudié dans le cadre de ces technologies de l’information, et notamment du calcul : un ordinateur quantique effectuera-t-il le même calcul qu’un ordinateur classique, mais avec moins d’énergie)?
LA MESURE QUANTIQUE COMME RESSOURCE ÉNERGÉTIQUE Une difficulté inhérente aux technologies quantiques est que les superpositions cohérentes sont aussi précieuses que fragiles. En particulier, extraire de l’information sur un système préparé dans un état de superposition cohérente détruit cette superposition : mesurer un qubit dans l’état «)0 + 1)» le projette irréversiblement sur l’état «)0)» ou sur «)1)». En d’autres termes, une superposition d’états ne survit que si elle est tenue secrète. Naturellement, le secret est d’autant plus difficile à tenir que le système est grand et que l’information peut fuir facilement dans l’environnement, qui agit comme un appareil de mesure incontrôlable. Ce mécanisme de «)décohérence)» explique pourquoi nous n’observons pas de superpositions macroscopiques dans notre vie quotidienne. Cette décohérence est le grand défi à relever pour le traitement quantique de l’information, qui repose
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De la locomotive à vapeur au bit quantique
précisément sur la manipulation cohérente d’un grand nombre de qubits. Dans le monde quantique, les perturbations induites par la mesure constituent ainsi une source fondamentale de bruit. Dans l’esprit de la thermodynamique stochastique, il conduit à poser de nouvelles définitions de chaleur et d’irréversibilité.
chaude, mais opèrent uniquement grâce aux fluctuations énergétiques induites par la mesure. Il est dès lors possible d’extraire du travail d’un système quantique, uniquement en l’observant ! L’équipe de Benjamin Huard, à l’ENS Lyon, a démontré la réalité physique du concept de chaleur quantique avec des qubits supraconducteurs. Le premier de ces «)moteurs à mesure)» a été réalisé dans le même groupe. Il est de plus en plus clair que le champ d’étude ouvert par la thermodynamique quantique se distingue radicalement de celui de son homologue classique. Son exploration impose de faire table rase du passé et de redéfinir en profondeur les concepts de chaleur, de travail, d’entropie et d’irréversibilité. À la clé, une meilleure compréhension et une optimisation du coût énergétique des technologies quantiques, voire un avantage quantique énergétique.
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LA CHALEUR QUANTIQUE Pour le comprendre, revenons à la mesure du qubit décrite précédemment et comprenons que les états 0 et 1 ont des énergies différentes, 0 étant généralement l’état dit «)fondamental)» et 1 l’état dit «)excité)», de plus haute énergie (notée E). Supposons alors que la mesure projette la superposition «)0 + 1)» sur 1 (respectivement sur 0)): l’énergie du qubit a augmenté de E/2 (respectivement diminué de E/2). D’autre part, le qubit passe d’un état initial certain (0 + 1) à un état probabiliste où les deux états finals sont équiprobables (0 ou 1). L’énergie transférée lors de la mesure s’accompagne donc également d’une hausse du désordre du système, c’est-à-dire de son entropie. En 2017, avec mes collègues, nous avons suggéré que la mesure joue ainsi un rôle similaire à un bain thermique, source à la fois d’énergie et d’entropie. Nous avons appelé «)chaleur quantique)» les transferts d’énergie associés. Depuis, et poursuivant l’analogie avec la thermodynamique classique, mon équipe et d’autres proposons d’exploiter cette chaleur quantique pour faire fonctionner des moteurs quantiques d’un nouveau type. Ils n’ont pas besoin de source
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― L’autrice ―
― À lire ―
> Alexia Auffèves est directrice de recherche CNRS et directrice du laboratoire MajuLab (Singapour), cofondatrice de la Quantum Energy Initiative (quantum-energy-initiative.org)
> A. Auffèves, Quantum technologies need a quantum energy initiative, PRX Quantum, 2022. > J. Stevens et al., Energetics of a single qubit gate, Physical Review Letters, 2022. > L. Bresque et al., Two-qubit engine fueled by entanglement and local measurements, Physical Review Letters, 2021. > C. Élouard et al., The role of quantum measurement in stochastic thermodynamics, npj Quantum Information, 2017. > R. Uzdin et al., Equivalence of quantum heat machines, and quantum-thermodynamic signatures, Physical Review X, 2015.
Hélène a aidé Alice à donner aux jeunes de 5 collèges les moyens d’agir pour la planète.
Hélène verse chaque année 1% de son chiffre d’affaires à des associations agréées 1% for the Planet dont For my Planet.
onepercentfortheplanet.f r