La réponse de PRÉHISTOIRE Quels pouvoirs avaient les femmes ? nClaudine Cohen POUR LA SCIENCE
historienne des sciences
Neurosciences
LE MYSTÈRE DES PETITS CHIENS
Linguistique
HUMAINS ET ROBOTS, UN DIALOGUE IMPOSSIBLE ?
TENSIONS COSMOLOGIQUES L’observation du ciel va-t-elle sauver le modèle du Big Bang ?
L 13256 - 537 H - F: 7,00 € - RD
DOM : 8,50 € – BEL./LUX. : 8,50 € – CH : 12,00 FS – CAN. : 12,99 $CA – TOM : 1 100 XPF
Édition française de Scientific American – Juillet 2022 – n° 537
COMMENT SE FORGENT NOS SOUVENIRS
Évolution
07/22
À vos fourneaux ! Ne manquez pas la savoureuse exposition Banquet sur le gril jusqu’au 7 août 2022. Et, pour prolonger les plaisirs de la table, écoutez ou réécoutez à tous moments notre cycle de conférences et de rencontres autour de la thématique Nourritures. banquet Doc Levin Studio / J. Triboul, L. Quetglas. Photo V. Pêcheux
exposition 16 novembre 2021 — 7 août 2022 En partenariat avec
D’autres rendez-vous délicieusement captivants sont à retrouver en ligne et à consommer sans modération. Bonnes découvertes !
Avec le soutien de
RÉSERVATION CONSEILLÉE M > Porte de la Villette cite-sciences.fr #ExpoBanquet
Retrouvez tous nos replays sur cite-sciences.fr et sur YouTube Thema Nourritures • Manger avec plaisir ! • La gastronomie française, quel avenir ? • Plus de poisson dans nos assiettes ? • Plasticité cérébrale : à vos stimuli ! • Fruits et légumes : l’équilibre dans l’assiette • Insectes comestibles : l’assiette augmentée • La vie intraterrestre, rencontre dans les profondeurs • Comment le sol façonne notre monde ?
Et aussi • Journée mondiale des intelligences animales • Régions polaires : quels enjeux pour l’Europe ? (colloque) • Climat : quelle politique énergétique pour l’UE ?
Avec le soutien de
Groupe POUR LA SCIENCE Directrice des rédactions : Cécile Lestienne POUR LA SCIENCE Rédacteur en chef : François Lassagne Rédacteurs en chef adjoints : Loïc Mangin, Marie-Neige Cordonnier Rédacteurs : François Savatier, Sean Bailly Stagiaire : Élisa Doré
É DITO
HORS-SÉRIE POUR LA SCIENCE Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe Community manager et partenariats : Aëla Keryhuel aela.keryhuel@pourlascience.fr Conception graphique : William Londiche Directrice artistique : Céline Lapert Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy, Ingrid Lhande Réviseuse : Anne-Rozenn Jouble Assistante administrative : Doae Mohamed Chef de produit : Eléna Delanne Direction du personnel : Olivia Le Prévost Secrétaire général : Nicolas Bréon Fabrication : Marianne Sigogne et Zoé Farré-Vilalta Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot Anciens directeurs de la rédaction : Françoise Pétry et Philippe Boulanger Conseiller scientifique : Hervé This Ont également participé à ce numéro : Olivier Bachmann, Alexandre Berr, Isabelle Bouchery, Maud Bruguière, Carole Escartin, Philippe Lebaron, Florian Moreau, Christine Rollard, Massimo Scanziani, Luc Vanrell PUBLICITÉ France stephanie.jullien@pourlascience.fr ABONNEMENTS www.boutique.groupepourlascience.fr Courriel : serviceclients@groupepourlascience.fr Tél. : 01 86 70 01 76 Du lundi au vendredi de 8 h 30 à 12 h 30 et de 13 h 30 à 16 h 30 Adresse postale : Service abonnement Groupe Pour la Science 235 avenue Le Jour se Lève 92 100 Boulogne-Billancourt Tarifs d’abonnement 1 an (12 numéros) France métropolitaine : 59 euros – Europe : 71 euros Reste du monde : 85,25 euros DIFFUSION Contact kiosques : À Juste Titres ; Alicia Abadie Tél. 04 88 15 12 47 Information/modification de service/réassort : www.direct-editeurs.fr www.pourlascience.fr 170 bis boulevard du Montparnasse – 75 014 Paris Tél. 01 55 42 84 00 SCIENTIFIC AMERICAN Editor in chief : Laura Helmut President : Stephen Pincock Executive vice president : Michael Florek
Toutes demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français ou francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents contenus dans la revue «Pour la Science», dans la revue «Scientific American», dans les livres édités par «Pour la Science» doivent être adressées par écrit à «Pour la Science S.A.R.L.», 162 rue du Faubourg Saint-Denis, 75010 Paris. © Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de représentation réservés pour tous les pays. La marque et le nom commercial « Scientific American » sont la propriété de Scientific American, Inc. Licence accordée à « Pour la Science S.A.R.L. ». En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20 rue des Grands-Augustins, 75 006 Paris).
Origine du papier : Autriche Taux de fibres recyclées : 30 % « Eutrophisation » ou « Impact sur l’eau » : Ptot 0,007 kg/tonne
François Lassagne Rédacteur en chef
EXPLORER L’INVISIBLE
L
es astrophysiciens ont de la chance : l’acuité de leur regard progresse à mesure que le temps passe. D’ici à quelques années, la troisième génération d’observatoires terrestres et spatiaux plongera ses capteurs dans les profondeurs du cosmos. Le télescope spatial James-Webb (JWST), dont les premières observations sont attendues le 12 juillet, en offre un avant-goût. Ces instruments seront un apport essentiel, nous dit le physicien Julien Lavalle, pour résoudre les tensions entre attentes théoriques et observations, et mettre à l’épreuve à la fois le modèle standard décrivant l’Univers et celui de la physique des particules. Voir ce qui jusque-là demeurait inaccessible nourrit la connaissance autant que l’émotion. Gageons que les clichés du JWST seront saisissants… Et mettons-nous à la place de Luc Vanrell, plongeur et préhistorien, qui a multiplié les explorations de la grotte Cosquer, joyau du Paléolithique supérieur : il évoque volontiers un choc esthétique. L’idéal des explorateurs, les instruments braqués sur le cosmos primordial ou les yeux sur les merveilles du passé, conjugue l’émotion et le sens. Comment interpréter ce qui se donne à voir ? Là s’ouvre le domaine de la théorie et des modèles, borné par les franges de la spéculation. L’astrophysique joue dans un jeu de contraintes, à la croisée de frontières mathématiques qui maintiennent les édifices théoriques en cohérence. Rien de si formel dans les grottes ornées. La taille d’une main en négatif peut suggérer l’identité de l’humain du Paléolithique – femme, enfant, homme – qui l’a inscrite sur une paroi. Mais les indices sont ténus. Les sites archéologiques ne portent le plus souvent pas trace de la dynamique qui réglait les rapports entre les membres d’un clan, rappelle l’anthropologue Christophe Darmangeat. Notre passé d’humains se fait parfois plus opaque que les premiers temps de l’Univers. Les obstinés explorateurs de l’invisible n’en poursuivent pas moins leur quête. n
POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022 /
3
s
ACTUALITÉS
DOSSIER SPÉCIAL
P. 6
ÉCHOS DES LABOS • Un risque accru d’émergence de futures pandémies • Phagothérapie : le rôle clé de l’environnement • Le premier Dénisovien d’Asie du Sud-Est • La première « photo » du trou noir au centre de la Voie lactée • Des rivières aériennes menacent l’Antarctique • L’explosion cambrienne s’explique • Couvercles express
OMMAIRE N° 537 / Juillet 2022
GRANDS FORMATS
P. 16
LES LIVRES DU MOIS
P. 18
DISPUTES ENVIRONNEMENTALES
Droits humains, droits de la nature et… boules de noël Catherine Aubertin
P. 36
P. 48
L’ÉGALITÉ DES SEXES AU PALÉOLITHIQUE ?
MÉMOIRE : JAMAIS SANS LES MOTS
PRÉHISTOIRE
NEUROSCIENCES
Claudine Cohen
Jordana Cepelewicz
Les femmes occupaient-elles une place essentielle dans les sociétés du Paléolithique, jusqu’à nourrir le mythe d’un culte primitif rendu à une « Grande Déesse » ? L’hypothèse ne résiste pas à l’analyse des sources de pouvoir dont disposaient nos aïeules.
Nos souvenirs ne sont pas la simple répétition neuronale des expériences vécues. L’imagerie cérébrale révèle leur part abstraite.
P. 20
P. 53
NEUROPSYCHOLOGIE
« UN SOUVENIR N’EST PAS SIMPLEMENT DIRE “JE ME SOUVIENS” » Entretien avec Francis Eustache
LES SCIENCES À LA LOUPE
La science peut-elle être « citoyenne » ?
La mémoire s’enracine dans nos interactions sociales, et change avec le temps.
Yves Gingras
P. 44
PALÉOANTHROPOLOGIE
OÙ SONT LES FEMMES ?
Anne Augereau, Christophe Darmangeat, Dominique Henry-Gambier et Nicolas Teyssandier
fr LETTRE D’INFORMATION PRÉHISTOIRE Quel pouvoir avaient les femmes ?
Inscrivez-vous www.pourlascience.fr
POUR LA SCIENCE
Neurosciences
Édition française de Scientific American – Juillet 2022 - n° 537 DOM : 8,50 € - BEL./LUX. : 8,50 € - CH : 12,00 FS – CAN. : 12,99 $CA – TOM : 1 100 XPF
• Notre sélection d’articles • Des offres préférentielles • Nos autres magazines en kiosque
historienne des sciences
COMMENT SE FORGENT NOS SOUVENIRS
L’observation du ciel va-t-elle sauver la théorie ?
La réponse de
Claudine Cohen
Évolution
LE MYSTÈRE DES PETITS CHIENS
Linguistique
HUMAINS ET ROBOTS, UN DIALOGUE IMPOSSIBLE ?
07/22
TENSIONS COSMOLOGIQUES L’observation du ciel va-t-elle sauver le modèle du Big Bang ?
L 13256 - 537 H - F: 7,00 € - RD
NE MANQUEZ PAS LA PARUTION DE VOTRE MAGAZINE GRÂCE À LA NEWSLETTER
PLS0537-couverture.indd 1
02/06/2022 14:30
En couverture : © Wikimedia commons/Giant Magellan Telescope - GMTO Corporation/CC 3.0 Les portraits des contributeurs sont de Seb Jarnot Ce numéro comporte un courrier de réabonnement posé sur le magazine sur une sélection d’abonnés.
Ossements, outils, sépultures, peintures et sculptures… Bien des traces témoignent des sociétés paléolithiques. Mais le sexe de qui les a laissées y est invisible. La plupart des vestiges paléolithiques ne nous renseignent ni sur les hommes ni sur les femmes, de sorte qu’il faut se tourner vers l’ethnographie pour proposer des aspects de la vie des femmes paléolithiques.
P. 58
PORTFOLIO
GROTTE COSQUER 20 000 ANS (ET QUELQUES TÉRAOCTETS) SOUS LES MERS François Lassagne
Dans les coulisses de la reconstitution de la célèbre grotte ornée sous-marine.
RENDEZ-VOUS
P. 80
LOGIQUE & CALCUL
MATHÉMATIQUES DES ENGRENAGES
Jean-Paul Delahaye
P. 66
HISTOIRE DES SCIENCES
ENCYCLOPÉDIE PARFAITE… OU MONSTRE ÉDITORIAL
Stéphane Schmitt
Grâce aux ingénieurs mathématiciens, nous savons dessiner et calculer les dents des engrenages, les combiner sans qu’ils se bloquent, et leur trouver de nouvelles formes.
En 1782, l’éditeur CharlesJoseph Panckoucke se lance dans la publication d’une refonte de l’Encyclopédie de Diderot – l’Encyclopédie méthodique – et ambitionne d’en supprimer tous les défauts. Il sera vite dépassé par l’envergure du projet.
