POUR LA SCIENCE #554 - DÉCEMBRE 2023

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POUR LA SCIENCE

JUSTICE ENVIRONNEMENTALE Quel océan voulons-nous ?

Climatologie

LES INSECTES RESSENTENT-ILS LA PEUR ?

Astrophysique

LE PARADOXE DE LA POUSSIÈRE STELLAIRE

Croissance, biochimie, immunité…

L’EFFET

DU SON SUR LES PLANTES L 13256 - 554 - F: 7,00 € - RD

DOM : 8,50 € - BEL./LUX. : 8,50 € - CH : 12,70 FS - CAN. : 12,99 $CA - PORT. CONT. : 8,50 € - MAR. : 78 DH - TOM : 1 100 XPF

Édition française de Scientific American – Décembre 2023 - n° 554

MODIFIER LA STRATOSPHÈRE, UN PARI RISQUÉ

Éthologie

L’analyse de Frédérique Chlous anthropologue

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MENSUEL POUR LA SCIENCE Rédacteur en chef!: François Lassagne Rédacteurs en chef adjoints!: Loïc Mangin, Marie-Neige Cordonnier Rédacteurs!: François Savatier, Sean Bailly

É DITO

HORS-SÉRIE POUR LA SCIENCE Rédacteur en chef adjoint!: Loïc Mangin Développement numérique!: Philippe Ribeau-Gésippe Chef de produit marketing!: Ferdinand Moncaut Directrice artistique!: Céline Lapert Maquette!: Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy, Ingrid Lhande Réviseuses!: Anne-Rozenn Jouble, Maud Bruguière et Isabelle Bouchery Assistante administrative!: Finoana Andriamialisoa Responsable marketing!: Frédéric-Alexandre Talec Directrice des ressources humaines!: Olivia Le Prévost Fabrication!: Marianne Sigogne et Stéphanie Ho Directeur de la publication et gérant!: Nicolas Bréon Ont également participé à ce numéro!: Isabelle Bellin, Olivier Boucher, Sylvana Condemi, Astrid Lamberts, Clémentine Laurens, Anthony Soulain PUBLICITÉ France stephanie.jullien@pourlascience.fr ABONNEMENTS www.boutique.groupepourlascience.fr Courriel!: serviceclients@groupepourlascience.fr Tél.!: 01 86 70 01 76 Du lundi au vendredi de 8!h!30 à 12!h!30 et de 13!h!30 à 16!h!30 Adresse postale!: Service abonnement groupe Pour la Science 20 rue Rouget-de-Lisle 92130 Issy-les-Moulineaux. Tarifs d’abonnement 1 an (12 numéros) France métropolitaine!: 59 euros – Europe!: 71 euros Reste du monde!: 85,25 euros DIFFUSION Contact kiosques!: À Juste Titres!; Alicia Abadie Tél. 04 88 15 12 47 Information/modification de service/réassort!: www.direct-editeurs.fr DISTRIBUTION MLP ISSN 0 153-4092 Commission paritaire n°!0927K82079 Dépôt légal!: 5636 – Décembre 2023 N° d’édition!: M0770554-01 www.pourlascience.fr 170 bis boulevard du Montparnasse – 75!014 Paris Tél. 01 55 42 84 00 SCIENTIFIC AMERICAN Editor in chief!: Laura Helmuth President!: Kimberly Lau

2023. Scientific American, une division de Springer Nature America, Inc. Soumis aux lois et traités nationaux et internationaux sur la propriété intellectuelle. Tous droits réservés. Utilisé sous licence. Aucune partie de ce numéro ne peut être reproduite par un procédé mécanique, photographique ou électronique, ou sous la forme d’un enregistrement audio, ni stockée dans un système d’extraction, transmise ou copiée d’une autre manière pour un usage public ou privé sans l’autorisation écrite de l’éditeur. La marque et le nom commercial « Scientific American » sont la propriété de Scientific American, Inc. Licence accordée à «Pour la Science SARL ». © Pour la Science SARL, 170 bis bd du Montparnasse, 75014 Paris. En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).

Origine du papier!: Autriche Taux de fibres recyclées!: 30!% «!Eutrophisation!» ou «!Impact sur l’eau!»!: Ptot 0,007 kg/tonne Imprimé en France Maury Imprimeur SA Malesherbes N° d’imprimeur!: 274207

François Lassagne Rédacteur en chef

ÊTRE(S) SENSIBLE(S)

C

roissance, production de composés volatils, immunité… Le son affecte la vie végétale. Les premiers résultats des expériences conduites par Adelin Barbacci, Frédérick Garcia et Bruno Moulia montrent par exemple qu’exposer des arabettes des dames (l’espèce végétale la plus étudiée en laboratoire) à des stimulations sonores augmente de 26!% la résistance à la «!pourriture blanche!», une maladie fongique. Soumise à des fréquences de quelques centaines à quelques milliers de hertz, l’arabette voit l’expression de son génome se modifier en profondeur. La bioacoustique végétale, nouveau champ d’étude, contribue à faire évoluer notre perception du règne végétal, décidément ni immobile ni passif. «!D’un sujet marginal et sans intérêt pour la biologie, la question de la perception du son par les plantes pourrait changer de façon drastique notre façon de les voir!», jugent les chercheurs. Percevoir autrement les êtres vivants avec qui nous partageons le monde, dès lors qu’on s’interroge sur la manière dont eux-mêmes le perçoivent!: c’est aussi ce à quoi nous invitent les expériences de Lars Chittka. L’éthologue spécialiste des hyménoptères a récemment mis en évidence la sensibilité des bourdons à la douleur, et leur aptitude à éprouver des émotions. Cette invitation à être attentif à la sensibilité du vivant, et à ajuster en conséquence nos interactions avec lui, ici fruit des plus récents résultats scientifiques, nous vient également de nombreux peuples chez qui elle irrigue traditions et pratiques. C’est ce qu’observe l’anthropologue Frédérique Chlous dans ses enquêtes de terrain. En Océanie, la capture et la mise à mort des animaux sont ainsi encadrées et nécessitent des précautions qui illustrent les liens établis avec le «!partenaire!». La directrice du département Homme et Environnement du Muséum national d’histoire naturel aspire d’ailleurs, avec de nombreux autres scientifiques, à mobiliser tous les savoirs, dont les savoirs autochtones, dans les espaces de débat et de décisions qui se donnent pour mission de concilier les besoins humains fondamentaux et les intérêts de la nature. Elle exposera ces perspectives nouvelles lors des «!Tribunes du Muséum!», dont Pour la Science est partenaire, à Paris, le 2 décembre. n

POUR LA SCIENCE N° 554 / DÉCEMBRE 2023 /

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s OMMAIRE N° 554 / Décembre 2023

ACTUALITÉS

GRANDS FORMATS

P. 6

ÉCHOS DES LABOS • Comment le cœur se met à battre • Un sommeil ouvert sur le monde • Homo erectus, montagnard avant d’être eurasien • Un œil entier rendu transparent pour l’imagerie • Des trous noirs mettent les bouchées doubles • Un moteur quantique de fermions et bosons

P. 16

LES LIVRES DU MOIS SPÉCIAL NOËL

P. 32

P. 44

LE PARI RISQUÉ DE LA GÉO-INGÉNIERIE

LES SPIRALES PARADOXALES DES ÉTOILES WOLF-RAYET

CLIMATOLOGIE

Douglas Fox

P. 22

Faut-il modifier la stratosphère pour rafraîchir l’atmosphère$? Certains scientifiques défendent cette forme de géo-ingénierie$; d’autres pointent notre connaissance encore très insuffisante des mécanismes en jeu.

La critique scientifique en péril!?

P. 41

P. 20

DISPUTES ENVIRONNEMENTALES

Évidences trompeuses Catherine Aubertin

LES SCIENCES À LA LOUPE

CLIMATOLOGIE

« LES ESSAIS EN CONDITIONS RÉELLES SONT NÉCESSAIRES » Entretien avec Katharine Ricke

Avant d’envisager de recourir à la géo-ingénierie solaire, c’est-à-dire au blocage d’une part du rayonnement solaire directement dans l’atmosphère, encore faudrait-il l’étudier de près$! C’est ce que défend Katharine Ricke.

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ASTROPHYSIQUE

Peter Tuthill

La poussière galactique ne se forme que dans des milieux froids. Or les étoiles Wolf-Rayet se consument à des températures record. Ces astres sont pourtant entourés de spirales de poussière…

P. 52

ENVIRONNEMENT

PROTECTION DE L’OCÉAN : L’ART DE FAIRE PARLER LES ÎLES

Frédérique Chlous et Françoise Gaill

Comment mobiliser tous les savoirs pour améliorer la résilience du milieu marin$?

P. 59

SCIENCE ET SOCIÉTÉ

« IL FAUT PRENDRE EN COMPTE LE PRÉJUDICE DE L’ESTUAIRE » En couverture : © Varunyuuu/Shutterstock ; © asharkyu/Shutterstock Les portraits des contributeurs sont de Seb Jarnot Ce numéro comporte un courrier de réabonnement posé sur le magazine sur une sélection d’abonnés.

Entretien avec Marine Calmet

Des juristes se penchent sur l’estuaire de la Gironde, pris entre intérêts humains et enjeux environnementaux.


RENDEZ-VOUS

P. 80

LOGIQUE & CALCUL

PAVER BEAUCOUP, MAIS PAS INFINIMENT

Jean-Paul Delahaye Certaines formes pavent le plan jusqu’à l’infini. Plus difficiles à découvrir sont celles qui le font seulement sur une (grande) partie finie.

P. 62

ÉTHOLOGIE

P. 86

LA VIE INTÉRIEURE DES INSECTES

ART & SCIENCE

Les métamorphoses du cristal

Lars Chittka

Loïc Mangin

Les insectes sont beaucoup plus complexes sur le plan cognitif qu’on ne le pensait jusqu’à présent. Une révélation qui pose d’importantes questions éthiques.

P. 88

IDÉES DE PHYSIQUE

Un baril plein de sons Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik

P. 24

BIOPHYSIQUE

P. 72

HISTOIRE DES SCIENCES

PLINE L’ANCIEN : DEUX MILLE ANS ET TOUJOURS D’ACTUALITÉ

Stéphane Schmitt

En l’an 23 naissait Pline l’Ancien, connu pour sa mort spectaculaire lors de l’éruption du Vésuve de 79, mais aussi et surtout pour sa monumentale Histoire naturelle, où il recense tous les savoirs de son temps sur les objets naturels et leurs usages. Deux mille ans plus tard, cet ouvrage a encore beaucoup à nous apprendre.

CE QUE LE SON FAIT AUX PLANTES

Frédérick Garcia, Bruno Moulia et Adelin Barbacci

Parler à ses plantes, les baigner dans un environnement musical… Serait-ce une des clés de ceux qui ont la « main verte » ? Entre expérimentations sonores dans les champs et expériences en laboratoire, pas à pas, la sensibilité des plantes aux sons commence à être élucidée. Déjà, surgissent des questions vertigineuses. Le son aurait-il un rôle dans l’adaptation des plantes à leur environnement ?

P. 92

CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION

D’où vient la méduse!? Hervé Le Guyader

P. 96

SCIENCE & GASTRONOMIE

De bons fumets sans enfumage Hervé This

P. 98

À PICORER

POUR LA SCIENCE N° 554 / DÉCEMBRE 2023 /

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ÉCHOS DES LABOS

BIOLOGIE CELLULAIRE

COMMENT LE CŒUR SE MET À BATTRE P.!6 Échos des labos P.!16 Livres du mois P.!20 Disputes environnementales P.!22 Les sciences à la loupe

Les premiers battements du cœur de poissons-zèbres émergent en réponse à une activité électrique et se propagent vite à l’ensemble des cellules cardiaques.

L

e premier battement de cœur est un événement unique dans une vie. Si le fonctionnement de cet organe vital est largement étudié depuis des siècles par les scientifiques, les mécanismes qui conduisent à ce moment fondateur sont encore mal compris. Bill Jia et ses collègues, de l’université et de l’école de médecine de Harvard, aux États-Unis, viennent de décrire ce qui se passe in vivo dans des embryons de poissons-zèbres, grâce à des techniques optiques de pointe, rendues possibles par la transparence de ces animaux. Récemment, les spécialistes ont constaté que les «$premiers battements de cœur$» se manifestent même avant la contraction des cellules cardiaques$: ils prennent la forme de pics de libération 6 / POUR LA SCIENCE N° 554 / DÉCEMBRE 2023

d’ions calcium à travers la membrane de ces cellules. Ces pics ont été décrits par exemple chez des embryons de souris, avant même la formation du tube cardiaque primitif. «$Cette nouvelle étude,

Certaines cellules imposent leur rythme aux autres techniquement très fine, permet d’observer comment ces vagues de calcium s’organisent et se propagent dans les cardiomyocytes, les cellules embryonnaires du cœur, pour créer les premiers

battements de cœur$», apprécie Lucile Miquerol, spécialiste du contrôle génétique du cœur à l’Institut de biologie du développement, à Marseille. Grâce à une technique qui suit in vivo l’état électrique et électrochimique des cellules, les chercheurs ont observé chez des poissons-zèbres, environ vingt heures après la fécondation, l’apparition soudaine de vagues de calcium, au moment où les cardiomyocytes convergent pour former un anneau constituant la première structure cardiaque. Irrégulières au départ, ces vagues de libération de calcium, qui s’étendent sur l’anneau entier, deviennent rapidement à la fois plus fréquentes et plus régulières, conduisant ensuite à la contraction synchronisée des cellules embryonnaires cardiaques. Comment ces cellules se mettentelles à battre, pour atteindre un état oscillatoire synchronisé$? En utilisant des poissons-zèbres génétiquement modifiés, l’équipe a constaté qu’une dépolarisation électrique des cardiomyocytes précède la libération du calcium. Cette

© Micha Weber/Shutterstock

Comme la larve de poissonzèbre est transparente, les chercheurs sont en mesure d’observer assez facilement le développement du cœur (marqué par un point rouge) et ses premiers battements.


