POUR LA SCIENCE - MARS 2024

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L’enquête

Astrophysique D’ÉTRANGES PAIRES D’ASTRES ERRANTS

Écologie LES LIANES, GRANDES GAGNANTES DU RÉCHAUFFEMENT ?

Technologie LES ATOUTS DES MOTEURS IONIQUES

LES IA FACE AU RÉEL

Les algorithmes peuvent-ils comprendre notre monde ?

FEMMES DE SCIENCE Sortir de l’anonymat au XVIIIe siècle
L 13256557 HF: 7,50 €RD BEL./LUX. 9,00 €CH 12,70 FSPORT. CONT. 9,00 €DOM : 9,00 €MAR. : 81 DHTOM : 1 150 XPFCAN. 13,99 $CA Édition française de Scientific American –Mars 2024n° 557 POUR LA SCIENCE
03/24 de Keiko Kawashima historienne des sciences

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MENSUEL POUR LA SCIENCE

Rédacteur en chef : François Lassagne

Rédacteurs en chef adjoints : Loïc Mangin, Marie-Neige Cordonnier

Rédacteurs : François Savatier, Sean Bailly

HORS-SÉRIE POUR LA SCIENCE

Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe

Chef de produit marketing : Ferdinand Moncaut

Directrice artistique : Céline Lapert

Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy, Ingrid Lhande

Réviseuses : Anne-Rozenn Jouble, Maud Bruguière et Isabelle Bouchery

Assistante administrative : Finoana Andriamialisoa

Responsable marketing : Frédéric-Alexandre Talec

Directrice des ressources humaines : Olivia Le Prévost

Fabrication : Marianne Sigogne et Stéphanie Ho

Directeur de la publication et gérant : Nicolas Bréon

Ont également participé à ce numéro : Éric Chaumillon, Elsa Couderc, Laetitia Grabot, Stéphanie Jacquet, Guillaume Laval, Violaine Llaurens, Clémentine Laurens, Catherine Pépin, Sean Raymond, Marc-André Selosse, Charline Zeitoun

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DIFFUSION

Contact kiosques : À Juste Titres ; Alicia Abadie

Tél. 04 88 15 12 47

Information/modification de service/réassort : www.direct-editeurs.fr

DISTRIBUTION

MLP

ISSN 0 153-4092

Commission paritaire n° 0927K82079

Dépôt légal : 5636 – Mars 2024

N° d’édition : M0770557-01

www.pourlascience.fr

170 bis boulevard du Montparnasse – 75 014 Paris

Tél. 01 55 42 84 00

SCIENTIFIC AMERICAN

Editor in chief : Laura Helmuth

President : Kimberly Lau

2023. Scientific American, une division de Springer Nature America, Inc. Soumis aux lois et traités nationaux et internationaux sur la propriété intellectuelle. Tous droits réservés. Utilisé sous licence. Aucune partie de ce numéro ne peut être reproduite par un procédé mécanique, photographique ou électronique, ou sous la forme d’un enregistrement audio, ni stockée dans un système d’extraction, transmise ou copiée d’une autre manière pour un usage public ou privé sans l’autorisation écrite de l’éditeur. La marque et le nom commercial « Scientific American » sont la propriété de Scientific American, Inc. Licence accordée à «Pour la Science SARL ».

© Pour la Science SARL, 170 bis bd du Montparnasse, 75014 Paris. En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).

Origine du papier : Autriche

Taux de fibres recyclées : 30 %

« Eutrophisation » ou « Impact sur l’eau » : Ptot 0,007 kg/tonne

Imprimé en France

Maury Imprimeur SA Malesherbes

N° d’imprimeur : 275 963

François Lassagne Rédacteur en chef

QUESTION DE BON SENS

Les IA génératrices d’images sont fascinantes. Il suffit de décrire une scène, un style graphique, un type d’ambiance lumineuse ou de décor, et elles produiront en quelques secondes l’image demandée. Leurs capacités n’ont cessé de progresser, et Jean-Paul Delahaye explique en détail, dans ce numéro, ce qui les fonde.

Il arrive cependant qu’elles passent complètement à côté de ce qui nous semble évident. Demandez à la version la plus récente de ChatGPT de concevoir l’image d’une salle ne contenant absolument aucun éléphant, et… un petit éléphant se présentera au fond de la pièce élégamment représentée. D’où vient que les puissants algorithmes des modèles d’IA actuels semblent, parfois, manquer totalement de bon sens ? Essentiellement du fait que celles-ci ne saisissent notre monde que par les représentations écrites et graphiques que nous en laissons dans nos documents numériques. Elles n’ont, sinon, aucune expérience concrète de la réalité. Clément Romac et ses collègues d’Inria esquissent une voie pour les en doter, en faisant interagir des modèles de langage avec des environnements virtuels mimant les régularités du monde physique.

Cela suffira-t-il à doter les machines de bon sens ? Il faudrait d’abord pour cela s’entendre sur la nature de ce fameux bon sens, que l’on évoque sans jamais le définir vraiment. Que partageons-nous authentiquement en commun, qui aille sans dire, pour tout le monde ? Très peu de chose, en fait, montre Mark Whiting, de l’université d’État de Pennsylvanie, en s’appuyant sur l’analyse statistique de la perception de milliers d’énoncés. Parmi les faits les mieux reconnus comme allant de soi figurent ceux qui sont inspirés par la physique du quotidien (un objet tenu et lâché tombe par terre). Les domaines de connaissance affichant le plus grand nombre d’énoncés perçus comme relevant du bon sens sont, par ailleurs, la technologie et les sciences naturelles ; l’histoire, la religion et la philosophie figurent en bas de classement. Est-ce surprenant ? Trouver ce sur quoi il est possible de s’accorder, en faisant rendre raison aux faits, par l’expérimentation, la mesure et le calcul, constitue le cœur du travail des chercheurs. Au point que les connaissances scientifiques et l’exigence de la méthode d’enquête propre aux sciences puissent être un point d’appui recommandable, en cette année d’échéances électorales importantes, dans de nombreux pays ? Simple question de bon sens… n

POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 / 3
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ACTUALITÉS GRANDS FORMATS

P. 6

ÉCHOS DES LABOS

• Comment la sclérose en plaques est arrivée en Europe

• Des langues des signes sous influence géopolitique

• Mond fait-il tourner les systèmes binaires ?

• Valoriser les boues rouges

• Pourquoi les insectes sont-ils attirés par la lumière ?

• Homo sapiens parmi les Néandertaliens du nord

P. 18

LES LIVRES DU MOIS

P. 20

DISPUTES

ENVIRONNEMENTALES

Carbone, inégalités et science-fiction

Catherine Aubertin

P. 22

LES SCIENCES À LA LOUPE

L’art de vulgariser le doute

Yves Gingras

P. 36 ÉCOLOGIE L’ÉLAN CLIMATIQUE DES LIANES

En Amérique du Sud, le réchauffement climatique semble avantager les lianes au détriment des arbres, ce qui pourrait affecter la capacité des forêts tropicales à fixer le carbone.

P. 48

ASTROPHYSIQUE

LES MONDES ERRANTS VONT-ILS PAR PAIRES ?

En couverture : © koya979/Shutterstock

Les portraits des contributeurs sont de Seb Jarnot Ce numéro comporte un courrier de réabonnement posé sur le magazine sur une sélection d’abonnés.

Des étoiles trop petites pour briller ? Des planètes éjectées de leur berceau ? Les astrophysiciens découvrent un nombre croissant de mondes errants dans la Voie lactée Certains semblent constituer des paires. Ces nouvelles observations les obligent à repenser les théories sur la formation de ces objets énigmatiques.

P. 56

ENVIRONNEMENT DU SABLE À TOUT PRIX

Le crime organisé extrait le sable des rivières et des côtes pour répondre à la vaste demande mondiale, ruinant les écosystèmes et certaines populations locales Enquête sur les réseaux mafieux et les stratégies pour y mettre fin

P. 64

L’ENJEU ÉTHIQUE DES INTERFACES CERVEAU-MACHINE

Les interfaces cerveaumachine implantées directement dans le cerveau et les casques commerciaux se développent. Quelles incidences auront-ils sur la population ?

4 / POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024
557 / Mars 2024
TECHNOLOGIE

P. 72

HISTOIRE DES SCIENCES ÉMILIE DU CHÂTELET, ENTRE ANONYMAT ET AMBITION

Keiko Kawashima

Un livre méconnu de la marquise du Châtelet, femme illustre des Lumières, révèle son ambition et les stratégies qu’elle a utilisées pour sortir de l’anonymat à une époque où la science était l’apanage des hommes.

P. 24

INFORMATIQUE

LES IA FACE AU RÉEL

Clément Romac, Thomas Carta et Pierre-Yves Oudeyer

Les modèles massifs de langage sont partout : outils bureautiques, moteurs de recherche, applications professionnelles… Ils sont pourtant incapables de comprendre le monde des humains. Les immerger dans des univers factices – mais physiquement réalistes – suffira-t-il à les doter de bon sens ?

P. 32

SOCIOLOGIE COMPUTATIONNELLE « NOUS NE DEVRIONS PAS SUPPOSER QUE LES AUTRES PARTAGENT LE MÊME “BON SENS” QUE NOUS »

Entretien avec Mark Whiting

Le bon sens serait ce que la majorité considère comme l’ensemble des affirmations allant de soi Or si l’on prend cette définition pour la tester auprès de plus de 2 000 personnes en leur soumettant plus de 4 000 affirmations, la réalité se révèle tout autre : nous nous accordons sur bien peu Le bon sens, une illusion collective, inaccessible aux IA ?

RENDEZ-VOUS

P. 80

LOGIQUE & CALCUL DU TEXTE À L’IMAGE : CAP FRANCHI POUR L’IA

Jean-Paul Delahaye

Les nouvelles technologies en intelligence artificielle génératrice offrent la possibilité de créer des images sur tout sujet et dans tout style. Quels sont les ressorts de ces capacités qui s’apparentent à de la créativité ?

P. 86

ART & SCIENCE

Une nouvelle histoire du Père Castor

Loïc Mangin

P. 88

IDÉES DE PHYSIQUE

Mettez de l’iode dans votre moteur

Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik

P. 92

CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION

La pieuvre qui fait mieux que les glaciologues

Hervé Le Guyader

P. 96

SCIENCE & GASTRONOMIE

Une consistance sur le fil Hervé This

P. 98 À PICORER

POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 / 5

P. 6 Échos des labos

P. 18 Livres du mois

P. 20 Disputes environnementales

P. 22 Les sciences à la loupe

PALÉOGÉNOMIQUE

COMMENT LA SCLÉROSE EN PLAQUES EST ARRIVÉE EN EUROPE

Certains gènes augmentent les risques de développer une sclérose en plaques. Une étude récente vient de montrer que ceux-ci ont été introduits dans le nord-ouest de l’Europe il y a près de 5 000 ans par des populations d’éleveurs venus de l’Est, comme l’illustre cette vue d’artiste.

L’analyse de l’ADN humain extrait d’ossements anciens révèle comment les gènes augmentant les risques de développer cette maladie se sont di usés en Europe.

En 2017, la sclérose en plaques touchait 110 000 personnes en France, et on estimait à environ 5 000 le nombre de nouveaux cas par an. Cette maladie auto - immune , qui affecte aujourd’hui plus de 2,5 millions de personnes dans le monde, et plus particulièrement en Europe du Nord, conduit le système immunitaire à s’attaquer à la gaine membranaire qui entoure les neurones dans le cerveau et dans la colonne vertébrale. Les lésions qui en résultent provoquent des perturbations motrices, cognitives ou encore visuelles . Cette maladie , qui se déclare en moyenne autour de 30 ans, est la première cause de handicap sévère d’origine non traumatique chez les jeunes adultes. Si les traitements actuels soulagent partiellement les patients de leurs symptômes,

leur efficacité est très relative à moyen terme, et ils n’empêchent pas la maladie de progresser. Du reste , un certain nombre de mystères nimbent encore la sclérose en plaques, en particulier l’iné-

£La sclérose en plaques touche plus de 2,5 millions de personnes dans le monde £

galité de sa distribution dans le monde, avec deux fois plus de cas recensés dans le nord de l’Europe que dans le sud . Récemment, et pour mieux comprendre cette maladie neurodégénérative , une

équipe internationale de 175 chercheurs, dirigée par Eske Willerslev, de l’université de Copenhague, s’est intéressée à ses origines génétiques et à sa diffusion géographique au cours du temps Pour ce faire, les scientifiques ont eu recours à des méthodes de paléogénomique, de plus en plus usitées pour mieux comprendre l’évolution au fil des âges de notre immunité, de nos pathologies et de la santé humaine, de manière globale À partir d’ossements et de dents, ils ont extrait, séquencé et analysé l’ADN ancien de 86 humains ayant vécu à travers l’Eurasie qu’ils ont combiné avec celui de 1 664  individus analysé dans une autre étude –  le plus ancien étant âgé de 45 000  ans, et le plus récent datant du Moyen Âge Comparer ces données avec des échantillons modernes leur a ensuite permis de cartographier la diffusion au fil du temps de mutations localisées dans des gènes connus pour être responsables de certaines maladies.

L’Europe du Nord souffre de la plus haute prévalence de sclérose en plaques

6 / POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 ÉCHOS DES LABOS
© SayoStudio

dans le monde Or la cartographie établie par Eske Willerslev et son équipe montre que des mutations détectées dans les gènes réputés augmenter les risques de développer cette maladie ont été introduites en Europe du Nord et de l’Ouest il y a environ 5 000  ans Elles ont en effet voyagé au sein de la population yamnaya, des éleveurs de troupeaux qui ont migré massivement depuis l’est et la steppe pontique ( région comprenant de nos jours l’Ukraine, le sud-ouest de la Russie et le Kazakhstan occidental). Chez ces individus , les variants génétiques en question fournissaient un avantage sélectif, en les protégeant vraisemblablement contre des maladies infectieuses portées et transmises par leurs moutons et bovins. Or, d’un point de vue génétique, on estime que les Yamnaya sont les ancêtres des habitants actuels d’une grande partie du nord-ouest de l’Europe, leur influence génétique sur les populations méridionales étant bien moindre Cela expliquerait donc le fameux gradient nord-sud observé vis-à-vis de la prévalence de la sclérose en plaques en Europe.