P. 86
ART & SCIENCE
Phylloxéra mon amour Loïc Mangin COSMOLOGIE
P. 88
P. 22
Pourquoi la Grande Bleue est bleue
TENSIONS DANS LE MODÈLE COSMOLOGIQUE
Anil Ananthaswamy
P. 74
SCIENCE ET FICTION
ROBOTS EN QUÊTE D’ÉLOQUENCE
Frédéric Landragin
Le célèbre robot C-3PO de la saga Star Wars converse couramment dans des millions de langues. Nos traducteurs automatiques se limitent à une poignée de langues, et les chatbots les plus élaborés ne font illusion qu’un temps. L’éloquence serait-elle un talent réservé aux humains ?
Certaines observations contradictoires suscitent d’intenses discussions. Une nouvelle génération de télescopes s’apprête à collecter des données si précises qu’elles pourraient trancher les débats. COSMOLOGIE
P. 30 « ENCORE PLUS QU’AUPARAVANT, L’OBSERVATION NOURRIT NOTRE COMPRÉHENSION DE L’UNIVERS » Entretien avec Julien Lavalle
Le domaine de la cosmologie est aujourd’hui à même de mettre à l’épreuve le modèle standard qui décrit l’Univers et celui de la physique des particules. Julien Lavalle nous explique comment l’approche des physiciens a évolué et comment la nouvelle génération de télescopes et d’expériences fournit les outils pour mieux comprendre l’Univers.
IDÉES DE PHYSIQUE
Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik
P. 92
CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION
Le secret de la démesure des chiens Hervé Le Guyader
P. 96
SCIENCE & GASTRONOMIE
Tendreté et légèreté au bon tempo Hervé This
P. 98
À PICORER
ÉCHOS DES LABOS
CLIMATOLOGIE
UN RISQUE ACCRU D’ÉMERGENCE DE FUTURES PANDÉMIES P. 6 P. 16 P. 18 P. 20
Échos des labos Livres du mois Disputes environnementales Les sciences à la loupe
Le changement climatique pousse certaines espèces sauvages vers des régions peuplées par les humains. Des contacts qui augmentent le risque d’une transmission virale.
À
ce jour, on estime qu’au moins 10 000 virus sont capables d’infecter les humains, mais une grande majorité d’entre eux circulent en silence parmi les animaux sauvages. Des cas de « débordement zoonotique », c’est-à-dire de transmission de virus de l’animal à l’humain, et inversement, à l’instar d’Ebola ou du SARS-CoV-2, se produisent parfois. Ces cas sont plutôt rares, mais cela pourrait ne pas durer. Conséquence du réchauffement climatique, la réduction des zones habitables pour ces animaux, avec la destruction des milieux naturels liée aux activités humaines, tend à les rapprocher des territoires habités par l’homme. Colin Carlson, de l’université de Georgetown, aux États-Unis, et son équipe indiquent que cette dynamique 6 / POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022
devrait accélérer l’émergence de maladies infectieuses dans le monde. Le réchauffement climatique actuel contribue à une altération rapide des écosystèmes et pousse de nombreuses
£
Les chercheurs prédisent au moins 15 000 nouvelles transmissions virales interespèces d’ici à 2070
£
espèces animales à relocaliser leur habitat dans de nouveaux environnements. Or les animaux qui se déplacent emmènent avec eux les agents pathogènes qu’ils abritent : les virus, parasites et autres
bactéries responsables de maladies infectieuses. Ces changements de distribution géographique conduisent des espèces qui n’étaient auparavant pas en contact à interagir, ce qui facilite la transmission entre elles de ces microorganismes. Ainsi, les chercheurs prédisent qu’au moins 15 000 nouvelles transmissions virales interespèces devraient se produire d’ici à 2070, même dans le meilleur scénario climatique, où on limite le réchauffement de la Terre à moins de 2 °C. Pour parvenir à ce résultat inquiétant, les biologistes se sont intéressés à plus de 3 000 espèces de mammifères et ont réalisé des projections sur leur future distribution géographique en fonction de différents scénarios de réchauffement climatique. « La démarche est très bonne, commente Serge Morand, écologue au CNRS. En se fondant sur le réseau de partage viral entre les mammifères actuellement en interaction, Colin Carlson et ses collègues ont estimé la probabilité de partages inédits à venir entre des espèces nouvellement mises en contact. »
© Richard Whitcombe/Shutterstock
Les modifications du paysage liées au réchauffement climatique et aux activités humaines comme la déforestation (ici à Bornéo, où la forêt tropicale est remplacée par des plantations pour la culture de l’huile de palme) mettent davantage en contact certaines espèces sauvages et les humains, augmentant les risques de transmission de maladies.
MICROBIOLOGIE
Ces nouvelles interactions auront lieu partout dans le monde. Les zones à haut risque de débordement zoonotique seront principalement situées en Afrique tropicale et en Asie du Sud-Est. Cette dernière région est d’ailleurs le foyer de la plus grande diversité de chauves-souris, lesquelles, d’après les biologistes, joueront un rôle moteur dans la hausse des transmissions de virus. En effet, ces mammifères ailés – les seuls ! – abritent les agents pathogènes les plus transmissibles à l’humain et sont capables de voler sur de longues distances. La pandémie actuelle de Covid-19 en est peut-être un exemple : selon un des scénarios envisagés sur son origine, le SARS-CoV-2 se serait transmis de la chauve-souris à un animal intermédiaire avant d’infecter l’humain. Pour Serge Morand, « cette étude de modélisation prédictive est très intéressante par ses résultats, qui doivent être pris comme autant de nouvelles hypothèses de travail à tester ». D’autres études devront donc venir approfondir et détailler ces estimations. « Il faudrait à l’avenir prendre en compte les animaux domestiques et d’élevage, qui sont largement associés à la perte de biodiversité et aux risques épidémiques », ajoute l’écologue. Colin Carlson et ses collègues s’alarment, car le phénomène dont ils projettent les conséquences sur les prochaines décennies pourrait déjà être en cours, dans un monde où le réchauffement global s’élève déjà à plus de 1 °C et où l’on constate déjà des changements d’habitats chez certaines espèces. Selon ces chercheurs, les efforts déployés actuellement pour réduire les émissions de gaz à effet de serre sont insuffisants pour endiguer la hausse des risques de transmission de virus entre les espèces (et cela, même si on limite la hausse à 2 °C d’ici à la fin du siècle). Ainsi, il est urgent de mettre en place des études couplant la surveillance virale et le suivi des changements de distribution géographique des espèces. En particulier dans les régions tropicales, où les zoonoses sont plus courantes et le réchauffement, plus rapide. n William Rowe-Pirra
C. J. Carlson et al., Nature, 2022
Phagothérapie : le rôle clé de l’environnement Face à l’augmentation de la résistance bactérienne aux antibiotiques, une technique utilisée au début du xxe siècle, la phagothérapie, redevient d’actualité. L’équipe de Laurent Debarbieux, à l’institut Pasteur, vient de lever un frein à son utilisation. Propos recueillis par Élisa Doré LAURENT DEBARBIEUX directeur de recherche à l’institut Pasteur, à Paris
En quoi consiste la phagothérapie ? Dans le domaine médical, la phagothérapie consiste à traiter des infections bactériennes en utilisant des virus, les bactériophages, capables de détruire des bactéries pathogènes sans infecter le patient. L’avantage est que cette technique est rapide car les bactériophages agissent vite et ciblent spécifiquement une espèce bactérienne. Bien qu’elle ait été proposée en 1917 par le biologiste Félix d’Hérelle, qui cherchait à enrayer une épidémie de dysenterie à Paris, la phagothérapie n’est actuellement pas disponible en France. L’une des difficultés est d’identifier la meilleure correspondance entre les deux antagonistes – le bactériophage et la bactérie. Une solution consiste à utiliser une combinaison de plusieurs bactériophages pour optimiser les chances de réussite du traitement. À quels obstacles ces traitements sont-ils confrontés ? L’utilisation de bactériophages est délicate car leur efficacité diffère selon l’environnement. In vitro, les interactions des bactéries et des bactériophages sont bien connues : les bactériophages injectent leur matériel génétique dans les bactéries, y détournent la machinerie cellulaire, se dupliquent puis se dispersent et infectent de nouvelles bactéries. Or on constate que certains bactériophages capables de neutraliser les bactéries in vitro deviennent moins efficaces dans l’intestin de mammifères. Exposées à la complexité du microbiote intestinal, les bactéries semblent développer une forme de « résistance » et devenir moins sensibles à l’action des bactériophages. Comment expliquer cette différence ? Nous avons comparé le transcriptome (l’ensemble des ARN produits à partir de l’ADN à un instant donné) d’une souche pathogène pour l’humain de la bactérie Escherichia coli exposée
soit à un milieu de culture soit à l’intestin d’une souris. Parmi les gènes différemment exprimés in vitro et in vivo, nous avons trouvé que quatre gènes affectaient les relations entre bactériophages et bactéries. Par exemple, l’un d’eux est directement lié au mécanisme d’adhérence du bactériophage à la bactérie. En milieu de culture, les bactéries expriment ce gène, qui code une molécule (LPS) reconnue par le phage. Cependant, en milieu intestinal, les bactéries expriment plus faiblement ce gène, ce qui réduit d’autant l’affinité des bactériophages pour l’hôte. Ainsi, l’environnement peut moduler l’expression de gènes particuliers et rendre ainsi les bactéries moins sensibles à l’action des bactériophages : on parle de « résistance phénotypique ». La découverte de ce mécanisme permettrait-elle d’améliorer l’efficacité de la phagothérapie ? Ces travaux illustrent la nécessité de prendre en considération le contexte au sein duquel l’utilisation de bactériophages est envisagée. On comprend mieux pourquoi la réponse à un même traitement diffère parfois entre des individus infectés par le même agent pathogène. Heureusement, tous les bactériophages ne présentent pas la même dépendance vis-à-vis de gènes bactériens régulés. Ainsi, les moins dépendants seront préférés pour une utilisation thérapeutique. Une fois ces virus les plus prometteurs identifiés, des essais cliniques seront nécessaires pour donner plus de place à la phagothérapie, voire l’utiliser en complément de traitements classiques à base d’antibiotiques. n
M. Lourenço et al., Cell Host and Microbe, 2022
POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022 /
7
ÉCHOS DES LABOS
ASTROPHYSIQUE
LA PREMIÈRE « PHOTO » DU TROU NOIR AU CENTRE DE LA VOIE LACTÉE
A
vant le 10 avril 2019, les seules images de trous noirs étaient des simulations numériques et des vues d’artistes. Mais ce jour-là, l’équipe de l’Event Horizon Telescope (EHT) dévoilait pour la première fois la « photo » d’un trou noir supermassif, celui niché au centre de la galaxie M87. Les astrophysiciens avaient aussi pointé leurs instruments vers Sagittarius A*, le trou noir supermassif au centre de la Voie lactée. Cependant, l’analyse de ces données était beaucoup plus difficile. Premier obstacle, comme nous sommes nous-mêmes dans la Voie lactée, notre ligne de vue jusqu’à Sagittarius A* est encombrée par des nuages de gaz et de poussières. Second obstacle, le gaz de l’environnement proche du trou noir évolue sur des échelles de temps de l’ordre de la minute ou de l’heure, alors que les modifications apparentes de M87 s’étendent sur des jours et des semaines. Or l’EHT met environ une journée pour collecter les données nécessaires pour réaliser une image. Dans le cas de M87, le long temps de pose n’est donc pas un problème. Pour Sagittarius A*, cela conduit à un effet de « flou cinétique ». L’équipe a développé des outils spécifiques pour obtenir son image. Avec ce cliché, les chercheurs ont confirmé la masse du trou noir (déjà connue par ailleurs). Et ils ont fourni des premières indications sur d’autres caractéristiques de l’objet comme son sens de rotation. En améliorant la technique, ils espèrent étudier les champs magnétiques et les jets des trous noirs comme Sagittarius A* ou M87. Et peut-être, même, aller jusqu’à filmer la dynamique de leur environnement. n Sean Bailly
Collaboration Event Horizon Telescope, The Astrophysical Journal Letters, 2022
10 / POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022
© EHT Collaboration POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022 /
11
LES LIVRES DU MOIS 58 • AÏCHA
BACH
Paracas et Nasca IR BACH
A
Nouvelle s données , nouve lles persp Sur la côte représenta sud du Péro ectives u, plus tives de de 1 500 auprès l’ancien du ans
l’apparente Au fonde discontinuité du ment de territoire. taire du l’aspect Les fardo territoire, segmenprévaut le princi la fabri s : pe d’une davantage que de LES ANDE logique l’ancêtre et d’une La prépa S • 59 symbolique tissus simple stratégie ration ressources d’exploitati des fardos s alterna funéraires) mantos nt avec on de (paqu Paracas-Na (toile en les grand faible cohés variées que à Wari coton ou s sca décou ets camélidé Kayan ion politiq celui d’une en fibre portée verts attribuée illustre tion du ue et socia de sous décorés. la transf classi défunt le, ormaL’iconograp forme de cape) et aux Nasca quement aux – sans d’élite – doute memb esquissent hie de ces Paracas en entité . En effet, cipales des êtres mantos re vénérée d’un paque l’une des fonctions dénudés anthropomo sous forme print surdim qui, se dotan des géogl l’articulatio rphes ancêtre. ensionné, plexes, yphes est t d’attributs n et la En témoi se métam portions connexion un gne la positio comdu mort orphosent vue en aigle, de territo de ces déposé n fœtale à premi ires. À locale, dévêtu condo beille, ère une échell ils relien r, félin et qui, en dans les vêtem t les lieux réalité, orque mais e monuments ents miniat une corposés incarnent sacrés hybrides à proxim principaux ures disaux des figure d’entités régional, ité de l’empaqueta et, sur un s huma huma son ils articu ines. Des corps plan ines et lent centres et nondans des ge par la suite parties maux, politico-relig les principaux de la momi d’obje de plante couches pouvoir ieux, pôles s et autres ts, d’anisuccessives e majeurs s’imbriquent de ancrés éléments lées-oasis, de dans les Chronologie être intrins et forment en séparées valdéfinitive èque et de sable par des , principaux un sui gener et de roche étendues sites et is. cées de . géoglyphes géoglyphes Ces pampas traSinge paracas métriques, figuratifs encadrées et géo(espaces par des formés Petit félin Condor aux par la renco tinkuys deux cours circonsc 50 km ailes déployé ntre de dans un rit es transformen d’eau) et des cadre collines représentant t lors se de proce Cerro Gentil cérémonies la tête ssions et Santa Rosa festives d’un grand de semblant en félin divers group des lieux rasSoto es.