NEUROSCIENCES

dépolarisation, dont l’origine reste à préciser, agirait sur des canaux ioniques à la surface des cellules dont l’ouverture rend alors possible la circulation des ions calcium. La libération du calcium se propage et provoque la dépolarisation des cellules voisines de proche en proche. Dans le cœur adulte, la synchronisation des contractions, nécessaire pour éviter toute arythmie, est contrôlée par une zone précise appelée «$pacemaker$». Qu’en est-il chez l’embryon$? Les cellules qui se mettent à battre en premier semblent aléatoires, et spatialement non situées dans la zone du futur pacemaker. «$Certaines cellules imposent leur rythme aux autres. De manière intéressante, on observe que cela fonctionne comme dans le cœur adulte$: ce sont les cellules qui battent le plus vite, avec la fréquence la plus élevée de pics de calcium, qui prennent le dessus. Par la suite, le pacemaker, qui bat encore plus rapidement grâce à d’autres types de canaux ioniques, imprimera son rythme$», pointe Lucile Miquerol. Cette compétition entre différents oscillateurs et le contrôle des battements par une activité électrique, ici décryptés en détail, ont été suggérés chez d’autres espèces telles que la souris et le poulet. Il s’agirait donc probablement de mécanismes conservés chez les vertébrés. «$Avec ces résultats, nous reconstituons de mieux en mieux les premières étapes du fonctionnement du cœur, ce qui devrait permettre de comprendre comment cette succession de vagues, cette synchronisation bioélectrique, conduit moléculairement à une contractibilité en rythme, nécessaire à la circulation sanguine. Cette étape arrive très vite après les premières vagues de calcium chez le poisson-zèbre, avant la mise en place du pacemaker$», souligne Lucile Miquerol. Au-delà des mécanismes précoces des battements du cœur, les chercheurs espèrent déceler les causes de défauts impliquées dans les arythmies du cœur adulte. n Noëlle Guillon

Un sommeil ouvert sur le monde Durant certaines phases du sommeil, nous sommes capables de répondre à des paroles externes, montre une étude récente conduite par Delphine Oudiette. Cette découverte ouvre la voie à une exploration originale des rêves lucides ou des troubles du sommeil, explique la chercheuse de l’Institut du cerveau. Propos recueillis par Sean Bailly DELPHINE OUDIETTE chercheuse en neurosciences cognitives Vous travaillez depuis de nombreuses années sur le rêve lucide. Quelles sont ses spécificités!? Une personne qui fait un rêve lucide a conscience d’être dans un rêve et peut parfois même diriger le déroulement de celui-ci. Mais, plus fascinant, elle est capable d’envoyer des informations depuis son rêve, par exemple, en bougeant les yeux d’une certaine façon. Nous avons montré que les rêveurs lucides semblent aussi avoir conscience du monde extérieur, car ils sont en mesure de répondre à des questions du type!: «!Est-ce que tu aimes le chocolat!?!» Notre équipe à l’Institut du cerveau, avec Lionel Naccache et Isabelle Arnulf, a voulu mener une étude systématique de cette capacité à répondre chez les rêveurs lucides, dans l’espoir d’établir un protocole rigoureux pour interviewer ces personnes en plein rêve. Ces gens sont un peu comme des astronautes, ils explorent un monde auquel nous n’avons pas accès. En leur demandant des informations en direct, nous espérons en savoir plus sur le monde onirique. En quoi consistaient vos expériences!? Nous avons travaillé avec 27 personnes narcoleptiques. Ces gens souffrent d’un trouble du sommeil qui se caractérise notamment par le fait qu’ils s’endorment de façon incontrôlée même en plein jour, en pleine activité. Or les narcoleptiques sont plus souvent des rêveurs lucides que la population générale. L’expérience était simple. Nous demandions aux participants de classer des mots selon qu’ils existent ou sont inventés. Ils devaient sourire ou froncer les sourcils. Ainsi quand un mot est prononcé, nous mesurions l’activité des zygomatiques ou des muscles corrugateurs. Mais nous avons été vite surpris par nos résultats. Qu’avez-vous constaté!? D’abord, nous avons validé l’hypothèse que les dormeurs sélectionnés sont en

mesure de répondre à des stimulations extérieures pendant des fenêtres de temps intermittentes durant le rêve lucide. Mais cette capacité ne se limitait pas à ce seul rêve, qui survient en sommeil paradoxal. Les participants répondaient aussi dans les autres stades du sommeil. Nous nous sommes alors demandé si cette capacité à répondre à des signaux externes existait aussi dans la population générale. Nous avons donc travaillé avec 22 personnes ne présentant pas de troubles du sommeil ni de rêves lucides. Et nous avons observé qu’ils étaient capables de répondre, même si c’est dans une moindre mesure. En termes de fréquence, les personnes narcoleptiques répondent jusqu’à 50!% du temps pendant un rêve lucide. Ce taux de réponse diminue dans les autres phases. Il est de 15 à 20!% dans le stade de sommeil léger. Chez les personnes ne souffrant pas de troubles, il est de 5!%. Quelles sont les perspectives!? Nous n’avons pas encore assez de données pour voir les variabilités de fréquence et de durée d’un individu à un autre des fenêtres d’ouverture sur le monde extérieur. Mais il serait très intéressant de pouvoir regarder si elles sont liées à des pathologies. Par exemple, les personnes insomniaques auraientelles un sommeil émaillé d’un plus grand nombre de ces fenêtres qui les connectent davantage à l’extérieur!? Nous sommes très excités par ce résultat. Ce n’est pas ce que nous cherchions initialement, mais c’est ce qui conduit aux plus belles découvertes. Nous avons là des pistes pour étudier certains troubles du sommeil, mais aussi un outil pour explorer et mieux caractériser le sommeil. Peut-être que cela nous amènera à en proposer une autre définition, avec des marqueurs plus continus afin d’identifier des phases hybrides, incluant ces moments d’ouverture sur le monde éveillé. n

B. Türker et al., Nature Neuroscience, 2023.

B. Z. Jia et al., Nature, 2023.

POUR LA SCIENCE N° 554 / DÉCEMBRE 2023 /

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LES LIVRES DU MOIS - SPÉCIAL NOËL

BIOLOGIE

Initiation à la vie

LES CELLULES

Christian Sardet

Entre art et science, cet ouvrage est une invitation à embarquer en douceur pour un voyage passionnant aux origines du monde vivant.

A

u début du XXe siècle, pour aider ses étudiants à comprendre le vivant, le biologiste français Édouard Chatton avait accompagné ses cours de dessins élégants, précis et didactiques de cellules, plancton et autres microorganismes. Dans la droite lignée, Christian Sardet, qui, comme Chatton, a consacré une grande partie de sa carrière de chercheur à étudier la vie microscopique marine, en participant notamment à l’aventure Tara Océans, offre un magnifique ouvrage où se mêlent ses propres dessins de cellules et calligrammes, d’une grande poésie, accompagnés de textes très éclairants et de tout ce qui peut aider le lecteur à plonger au cœur de la vie&: clichés splendides de microscopie, reconstitutions tridimensionnelles de

ORGANITES & CONDENSATS – LES CREUSETS DU MÉTABOLISME Les cellules eucaryotes, mais aussi certaines bactéries et archées, sont compartimentées. Les compartiments les plus imposants qui s’observent le mieux sous un microscope sont pour la plupart des organites entourés de membranes. Il s’agit des noyaux, des chloroplastes, des mitochondries, des lysosomes, du réticulum endoplasmique et bien d’autres. Ces organites membranaires ont chacun leur(s) fonction(s) et métabolisme(s). Ainsi, à l’intérieur des mitochondries, le cycle de Krebs (un ensemble de réactions chimiques en boucle) dégrade des sucres, des graisses et des protéines pour en récupérer de l’énergie et des métabolites (voir pp. 130-131). Et, à l’intérieur des chloroplastes (les organites membranaires photosynthétiques) les protéines-enzymes du cycle de Calvin fixent le CO2 pour fabriquer des sucres grâce à l’énergie produite par photosynthèse (8 photons lumineux produisent 6 ATP). On sait depuis les années 1970 que ces deux types d’organites membranaires et ces voies métaboliques essentielles des cellules eucaryotes ont été hérités de bactéries et de cyanobactéries (voir chap. IV). Nombre de voies métaboliques et de voies de synthèses de macromolécules se déroulent aussi à l’intérieur de compartiments cellulaires qui ont l’aspect de granules qui ne sont pas entourés de membranes. Depuis une dizaine d’années, ces compartiments granulaires sont appelés des condensats biomoléculaires. Les plus visibles des condensats sont les nucléoles, de larges granules à l’intérieur du noyau dans lesquels sont produits les ribosomes et leurs ARN. Les condensats biomoléculaires sont constitués de l’association dynamique de protéines, d’ARN et d’autres molécules partenaires. Ces molécules, dont des protéines dites « intrinsèquement désordonnées » douées d’une grande plasticité, s’auto-assemblent en agrégats dynamiques qui sont une caractéristique des condensats biomoléculaires. Les condensats sont sujets à des changements de phase liquide-liquide à la manière de mélanges et émulsions d’huile et d’eau. Comme des gouttelettes de ces émulsions, les condensats se forment, fusionnent, se scindent ou disparaissent selon les circonstances de l’environnement cellulaire. Ainsi, lorsque des cellules humaines ou des levures sont privées d’oxygène, les protéines et ARN impliqués dans la glycolyse se réorganisent en condensats appelés granules G. Les molécules (protéines, ARN, ATP, métabolites) s’associent aussi en condensats pour structurer le cytoplasme et contrôler des voies métaboliques comme la glycolyse. Des condensats se forment également à l’intérieur et à l’interface avec des membranes, des chromosomes et des organites. Il faut considérer les condensats comme des creusets dans lesquels se déroulent des réactions chimiques du métabolisme, des échanges d’informations et des interactions entre molécules et entre nanomachines. Pour ces raisons, les condensats biomoléculaires sont en passe de révolutionner notre vision des cellules même si les règles d’auto-organisation des molécules en condensats et leurs fonctionnements demeurent fort énigmatiques.

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Les moteurs de la vie

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LES CELLULES Une histoire de la vie Préface Éric Karsenti

COUP DE CŒUR DE LA RÉDACTION

cellules, de virus ou même de molécules, arbres du vivant… Car c’est finalement l’objet de ce livre, comme le souligne le biologiste Éric Karsenti dans sa préface&: «&Tenter de faire comprendre au plus grand nombre ce qu’est la vie, sa relation à l’environnement, l’intrication profonde du monde vivant avec l’évolution de notre planète, le système solaire et l’Univers en général.&» En suivant ce fil, Christian Sardet nous entraîne avec pédagogie et enthousiasme des poussières d’étoiles aux cellules qui constituent les organismes actuels en passant par leurs composants chimiques, les forces qui ont conduit à leur assemblage, les molécules et machineries qui garantissent leur fonctionnement&; mais aussi les toutes premières protocellules,

Les Cellules. Une histoire de la vie Christian Sardet, Ulmer, 2023. 224 pages, 35 euros

l’immense variété des organismes unicellulaires et pluricellulaires, les relations qu’ils entretiennent et les principales étapes de leur périple&: la reproduction, le vieillissement et la mort. Que l’on se passionne déjà pour la biologie ou que l’on soit novice, qu’on lise d’une traite ou que l’on butine, on entre dans ce livre comme on ouvrirait un coffre aux merveilles. Et on en ressort en ayant un peu mieux compris pourquoi il est si difficile de définir la vie. Et avec une idée plus claire de ce que ce terme signifie. MARIE-NEIGE CORDONNIER

ORGANITES MEMBRANAIRES ET CONDENSATS

Une cyanobactérie dont les membranes photosynthétiques (en vert) capturent les photons. Dans le cytoplasme, le chromosome ❙ et 4 carboxysomes (les polyèdres jaunes) qui sont des condensats biomoléculaires faits de protéines-rubisco qui capturent le CO2.

La théorie de l’évolution et les premiers arbres de vie

Une vue partielle d’une cellule eucaryote végétale. Elle possède 2 chloroplastes ● et 2 mitochondries ●, deux types d’organites membranaires qui sont des centrales énergétiques. Une demi-douzaine de condensats biomoléculaires sous forme de granules sont représentés dans le cytoplasme. À l’intérieur du noyau, on distingue des chromosomes ❙ et un nucléole (granules rouges et ocre) un volumineux condensat biomoléculaire, lui-même compartimenté, à l’intérieur duquel sont fabriqués et assemblés des ARN ribosomaux et des ribosomes.