De précédentes études avaient déjà identifié 233 variants génétiques responsables d’une augmentation de 30 % des risques de développer une sclérose en plaques , en particulier lorsqu’ils sont associés à certains facteurs environnementaux ou relatifs au mode de vie Toutefois, l’analyse d’ADN ancien provenant d’individus ayant vécu au Moyen Âge a montré que ces variants étaient déjà présents dans des ossements vieux de 1 000  ans Pour les chercheurs , cette découverte souligne à quel point nos maladies d’aujourd’hui peuvent être tributaires des systèmes immunitaires de nos ancêtres Notre mode de vie étant drastiquement différent de celui de nos prédécesseurs, en matière d’hygiène, de régime alimentaire et de médicamentation, nous pouvons être beaucoup plus sensibles à certaines maladies qu’eux. n

Des langues des signes sous influence géopolitique

Comment les langues des signes sont-elles apparentées ?

Des linguistes et des statisticiens se sont associés pour explorer cette question avec des outils informatiques. Robin Ryder, du Centre de recherche en mathématiques de la décision, nous présente les résultats.

Propos recueillis par Sean Bailly

Combien estime-t-on qu’il existe de langues des signes dans le monde ?

Il existerait plusieurs centaines de langues des signes modernes, même si ce nombre n’est pas précisément connu. Elles existent depuis toujours et dès qu’une personne était sourde, elle communiquait avec son entourage avec ses propres signes. À partir du XVIIIe siècle, des écoles ont été créées pour les enfants sourds et malentendants. Cela a conduit à une dynamique de systématisation et d’uniformisation. Ces enfants ont appris la même langue des signes et celle-ci a été transmise aux générations suivantes. Les professeurs, en voyageant et en fondant de nouvelles écoles, ont di usé ces langues.

Toutes ces langues seraient-elles donc apparentées ?

En partie. Mais chacune a eu sa propre évolution. Un Français a participé à la création de la première école aux États-Unis, mais la langue des signes américaine a connu en plus de deux cents ans sa propre évolution. Et les documents historiques sont trop peu nombreux pour pouvoir reconstruire précisément ce réseau d’influence.

Quelle méthode avez-vous utilisée ?

Nous avons adopté une technique qui a fait ses preuves pour les langues parlées, une analyse mathématique et informatique inspirée de la phylogénétique. L’idée est d’exploiter une base de signes, de définir certaines propriétés et d’évaluer la proximité de ces signes entre deux langues. Nous avons utilisé une liste d’une centaine de mots signés et leurs diverses représentations en vidéo. Nous avons défini les propriétés de chacun et, par un traitement statistique à partir de modèles d’évolution, évalué la phylogénie des di érentes langues.

Quels sont vos résultats ?

Nous retrouvons de nombreux résultats bien connus. Notamment,

la langue des signes britannique est très proche de celle de la Nouvelle-Zélande et très éloignée de celle des États-Unis. Cela s’explique par des faits géopolitiques. À la fin du XVIIIe siècle, les États-Unis avaient déjà pris leur indépendance alors que la Nouvelle-Zélande était encore une colonie anglaise. De la même façon, on constate que la langue des signes taïwanaise est proche de celle du Japon, or Taïwan a été sous domination japonaise de 1895 à 1945. Les faits géopolitiques ont contribué à forger certaines relations.

En Europe, on note une proximité entre les langues des signes des pays baltes et celle de l’Ukraine qui se trouvaient dans la sphère d’influence de la Russie. On retrouve le même genre de relation entre les langues allemande, tchèque et autrichienne.

Autre surprise, on pensait que la langue des signes britannique avait eu une évolution assez indépendante de celle des autres pays d’Europe ; il n’en est rien. Il y a donc eu beaucoup d’échanges entre l’Angleterre et le continent.

Un autre constat concerne les relations entre l’Europe et l’Asie. Nous avons des témoignages d’enseignants européens partis en Asie (et réciproquement). Mais si on suppose que les langues des deux continents sont liées et forment une unique famille, l’analyse statistique donne de mauvais résultats. Cela suggère que les langues asiatiques ont eu leur propre évolution et qu’elles n’ont guère été influencées par les contacts avec les Européens.

Quels sont vos projets à venir ?

Dans notre analyse, nous avions 19 langues, 15 en Europe, 4 en Asie. Il serait intéressant d’étendre cette approche à d’autres langues, sur tous les continents. Nous exhiberons peut-être des relations entre des langues peu étudiées. Relations qu’il restera ensuite à éclaircir, un vaste travail interdisciplinaire entre statisticiens et linguistes nous attend ! n

POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 / 7
Barrie et al., Nature, 2024.
W.
LINGUISTIQUE
N. Abner et al., Science, 2024.

L’ESSENTIEL

> Les modèles de langage tels que ChatGPT, malgré des capacités parfois stupéfiantes, font encore des erreurs grossières les faisant paraître comme déconnectés de notre monde.

> Ces modèles purement virtuels n’ont été entraînés qu’à générer du texte sans jamais

avoir accès à ce que ces mots peuvent signifier dans notre monde physique.

> Pour résoudre ce problème, connu sous le nom d’« ancrage des symboles », il est possible de faire interagir les modèles de langage avec un monde mimant la réalité physique.

LES AUTEURS

CLÉMENT ROMAC ingénieur de recherche (Hugging Face), doctorant dans l’équipe Flowers (Inria, Bordeaux)

THOMAS CARTA informaticien, doctorant dans l’équipe Flowers (Inria, Bordeaux)

Les IA face au réel

Les modèles massifs de langage sont partout : outils bureautiques, moteurs de recherche, applications professionnelles… Ils sont pourtant incapables de comprendre le monde des humains. Les immerger dans des univers factices – mais physiquement réalistes – suffira-t-il à les doter de bon sens ?

ChatGPT, GPT-4, Bard, Gemini… Ces derniers mois ont vu éclore une série de « modèles de langage » en majorité élaborés par des grandes entreprises (Google, Facebook, OpenAI…). Ces outils intrigants et désormais largement adoptés par le grand public (qui n’a pas encore entendu parler de ChatGPT ? ) ont tous le même principe de fonctionnement : un logiciel capable de répondre à des messages envoyés sous forme de texte par un utilisateur. Répondre à des questions sur des faits historiques , raconter des blagues , rédiger une lettre de motivation… Les capacités de ces outils semblent impressionnantes à première vue Mais, lorsque l’on creuse, certaines limites apparaissent. On peut notamment observer que ces logiciels produisent parfois des informations fausses , voire inventées de toutes

pièces Il est alors d’autant plus difficile de faire le tri entre le vrai et le faux qu’ils sont indiscernables pour le modèle, qui présente chaque résultat sans précaution particulière.

Il arrive cependant que les informations présentées éveillent d’emblée les soupçons. C’est notamment le cas quand elles semblent tout à fait déconnectées du monde dans lequel nous vivons En témoigne cette explication au doux parfum d’absurde, lors d’un échange avec ChatGPT-3 : si un anaconda ne peut « rentrer, en taille, dans un centre commercial », c’est que la longueur du reptile poserait problème, étant donné la hauteur usuelle des plafonds de ce type de bâtiment (voir page 26)

Pourquoi un modèle passe-t-il à côté de ce qui nous semble évident ? Comment expliquer que, parfois, ce qui relève du sens commun lui échappe complètement ? Pour comprendre, il faut revenir à la nature des modèles de langage

PIERRE-YVES OUDEYER Chercheur en IA et sciences cognitives, directeur de recherche, responsable de l’équipe Flowers (Inria, Bordeaux)

24 / POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 © koya979/Shutterstock
INFORMATIQUE
POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 / 25

MARK WHITING est chercheur au sein du Laboratoire de sciences sociales computationnelles (CSSLab) de l’université d’État de Pennsylvanie. Il conçoit des modèles informatiques simulant la manière dont les groupes humains se comportent et se coordonnent à grande échelle. Avec Duncan Watts, directeur du laboratoire, il vient de développer une méthode d’objectivation du sens commun, testée pour la première fois auprès d’un peu plus de 2 000 volontaires.

Nous ne devrions pas supposer que les autres partagent le même « bon sens » que nous

Le bon sens serait ce que la majorité considère, sans besoin d’y réfléchir, comme l’ensemble des affirmations allant de soi. Or si l’on prend cette définition pour la tester auprès de plus de 2 000 personnes en leur soumettant plus de 4 000 affirmations, la réalité se révèle tout autre : nous nous accordons sur bien peu. Le bon sens, une illusion collective ? Retour sur des résultats très inattendus, qui éclairent la difficulté d’enseigner le bon sens à une intelligence artificielle.

32 / POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024
© Mark Whiting SOCIOLOGIE COMPUTATIONNELLE

Qu’est-ce qui vous a amené, avec Duncan Watts, à développer une méthode capable de caractériser empiriquement la notion de sens commun ?

Le « sens commun », ou « bon sens », joue à l’évidence un rôle dans un très grand nombre d’activités humaines – qu’il s’agisse de faire confiance à la façon dont les autres conducteurs vont se comporter sur la route, ou de décider quand il est opportun de renoncer à plus de détails dans une explication (ce qui est particulièrement important dans la recherche). Mais, peut-être en raison, d’ailleurs, de cette omniprésence, la nature même du sens commun est rarement interrogée Nous ne réfléchissons pas à ce qu’il est parce que la réponse elle-même semble devoir aller de soi

Par conséquent, s’il y avait un décalage entre ce que le bon sens est empiriquement et ce que nous semblons tous penser qu’il est, cela pourrait être d’une très grande importance pour un large éventail d’activités humaines C’est ce que nous avons voulu déterminer.

Quel problème posait l’absence d’outil pratique caractérisant empiriquement la notion de bon sens ?

L’absence de mesure formelle du bon sens a conduit à une situation où les gens l’évoquent de manière rhétorique, qui ne peut être réfutée Mais en réalité, vous ne pouvez pas dire à votre interlocuteur que quelque chose relève ou ne relève pas du bon sens si vous n’avez pas la méthode pour l’évaluer Cette situation pose également un défi aux développeurs de systèmes d’intelligence artificielle, car ils ne disposent pas d’un moyen universel de valider l’aptitude de leurs systèmes à saisir le sens commun À défaut, ils s’appuient sur des définitions partielles ou des mesures peu significatives

Vos résultats amènent-ils à une définition claire du sens commun, et à la manière dont il est plus ou moins partagé ?

Nous avons construit deux mesures reproductibles ; la première évalue le degré de sens commun de tel ou tel énoncé, et ce qui est perçu comme du sens commun pour tel ou tel individu Nous assimilons pour cela le degré de bon sens d’une personne à la proportion des opinions qu’elle partage avec d’autres à propos d’une longue liste d’affirmations, ainsi qu’à son aptitude à prédire correctement le fait que les autres y adhèrent ou non. La seconde mesure évalue ce qui relève du sens commun pour un collectif d’individus . Ces deux mesures donnent la possibilité de caractériser formellement le concept.

Nous révélons ainsi que le bon sens existe, mais qu’il est plus rare que chacun ne l’imagine. Nous montrons également que la plupart des gens ont un niveau similaire de bon sens Nous

Part moyenne tous domaines confondus

0 % 25 % 50 %

75 % 100 %

Technologie et sciences appliquées

Sciences naturelles et physiques

Géographie et lieux

Santé et forme

Mathématiques et logique

Culture générale

Activités humaines

Culture et arts

Population et individu

Religions et croyances

Société et sciences sociales

Histoire et événements

Philosophie et pensée

Part des a irmations perçues comme relevant du bon sens par domaine abordé

avons aussi mis en évidence le fait que si l’on réunit plusieurs énoncés reconnus par plusieurs personnes comme relevant du bon sens, alors ces groupes de croyances partagées sont très petits Cela suggère qu’il n’y a pas de noyau d’idées auquel de larges parts de la population seraient susceptibles d’adhérer collectivement. Ces résultats valent pour la cohorte d’individus que nous avons étudiée [ un peu plus de 2 000 personnes, de tous âges et milieux sociaux, ndlr]. Mais notre méthode de mesure du sens commun est hautement généralisable et utile pour établir un large éventail de comparaisons.

D’après vos résultats, il y a une différence entre identifier quelque chose comme relevant du bon sens et utiliser son bon sens pour soutenir un argument ou un point de vue. Que signifie cette différence ?

Étant donné qu’il y a toujours une dimension stratégique dans la communication, nous avons pensé qu’il serait intéressant de comprendre si le bon sens pouvait éventuellement être identifié comme un artifice rhétorique Parmi les a ffi rmations que nous avons soumises à nos évaluateurs, certaines auront pu être formulées dans le but d’influencer ce que

Les énoncés formulés avec des mots simples, relatifs aux phénomènes naturels observables dans le monde réel, sont les plus susceptibles d’être considérés comme relevant du bon sens. Dans le détail, parmi plus de 4 000 énoncés, ceux qui concernent la technologie et les sciences appliquées se classent en tête ; ceux qui se rapportent à la philosophie et à la pensée en dernière position. En moyenne, un peu moins de 70 % des énoncés sont perçus comme procédant du bon sens.

POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 / 33
© Pour la Science ; source : M. E. Whiting et D. J. Watts, A framework for quantifying individual and collective common sense, PNAS, 2024

CERTAINES CATÉGORIES DE POPULATION SONT-ELLES PLUS DOTÉES DE BON SENS QUE D’AUTRES ?

Féminin

Veuf

Divorcé

Séparé

Jamais marié

Marié

Fortement conservateur

Conservateur

Modéré

Libéral

Fortement libéral

Autre

Part des individus doués de bon sens

Doctorat

Diplôme professionnel

Diplôme post-universitaire

Diplôme de premier cycle universitaire

Bac + 2

Études universitaires

Baccalauréat

Lycée

Part des individus doués de bon sens

On mesure le degré de bon sens d’un individu par la proportion des opinions qu’il partage avec d’autres, à propos d’une longue liste d’affirmations. On se fonde également sur son aptitude à prédire correctement le fait que les autres y adhèrent ou non. Il apparaît alors que la part d’individus doués de bon sens varie très peu selon les catégories sociales usuelles (âge, sexe, niveau d’étude, orientation politique…).

La proportion de personnes avec lesquelles un groupe d’individus est d’accord à propos d’un lot d’affirmations données, et avec lesquelles ce groupe fait les mêmes prédictions quant à l’opinion qu’aura la majorité sur ces affirmations, forme une « clique ». La taille de cette clique, par rapport à l’ensemble d’une population, peut être vue comme une mesure du bon sens d’un groupe donné. Il apparaît qu’elle décroît très vite avec le nombre d’affirmations considérées.

34 / POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 SOCIOLOGIE COMPUTATIONNELLE « NOUS NE DEVRIONS PAS SUPPOSER QUE LES AUTRES PARTAGENT LE MÊME “BON SENS” QUE NOUS » 100 % 100 % 75 % 75 % Part de la population dans la clique Part des a irmations partagées dans la clique 50 % 50 % 25 % 25 % 0 % 0 %
50 30 Âge 70 Parti politique Indépendants Républicains Démocrates Valeurs morales
Niveau d’éducation
Sexe
Masculin Ascendance Asiatique Autre Amérindiens Blanche Noire Statut familial
Revenus (en US$) 125 000 75 000 25 000 100 000 50 000 50 % 50 % 70 % 70 % 90 % 90 %
Pour la Science ; source : M. E. Whiting et D. J. Watts, A framework for quantifying individual and collective common sense, PNAS, 2024
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les autres en pensent , par exemple quand elles ont un caractère normatif [« Pour aller au bureau, il convient de porter un costume », ndlr]. Il apparaît que cela n’a pas échappé à nos volontaires Autrement dit , dire à des gens que cela relève du bon sens ne les empêche pas d’en juger autrement , selon leurs propres critères.

La dimension sociale du bon sens semble essentielle. En effet, il faut, pour être à même de dire qu’une affirmation relève du bon sens, être convaincu que ce point de vue fait consensus. Dans le cas extrême d’un enfant grandissant isolé des autres, puis se réintégrant à la société à l’âge adulte, ce qui se rapportera alors au « bon sens » pour cette personne devrait être très différent de ce qui en témoignera pour les autres, n’est-ce pas ?

Nos résultats indiquent que l’intelligence sociale [l’aptitude à percevoir les émotions des autres, ndlr] est l’attribut individuel le plus prédictif du caractère « sensé » d’une personne donnée Les gens qui n’ont pas passé de temps avec les autres ont souvent du mal à développer cette compétence et, par conséquent, nous pouvons extrapoler qu’il est probable qu’ils ne possèdent pas autant de bon sens Cela dit, une personne dont le sens commun est faible en raison de ce type de situation peut être capable de développer une bonne compréhension du monde… à l’exception du fait qu’elle ne se fera pas une bonne représentation de ce que pensent les autres

Comment expliquez-vous que ce qui est perçu comme bon sens correspond le plus souvent, d’après vos mesures, à des affirmations formulées en termes clairs et simples, qui évoquent en premier lieu la réalité physique quotidienne ?

L’important pour comprendre ce constat est de concevoir qu’une chose qui vous semble évidente peut ne pas être considérée comme relevant du simple bon sens par une autre personne Bien sûr, cette personne peut ne pas trouver l’idée, par elle-même, limpide Mais il est probable aussi qu’elle ne perçoive pas que cette idée est pourtant classée par la majorité comme appartenant au sens commun. Par conséquent, les concepts témoignant manifestement de sens commun sont ceux que le plus grand nombre s’accorde à reconnaître comme allant de soi Si bien qu’il s’agit plutôt de choses simples à formuler – de sorte que tout le monde les comprend de la même manière – et qui apparaissent comme (ou sont réellement) des faits – et qu’ainsi chacun puisse être sûr que leur interprétation sera la même pour tous Soulignons aussi que les énoncés concernant la réalité physique quotidienne renvoient à des expériences partagées , cohérentes , par opposition aux

£ Dire à des gens que cela relève du bon sens ne les empêche pas d’en juger autrement

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concepts influencés par l’expérience individuelle ou les préférences personnelles.

Dans le but de doter davantage les IA du sens commun, l’approche dite de « l’ancrage fonctionnel » simule justement des interactions physiques entre un agent et son environnement (prendre et pousser des objets, explorer des pièces, se déplacer pour voir autour et plus loin…). Diriez-vous que cela a été bien inspiré ? Nos travaux s’attachent à définir et mesurer les connaissances relevant du sens commun. L’approche que vous évoquez semble contribuer plus précisément au développement d’un raisonnement de bon sens, relatif au monde physique Elle s’apparente beaucoup à la façon dont les gens développent de telles capacités : les jeunes enfants ont tendance à essayer des choses (et passent par d’innombrables petits échecs) afin d’apprendre à connaître le monde J’ajouterai que dans de nombreuses situations, le raisonnement de bon sens repose sur des connaissances de bon sens. Si bien que l’approche choisie pourrait ne pas suffire à un apprentissage satisfaisant. Pensons aux normes sociales, qui déterminent quand faire quelque chose est acceptable ou raisonnable . Typiquement, l’approche d’apprentissage par « ancrage fonctionnel » fonctionnera d’autant mieux que l’environnement et les actions simulés sont indépendantes de ces normes.

Vos travaux font apparaître que ce qu’une personne considère comme du bon sens est potentiellement propre à cette seule personne. Est-ce inquiétant ? Pensez-vous que dans certaines populations spécifiques (les scientifiques, les croyants d’une religion donnée…) la fraction serait significativement plus importante ?

BIBLIOGRAPHIE

Je ne pense pas que ce soit trop inquiétant –nous avons survécu jusqu’à présent avec notre sens commun limité, et cette limitation ne semble pas s’aggraver de manière dramatique, par rapport au passé récent Cela dit, je pense que nous ferions bien d’en prendre note. En général, nous ne devrions pas supposer que les gens partagent le même sens commun que nous, et nous devrions être davantage explicites et communicatifs, autant que cela nous est possible. Je pense également que le niveau de sens commun partagé et son contenu dépendent beaucoup de l’homogénéité de la communauté étudiée. Les résultats que nous avons obtenus ne s’appliquent réellement qu’au groupe de personnes et aux énoncés analysés. Toutefois, nous pensons qu’une meilleure compréhension des limites spécifiques du sens commun dans des populations diverses et sur di ff érents corpus de sujets constituerait un travail futur intéressant n

Propos recueillis par François Lassagne

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M. Whiting et D. J. Watts, A framework for quantifying individual and collective common sense, PNAS, 2024. Watts, Everything Is Obvious, Crown, 2011.

Les mondes errants, entre planètes et étoiles, sont trop légers pour produire leur propre lumière. La Voie lactée pourrait regorger de ces objets sombres et difficiles à détecter.

48 / POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 ASTROPHYSIQUE

L’ESSENTIEL

> Le nombre de mondes errants connus croît rapidement, surtout depuis le lancement du télescope spatial James-Webb.

> Les astrophysiciens ont été surpris de trouver des planètes errantes formant des paires. Si cette observation se confirme, il reste à comprendre comment naissent ces systèmes binaires.

> Une piste reposerait sur le passage d’une étoile près d’un système planétaire dont elle éjecterait simultanément deux planètes de la taille de Jupiter.

L’AUTEUR CHARLIE WOOD journaliste scientifique, spécialisé en physique et astrophysique

Les mondes errants vont-ils par paires ?

Des étoiles trop petites pour briller ? Des planètes éjectées de leur berceau ?

Les astrophysiciens découvrent un nombre croissant de mondes errants dans la Voie lactée, dont certains semblent constituer des paires. Ces nouvelles observations les obligent à repenser les théories sur la formation de ces objets énigmatiques.

Lorsque Galilée, le célèbre savant italien de l’université de Padoue, a braqué vers le ciel la lunette qu’il avait fabriquée, il a été subjugué par ce qu’il a vu : plus de cinq cents nouvelles étoiles dans la constellation d’Orion , bien moins lumineuses que celles plus familières de la Ceinture du chasseur et d’une poignée d’autres, dont Bételgeuse et Rigel.

En octobre 2023, des astronomes ont utilisé le télescope spatial James-Webb (JWST) pour zoomer sur une région au sud de la Ceinture , sur la nébuleuse d’Orion , et ont

identifié quelque cinq cents autres points auparavant invisibles. Ces mondes sont si petits et si peu lumineux qu’ils brouillent la frontière entre ce qu’on définit comme une étoile ou comme une planète Cette ambiguïté posait déjà des problèmes à Galilée, qui qualifia les lunes de Jupiter tantôt d’« étoiles » tantôt de « planètes » sur la même page de son traité d’astronomie de 1610. Elle continue de défier les astronomes aujourd’hui.

« Quand on regarde le Système solaire, il est bien ordonné. Il y a d’un côté le Soleil, une étoile , et de l’autre les planètes » , explique Samuel Pearson, astronome à l’Agence spatiale

POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 / 49
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ESO/L. Calçada/P. Delorme/R. Saito/VVV Consortium

européenne (ESA). Il n’y a rien entre les deux Mais « lorsqu’on commence à scruter ailleurs, ajoute-t-il, on se rend compte qu’existe un spectre complet [d’objets] avec pratiquement toutes les masses intermédiaires possibles »

Les observations du JWST viennent enrichir un catalogue de plus en plus fourni d’objets isolés occupant cette zone grise entre les planètes géantes et les étoiles minuscules Parfois appelés « planètes flottantes » ou « errantes » , ces mondes solitaires dérivent librement dans l’espace. Si les astronomes sont capables d’estimer la masse de ces boules de gaz sombres de la taille de Jupiter, leur origine reste peu claire S’agit-il vraiment de planètes, des « Jupiters » qui étaient autrefois en orbite autour d’une étoile et qui ont été éjectées d’une façon ou d’une autre ? Ou s’agit-il plutôt de microétoiles qui n’ont pas réussi à s’allumer ?

Au lieu de répondre à cette question, les clichés du JWST ajoutent au mystère : l’œil infrarouge du télescope a découvert que des dizaines de ces mondes semblent se mouvoir par paires, tournant l’un autour de l’autre – une configuration déroutante qui , si elle était confirmée, défierait toutes les attentes

Ces duos improbables ne s’expliquent pas facilement avec les théories actuelles sur la formation des étoiles ou des planètes errantes. Cependant, moins d’une semaine après l’annonce du JWST , des chercheurs ont publié une nouvelle idée audacieuse décrivant comment des planètes géantes peuvent être éjectées par paires de leurs systèmes d’origine – un processus que la plupart des spécialistes considéraient comme pratiquement impossible Il reste à voir si cette proposition rend bien compte de l’ensemble du zoo de ces mondes sombres Une avancée considérable, quoi qu’il en soit, qui promet un enrichissement très prochain de la compréhension des astres errants et des systèmes stellaires.

DES MONDES SOMBRES

PARTOUT

Les mondes errants ont échappé à l’attention des astronomes pendant des siècles à cause de leur faible luminosité. Pour fusionner l’hydrogène et briller, les étoiles doivent être au moins 80 fois plus massives que Jupiter. Les mondes errants sont beaucoup plus légers et sont communément définis comme ayant une masse inférieure à 13 fois celle de Jupiter Tout astre entre 13 et 80 Jupiters peut en effet fusionner une variante plus lourde de l’hydrogène – le deutérium ; il se range alors dans la famille des naines brunes, ou ce que les astronomes nomment parfois des « étoiles ratées ». Au début, l’invisibilité relative des astres errants a incité certains astrophysiciens à se demander s’il n’y avait pas assez d’objets de ce type pour expliquer l’existence de la matière

La nébuleuse d’Orion est un vaste nuage de gaz d’environ 24 années-lumière de largeur. C’est une pouponnière où naissent de nombreuses étoiles et qui contient des astres très jeunes et très chauds.

noire , cette composante de l’Univers de nature non identifiée qui semble maintenir la cohésion des galaxies Cette hypothèse a incité les astronomes à traquer ces mondes dans les années 1990, en examinant les subtiles façons dont leur gravité déforme l’apparence des étoiles devant lesquelles ils passent (en déformant l’espace-temps dans leur voisinage et en déviant la lumière des astres en arrière - plan ). La nature indirecte de ces études de « microlentilles » ne permettait pas de déceler des objets individuels flottant librement , mais elles ont montré qu’il n’y

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avait pas assez d’objets pour que leur e ff et global constitue la matière noire.

Les premières images de mondes errants sont apparues dans les années 2000, lorsque les astronomes ont repéré quelques objets qui brillaient encore dans l’infrarouge à cause de la chaleur accumulée durant leur formation , qu’ils n’avaient pas complètement dissipée. Ces observations ont permis d’esquisser les premiers scénarios sur leur origine. En 2010, des astrophysiciens , dont Sean Raymond , directeur de recherche CNRS au laboratoire d’astrophysique de Bordeaux , ont simulé

l’évolution de systèmes planétaires Ils ont découvert que lorsqu’une planète géante gazeuse éjecte une planète sœur de son système, comme cela arrive parfois, l’expulsion étire l’orbite de celle qui reste en une ellipse Cette signature caractéristique, les astronomes l’avaient déjà observée à maintes reprises, ce que le groupe de Sean Raymond et d’autres chercheurs ont interprété comme les cicatrices d’un traumatisme interplanétaire passé.

Le premier catalogue assez riche de mondes errants n’a pas été dressé par des chasseurs de planètes , mais par des chasseurs d’étoiles partis à la recherche d’objets stellaires encore plus légers que les naines brunes Núria Miret Roig, maintenant à l’université de Vienne , et Hervé Bouy, de l’université de Bordeaux , étaient à la recherche de la plus naine des naines brunes dans la constellation du Scorpion, qui abrite une nébuleuse gazeuse où sont nées un grand nombre d’étoiles et de planètes Ils ont cherché, au milieu de plus de 26 millions de points de lumière infrarouge pas plus gros que des têtes d’épingle répartis sur 80 000 images, des objets faiblement lumineux qui se déplaçaient dans leur champ de vision au cours d’observations s’étalant sur vingt ans. En 2021, ils ont annoncé qu’ils avaient trouvé une centaine d’objets candidats d’une masse comprise entre 4 et 13 fois celle de Jupiter, ce qui a multiplié par cinq le nombre de mondes errants connus

PLANÈTES ÉJECTÉES ET ÉTOILES MINUSCULES

Avec cette collection plus riche d’objets à analyser, les chercheurs ont pu se pencher sur la question fondamentale de l’origine de ces mondes L’une des possibilités est la voie planétaire : ils se sont formés à partir des débris qui constituent les disques entourant une étoile nouvellement née Une rencontre fortuite avec un voisin les aurait ensuite éjectés, comme dans les simulations de Sean Raymond en 2010.

La seconde possibilité est que ces astres errants se soient constitués seuls, lorsqu’un nuage isolé d’hydrogène et d’hélium est devenu assez dense pour s’effondrer sous son propre poids et former une boule plus compacte C’est ainsi que naissent les étoiles, et ces mondes ressembleraient davantage à de minuscules naines brunes qu’à des planètes.

Núria Miret Roig et Hervé Bouy sont arrivés à la conclusion que ces deux scénarios rendaient compte chacun d’une part des objets de leur catalogue sans pouvoir dire précisément combien étaient des planètes et combien des étoiles. Néanmoins , les objets les plus légers, a priori des planètes éjectées, étaient bien trop nombreux pour que les modèles d’expulsion suffisent à les expliquer « Il y a beaucoup de planètes errantes , résume la © NASA, ESA, CSA / Science leads and image processing: M. McCaughrean, S. Pearson, CC BY-SA 3.0 IGO

POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 / 51

chercheuse, elles se forment probablement par plusieurs mécanismes différents »

Trois jours après la publication des travaux de Núria Miret Roig et d’Hervé Bouy, le JWST décollait, ouvrant ainsi une nouvelle ère pour l’étude des planètes errantes

Les astronomes se doutaient que le JWST serait une machine efficace pour trouver ces petits mondes obscurs Situé bien au-delà des perturbations de l’atmosphère terrestre, l’observatoire est doté d’un miroir géant qui lui confère une sensibilité supérieure à celle de son prédécesseur, le télescope spatial Hubble Enfin, il capte la lumière infrarouge, ce qui le rend idéal pour repérer des objets peu lumineux

TRAQUE SYSTÉMATIQUE

Samuel Pearson s’est associé à Mark McCaughrean, un astronome de l’ESA , pour rechercher des mondes errants de façon plus systématique qu’il n’avait été possible de le faire jusqu’à présent. Ils souhaitaient traquer des objets, comme les naines brunes, dans la « zone grise » située entre les étoiles et les planètes, où ces deux familles de corps célestes se rencontrent. En octobre 2022, les deux astronomes ont pointé le télescope spatial vers la nébuleuse d’Orion pendant 35 heures. Il a fallu des mois à Samuel Pearson pour aligner, pixel par pixel, les 12 500  images de la nébuleuse d’Orion prises par le JWST Après avoir terminé la mosaïque cosmique, Samuel

Les clichés de la nébuleuse d’Orion du télescope spatial JWST ont révélé des objets étonnants, des couples de mondes errants, dont la formation est difficile à expliquer avec les théories actuelles.

Pearson a été récompensé : plus de cinq cents objets flottants de quelques masses jupitériennes mouchetaient la nébuleuse d’Orion. Mais la véritable surprise a été de voir, en y regardant de plus près, quelque chose qui, au départ, n’avait pas beaucoup de sens Certaines de ces taches lumineuses étaient des paires d’objets de la masse de Jupiter Au total, il a recensé 42  paires d’astres tourbillonnants, un nombre impressionnant

DES DUOS IMPOSSIBLES

D’un point de vue théorique, ces duos semblaient presque impossibles Il était peu probable qu’il s’agisse de planètes éjectées : lorsqu’une planète en expulse une autre d’un système stellaire, la planète éjectée s’envole presque toujours seule Mais il ne pouvait pas non plus s’agir d’étoiles, car nombre d’entre elles pesaient l’équivalent de Jupiter et guère plus, une masse trop faible pour que l’objet se soit formé directement à partir de l’effondrement d’un nuage de gaz. L’équipe a baptisé ces duos mystérieux des « jumbos », l’acronyme anglais pour « objets binaires de la masse de Jupiter », et les a décrits dans un article publié le 2 octobre 2023.

Les jumbos ont pris au dépourvu les experts en formation d’étoiles et de planètes « Ce phénomène n’avait pas du tout été prévu. Aucune théorie existante ne nous aurait permis de nous attendre à ce que ces objets planétaires soient aussi abondants » , s’étonne Matthew Bate , astrophysicien à l’université d’Exeter

52 / POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 ASTROPHYSIQUE LES MONDES ERRANTS VONT-ILS PAR PAIRES ? © D’après Merrill Sherman/Quanta Magazine ; source : Mark McCaughrean et Sam Pearson / Nasa, ESA, CSA

Les astronomes avaient déjà observé que, bien que de nombreuses étoiles massives tournoient dans l’espace avec des partenaires, la fraction d’étoiles en couple diminue avec leur masse. « Nous nous attendions à ce que cette tendance se poursuive » , note Nienke van der Marel, chercheuse qui étudie la formation des planètes à l’observatoire de Leyde, aux PaysBas Ainsi, le pourcentage de paires d’objets de la masse de Jupiter « devrait tendre vers zéro » Un saut à 10 % ne figurait pas du tout dans la liste des découvertes attendues du JWST

Mais ces jumbos sont-ils bien réels ou sontils des mirages ? Plus un objet est enfoui dans un environnement poussiéreux (et la nébuleuse d’Orion est très poussiéreuse), plus il est difficile de le distinguer d’une étoile lointaine et plus massive située derrière la nébuleuse, qui a, du fait de cette masse plus élevée, davantage de chance d’avoir un partenaire. Lors d’études précédentes, entre 20 et 80 % de ce qu’on pensait être des mondes flottants se sont révélés être des étoiles tout à fait classiques « Il convient d’être prudent pour le moment » , insiste Núria Miret Roig

Au printemps 2024, Samuel Pearson et Mark McCaughrean utiliseront le JWST pour observer à nouveau leur lot de mondes flottants, mais cette fois ils exploiteront davantage de données spectroscopiques. Ces observations complémentaires permettront de confirmer la réalité des jumbos en recherchant des traces de

La formation de paires de Jupiters serait assez facile si les planètes

sont proches

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méthane ou d’eau dans leur atmosphère : ces signatures sont caractéristiques de mondes de la masse de Jupiter. « Une fois que nous aurons les spectres, explique Samuel Pearson, il n’y aura pratiquement plus de doute possible sur la nature de ces objets »

Même sans la confirmation que les jumbos sont bien réels, les théoriciens réfléchissent déjà à une explication possible de ces mondes qui laissent perplexes les spécialistes Rosalba Perna, astrophysicienne à l’université de Stony Brook, près de New York, a entendu parler des jumbos de la nébuleuse d’Orion dans les journaux, avant même de lire l’article de Samuel Pearson. Avec Yihan Wang, de l’université du Nevada à Las Vegas, elle avait étudié ce qui arrive lorsqu’une étoile passe à côté d’un autre système stellaire Ils s’étaient principalement concentrés sur la simulation de systèmes comportant une seule planète géante Mais les jumbos ont amené Rosalba Perna à se demander ce qui surviendrait s’il y avait deux planètes géantes Elle a contacté son collègue et lui a proposé de modifier leurs simulations en insérant un deuxième Jupiter

UNE SOLUTION EXPRESS

L’astrophysicien a réécrit son programme pour avoir d’innombrables systèmes stellaires à deux Jupiters, perturbés sous tous les angles possibles par une seconde étoile Il a également configuré le logiciel pour qu’il l’avertisse si l’étoile « intruse » éjectait les deux planètes en même temps, créant ainsi un jumbo. Il a ensuite envoyé son code sur un centre de calcul et est parti déjeuner. À son retour, Yihan Wang a retrouvé une longue liste d’alertes indiquant la formation de systèmes binaires.

En effectuant des dizaines de milliards de simulations, les deux chercheurs ont constaté que la formation de paires de Jupiters était assez facile si les planètes se trouvaient assez proches l’une de l’autre lorsque l’étoile maraudeuse passait par là. Cette situation est d’autant plus probable que les planètes sont sur deux orbites très rapprochées ( comme

Ce texte est une adaptation de l’article Rogue worlds throw planetary ideas out of orbit, publié par Quanta Magazine, le 13 novembre 2023.

https://colibris.link/J3ATX

POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 / 53

Uranus et Neptune ). Dans ce cas , jusqu’à 20  éjections sur 100 produisent des jumbos (les 80 autres donnent des planètes simples), ce qui est plus que suffisant pour expliquer le taux de 10 % que Samuel Pearson a observé dans la nébuleuse d’Orion. Mais pour les planètes dont les orbites sont plus éloignées les unes des autres ( Jupiter et Neptune , par exemple ), presque toutes les éjections ont conduit à des planètes solitaires.

Ces corps sont la partie immergée de l’iceberg d’objets plus sombres à la dérive dans la Voie lactée £

difficile de croire qu’il y ait eu beaucoup systèmes planétaires de grande taille dans la nébuleuse d’Orion pour les perturber »

À ce stade , de nombreux chercheurs explorent d’autres pistes pour expliquer la formation de ces mondes errants, à la frontière entre planètes et étoiles Les simulations de Yihan Wang ont montré que la formation de paires de planètes géantes est , au moins dans certains cas , théoriquement possible . Autre scénario possible, les théoriciens suggèrent que les ondes de choc des supernovæ seraient en mesure de comprimer les petits nuages de gaz et de les aider à s’effondrer en paires d’étoiles minuscules plus facilement que ne le prévoient les modèles actuels

Bien que de nombreuses questions restent en suspens, la multitude de mondes flottants découverts ces deux dernières années a permis aux chercheurs d’avancer dans leur compréhension. D’abord, ces objets se forment vite, sur des millions d’années plutôt que sur des milliards Dans la nébuleuse d’Orion, qui est née il y a environ 3  millions d’années, des nuages de gaz se sont effondrés, des planètes se sont constituées et certaines ont peut-être même été entraînées dans l’abîme par des étoiles de passage.

BIBLIOGRAPHIE

Y. Wang et al., Floating binary planets from ejections during close stellar encounters, prépublication en ligne sur arXiv, 2023.

S. G Pearson et M. J. McCaughrean, Jupiter mass binary objects in the Trapezium cluster, prepublication en ligne sur arXiv, 2023.

N. Miret-Roig et al., A rich population of free-floating planets in the Upper Scorpius young stellar association, Nature Astronomy, 2021.

Avec l’aide de Zhaohuan Zhu, collègue de Yihan Wang, le groupe a travaillé d’arrachepied Le trio a rédigé ses résultats et soumis en ligne une prépublication le 9  octobre 2023, à peine une semaine après la découverte des jumbos. « La vitesse à laquelle ils ont écrit cet article est stupéfiante », confie Samuel Pearson Pour d’autres astrophysiciens théoriques, ces jumbos et ces simulations sont plausibles… et surprenants. « Je ne pensais pas que [la création d’une paire de planètes errantes] était possible du point de vue de l’éjection, note Sean Raymond Mais cet article change la donne » Toutefois, certains aspects de la théorie de l’intrusion stellaire devront être étudiés plus en détail La nébuleuse d’Orion est un endroit dense où de nombreuses étoiles tournent dans tous les sens, mais est-elle assez chaotique pour donner naissance à des systèmes stellaires, puis les briser, le tout en l’espace de quelques millions d’années ? Par ailleurs, de nombreux jumbos de Samuel Pearson et Mark McCaughrean orbitent les uns autour des autres à de grandes distances ; ils sont plusieurs fois plus éloignés les uns des autres que Pluton ne l’est de la Terre Cela ne colle pas aux simulations de Yihan Wang. Le seul moyen d’obtenir des jumbos aussi espacés serait de partir de systèmes stellaires aux orbites éloignées les unes des autres, ce qui ne fonctionne pas dans les simulations.

« Nous savons, grâce à la recherche par imagerie directe de jeunes étoiles, que très peu de ces astres ont des planètes géantes sur des orbites [larges], remarque Matthew Bate Il est

« La formation d’une planète en 1  million d’années est difficile à réaliser avec les modèles actuels, constate Nienke van der Marel Cette [découverte] ajouterait une nouvelle pièce au puzzle »

COMBIEN DE NEPTUNES ET TERRES ERRANTES ?

Autre conclusion , le nombre de ces mondes errants est gigantesque. Pour des raisons évidentes, les géantes gazeuses sont les plus faciles à observer, mais elles sont aussi les plus difficiles à expulser de leur système, de la même façon qu’une boule de bowling serait plus difficile à éjecter qu’une boule de billard Cette observation suggère que pour chaque « Jupiter errante » repérée, de nombreuses « Neptunes et Terres errantes » passent inaperçues. Nous vivons probablement dans une galaxie qui regorge de mondes bannis de toutes tailles.

Près de quatre cents ans après l’émerveillement de Galilée devant la myriade de points lumineux – lunes, planètes et étoiles – dans le ciel de la Terre, ses successeurs découvrent la partie immergée de l’iceberg d’objets plus sombres à la dérive au sein de la Voie lactée. Les étoiles minuscules , les planètes sans étoiles, les astéroïdes invisibles, les comètes extraterrestres et bien d’autres encore « Nous savons qu’il y a tout un tas d’objets entre les étoiles », conclut Sean Raymond Ce type de recherche « ouvre une fenêtre sur tout cela, pas seulement sur les planètes errantes, mais sur les objets errants en général » n

54 / POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 ASTROPHYSIQUE LES MONDES ERRANTS VONT-ILS PAR PAIRES ?

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L’ESSENTIEL

> En 1744 parut un curieux livre, anonyme à première vue, mais dont certains éléments permettaient de retrouver le nom de son autrice, Émilie du Châtelet, future traductrice réputée de Newton.

> Cet ouvrage est resté peu étudié, car il ressemblait à une compilation d’articles déjà publiés.

> Mais en l’examinant de plus près, on s’aperçoit que ces articles ont été réécrits.

> Ce livre donne des clés pour comprendre l’évolution de la pensée scientifique et de la propre ambition d’Émilie du Châtelet dans un monde intellectuel très masculin.

L’AUTRICE

KEIKO

KAWASHIMA professeuse émérite de l’institut de technologie de Nagoya

Émilie du Châtelet, entre anonymat et ambition

Un livre méconnu de la marquise du Châtelet, femme illustre des Lumières, révèle son ambition et les stratégies qu’elle a utilisées pour sortir de l’anonymat à une époque où la science était l’apanage des hommes.

Il arrive qu’en examinant de plus près un livre ancien considéré comme sans intérêt, on découvre une pépite C’est ce qui m’est arrivé quand j’ai commencé à me pencher sur un ouvrage méconnu d’Émilie du Châtelet intitulé Dissertation sur la nature et la propagation du feu, paru en 1744. À cette époque, la marquise a 38 ans et traverse une période de transition. Sa relation avec Voltaire, son amant depuis une dizaine d’années, est devenue instable. Il apparaît aussi qu’elle n’étudiera pas en Angleterre, elle qui le souhaitait ardemment. Et elle hésite encore à se lancer dans la traduction commentée , en français , des Principia mathematica , d’Isaac Newton, l’œuvre maîtresse du physicien britannique parue en 1687 en latin, où il a posé les fondements de la physique moderne Or, comme pour symboliser cette situation, tout, dans la Dissertation, semble étrange À première vue, l’ouvrage se présente comme guère plus que la réunion de deux anciens textes sans rapport entre eux : un article éponyme qui traite de chimie et une réponse à une lettre de Jean-Jacques Dortous de Mairan, secrétaire

perpétuel de l’Académie royale des sciences (l’ancêtre de l’Académie des sciences), sur une question de physique L’assemblage paraît bricolé : ces deux articles, la lettre de Mairan et l’« Avis du libraire » qui introduit l’ensemble sont imprimés dans des polices de caractères différentes et avec une pagination indépendante. Il n’y a pas de table des matières dans le livre et l’aspect des pages suggère que différents types de papier ont été utilisés pour chaque élément Enfin, il en existe plusieurs tirages et le contenu diffère selon l’édition En particulier, l’exemplaire conservé à la Bibliothèque nationale de France (BNF) n’est pas sa version définitive : il ne contient que l’article « Dissertation » précédé de l’« Avis du libraire », ce qui a sans doute contribué au peu d’intérêt qui lui a été porté. J’avais commencé à m’intéresser à la « Dissertation » dans sa version originale, parue en 1739, parce que c’était le premier article écrit par une femme publié dans une revue de l’Académie royale des sciences et parce que je me demandais pourquoi on avait pris la peine de le publier à nouveau en 1744. En comparant les versions, je me suis aperçue que l’autrice en

Grâce à son père, le baron de Breteuil, Émilie du Châtelet (ici sur un tableau conservé au château de Breteuil) a reçu, comme ses deux frères, une éducation approfondie en latin et en mathématiques, discipline qu’elle affectionnait particulièrement.

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72 / POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 HISTOIRE DES SCIENCES
Château de Breteuil
POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 / 73

avait réécrit le contenu Et en poursuivant mon enquête, j’ai découvert que le livre Dissertation se révélait être un ouvrage crucial pour comprendre non seulement l’évolution des idées d’Émilie du Châtelet en sciences, mais aussi son ambition dans le domaine , celle d’une savante qui n’avait rien à envier à ses contemporains et dont les idées scientifiques étaient tout aussi dignes d’attention que les leurs

À notre époque, le nom d’Émilie du Châtelet a connu la célébrité bien avant que les femmes de sciences ne deviennent un sujet populaire. Néanmoins, jusque dans les années 1980, toute l’attention qu’on lui portait visait à conforter la valeur des hommes célèbres à ses côtés, en particulier celle de Voltaire, l’une des principales figures du siècle, le premier à proposer, en 1738, dans ses Éléments de la philosophie de Newton, une introduction à la gravitation universelle du savant anglais sous une forme compréhensible en France, alors dominée par la philosophie de René Descartes

DANS L’OMBRE DE VOLTAIRE

Dans les années 1730, lorsqu’ils s’étaient rencontrés et étaient devenus amants, Voltaire était entouré de jeunes intellectuels – dont PierreLouis Moreau de Maupertuis, Alexis Clairaut et la fratrie suisse des Bernoulli – qui soutenaient ouvertement la théorie de Newton, alors que l’Académie royale des sciences s’appuyait encore sur la théorie des vortex de Descartes, selon laquelle les planètes seraient entraînées autour du Soleil par un immense tourbillon de matière céleste. La marquise, jeune et intelligente, était vite devenue leur idole

Grâce à son père, le baron de Breteuil, qui avait joué un rôle considérable à Versailles, la marquise avait en effet reçu dès son enfance une éducation soutenue , inaccessible aux femmes à cette époque De plus, la petite fille était autorisée à rester dans le salon de ses parents, qui recevaient non seulement des gens du monde, mais aussi les plus grands intellectuels de leur temps comme Bernard Le Bouyer de Fontenelle, l’auteur des Entretiens sur la pluralité des mondes, un ouvrage de vulgarisation qui, à la fin du xviie siècle, avait contribué à faire connaître l’héliocentrisme et la cosmologie que Descartes avait construite autour. Le jeune François Marie Arouet, futur Voltaire, s’y montrait aussi. À proprement parler, ces amants célèbres s’étaient donc rencontrés bien avant 1734. Ainsi, lors de leurs retrouvailles, Émilie du Châtelet, excellente en mathématiques et en métaphysique, était déjà en mesure de comprendre et d’appuyer les idées de ses amis savants. Voltaire l’encensait de surnoms comme « Divine Émilie », « Minerve de la France », « disciple de Newton ». Avant les années 1970, la plupart des historiens qui ont étudié des documents académiques

L’ouvrage d’Émilie

du Châtelet intitulé Dissertation sur la nature et la propagation du feu, publié en 1744, ne comportait aucun nom d’auteur sur sa couverture.

sur la marquise étaient des spécialistes de Voltaire aux connaissances scientifiques limitées Ils ont ainsi vite vu en cette femme rien de plus qu’une newtonienne à la Voltaire. L’éloge émouvant du philosophe à son sujet a joué un rôle décisif dans cette interprétation. Joint à la traduction des Principia de Newton que la marquise a finalement menée à bien, mais dont la publication n’a eu lieu qu’en 1759, après sa mort, il présente ainsi son autrice : « Ainsi, après avoir eu le courage d’embellir Leibniz, elle eut celui de l’abandonner : courage bien rare dans quiconque a embrassé une opinion, mais qui ne coûta guère d’efforts à une âme qui était passionnée pour la vérité [la philosophie de Newton]. »

À la suite de Voltaire, on considérait donc cette femme comme une personne sans indépendance, d’abord attirée par la théorie newtonienne grâce à son amant, puis qui aurait fait un détour en chemin par les idées du savant allemand Gottfried Leibniz, et serait finalement revenue au newtonisme Contemporains, Newton et Leibniz n’étaient pas en désaccord sur tout, mais sur plusieurs points, en particulier sur la « force d’un corps en mouvement ». Pour Leibniz, le mouvement d’un corps se mesurait par sa « force vive », égale au produit mv2 de la masse m du corps par le carré de sa vitesse v, alors que pour Descartes et, à sa suite, Newton et nombre d’autres savants de l’époque, la force d’un corps en mouvement était égale à mv (voir l’encadré page ci-contre)

QUELQUES REPÈRES

1706

Émilie naît à Paris.

Vers l’âge de 10 ans, elle rencontre Fontenelle et le jeune Voltaire chez son père, le baron de Breteuil.

1725

À 19 ans, elle épouse le marquis du Châtelet.

1734

Elle revoit Voltaire et devient son amante.

1735

Elle accueille Voltaire dans son château de Cirey et travaille activement comme newtonienne.

Vers 1738

Elle s’intéresse à la théorie des forces vives de Leibniz.

1739

Sous l’influence de Kœnig, elle commence à s’intéresser aussi à la philosophie de Leibniz tout en continuant d’explorer la physique de Newton.

1745

Elle se lance dans la traduction des Principia de Newton.

Depuis les années 1980, cependant, plus aucun chercheur ne considère Émilie du Châtelet comme une pâle copie de Voltaire. Une œuvre pionnière à l’origine de cette nouvelle vague est Émilie, Émilie, où son autrice, la philosophe Élisabeth Badinter, a réexaminé tous les textes de la marquise sous l’angle de l’ambition féminine au xviiie siècle Ces dernières années, des historiens ont aussi analysé en détail ses réalisations dans divers domaines Ils ont ainsi mis au jour son déisme, sa théorie du bonheur et la place qu’elle occupait dans la République des lettres, un cercle de savants de toute l’Europe, majoritairement masculins, qui partageaient leurs réflexions au moyen de rencontres et d’échanges épistolaires.

Concernant les sciences, il est désormais admis qu’Émilie du Châtelet introduisit pour la première fois en France la philosophie de Leibniz, dans ses Institutions de physique, parues en 1740, ainsi que les Principia de Newton, grâce à la traduction commentée de l’ouvrage qu’elle en fit On comprend que cela ait perturbé son entourage, dont Voltaire, puisque les théories de Leibniz et de Newton étaient alors considérées comme contradictoires. Les mots de la préface de Voltaire ne sont ainsi qu’une interprétation parmi d’autres tentant de résoudre ces contradictions et non la propre explication fournie par la savante de ses idées

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Or c’est justement ce qu’apporte la Dissertation sur la nature et la propagation du feu : des clés pour comprendre l’évolution de ses idées et de ses ambitions scientifiques.

Pour bien cerner la démarche qui a conduit la marquise du Châtelet à publier ce livre, il est important de comprendre quelle était son ambition par rapport à celle des autres femmes de science de son temps Quand on suit son évolution dans le monde scientifique, ce qui frappe, c’est que, dès le début, la jeune femme est déchirée. En effet, même si son père lui a donné la même éducation qu’à ses frères, celleci était classique. Par exemple, si elle connaissait parfaitement la géométrie euclidienne, elle ne savait presque rien du calcul infinitésimal avant 1734. C’est après l’âge de 27 ans, c’est-àdire après sa rencontre avec Voltaire – huit ans après son mariage avec le marquis du Châtelet et après ses deux accouchements –, qu’elle a commencé à s’initier aux sciences mathématiques de pointe de l’époque

ENTRE AMBITION ET TRISTE RÉALITÉ

Or à cet âge ses mentors et amis érudits dans ce domaine, comme Maupertuis, Clairaut, les frères Bernoulli et, plus tard, l’Allemand Samuel Kœnig, avaient déjà terminé leurs études et commencé leurs recherches Dans cette discipline plus qu’ailleurs, être jeune présentait un avantage, ce qu’Émilie du Châtelet avait vite compris. Dès qu’elle a souhaité y exceller plutôt que d’afficher son talent dans les milieux mondains, elle s’est rendu compte de ses limites Plus son amour pour l’apprentissage était sérieux, plus sa souffrance augmentait.

Dans ses Institutions de physique, dédiées à son fils , l’autrice souligne l’importance de l’éducation dès le plus jeune âge : « J’ai toujours pensé que le devoir le plus sacré des hommes était de donner à leurs enfants une éducation qui les empêchât dans un âge plus avancé de regretter leur jeunesse, qui est le seul temps où l’on puisse véritablement s’instruire » Elle critique par ailleurs une société qui ne permet pas aux femmes de recevoir une éducation formelle, où les « limites des femmes » ne sont pas dues au destin , mais à des « constructions sociales ». Elle écrit en 1735 dans la préface de sa traduction de la Fable des abeilles, de l’écrivain britannique Bernard de Mandeville, laissée à l’état de manuscrit : « Les femmes seront en droit de réclamer contre leur éducation. […] Je suis persuadée que bien des femmes ou ignorent leurs talents, par le vice de leur éducation, ou les enfouissent par préjugé, et faute de courage dans l’esprit. » Émilie du Châtelet avait donc toutes les raisons de ne pas renoncer à ses ambitions académiques.

Pour autant , s’il est vrai que la société du xviii e siècle loue l’intelligence des femmes

qui rendent leur environnement social plus agréable, elle ne leur permet pas d’admettre leur propre ambition Marie d’Arconville, une femme de sciences née quatorze ans après Émilie du Châtelet, pionnière en chimie, le souligne dans un texte également laissé à l’état de manuscrit , avec précision et sarcasme : « Affichent- elles la science ou le bel esprit ? Si leurs ouvrages sont mauvais , on les siffle ; s’ils sont bons, on les leur ôte ; il ne leur reste que le ridicule de s’en être dites les auteurs » En fait, même si elle a publié de nombreux ouvrages de haut niveau avec des idées audacieuses, Marie d’Arconville n’y a jamais révélé son nom ni son sexe Quant à la mathématicienne italienne Laura Bassi, professeuse à l’université de Bologne et membre de l’Académie des sciences de cette ville, si elle était très demandée lors de diverses cérémonies

LA QUERELLE DES FORCES VIVES

Pour Newton comme pour Descartes, la force d’un corps en mouvement, c’est-à-dire la mesure de ce mouvement, est le produit de la masse du corps par sa vitesse (c’est-à-dire ce que nous appelons aujourd’hui sa « quantité de mouvement »). Mais pour Leibniz, ce faisant, on confond force et mouvement. Pour lui, la force motrice se décline sous deux formes selon qu’elle imprime réellement un mouvement – il la nomme alors « force vive » –ou non, quand un obstacle l’en empêche – il parle de « force morte ». Et si la « force morte » est bien le produit de la masse du corps par sa vitesse, la « force vive » est le produit de la masse du corps par le carré de sa vitesse. Cette grandeur n’est autre (à un facteur ½ près) que ce que nous appelons aujourd’hui « l’énergie cinétique » du corps. La querelle des forces vives s’est poursuivie plusieurs années après la mort d’Émilie du Châtelet.

scientifiques et publiques parrainées par des hommes, elle n’a publié presque aucun article ou livre, malgré sa célébrité dans toute l’Europe des Lumières En d’autres termes, les femmes n’avaient d’autre choix que l’éloquence anonyme ou le silence nommé

Émilie Du Châtelet n’aimait aucune de ces deux options Elle voulait exprimer ses idées en son nom . C’est ainsi qu’elle a trouvé sa vocation à l’âge de 29 ans, après avoir « cherché quel genre d’occupation put en fixant [s]on esprit , lui donner cette consistance qu’on acquiert jamais, en ne se proposant pas un but dans les études » Elle serait traductrice d’ouvrages écrits par des géants au « génie créateur » Elle a même avoué que grâce à ses amis savants, elle s’était mise à croire qu’elle était elle-même « une créature pensante » Quelle ironie du sort ! Voltaire et les Bernoulli, par exemple, nés roturiers, se sont-ils inquiétés de savoir s’ils étaient des « créatures pensantes » à cet âge ? Non, jamais ! C’était la réalité des femmes, même pour une marquise issue d’une famille noble

Mais elle pensait aussi que même si elle envisageait de travailler en tant que simple traductrice ou commentatrice, les gens trouveraient

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COMMENT LA MARQUISE EST SORTIE DE L’OMBRE

La chronologie des di érentes publications d’Émilie du Châtelet montre comment peu à peu elle a levé son anonymat. C’est en 1738 qu’elle a publié son premier ouvrage, anonymement. Il s’agissait d’un compte rendu d’un livre de Voltaire – Éléments de la philosophie de Newton – qui connaissait une popularité explosive en France. La marquise y donnait ses propres idées, di érentes de celles de son amant, par exemple sur le poids de la lumière (non nul pour Voltaire, nul pour Châtelet). Jusqu’en 1741, toutes ses publications furent anonymes et, par défaut, d’auteur masculin, sauf dans deux cas : l’article « Dissertation sur la nature et la propagation du feu », paru en 1739, signé « une jeune Dame d’une haute société », et la Réponse de Madame *** à la lettre que Mairan lui a écrite, publiée en 1741. Son nom apparut pour la première fois la même année dans une nouvelle publication de cette réponse, puis dans la seconde édition de ses Institutions, qui connaissaient un grand succès au sein de la République des lettres.

Le livre Dissertation, dont le nom de l’autrice ne figure pas en couverture, rassemble des versions réécrites de l’article « Dissertation », anonyme, et de la « Réponse », qui ne l’est plus, ainsi que la lettre de Mairan et un « Avis du libraire » qui explique que les auteurs de la « Dissertation », de la « Réponse » et des Institutions sont la même personne… La marquise avait probablement planifié la parution de sa Dissertation avant de se rendre compte du succès des Institutions, ce qui l’aurait incitée en cours de route à lui associer ouvertement son nom.

1738

« Lettre sur les Éléments de la philosophie de Newton »

Journal des savants

Émilie du Châtelet

Anonyme masculin

Anonyme féminin

« Dissertation sur la nature et la propagation du feu » Pièces qui ont été présentées à l’Académie royale des sciences, pour concourir au prix de l’année 1738

[Une jeune Dame d’une haute société]

« hardi à une femme d’y prétendre » C’est pourquoi elle a commencé par ne pas signer ses publications, tout en cherchant une solution pour sortir de l’anonymat par son intelligence. La Dissertation sur la nature et la propagation du feu lui a offert cette solution.

UN ARTICLE ÉCRIT EN SECRET

Lorsqu’on examine ses textes et que l’on considère s’ils ont été publiés de façon anonyme ou non, on s’aperçoit en effet qu’il s’agit d’un ouvrage de transition, qu’elle a planifié et développé à un moment critique pour sortir de l’anonymat. Châtelet avait commencé à écrire l’article éponyme en secret, en 1737, afin de participer au concours de l’Académie royale des sciences pour le prix de 1738, dont le sujet était la nature et la propagation du feu Elle l’avait même caché à Voltaire, qui était lui aussi sur le point de soumettre un article au même concours. Elle s’y opposait en effet à son amant, pour qui le feu avait un poids et obéissait donc à la gravitation universelle de Newton – une théorie que ce dernier lui-même n’avait pas clairement formulée. Après l’annonce des résultats du concours, qu’aucun des deux ne remporta, la marquise avait écrit à Maupertuis : « Je crois que vous avez été bien étonné que j’aie eu la hardiesse de composer un mémoire pour l’Académie J’ai voulu essayer ma force à l’abri de l’incognito, car je me flattais bien de

Institutions de physique

Institutions de physique

Publication à Amsterdam et à Londres

« Institutions »

Réponse de Madame *** à la Lettre que M. Mairan lui a écrite

« Réponse »

Réponse de Madame la marquise Du Chastelet à la Lettre que M. Mairan lui a écrite

Institutions physiques 2e édition

©

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1739 1740 1741 1742
Pour la Science, d’après © pluie_r/Shutterstock ; source des données K. Kawashima, dans R. E. Hagengruber, Époque Émilienne, Springer Nature, 2022

n’être jamais connue [ ] Je n’ai pu faire aucune expérience parce que je travaillais à l’insu de M de Voltaire et que je n’aurais pu les lui cacher […] Je combattais presque toutes ses idées dans mon ouvrage »

Émilie du Châtelet n’avait prévenu Voltaire qu’après l’annonce des résultats Grâce aux efforts de ce dernier, elle eut l’honneur d’être la première femme à voir un de ses articles publié anonymement, en 1739 aux côtés de celui de Voltaire, l’Académie ayant reconnu leurs contributions comme « les meilleures de celles qui ont été envoyées » Mais malgré ces éloges, la marquise n’était pas satisfaite de son texte : parce qu’elle l’avait rédigé à la hâte, elle estimait qu’il manquait de finesse De plus, ses idées scientifiques avaient changé entre la soumission de l’article et sa publication En ce qui concerne la force du corps en mouvement, elle était passée de la vision de Descartes et Newton à l’école des forces vives de Leibniz. Or, dans l’article soumis au concours, encore convaincue par l’approche de Newton, elle avait fait l’éloge d’un article écrit par Dortous de Mairan en 1728, « Dissertation sur l’estimation et la mesure des forces motrices des corps », où le savant défendait cette approche.

Lors de l’impression de son article en 1739, elle demanda donc à l’Académie de modifier cet éloge L’Académie rejeta sa demande. Finalement, le problème fut résolu

1743

Institutions physiques

2e éd., traductions italienne et allemande

1744

« Dissertation »

[Anonymat levé par un indice donné dans l’« Avis du libraire »]

Dissertation sur la nature et la propagation du feu

par l’insertion d’errata, mais la marquise n’était pas satisfaite. Naturellement, Mairan fut très mécontent, car, même si ce n’était que par le biais d’errata, une femme contestait son mémoire. Le conflit éclata dans leur correspondance Dans le chapitre 21 des Institutions de physique, la savante critiqua vivement l’article de ce dernier. Bien que cet ouvrage fût anonyme, Mairan, furieux, publia une lettre d’objection adressée à « Madame *** » afin que les lecteurs puissent identifier sa détractrice… laquelle rétorqua aussitôt par une Réponse anonyme.

En fait, un autre événement avait pressé sa réponse : une rumeur circulait selon laquelle le véritable auteur des Institutions était Kœnig Pourquoi lui ? Même si l’ouvrage était anonyme, Châtelet avait pris l’avis de plusieurs savants pendant qu’elle le rédigeait, dont Kœnig, mathématicien hors pair, qui était alors le tuteur de son fils Or leurs relations s’étaient ensuite dégradées. Parce qu’il était leibnizien, Kœnig avait subi les sarcasmes de Voltaire, newtonien passionné. De plus, à la suite d’une querelle sur son salaire, Kœnig avait quitté le château de Cirey, où vivaient les deux amants. Il finit par faire courir le bruit qu’il était le véritable auteur des Institutions, profitant de l’anonymat de Châtelet

Comme c’était un savant reconnu , certaines personnes crurent à son histoire Toutes les mesures que la marquise avait prises pour

1749

1752

1756

1759

« Réponse »

Décès d’Émilie du Châtelet le 10 septembre

« Dissertation sur la nature et la propagation du feu » Pièces qui ont été présentées à l’Académie royale des sciences, pour concourir au prix de l’année 1738

[« La pièce […] est d’une jeune Dame de haut rang » dont le nom apparaît dans le sommaire sous une forme masculinisée : M.L.M Du Chastelet]

Principes mathématiques de la philosophie naturelle

Traduction commentée des Principia Mathematica de Newton, édition incomplète

Principes mathématiques de la philosophie naturelle

Traduction commentée des Principia Mathematica de Newton, édition finale

POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 / 77

éviter les préjugés dus à sa condition de femme avaient donc échoué, comme elle l’expliqua dans une lettre à Jean Bernoulli Il fallait donc qu’elle informe le public dès que possible de sa capacité de plaider contre Mairan sans Kœnig

Châtelet souhaitait de plus que sa correspondance avec Mairan soit largement diffusée, mais l’Académie gardait le silence. L’Histoire de l’Académie des Sciences et le Journal des Savants, deux périodiques très influencés par l’Académie, ignoraient la controverse Furieuse, la marquise en appela à Maupertuis : « Je crois que les journaux ne parleront point de la lettre de Mairan et de la mienne. Il a trouvé apparemment qu’il était plus aisé de leur imposer silence, que de les faire parler à son gré Je vous avoue que j’en suis fâchée, car cela me paraît une anecdote plaisante que je ne veux pas qu’on oublie »

Finalement, le Journal de Trévoux s’empara de la controverse et, en août 1741, quelques mois après la publication de la Réponse anonyme de la marquise à Mairan, fit l’éloge de la première plutôt que du second… mais pas pour son argumentation scientifique Le journal la loua plutôt pour son esprit français et sa féminité, se référant à un passage où elle évoquait des diamants (pour ridiculiser Mairan, elle comparait la force d’un corps en mouvement telle qu’il la concevait à l’achat de diamants avec une somme que l’on n’a pas) : « Elle ne perd point de vue au milieu de ces petites élégances de son sexe, la suite du raisonnement qu’elle a annoncé, dont elle s’acquitte en personne du métier » La réaction d’Émilie du Châtelet à cet éloge est inconnue, mais nous verrons qu’elle n’en était pas satisfaite

La République des lettres prit note de cette correspondance ainsi que des Institutions, qui avaient déclenché la controverse La Réponse fut immédiatement réimprimée avec son nom Puis, la seconde édition des Institutions fut publiée, augmentée de la correspondance entre Mairan et la marquise, avec le nom de l’autrice, et bientôt traduite en allemand et en italien.

UNE SORTIE ASSUMÉE DE L’ANONYMAT

C’est donc une femme qui avait pris confiance en ses propres pouvoirs qui publia, en 1744, le livre Dissertation. Avec cet ouvrage, elle réalisait un souhait de longue date Tout d’abord, elle fit ce qui lui avait été impossible dans le journal de l’Académie : elle ignora l’article de Mairan et se contenta de réviser son article « Dissertation » en y disant simplement : « L’effet de la force des corps étant le produit de sa masse par le carré de sa vitesse [ ] » Une façon de préciser sa position sur les forces vives. Elle y modifia aussi sa « Réponse » à Mairan en supprimant la partie que le Journal de Trévoux avait louée comme très féminine et littéraire, celle sur les diamants – un épisode

Émilie du Châtelet publia ses Institutions de physique anonymement, en 1740 (à gauche), se justifiant plus tard auprès de son ami Jean Bernoulli : « J’avais composé dans mon loisir de Cirey des Éléments de physique que je destinais pour mon fils et qu’une femme de mes amis qui était à Cirey me persuada de faire imprimer prétendant, ce qui est assez vrai, qu’il n’y en avait point en français, et qu’étant assurée de l’incognito puisque je ne me confiais qu’à elle, je jouirais du plaisir de me voir juger sans courir aucun risque si le jugement n’était pas favorable. » L’ouvrage fut un succès, et la savante signa de son nom la deuxième édition (à droite).

plein d’esprit , mais peu scientifique En revanche, Émilie du Châtelet conserva une autre partie que le Journal de Trévoux avait louée : elle considérait que la force d’un corps n’était que scalaire et rejetait l’idée de Mairan d’une force négative en ridiculisant son signe « moins » avec le terme « petite barre »

La publication de cet ouvrage soutenant les forces vives de Leibniz au moment même où la marquise envisageait de traduire Newton suggère que son attitude éclectique envers ce dernier, Leibniz et Descartes, qu’elle avait montrée dans ses Institutions en 1740, était restée inchangée en 1744. En fait, les principes fondamentaux de la pensée de Châtelet sont conformes aux idées de Descartes, et certains experts actuels soutiennent que ses Institutions sont un exemple d’accord de paix entre ces trois géants

Il semble probable que le livre Dissertation n’était pas destiné à paraître dans la forme sous laquelle il a été publié dès le départ, vu son aspect disparate Je suppose qu’Émilie du Châtelet avait à l’origine l’intention de ne publier anonymement que la « Dissertation » révisée, vers 1741 ou avant. Cependant, après avoir vu le succès des Institutions et de sa correspondance avec Mairan , elle a peut- être décidé de lui ajouter la « Lettre » de Mairan et sa « Réponse » révisée sous son propre nom. Ces péripéties expliqueraient pourquoi certaines versions ne contiennent pas tous ces articles

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L’« Avis du libraire » justifie ainsi le choix éditorial : « Comme on tire peu d’exemplaires des pièces des prix [de l’Académie], et que ces exemplaires sont presque tous distribués entre les Académiciens, j’ai cru faire plaisir au public, de lui donner cette Dissertation, dans la même forme, que les Institutions physiques du même auteur ; j’y ai joint la Lettre que M. de Mairan lui écrivit en 1741, au sujet des forces vives, et la réponse de l’auteur, qui m’a donné le reste de l’édition qu’elle fit faire de sa réponse à Bruxelles où elle était alors. »

Si on lit cet « Avis » seul, on peut penser que la « Réponse » dans ce livre n’est qu’une copie exacte de la version de 1741, surtout si, comme dans l’exemplaire de la BNF, il manque la lettre de Mairan et la réponse de Châtelet Ainsi, avec ce seul exemplaire le lecteur ne peut comprendre ni le sens de l’« Avis du libraire » ni l’intention de la marquise

LE « MOI, D’ABORD » INTERDIT

Contrairement à Marie d’Arconville et à Laura Bassi , Émilie du Châtelet a fini par publier ses idées scientifiques sous son nom propre Fut-elle donc la seule ? En réalité, une autre femme s’est fait un nom en mathématiques : Maria Agnesi, une Italienne qui devint membre de l’Académie de Bologne , comme Laura Bassi Son œuvre la plus célèbre , Institutions analytiques (1748), a été traduite dans de nombreuses langues européennes et elle a découvert une loi mathématique qui porte son nom, atteignant ainsi le « génie créateur » auquel Châtelet aspirait tant. Et de fait, tous les mathématiciens de l’Académie parisienne admiraient ses réalisations.

Pour celles-ci, Agnesi reçut des cadeaux coûteux du pape et de monarques Mais ce ne sont pas ses brillants travaux qui sont les plus surprenants du point de vue du genre En fait, la véritable ambition d’Agnesi n’était pas les mathématiques, mais la charité chrétienne et le soulagement des pauvres. Ambition que son père avait étouffée en lui imposant des « devoirs de fille » : cet homme d’affaires lui avait donné une éducation précoce pour élever sa famille socialement . Malgré son aversion pour le monde, elle devait montrer ses talents dans les cercles de la haute société et en accepter les honneurs afin de favoriser « l’ascension sociale de la famille », le « bien de ses parents » ou « la gloire de la ville » À ses 20 ans, Agnesi fut dispensée d’assister aux événements du monde, mais son père lui imposa les mathématiques et son devoir de fille aînée d’éduquer ses frères et sœurs Elle ne put réaliser ses ambitions qu’à 32  ans, après la mort de son père. Elle vendit alors tous les bijoux reçus, quitta sa famille et consacra le reste de sa vie aux pauvres.

Qu’est- ce que cela signifie ? La société n’était-elle pas censée combattre les femmes

qui excellaient dans les domaines masculins ? En fait, il y a ici une règle cachée : celle qui veut qu’il y ait « une exception quand la société patriarcale le veut ». Agnesi n’en était peutêtre pas consciente, mais son hésitation et sa modestie dans la société et parmi les savants étaient plus conformes aux normes sociales de l’époque. Plus elle se retenait et endurait, plus l’impression de femme obéissante au régime était forte. La féminité était en fin de compte une question d’altruisme, d’abandon de soi et de sa vie pour le bien de sa famille et de son entourage Vu sous cet angle, le grand courage et la passion d’Émilie du Châtelet sont surprenants puisqu’elle a atteint le niveau prohibé, le « moi, d’abord », comme l’a écrit Élisabeth Badinter dans son livre – un phénomène rare, tout aussi rare qu’une découverte scientifique majeure.

Lorsque la savante a commencé à traduire les Principia de Newton, elle ne s’est plus cachée. Cela montre qu’après avoir été reconnue comme l’autrice de la Dissertation, elle avait développé une confiance suffisante non seulement en ses propres pouvoirs, mais aussi dans l’accueil qu’elle pouvait désormais attendre en tant que traductrice de Newton. En rédigeant cet ouvrage, elle se demandait si elle serait bien accueillie, parce que tout le monde savait sur quoi elle travaillait Cette crainte, de nombreux écrivains la partagent de nos jours, c’est normal. Cependant, en tant que femme du xviiie siècle, il lui a fallu de nombreuses années pour prendre conscience de cette réalité toute « naturelle »

Le monde d’égalité voulu par Émilie du Châtelet et Marie d’Arconville est-il aujourd’hui une réalité dans les sciences ? « La vie est si courte, si remplie de devoir et de détails inutiles [quand on a une famille et une maison], écrivait la marquise à Maupertuis Je suis au désespoir de mon ignorance Si j’étais un homme, je serais au Mont-Valérien avec vous, et je planterais là toutes les inutilités de la vie » Est-ce réellement du passé ? Les femmes n’ont-elles pas encore besoin de l’autre comme prétexte, de vivre pour les enfants, pour la famille, pour les autres opprimés ? Bien sûr, l’idée n’est pas d’agir volontairement en égoïste. Cependant, n’étouffons-nous pas plus que nécessaire la voix du cœur qui dit : « Je veux agir pour mon propre compte » ?

Pour l’astronome Françoise Combes, lauréate de la médaille d’or du CNRS en 2020 et du prix L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science l’année suivante, trop de gens continuent de penser que certains domaines sont plus adaptés aux hommes et d’autres aux femmes, et que les sciences mathématiques, en particulier, sont réservées aux hommes : « Les jeunes femmes doivent comprendre qu’elles peuvent devenir ce qu’elles veulent » L’histoire d’Émilie du Châtelet est plus que jamais d’actualité n

BIBLIOGRAPHIE

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E. Badinter, Émilie, Émilie ou l’Ambition féminine au XVIIIe siècle, Flammarion, 1983.

POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 / 79

JEAN-MICHEL COURTY ET ÉDOUARD KIERLIK professeurs de physique à Sorbonne Université, à Paris

METTEZ DE L’IODE DANS VOTRE MOTEUR

Pour de petits satellites, et si l’on a un peu de temps devant soi, les moteurs à plasma sont une excellente source de propulsion. Quels sont leurs secrets ?

Un exemple pris dans un carnet de commandes bien rempli :

NPT30-I2-1U équipera le DROID.002 de l’entreprise Turion Space , le premier maillon d’une constellation de satellites destinée à surveiller les débris spatiaux.

NPT30-I2-1U ? C’est le nom d’un moteur électrique affecté à des nanosatellites afin qu’ils puissent corriger leur trajectoire Conçu par la start-up française ThrustMe, il pèse 1 kilogramme, a la forme d’un cube de 10 centimètres de côté (voir la figure ci-dessus) et délivre une poussée d’environ 1 millinewton  ( mN ), c’est- à - dire quatre fois le poids… d’un grain de riz ! Comment fonctionne donc ce propulseur, comment des forces aussi faibles peuvent-elles être utiles dans l’espace et pourquoi, depuis leurs premiers succès au début des années 2000 avec les missions Smart -1 ou Deep Space 1 , ces moteurs jouent-ils un rôle croissant dans

les missions spatiales ? La physique apporte quelques éléments de réponse

DES MOTEURS UTILES… APRÈS LE DÉCOLLAGE

La première image qui nous vient à l’esprit lorsqu’on pense moteur et exploration spatiale est celle de flammes et d’un nuage de fumées s’échappant du réacteur d’une fusée lors du décollage. Il s’agit des gaz très chauds issus d’une combustion et expulsés à haute vitesse vers l’arrière par des tuyères En vertu du principe de l’action et de la réaction, il s’ensuit une force vers l’avant qui fait avancer la fusée Cette poussée est égale au débit de masse (la masse éjectée par seconde) multiplié par la vitesse d’éjection des gaz. Pour décoller depuis la Terre, elle doit être supérieure au poids de la fusée. Aujourd’hui, seuls les moteurs thermiques sont capables de satisfaire cette condition Le lanceur

Saturne V, par exemple, produisait une poussée initiale de 34 méganewtons pour une masse de 3 000 tonnes Il n’est donc pas question de s’en passer Pourtant, ils ont de nombreuses limitations. La masse éjectée et l’énergie fournie à cette dernière ont une même origine – les ergols (des mélanges homogènes de comburants et de carburants) –et ne sont donc pas contrôlables indépendamment La vitesse d’éjection des gaz produits par la combustion des ergols ne peut pas dépasser la vitesse d’agitation thermique correspondant à la température atteinte lors de la combustion. Elle est au mieux de 5 kilomètres par seconde (km/s). Par conséquent, l’embarquement de beaucoup d’ergols est indispensable pour exercer les accélérations ou décélérations (ou incréments de vitesse ) nécessaires aux manœuvres orbitales ou aux missions spatiales !

88 / POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 IDÉES DE PHYSIQUE LES AUTEURS
© Illustrations de Bruno Vacaro

C’est le russe Constantin Tsiolkovski qui établit la méthode de calcul de la masse à embarquer dès 1903 avec une équation à la base des calculs astronautiques Une fois dans l’espace, la masse nécessaire pour obtenir un incrément de vitesse donné augmente comme l’exponentielle du rapport entre cet incrément et la vitesse d’éjection Ainsi , il faut 1,7 tonne d’ergol pour faire gagner 3 km/s à une charge utile de 1  tonne avec une vitesse d’éjection de 3 km/s et 19 tonnes pour un gain de 9 km/s Lorsque la vitesse d’éjection est de 30 km/s, il suffit respectivement de 105 et 350 kilogrammes

SE FAIRE POUSSER PAR DES IONS

Obtenir une vitesse d’éjection de 30  km/s est impossible avec une réaction chimique, mais devient très facile si l’on s’autorise à accélérer des particules

UN MOTEUR À PLASMA

Chau é, un réservoir solide libère des molécules d’iode (en bleu foncé). L’iode I2 est alors dissocié et/ou ionisé. Les ions (en rouge) passent ensuite au milieu de deux grilles, entre lesquelles est appliquée une tension, et sont expulsés, ce qui entraîne la propulsion. Une fois à l’extérieur, ces ions sont neutralisés par des électrons (en bleu clair) : l’engin spatial reste neutre !

Iode

Électron Ion

Chau age Iode solide Chambre à plasma

Bobine du solénoïde

Grille intérieure

Grille extérieure

Flux d’ions

Émetteur d’électrons

Bobine du solénoïde

Ane Aanesland, cofondatrice de ThrustMe, a conçu le NPT30-I2-1U, un moteur électrique de nouvelle génération qui équipe des microsatellites, comme les CubeSat.

chargées avec un champ électrique intense C’est ce que l’on fait dans ces fameux moteurs électriques Prenons le cas de l’iode qui est utilisé dans NPT30-I2-1U. Avec une tension de 1 kilovolt, on accélère un ion iode I + jusqu’à 39 km/s. Le courant électrique et le débit de masse étant reliés, si ce qu’éjecte le moteur consiste en ces ions, on peut en déduire la poussée en fonction du courant et de la tension. Avec 1 ampère et 1  kilovolt, on obtient une poussée théorique de 50 mN avec un débit de masse de 1,3 milligramme par seconde et une puissance électrique de 1 kW. Dans le NPT30-I2, on n’a pas la puissance nécessaire pour un tel courant. Avec une puissance totale disponible d’environ 50  W, y compris pour alimenter la partie du moteur qui crée les ions et pour compenser les pertes, la poussée obtenue est plus faible : typiquement 1  mN pour un débit de 0,08 milligramme par seconde

Que faire avec une poussée aussi faible ? Permettre aux satellites de rester plus longtemps en orbite ! Le NPT30-I2 a été monté récemment sur un nanosatellite d’environ 20 kilogrammes qui orbite à près de 500 kilomètres autour de la Terre à plus de 7  km/s Ce satellite subit une force de frottement aérodynamique dans l’atmosphère résiduelle qui lui fait perdre de l’altitude. Pour l’éviter, il lui faut un « boost » de vitesse de quelques dizaines de mètres par seconde par an. Dans ce but, on doit allumer par intermittence le moteur de l’ordre de la centaine d’heures par an. Pas de problème pour cet engin qui a de quoi fonctionner environ 1 500 heures. On peut donc contrôler assez finement pendant plusieurs années la trajectoire du nanosatellite, y compris pour des procédures d’évitement, en jouant sur la durée d’allumage du moteur et sa poussée (modulable d’un facteur 3). On y retrouve par ailleurs

POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 / 89

les caractéristiques des moteurs électriques spatiaux : peu gourmand en ergol, il permet d’avoir une charge utile accrue ; sa puissance électrique peut être fournie par une source extérieure, le Soleil en l’occurrence, dont la lumière est captée par des panneaux photovoltaïques

Ces moteurs peuvent aussi servir pour des missions plus ambitieuses avec des incréments de vitesse beaucoup plus importants La mission Smart-1, qui a débuté en 2003, a utilisé un moteur électrique de 70 mN de poussée et de 1,8 kW de puissance électrique pour amener une sonde de 366 kilogrammes de la Terre à la Lune Ici, ce sont plus de 80 kilogrammes de xénon, ionisé et expulsé à 16 km/s qui ont pu fournir l’incrément de vitesse de 4  km/s nécessaire aux manœuvres orbitales À cause de la faiblesse de la poussée, il aura fallu plus d’un an pour que la sonde quitte l’orbite terrestre pour celle de la Lune ( trois jours pour les missions Apollo) : cela s’est traduit par une trajectoire spiralaire caractéristique de l’usage de ces moteurs (voir la figure ci-contre)

DU PLASMA

AU CŒUR DU MOTEUR

Si le principe des moteurs électriques est bien établi, la recherche actuelle se concentre sur l’optimisation des performances. Il y a déjà plusieurs façons d’accélérer les charges : en appliquant une tension entre deux grilles par exemple, comme dans le NPT30-I2-1U Simple ?

En apparence seulement. L’accélération a uniquement lieu entre les deux grilles et ne concerne donc qu’un seul type de charge, par exemple des ions positifs si le potentiel de la grille extérieure est inférieur à celui de la grille intérieure Pour que ces ions, créés dans une chambre à plasma (voir la figure page précédente), puissent franchir la grille intérieure, il faut que le potentiel soit le même sur toutes les parois de la chambre, y compris sur la grille intérieure. Pour qu’une fois dépassée la grille extérieure ils ne soient pas réattirés vers elle, on les neutralise en les arrosant avec des électrons produits par un canon à électrons situé en dehors du moteur Cela assure aussi la neutralité électrique du dispositif qui , sinon , se chargerait en éjectant en permanence des charges du même signe. Et comme les électrons sont bien plus « légers » que les ions, cela n’affecte pas la poussée.

Dans le moteur de chez ThrustMe, la grande originalité consiste à remplacer le xénon, rare et cher, par de l’iode S’il a l’avantage d’être chimiquement inerte et

QUI VEUT ALLER LOIN…

Poussé par un moteur à plasma qui lui o re une longue autonomie, un satellite (de petite taille) peut rejoindre sa cible, par exemple la Lune, en quelques années en suivant une trajectoire soit régulière (à gauche, l’objet s’éloigne progressivement en faisant de multiples tours), soit plus complexe (à droite, le parcours de Smart-1 dans sa mission vers la Lune de 2003 à… 2006)

assez facile à ioniser, le xénon doit cependant être stocké dans des réservoirs sous haute pression (plus de 100 bars). L’iode, encore plus facile à ioniser, n’est quant à lui pas onéreux et se présente sous une forme solide qui se sublime avec peu d’énergie (on obtient le débit précité avec 0,02 W). Hélas, il est hautement corrosif, ce qui nécessite l’emploi de matériaux spécifiques, comme des céramiques

Il est aussi assez friable : pour qu’il ne se brise pas en mille morceaux au moment du décollage, on le coule dans une matrice poreuse qui le maintient fermement en place Une fois vaporisé, il est alors bombardé par des électrons accélérés par un champ électrique dont l’origine est un champ magnétique variable créé par un solénoïde Les ions , plus lourds , sont insensibles à ce champ qui fait tourner les électrons autour de l’axe du solénoïde et évite, donc, de les envoyer endommager la paroi de la chambre à plasma

Il n’empêche que cette chambre contient un plasma très agité, mélange d’ions (ici I2 + , I + , I2 + , I, e-) et d’espèces neutres (I2, I) qui l’abîment au cours du temps. Un des enjeux des moteurs électriques spatiaux est, par conséquent, de garantir leur fiabilité sur de longues périodes de fonctionnement, plusieurs années pour des missions interplanétaires, comme ce fut le cas pour la mission Dawn (partie explorer Vesta et Cérès dans la ceinture d’astéroïdes) ou actuellement pour la mission BepiColombo, en route depuis 2018 pour se placer sur l’orbite de Mercure en 2025. n

Les auteurs ont notamment publié : En avant la physique !, une sélection de leurs chroniques (Belin, 2017).

BIBLIOGRAPHIE

D. Rafalskyi et al., In-orbit demonstration of an iodine electric propulsion system, Nature, 2021.

S. Mazou re, Electric propulsion for satellites and spacecraft : Established technologies and novel approaches, Plasma Sources Science and Technology, 2016.

D. Goebel et I. Katz, Fundamentals of electric propulsion : Ion and hall thrusters, JPL Space Science and Technology Series, 2008.

90 / POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 IDÉES DE PHYSIQUE

PRENONS UNE LONGUEUR D’AVANCE SUR LE CANCER

QUI RESTE LA 1ÈRE CAUSE DE MORTALITE PREMATUREE EN FRANCE

PRENONS UNE LONGUEUR D’AVANCE SUR LE CANCER

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Crédit photo @michelnguyen

Madame Anne G ravoin, musicienne et Présidente de Music Booking Orchestra Ad ministratrice au sein de VAINCRE LE CANCER

Crédit

Chaque année, 400.000 nouveaux cas de cancer, tout type confondu, sont dépistés. Statistiquement, il y a un peu plus de 1000 nouveaux malades par jour, parmi lesquels 600 vont guérir et 400 vont mourir.

Madame Anne G ravoin, musicienne et Présidente de Music Booking Orchestra Ad ministratrice au sein de VAINCRE LE CANCER

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Chaque année, 400.000 nouveaux cas de cancer, tout type confondu, sont dépistés. Statistiquement, il y a un peu plus de 1000 nouveaux malades par jour, parmi lesquels 600 vont guérir et 400 vont mourir.

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L’AUTEUR

HERVÉ THIS physicochimiste, directeur du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inrae, à Palaiseau

AUNE CONSISTANCE SUR LE FIL

Les substituts végétaux à la viande se multiplient dans les rayons des supermarchés. On cherche à améliorer leur jutosité.

lors que les autorités sanitaires préconisent une réduction de la consommation de viande et que ses substituts se multiplient, la question de l’amélioration de leur consistance se pose. On trouve ainsi le recours à des protéines végétales extrudées ou assemblées en filaments, comme pour les fibres musculaires (pensons à la bavette !). Bien sûr, il y a des questions de goût à régler, notamment quand on texture des protéines de pois, qui sont astringentes De nombreux articles sont consacrés à cette question. Il est possible d’obtenir des saveurs puissantes, résultant de pyrolyses des protéines, lors des grillades à haute température

Toutefois la difficulté reste surtout d’obtenir des consistances satisfaisantes, ce qui passe notamment par la longueur et le diamètre des filaments ou autres structures formées par les protéines, et la jutosité du tissu obtenu.

À l’université d’agronomie de Pékin, Shanxing Gao et ses collègues ont comparé les filaments formés par les protéines des viandes, des œufs, des légumineuses, du riz ou des champignons. Ils ont étudié les procédés de texturation qui peuvent être mis en jeu pour les obtenir : thermiques, comme pour les actines ou les myosines de l’intérieur des fibres musculaires des viandes, mais aussi acido-basiques ou enzymatiques (comme pour les yaourts), déclenchés par les fortes pressions, etc. Le plus souvent, les filaments identifiés proviennent de protéines globulaires. Les assemblages des protéines en hélices ayant des nombres de brins différents, ils déterminent le diamètre des hélices, et donc des filaments.

Lorsqu’on procède par extrusion – en poussant énergiquement des pâtes faites

Pour conférer aux « steaks » végétaux la consistance typique des tissus carnés, le choix des protéines végétales et des procédés de texturation est déterminant.

d’eau et de protéines dans de très petites ouvertures – on provoque la brusque évaporation de l’eau, et un soufflage qui engendre des structures poreuses, comme pour les biscuits d’apéritif. La technique est au point, mais on cherche en particulier à comprendre comment les structures extrudées se réhydratent lors de leur mise en œuvre, quand on les mettra en présence d’eau, de matière grasse et d’agents de liaison, réhydratation qui détermine la jutosité des substituts de viande formés.

Thiemo van Esbroeck et ses collègues, à Wageningen, aux Pays-Bas, ont étudié la question de manière originale, en analysant treize produits déjà commercialisés. Les protéines végétales extrudées présentes dans ces produits étaient réhydratées avec eau, huile de tournesol, méthylcellulose et sel, avant une cuisson sous vide à basse température, puis un sautage sur les deux faces. Si les compositions étaient différentes, il est apparu que c’est bien la porosité et la minceur des parois formées lors de l’extrusion qui sont bien corrélées à l’absorption d’eau et à sa rétention, en cours de cuisson.

Complétant la compréhension de ces e ff ets physiques, quelques études ont montré des influences essentielles de la nature moléculaire des protéines utilisées. Par exemple, l’ajout de protéines de blé à des protéines de soja en améliore l’extrusion : les produits texturés absorbent plus d’eau.

Bien d’autres procédés de texturation sont aujourd’hui testés, de la molécule à l’assemblage supramoléculaire par association de protéines, ou du tissu massif au filament par division. De nouveaux types de produits d’origine végétale viendront à l’évidence s’ajouter à ceux qui sont déjà commercialisés. n

DES FILAMENTS JUTEUX

➊ Dans un grand saladier empli d’eau, dissoudre 10 % d’alginate de sodium (en vente en ligne), à l’aide d’un mixeur plongeant. Laisser l’alginate s’hydrater pendant quelques heures.

➋ Emplir une seringue de yaourt assaisonné de sel et de poivre, et adapter un tuyau en plastique à la place de la seringue ; pousser le yaourt dans le bain d’alginate de sodium pour obtenir des spaghettis de yaourt, par gélification de l’alginate de sodium au contact des ions calcium du yaourt.

➌ Déposer ces spaghettis dans un moule parallélépipédique, de sorte qu’ils soient tous alignés.

➍ Blanchir des gousses d’ail cinq fois (dans l’eau froide, portée à ébullition) puis les mixer avec du lait.

➎ Dissoudre de la gélatine dans la purée d’ail obtenue, et la couler dans le moule afin qu’elle solidarise les filaments, comme le tissu collagénique lie les fibres musculaires des viandes.

➏ Servir avec des concombres marinés au sel, puis dessalés à l’eau claire, et divisés en julienne.

➐ Agrémenter de menthe en julienne.

96 / POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024 SCIENCE & GASTRONOMIE
© Impossible Foods Inc.

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36 %
MOIS
PAR
30 %
1-F-INT-N-3PVT-8,2
1-F-HSPAP-N-3PVT-6,5 € 1-F-PAP-N-PVT-4,9 €
PAG23STD

PICORER À

p. 36

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PARASITES

Les lianes sont des parasites structurels qui utilisent les arbres pour s’élever et accéder à la lumière du soleil. Avec le réchauffement climatique, leur nombre semble croître dans des parcelles expérimentales de la côte caraïbe du Panamá.

£

p. 64

p. 20

p. 48

JUMBOS

Il ne s’agit pas d’éléphants volants, mais de mondes errants qui évolueraient par paires dans le Système solaire (de l’acronyme « objets binaires de la masse de Jupiter »). Planètes éjectées de leur système d’origine ou corps nés dans des nuages de gaz mais trop petits pour briller comme des étoiles, de nombreux mondes errent au sein de la Voie lactée.

Le cerveau n’est pas un organe quelconque de notre corps […] il devrait être le sanctuaire de notre identité. Il faut le préserver, on ne peut pas juste engranger des données cérébrales et les vendre £

RAFAEL YUSTE neuroscientifique à l’université Columbia

110

La moyenne des émissions de gaz à effet de serre annuelles par personne pour les 1 % les plus riches est de 110 tonnes ; la moitié la plus pauvre de la population mondiale contribue à hauteur de 12 % des émissions globales, avec une moyenne de 1,6 tonne par personne.

p. 88

p. 14

BRUIT DE GRENAILLE

Parce que le courant électrique circule sous la forme de paquets (les électrons), il produit un bruit de fond, nommé « bruit de grenaille » ou « bruit de Schottky » ou encore « bruit quantique ». S’il est plutôt à éviter dans les dispositifs électroniques, le bruit de grenaille a été exploité en laboratoire pour mieux comprendre une phase exotique, celle des métaux dits « étranges ».

« SMART-1 »

La sonde de l’Agence spatiale européenne lancée en 2003 a mis plus d’un an pour rejoindre la Lune, contre trois jours pour les missions Apollo. L’objectif était de tester la technologie du moteur ionique. Si celui-ci n’est pas rapide, il a l’intérêt d’être petit, léger et peu cher. Avantage : il permet de maximiser la charge utile transportée.

p. 92

ÉLÉDONE

L’élédone de Turquet est une espèce de pieuvre qui vit dans les mers entourant le continent Antarctique. On dénombre au moins treize populations individualisées, isolées dans différentes régions. Au gré de la fonte des banquises ouvrant des passages entre les mers, ces populations ont interagi. Des événements climatiques dont on retrouve la trace dans leur ADN !

98 / POUR LA SCIENCE N° 557 / MARS 2024

Tancrède a aidé Elena à stopper 84 projets menaçant l’écosystème marin.

Tancrède verse chaque année 1% de son chiffre d’affaires à des associations agréées 1% for the Planet, dont Surfrider Foundation Europe. onepercentfortheplanet.fr

& LAURA-BARRY (UNSPLASH)

La simulation multiphysique favorise l’innovation

Pour innover, les ingénieurs ont besoin de prédire avec précision le comportement réel de leurs designs, dispositifs et procédés. Comment ? En prenant en compte simultanément les multiples phénomènes physiques en jeu.

scannez-moi pour en savoir plus comsol.fr/feature/multiphysics-innovation

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