Pérou, d’habiles grand public dénommé avant les Incas en , se déve es Parac culture artisans ou tout raison de leurs matérielle au géoglyphe as et Nasca. loppent deux ne se restremieux de cheff cultures Parfo s, elles eries sont quali is auréolées int pas de aux seuls . L’archéolo gie nous fiées par les spéc mystères styles de et Nasc ialistes céramique enseigne pourt a autre Les Parac ment et de textil ant que as et les leur e. génieu Paracas
ARCHÉOLOGIE/GÉOGRAPHIE 26 •
Nasca hundidos x archite furent d’inet les riaux simple ctes utilisant Nasca des galerie inventèrent s tels l’adob des matés filtrant d’argile es souter puquios. e, les blocs et les rembl comme raines, Les « centre végétaux les ais à strate significative manifestatio s cérém chéologie au nattag ns les s de s furent bâti des nous montr oniels », l’arplus e élabo glyphes, le pyramides religion ré. Ils ont e que politiq les déform tracé des géoet écono complexes aux et le rituel ations crânie ue, mie étaien nées de quelquefois emboîtements de la tête manière nnes Dans l’un parés de l’exercice trophée. inextricable t fusionfices articu des désert frises. S’y de . Les édimonde, s les plus lent à différe nation crânie la médecine, dont ajoute ces sociét des espac arides au ntes échell la trépanne. systèm és invent es destin es es d’irrig relevant és à des ation encor èrent des du rituel, aujourd’hui. activités De vérit e du réside dome en usage ables « stique. phréatiques Pour accéder villes andin qui diffè Ces centre ntiel et du aux nappe religieux rent de , es » s politic constituent s des zones les Paracas de l’Anc l’urbs oexploitèrent d’un mailla le nœud ien Mond humides princi ge incorp e Au sein dites camp lieux sacré orant autan pal des grand os s que des t des Chronologie Paracas s établi satellites et Nasca ssements , principaux hiérarchisée agglomérations , désignés lement s. Il englob sites et indûment des enclav géoglyphes e égaDos Palmas es distan sur d’autr nascas tes située es étage Site nasca s s écolo giques Tambo Site LAmajeur MÉSOAMÉRIQUE • 27 d’où
Plan de Teotihuacan
BRIGITTE FAUGÈRE
Colordao
Un urbanisme programmé Édifiée sur un espace dégagé, la cité a pu se développer de manière
Gentilar Le singe
Nasca ancien
Nasca 2
0
́colombie
nne-BA
10 km
Nasca 3
100
200
58 Teopancaxco
Nasca moyen
Nasca 4 A p r è s 300 J.-C. A.
Sources :
T5.indd
Bachir Bacha,
Nasca 4,
Nasca tardif
5, 6
400 2007, 2012
Nasca 6, 500
; A. Bachir
Bacha, O.
378 ap r.
J.-C.
Tikal
Altun Ha
Los Horcones
01-96-AtlasAmériquePrécolombienne-BAT5.indd 26
Architecture Espaces construits Pyramide Axe principal du site (Allée des Morts) Mur Cours d’eau ou canal (avéré ou possible)
Centre cérémoniel
Tlajinga 33
600
Nasca 8,
2006 ; P.
Pyramide de la Lune
Palais de Quetzalpapalotl
Source : K. Hirth, D. Carballo, B. Arroyo, Teotihuacan. The World Beyond the City, Dumbarton Oaks, Washington D.C., 2020.
46 m de hauteur et 104 m de largeur. La pyramide du Soleil située à l’est de l’Allée culmine à 75 m, et sa façade de 225 m de long est largement ouverte aux rayons du soleil couchant. Au centre de la citadelle prend place une pyramide couverte de sculptures et bas-reliefs représentant le serpent aux plumes précieuses, pourvoyeur d’eau, Quetzalcóatl. Sous la pyramide, un tunnel regorgeant d’offrandes rentre dans les entrailles de la terre pour atteindre le niveau phréatique, appuyant l’idée que la pyramide est une montagne dont la matrice abrite les richesses de la fertilité. Sur le côté ouest enfin, se situe un ensemble
22/11/2021 09:38
architectural qui serait peut-être le marché central de la cité. Entre ces constructions monumentales, des palais et centres administratifs, où cohabitent membres des élites locales et étrangères (mayas), alternent avec des temples secondaires et des ateliers de production d’artisanat prestigieux.
Bâtiments importants Yayahuala Structure publique Quartier résidentiel Zacuala Centre administratif et/ou résidence d’élites Secteur d’activités économiques Tetitla Présence de population étrangère dans les zones fouillées (origine) Côte du golfe du Mexique
Des quartiers multi ethniques
Oaxaca
Ouest du Mexique
Mayas
Groupes locaux
S’il est bien connu que les cartes ne permettent pas de dire l’avenir, elles peuvent au contraire offrir une vision claire du passé. D’ailleurs, Élisée Reclus n’estimait-il pas que l’histoire n’était que de la « géographie dans le temps » ? On peut donc penser qu’un atlas est plus novateur que d’autres quand il parvient à montrer le dynamisme des sociétés. C’est le cas de ce petit ouvrage : il retrace par les cartes l’histoire du continent avant la déflagration des maladies européennes qui firent périr en masse les populations en quelques décennies. Proposé par une trentaine d’archéologues francophones, il serait complet s’il ne manquait pas une partie de l’Amérique du Nord. Néanmoins, il nous emmène en une centaine de pages faire un tour magistral du Nouveau Monde. Sa qualité première est d’éviter de restreindre le propos, comme trop souvent, aux civilisations
Jauranga
Loro
1m
Oiseau
700 H. Carmicha
Poisson-oiseau
el 2019.
Escalier
Pyramides emboîtées représentation : de la territori de l’espac alité et de e-temps, la quadrip
01-96-A
tlasAme ́riquePre ́colombie nne-BA
T5.indd
59
artition
Cara radiant e dotée de volutes et de dards
Ser ocualdo emblém , figure être aux atique des Paracas yeux : d’un serpentcirculaires coiffé à double Programm tête e archéolog
Source :
16 / POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022
Grothendieck, fille d’Alexandre Grothendieck, nous a envoyé un courrier où elle nous fait remarquer qu’« il semble qu’il soit ici question de la “déclaration d’intention de non-publication” rédigée par mon père, où il n’est à aucun endroit question de destruction d’aucune sorte. » À la suite de ce courrier, Jean-Pierre Bourguignon a tenu à apporter les précisions suivantes : « L’expression “détruire”, que j’utilise dans l’entretien, est maladroite, car elle peut être interprétée comme la destruction physique de ses
ique Animas
Xalla
Altas, Ica,
22/11/2
Complexe Allée des morts Allée des morts Citadelle
Entre puissance commerciale et rayonnement culturel
378 apr. J.-C. Le rayonnement culturel de la cité, qui attirait des pèlerins de l’ensemble de la Mésoamérique, a perduré après l’abandon de la cité, vers 800 apr. J.-C. En effet, Teotihuacan était encore au xvIe siècle un important centre de pèlerinage, les Aztèques y plaçant le lieu où les dieux s’étaient réunis pour créer le monde où nous vivons.
22/11/2021 09:38
aztèque et maya de Mésoamérique et aux Incas des Andes, pour offrir un large panorama de la recherche conduite dans les Amériques, depuis l’Alaska jusqu’à la Patagonie, en passant par les Antilles et l’Amazonie. Certains chapitres abordent astucieusement des thématiques transversales, comme le volcanisme ou la métallurgie, concernant de nombreuses régions. Cet ouvrage contient donc un éventail complet de sujets scientifiques traités actuellement par les chercheurs qui ont spécialement conçu des cartes originales sur des thèmes très diversifiés, enrichies d’illustrations emblématiques. L’ensemble constitue un portrait inattendu de l’histoire ancienne de ce continent, si souvent mal connue de ce côté de l’océan Atlantique et pourtant foisonnante. On apprend donc beaucoup de caractéristiques inédites à la lecture de cet ouvrage – petit mais costaud – qui plaira à tous les lecteurs en quête d’informations fiables, présentées avec ingéniosité, sur l’Amérique précolombienne. GEOFFROY DE SAULIEU, IRD
ERRATUM Dans le numéro de mars de Pour la Science, à l’occasion de la parution chez Gallimard de Récoltes et semailles, d’Alexandre Grothendieck, nous avons publié une interview du mathématicien Jean-Pierre Bourguignon pour mieux cerner l’importance de ce livre très attendu. Dans cet entretien (dont il existe une version longue en ligne), il est écrit : « En 2010, coup de théâtre. Grothendieck appelle urbi et orbi à détruire tout ce qu’il a pu rédiger. » À la suite de la lecture de cet article, Mme Johanna
5 km
500 m
Teotihuacan a établi des routes commerciales vers les zones riches en ressources rares, nécessaires à son développement, mais également des tentatives de domination politicomilitaire comme l’indique la mainmise sur la cité maya de Tikal en
01-96-AtlasAmériquePrécolombienne-BAT5.indd 27
Autrement, 2022, 96 pages, 24 euros
Mollaque Chico Pernil Alto
Pyramide du Soleil
De nombreux quartiers abritent artisans, commerçants, membres des élites intermédiaires ou soldats d’origines diverses. Les analyses isotopiques ont permis de mesurer le caractère cosmopolite des habitants, mais aussi leur fort degré de mobilité. Cette mobilité s’explique surtout par la nécessité de maintenir les relations commerciales avec les régions riches en ressources, dont les habitants étaient parfois originaires.