Comprendre comment relier les êtres vivants entre eux à partir de caractères communs partagés est le passetemps favori des biologistes. Cette tradition est révolutionnée au xviiie siècle par le savant suédois Carl Von Linné qui commence à classer systématiquement et à nommer les plantes et les animaux dans son Systema Naturae (1735). Un siècle plus tard, Charles Darwin revient en Angleterre après 5 années d’expédition en Amérique du Sud à bord du Beagle. L’expédition était consacrée à la recherche des preuves de l’existence de Dieu dans un monde que l’on croyait alors âgé de moins de 6$000 ans. Darwin, qui a découvert des fossiles au sommet des montagnes et été témoin de tremblements de terre, a compris le rôle des bouleversements géologiques et des extinctions. Il a acquis la conviction que le monde est beaucoup plus ancien et il a l’intuition d’une évolution du vivant arborescente à partir d’un ancêtre commun. Après le retour du Beagle en Angleterre en 1836, Darwin fait une première représentation dessinée de l’arbre de vie dans un de ses carnets. Il réfléchit sur ses observations et ses expériences et développe alors les grandes lignes de sa théorie révolutionnaire de l’évolution grâce à la sélection naturelle. Darwin et l’un de ses contemporains, Alfred Wallace, proposent en 1859 que les pressions de sélections naturelles ambiantes ou d’élevage effectuent un tri des individus les plus aptes dans une population. Cela s’applique aux organismes pluricellulaires comme les animaux et plantes, mais aussi aux populations de cellules. Ainsi lorsqu’une population de bactéries est traitée par des antibiotiques, seules quelques bactéries individuelles qui développent des mécanismes moléculaires de résistance aux antibiotiques survivent. Ces bactéries mutantes sont ainsi naturellement sélectionnées dans la population et leurs descendantes constituent une nouvelle population résistante. À la fin du xixe siècle, rendre compte de l’évolution en dessinant des arbres de vie et les caractères anatomiques des organismes devient l’obsession de nombreux naturalistes et en particulier d’Ernst Haeckel. Haeckel publie plus d’une centaine de représentations diverses d’arbres de vie jusqu’à sa mort en 1905. Fasciné par la biodiversité, Haeckel dessine d’innombrables protistes et animaux. Les planches publiées dans Kunstformen des Natur (Formes artistiques de la Nature, 1904) sont des chefs d’œuvre d’élégance célébrant la fusion de l’art et de la science.

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CHARLES DARWIN DESSINE UN PREMIER ARBRE DE VIE Auteur de L’origine des espèces (1852), Charles Darwin, esquisse en 1837 le fameux « I think » dans son carnet de notes sur la transmutation des espèces. Ce premier dessin concept de l’arbre de vie postule que toute la vie descend d’un ancêtre commun. La vie s’est ensuite diversifiée en plusieurs branches. Certaines sont en évolution active, d’autres se sont éteintes, victimes d’extinctions (A, B, C, D figurées par les barres en bout des branches). Traduction du texte de la main de Darwin accompagnant son dessin : « Je pense qu’une nouvelle génération devrait avoir autant de vivants que maintenant. Pour ce faire et pour avoir autant d’espèces dans le même genre (comme c’est le cas), il faut une extinction. Ainsi entre A et B, l’écart de relation est immense, moindre entre C et B et l’écart plus grand encore entre B et D. Ainsi différents genres d’organisme seraient formés ».

LES ARBRES DE VIE AU XIX E, L’OBSESSION DE ERNST HAECKEL Les dessins de Haeckel (celui-ci est daté de 1866) illustrent la diversité des règnes animaux et végétaux et des êtres unicellulaires, les protistes, un nom inventé par Haeckel (inspiré du grec protos « tout premier »). Ces trois règnes du vivant dérivent d’un ancêtre commun à la base de l’arbre — les monères, des sortes d’amibes primordiales.

ART & SCIENCES – ERNST HAECKEL Ernst Haeckel popularise le monde des protistes à travers ses planches artistiques. Sont représentées ici différentes Desmidiées qui sont riches en chloroplastes verdâtres. Ces micro-algues dont on connaît environ 5 000 espèces vivent dans les eaux douces acides.

Qu’est-ce que la vie ?

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HISTOIRE DES SCIENCES

GÉOGRAPHIE

INSTITUT DE PHYSIQUE DU GLOBE DE PARIS Collectif

ATLAS DE L’ANTARCTIQUE Peter Fretwell

La Martinière/IPGP, 2023 &208 pages, 35 euros

S

ous-titré Cent ans de sciences pour la planète, cet ouvrage retrace les différentes étapes de la construction de l’IPGP. L’épopée de cet extraordinaire établissement académique – ses chercheurs ont tant contribué aux géosciences&! – illustre les forts liens entre recherche fondamentale et enjeux de société. Ses chapitres courts, ses textes didactiques et ses illustrations tirées de travaux scientifiques, ouvrent au grand public les portes de l’IPGP de toutes les époques. L’aventure humaine relatée illustre une fois de plus que l’interdisciplinarité est essentielle pour expliquer l’Univers qui nous entoure. Quelques chapitres déclinent les découvertes majeures auxquelles l’IPGP a contribué depuis la caractérisation des enveloppes terrestres et la compréhension de leur dynamique jusqu’à l’exploration de la structure interne de Mars. L’étude du magnétisme terrestre couplée aux informations sur les propriétés physiques de notre planète interne, fournies par la propagation des ondes sismiques et les signatures chimiques et isotopiques des roches issues des profondeurs, a permis de comprendre la dynamique du noyau, celle du manteau et la tectonique des plaques. Par ailleurs, l’étude des météorites a apporté des informations cruciales sur la formation du système solaire et de ses planètes. Cette approche intégrant les échelles de temps et d’espace de la seconde au milliard d’années, de l’atome à la planète, apporte également un éclairage sur tous les aspects de la géologie et de la planétologie. Au-delà, cette approche multidisciplinaire ouvre aussi des perspectives pour prévenir les grands risques géologiques et s’agissant de la transition énergétique. L’histoire de l’IPGP illustre l’importance d’une recherche académique à la fois indépendante et ancrée dans la société. OLIVIER VANDERHAEGHE

Université de Toulouse

Armand Colin, 2023 &220 pages, 35 euros

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e continent antarctique a été découvert le dernier, en 1819. Il est toujours le moins connu et le moins hospitalier, habité temporairement par des techniciens et des scientifiques de multiples pays. Longtemps, on l’a supposé à l’abri du réchauffement climatique, du fait de l’inertie thermique des 2 kilomètres de glace, posés sur son substrat rocheux. Selon des données récentes, l’Antarctique a en fait perdu 7,5 trillions de tonnes de glace en vingt-cinq ans. Ce continent se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde, ce qui pourrait élever le niveau mondial de la mer de façon potentiellement considérable. Cet atlas a été conçu par un habile cartographe du British Antarctic Survey, connu pour avoir mis en évidence de nombreuses colonies de manchots empereurs, au point de doubler l’effectif connu jusqu’alors. Pour réaliser cet ouvrage, il a sollicité les lumières de maints spécialistes. Le résultat éditorial est remarquable de pédagogie. Chaque thème est traité à partir d’une ou deux cartes face à une page de texte explicatif, démarche donc très facile à suivre. De multiples domaines connectés à ce lieu mythique sont résumés et illustrés comme la géologie, la météorologie, la glaciologie, la zoologie ainsi que des sujets divers comme l’exploration, les revendications territoriales, le tourisme, le trou d’ozone, etc. Y sont consacrées quelques pages à la recherche française sur ce milieu extrême, car elle est loin d’être négligeable&! Je suis d’autant plus surpris que l’auteur, qui se veut encyclopédique, n’ait pas commenté ce qui me paraît le plus original&: son statut unique de seul continent n’appartenant à aucune nation, voué à la paix et la science, protégé de l’exploitation des ressources minérales au moins jusqu’en 2048. Sujet trop délicat pour un fonctionnaire de l’organisme de recherche antarctique britannique&? PIERRE JOUVENTIN CNRS (émér.)

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BIOPHYSIQUE

L’ESSENTIEL > Même si on ignore encore comment, les plantes perçoivent les sons. > Des effets bénéfiques sur leur croissance et leur physiologie, notamment leur immunité, ont été constatés. Ils sont associés à des mécanismes géniques identifiés.

LES AUTEURS > Plusieurs mécanismes moléculaires de perception sont proposés. Une nouvelle communauté de chercheurs en écologie et en biologie se structure pour explorer ces étonnantes capacités perceptives.

FRÉDÉRICK GARCIA spécialiste de l’intelligence artificielle, au sein de l’unité Miat (Inrae, Toulouse)

BRUNO MOULIA biomécanicien au laboratoire Piaf de ClermontFerrand (Inrae)

ADELIN BARBACCI biomécanicien au laboratoire des interactions plantesmicrobes-environnement de Toulouse (Inrae/CNRS)

Ce que le son fait aux plantes Parler à ses plantes, les baigner dans un environnement musical… Serait-ce une des clés de ceux qui ont la « main verte » ? Entre expérimentations sonores dans les champs et expériences en laboratoire, pas à pas, la sensibilité des plantes aux sons commence à être élucidée. Déjà, surgissent des questions vertigineuses. Le son aurait-il un rôle dans l’adaptation des plantes à leur environnement ?

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es plantes perçoivent-elles des sons"? Si oui, comment"? Communiquent-elles ainsi entre elles ou avec des animaux"? Autant d’interrogations a priori bien saugrenues pour un biologiste… En tout cas bien loin, à première vue, des grandes questions que se posent aujourd’hui les chercheurs en biologie végétale, qui portent surtout sur la régulation génétique, l’évolution, la croissance, le développement ou l’immunité. Même Charles Darwin et son fils Francis, dont les travaux rayonnent encore par leur pertinence et leur liberté, ne se sont pas intéressés au sujet de la perception du son par les organismes végétaux. À leur décharge, au XIXe siècle, le gramophone balbutiait ses premières notes. Et les plantes ne présentent pas d’organe auditif évident à nos yeux, pas plus qu’elles ne réagissent aux sons de manière visible. Pourtant, depuis des millénaires, des sociétés ont intégré chants et musiques dans

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leurs pratiques agraires. Les Bunun, de Taïwan, entonnent un chant polyphonique ancestral, le pasi but but, pour stimuler la croissance du millet. À l’est de l’île de Florès, en Indonésie, des chants rituels accompagnent les semailles et les autres étapes de la culture du riz. Au-delà de ces coutumes, l’idée selon laquelle les plantes seraient sensibles aux sons, aux mélodies ou à la voix est ancrée dans l’inconscient collectif. Dans les années 1960-1970, il n’est pas rare de trouver un rayon de «"musique pour plantes"» dans les bacs de vinyles. En 1976, le compositeur Mort Garson enregistre un album de musique électronique, Mother Earth’s Plantasia, qui sortira de l’ombre beaucoup plus tard, dans les années 2000, pour devenir un des albums star de la musique électronique sur YouTube. Son message initial était": «"Une musique chaleureuse pour les plantes… et les gens qui les aiment."» Le disque était offert aux acheteurs d’une plante verte dans une jardinerie de Los Angeles. En 2016,

Les déplacements des feuilles de l’arabette des dames sont étudiés dans des chambres anéchoïques, dont les parois absorbent les ondes acoustiques.


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© emre topdemir/Shutterstock ; © Vasiliy Koval/Shutterstock


BIOPHYSIQUE CE QUE LE SON FAIT AUX PLANTES

l’artiste David Edren, avec son album Music for Mimosa Pudica & Codariocalyx, s’est inscrit dans cette veine de la création musicale, qui promet une musique relaxante pour les plantes comme pour les hommes. Cette mode perdure aujourd’hui, et se complète désormais d’expériences de communion plantes-humains passant par les musiques produites par les plantes elles-mêmes. De petits

Des expériences pionnières montrent un effet variable selon les espèces

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dispositifs électroniques comme le PlantWave, de l’entreprise californienne Data Garden (anciennement MIDI Sprout), traduisent en musique l’activité électrique captée à la surface des plantes. Des milliers de boîtiers ont été vendus dans le monde. La curiosité des amateurs et les initiatives artistiques et commerciales se sont doublées, au début des années 1970, d’expérimentations simples. En 1973, la musicienne Dorothy Retallack, à l’université de Denver, aux ÉtatsUnis, étudie par exemple l’effet de différents styles de musique sur la croissance des plantes. Les résultats sont étonnants": alors que la diffusion durant vingt-cinq minutes de pièces jouées au violon indien augmente à terme le nombre de branches du Mimosa pudica – une plante connue pour les mouvements de ses feuilles visibles à l’œil nu –, I want to hold your hand, des Beatles, n’a pas d’effet. Ces approches un peu naïves, confondant musique et son, stimulent néanmoins la communauté scientifique. Quelques pionniers solitaires commencent à s’intéresser de manière plus rigoureuse à la question du son et des plantes.

et Mary Measures, de l’université d’Ottawa, au Canada. Dans un premier temps, différentes équipes s’engagent dans l’exploration des impacts de sons audibles pour les humains, autrement dit à une fréquence en dessous de 20 kilohertz (kHz) – un hertz est un mouvement répété chaque seconde –, sur la croissance, le développement et les réponses physiologiques de plantes, cultivées sous couvert ou en plein champ. À différents moments de leur cycle végétatif, ils les soumettent à des sons purs bien caractérisés. Ils font varier la fréquence (de quelques centaines à quelques milliers de hertz), l’intensité (souvent élevée, jusqu’à 100 décibels, ou dB, le bruit d’un klaxon), la durée (de quelques secondes à plusieurs heures, voire plusieurs jours). Les résultats sont, à nouveau, surprenants. Les chercheurs observent un impact généralement positif des sons sur la croissance des plantes, légumes et fruits cultivés comme l’orge, le blé, le riz, le chou, les concombres, les haricots, les tomates, les fraises, le coton, le tabac, etc. Et cela tout au long de la vie de la plante. Le son augmente par exemple le taux de germination, la hauteur de la tige, l’élongation et l’orientation des racines ou encore la résistance aux maladies. Selon ces expériences pionnières, l’effet est variable selon les espèces. Il dépend de la fréquence, de la durée et du moment de la journée auquel a lieu la stimulation. À la suite de ces travaux prometteurs, très vite, des systèmes de diffusion sonore sont proposés aux agriculteurs pour protéger ou stimuler leurs cultures. Ainsi, aux États-Unis, l’agronome Dan Carlson développe et commercialise dès les années 1970 le Sonic Bloom": l’appareil est censé favoriser la croissance via l’ouverture des stomates, ces petites bouches d’aération à la surface des feuilles par lesquelles ont lieu les échanges gazeux, indispensables à la photosynthèse. Revers de la médaille, cela augmente aussi les pertes en

Les premiers chercheurs défrichant le domaine étudient ces effets dans un but applicatif. Dans les années 1960-1970, des botanistes, agronomes, biologistes des plantes, cherchent à évaluer expérimentalement l’impact des ondes sonores sur les cultures. Citons T. C. N. Singh, physiologiste et responsable du département de botanique de l’université d’Annamalai, en Inde, ou encore Pearl Weinberger 26 / POUR LA SCIENCE N° 554 / DÉCEMBRE 2023

Dans cette ferme maraîchère à Hawaii, le dispositif Sonic Bloom, de l’agronome Dan Carlson, diffuse des sons réputés favoriser la croissance des cultures.