L’ATLAS DE L’AMÉRIQUE PRÉCOLOMBIENNE Brigitte Faugère, Nicolas Goepfert
Anima Altas/Bsajas
Cerro Pico
Place des Colonnes
Sources : R. Millon, The Teotihuacan Map, University of Texas Press, 1973 ; G. Cowgill, Ancient Teotihuacan. Early Urbanism in Central Mexico, Cambridge Univ. Press, 2015.
Kaminaljuyu Montana Cacao Coquillages Plumes
continue dans un plan défini par un axe nord-sud, l’Allée des Morts, et un axe est-ouest, matérialisé par la canalisation du Rio San Juan. Des rues, délimitant des quartiers, des centres cérémoniels secondaires et des zones résidentielles dessinent un quadrillage parfaitement ordonné, aligné sur les principaux massifs qui forment un écrin pour l’architecture. Un vaste centre cérémoniel regroupant les bâtiments les plus monumentaux de la cité s’étend sur environ 4 km de part et d’autre de l’axe nord-sud : la pyramide de la Lune, au nord, a connu sept phases de construction jusqu’à atteindre, en 250 apr. J.-C.,
Nasca Loro
7
Daniel Llanos
021 09:43
Monte Alban
Hinterland de Teotihuacan Relations de Teotihuacan Ressources naturelles et produits échangés avec les autres cités (zones de production) Influence dans la culture Coton Minéraux et pigments matérielle et l’iconographie Cristal de roche Céramique granulaire Accord diplomatique Mica Obsidienne Prise de pouvoir Jade et pierres vertes Cinabre
S
́riquePre
Cerrillos
Córdova
iques Chronologie Paracas ancien Paracas moyen de J.-C. Tello Sources : A. Bachir Paracas Caverna Paracas 2017, 2020 Bacha, 2014, Types de s tardif Paracas final ; R. Garcia, 2013. céramiques Oc. 1, 2 Frise(s) Oc. 3, 4 Paracas Necrop découverte Oc. 5, 6, 800 olis 7, 8 s d’Animas 700 Oc. 9, 10 600 Décoration Altas Oc. = Ocucaje 500 d’une tombe 400 Nasca 1 Avant 300 J.-C. 200 100 Édifice des 0 frises 100 200 Ap. J.-C. Être félin anthropomorph e Créature féline composite à deux sens de lecture N
22/11/2
Vallée de Oaxaca
ituée au nord-ouest du Bassin de Mexico, à proximité d’un lac d’eau douce, Teotihuacan est aussi placée dans une région à l’abri des éruptions volcaniques qui secouent le sud du bassin entre le Ier siècle avant et le IIIe siècle après le début de notre ère. Sa croissance spectaculaire serait liée aux apports de populations fuyant ces régions dévastées, qui vont apporter main-d’œuvre et savoir-faire, notamment dans le domaine de la construction architecturale.
e
100
Zone agrandie
tlasAme
do
Animas Altas/Bajas
Site paraca s Coyungo Zone riche EL Tigral en géogly Site d’Anim phes Cahuachi as Altas Géoglyphe Centre politico Sites « adminis -cérémoniel tratifs » et domest
Couche (mantos s internes : tissus Corbeille ponchos, turbans, ,tuniques coiffes, , jupes, etc.) Sol
Yucatan
Matacapan
Huetamo
Acapulco
Chaviña
50 km
Nasca initial
a
Tajahuana Carhuas Morro Quema
qu
Baie de Campeche
d’or
Défunt
a
La Ventilla Nautla Teotihuacan
Cerro de los Monos
01-96-A
Le condor
Pampa Colorad
Pampa Atarco
Nasca 1
Cerro Lechuz
Chucchio
ifi
Tlailotlacan
Vallée Balsas
Quartier des
commerçants Pueblo Viejo
Félin
Wari Kayan
c n Pa
300 km
Géoglyphes Nasca
Las Cañas
4
Cahuachi
Golfe du Mexique
El Rosario
Océan Pacifique
3
Monte Grande
Types de céramiques 200 Av. J.-C.
Lamelles
1
Jumana 2
Las Brujas Techinantitla
Tambo Viejo
Structure 19
Chongos
d’un fardo
Lignes de Palpa
Océa
1. Estudian te 2. La Ventilla 3.Usaca 4. Estaque ria
Les influences de Teotihuacan en Mésoamérique Alta Vista
L’araign Née
La Muña Puente Gentil
Lignes tracées dans la Pampa de Atarco
À partir du début de notre ère, la cité de Teotihuacan connaît une croissance phénoménale pour atteindre au cours du IIIe siècle une population estimée entre 100 et 150 000 habitants. Jusqu’au début de son déclin, en 550 apr. J.-C., son immense centre cérémoniel rythmé par les pyramides du Soleil, de la Lune et du Serpent à plumes, attire fidèles et dirigeants en quête de légitimité, mais la ville règne aussi sur la vie économique de l’aire mésoaméricaine.
Schéma
La baleine
Los Molinos
Océan Pa c i f i q ue
Paracas-Na Zone accueill sca objets associéant des s aux externes (plumes, couches peaux, armes, éventails, Fausses têtes etc.) Couche de tissuss externes
1 000 m
Cerro Cordero
Oztoyahualco
Teotihuacan, la « Cité où naissent les Dieux »
écrits, alors qu’il s’agit plus précisément de les écarter de tout rayonnage de librairie, de bibliothèque ou autre. Ainsi, dans le fax qu’il a envoyé en 2010 et dont j’ai reçu une copie en tant que directeur de l’Institut des hautes études scientifiques, Grothendieck parle du “caractère illicite de l’édition ou de la diffusion de textes […] qui serait faite à l’avenir et de [son] vivant”. Le document commence par l’affirmation : “Je n’ai pas l’intention de publier ou de republier aucune œuvre ou texte dont je suis l’auteur […]
de nature scientifique, personnelle ou autre […].” Et un peu plus loin, il enjoint à “retirer du commerce ces ouvrages” et souligne qu’il appartient “aux responsables des bibliothèques en possession de tels ouvrages de retirer ces ouvrages desdites bibliothèques”. Ce texte a été compris comme une interdiction d’accès à toute son œuvre, ce qui avait à l’époque beaucoup alarmé la communauté scientifique, consciente de l’importance des écrits de ce grand mathématicien. »
Peru.
021 09:43
HISTOIRE DES SCIENCES
GÉNÉTIQUE/PALÉONTOLOGIE
LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE Alessandro De Angelis
FAIRE REVIVRE DES ESPÈCES DISPARUES ? Lionel Cavin et Nadir Alvarez
Ce livre est un curieux objet. C’est une traduction en français du chef-d’œuvre que Galilée rédigea en italien à la fin de sa vie, mais enrichie d’une lecture moderne de cette œuvre galiléenne qui, dès sa parution en 1638, connut un immense succès. e physicien A. De Angelis s’autorise une hardiesse fort discutable, mais intéressante : estimant que ce traité de physique mathématique n’est plus guère lisible dans son expression mathématique d’origine, il apporte une solution consistant à traduire en mathématiques d’aujourd’hui – en algèbre – le texte et (peut-être) la pensée de Galilée. Galilée dit avoir mis dans cet ouvrage « des considérations géométriques résumant ce qu’il y a de meilleur dans les recherches de toute sa vie ». Il y donne d’une part les fondements de deux sciences nouvelles, la résistance des matériaux, avec une théorie sur l’organisation et la cohésion de la matière, et le mouvement local des corps matériels, incluant la chute des corps, l’inertie, la balistique. Nous sommes en présence des piliers de la physique et de la mécanique modernes ! Le plus important est que le savant italien a installé les mathématiques au cœur de toute son argumentation. C’est là qu’intervient l’auteur : il remplace la géométrie de Galilée par une algèbre équivalente mathématiquement, dit-il, mais bien plus confortable pour ceux qui ne sont pas familiers de l’expression mathématique du xviie siècle. Certains historiens des sciences objecteront que l’inconvénient d’une telle démarche est de changer a posteriori la pensée de Galilée d’une façon anachronique, tout en entretenant l’illusion qu’on le lit. Certes, mais il n’est pas malvenu de proposer une transposition, car elle établit un pont entre ce que pensait et créait Galilée et ce que nous pensons à propos de la mécanique et de la balistique.
Pourra-t-on un jour « ressusciter » le dodo, le mammouth ou le grand pingouin, sans même parler des dinosaures ? Il y a peu de temps encore, de tels projets relevaient de la sciencefiction. Ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. En effet, des techniques innovantes de manipulation de l’ADN laissent désormais entrevoir de possibles avancées spectaculaires dans le domaine de ce que l’on appelle la « désextinction ». Les auteurs, tous deux chercheurs au Muséum d’histoire naturelle de Genève, présentent les diverses méthodes envisagées pour essayer de ramener à la vie des espèces disparues, sans dissimuler les difficultés mais avec néanmoins l’espoir que certaines pourront aboutir. Puis ils passent en revue les grandes extinctions qui ont frappé le monde vivant, mettant l’accent sur ce que l’on appelle souvent la « sixième extinction », c’est-à-dire l’effet dévastateur des activités humaines sur la biodiversité. C’est en effet parmi les victimes de cette grande vague d’extinctions que figurent la plupart des espèces que l’on envisage de faire revivre. Mais au-delà de l’exploit scientifique, « déséteindre » des espèces poserait divers problèmes pratiques et même philosophiques : que deviendraient ces « ressuscités », dans quels environnements pourraient-ils vivre ? Un chapitre entier est consacré à ces questions. Un aperçu sur l’histoire des découvertes génétiques et de la manipulation de l’ADN clôt le livre ; il est technique, mais il faut le lire, car il permet de comprendre pourquoi la désextinction n’est plus tout à fait un rêve. Sans sensationnalisme, les auteurs nous offrent une mise au point très bien documentée et agréable à lire sur ce qui pourrait être dans un avenir proche un des succès les plus étonnants de la biologie.
Edp Sciences, 2022 296 pages, 22 euros
ET AUSSI
Favre, 2022, 200 pages, 22 euros
ERIC BUFFETAUT CNRS/ENS
VIVRE AVEC LES VIRUS Guillain Mikaty De Boeck Supérieur, 2022, 176 pages, 15,90 euros
La pandémie de Covid 19 a inspiré d’innombrables livres sur les virus, mais celui-ci sort du lot par son parti pris scientifique. Écrit par un combattant revenu du front – l’auteur est membre de la « Cellule d’intervention biologique d’urgence » à l’institut Pasteur –, le livre couvre très méthodiquement la biologie, l’histoire épidémiologique et la lutte médicale relatives aux virus. Parfait pour saisir ce que le coronavirus – le « virus roi » dit l’auteur – nous fait. LES BASES DE LA PHYSIQUE Kurt Baker Delachaux et Niestlé, 2022, 192 pages, 19,90 euros
L’éditeur, connu pour ses livres naturalistes au graphisme soigné, reprend une collection britannique (UniPress Books) de livres didactiques de science. Cet ouvrage présente toute la physique « en 60 notions illustrées ». Des formules essentielles et des images dont la mise en couleur donne à voir les parties signifiantes explicitent efficacement chacun des sujets. À ce premier ouvrage de la collection, d’une grande pertinence pédagogique, succède déjà Les Bases de la biologie, concocté selon la même recette. D’APOLLO À ARTEMIS Lukas Viglietti De Boeck Supérieur, 2022, 304 pages, 22,90 euros
Passionné par l’espace, l’auteur a fondé SwissApollo, une entreprise de services visant à partager l’aventure spatiale. Au cours des années, cela lui a donné l’occasion de recueillir auprès des astronautes de multiples récits personnels sur nombre de moments spectaculaires de leurs missions, qu’il nous livre ici à propos d’Apollo. En fin d’ouvrage, il fait le point sur la situation actuelle dans le secteur, avec l’irruption d’une concurrence féroce entre milliardaires et Artemis, le projet de « mission lunaire soutenable » de la Nasa pour explorer notre satellite depuis une base, et, par là, préparer l’exploration de Mars.
VINCENT JULLIEN Université de Nantes
POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022 /
17
COSMOLOGIE
Tensions dans le modèle cosmologique Anil Ananthaswamy
Des observations contradictoires pour le calcul de grandeurs cosmologiques cruciales suscitent d’intenses discussions chez les astrophysiciens... qui comptent sur une nouvelle génération de télescopes pour trancher leurs débats.
22 / POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022
© Le projet Thesan, 2022
À
quelle vitesse l’Univers est-il en expansion? Dans quelle mesure la matière s’agglomère-t-elle dans notre voisinage cosmique? Les différentes méthodes utilisées pour répondre à ces deux questions – soit en observant le cosmos primordial et en extrapolant jusqu’à l’époque actuelle, soit en effectuant des observations directes de l’Univers proche – donnent des réponses différentes et parfois incompatibles. L’explication la plus simple de ces divergences est que certaines mesures seraient erronées. Mais les chercheurs envisagent de plus en plus une autre possibilité, plus étonnante. Ces tensions – entre les attentes et les observations, entre l’Univers primitif et l’Univers tardif – seraient le signe d’une faille critique dans le modèle standard de la cosmologie, qui englobe nos connaissances et nos hypothèses sur l’Univers. Trouver et corriger cette faille conduira probablement à une refonte en profondeur de notre compréhension du cosmos. Quelle que soit l’origine de ces tensions, il y a de bonnes chances qu’une réponse
émergera du brouillard au cours de la prochaine décennie. Actuellement, les astronomes et les ingénieurs préparent la nouvelle génération de télescopes spatiaux et terrestres, qui d’ici à quelques années plongeront leur regard dans les profondeurs du cosmos. « La poursuite de ces tensions est un excellent moyen d’apprendre à connaître l’Univers », déclare l’astrophysicien et lauréat du prix Nobel Adam Riess, de l’université JohnsHopkins, aux États-Unis. « Elles nous donnent la possibilité de concentrer nos expériences sur des tests très spécifiques, plutôt que de partir à la pêche sans idée précise. » Ces nouveaux télescopes sont sur le point d’inaugurer la troisième génération de ce qu’on nomme la cosmologie de précision. La première génération est arrivée à maturité à la fin des années 1990 et au début des années 2000 avec le télescope spatial Hubble (HST) et le satellite WMAP (Wilkinson microwave anisotropy probe) de la Nasa, qui a affiné nos mesures de la lumière la plus ancienne de l’Univers, le fond diffus cosmologique. Cette génération
Complémentaires des observations et des travaux de théoriciens, les simulations numériques sont une autre façon d’étudier le cosmos. En 2022, dans le cadre du projet Thesan, Enrico Garaldi, de l’institut Max-Planck d’astrophysique, près de Munich, Rahul Kannan, du centre d’astrophysique Harvard et Smithsonian, et Aaron Smith, du MIT, ont simulé la dynamique de l’Univers pendant le premier milliard d’années de son histoire (ci-dessous, le temps s’écoule de gauche à droite). On observe notamment comment la formation des premières étoiles a réchauffé l’Univers et ionisé le gaz (en jaune). Scruter cette période mal connue de réionisation est l’un des objectifs du télescope spatial JWST. Cet instrument et d’autres qui verront bientôt le jour seront décisifs pour mieux comprendre les énigmes de l’Univers.
COSMOLOGIE
JULIEN LAVALLE est directeur de recherche CNRS au laboratoire Univers et particules de Montpellier (LUPM). Il est spécialiste des aspects théoriques et phénoménologiques de la matière noire.
Encore plus qu’auparavant, l’observation nourrit notre compréhension de l’Univers Le domaine de la cosmologie est aujourd’hui à même de mettre à l’épreuve le modèle standard qui décrit l’Univers et celui de la physique des particules. Julien Lavalle nous explique comment l’approche des physiciens a évolué et comment la nouvelle génération de télescopes et d’expériences fournit les outils pour mieux comprendre l’Univers. 30 / POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022
Quels éléments font le succès du modèle standard de la cosmologie ? Il y a trois points majeurs. Son cadre théorique sous-jacent est très solide. Il repose sur la relativité générale, la mécanique quantique et la thermodynamique, trois piliers de la physique contemporaine bien éprouvés par de nombreuses expériences. Le deuxième point est que ce modèle est prédictif en dépit de sa simplicité. Il fait l’hypothèse que le principe cosmologique est vérifié, c’est-à-dire que nous n’occupons pas une place privilégiée dans l’Univers. Ce principe a deux conséquences, l’Univers est homogène et isotrope à grande échelle. À cela s’ajoute une dynamique de l’espace-temps bien décrite par la relativité générale, elle-même reliée au contenu de l’Univers caractérisé par quelques paramètres libres aux échelles cosmologiques. En partant d’un état primordial dense, chaud et à l’équilibre thermodynamique, le mouvement d’expansion de l’Univers assure sa dilution et son refroidissement au cours du temps. À partir de ce simple cadre, les physiciens ont alors prédit la nucléosynthèse primordiale, qui correspond à la formation des éléments légers (hydrogène, deutérium, hélium, lithium) dans les premières minutes de l’Univers. Autre phénomène prédit : le fond diffus cosmologique (CMB). Initialement, l’Univers chaud était rempli d’un plasma d’atomes ionisés et de photons à l’équilibre thermodynamique, dans lequel ces derniers ne pouvaient pas se propager. Puis avec le refroidissement du plasma jusqu’à environ 3 000 kelvins, quand l’Univers avait 380 000 ans, les électrons et les noyaux légers se sont associés pour former des atomes neutres, on parle de « recombinaison ». Les photons ont alors diffusé librement, donnant naissance à ce qu’on observe sous la forme d’un fond diffus cosmologique. À cause de l’expansion, la température de ce rayonnement est aujourd’hui de 2,7 kelvins. Par ailleurs, des fluctuations infimes de température dans ce rayonnement nous fournissent de grandes quantités d’informations sur les conditions du cosmos à l’époque de la recombinaison. Enfin, troisième point, un nombre incroyable de tests observationnels mettent en évidence une cohérence d’ensemble de ce modèle à des « âges » différents de l’Univers. Par exemple, l’abondance des éléments légers calculée théoriquement est en bon accord avec les observations. Les propriétés du fond diffus cosmologique se traduisent plusieurs milliards d’années plus tard par des oscillations acoustiques baryoniques (BAO) observées dans les grands relevés de galaxies. Ces mêmes propriétés fixent les conditions initiales à la théorie de formation des grandes structures de l’Univers (galaxies et amas de galaxies), fondée sur la
croissance gravitationnelle des fluctuations de densité primordiales, qui fonctionne aussi incroyablement bien. Mais peut-on dire que le succès de ce modèle est paradoxal ? Effectivement, quand on regarde son contenu actuel, ce modèle, noté ΛCDM, se résume à environ 5 % de matière ordinaire (composée d’atomes, on parle aussi de « baryons »), 26 % de matière noire (CDM, pour cold dark matter) et à 69 % d’énergie noire (sous forme d’une constante dite « cosmologique » et notée « Λ »). Or ces deux derniers ingrédients sont d’origine inconnue. Au final, 95 % du contenu du cosmos nous échappe, même si les propriétés générales de ces composantes « noires » sont bien caractérisées et sont essentielles pour interpréter les observations. En outre, pour avoir un modèle qui fonctionne, il faut admettre que l’Univers a commencé par une phase inflationnaire où l’expansion cosmique a été exponentielle, et qui permet d’expliquer l’origine de fluctuations de densité primordiales aux caractéristiques spécifiques, qui ont servi de « graines » pour les galaxies. Et il faut aussi supposer qu’un mécanisme a provoqué un excès de matière sur l’antimatière, toutes deux produites initialement dans les mêmes proportions, de sorte que lorsque les particules et les antiparticules se sont annihilées, il est resté un petit excès de matière, qui compose aujourd’hui les étoiles, les planètes, etc. Or les origines précises de l’inflation et de l’asymétrie matière-antimatière restent pour l’heure inconnues (même si plusieurs scénarios concurrents existent). Ce modèle a-t-il d’autres problèmes ? Depuis quelques années, un nouveau type de problèmes, des « tensions », a émergé grâce à une génération de télescopes et d’instruments de grande précision. Parmi ces « tensions », on peut citer par exemple les problèmes de la matière noire aux petites échelles : on observe une diversité de profils de matière noire (la distribution de celle-ci en fonction de sa distance au centre galactique) plus importante et étonnamment corrélée à la matière ordinaire. Une autre tension, dite S8, traduit une abondance d’amas de galaxies un peu moins importante que celle prédite en calibrant le modèle ΛCDM sur le CMB. Une dernière tension âprement discutée, car la plus significative d’un point de vue statistique, concerne la constante de Hubble H0, qui caractérise la vitesse d’expansion actuelle de l’Univers. Le problème est assez simple à comprendre. Il y a deux approches pour estimer H0. L’une est « ancrée » dans l’Univers primordial et s’appuie sur le fond diffus cosmologique. Les spécialistes mesurent
POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022 /
31
DOSSIER SPÉCIAL
PRÉHISTOIRE
L’ESSENTIEL > Les thèses se sont succédé, puis ont été abandonnées, qui attribuaient aux femmes des pouvoirs considérables pendant la Préhistoire récente. > Les savoirs liés à la maternité dotent les femmes d’un potentiel de pouvoir concret et symbolique important. Ce pouvoir s’est possiblement étendu à la reproduction
L’AUTRICE des plantes. L’invention de l’agriculture fut-elle le fruit du travail et de l’expérience de cueilleuses expertes ? > Les sources de pouvoir sur lesquelles les femmes du Paléolithique supérieur pouvaient s’appuyer ne leur garantissaient cependant pas de statut privilégié ni l’égalité entre les sexes.
CLAUDINE COHEN philosophe et historienne des sciences, directrice d’études à l’EHESS, à Paris
L’égalité des sexes au Paléolithique ? Les femmes occupaient-elles une place essentielle dans les sociétés du Paléolithique, jusqu’à nourrir le mythe d’un culte primitif rendu à une « Grande Déesse » ? L’hypothèse ne résiste pas à l’examen. L’analyse des sources de pouvoir dont disposaient nos aïeules dessine un tableau plus complexe de la répartition des rôles et pouvoirs entre les sexes pendant la Préhistoire la plus récente.
F
emmes asservies, dominées, maltraitées – ou au contraire respectées, vénérées comme des reines ou des déesses ? Depuis plus de cent cinquante ans les sociétés de la Préhistoire sont l’objet d’hypothèses contradictoires, qui tantôt assignent aux hommes l’essentiel du pouvoir économique, politique, religieux, et le prestige social, tantôt prêtent aux femmes un pouvoir social, familial ou spirituel considérable. La thèse d’un matriarcat préhistorique et celle d’un culte primitif rendu à une « Grande Déesse » des millénaires durant ont été invoquées depuis le xixe siècle par certains anthropologues et préhistoriens pour caractériser les époques lointaines. Elle a eu un temps la faveur du public. Nous allons voir qu’il faut aborder ces schèmes généralisants avec prudence, avant de nous demander s’il est possible de repérer, dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs sapiens du Paléolithique supérieur, des preuves indiquant que des femmes ont pu jouir d’un statut valorisé, voire dominant. Pour cela, nous examinerons quelques-unes des sources possibles de pouvoir féminin et les indices accréditant l’idée qu’au
36 / POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022
Paléolithique supérieur (40 000 à 12 000 ans avant le présent) des femmes pouvaient avoir un rôle favorable au sein de leurs clans. Des rivages de l’Atlantique jusqu’à la Sibérie, les sites du Paléolithique supérieur ont livré des images de femmes peintes, dessinées, gravées sur les parois des grottes ou des abris, et des statuettes sculptées dans l’ivoire, l’os ou la pierre calcaire. Aux périodes les plus anciennes de l’Aurignacien (43 000 à 31 000 ans avant le présent en Europe occidentale) et du Gravettien (31 000 à 24 000 ans avant le présent en Europe occidentale), les figurines féminines offrent une silhouette étonnamment opulente.