© Dan Carlson

EXPÉRIENCES PIONNIÈRES


eau par transpiration. Changement d’échelle": à partir des années 1990-2000, les instituts de machinisme agricole chinois de Qingdao et de Dalian développent et testent des générateurs d’ondes sonores qu’ils expérimentent en plein champ sur des surfaces de plusieurs hectares. Le système Plant Acoustic Frequency Technology (PAFT) de Qingdao présente huit niveaux de fréquence entre 60 et 2"000 Hz et est à même de créer des pressions sonores de 50 à 120 dB à 100 mètres du dispositif"! La France n’est pas en reste": la société Genodics propose depuis 2008 d’installer chez les agriculteurs et les maraîchers des boîtiers audio diffusant des mélodies sonores pour renforcer et soigner les plantes cultivées. Pourtant, ces innovations, qui ont bel et bien trouvé un marché, bien que limité, ne reposent sur aucun fondement scientifique. Les premières observations à l’échelle cellulaire datent du début des années 2000, grâce en particulier aux travaux de chercheurs comme Bochu Wang, Hucheng Zhao ou Liu Yiyao, de

l’université chinoise de Chongqing. Leurs résultats établissent que des ondes sonores dans le domaine de l’audible ont un impact sur des microfilaments d’actine, constituants essentiels du cytosquelette des cellules": elles sont susceptibles de les réarranger et de modifier leur densité. Elles altèrent également la déformabilité et la structure des membranes. Enfin, les chercheurs chinois observent que les sons peuvent augmenter la concentration en ions calcium dans les cellules. Ces derniers sont des messagers primordiaux chez les végétaux": ils modifient l’expression de certains gènes ainsi que l’activité et la conformation des enzymes impliquées dans la régulation de différentes hormones (auxine, cytokinines, acide abscissique), fondamentales pour la croissance et le développement des plantes.

DE SURPRISE EN SURPRISE

Il faudra attendre une dizaine d’années pour que, vers 2010, portée par l’accroissement rapide du nombre de publications

TROIS MÉCANISMES DE PERCEPTION DU SON "1

"2

LES TRICHOMES Sans son

Avec son

LES MICROTUBULES Sans son

Avec son

surpression (~1 Pa)

Réorganisation dans la direction des contraintes créées par le son

"3

LES CANAUX IONIQUES

© Pour la Science, d’après A. Barbacci et al.

Sans son

Ions

Récepteurs Cellule

Avec son

Membrane

Perception 10 nm

À la question « Comment les plantes perçoivent le son ? », la communauté scientifique répond unanimement « On ne sait pas ! ». Mais quelques pistes ont été proposées. Celle des trichomes (1) par exemple. Ces petits poils à la surface des feuilles et des tiges de certaines plantes pourraient vibrer à des fréquences particulières au-delà de 1 000 Hz, et conduire à des variations de tension dans la paroi, induisant la perception acoustique. Celle-ci est susceptible, aussi, d’être le fait de l’ouverture des canaux mécanosensibles qui traversent la membrane cellulaire (3). Les microtubules, ces petits filaments de 25 nanomètres, tapissant l’intérieur des cellules (2) et très sensibles aux fluctuations de tension, sont également des candidats réalistes.

UNE MÉMOIRE VÉGÉTALE IMMUNITAIRE Les déplacements des feuilles lors de stimulations sonores sont associés à la modulation de l’expression d’environ 30 % du génome de la plante (10 000 gènes sur 29 000). Si l’on répète ces stimulations, la plupart des gènes modulés (en pourcentage du total, ci-dessous) sont différents d’une fois sur l’autre. Cette mémoire transcriptionnelle est à même de rendre la plante, après quelques stimulations, plus résistante aux maladies. 1 stimulation sonore

25 %

3 stimulations sonores

2%

4%

15 % 18 %

6% 30 %

8 stimulations sonores

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ASTROPHYSIQUE

L’ESSENTIEL > Certaines étoiles très massives terminent leur vie dans une phase dite «!Wolf-Rayet!». Ces astres sont parmi les plus chauds et les plus rares de l’Univers. > De façon étonnante, les étoiles Wolf-Rayet produisent de grandes quantités de

L’AUTEUR poussière, formées d’ordinaire dans des conditions relativement froides. > Grâce aux observations les plus récentes, les chercheurs ont affiné leur compréhension de ces astres. Mais de nouvelles énigmes apparaissent.

PETER TUTHILL astronome à l’université de Sydney, en Australie

Les spirales paradoxales des étoiles Wolf-Rayet La poussière galactique ne se forme que dans des milieux froids. Or, phase ultime des étoiles massives en fin de vie, les étoiles Wolf-Rayet se consument à des températures record. Et pourtant, les observations les plus récentes révèlent que ces astres sont entourés de spirales de poussière.

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es astronomes ont tendance à user de superlatifs lorsqu’ils parlent des étoiles connues sous le nom de Wolf-Rayet. Elles comptent parmi les plus grandes, les plus chaudes et les plus rares de l’Univers. On pense que ces astres constituent la phase finale et éphémère de la vie des étoiles les plus massives, celles qui commencent leur existence avec une masse comprise entre 20 et plus de 200 fois celle du Soleil. La durée de vie d’une étoile dépend de sa masse%: plus elle est massive, plus son histoire est courte. Ainsi, les poids lourds, de couleur bleue et très lumineux, brûlent très vite leurs vastes réserves d’hydrogène, en au plus une centaine de millions d’années, à comparer aux dix milliards d’années de vie du Soleil. Au cours de leur brève existence, les étoiles géantes éjectent d’énormes quantités de matière formant des vents qui se propagent à des vitesses stupéfiantes. Lorsqu’elles n’ont

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plus de carburant, elles s’effondrent sous l’effet de leur propre gravité et explosent dans des événements cataclysmiques que nous observons sous le nom de supernovæ. Leur nature extrême fait que ces objets célestes se regroupent à une extrémité du diagramme de Hertzsprung-Russell. Cette carte fondamentale de l’astronomie répertorie les étoiles en fonction de leur luminosité et de leur température. Les étoiles Wolf-Rayet se situent au-dessus et au-delà de la «%séquence principale%» du diagramme, où se concentre la majorité des étoiles ordinaires. Ces monstres sont boursouflés sous l’effet de leur température de surface qui atteint 200%000 degrés, soit près de 30 fois celle du Soleil. La phase Wolf-Rayet, qui correspond à la fin de vie de certaines étoiles massives, se caractérise par l’absence d’hydrogène, totalement consumé. La pression exercée par la masse de l’astre est suffisante pour enclencher la combustion de l’hélium, ou d’éléments plus lourds


© Observatoire W. M. Keck/Peter Tuthill

Un panache de poussière spiralé s’échappe du système binaire WR 104, vu dans l’infrarouge.

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tels que le carbone ou l’oxygène. C’est cette combustion qui rend ces astres si chauds. Mais ces processus ne fournissent qu’un modeste répit à l’étoile. Ainsi, la durée de vie des étoiles Wolf-Rayet se mesure en millions d’années et parfois beaucoup moins. Un battement de cils comparativement à la durée de vie du Soleil. Et alors que les astres massifs sont déjà des exceptions parmi les différents types d’étoiles, les Wolf-Rayet sont doublement rares%: elles représentent environ une étoile sur un milliard. Bien que leur luminosité les rende faciles à repérer par les télescopes, nous n’en connaissons que quelques centaines dans toute la Voie lactée. Ces étoiles sont la source de nombreuses énigmes. La plus étonnante est que ces astres produisent de gigantesques quantités de poussière. Le gaz expulsé dans le milieu interstellaire ne se condense en poussière que si les températures sont suffisamment basses. Dès lors, la production de la poussière par les étoiles WolfRayet revient à se demander comment fabriquer des flocons de neige en enfer%! Ces dernières décennies, avec mes collègues, nous avons compris comment cela était possible. Mais les étoiles Wolf-Rayet ne se dévoilent pas si facilement. Les observations récentes du télescope spatial JWST nous posent de nouveaux défis.

Une image infrarouge prise par le télescope JWST (à gauche) montre les coquilles imbriquées de poussière émises à chaque fois que les deux étoiles du système binaire WR 140 se retrouvent au plus près, tous les huit ans. La simulation numérique (à droite) reproduit très fidèlement les observations.

NAISSANCE D’UNE ÉNIGME

En 1876, lorsque les astronomes français Charles Wolf et Georges Rayet se sont intéressés à trois étoiles atypiques de la constellation du Cygne, la spectroscopie n’en était qu’à ses balbutiements. Cette technique consiste à étudier les objets astronomiques en décomposant leur lumière en ses différentes couleurs. Wolf et Rayet avaient analysé assez d’étoiles pour savoir qu’il se passait quelque chose de très étrange avec ces trois astres. Les étoiles ordinaires comme le Soleil ont des spectres presque continus composés de toute la gamme des couleurs visibles. Dans ces spectres, on distingue des lignes sombres, étroites et fines qui représentent les longueurs d’onde absorbées par les éléments chimiques présents dans le gaz chaud des étoiles. On parle de «%spectre d’absorption%» et l’examen de ces raies donne accès à la composition chimique des astres. Les trois étoiles du Cygne semblaient être d’une tout autre nature%: leur spectre présentait uniquement des Spectre du Soleil

Spectre de WR 137

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Le spectre électromagnétique du Soleil est typique de la plupart des étoiles. Il contient des raies sombres, correspondant aux longueurs d’onde qui sont absorbées par les éléments composant l’astre. Dans les étoiles Wolf-Rayet, comme ici WR 137, le spectre ne contient que des fines raies d’émission. Cette spécificité est restée longtemps inexpliquée.

bandes étroites de couleurs vives (on parle de «%spectre d’émission%»). Au cours des décennies suivantes, si les astronomes ont commencé à mieux comprendre les spectres de tous les astres, ceux des étoiles Wolf-Rayet sont restés une bizarrerie inexplicable. Ce mystère était si fascinant qu’il a capté l’attention de nombreux scientifiques tel Ralph Copeland. En 1884, cet astronome anglais effectua une expédition sur les rives du lac Titicaca, au Pérou, avec du matériel d’observation transporté à dos de mules. Il y découvrit par hasard l’étoile γ Argus (Gamma Argus, aujourd’hui connue sous le nom de Gamma Velorum), dont «%la ligne intensément brillante dans le bleu et le magnifique groupe de trois lignes brillantes dans le jaune et l’orange en font le spectre incomparablement le plus brillant et le plus frappant de toute la voûte céleste%». Copeland était sous le charme%: «%L’extraordinaire beauté de ce spectre… m’a conduit à consacrer une partie considérable de mon temps à des suivis plus ou moins systématiques du voisinage de la Voie lactée.%» Il a fini par en trouver cinq autres. Bien qu’aucune ne soit aussi spectaculaire que γ Velorum, cet effort avait plus que doublé le catalogue des Wolf-Rayet connues à l’époque. Pendant près de cinquante ans, le phénomène Wolf-Rayet est resté «%une porte qui n’a pas encore été ouverte et dont la clé est si curieuse que nous ne savons même pas comment l’insérer dans la serrure%», comme l’a écrit l’astronome américain Donald Menzel en 1929. Mais au cours des années 1930, diverses études ont permis de comprendre progressivement la physique de ces étoiles. Lors de leurs travaux pionniers, Wolf et Rayet avaient évoqué des «%vapeurs incandescentes%» pour expliquer les propriétés des trois étoiles du Cygne. Ils étaient sur la bonne voie, mais les astronomes avaient

© Nasa/ESA/CSA/STScI/Lau et al., 2022 (spectres) ; Shashank Dholakia/Peter Tuthill (WR 140, à gauche) ; Yinuo Han/Peter Tuthill (à droite)

ASTROPHYSIQUE LES SPIRALES PARADOXALES DES ÉTOILES WOLF-RAYET


© Sayo Studio

Or cette durée correspond aussi à la période de révolution du système binaire que l’étoile WolfRayet compose avec une autre étoile bleue et lumineuse qui évolue sur une orbite très elliptique. Les astrophysiciens ont alors relevé que la poussière se forme lorsque la paire se rapproche au plus près. Ils en ont déduit qu’à ce moment, le vent de l’étoile Wolf-Rayet et celui de l’autre étoile entrent en collision et neutralisent leur progression. Dans cette région, la température est assez basse et les conditions sont assez calmes pour que la poussière se condense à partir du gaz en surdensité. Ce mécanisme de production de poussière par collision des vents nécessite que les deux étoiles

DIAGRAMME DE HERTZSPRUNG-RUSSELL

C

Plus lumineuse que le Soleil

e diagramme astronomique, appelé «!diagramme de Hertzsprung-Russell!», montre comment les étoiles se répartissent en matière de température et de luminosité. La plupart des étoiles, y compris le Soleil, suivent la «!séquence principale!», où les astres passent une grande partie de leur vie. Après cette étape, les étoiles enflent et deviennent des géantes ou des supergéantes rouges avant

de mourir. Les astres les plus massifs explosent et leur cœur s’effondre en formant des trous noirs ou des étoiles à neutrons. Les étoiles les plus légères finissent sous la forme de naines blanches. Les étoiles Wolf-Rayet sont des étoiles extrêmes!: les plus brillantes et les plus chaudes de toutes les étoiles. Leur masse très élevée les destine à mourir dans l’explosion d’une supernova.