TROUBLANTES FIGURINES
La tête est le plus souvent absente ou couverte d’une sorte de résille. Le dessin des yeux, la forme du nez et des lèvres, l’expression du visage, sont absents. Mais dans les corps nus de ces femmes, les attributs sexuels, le contour des seins, la proéminence du ventre et des fesses, la fente de la vulve, sont soulignés avec insistance. D’Hohle Fels, en Allemagne, à Lespugue, en France, de Willendorf, en Autriche (voir la figure page 39) à Kostienki, en Russie, on retrouve des
Quel était le pouvoir de nos aïeules européennes du Paléolithique (ici, une reconstitution visible à Cosquer Méditerranée) au sein de leurs clans de chasseurs-cueilleurs ?
© Élisabeth Daynes/Look at Science
POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022 /
37
DOSSIER SPÉCIAL
PALÉOANTHROPOLOGIE
L’ESSENTIEL
LES AUTEURS
> La situation sociale des femmes du Paléolithique supérieur a pu varier significativement d’une culture ou d’une époque à l’autre. > Les traces archéologiques révèlent très
peu d’éléments spécifiques aux femmes. > L’ethnographie des chasseurscueilleurs actuels et subactuels permet cependant de proposer des hypothèses sur leurs vies.
ANNE AUGEREAU préhistorienne, Inrap/laboratoire Temps du CNRS, Maison des sciences de l’homme Mondes, Paris-Nanterre
CHRISTOPHE DARMANGEAT anthropologue social, enseignantchercheur à l’université Paris Cité/ laboratoires Ladyss et Traces
DOMINIQUE HENRYGAMBIER anthropologue, CNRS/laboratoire Pacea, université de Bordeaux
NICOLAS TEYSSANDIER préhistorien, CNRS/laboratoire Traces, université de Toulouse
Où sont les femmes ? Ossements, outils, sépultures, peintures et sculptures… Bien des traces témoignent des sociétés paléolithiques. Mais le sexe de qui les a laissées y est invisible. La plupart des vestiges paléolithiques ne nous renseignent ni sur les hommes ni sur les femmes, de sorte qu’il faut se tourner vers l’ethnographie pour proposer des aspects de la vie des femmes paléolithiques.
L
e mode de vie des femmes du Paléolithique supérieur constitue un immense objet d’étude, cette ère couvrant approximativement les 30 millénaires précédant l’Holocène – soit environ de 40 000 à 10 000 ans avant le présent (voir l’article page 36). Même si on se restreint à l’ouest du continent eurasiatique, il semble imprudent d’imaginer que pendant cette ère d’intense accélération culturelle, qui a vu l’arrivée des humains modernes et la disparition des Néandertaliens en Europe, la situation des femmes ait pu être uniforme dans un espace aussi grand et sur une durée aussi longue. Cela n’empêche pas la possible existence de certains invariants culturels dans les modes de vie des chasseurs-cueilleurs.
© Adwo/Shutterstock
QUE DIT L’ARCHÉOLOGIE ?
Alors, de quels types d’indices disposonsnous quant à la vie des femmes du Paléolithique supérieur ? Que peuvent-ils nous apprendre et comment dépasser les limites qu’ils nous imposent ? Une première catégorie d’indices rassemble les traces matérielles laissées par les humains. Outre tout ou partie de squelettes, on 44 / POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022
dispose de représentations artistiques – peintures pariétales, gravures sur pierre ou os, statuettes –, figuratives ou symboliques, ainsi que des vestiges produits par diverses activités : outils, principalement en pierre et en matières osseuses, restes d’habitat, empreintes, mais aussi parures et autres ornementations corporelles. À partir de ces éléments tangibles – un peu comme la police scientifique procède sur une scène de crime – l’archéologie, avec ses méthodes rigoureuses, s’efforce de reconstituer au plus près la vie des êtres humains du passé. Une telle recherche se heurte néanmoins à de multiples difficultés. Pour commencer, les indices sont très rares. Pour cette immense durée, on ne dispose en effet que de quelques dizaines de squelettes bien conservés. Les indices sont d’autant plus rares que l’on remonte dans le temps et que l’on essaie de distinguer ceux qui concernent spécifiquement les femmes ou ceux qui concernent spécifiquement les hommes. Abondamment peuplé de figurations animales et de signes abstraits, l’art pariétal représente très peu les humains. Quand c’est le cas, ils ne le sont que de manière très approximative et sans aucune mise en scène susceptible de nous renseigner.
Les statuettes et les représentations sexuelles sont en revanche nombreuses et surtout féminines. Il est toutefois bien difficile de savoir ce qu’elles traduisent. Les interprétations les plus divergentes ont été proposées : on a pu y voir un hommage rendu aux femmes et à la féminité, ou la traduction d’un regard masculin dominateur. Quant aux outils et, plus généralement, aux objets fabriqués à cette époque, il n’en reste presque toujours que des parties en os et en pierre. Si elles nous renseignent sur certaines pratiques, en particulier la chasse, elles nous disent bien peu sur la manière dont chaque sexe pouvait y prendre part. Il est cependant une autre limite qui, pour être moins évidente, n’en est pas moins redoutable : en l’absence d’écriture ou de représentations picturales réalistes, les rapports sociaux laissent très peu de traces matérielles, et quand elles existent, elles sont le plus souvent ambiguës. Qu’on pense, par exemple, au rapport entre les rites funéraires et le statut social du défunt. Souvent, a-t-on observé, les premiers traduisent le second, mais ce n’est pas systématiquement le cas. Inversement, les divers rites funéraires qu’une même société peut pratiquer
Ces mains peintes en négatif ou en positif dans une grotte de Patagonie témoignent de l’existence passée de centaines de chasseurs-cueilleurs. De qui, plus précisément : de cueilleuses et de mères ou de chasseurs et de pères ? Comment savoir ?
POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022 /
45
NEUROSCIENCES
L’ESSENTIEL > Des chercheurs ont réussi à créer des cartes visuelles et sémantiques du cortex, c’est-à-dire à identifier les minuscules régions cérébrales qui s’activent en réaction à chaque concept, chaque objet, chaque lieu…
L’AUTRICE > Or ces cartes présentent des chevauchements avec les cartes mnésiques, mais ne sont pas identiques… > Il est donc probable que la mémoire ne soit pas seulement « sensorielle », mais également « sémantique », plus abstraite.
JORDANA CEPELEWICZ journaliste scientifique à New York
Mémoire : jamais sans les mots
Q
u’est-ce que la mémoire ? Une répétition du passé, une reproduction mentale des événements et des sensations que nous avons vécus ? C’est en général ce que nous pensons. Dans le cerveau, cela reviendrait à ce que les mêmes schémas d’activité neuronale se réactivent : par exemple, se souvenir du visage d’une personne activerait les mêmes réseaux de neurones que ceux permettant effectivement de voir son visage. Et, en effet, pour certains processus mnésiques, quelque chose comme ça se produit… Mais ces dernières années, les chercheurs ont mis le doigt, à plusieurs reprises, sur quelques phénomènes atypiques : ils ont identifié des distinctions subtiles, mais significatives, entre les représentations visuelles et les représentations mnésiques correspondantes, ces dernières apparaissant – se matérialisant sous forme d’activités neuronales – toujours à
48 / POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022
des endroits légèrement différents du cerveau. Or les scientifiques ne savaient que trop penser de cette translation, de ce décalage : quelle est sa fonction ? Qu’est-ce que cela signifie pour la nature même de la mémoire ? Aujourd’hui, ils ont peut-être trouvé une réponse, grâce à des travaux reposant sur le langage, et non sur la mémoire. En effet, une équipe de neuroscientifiques a créé une carte dite « sémantique » du cerveau qui révèle, de façon remarquablement détaillée, quelles sont les régions du cortex qui réagissent aux informations linguistiques concernant un large panel de concepts, allant des visages aux lieux en passant par les relations sociales, les phénomènes météorologiques… Et lorsqu’ils ont comparé cette carte cérébrale à une autre mettant en évidence où le cerveau se représente les catégories d’informations visuelles, ils ont observé des différences surprenantes… Qui ressemblaient fortement à celles signalées entre les représentations visuelles et mnésiques.
© Alex Huth et Jack Gallant
Nos souvenirs sont-ils une simple répétition neuronale des expériences vécues ? Probablement pas, si l’on en croit des chercheurs qui viennent d’associer, dans le cerveau, des centaines de concepts sémantiques aux minuscules régions du cortex qui les représentent dans notre mémoire et nos perceptions. Or des « décalages » existent…
Cette découverte, publiée en octobre 2021 dans la revue Nature Neuroscience, suggère que, dans de nombreux cas, un souvenir n’est pas un fac-similé de perceptions ou d’expériences passées qui sont rejouées à l’identique dans le cerveau. Il s’agit plutôt d’une reconstruction de l’événement original, reposant sur son contenu sémantique.
CE N’EST PAS UN FAC-SIMILÉ DES EXPÉRIENCES VÉCUES
Cette idée, nouvelle, répondrait à bien des interrogations que se posent les chercheurs depuis de nombreuses années, notamment pourquoi la mémoire est si souvent un enregistrement si imparfait du passé… Ce qui expliquerait, entre autres, les faux souvenirs et ce que signifie réellement le fait de se rappeler quelque chose. Ces nouveaux travaux sur la sémantique étaient complètement indépendants de ceux sur la mémoire, des équipes de chercheurs travaillant à leurs cartes cérébrales respectives à
peu près au même moment, mais à des extrémités diamétralement opposées des ÉtatsUnis. Reprenons leur histoire. En 2012, Jack Gallant, neuroscientifique cognitiviste à l’université de Californie à Berkeley, avait passé la majeure partie de la dernière décennie à développer des outils et des modèles d’IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) pour étudier le système visuel humain. En effet, l’IRMf permet de mesurer des variations du flux sanguin et de l’activité électrique dans le cerveau, de sorte que les neuroscientifiques l’utilisent souvent pour déterminer les régions du cortex réagissant à différents stimuli. L’un des étudiants de Gallant à l’époque, Alex Huth, a bénéficié des techniques de pointe de leur laboratoire pour analyser où le cerveau « encode » différents types d’informations visuelles, en demandant à des volontaires de regarder des heures de vidéos (sans aucun son) à l’intérieur de scanners d’IRMf. Puis, en segmentant les données en enregistrements pour des volumes de tissu cérébral minuscules,
En 2016, des neuroscientifiques ont cartographié comment des régions du cortex de la taille d’un pois – et nommées « voxels » – réagissent à des centaines de concepts sémantiques. Ils s’appuient désormais sur ces travaux pour comprendre les liens entre les représentations visuelles, linguistiques et mnésiques dans le cerveau.
POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022 /
49
PORTFOLIO
Grotte Cosquer
20 000 ans (et quelques téraoctets) sous les mers Plus de trente ans après sa découverte, la grotte Cosquer, joyeux orné du Paléolithique supérieur, aux trois quarts immergée dans les calanques de Marseille, se donne à voir dans une évocation spectaculaire. Elle s’appuie sur les relevés de haute précision établis lors de plongées éprouvantes par une équipe de préhistoriens passionnés. FRANÇOIS LASSAGNE rédacteur en chef de Pour la Science
58 / POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022
UN TRÉSOR ENGLOUTI
À
l’abri du karst formant aujourd’hui les calanques de Marseille, des communautés de sapiens ont occupé la grotte Cosquer, en deux phases principales, courant de 32500 à 19000 avant le présent. Ils y ont fait du feu, prélevé en quantité une forme de calcaire appelée « mondmilch » ; ils y ont abandonné des outils. Surtout, ils y ont laissé de très nombreuses gravures et dessins. La cavité se situait alors à près de 10 kilomètres du rivage, son porche d’entrée s’élevant à plus de 135 mètres au-dessus de la mer. Il y a un peu moins de 10 000 ans, l’ingression marine postglaciaire a peu à peu ennoyé la grotte. Son entrée se franchit désormais en combinaison de plongée, à 37 mètres de profondeur, et la première salle demeurée à l’air libre se situe au débouché d’un étroit siphon de 116 mètres de long. La grotte Cosquer est donc inaccessible au public.
Cette « Lascaux sous les eaux », découverte par Henri Cosquer, scaphandrier et plongeur chevronné, qui en a rapporté l’existence en 1991, a fait l’objet de nombreuses études, dès 1994, puis au fil des années 2000, conduites notamment par Luc Vanrell et Michel Olive, préhistoriens et plongeurs avertis, mandatés par le service régional d’archéologie. Le paléolithicien Cyril Montoya pilote depuis 2020 une équipe pluridisciplinaire qui poursuit l’inventaire et l’analyse de ce trésor englouti, que menace l’élévation du niveau de la mer induite par le réchauffement du climat. Englouti… mais à l’empreinte désormais sauvée des eaux, grâce à de minutieuses campagnes de relevé. Un modèle numérique détaillé donne aux chercheurs la possibilité de poursuivre leurs travaux d’interprétation, et a servi de base à la restitution muséographique de larges parties de la grotte. Ses joyaux, depuis le 4 juin, se donnent à nouveau à voir les pieds au sec, entre les murs de la Villa Méditerranée, à Marseille.
POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022 /
59
© MC DRAC / SRA PACA — Luc Vanrell
La grotte habitée au Paléolithique supérieur est aujourd’hui immergée aux trois quarts. Certains dessins, dont le célèbre panneau des Chevaux, sont en partie immergés au gré des saisons et des marées.
HISTOIRE DES SCIENCES
L’ESSENTIEL > L’Encyclopédie méthodique, avec ses 212 volumes parus durant un demi-siècle (1782-1832), est l’un des ouvrages les plus monumentaux jamais publiés. > Les aléas et les lenteurs de sa publication ont été tels que, quand elle est enfin
L’AUTEUR parvenue à son terme, elle est apparue comme une entreprise du passé et a vite été oubliée. > Elle n’en demeure pas moins un objet d’étude fascinant qui met en évidence les ambiguïtés auxquelles s’est de tout temps heurté l’encyclopédisme.
STÉPHANE SCHMITT directeur de recherche du CNRS au sein des Archives Henri-Poincaré, à Nancy
Encyclopédie parfaite… ou monstre éditorial Quand, en 1782, l’éditeur Charles-Joseph Panckoucke se lança dans la publication d’une refonte de l’Encyclopédie de Diderot – l’Encyclopédie méthodique –, il espérait en supprimer tous les défauts. Mais il fut vite dépassé par l’envergure du projet.
P
lus de 200 volumes, quelque 125 000 pages de texte, plus de 6 000 planches illustrées et une publication qui a duré pas moins de cinq décennies : l’Encyclopédie méthodique, parue de 1782 à 1832, est sans nul doute l’un des ouvrages les plus monumentaux jamais publiés. Longtemps négligée par les historiens, elle suscite depuis plusieurs années un regain d’intérêt. Il s’agit, de fait, d’une œuvre remarquable tant par ses proportions et sa longue durée de publication que par son organisation originale. Conçue initialement comme une simple refonte de l’Encyclopédie de Diderot, elle est cependant vite devenue l’objet d’ambitions qui l’ont dépassée. Son maître d’œuvre, Charles-Joseph Panckoucke, la voyait comme une encyclopédie parfaite, définitive, qui couronnerait magistralement le siècle des Lumières. Mais sa démesure même portait les germes de son échec… Le projet est né à la suite de la publication par Denis Diderot, en 1768, d’un mémoire où il énumérait les défauts de son Encyclopédie. Malgré bien des difficultés, le philosophe était
66 / POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022
parvenu, entre 1751 et 1772, à publier les 28 volumes de cet ouvrage, qui allait devenir un emblème du siècle des Lumières. Pourtant, il n’était pas satisfait, estimant que de nombreux articles étaient incomplets, redondants ou médiocres, et que l’ensemble méritait d’être entièrement revu. C’est alors qu’un personnage tout-puissant dans l’édition française de l’époque, Panckoucke, déjà impliqué dans plusieurs autres grands projets (comme l’Histoire naturelle du naturaliste Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon), acquit les droits d’exploitation de l’ouvrage. Rapidement, s’inspirant sans doute du mémoire de Diderot, il conçut l’idée d’une refonte importante impliquant non seulement corrections et mises à jour, mais aussi un remaniement global.
UNE ENTREPRISE DEVENUE HORS DE CONTRÔLE
Selon le projet qu’il présenta en 1781, la nouvelle encyclopédie couvrirait un champ à peu près équivalent à celui de la première, mais plutôt qu’un ordre intégralement alphabétique, obligeant le lecteur à passer sans
Composé de 190 tomes en reliure uniforme rassemblant parfois plusieurs volumes, l’exemplaire de l’Encyclopédie méthodique du bibliophile Jacques Picard, auteur du site Dicopathe, est quasi complet. Il ne manque que deux volumes, le volume 7 du Dictionnaire d’agriculture de 1821 et le premier volume de la seconde partie du Dictionnaire forêts et bois de 1815.
© Jacques Picard, dicopathe.com
POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022 /
67
SCIENCE ET FICTION
Robots en quête d’éloquence Le célèbre robot C-3PO de la saga « Star Wars » converse couramment dans des millions de langues. Nos traducteurs automatiques se limitent à une poignée de langues et les « chatbots » les plus élaborés ne font illusion qu’un temps. L’éloquence, malgré les progrès de l’intelligence artificielle, serait-elle un talent réservé aux humains ?
L
es robots et ordinateurs parlants de la science-fiction nous habituent à des performances linguistiques très élevées : ils comprennent tout ce qu’on leur dit, ne butent pas sur un concept inconnu et gèrent à merveille les pièges de la communication comme les homonymes et les ambiguïtés. On les voit rarement demander à leur interlocuteur humain de répéter, reformuler ou réexpliquer. L’écart avec les robots réels est flagrant : essayez de dialoguer dix minutes avec Siri, Alexa, Nao ou Pepper, vous allez vite identifier leurs limites et, probablement, soupçonner que faire parler une machine n’est pas chose aisée. De fait, c’est un véritable enjeu, qui concerne les domaines du traitement automatique des langues et de l’intelligence artificielle. Les recherches se succèdent, les techniques évoluent, les apports de l’apprentissage profond – le fameux deep learning – sont exploités, mais il s’avère encore bien difficile d’atteindre un dialogue aussi fluide et cohérent que le dialogue entre humains. De quoi les machines parlantes sont-elles vraiment capables aujourd’hui ? Comment évaluer leurs progrès ? Cette évaluation est l’objet du test de Turing, formulé par Alan Turing en 1950 et considéré comme l’un des faits les plus marquants de l’histoire de l’informatique. Plus récemment, c’est aussi l’objet des schémas de Winograd, dont l’enjeu est d’interpréter un pronom comme « il » dans des phrases bien choisies, par exemple « Le poster ne tient pas sur le mur car il est trop grand » (il = le poster) et « Le poster ne tient pas sur le mur car il est trop petit » (il = le mur). En quoi une machine capable de détecter une telle
74 / POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022
subtilité de langage est-elle intelligente ? Quelles sont les limites de ces tests d’évaluation de l’intelligence ?
TERMINATOR ET C-3PO : DEUX COMPORTEMENTS LINGUISTIQUES OPPOSÉS
On se rappelle du Terminator pour ses aptitudes à dénicher et tuer sa cible quels que soient les obstacles, et non pour sa capacité à parler et dialoguer. Pourtant, le Terminator donne des ordres, pose des questions, comprend immédiatement les réponses, et sait – par la parole – éloigner les gêneurs, par exemple celui qui vient nettoyer la chambre d’hôtel où le robot répare discrètement ses blessures. Aucune reformulation, aucun hors-sujet : ses phrases sont brèves, fonctionnelles et efficaces. Aucun doute, le Terminator maîtrise le langage humain. Avec une voix et une intonation bien différentes, C-3PO de Star Wars enchaîne les répliques verbeuses. Lorsque Luke Skywalker lui demande s’il comprend les Ewoks qui les encerclent, il se vante de connaître six millions de formes de communication avant de faire ce qu’on lui demande, c’est-à-dire servir d’interprète. C-3PO est le champion incontesté de l’une des applications phares du traitement automatique des langues : la traduction automatique. Le Terminator et C-3PO ne partagent aucun trait commun, sauf cette capacité à manier le langage qui conduit à les considérer (presque) comme des interlocuteurs de chair et d’os. Le Terminator arrive d’ailleurs à se fondre dans un
Le « droïde de protocole » C-3PO, de la saga Star Wars, revendique la maîtrise de six millions de formes de communication.
L’ESSENTIEL > Chatbots, assistants personnels, traducteurs automatiques… Les programmes informatiques spécialisés dans le traitement automatique du langage naturel ont investi de très nombreux domaines.
de ces programmes de bien frustes locuteurs. > En dépit des indéniables progrès du langage artificiel, accentués par le deep learning, l’ensemble des aptitudes indispensables à une véritable conversation reste un horizon lointain pour les machines.
FRÉDÉRIC LANDRAGIN linguiste, spécialiste du dialogue entre humain et machine, directeur de recherche du CNRS, laboratoire Lattice (ENS, Paris)
© chrisontour84/Shutterstock
> Par comparaison, l’à-propos et la fluidité de la parole des robots de cinéma font
L’AUTEUR
POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022 /
75
LOGIQUE & CALCUL
P. 80 P. 86 P. 88 P. 92 P. 96 P. 98
Logique & calcul Art & science Idées de physique Chroniques de l’évolution Science & gastronomie À picorer
L’AUTEUR
JEAN-PAUL DELAHAYE professeur émérite à l’université de Lille et chercheur au laboratoire Cristal (Centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille)
L
MATHÉMATIQUES DES ENGRENAGES Grâce aux ingénieurs mathématiciens, nous savons dessiner et calculer les dents des engrenages, les combiner sans qu’ils se bloquent, et leur trouver de nouvelles formes.
es engrenages posent une grande variété de questions géométriques, combinatoires et arithmétiques. On peut, par exemple, se demander quelles sont les bonnes formes des dents pour que la transmission d’une roue à sa voisine se fasse au mieux. On s’interrogera aussi pour déterminer quand un assemblage complexe d’engrenages se bloque. Il y a encore le problème de choisir le nombre de dents des roues qu’on associe pour obtenir un rapport de vitesse fixé. L’imagination humaine s’est montrée particulièrement féconde sur le sujet des engrenages et une multitude de formes inattendues leur ont été données pour le plaisir du jeu ou parfois pour obtenir ce qui est impossible par des assemblages simples de roues circulaires.
LE DESSIN DES DENTS
Jean-Paul Delahaye a notamment publié : Les Mathématiciens se plient au jeu, une sélection de ses chroniques parues dans Pour la Science (Belin, 2017).
80 / POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022
Les triangles équilatéraux des dents des premières machines à engrenages comme la machine d’Anticythère du ier siècle avant notre ère ne sont pas la meilleure façon de limiter les frottements et de maintenir un contact ponctuel sans à-coup. La courbe dénommée « développante du cercle » est le plus souvent utilisée à cause de ses remarquables propriétés, adaptées aux engrenages. Elle s’obtient en faisant rouler une droite sans glissement sur un cercle (voir l’encadré 1). Le point de contact, entre deux dents dont les profils utilisent cette courbe, suit une droite connue sous le nom de ligne d’action qui est tangente aux deux cercles définissant les roues. L’angle de la ligne d’action avec la verticale,
nommé angle de pression, a une valeur normalisée en Europe de 20°, alors que trois valeurs sont utilisées aux États-Unis : 14,5°, 20° et 25°. Le choix de cet angle est un compromis entre deux exigences : d’une part le nombre de dents en prise dans un engrenage, que l’on désire supérieur à 1, et d’autre part la résistance mécanique des dents, car, si l’on prend un petit angle, le pied de dent est plus étroit, ce qui l’affaiblit. Si une dent d’engrenages à développante est en contact avec une autre dent de même profil et que la première roue possède une vitesse de rotation constante, ce sera aussi le cas de la seconde roue. Au point de contact entre deux dents, la tangente au profil est commune aux deux dents, ce qui assure une transmission d’énergie optimale entre les roues. L’usure des surfaces actives est régulièrement répartie et donc il y a peu de vibrations. Notons cependant qu’il existe d’autres types de profils pour les engrenages : engrenages Novikov avec une courbe de contact qui n’est pas une droite, engrenages asymétriques qui prennent en compte le sens de rotation des roues, engrenages à chevrons, etc. La science du dessin des formes des engrenages s’est développée et continue de progresser.