Supergéantes

106 105 104 103

Wolf-Rayet

102 10

Géantes

qu

en

ce

pr inc

1

ipa

le

10–1 Moins lumineuse que le Soleil

Luminosité (relative à celle du Soleil)

été réticents à suivre cette piste tant les conditions physiques requises étaient vertigineuses. Les températures extrêmes des étoiles Wolf-Rayet s’accompagnent d’une émission lumineuse si intense que la pression de radiation des photons devient une force majeure qui s’oppose à la gravité dans la dynamique de ces astres. Il existe une limite supérieure fondamentale à la luminosité de tout objet céleste au-delà de laquelle «%les radiations émises… feraient exploser l’étoile%», a écrit Arthur Eddington dans un article influent de 1926. Or les étoiles Wolf-Rayet sont si lumineuses qu’elles flirtent avec cette «%limite d’Eddington%», ce qui fait que leurs couches superficielles sont continuellement expulsées par la pression de radiation. La clé qui a ouvert la porte de Menzel n’est autre que ce puissant vent stellaire, qui s’écoule à plusieurs milliers de kilomètres par seconde, soit environ 1%% de la vitesse de la lumière. L’expression «%ouragan stellaire%» est parfois utilisée. Imaginez le plus léger souffle d’air perceptible par temps calme comparativement à la force d’un puissant canon à eau. La différence entre le vent émis par le Soleil et celui d’une étoile Wolf-Rayet dépasse ce rapport d’un facteur de plus de 10%000. Avec une telle puissance, une petite poignée de ces monstres suffit pour avoir un impact profond sur une galaxie entière. Les vents enrichissent le vide interstellaire en énergie et en éléments nouvellement forgés. Ils forment des bulles, compriment et chauffent les vastes nuages de gaz qu’ils rencontrent. Mais la contribution la plus importante des étoiles Wolf-Rayet à l’équilibre galactique est celle à laquelle on s’attend le moins%: la production de poussière. La poussière – de minuscules agrégats issus de la condensation du gaz stellaire – joue toutes sortes de rôles cruciaux dans le cycle d’évolution d’une galaxie, notamment en facilitant le refroidissement du gaz interstellaire, qui peut alors se condenser pour constituer de nouvelles générations d’étoiles. Les astronomes avaient cependant du mal à expliquer d’où pouvaient venir de si grandes quantités de poussière dans le milieu galactique en général. En astronomie, la poussière est un peu comme la neige%: elle se forme abondamment dans des conditions calmes et à des températures faibles. Le dernier endroit où l’on pouvait s’attendre à voir de la poussière apparaître, c’est dans le voisinage brûlant et saturé en rayonnement ultraviolet qui entoure une étoile Wolf-Rayet… et pourtant%! L’énigme de la formation des flocons de neige en enfer n’a été résolue qu’avec la découverte du système WR 140. Dans les années 1980, l’équipe dirigée par Peredur Williams, de l’Observatoire royal d’Édimbourg, a constaté que cette étoile produit de la poussière sous la forme de bouffées émises tous les huit ans.

Soleil Naines blanches

10–2 10–3 10–4 10–5

30 000

10 000

6 000

Plus chaude que le Soleil Température de surface (en kelvins)

3 000

Plus froide que le Soleil

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ASTROPHYSIQUE LES SPIRALES PARADOXALES DES ÉTOILES WOLF-RAYET

émettent des flux puissants – ce qui arrive souvent, car les étoiles massives se forment en général avec des compagnons qui sont tout aussi massifs. Avec WR 140, nous avions un processus de production de la poussière simple et efficace. Cependant, de nombreuses étoiles Wolf-Rayet diffusent de la poussière en continu… Opèrentelles selon un autre mécanisme%? Ce problème est devenu l’une des questions centrales de mes propres recherches. Au milieu des années 1990, je travaillais dans le groupe du lauréat du prix Nobel Charles Townes, en Californie, avec John Monnier, alors étudiant. Les télescopes géants Keck, à Hawaii, venaient d’être inaugurés. Cependant, pour

comprendre la formation de la poussière des étoiles Wolf-Rayet, nous avions besoin d’images nettes avec un niveau de détail qui dépassait les capacités des immenses miroirs de 10 mètres du Keck. Aujourd’hui, un grand nombre de télescopes sont équipés avec des systèmes d’optique adaptative, qui déforment en temps réel le miroir de l’instrument afin de compenser les effets des turbulences de l’atmosphère terrestre sur la propagation de la lumière venue des étoiles et des galaxies lointaines. Le gain en résolution est spectaculaire. Mais dans les années 1990, cette technologie n’était pas encore disponible. Pour étudier les étoiles Wolf-Rayet, nous n’avions donc pas d’autre choix que d’être inventifs. Nous avons eu l’idée de fixer un

LE MYSTÈRE DE LA POUSSIÈRE vents stellaires de deux étoiles formant un système binaire!: l’étoile Wolf-Rayet et son compagnon. Lorsque les deux vents s’affrontent, le gaz est comprimé le long d’un front, mais reste froid en raison de sa distance par rapport aux deux étoiles, ce qui crée les conditions idéales pour la condensation de la poussière. La spirale résulte du

mouvement combiné de l’expansion de la poussière vers l’extérieur et du mouvement de rotation des deux étoiles l’une autour de l’autre. Le résultat est le même que le jet d’un arroseur de pelouse.

Orbite des étoiles binaires (vue du dessus)

Vent stellaire Binary Étoile companion compagne star

Spirale de poussière

Étoile Wolf-Rayet Front (se forme à la rencontre des deux vents stellaires)

Orbite des étoiles binaires Propagation de la poussière (principalement dans le plan orbital)

Plan orbital

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Axe de rotation

Spirale de poussière

© Observatoire W. M. Keck/Peter Tuthill (série de vignettes) / Sayo Studio (Schéma)

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es astronomes sont restés perplexes lorsqu’ils ont vu pour la première fois une élégante spirale autour d’une étoile Wolf-Rayet. La spirale était constituée de poussière incandescente, mais les scientifiques ont eu du mal à percer l’énigme de sa formation. Ils ont fini par comprendre qu’elle était née de la collision des


grand masque métallique, de la taille d’un couvercle de poubelle avec des trous soigneusement disposés, à l’un des télescopes Keck. En bloquant une grande partie de la lumière des étoiles, nous avons transformé le miroir primaire en un réseau de petits collecteurs, ce qui a permis au Keck de fonctionner comme les radiotélescopes modernes qui combinent les signaux enregistrés par plusieurs petites antennes en même temps. Les gains en matière de qualité de l’image ont dépassé nos rêves les plus fous. Pour installer notre système, il fallait monter sur le télescope et changer les masques, perchés à 15 mètres au-dessus du sol de l’observatoire. Ce qui m’étonne encore, c’est qu’on nous ait laissé faire%! Une fois les données collectées, nous devions procéder à un traitement informatique avec un code que nous avions écrit nousmêmes. Lorsque nous avons vu pour la première fois sur l’écran d’ordinateur l’étoile Wolf-Rayet que nous avions ciblée, WR 104, c’était une spirale scintillante qui ressemblait à une boule de Noël bizarrement déformée. J’ai regardé John et j’ai grogné%: «%Je n’ai jamais entendu parler d’une étoile ayant la forme d’une spirale. Il doit y avoir une erreur dans le code.%» Nous sommes revenus en arrière et avons amélioré le programme, mais la spirale n’a pas bougé. Ce n’est que quelques mois plus tard, lorsque les données d’une deuxième visite à l’observatoire Keck ont produit une autre spirale, que nous en avons accepté la réalité. La nouvelle image présentait presque la même forme de spirale que la précédente, mais avec une rotation d’environ 90 degrés. La spirale était réelle et, en plus, elle bougeait. Rétrospectivement, une spirale est exactement ce que nous aurions dû chercher depuis le début. Notre énigme était que la poussière a besoin de gaz dense et froid pour se former. Une étoile Wolf-Rayet seule ne peut remplir qu’une seule de ces conditions à la fois%: près de l’étoile, le gaz est dense mais chaud, tandis que, loin, il est froid mais trop

ténu. C’est là qu’intervient le compagnon du système binaire. Lorsque les vents des deux étoiles entrent en collision, le gaz est déjà assez froid et il se comprime. Avec ces conditions, on obtient une «%pouponnière de poussière%». Les grains de poussière se condensent dans le gaz le long d’une «%coquille%» en forme de bol, à l’endroit où les vents s’affrontent. Avec des étoiles qui évoluent sur des orbites presque circulaires (à une distance constante, contrairement à WR 140 et son orbite très elliptique) et des vents qui s’étendent vers l’extérieur, la poussière s’échappe en décrivant une forme spirale, comme le jet d’un arroseur de pelouse.

Ce texte est une adaptation de l’article Celestial wonders, publié par Scientific American en septembre 2023.

DES MOULINS À VENT POUSSIÉREUX

Le résultat de toute cette physique se manifeste sous la forme d’un majestueux panache spiralé. Mais pour un astrophysicien, la beauté est plus profonde. Ces structures ouvrent une fenêtre rare sur des phénomènes dont nous n’aurions jamais pu être les témoins directs. C’est comme si la nature écrivait ses secrets dans un texte trop petit pour être vu, mais que le vent en expansion gonflait le texte pour en faire une bannière géante. WR 104 est devenu le prototype d’une nouvelle classe de nébuleuses que nous avons baptisée «%moulins à vent%» (pinwheel, en anglais). Nous avons vite découvert d’autres systèmes, portant des noms tels que WR 112 et WR 98a, qui partageaient cette architecture commune, mais dont chacun était unique et d’une beauté distincte. S’ils produisent la poussière qui enrichit la galaxie, les étoiles Wolf-Rayet sont peutêtre aussi une menace pour la vie sur Terre. L’histoire de cette découverte remonte indirectement à 1963, lorsque le traité d’interdiction partielle des essais nucléaires conclu entre les États-Unis et l’Union soviétique est entré en vigueur. Les États-Unis ont alors lancé les satellites Vela afin de s’assurer du respect de ce traité en détectant d’éventuels

Cette série d’images montre l’évolution de la spirale de poussière dans le système WR 104, qui tourne dans le ciel en un cycle de huit mois. Récemment, grâce à de nouvelles observations menées au VLT en utilisant l’instrument Sphere et son système d’optique adaptative (permettant de corriger les perturbations atmosphériques), Anthony Soulain, de l’institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble, et ses collègues ont confirmé le mouvement parfaitement circulaire du système binaire, dont résulte la production constante de poussière.

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ASTROPHYSIQUE LES SPIRALES PARADOXALES DES ÉTOILES WOLF-RAYET

rayons gamma émis par des essais nucléaires illégaux. Les capteurs à bord de ces satellites ont rapidement signalé des émissions gamma, mais celles-ci ne venaient pas du sol, elles émanaient de l’espace. Ces «%sursauts gamma%» sont devenus l’un des sujets les plus brûlants de l’astronomie. Un sous-type de sursauts de longue durée, qui durent plus de deux secondes, proviendrait des supernovæ qui marquent la mort des étoiles Wolf-Rayet. Les sursauts gamma cachent des processus physiques fascinants, mais ils présentent aussi un risque pour la vie à des échelles de temps cosmiques. Alors que les supernovæ classiques n’affectent que leur voisinage stellaire immédiat, ce n’est probablement pas le cas des supernovæ à sursauts gamma. Dans ce

cas, l’énergie produite est confinée dans un faisceau étroit et puissant, de sorte qu’avec un bon alignement, ces dernières sont visibles à de grandes distances cosmiques. Avec une source proche, un tel alignement annoncerait un danger. Des études spéculatives ont suggéré qu’un épisode d’extinction massive à la fin de l’Ordovicien a peut-être été déclenché par une salve de rayons gamma, en conjonction avec une glaciation. Le risque d’un tel cataclysme n’existe que lorsque la Terre est située exactement le long de la ligne de visée du sursaut. Pour la première fois, nos données nous ont permis d’analyser l’axe probable d’un futur sursaut de nos Wolf-Rayet. Et, malheureusement pour nous, il se peut que WR 104 pointe bien vers nous.

UN PRÉCURSEUR DE MAGNÉTAR d’un champ magnétique très intense (qui dépasse 100 millions de teslas), sont nommées «!magnétars!». Mais comment un objet de seulement 15 kilomètres de diamètre peut-il produire un champ magnétique extrême!? Tomer Shenar s’est intéressé à une étoile, HD 45!166, située à 3 000 années-lumière de nous dans la direction de la constellation de la Licorne (Monoceros). Cet astre est connu depuis près d’un siècle, mais sa nature précise était une question encore ouverte. Il appartient à un système binaire et sa masse est égale à deux fois celle du Soleil. Riche en hélium, il a de nombreuses caractéristiques communes avec les étoiles Wolf-Rayet, mais sa signature spectrale était atypique. Tomer Shenar s’est alors demandé si cela ne pouvait pas s’expliquer par la présence d’un champ magnétique intense. Pour tester cette hypothèse, il a mené avec ses collègues une campagne de mesures auprès de différents observatoires.

Résultat!: l’étoile a bien un champ magnétique… de 4,3 teslas, le champ magnétique le plus intense jamais observé dans une étoile massive (et 100!000 fois le champ magnétique terrestre). D’après les chercheurs, quand l’étoile arrivera à la fin de sa vie, elle explosera et son cœur se contractera, concentrant par la même occasion son champ magnétique qui atteindra une intensité de l’ordre du milliard de teslas. On obtiendra alors un magnétar!! Lors d’autres travaux, des astrophysiciens ont suggéré que les étoiles Wolf-Rayet seraient aussi des précurseurs de sursauts gamma. «!Il s’agit de l’un des phénomènes les plus énergétiques de l’Univers, note Anthony Soulain, de l’IPAG. Cette hypothèse se rajoute à l’énigme fascinante de ces étoiles!!!» SEAN BAILLY journaliste à Pour la Science

Vue d’artiste de HD 45 166, une étoile Wolf-Rayet avec un champ magnétique très intense. À cause de ce dernier, le vent de gaz n’arrive pas à s’échapper et forme une coquille autour de l’étoile. À la fin de sa vie, HD 45 166 formera probablement un magnétar.

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© ESO/L. Calçada

L

e destin de certaines étoiles Wolf-Rayet pourrait être lié à celui d’autres objets étonnants, les magnétars. Ces derniers sont des étoiles à neutrons avec un champ magnétique extrêmement intense. Jusqu’à présent, les spécialistes n’avaient pas un scénario très clair de quelles étoiles donnaient naissance à de tels astres. Mais récemment, Tomer Shenar, de l’université d’Amsterdam, et une équipe internationale ont peut-être enfin trouvé une réponse à cette question, en étudiant une étoile Wolf-Rayet aux propriétés uniques. Les étoiles à neutrons sont des astres d’une densité extrême qui se forment quand le cœur d’une étoile massive qui a épuisé son combustible s’effondre alors que ses couches externes sont soufflées lors d’une explosion puissante, une supernova. Certaines étoiles à neutrons avec un mouvement de rotation élevé sont nommées «!pulsars!», d’autres, dotées


© ESO/Callingham et al., 1999 (à gauche) ; Yinuo Han/Peter Tuthill (à droite)

Le système stellaire triple Apep, vu dans l’infrarouge (à gauche), éjecte un panache sculpté de poussière chaude autour de lui. Une simulation informatique de la poussière (à droite) reproduit une grande partie de la structure complexe de la coquille d’Apep. Mais certaines caractéristiques du système restent inexpliquées.

Pourtant, la menace statistique que représente une future émission de rayons gamma en provenance de WR 104 est vraiment minuscule%: il faudrait que plusieurs événements très improbables s’enchaînent pour que WR 104 produise un sursaut gamma plutôt qu’une supernova plus classique. Lorsque nous avons étudié ce scénario en 2008, mes collègues et moi-même avons calculé la probabilité, certes infime, mais non nulle, d’une telle catastrophe. Comme l’humanité est confrontée à des menaces bien plus sérieuses et imminentes, telles que le changement climatique, nous avons décidé de n’inclure dans notre article que quelques phrases courtes et formulées avec précaution sur cette éventualité. Bien entendu, ce sont ces lignes qui ont le plus retenu l’attention des médias. Rapidement, je me suis retrouvé dans le bureau de mon chef de département, à devoir expliquer comment j’étais devenu «%célèbre%» pour «%mes théories%» conspirationnistes sur le calendrier maya de la fin du monde en 2012%! Plus récemment, le télescope spatial JWST nous a fourni des clichés spectaculaires sur les moulins à vent, des données que Wolf et Rayet auraient difficilement imaginées il y a 150 ans. Parmi les toutes premières images du JWST figure une vision révélatrice d’un vieil ami, WR 140. Grâce au bond époustouflant en sensibilité de ce nouvel observatoire, nous pouvons voir des coquilles de poussière les unes après les autres – une vingtaine – s’avancer dans l’espace, chacune étant délicatement imbriquée dans celle qui la précède. Avec mes collègues,

BIBLIOGRAPHIE T. Shenar et al., A massive helium star with a sufficiently strong magnetic field to form a magnetar, Science, 2023. R. M. Lau et al., Nested dust shells around the Wolf-Rayet binary WR 140 observed with JWST, Nature Astronomy, 2022. Y. Han et al., Radiation-driven acceleration in the expanding WR140 dust shell, Nature, 2022. J. R. Callingham et al., Two Wolf-Rayet stars at the heart of colliding-wind binary Apep, MNRAS, 2020. J. R. Callingham et al., Anisotropic winds in a Wolf-Rayet binary identify a potential gamma-ray burst progenitor, Nature Astronomy, 2018. P. G. Tuthill et al., The prototype colliding-wind pinwheel WR 104, The Astrophysical Journal, 2008.

nous avons comparé cette observation avec un modèle informatique que nous avions construit pour décrire seulement la coquille de poussière la plus interne de WR 140. Lorsque nous avons extrapolé pour voir à quoi pourraient ressembler 150 ans de coquilles répétées, notre résultat a presque parfaitement imité l’image en couches d’oignon du JWST, montrant ainsi le pouvoir des mathématiques à faire écho au monde réel.

UN SERPENT DE POUSSIÈRE

Parmi les autres nouvelles découvertes, la plus passionnante est peut-être le premier système binaire composé de deux étoiles Wolf-Rayet, un système que mes collègues et moi-même avons nommé Apep, d’après l’ennemi mortel de Râ, le dieu égyptien du Soleil. Les images du système évoquent la mythologie, suggérant une étoile enserrée par un serpent. Apep nous réserve aussi une surprise. Les observations du JWST nous donnent accès à la vitesse d’expansion du vent de gaz ainsi qu’au taux de diffusion de la poussière. Le calcul de ces deux paramètres devrait concorder, comme c’est le cas pour tous les autres moulins à vent. Dans le cas d’Apep, cependant, la poussière s’écoule trois fois plus lentement que le gaz, alors qu’il se trouve pris dans un flux de vent parmi les plus violents de toute la physique stellaire. C’est comme si une plume dérivait à son propre rythme dans un ouragan. Comment la poussière autour d’Apep réussit-elle ce tour de magie%? Personne ne le sait. Une fois de plus, les étoiles Wolf-Rayet défient les astronomes qui croyaient avoir compris comment ces objets de l’extrême fonctionnent. Et d’ici à ce que nous ayons la réponse à cette question, je suis sûr que ces étoiles nous auront posé d’autres énigmes encore plus profondes. n

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HISTOIRE DES SCIENCES

Pline l’Ancien Deux mille ans et toujours d’actualité En l’an 23 naissait Pline l’Ancien, connu pour sa mort spectaculaire lors de l’éruption du Vésuve de 79, mais aussi et surtout pour sa monumentale Histoire naturelle, où il recense tous les savoirs de son temps sur les objets naturels et leurs usages. Deux mille ans plus tard, cet ouvrage a encore beaucoup à nous apprendre, tant sur l’époque qui l’a vu naître… que sur la nôtre.

C

’est peu dire que la question de notre rapport à la nature est un sujet d’une grande actualité, et pas seulement d’un point de vue théorique. Pas un jour ne passe, en effet, sans que nous ayons à nous interroger sur les effets très concrets de l’activité humaine sur l’environnement et la biodiversité. Notre intérêt pour les objets naturels, les animaux, les plantes, les minéraux – pour l’«&histoire naturelle&», en somme – s’en trouve redoublé. Aussi l’existence d’un vaste ouvrage latin intitulé précisément Naturalis historia, «&Histoire naturelle&», écrit par un auteur né voici tout juste deux mille ans, Pline l’Ancien, a-t-elle de quoi susciter de notre part une certaine curiosité. Que représentait au juste la nature pour un Romain de cette époque&? Comment concevait-il sa place dans cette nature&? Et en dépit des vingt siècles et de l’immense distance intellectuelle qui nous séparent de lui, certaines préoccupations de Pline ne résonneraient-elles pas avec les nôtres&? Pline n’était pas destiné par ses origines à devenir l’un des naturalistes les plus célèbres de tous les temps. Né en l’an 23 à

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L’ESSENTIEL

> Univers, géographie terrestre, humains, animaux, plantes, minéraux… Toutes les connaissances sur la nature sont méthodiquement consignées

dans les 37 livres qui constituent cet ouvrage. > C’est aussi un témoignage exceptionnel sur les diverses utilisations que l’on faisait de la nature à l’époque. > Pline s’y inquiète d’ailleurs déjà de la pénurie future de certaines ressources.

STÉPHANE SCHMITT directeur de recherche du CNRS au sein des Archives Henri-Poincaré, à Nancy

On connaît quelque 200 copies manuscrites de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien. Celle dont est extraite cette enluminure remonte au XIIe siècle et représente Pline taillant sa plume, éclairé par un esclave.

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© IRHT - Médiathèques du Mans

> Vers 77, Pline l’Ancien, fonctionnaire au service de l’État romain, dédia l’œuvre de sa vie, Naturalis historia, à son ami Titus, fils de l’empereur Vespasien.

L’AUTEUR


HISTOIRE DES SCIENCES PLINE L’ANCIEN : DEUX MILLE ANS ET TOUJOURS D’ACTUALITÉ

Côme, dans une famille appartenant à la classe moyenne qu’on appelait l’«&ordre équestre&», il mena une carrière typique au service de l’État et des armées romaines, qui le conduisit à se rendre dans plusieurs provinces de l’Empire, notamment la Judée, la Germanie et la Gaule. Bien qu’on ne retrouve guère dans ses écrits de mentions explicites de ses expériences personnelles, il est certain que ces voyages lui permirent de

Il est exceptionnel que nous soit parvenu de l’Antiquité un texte aussi long et complet

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découvrir des peuples et des monuments, mais aussi des faunes, des flores et des paysages différents de ceux de l’Italie, et de prendre ainsi conscience non seulement de la profusion de la nature, mais aussi de la puissance de Rome, qui s’était assujetti tant de pays divers. Lié d’amitié avec Vespasien, le fondateur de la dynastie flavienne, devenu empereur en 69

à la suite de la guerre civile consécutive à la chute de Néron, et surtout avec son fils et héritier Titus, Pline l’Ancien dédia à ce dernier l’œuvre de sa vie, l’Histoire naturelle, vers 77. Deux ans plus tard, alors qu’il était en poste à Misène, dans la baie de Naples, où il commandait une flotte, survint l’éruption du Vésuve qui allait ensevelir Pompéi. Selon le récit que nous a livré son neveu et fils adoptif Pline le Jeune, il souhaita approcher du volcan, à la fois pour organiser les secours et pour observer ce curieux phénomène tellurique. Ne pouvant accoster trop près, il se détourna vers le port voisin de Stabies et passa la nuit dans la villa de son ami Pomponianus. Le lendemain, réveillé par un séisme et une pluie de cendres, il tenta de reprendre la mer mais s’effondra mort sur la plage, asphyxié ou peut-être terrassé par une crise cardiaque, laissant ainsi à la postérité, en plus de son œuvre, l’image édifiante d’un héros victime de son devoir et d’un martyr de la science.

UN TRAVAIL DE ROMAIN

On sait, toujours par Pline le Jeune, qu’il avait composé au cours de sa vie plusieurs ouvrages, certains à caractère historique ou biographique, ainsi qu’un traité sur le lancer du javelot à cheval. Mais seule subsiste l’Histoire naturelle, ce qui est déjà beaucoup, car il est exceptionnel que nous soit parvenu de l’Antiquité un texte aussi long, et complet.

L’« HISTOIRE NATURELLE », UNE INTENTION ENCYCLOPÉDIQUE COMMUNE À TOUTES LES ÉPOQUES

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n aspect qui relie le projet de Pline à toutes les époques, la nôtre y compris, est sa dimension encyclopédique. À vrai dire, l’Histoire naturelle interroge la notion même d’encyclopédie. En effet, d’un côté, les points communs sont nombreux avec les ouvrages que, depuis le XVIIIe siècle, on appelle des «#encyclopédies#», à commencer par celui de Diderot et de D’Alembert qui porte ce titre. Dans les deux cas, on retrouve une certaine quête d’exhaustivité, et en même temps une nécessité de sélectionner les types d’informations à exposer de manière à ne conserver que ce qui relève d’un savoir bien établi et canonique#; une recherche d’organisation rationnelle, soit thématique (chez Pline), soit alphabétique (dans de nombreuses encyclopédies modernes), permettant au lecteur de se repérer facilement et de consulter ponctuellement l’ouvrage plutôt que de le lire totalement#; une exploitation massive de sources antérieures, éventuellement complétée par quelques données inédites#; et le

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ciblage d’un lectorat plutôt large et non spécialiste. D’un autre côté, les historiens répugnent souvent à ranger l’ouvrage de Pline dans la même catégorie que les encyclopédies modernes, apparues vers la fin du XVIIe siècle dans un contexte bien particulier et évidemment très différent de celui du Ier siècle, en réponse à une demande intellectuelle bien spécifique. Le simple fait que les ouvrages modernes soient diffusés de manière considérablement plus massive grâce au support imprimé (sans même parler des encyclopédies en ligne) leur confère une nature résolument distincte des textes antiques. Là encore, tout dépend du niveau auquel on souhaite effectuer la comparaison. S’il est vrai qu’il serait anachronique de voir dans l’Histoire naturelle une sorte d’ancêtre des encyclopédies modernes, en tant que genre littéraire bien identifié, on ne peut nier le fait que Pline, comme tous les auteurs qui ont souhaité traiter d’un sujet très vaste de manière à la fois

complète et raisonnée, s’est trouvé confronté aux mêmes problèmes de choix des sources et des données, de découpage et d’organisation du savoir, d’équilibre entre pure compilation et interventions personnelles. Tous les domaines sont concernés, mais l’étude de la nature l’est particulièrement, dans la mesure où elle se confronte, étant donné l’extrême diversité des objets naturels, à une masse énorme d’informations à traiter. Certes, Pline disposait à cet égard de beaucoup moins de données que nous, et ses méthodes de collection, de stockage et de restitution des informations, pour autant qu’on puisse les reconstituer (il s’agissait certainement de sortes de «#fiches#»), apparaissent comme très rudimentaires#; mais encore au milieu du XVIIIe siècle, Diderot et ses collègues ne procédaient guère différemment, et même les outils informatiques les plus élaborés que nous possédons sont destinés, en définitive, à répondre aux mêmes défis.


© Mairie de Toulouse, musée des Augustins – Photo Daniel Martin (à gauche) ; © Wikimedia commons/Geoffrey (à droite)

Pline l’Ancien (à droite sur une gravure du XIXe siècle) périt en 79 lors de l’éruption du Vésuve (à gauche sur une peinture à l’huile réalisée en 1813 par Pierre-Henri de Valenciennes). Alors commandant d’une flotte de l’armée impériale dans la baie de Naples, il s’était approché du volcan pour organiser des secours et observer de plus près le phénomène.

Ce n’est d’ailleurs pas la seule singularité de cette œuvre sans équivalent par son ambition. Pline se propose en effet de traiter de la nature dans sa totalité. L’Histoire naturelle est organisée pour cela en 37 livres formant une succession logique. D’abord, c’est le cadre général qui est décrit, c’est-à-dire l’Univers dans son ensemble, les corps célestes et leurs mouvements, ainsi que les phénomènes météorologiques et telluriques (livre II). Suit une série de livres géographiques (III à VI), dans lesquels sont passées en revue, comme dans un voyage imaginaire, les trois parties du monde connu (Europe, Afrique et Asie), leurs cours d’eaux, leurs îles, leurs montagnes, mais aussi leurs peuples et leurs villes. Le décor étant planté, Pline peut en venir aux objets individuels. En premier lieu, l’être humain et toutes ses particularités, y compris les plus extraordinaires, font l’objet du livre VII&; puis sont présentés les animaux, ceux qui vivent sur terre (livre VIII), dans l’eau (livre IX), les oiseaux (livre X) et les «&insectes&» (livre XI)&; et ensuite les plantes, auxquelles est consacrée la plus longue partie de l’ouvrage, à savoir pas moins de seize livres (XII à XXVII) dans lesquels sont détaillées toutes les espèces connues. S’attardant sur tous les usages possibles des végétaux, par exemple dans l’alimentation ou la parfumerie, Pline traite longuement de leurs vertus médicinales. Ce sujet l’amène alors à en revenir aux animaux (livres XXVIII à XXXII), énumérant cette fois leurs emplois dans la pharmacopée. Enfin, les derniers livres

(XXXIII à XXXVII) portent sur les substances minérales tirées du sol, et sur toutes les façons dont l’être humain les exploite, depuis les pièces de monnaie, constituées d’or ou d’argent, aux bâtiments construits en pierre, en passant par toutes les œuvres d’art, les statues faites de métal et d’argile, et les peintures composées de pigments. Bien sûr, pour couvrir un champ aussi considérable, Pline n’a guère pu employer d’information de première main&: il le dit lui-même, il a compilé «&environ deux mille volumes&», et son neveu relate la manière dont, à toute heure, même dans son bain, l’érudit se faisait lire des extraits et préparer des notes. Ce qu’il y perd en originalité, il le gagne en exhaustivité, ce qui est, après tout, son but principal. Au reste, si quelques-unes des sources qu’il a consultées, comme les traités zoologiques d’Aristote, ou les ouvrages botaniques de Théophraste, nous sont parvenues (nous permettant, de ce fait, de comparer l’original et ce que Pline en a fait), la plupart des autres ont disparu&: le gigantesque travail de Pline est alors le seul lien qui nous reste avec cette immense littérature grecque et latine, perdue à jamais (voir l’encadré page 76).

UNE NATURE TRÈS CULTURELLE, CENTRÉE SUR L’HOMME ROMAIN

Dans le périmètre de l’Histoire naturelle, un point, parmi d’autres, heurte spontanément notre conception de la nature&: Pline y englobe

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des objets transformés ou des activités humaines que nous n’avons pas l’habitude de considérer comme «&naturelles&». Ainsi, dès qu’il traite d’un animal, d’un végétal ou d’un minéral, il ne se contente pas, comme le ferait un «&naturaliste&» de notre époque, de le décrire tel qu’il se présente, brut, dans son milieu. Cette description est même souvent sommaire, au point qu’on a parfois du mal à établir une correspondance avec une espèce biologique telle qu’on la reconnaît aujourd’hui. Au contraire, Pline s’attarde sur tous les rapports que l’objet en question peut avoir avec l’homme, et avant tout son utilité. Par exemple, dans la partie consacrée aux plantes exotiques et aromatiques (au début du livre XIII), il expose longuement toutes les connaissances relatives aux parfums et onguents qui en sont tirés&: l’époque à laquelle (selon lui) ils ont été découverts, leurs variétés selon les pays, les méthodes de fabrication, les recettes, les qualités respectives des uns et des autres, la manière dont on les utilise, mais aussi leur commerce, leur prix, ou les falsifications dont ils font l’objet par des marchands peu scrupuleux…

De même, la partie relative aux céréales (dans le livre XVIII) lui fournit l’occasion de donner des détails sur les variétés des blés, leur culture, mais aussi sur les différentes qualités de farines, selon la finesse des grains, sur les diverses sortes de pains, et même quelques recettes de pâtisseries. Les livres portant sur les métaux (XXXIII et XXXIV) nous valent une description des techniques d’exploitation minière et de fonderie, des innombrables usages de l’or, de l’argent, du bronze et du fer dans la confection d’objets manufacturés en tous genres. Parmi une multitude d’exemples de ce type, l’on pourrait mentionner tout ce qui relève de l’agriculture et de l’élevage, de la chasse et de la pêche, mais aussi du génie civil et des beauxarts, puisque toutes les constructions, palais ou aqueducs, et toutes les œuvres d’art proviennent, en dernière analyse, de matériaux extraits de la terre. Et il ne faut pas oublier les remèdes, qui occupent près de la moitié de l’Histoire naturelle&: en effet, pour chaque animal, chaque plante et chaque substance minérale, Pline recense tous les emplois connus de son temps dans le traitement des maladies et des

UNE SOURCE DOCUMENTAIRE INESTIMABLE

S

i les savoirs inventoriés dans l’Histoire naturelle ont longtemps fait autorité, jusqu’au XVIIIe siècle, il est certain qu’ils sont à présent, sur un plan scientifique et technique, totalement dépassés. En revanche, d’un point de vue historique et documentaire, l’ouvrage de Pline reste aujourd’hui l’une de nos sources d’informations les plus riches et les plus précieuses sur de nombreux domaines de la culture et de la civilisation antiques. Cela tient à son projet même, qui n’est pas de décrire seulement la nature proprement dite, mais aussi tous les usages des produits naturels, y compris les plus anodins. Pline en vient donc à aborder une multitude de sujets que les autres auteurs ne traitent que rarement, voire jamais. Par exemple, le papyrus, fabriqué à partir de la plante de même nom, connu en Égypte depuis l’époque pharaonique, est l’un des principaux supports de l’écriture dans le monde gréco-romain, et il le restera jusqu’au Haut Moyen Âge. Pourtant, hormis ce qu’on peut déduire des spécimens qui nous sont parvenus, on ne saurait à

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peu près rien des méthodes de sa fabrication si Pline ne nous les avait décrites de manière relativement minutieuse, donnant même la composition de la colle utilisée. Dans un autre domaine, Pline, ayant parlé des pierres, traite des ouvrages qui en sont faits, ce qui nous vaut d’intéressants détails sur les techniques d’architecture et de génie civil, mais aussi la description d’édifices remarquables, comme le légendaire mausolée du roi étrusque Porsenna, vaste construction comprenant à sa base un «#labyrinthe#»#: Pline cite à ce propos un passage d’un ouvrage perdu du savant et magistrat romain Varron (Ier siècle avant notre ère) décrivant (sans doute d’après des sources encore antérieures) la magnificence de ce monument aux dimensions imposantes. L’existence de ce tombeau est généralement admise, même s’il était sans doute en réalité beaucoup plus modeste. En tout cas, le récit de Varron transmis par Pline est tout ce qui nous en reste. Quant à l’énumération des pigments tirés du sol, elle est suivie d’un véritable traité sur la

Du mausolée de Porsenna, roi étrusque, il ne reste que les mesures de l’édifice transmises par Pline… et l’imagination d’artistes comme Jean-Jacques Lequeu, qui en a proposé un dessin en 1792 (ci-dessus). Pline décrit aussi les techniques picturales de l’Antiquité, comme la fabrication des pigments utilisés pour les fresques romaines (page ci-contre, un détail de celle de la villa Livia, à Rome).

Jean-Jacques Lequeu, Orthographie du tombeau de Porsenna roi d’Étrurie, appelé le labyrinthe de Toscane, 1792 © Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie

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Certaines préoccupations de Pline résonnent étrangement avec les nôtres

© Wikimedia commons (PDM 1.0 Deed)

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blessures, ce qui fait de son ouvrage le traité de pharmacopée le plus complet de l’Antiquité. Ainsi, l’«&histoire naturelle&» de Pline comprend ce que nous désignerions comme des «&techniques&» au sens très large, et plus généralement des pratiques et usages propres à la civilisation gréco-romaine. De tels sujets s’éloignent déjà beaucoup de l’histoire naturelle telle que nous la concevons. Mais plus déroutant encore, Pline, dans son souci d’exhaustivité, évoque à propos de chaque objet naturel tout ce qui dans l’histoire, réelle ou légendaire, s’y rapporte. Cela nous vaut le récit d’anecdotes devenues célèbres, quoique plus ou moins crédibles&: ainsi, dans le chapitre sur le lion, il raconte comment le Grec Elpis fut sollicité par un de ces animaux qui s’était coincé un os dans les dents et comment, bien que terrorisé, il aida l’animal qui, reconnaissant, lui apporta du gibier. Plus plausible (mais pas nécessairement vrai pour autant), dans la partie consacrée aux coquillages, il relate le défi que lança Cléopâtre à Antoine – dépenser dix millions de sesterces en un repas – et comment elle le remporta en faisant dissoudre une perle énorme dans du vinaigre et en le buvant.

peinture grecque et romaine dont la valeur est pour nous inestimable, car il s’agit, là encore, d’une des seules sources d’informations, outre l’archéologie, que nous ayons sur les techniques de cet art dans l’Antiquité. Surtout, Pline y dresse un long catalogue des peintres et des tableaux les plus remarquables, tous disparus, dont nous ignorerions jusqu’à l’existence sans ce témoignage. Les exemples de ce type sont innombrables. Il est vrai que, comme l’Histoire naturelle est un ouvrage de compilation, le texte n’est quasiment jamais de première main, et que Pline, en résumant sa source, y introduit fréquemment des imprécisions et des obscurités, mais c’est la seule information qui nous reste quand la source a disparu, ce qui est le plus souvent le cas. C’est pourquoi pratiquement tous les spécialistes de l’Antiquité sont amenés, à un moment ou à un autre, à consulter Pline, qui représente pour nous une extraordinaire fenêtre ouverte sur la science et la culture gréco-romaines.

On mesure donc à quel point la «&nature&» de Pline est différente de la nôtre. La sienne, loin de s’opposer à la culture, s’inscrit au contraire en parfaite continuité avec elle. Alors que nous plaçons l’humain hors de la nature, celle de Pline, et plus généralement celle des Anciens, est centrée sur l’homme&: elle existe, en quelque sorte, en vue de lui, et c’est lui qui, en retour, lui donne son sens. C’est là une conception déconcertante pour nous qui avons précisément fondé toute notre connaissance scientifique du monde sur la quête de la plus grande objectivité possible, et donc sur la séparation du naturel et du culturel. Soulignons toutefois que cette démarche est non seulement propre au monde occidental, mais assez récente&: encore à la fin de la Renaissance, les traités zoologiques du naturaliste italien Ulisse Aldrovandi demeuraient très conformes à l’approche plinienne, incluant dans la description des animaux tous les usages qu’on en faisait, des recettes de cuisine, des anecdotes historiques, des légendes et même des sujets que Pline avait négligés, comme les présages et la symbolique. Ce n’est qu’après les grands bouleversements conceptuels du XVIIe siècle que se sont mis en place, très progressivement, la conception moderne de la science et le statut nouveau de la nature.

DÉJÀ, LA CRAINTE D’ÉPUISER LES RESSOURCES

Pour autant, malgré cette très grande différence entre les cadres conceptuels, certaines préoccupations de Pline résonnent étrangement avec les nôtres. Ainsi, à de nombreuses reprises, le naturaliste romain déplore les usages excessifs et la surexploitation inutile de la nature, et il semble même percevoir le risque d’une pénurie future, voire déjà avancée, de certaines ressources. Par exemple, au moment d’aborder les métaux et leur extraction, il condamne la démesure avec laquelle, plutôt que de cultiver la surface du sol, on en fouille les entrailles pour en tirer des matériaux propres à satisfaire notre soif de richesses et de luxe, et se demande combien de siècles il faudra pour achever d’épuiser la terre. Et à propos du «&silphium&», une plante médicinale de Cyrénaïque (région située dans l’actuelle Libye) dont on tire le «&laser&», remède très réputé qui «&se vend au poids de l’argent&», supposé guérir les affections les plus diverses, de la digestion difficile à la rage en passant par les angines, les maux de dents et les morsures de serpents, il note qu’il n’en reste presque plus, en raison, croit-il, du surpâturage. De fait, cette plante semble avoir fini par disparaître vers la fin de l’Antiquité, au point que nous ne sommes même pas sûrs de son identification (il s’agissait sans doute d’une apiacée, mais l’espèce reste sujette à discussion).

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Dans la partie de son Histoire naturelle consacrée aux coquillages, Pline raconta non seulement tout ce que l’on savait à son époque sur ces animaux, mais aussi comment Cléopâtre avait remporté un défi qu’elle avait lancé à Antoine – dépenser dix millions de sesterces en un repas – en buvant un verre de vinaigre dans lequel elle avait fait dissoudre une énorme perle. Cette anecdote inspira plusieurs peintres, dont l’Italien Giambattista Tiepolo, qui en fit le sujet de son tableau Le Banquet de Cléopâtre (1743-1744).

À l’heure où l’effondrement de la biodiversité fait l’objet des plus vives préoccupations, ces lignes de Pline semblent hautement prémonitoires. Prenons garde, toutefois, aux rapprochements trop simplistes. Pline n’a évidemment aucune notion des écosystèmes et de leurs perturbations, et les actions humaines sur la nature, quoique déjà sensibles à son époque, sont sans commune mesure avec celles de l’ère industrielle. En outre, son discours revêt un caractère profondément moral&: il s’agit pour lui, avant tout, de fustiger le goût du luxe et du raffinement chez ses contemporains, qu’il oppose à la sage austérité des anciens Romains, lesquels se contentaient de prélever le juste nécessaire dans leur environnement immédiat. Il y a même, en arrière-plan, une dimension nationaliste et politique&: ce sont les Grecs ou, pire, les Orientaux, qui ont introduit à Rome toutes ces pratiques extravagantes. Par exemple, quand le paysan savait se contenter des plantes qu’il trouvait autour de lui pour soigner ses maux, les médecins étrangers, plus ou moins charlatans, ont vendu à prix d’or des 78 / POUR LA SCIENCE N° 554 / DÉCEMBRE 2023

compositions compliquées et exotiques. De tels arguments avaient de quoi plaire à la nouvelle dynastie flavienne, qui précisément prétendait restaurer les simples mœurs antiques après les dévoiements de l’époque néronienne.

À LA FOIS « ROMANOCENTRÉ » ET UNIVERSEL

On est donc loin d’un manifeste écologiste au sens actuel, et ceux qui voudraient recruter Pline dans le combat pour la défense de l’environnement en seraient pour leurs frais. Néanmoins, il ne faudrait pas, au motif de ces évidentes différences de contexte, rejeter toute comparaison. Du côté de Pline, derrière le discours anthropocentré, voire «&romanocentré&», on retrouve un questionnement philosophique universel sur le rapport de l’humain au monde et sur la capacité qu’il a de l’altérer. Et du côté de l’écologie contemporaine, la dimension morale et la critique de la démesure, loin d’être absentes, affleurent au contraire souvent sous les arguments d’ordre scientifique. À cet égard, le recul que nous apporte la lecture de Pline n’est certainement pas inutile. n

BIBLIOGRAPHIE S. Schmitt, Pline l’Ancien et la science des Lumières, Pour la Science, n° 435, 2014. Pline l’Ancien, Histoire naturelle (éd. S. Schmitt), Gallimard, 2013.

© National Gallery of Victoria, Melbourne, Felton Bequest, 1933. Version numérique disponible sur NGV Collection Online grâce au généreux soutien de M. Carol Grigor via Metal Manufactures Limited

HISTOIRE DES SCIENCES PLINE L’ANCIEN : DEUX MILLE ANS ET TOUJOURS D’ACTUALITÉ



CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION

L’AUTEUR

HERVÉ LE GUYADER professeur émérite de biologie évolutive à Sorbonne Université, à Paris

D’OÙ VIENT LA MÉDUSE ? Les cnidaires, animaux aquatiques à symétrie rayonnée, se présentent soit comme polype, soit comme méduse. Quelle forme est apparue en premier!?

ès le xixe siècle, les zoologistes ont remarqué que les animaux se distinguent suivant les symétries de leurs organismes. La grande majorité sont à symétrie bilatérale (vertébrés, insectes, mollusques…). Mais certains, comme les anémones de mer, les coraux, les méduses, sont à symétrie radiaire. Le naturaliste Georges Cuvier fut le premier à systématiser cette observation, en divisant le règne animal en quatre embranchements!: vertébrés, mollusques, articulés et radiaires. Ces derniers rassemblaient au départ les actuels cnidaires, mais aussi les échinodermes (oursins, étoiles de mer…). La génération suivante corrigea des erreurs de Cuvier, par exemple en individualisant comme embranchements les échinodermes et les annélides (vers de terre, sangsues, néréis…), auparavant inclus dans les articulés avec les crustacés et les insectes.

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Cependant, bien que dissociés des échinodermes, les radiaires – renommés cnidaires – constituaient toujours une énigme tant ces animaux étaient variés!: ils se présentaient soit comme polype, soit comme méduse. Comment les classer entre eux!? Et quelle forme était apparue en premier!? La première idée a consisté à séparer les polypes (hydres, anémones de mer…) des méduses. Mais les biologistes marins de la fin du xixe siècle ont découvert que nombre de cnidaires prenaient, au cours de leurs cycles de vie, soit une forme polype fixée, soit une forme méduse nageuse et sexuée!: un animal d’une même espèce sous deux aspects différents!!

LA MÉDUSE, UNE INNOVATION ?

On comprend pourquoi la classification des cnidaires a longtemps été un

Comme les autres cnidaires, cette méduse de la région indopacifique tropicale se défend grâce à un dispositif caché dans ses tentacules!: des nématocystes, des cellules spécialisées capables, grâce à un système de harpon, d’injecter du venin aux proies et prédateurs qui s’approchent trop près… © Havoc/Shutterstock

D


Le génome de cette espèce qui alterne les stades polype et méduse comporte 101 gènes Hox, des gènes aussi présents chez les bilatériens (vertébrés, insectes…), dont ils orchestrent l’organisation antéropostérieure. Parmi ces gènes, 40 contrôlent le placement des pattes chez la drosophile. Quel rôle ont-ils chez cette méduse!?

EN CHIFFRES

7!300 Les méduses sont loin d’être les formes les plus répandues parmi les cnidaires : les médusozoaires, qui les rassemblent, comptent quelque 3 700 espèces, contre 7 300 chez les anthozoaires, l’autre clade des cnidaires.

71

C’est le nombre de génomes de cnidaires séquencés, dont 28 d’espèces avec méduse et 41 d’espèces sans méduse.

560

Haootia quadriformis, le plus ancien fossile connu portant des traits à la fois de polype et de méduse, est vieux de 560 millions d’années.

Elle arbore 16 longs tentacules au bord de son ombrelle, qui alternent avec 16 rhopalies, des zones qui concentrent des organes récepteurs.

Méduse d’Amakusa (Sanderia malayensis) Largeur!: env. 9 cm Longueur!: env. 29 cm

casse-tête insurmontable. Heureusement, les phylogénies moléculaires de la fin du xxe siècle ont résolu une grande partie du problème. Notamment est apparue très vite la séparation en deux grands clades. Les anthozoaires (anémones de mer, coraux, gorgones…) sont toujours sous forme polype, jamais méduse. Dans l’autre clade, on retrouve toutes les méduses, mais aussi les espèces avec alternance polype/méduse. Ainsi, la méduse en est un caractère spécifique, comme la plume pour les oiseaux. On l’a donc interprétée comme une innovation de l’ancêtre commun à toutes les espèces du groupe, que l’on a nommé «!médusozoaires!». Quant aux espèces sans stade méduse qui se sont

retrouvées dans cet embranchement, comme l’hydre, on a considéré qu’elles avaient perdu cette caractéristique. Mais le problème était-il réellement résolu!? Pas sûr. La génomique a apporté un nouvel éclairage, ou plutôt une nouvelle ombre. Il y a quatre ans, l’équipe de Richard Copley, de la station biologique de Villefranche-sur-Mer, a publié le génome de l’espèce Clytia hemispherica, qui présente le cycle polype/méduse, et comparé la cartographie des gènes exprimés (le transcriptome) chez le polype, la méduse et la larve planula, la forme larvaire des cnidaires, capable de nager en pleine eau. Chacun de ces stades s’est révélé caractérisé par l’expression de gènes spécifiques qui, à chaque fois, pouvaient être anciens ou récents d’un point de vue phylogénétique. En particulier, de nombreux facteurs de transcription – les protéines qui régulent l’expression des gènes –, propres au stade méduse et dont on trouve des homologues chez les bilatériens, ont été perdus chez l’hydre, proche de C. hemispherica mais dépourvue de stade méduse. Par ailleurs, une comparaison avec le génome de l’anémone de mer Nematostella vectensis fait apparaître, chez C. hemispherica, une perte de tels gènes caractéristiques du polype et de la larve. En d’autres termes, alors que ces deux derniers stades

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CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION

sont habituellement considérés comme des formes ancestrales, c’est la méduse, que l’on pensait plus récente, qui déploie la batterie de gènes codant les facteurs de transcription ancestraux à l’ensemble cnidaires-bilatériens!! Plus récemment, l’équipe de Jerome Hui, de l’université chinoise de Hong Kong, a séquencé les génomes de deux grandes méduses, et y a trouvé des gènes inattendus!: des homologues de gènes dits «!à homéoboîte!» des bilatériens, chez qui ils organisent le corps suivant l’axe antéropostérieur. Ces similitudes allaientelles aider à comprendre d’où viennent les méduses!?

LES TROIS HYPOTHÈSES SUR L’ORIGINE DE LA MÉDUSE

S

elon la première (en bordeaux), le gène Tlx aurait joué un rôle précis chez un polype ancestral, puis aurait été capté pour le développement de la méduse des médusozoaires, et perdu chez les anthozoaires. Cela rejoint l’hypothèse classique de l’invention de la méduse chez les médusozoaires. Mais, à l’inverse (en bleu), l’ancêtre commun aux cnidaires aurait pu présenter un stade méduse, secondairement perdu chez les anthozoaires. Selon la troisième (en orange), Tlx serait intervenu dans le développement d’un organisme aux traits polypoïdes et médusoïdes, qui se serait spécialisé ensuite en polype d’un côté et en cycle polype/méduse de l’autre.

Bilatériens

Anthozoaires

Médusozoaires

UN GÈNE ANCESTRAL PROPRE AUX MÉDUSES

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Perte de Tlx

Cnidaires

Acquisition de Tlx

Polype et méduse

Traits polypoïdes et médusozoïdes

méduse apparaît chez les médusozoaires, une autre où elle disparaît chez les anthozoaires et une troisième où un même organisme ancestral porte des caractères de polype et de méduse (voir l’encadré ci-dessus). Il y a une quinzaine d’années, des paléontologues ont décrit des fossiles de cnidaires, avec polype et méduse, dans la formation de Kuanchuanpu, en Chine, vieille de 535 millions d’années. Récemment, une autre équipe y a trouvé des fossiles de méduses très bien conservés, proches d’une classe de méduses actuelles. Mais un autre fossile plus ancien (560 millions d’années), Haootia quadriformis, exhumé sur l’île de TerreNeuve, au nord-est du Canada, présente à la fois des caractères de polype et de méduse. La paléontologie tiendrait-elle la solution!? n

Polype

Méduse

Perte

BIBLIOGRAPHIE M. Travert et al., Coevolution of the Tlx homeobox gene with medusa development (Cnidaria!: Medusozoa), Commun. Biol., 2023. W. Nong et al., Jellyfish genomes reveal distinct homeobox gene clusters and conservation of small RNA processing, Nat. Commun., 2020. L. Leclère et al., The genome of the jellyfish Clytia hemisphaerica and the evolution of the cnidarian life-cycle, Nat. Ecol. Evol., 2019.

© Pour la Science, d’après M. Travert et al., 2023 (schéma) ; © phylopic.org (silhouettes)

Pour avancer, il était indispensable de se focaliser sur quelques gènes judicieusement choisis, présentant des homologues évidents chez les bilatériens. C’est ainsi qu’une équipe réunie par Paulyn Cartwright, de l’université du Kansas, aux États-Unis, a traqué chez les cnidaires le gène Tlx, déjà repéré chez C. hemispherica. C’est un gène à homéoboîte nommé Hox11 chez les vertébrés, où il est impliqué dans l’organogenèse de la rate, du cerveau et du squelette. Chez la drosophile, il est appelé clawless («!sans griffes!»), car il structure l’extrémité des pattes. Chez les cnidaires, il s’est aussi révélé très conservé, mais à une exception de taille près!: l’équipe ne l’a détecté dans aucun des génomes disponibles d’espèces dépourvues de stade méduse. Elle a aussi recherché la trace de ce gène dans les transcriptomes disponibles de cnidaires, plus nombreux. Même résultat, à trois exceptions près!: trois espèces sans stade méduse en présentent une version, mais très dégradée, comme si la sélection n’était plus active sur elle. Enfin, l’équipe a montré que pendant le développement de la méduse, Tlx est régulé et que son expression est spatialement restreinte, avec beaucoup de variations suivant les espèces. Tout cela prouve que le gène Tlx est lié au développement de la méduse. Et puisqu’il est largement distribué tant chez les cnidaires que chez les bilatériens, il était déjà présent chez leur ancêtre commun. Toutes ses absences chez les cnidaires sans stade méduse correspondent donc à des pertes secondaires, y compris chez les anthozoaires. Sur l’origine de la méduse, la place de Tlx ne résout rien, mais elle permet d’émettre trois hypothèses, une où la


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