LE BLOCAGE D’UN RÉSEAU
Placer des roues dentées les unes contre les autres et en fixer solidairement plusieurs sur un même axe permet de construire une infinité de réseaux qui pourraient être utiles ou constituer des amusements. Il faut toutefois que les engrenages du réseau puissent tourner, mais ce
série de roues R1, R2, …, Rn telle que R1 est liée à R2, R2 est liée à R3, … et Rn est liée à R1. Sur le train d’engrenages de la figure C, on voit les deux sortes de liens possibles entre roues dentées. Soit elles sont fixées sur le même axe et donc tournent ensemble à la même vitesse, ce qu’on nommera un lien de type 1 ; soit leurs dents sont en contact, lien de type 2. Dans le second cas, si l’une possède m dents et l’autre n dents, quand la première fait un tour, la seconde en fait nécessairement m/n dans le sens inverse. Nous allons présenter une méthode pour déterminer si un réseau complexe de roues circulaires dentées pivotant sur des axes fixes parallèles fonctionne ou, au contraire, se bloque. Des généralisations sont possibles quand les axes ne sont pas tous parallèles. À de tels réseaux de roues dentées, comme ceux représentés dans l’encadré 2, on associe un graphe où les liaisons entre deux roues sont symbolisées par un arc double constitué de
n’est pas toujours le cas. Dès lors, comment reconnaître les réseaux qui se bloquent ? L’encadré 2 présente différentes configurations qui nous permettent d’introduire progressivement les contraintes sur le blocage. La figure A montre un engrenage à trois roues dentées qui, bien évidemment, ne fonctionne pas, car si la première roue tourne dans un sens, la deuxième tournera dans le sens contraire, donc la troisième tournera dans le même sens que la première, ce qui tendrait à faire tourner la première dans un sens opposé au sens de sa rotation initiale, d’où le blocage. Les figures B et C montrent deux trains d’engrenages qui, eux, fonctionnent, parce que l’assemblage est linéaire. Chaque roue est liée à une ou deux autres soit parce qu’elles sont solidaires d’un même axe, soit parce que leurs dents se touchent. Cependant, jamais en passant d’une roue à une autre on ne revient au point de départ. Il ne peut donc y avoir de blocage. On dit qu’il n’y a pas de circuits : il n’y a jamais de
1 Ro ta
LA GÉOMÉTRIE DES ENGRENAGES
Cercle
Cercle Tangente commune
Rotation Ligne d’action
D év
elo
ve Dé
D év
elo
an
Cercle
n tio
lo p
pp
La développante du cercle s’obtient en faisant rouler une droite sur un cercle. À partir du point de contact, le point sur la droite trace la développante. Cette courbe est utilisée pour les parties en contact des dents des engrenages. Au point de contact de deux dents, la tangente au profil est commune aux deux dents ce qui assure un rapport de vitesse constant entre les deux roues et une transmission d’énergie optimale. Le point de contact se déplace alors que les roues tournent. Il suit une ligne droite, dénommée la ligne d’action.
pp pa nte ant e
te Ligne de contact
Ligne d’action
© magnetplus/Shutterstock
20°
POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022 /
81
ART & SCIENCE
L’AUTEUR
LOÏC MANGIN rédacteur en chef adjoint à Pour la Science
La submersion des vignes, l’un des traitements contre le phylloxéra.
PHYLLOXÉRA MON AMOUR
L
’histoire se résume ainsi : en 1875, la production viticole française atteint quelque 85 millions d’hectolitres (ce qui pour une population à l’époque de 39 millions d’habitants fait tout de même 2,2 hectolitres par personne, enfant compris !), puis chute à 23,4 millions en 1889. Une baisse de plus de 72 % ! L’explication tient en un mot, le phylloxéra, le nom d’un redoutable insecte qui a dévasté le vignoble français, et d’autres, de la fin du xixe siècle jusqu’au début de la Première Guerre mondiale. Cette crise sanitaire a modifié en profondeur les paysages et les pratiques viticoles et n’a pu être surmontée qu’au terme d’un long travail de recherche scientifique. Et c’est à cette épopée scientifique donc, mais aussi historique et sociale, que rend hommage l’agglomération du grand Cognac à travers une exposition déclinée en deux
86 / POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022
lieux, le Musée d’art et d’histoire (MAH) et celui des savoir-faire du cognac (M’CO), réunis sous une signature commune « Les Distillateurs culturels ». Tout commence en 1863 quand une maladie inconnue est détectée pour la première fois dans le vignoble à Pujaut, près de Roquemaure, dans le Gard. De là, elle gagnera, sans forcément susciter de l’inquiétude, car sans grande incidence au début, de nombreuses régions viticoles comme le Bordelais et le Cognaçais où elle est signalée en 1868. Elle arrive en Bourgogne dans les années 1870 et en Champagne en 1890. À la fin du xixe siècle, elle a conquis toute l’Europe, mais aussi l’Afrique du Sud, l’Australie… On trouverait également un témoignage de ce fléau dans La Vigne rouge, peint par Vincent van Gogh près de l’abbaye de Montmajour, aux portes d’Arles, en novembre 1888 (voir
page ci-contre), le tableau étant aujourd’hui conservé au musée Pouchkine, à Moscou. En effet, selon plusieurs experts, les teintes automnales des feuilles sont inhabituelles, car au moment des vendanges, le feuillage de la vigne est d’ordinaire encore vert. Autre indice : que des rameaux rampent sur le sol trahirait une faiblesse des plants. Tout laisse à penser que le phylloxéra est à l’œuvre, mais encore a-t-il fallu l’identifier. Les deux commissaires de l’exposition de Cognac, Catherine Wachs-Genest et Ana-Elisabeth Cléry, rappellent que l’on doit la découverte du coupable à Gaston Bazille, Félix Sahut et Jules Émile Planchon, respectivement viticulteur, horticulteur et botaniste dans la région montpelliéraine. Tous les trois se retrouvent l’été 1868 à Saint-Martin-de-Crau, à quelques kilomètres de… l’abbaye de
© Cognac et son vignoble, 1900, imprimerie Ch. Collas, Cognac
À Cognac, une exposition retrace l’épopée humaine et scientifique du phylloxéra, qui bouleversa le vignoble français, et incidemment s’invita dans un tableau de Vincent van Gogh.
© Niday Picture Library / Alamy Banque D’Images
La Vigne rouge, de Vincent van Gogh, serait-elle un témoignage des ravages du phylloxéra ?
Montmajour, et identifient une sorte de puceron qui ravage les vignes. Il s’agit d’un insecte hémiptère (comme les cigales et les punaises…), en l’occurrence Daktulosphaira vitifoliae, un nom donné par des entomologistes américains une dizaine d’années plus tôt. Les œuvres (tableaux, planches anatomiques, photographies) présentées révèlent à qui l’on a affaire. Un insecte suceur de sève, importé fortuitement des États-Unis, dont le cycle de vie se décompose en deux étapes, l’une souterraine, l’autre aérienne. Dans la première, une forme aptère de l’arthropode s’attaque aux racines pour se nourrir, entraînant la formation de nodules qui s’infectent et précipitent la mort du pied. Dans la seconde, c’est au tour des feuilles d’être la cible de phylloxéras ailés. Attaqué sur deux fronts, un pied de vigne a peu de chances d’en
réchapper : dans les faits, il meurt en trois ans. Dès lors, comment lutter ? Après avoir pris conscience du danger, l’État français offre à la fin du xixe siècle une prime de 300 000 francs à qui proposera une solution efficace. Quelque 5 000 réponses seront reçues, et beaucoup sont farfelues. Parmi elles, trois seront testées. L’une consiste à submerger les vignobles (voir la figure page cicontre), car le phylloxéra n’aime pas l’eau. Cependant, elle ne fonctionne que sur terrain plat et oblige à des investissements importants, ce qui limite son adoption. Une autre piste est fondée sur du sulfure de carbone que l’on injecte au moyen de grosses seringues, des « pals », aux pieds des vignes. Cette méthode, chimique et toxique, est longtemps restée utilisée, jusqu’aux années 1920, notamment en Romanée-Conti, en Bourgogne,
qui refusait la troisième solution, celle dite américaine, et qui s’est imposée depuis. Elle consiste à utiliser des variétés venues… des États-Unis, dont le berlandieri, sur lesquelles sont greffés des cépages français. Le principe est simple : les racines étant plus grosses, le phylloxéra ne peut venir à bout du plant ! Ce procédé a toujours cours aujourd’hui et a sauvé la viticulture française ! Mais sans le phylloxéra, le tableau de van Gogh aurait perdu en intensité… n Exposition « Phylloxéra, une épopée humaine et scientifique », à Cognac, jusqu’au 31 décembre 2022. https://bit.ly/3MHural
L’auteur a publié : Pollock, Turner, Van Gogh, Vermeer et la science… (Belin, 2018)
POUR LA SCIENCE N° 537 / JUILLET 2022 /
87
À
p. 58
PICORER p. 74
Retrouvez tous nos articles sur www.pourlascience.fr
BERT
L’avocat est-il un fruit ou une personne ? Tout dépend du contexte. Telle est l’idée de base du modèle de langage BERT : à l’aide des techniques de big data et de deep learning, il lève les ambiguïtés sur le sens des mots en analysant leur contexte.
p. 53
£
553
La grotte Cosquer, dans les calanques de Marseille, est ornée de 553 entités graphiques. Si 43 % ne sont pas interprétables, 229 représentent des animaux – chevaux, bouquetins, bisons, aurochs, cerfs et biches, phoques, pingouins. Quant au reste, il s’agit d’une constellation de « mains négatives ». Sachant que les trois quarts des supports sont noyés, cette profusion n’est qu’un aperçu de l’art pariétal en ce site occupé il y a quelque 20 000 ans.
Le cerveau cherche un contexte plausible face aux situations de prime abord dénuées de sens
£
FRANCIS EUSTACHE neuropsychologue à l’université de Caen-Normandie
p. 92
40
Le chien est l’espèce de mammifère dont la taille est la plus malléable : un facteur 40 sépare un chihuahua et un saint-bernard de 2 et 80 kilogrammes, contre 15 entre un ours kodiak et un ours des Alpes, deux membres d’une autre espèce considérée comme très malléable.
p. 6
p. 88
CIEL BLEU
Dans l’atmosphère, chaque molécule diffuse une infime partie de la lumière du Soleil qu’elle reçoit dans d’autres directions. Le phénomène est d’autant plus important que la longueur d’onde est courte. Ainsi, le bleu est plus diffusé que le rouge. Cela explique le bleu du ciel, et son rougeoiement à mesure que la couche d’atmosphère traversée augmente au coucher. Et le bleu de la mer ? C’est une autre histoire…
15 000 VIRUS
En modélisant les interactions d’espèces sauvages susceptibles de se côtoyer sous la pression du changement climatique et des activités humaines, des chercheurs ont montré que 15 000 virus pourraient passer d’une espèce à l’autre d’ici à 2070. Et augmenter ainsi le risque d’émergence de futures épidémies…
p. 66
11
Publiée entre 1782 et 1832 à raison de plusieurs « livraisons » par an, l’Encyclopédie méthodique, version améliorée de l’Encyclopédie de Diderot, a été menée à son terme contre vents et marées. Née sous le règne de Louis XVI et achevée sous la monarchie de Juillet, en pleine ère industrielle, elle a en effet vu la France traverser pas moins de onze régimes.
Imprimé en France – Maury Imprimeur S.A. Malesherbes – Dépôt légal : 5636 – Juillet 2022 – N° d’édition : M0770537-01 – Commission paritaire n° 0922 K 82079 – Distribution : MLP – ISSN 0 153-4092 – N° d’imprimeur : 263 333 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot.