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MENSUEL POUR LA SCIENCE
Rédacteur en chef : François Lassagne
Rédacteurs en chef adjoints : Loïc Mangin, Marie-Neige Cordonnier
Rédacteurs : François Savatier, Sean Bailly
HORS-SÉRIE POUR LA SCIENCE
Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin
Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe
Directeur marketing et développement : Frédéric-Alexandre Talec
Chef de produit marketing : Ferdinand Moncaut
Directrice artistique : Céline Lapert
Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy, Ingrid Lhande
Réviseuses : Anne-Rozenn Jouble, Maud Bruguière, Isabelle Bouchery et Camille Fontaine
Assistante administrative : Finoana Andriamialisoa
Directrice des ressources humaines : Olivia Le Prévost
Fabrication : Marianne Sigogne et Stéphanie Ho
Directeur de la publication et gérant : Nicolas Bréon
Ont également participé à ce numéro : Silvana Condemi, Alexandra Gros, Clémentine Laurens, Alexis Morvan, Vivan Poulin, Sandrine Sarrazin
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DISTRIBUTION
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ISSN 0 153-4092
Commission paritaire n° 0927K82079 Dépôt légal : 5636 – Juin 2024 N° d’édition : M0770560-01 www.pourlascience.fr
170 bis boulevard du Montparnasse – 75 014 Paris
Tél. 01 55 42 84 00
SCIENTIFIC AMERICAN
Editor in chief : Laura Helmuth
President : Kimberly Lau
2024. Scientific American, une division de Springer Nature America, Inc. Soumis aux lois et traités nationaux et internationaux sur la propriété intellectuelle. Tous droits réservés. Utilisé sous licence. Aucune partie de ce numéro ne peut être reproduite par un procédé mécanique, photographique ou électronique, ou sous la forme d’un enregistrement audio, ni stockée dans un système d’extraction, transmise ou copiée d’une autre manière pour un usage public ou privé sans l’autorisation écrite de l’éditeur. La marque et le nom commercial « Scientific American » sont la propriété de Scientific American, Inc. Licence accordée à «Pour la Science SARL ». © Pour la Science SARL, 170 bis bd du Montparnasse, 75014 Paris. En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).
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Imprimé en France
Maury Imprimeur SA Malesherbes N° d’imprimeur : 277 996
François Lassagne
Rédacteur en chef
Un improbable faisceau d’acteurs s’est récemment pris de passion pour le décryptage des rouleaux de papyrus carbonisés d’une villa d’Herculanum. Dans cette entreprise, qui donne enfin accès à une large collection d’écrits de l’Antiquité, les programmes d’intelligence artificielle ont joué un rôle essentiel.
Le palpitant récit du succès inattendu du Vesuvius Challenge n’en fait pas moins la part belle au coup d’œil d’un amateur chevronné. Sans son regard acéré, la subtile trace laissée par l’encre des philosophes antiques aurait échappé à l’analyse informatique.
Un autre coup d’œil expert, porté en marge d’une analyse génomique automatisée, a fait émerger la réponse à une question qui taraudait les biologistes : pourquoi les grands primates (dont nous sommes) n’ont-ils pas de queue ? L’explication tenait à la présence d’un discret gène « sauteur » ayant déréglé la machinerie moléculaire à l’origine de l’appendice dont le coccyx est, chez nous, une réminiscence.
Le regard du physicien italien Ettore Majorana n’était pas concurrencé par les machines quand, dans les années 1930, il fit l’hypothèse d’un type de particules qui seraient leurs propres antiparticules. C’est le seul œil de l’esprit qui le guidait, d’équations en équations, et le portait à croire en leur existence. Comme celui qui les a imaginées, inexplicablement disparu en 1938, ces « particules de Majorana » demeurent introuvées.
Elles n’en restent pas moins activement recherchées car, comme le relate Étienne Klein, passionné par le destin mystérieux d’Ettore Majorana, elles entretiennent un lien étroit avec la matière noire. Et non seulement ces « particules fantômes » présentent un intérêt majeur pour la physique fondamentale, mais elles inspirent aussi une quête centrale dans le développement des ordinateurs quantiques : celle de la robustesse. En manipulant des nanofils ou de minces couches de graphène, plusieurs équipes espèrent créer des quasiparticules de Majorana, capables de protéger les fragiles qubits des calculateurs quantiques des perturbations de l’environnement. Des recherches que nous garderons à l’œil !
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ÉCHOS DES LABOS
• On ne fait pas de souvenir sans casser d’ADN
• L’exploitation du cacao a plus de 5 000 ans
• L’énergie noire a-t-elle évolué au cours du temps ?
• L’enceinte de Narbo Martius enfin découverte
• Un métafluide pour équiper des robots
• Des matériaux composites enfin recyclables
P. 16
LES LIVRES DU MOIS
P. 18
DISPUTES
ENVIRONNEMENTALES
Nous avons mangé la planète
Catherine Aubertin
P. 20
LES SCIENCES À LA LOUPE
L’« anthropocène », science ou convention ?
Yves Gingras
P. 40 ARCHÉOLOGIE
L’IA FAIT PARLER LES PAPYRUS
Tomas Weber
La curiosité d’un riche investisseur californien, un trio d’étudiants en informatique très inspirés, la mobilisation de physiciens spécialistes de la tomodensitométrie… Il n’en fallait pas moins pour lire des rouleaux antiques Récit d’un exploit.
PHYSIQUE
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VOLER SUR L’EAU, LA CONSÉCRATION DES FOILS
Marc Fermigier
La généralisation des foils, ces appendices en forme d’aile placés sous les embarcations, bouleverse les disciplines olympiques de voile Tout l’enjeu à présent est d’en optimiser les performances
DOSSIER SPÉCIAL
NEUROSCIENCES
COMMENT LE CANCER CORROMPT LES NEURONES
Mckenzie Prillaman
Qu’il se développe à l’intérieur ou à l’extérieur du cerveau, le cancer est profondément lié au système nerveux, qu’il détourne à son avantage Une découverte qui ouvre un nouvel espoir thérapeutique : couper ce dialogue.
P. 72
HISTOIRE DES SCIENCES
PRZIBRAM, LA CREVETTE ET LE CRISTAL
Stéphane Schmitt
Au début du XXe siècle, avant le triomphe de la biologie moléculaire, un savant autrichien tenta d’expliquer de manière purement physique la genèse des formes vivantes en la comparant à celle des cristaux.
P. 58
CANCÉROLOGIE
« UNE TUMEUR EST UN SIMILI-ORGANE »
Entretien avec Claire Magnon
La découverte que les tumeurs cancéreuses entretiennent des liens complexes avec le système nerveux a modifié notre compréhension globale du cancer. Éclairage de Claire Magnon, dont les travaux pionniers ont lancé une nouvelle discipline : la neuroscience du cancer.
P. 22
PHYSIQUE
SUR LA TRACE DES PARTICULES DE MAJORANA
Étienne Klein
L’héritage scientifique d’Ettore Majorana est à l’image de l’homme… nimbé d’énigmes. Les particules imaginées par le physicien existent-elles ? Plus de quatre-vingts ans après la disparition de ce génie, la question reste ouverte, mais des expériences récentes traquent les indices susceptibles de les révéler
INFORMATIQUE QUANTIQUE
Zack Savitsky
Une quasi-particule inspirée des travaux d’un savant italien disparu mystérieusement pourrait débloquer la puissance des ordinateurs quantiques… si seulement les physiciens arrivaient à mettre la main dessus
P. 80
LOGIQUE & CALCUL STRATÉGIES
POUR LE JEU DE HEX INFINI
Jean-Paul Delahaye
Dans le jeu de Hex, il est prouvé qu’existe toujours une stratégie gagnante… À condition de s’en tenir à un plateau fini. Des résultats récents, plus surprenants, explorent la version infinie du jeu
P. 86
ART & SCIENCE
Du haut de ces pyramides…
Loïc Mangin
P. 88
IDÉES DE PHYSIQUE
Un cerveau à cœur ouvert
Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik
P. 92
CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION
Comment les grands primates ont perdu leur queue
Hervé Le Guyader
P. 96
SCIENCE & GASTRONOMIE
Nouveau souffle pour les omelettes
Hervé This
P. 98
À PICORER
La chronique de YVES GINGRAS
professeur d’histoire et sociologie des sciences à l’université du Québec à Montréal, directeur scientifique de l’Observatoire des sciences et des technologies, au Canada
Nommer l’impact des humains sur Terre est loin d’être une démarche purement scientifique.
Les géologues débattent depuis plusieurs années, souvent avec passion, pour savoir si une nouvelle époque géologique devrait être ajoutée à la plus récente, l’Holocène, qui remonte à près de 12 000 ans. Or, en mars dernier, un sous-comité de la Commission internationale de stratigraphie a tranché. Le vote a été fortement négatif : douze voix contre et seulement quatre pour l’idée d’identifier une nouvelle couche stratigraphique, l’Anthropocène, qui aurait commencé en 1952. Le tout sur la base de la présence, dans les sédiments du lac Crawford, au Canada, de plutonium en provenance de l’explosion de bombes à hydrogène.
La décision a engendré bien des frustrations et le président du comité a même demandé l’annulation du vote pour des raisons de procédure On comprend que pour les promoteurs de la notion d’« anthropocène », qui insiste sur l’impact – surtout négatif – des humains sur la planète, fixer ce terme dans une catégorie géologique officielle aurait été un gain majeur donnant un label de scientificité aux discours ambiants sur les effets
négatifs de la présence humaine sur Terre. Et la référence à la bombe atomique ne pouvait qu’ajouter à sa connotation morale Mais les géologues demeurent divisés et certains considèrent qu’il vaut mieux parler d’un « événement » plutôt que d’une « époque » alors que d’autres insistent sur le fait que c’est un processus
Il faut parfois simplement voter pour fixer une convention scientifique
continu et que l’impact des humains sur Terre se fait sentir depuis très longtemps et de plusieurs manières
Ce débat n’est donc pas purement scientifique et le terme « anthropocène » est un enjeu de luttes de nature plus politique et idéologique que proprement scientifique. On imagine déjà les climatosceptiques sauter sur l’occasion pour dire que « les scientifiques » ont conclu à
l’innocuité de l’activité humaine sur la planète ! Et si le vote avait été positif, des écologistes se seraient empressés de crier victoire en disant que « les scientifiques » confirment l’existence d’une nouvelle « époque de la nature » – pour reprendre l’expression du naturaliste
Buffon qui, au milieu du xviiie siècle, en avait identifié sept…
Le débat que cette décision a engendré rappelle que, parfois, des convictions qui n’ont rien de scientifique influencent les conventions en sciences Ici, il s’agit du choix du nom le plus approprié, mais cela peut aussi concerner des situations que l’on pensait bien établies, comme l’appartenance à une catégorie qui semblait scientifiquement fondée. Le cas du statut de Pluton en est un exemple frappant
Depuis sa découverte en 1930 par l’Américain Clyde Tombaugh, personne ne s’est demandé si Pluton était une planète, tant cela allait de soi, jusqu’au jour où un nouvel objet, Eris, plus gros que Pluton et situé lui aussi dans la région de la ceinture d’astéroïdes Kuiper, n’oblige à se poser la question Les membres de l’Union astronomique internationale tranchèrent en 2006 en décidant que Pluton n’était, finalement, pas une « vraie » planète ! En effet, la nouvelle définition officielle d’une planète ajoute un petit critère qui change tout : en plus d’être sphérique et de tourner autour du Soleil, l’objet doit être assez gros pour « nettoyer » son orbite des débris. Or, si les huit planètes habituelles remplissent ce critère, ce n’est pas le cas de Pluton et des autres objets de la ceinture de Kuiper
La décision de « rabaisser » ainsi le statut de Pluton ne plut pas à tous et des astronomes ont affirmé qu’elle constituait un a ff ront à l’astronomie américaine. Des élus du Nouveau-Mexique ont même rétorqué en décrétant une journée de la « planète Pluton » !
Ces exemples rappellent, si besoin était, que tout dans les sciences ne relève pas des faits scientifiques et qu’il faut parfois simplement voter pour fixer une convention… jusqu’à ce qu’un nouveau fait impose de la revoir n
Hélène a aidé Alice à donner aux jeunes de 5 collèges les moyens d’agir pour la planète.
Hélène verse chaque année 1% de son chiffre d’affaires à des associations agréées 1% for the Planet dont For my Planet. onepercentfortheplanet.fr
L’héritage scientifique d’Ettore Majorana est à l’image de l’homme… nimbé d’énigmes. Les particules imaginées par le physicien existent-elles ? Plus de quatre-vingts ans après la disparition de ce génie, la question reste ouverte, mais des expériences récentes traquent les indices susceptibles de les révéler.
ÉTIENNE KLEIN
L’expérience Cuore, en Italie, traque un type de désintégration très rare dans des cristaux de dioxyde de tellure, qui servent de sources au processus recherché et de détecteurs. Cette désintégration n’est possible que si le neutrino, une particule fondamentale, est sa propre antiparticule.
physicien Ettore
est
Ses travaux théoriques en physique fondamentale ont encore une influence importante sur les réflexions autour de la nature des particules. Sa disparition en 1938 demeure un mystère absolu.
L’ESSENTIEL
> Ettore Majorana a eu une carrière brillante mais courte. Il a disparu dans d’étranges circonstances à l’âge de 31 ans.
> Un de ses résultats majeurs concerne des particules qui seraient leur propre antiparticule. Les neutrinos ou certains candidats à la matière noire sont peut-être des particules de Majorana.
> Pour les neutrinos, les physiciens traquent des désintégrations radioactives exotiques et très rares, à même de confirmer leur nature.
> Des télescopes spatiaux cherchent des rayons cosmiques qui seraient émis lors de l’annihilation de la matière noire, si celle-ci est composée de particules de Majorana.
Les physiciens ont l’habitude d’utiliser des termes très imagés pour illustrer certains concepts parfois très abstraits. Par exemple, les « fantômes » désignent des particules virtuelles, conçues comme des outils de calcul pour mieux décrire les interactions des composants élémentaires de la matière Mais la physique théorique est peutêtre bien hantée par une âme errante : équation de Majorana, champ de Majorana, transformation de Majorana, algèbre de Majorana, neutrino de Majorana , fermions de Majorana , sphère de Majorana… la physique semble en voie de « majoranisation » Qui était ce scientifique dont le nom est associé à autant de concepts ? Né en 1906 à Catane, en Sicile, Ettore Majorana fut un théoricien fulgurant, productif jusqu’à ce qu’il décide de se volatiliser, en 1938. Sa disparition constitue encore aujourd’hui un mystère Mais tout aussi énigmatique est son héritage scientifique Ses collègues avaient très vite reconnu en lui un esprit brillant, aux idées complexes, en avance sur leur temps Celles-ci sont restées longtemps dans l’ombre, voire au cimetière des oublis Elles sont revenues audevant de la scène à partir des années 1960. Les théories de Majorana avaient le potentiel d’expliquer certaines propriétés des neutrinos, des particules du modèle standard de la physique des particules, ou encore de décrire une caractéristique essentielle de la matière noire, cette matière invisible, de nature encore inconnue, bien plus abondante dans l’Univers que la matière ordinaire. Plus récemment, les idées de Majorana ont infusé jusque dans le domaine de l’ordinateur quantique, où elles laissent entrevoir une révolution (voir l’article page 30)
Les historiens et les physiciens, dans une situation quasi symétrique (une notion chère au savant italien), s’interrogent : est-il mort en 1938 ou s’est-il simplement soustrait au regard de ses contemporains ? Les particules de Majorana existent-elles ? Tels des chasseurs de fantômes , les uns et les autres traquent le
L’AUTEUR
ÉTIENNE KLEIN physicien au CEA et philosophe des sciences. Il est l’auteur de En cherchant Majorana, le physicien absolu (2013).
moindre indice, en épluchant des archives ou en construisant de formidables détecteurs. Mais là où la piste d’Ettore semble s’évanouir et se perdre dans le brouillard, celle des particules de Majorana progresse
La carrière d’Ettore Majorana n’aura duré que dix ans Elle commença en 1928 quand Enrico Fermi accueillit ce jeune homme maigre, aux yeux sombres et incandescents, dans son laboratoire, à Rome. Rapidement, il le considéra comme un authentique génie, de la même trempe que Galilée et Newton : « Majorana a des dons qu’il est le seul à posséder à notre époque . » Mais pour compléter ce portrait , Fermi ajoutait qu’il manquait à Majorana ce qu’il est commun de trouver chez les autres hommes : le simple bon sens, une sorte de pragmatisme ordinaire sans lequel la vie quotidienne peut facilement tourner au désastre Majorana peinait en effet à vivre sereinement parmi les hommes, et c’est la pente pessimiste et tourmentée de son âme qui, sans doute, a fini par déterminer son sort.
À partir de l’automne 1933, de retour du séjour qu’il avait effectué à Leipzig dans le groupe dirigé par Werner Heisenberg, un des pères de la mécanique quantique, Majorana s’isola, vivant replié chez lui et refusant les visites Il se sentait de moins en moins capable d’entrer en relation avec le monde, au point de ne même plus mettre les pieds chez le barbier Il écrivait beaucoup, noircissant des pages et des pages de calculs arrachés à l’insomnie, mais ne publiait rien. En 1937, espérant provoquer chez lui un sursaut existentiel, une envie, une réaction, ses anciens collègues lui firent savoir qu’un poste de professeur de physique théorique à l’université de Palerme venait d’être libéré Cette stratégie sembla efficace : Majorana mobilisa tout ce qu’il lui restait d’énergie positive pour se porter candidat Mais pour obtenir le poste, il avait besoin d’étoffer son dossier, d’y
ajouter un travail récent Il ouvrit donc ses tiroirs, en sortit ses vieux manuscrits, reprit certains des travaux réalisés lors de son séjour en Allemagne , et rédigea – en seulement quelques jours – ce qui constituera son dernier article, le plus profond de tous : il y proposait une alternative à la théorie de l’antimatière de Paul Dirac, émettant l’hypothèse que certaines particules dépourvues de charge électrique pourraient être leur propre antiparticule.
Que suggère sa « Théorie symétrique de l’électron et du positron » ? Rien de moins qu’une façon révolutionnaire de concevoir le lien entre matière et antimatière. Au tout début des années 1930, le physicien britannique Paul Dirac avait cherché à écrire une équation obéissant à la fois aux règles de la physique quantique, découvertes tout récemment, et à celles de la théorie de la relativité restreinte – cette unification étant la seule manière de pouvoir décrire le comportement des particules en toutes circonstances, y compris lorsque leur vitesse atteint des valeurs proches de celle de la lumière dans le vide Cela le conduisit à conceptualiser une nouvelle image du vide, tout à fait fascinante : non pas comme un espace débarrassé de tous les objets qu’il contient, mais, au contraire, un lieu saturé de matière, plein à ras bord d’électrons !
Une analogie aidera à mieux comprendre Le vide au sens de Dirac apparaît comme une sorte de parking souterrain affichant complet : les différentes places de ce parking correspondent à des énergies négatives, chacune d’elles étant
En 1925, Erwin Schrödinger établit une équation fondamentale pour la mécanique quantique. Celle-ci décrit l’évolution dans le temps de l’état d’une particule. C’est une équation d’onde dont l’inconnue est la fonction d’onde, notée :
iℏ∂ /∂t = H où i est le nombre imaginaire tel que i2 = – 1 et H est l’opérateur hamiltonien, qui est relié à l’énergie du système. L’inconvénient de l’équation de Schrödinger est qu’elle ne décrit que des particules non relativistes, c’est-à-dire dont la vitesse est faible devant celle de la lumière. Pour avoir une équation plus générale, Paul Dirac y intègre la relativité restreinte. Techniquement, cela signifie rendre l’équation invariante par l’action du groupe de Lorentz (les transformations mathématiques qui traduisent le passage d’un référentiel inertiel à un autre).
Dit autrement, la physique est la même dans tous les référentiels inertiels. Dirac se rend compte que pour satisfaire cette contrainte, la fonction d’onde
occupée par un électron Ce parking saturé d’électrons forme ce qui est appelé la « mer de Dirac » C’est un « vide » truffé de particules et sans aucune place vacante. Dans les conditions normales, ces électrons d’énergie négative ne sont pas observables directement de la surface : tout se passe même comme s’ils n’existaient pas Est détectable, en revanche, tout changement qui se produit à partir de cette situation de référence : si un électron, sous l’influence d’un événement qui lui confère un supplément d’énergie, passe d’un état d’énergie négative à un état d’énergie positive, il devient par là même subitement observable, telle une voiture sortant d’un parking complet et dont l’apparition manifeste que ce parking n’est plus complet Quant au « trou » – la place vacante – qu’il a laissé dans la mer, il devient lui aussi observable Dans ce schéma, ce trou n’est autre que l’antiparticule de l’électron (baptisée le « positron »), apparue en même temps que l’électron.
Ce modèle du vide a beau être aujourd’hui délaissé – aux yeux des physiciens , le vide quantique n’est plus une mer inobservable gorgée d’électrons d’énergie négative –, sa puissance heuristique a toutefois été spectaculaire, puisqu’elle a permis de prédire l’existence de nouvelles sortes d’objets physiques : les antiparticules. Majorana, quant à lui, construisit une théorie des particules neutres dans laquelle il n’est pas fait appel aux états d’énergie négative, car
ne peut pas être un champ scalaire comme dans l’équation de Schrödinger, c’est-à-dire n’ayant qu’une seule dimension, mais doit prendre la forme d’un « spineur » à quatre composantes. L’équation met alors en jeu des matrices 4 × 4, γµ appelées « matrices gamma », respectant certaines relations définissant l’algèbre de Cli ord. L’équation s’écrit :
iγµ∂µ – m = 0
où µ est un indice qui prend les valeurs 0, 1, 2, 3 ; ∂µ est une notation compacte pour indiquer les opérateurs de dérivation en fonction du temps et des trois composantes d’espace et m est la masse de la particule. Il y a plusieurs façons de formuler les matrices gamma. Dans la représentation standard, Dirac a remarqué que le spineur peut se décomposer en un élément à deux composantes associé à une énergie positive et en un élément à deux composantes associé à une énergie négative. C’est cette constatation qui le conduit à prédire l’existence des antiparticules. Les deux composantes
Il rédigea en seulement quelques jours ce qui constituera son dernier article, le plus profond de tous
de chaque élément traduisent le fait qu’une particule, comme un électron, a deux états de spin, + 1/2 ou – 1/2. L’antiparticule est di érente de la particule, de façon évidente si elle porte une charge électrique non nulle, mais aussi si elle est électriquement neutre. Dans la représentation standard, certaines matrices gamma sont réelles et d’autres sont imaginaires (elles s’écrivent avec « i »). Mais Majorana montre qu’il est possible de les redéfinir de sorte qu’elles ne contiennent que des nombres imaginaires purs. Il obtient alors une équation légèrement di érente qui inclut le spineur C. Celui-ci est relié au spineur par une opération mathématique, la symétrie dite « de conjugaison de charge », qui transforme une particule en son antiparticule : iγµ∂µ – m C = 0
Pour une particule de charge électrique nulle, C = , ce qui implique que la particule se confond avec sa propre antiparticule.
Il existe trois saveurs de neutrinos : neutrino électronique, neutrino muonique et neutrino tauique. Chacun étant associé à un lepton chargé, c’est-à-dire à l’électron et aux deux versions plus massives et instables de ce dernier, le muon et le tau.
Tous les neutrinos observés sont « gauchers », c’est-à-dire que leur spin (S) a une orientation contraire à celle de leur quantité de mouvement (p). Et, de même, tous les antineutrinos sont « droitiers ». Or, selon la théorie de Dirac, un neutrino peut être gaucher ou droitier. Comment expliquer l’absence de neutrino « droitier » ?
Si un neutrino est observé « gaucher » dans un référentiel, il suffit de changer de référentiel, en choisir un qui va plus vite que le neutrino et il devient alors droitier. Si le neutrino est de masse nulle, ce changement de référentiel est irréalisable, car le neutrino filerait à la vitesse de la lumière dans le vide et serait impossible à dépasser. Le neutrino « gaucher » serait toujours gaucher. Cependant, depuis 2001, les physiciens savent que les neutrinos ont une masse non nulle, car ils oscillent : un neutrino peut changer spontanément de saveur. Par exemple, un neutrino électronique peut devenir un neutrino muonique, et inversement. La probabilité de cette transformation est nulle si la masse des neutrinos est nulle. Les neutrinos ont donc une masse non nulle, de sorte qu’il devrait être possible de voir des neutrinos
« droitiers ». Y a-t-il un problème avec la théorie de Dirac, et cela permet-il de conclure que les neutrinos sont des particules de Majorana ?
Selon la théorie de Majorana, neutrino et antineutrino forment une seule et même particule. Ainsi, ce qu’on interprète comme un antineutrino droitier n’est rien d’autre que le neutrino droitier. On a donc deux composantes : un neutrino gaucher et un neutrino droitier (images l’un de l’autre dans un miroir). Ce qu’on identifiait comme un antineutrino était juste une convention.
Ce raisonnement n’est cependant pas suffisant pour conclure de façon définitive sur la nature des neutrinos. Certaines extensions du modèle standard de la physique des particules suggèrent l’existence de neutrinos « droitiers » beaucoup plus lourds que les gauchers. Ils sont nommés « neutrinos stériles », car ils n’interagissent pas avec les autres particules du modèle standard.
Ils pourraient cependant apparaître dans les oscillations. Une anomalie dans les données de l’expérience LSND, en 2007, suggérait la présence d’un tel neutrino stérile. Cela a déclenché d’autres mesures plus précises pour le confirmer. En 2021, les premiers résultats de MicroBooNe, à Fermilab, près de Chicago, ne révèlent aucun indice de la présence de cette particule. Plus récemment, en 2023, l’expérience franco-allemande Stereo, qui mesure avec précision le spectre d’énergie des antineutrinos émis par la désintégration de l’uranium 235, a écarté la possibilité d’un neutrino stérile d’une masse de près d’un électronvolt, qui expliquait une anomalie dans la désintégration de cet élément radioactif. La piste du neutrino stérile n’est cependant pas complètement écartée. Et la question de la nature des neutrinos attend encore une réponse.
ces états étaient selon lui « répugnants » Quant à la mer de Dirac, ce drôle de vide gorgé d’électrons, elle constituait à ses yeux une hypothèse « artificielle et insatisfaisante », et il tenait absolument à en débarrasser la physique Il commença par faire remarquer que Dirac avait procédé d’une curieuse façon : l’Anglais était parti d’une situation asymétrique , voulant décrire le seul électron, pour arriver à une situation symétrique entre l’électron et le positron (la symétrie finale était d’ailleurs si peu évidente que Dirac avait d’abord considéré que c’était le proton qui correspondait aux énergies négatives). Si les particules dotées d’une charge électrique ont une antiparticule de charge opposée, qu’en est-il des particules neutres, dépourvues de charge électrique ? Leur antiparticule est-elle distincte, comme le suggère Dirac, ou peut-elle être elle-même ? Partant de ces observations, Majorana parvint d’abord, de façon très élégante, à déduire l’équation de Dirac par une autre approche mathématique très utilisée en physique (le principe variationnel). Ensuite, il montra qu’on peut donner une autre forme à cette équation (voir l’encadré page 25). Dans son modèle, les particules neutres sont nécessairement identiques à leurs propres antiparticules. Plus précisément, les particules neutres doivent avoir pour antiparticules leur propre image dans un miroir De telles particules, encore hypothétiques, sont dites « de Majorana ».
Pareilles idées étaient révolutionnaires, et difficiles à saisir dans le contexte des années 1930, d’autant qu’elles étaient présentées avec un formalisme mathématique tout à fait original, s’appuyant sur des symétries abstraites (à l’instar de la conjugaison de charge) que les physiciens n’avaient pas encore pris l’habitude d’exploiter Elles suscitèrent même un certain trouble parmi les rares qui s’y intéressèrent, trouble qui s’estompa bien vite La théorie de Dirac, mieux connue et certainement plus abordable, devint très vite la théorie de référence, surtout après la découverte, par Carl Anderson en 1932, du positron qu’elle avait permis de prédire À chaque particule de matière est associée une antiparticule qui lui est différente
Mais qu’en est-il des particules neutres ? Il existe une particule pour laquelle ce débat n’est toujours pas tranché, au sens où, pour la décrire correctement, on ne sait pas encore si c’est à Dirac ou à Majorana qu’il faut s’adresser. Cette particule, c’est le neutrino, la seule particule de matière qui soit à la fois élémentaire et électriquement neutre Wolfgang Pauli en prédit l’existence en 1930 et le neutrino fut expérimentalement découvert en 1955. Si cette particule avait une masse nulle , comme le supposait Pauli, le fait qu’elle soit de Dirac ou de Majorana importerait peu , car cela ne
conduirait à aucune différence de comportement. Mais on sait depuis 2001 que ce n’est pas le cas : les neutrinos sont bel et bien massifs Il n’est donc plus indifférent de savoir s’ils sont de Dirac ou de Majorana, c’est-à-dire identiques ou non à leur propre antiparticule (voir l’encadré page ci-contre)
Pauli postula l’existence du neutrino pour résoudre un problème de conservation de l’énergie lors de la désintégration radioactive dite « bêta », qui se produit dans un noyau atomique riche en neutrons. Un de ces derniers se désintègre en proton en émettant un électron Mais le spectre en énergie de l’électron émis ne collait pas aux calculs théoriques Pauli résolut le problème en imaginant que le neutrino, une particule furtive et également produite dans la désintégration, emportait une partie de l’énergie. Certains noyaux (comme le calcium 48, le germanium 76, le xénon 136, etc.) procèdent à
Di érentes équipes ont mis en place des expériences, dans lesquelles elles suivent la désintégration d’un élément radioactif particulier pour y détecter une double désintégration bêta sans neutrino. Une telle détection serait un indice probant que les neutrinos sont des particules de Majorana. L’expérience Gerda (Germanium Detector Array), par exemple, installée dans le laboratoire souterrain de Gran Sasso, en Italie, a scruté les désintégrations dans 38 kilogrammes de germanium 76, de 2018 à 2020 (une première phase avec un détecteur réduit a opéré de 2011 à 2013). Aucune double désintégration bêta sans neutrino n’a été observée. En l’absence de détection, les physiciens calculent une borne inférieure à la probabilité d’observer cette désintégration qu’ils expriment sous la forme d’une « demi-vie ». Elle est ici de 1,8 x 1026 ans, soit dix millions de milliards de fois l’âge de l’Univers !
L’expérience Cuore, également au Gran Sasso, se concentre sur le tellurium 130 et devrait terminer de recueillir des données en 2024. Au Japon, l’expérience KamLAND-Zen utilise 745 kilogrammes de xénon 136. Ces expériences sont améliorées au cours du temps avec des détecteurs plus sensibles et des volumes de matière plus importants. La non-détection d’une désintégration double bêta sans neutrino implique une demi-vie plus longue. Par ailleurs, cette demi-vie est reliée à la masse du neutrino, s’il est de type Majorana. Des mesures réalisées sur la masse des neutrinos pourraient alors être croisées à ces résultats sur la double désintégration bêta sans neutrino et amener peut-être à conclure que les neutrinos ne sont pas des particules de Majorana.
Double désintégration bêta
Double désintégration bêta sans neutrino
De nombreuses observations cosmologiques ne s’expliquent que si les physiciens font l’hypothèse que l’Univers contient de la matière noire, qui serait cinq fois plus abondante que la matière ordinaire. Sa nature reste à ce jour inconnue. Les physiciens suggèrent cependant qu’il s’agit de particules électriquement neutres (sinon elles interagiraient avec les rayons cosmiques et les photons et laisseraient une signature évidente) et n’interagissant, au mieux, que très faiblement avec le reste des particules du modèle standard. Le neutrino est la seule particule connue qui réponde à tous ces critères. Mais les cosmologistes ont estimé la densité de neutrinos dans l’Univers et celle-ci est insu sante pour rendre compte de toute la matière noire. Il faut donc se tourner vers des extensions du modèle standard. Le scénario le plus étudié de ces dernières décennies est la supersymétrie qui présente plusieurs candidats pour la matière noire. Certains sont des particules de Majorana, ce qui
par conséquent ouvre la voie à un mode de détection de la matière noire dite « indirecte ». Dans un nuage assez dense de matière noire, par exemple dans le halo qui entoure une galaxie, la probabilité que deux de ces particules se rencontrent et s’annihilent est grande. L’annihilation produit alors deux photons dont l’énergie correspond à la masse de la particule annihilée. Les astrophysiciens traquent ainsi dans l’Univers, et surtout dans les régions potentiellement riches en matière noire, un signal électromagnétique sous la forme d’une raie à une énergie spécifique. Les observatoires spatiaux comme Fermi et AMS-02, consacrés à l’étude des rayons gamma et autres rayons cosmiques, ont été utilisés pour cette recherche. La di culté est que de nombreux processus astrophysiques produisent des signaux similaires. Et de nombreux signaux suspectés dans un premier temps d’être la signature de la matière noire ont finalement trouvé une explication qui ne lui était pas liée.
une désintégration extrêmement rare, la « double désintégration bêta » Ce sont alors simultanément deux électrons et deux neutrinos qui sont émis par un noyau atomique Cet événement survient si rarement qu’il faudrait attendre 10 milliards de milliards d’années pour que la moitié d’un échantillon de 1 kilogramme de matériau se soit désintégré de cette manière Si le neutrino est une particule de Majorana, un processus encore plus rare est aussi possible : la « double désintégration bêta sans émission de neutrino ». L’idée est la suivante : si le neutrino est sa propre antiparticule, alors d’une certaine façon il est émis par l’une des désintégrations et aussitôt
Le concept de neutrino de Majorana ouvre la porte à d’autres particules £
absorbé par l’autre Ce processus est rigoureusement impossible selon la théorie de Dirac. Mais si les physiciens étaient amenés à l’observer, ils auraient ainsi la confirmation qu’Ettore Majorana avait vu juste (voir l’encadré page 27) Si le neutrino est sa propre antiparticule, cette découverte aura d’importantes conséquences en cosmologie Notamment , cela
pourrait fournir une réponse à l’une des plus grandes énigmes de l’Univers : pourquoi ce dernier est-il empli de matière au lieu d’être vide ? Dans le modèle du Big Bang, il est raisonnable de penser que matière et antimatière ont été produites durant les premiers instants dans des proportions égales. Mais comme la rencontre d’une particule et de son antiparticule conduit à leur annihilation avec l’émission de photons, l’Univers aurait dû vivre un événement catastrophique avec l’annihilation de toute sa matière et de son antimatière, ne laissant rien d’autre que du rayonnement… Or nous sommes constitués et entourés de matière Les physiciens suggèrent qu’une asymétrie a conduit à un subtil excès de matière sur l’antimatière. Certaines explications de cette asymétrie reposent sur le fait que le neutrino est de type Majorana.
Ce concept de neutrino de Majorana, s’il est un jour confirmé, ouvre aussi la porte à d’autres particules qui pourraient être de même nature. C’est notamment le cas de certains candidats de la matière noire Cette dernière n’interagit pas avec la lumière (sinon elle laisserait des indices très visibles pour les astrophysiciens ), ce qui implique que ses constituants sont des particules neutres Elles auraient donc la possibilité d’être, à l’image des neutrinos de Majorana, leurs propres antiparticules (voir l’encadré page ci-dessus). Mais, jusqu’à présent, toutes ces particules se dérobent à nos efforts de détection et font étrangement écho à la vie d’Ettore Majorana Le 25 octobre 1937, un comité de sélection se
réunit pour attribuer la chaire de physique théorique de l’université de Palerme Après délibérations, il choisit Gian Carlo Wick, un autre physicien lui aussi membre du laboratoire de Fermi, qui avait un parcours plus académique Majorana obtint toutefois une compensation, et non des moindres. Dans le compte rendu de ses délibérations, le jury précisait qu’il avait hésité « à appliquer au candidat les procédures universitaires habituelles » : ses publications sont comparables à nulle autre, mais son parcours est si atypique… Alors, en dépit de ses seulement 30 ans, on créa pour lui un poste de professeur de physique théorique à l’université de Naples, du fait de ses « mérites exceptionnels » et de sa « grande notoriété, qui est amplement justifiée » Majorana donna son premier cours le 25 janvier 1938, presque à voix basse, devant quatre étudiantes et un étudiant. S’ensuivirent quelques autres, durant lesquels il aborda des sujets très variés : théorie de la relativité restreinte, effet Compton, effet photoélectrique, théorie classique du rayonnement, intégrales de Fourier, intégration des équations de Maxwell, transformations de Lorentz, opérateurs linéaires, matrices infinies… Majorana remplissait le tableau de formules mathématiques avec une telle aisance et à une vitesse si grande que les étudiants n’avaient pas le temps de prendre des notes
Le soir du 25 mars 1938, le jeune physicien se rendit au port de Naples et embarqua sur un navire postal de la Tirrenia qui faisait la liaison Naples - Palerme À 22 h 30, le bateau leva l’ancre et accosta à Palerme le lendemain à
5 h 30. À 11 heures, Antonio Carelli, le directeur de l’institut de Naples , reçut un télégramme urgent de Majorana, envoyé dès son arrivée à Palerme : il allait recevoir une lettre dont il ne devrait surtout pas s’alarmer Carelli ne comprit pas ce qui se passait. À 14 heures, il reçut la lettre annoncée Majorana l’avait postée de Naples , quelques heures seulement avant d’embarquer :
Cher Carelli, J’ai pris une décision qui est désormais inéluctable. Il n’y a en elle nulle goutte d’égoïsme, mais je me rends bien compte que ma disparition improvisée risque d’être une source d’ennuis, pour toi comme pour les étudiants C’est pourquoi je te prie de me pardonner, mais surtout pour avoir déçu ta confiance, ta sincère amitié et la sympathie dont tu as fait preuve à mon égard tout au long de ces derniers mois. Je te prie aussi de me rappeler au bon souvenir de ceux que j’ai appris à connaître et à apprécier dans ton Institut, en particulier à Sciuti. D’eux tous, je conserverai un heureux souvenir au moins jusqu’à onze heures ce soir, et, si cela est possible, même après
E. Majorana
Le 27, un dimanche, Carelli reçut un troisième mot, écrit sur le papier à en-tête du Grande Albergo Sole, un hôtel de Palerme, et posté quelques heures après le télégramme :
Cher Carelli, J’espère que mon télégramme ainsi que ma lettre te seront parvenus ensemble La mer m’a refusé et je retournerai demain à l’hôtel Bologna, en voyageant peut-être sur le même bateau que ce mot. J’ai cependant l’intention de renoncer à l’enseignement Ne me prends pas pour une jeune fille d’Ibsen, car mon cas est différent Je suis à ta disposition pour des détails ultérieurs
Ton dévoué E Majorana
BIBLIOGRAPHIE
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E. Klein, En cherchant Majorana, le physicien absolu, Équateurs/ Flammarion, 2013.
La mer avait donc refusé l’homme qui avait refusé la mer de Dirac… Depuis ce 27 mars 1938, nul ne sait ce qui est arrivé à Majorana, dont le corps n’a jamais été retrouvé Il est tentant d’imaginer que tout s’est passé comme si, identique à sa propre antiparticule, il s’était autoannihilé, en somme comme s’il s’était appliqué à lui-même sa propre théorie, devenant l’équivalent humain d’un neutrino « de Majorana » !
Mais il ne s’agit là que d’une hypothèse, impossible à prouver. L’honnêteté oblige donc plutôt à laisser Majorana à son mystère : celui d’un homme qui n’a jamais complètement habité le monde humain, d’un physicien très à part qui, comme le tonnerre, ne fait entendre son grondement que longtemps après Et ce grondement , les physiciens déploient des outils toujours plus fins pour le percevoir Majorana avait-il levé le voile sur un aspect fondamental de la physique des particules ? Le neutrino et la matière noire sont-ils des particules de Majorana ? Cette énigme sera peut-être résolue dans les années à venir ! n
Qu’il se développe à l’intérieur ou à l’extérieur du cerveau, le cancer est profondément lié au système nerveux, qu’il détourne à son avantage. Une découverte qui ouvre un nouvel espoir thérapeutique : couper ce dialogue.
Des éclairs vert citron clignotaient de façon chaotique sur l’écran de l’ordinateur. Le spectacle stupéfia Humsa Venkatesh, neuroscientifique spécialisée dans le cancer
C’était la fin de l’année 2017 et elle observait une tempête d’activité électrique dans des cellules issues d’une tumeur cérébrale humaine nommée « gliome »
Humsa Venkatesh s’attendait à un léger dialogue de fond, à l’image de celui qui se produit entre des cellules saines Mais les conversations étaient continues et rapides. « Je voyais ces cellules tumorales s’illuminer, rapporte la chercheuse, qui était alors en postdoctorat à la faculté de médecine de l’université Stanford, en Californie. Il n’y avait aucun doute, elles étaient électriquement actives »
Immédiatement, elle se mit à réfléchir aux implications de cette découverte Les scientifiques n’avaient tout simplement pas envisagé que les cellules cancéreuses – même celles présentes dans le cerveau – puissent communiquer entre elles à ce point Et si cette communication
électrique constante aidait la tumeur à survivre, voire à se développer ? « Nous travaillions sur le cancer, pas sur les neurones, ni sur aucun autre type cellulaire » Voir les cellules bouillonner d’une telle activité était « époustouflant » , déclare Humsa Venkatesh , qui travaille aujourd’hui à la Harvard Medical School, à Boston, dans le Massachusetts
Ses travaux sont présentés dans un article paru en 2019 dans la revue Nature, en même temps qu’un autre article qui aboutissait à la même conclusion : les gliomes sont électriquement actifs Ces tumeurs sont même capables de se connecter aux circuits neuronaux et de recevoir des stimulations directement des neurones, ce qui favorise leur croissance. Ces découvertes ont joué un rôle essentiel en neurosciences du cancer, un domaine émergent dans lequel les chercheurs analysent les nombreuses façons dont le cancer coopte le système nerveux à son profit, même hors du cerveau. De la même manière que les tumeurs se nourrissent et se développent en recrutant des vaisseaux sanguins, le cancer s’appuie sur le système nerveux à toutes les étapes de son
Ce texte est une traduction de l’article How cancer hijacks neurons to grow and spread, publié par Nature le 31 janvier 2024.
Une tumeur contient non seulement des cellules cancéreuses, mais aussi divers autres types cellulaires, ainsi que son propre réseau sanguin et lymphatique. Depuis une dizaine d’années, on sait également qu’elle comporte des neurones et est connectée au système nerveux central.
L’ESSENTIEL
> Depuis une dizaine d’années, un nombre croissant d’études montrent que le cancer entretient des liens étroits avec le système nerveux.
> Loin de n’être qu’un instrument passif de sa propagation, le système nerveux se révèle être un acteur clé du développement tumoral.
> En communiquant avec lui, les cellules cancéreuses déclenchent des mécanismes neuronaux qui favorisent la croissance tumorale.
> Des essais cliniques visent à bloquer cette communication pour freiner le développement du cancer.
L’AUTRICEMCKENZIE PRILLAMAN journaliste scientifique indépendante à Washington DC
développement, de son déclenchement à sa propagation. Autrefois négligée, cette dimension de l’environnement tumoral dévoile peu à peu les liens entre oncologie et neuroscience Les scientifiques commencent à comprendre quels sont les neurones et les voies de signalisation impliqués, même si s’ajoutent à cette complexité de nouvelles interactions avec le système immunitaire À mesure qu’ils approfondissent la relation entre cancer et système nerveux apparaissent des thérapies qui ciblent les connexions mises au jour Certaines détournent même des médicaments existants.
« Notre objectif est d’aider les patients, explique Erica Sloan, biologiste spécialiste du cancer à l’université Monash, à Melbourne, en Australie Oui, il y a le plaisir intellectuel de comprendre ce qui se passe d’un point de vue biologique Mais le but principal est de traduire ces connaissances en traitements. »
PASSIF OU ACTIF ?
C’est il y a près de deux cents ans que des scientifiques ont repéré pour la première fois des liaisons entre cellules cancéreuses et neurones Au milieu du XIXe siècle , l’anatomopathologiste français Jean Cruveilhier décrivit un cas où un cancer du sein avait envahi le nerf crânien responsable des mouvements du visage et de ses sensations Il s’agissait de la première description d’une « invasion périneurale », dans laquelle des cellules cancéreuses infiltrent les nerfs et les entourent, puis se propagent. Ce phénomène est le signe d’une tumeur agressive et est associé à un mauvais pronostic vital.
Pendant longtemps, les scientifiques et les professionnels de santé virent les nerfs comme des voies passives qui véhiculaient les cellules cancéreuses et la douleur associée Beaucoup considéraient le système nerveux comme « la victime – la structure que le cancer détruit ou endommage », souligne Michelle Monje, neurooncologue à la faculté de médecine de l’université Stanford, où elle était la référente scientifique de Humsa Venkatesh
Mais à la fin des années 1990, le pathologiste urologue Gustavo Ayala, qui travaille aujourd’hui dans le Centre des sciences de la santé de l’université du Texas à Houston, se mit à étudier cette interaction de plus près. Il plaça des nerfs de souris dans des boîtes parsemées de cellules issues d’un cancer humain de la prostate. En vingt-quatre heures, les nerfs commencèrent à développer de petites branches – des « neurites » – vers les cellules malades Une fois le contact établi, le cancer se déplaça le long des nerfs jusqu’aux corps cellulaires neuronaux
Les nerfs n’étaient pas de simples spectateurs : ils cherchaient activement à établir un lien avec le cancer « J’ai pensé que c’était réel
Sur ce modèle tridimensionnel d’une tumeur du pancréas, on distingue des cellules cancéreuses (en vert) qui interagissent avec des neurones (en magenta). Des biologistes développent de tels modèles pour comprendre comment le système nerveux influe sur la formation de la tumeur et son développement.
et j’ai décidé d’en faire mon métier », raconte Gustavo Ayala. Il fut vite surnommé le « gars des nerfs » « Les gens ne se moquaient pas vraiment de moi, mais ils ne partageaient pas mon intérêt pour ce domaine », commente-t-il
En 2008, il signala un autre phénomène étrange Les tumeurs cancéreuses de la prostate prélevées sur des personnes ayant subi une intervention chirurgicale contenaient davantage de fibres nerveuses – ou « axones » – que des échantillons provenant de prostates saines
Ce résultat, cependant, n’étonna pas tout le monde Certains scientifiques commençaient à considérer les tumeurs comme des organes à part entière , parce qu’elles contiennent différents types cellulaires, une structure de support, des vaisseaux sanguins et d’autres éléments qui les distinguent de simples amas de cellules cancéreuses Mais « il manquait une pièce dans le paysage : les nerfs »,
explique Claire Magnon, biologiste spécialiste du cancer à l’Inserm, à Paris. Cette intuition conduisit à un article pionnier en 2013. Avec ses collègues, Claire Magnon prouva que des fibres nerveuses infiltraient les tumeurs de la prostate chez la souris. De plus, lorsqu’on coupait ces connexions avec le système nerveux, les tumeurs arrêtaient de se développer En quelques années, une avalanche de recherches démontrèrent que la même chose se produisait dans d’autres cancers , notamment de l’estomac, du pancréas et de la peau Certains des nerfs sectionnés étaient par ailleurs connus pour véhiculer la douleur associée au cancer, et des chercheurs avaient déjà observé que bloquer ces voies neuronales apportait un certain soulagement aux personnes atteintes d’un cancer du pancréas. « Les planètes étaient alignées », observe Brian Davis, neuroscientifique à l’université de
Les nerfs n’étaient pas de simples spectateurs, ils cherchaient à établir un lien avec le cancer £
Pittsburgh, en Pennsylvanie Tous ces résultats convergents montraient « que cette composante du microenvironnement tumoral, largement ignorée jusqu’alors, jouait un rôle ».
Mais l’origine des nerfs qui infiltraient les tumeurs déconcertait les chercheurs Des travaux menés les années suivantes suggérèrent que les cellules de la tumeur étaient capables de se transformer en neurones, ou du moins d’acquérir des caractéristiques semblables à celles des neurones. Cependant, en 2019, Claire Magnon et ses collègues firent état d’une autre origine Chez des souris, l’équipe avait constaté que des cellules appelées « progéniteurs neuronaux » se déplaçaient dans le sang jusqu’aux tumeurs de la prostate, où elles s’installaient et se transformaient en neurones : d’une manière ou d’une autre, les tumeurs influençaient la région cérébrale qui contient ces cellules – la « zone sousventriculaire » Chez la souris, les progéniteurs neuronaux sont connus pour aider à soigner certaines pathologies cérébrales, comme les accidents vasculaires cérébraux Des travaux postulent que la même région cérébrale produirait des neurones chez l’humain adulte
L’année suivante, une autre équipe a découvert que le cancer est capable de forcer les neurones à changer d’identité . Les chercheurs étudiaient un cancer oral chez la souris Ils ont constaté qu’un groupe de nerfs qui relaient les sensations au cerveau , nommés « neurones sensoriels », avaient acquis les caractéristiques d’un autre type de neurones généralement rares dans la cavité buccale : des neurones sympathiques, responsables de la réponse au stress dite « de combat-fuite ». « Ils portent désormais deux casquettes », constate Moran Amit, neuroscientifique spécialiste du cancer au centre de cancer MD Anderson, de l’université du Texas à Houston, qui a codirigé l’étude Cette transformation est susceptible de favoriser la croissance tumorale,
car il a été montré par ailleurs que les nerfs sympathiques sont utiles à certains cancers. Mais les relations entre les types de nerfs et leurs effets sur les tumeurs sont complexes. Dans le pancréas, par exemple, il existe un rapport de force entre deux populations qui ont des effets opposés sur les tumeurs D’un côté, les nerfs sympathiques participent à un cercle vicieux qui favorise la croissance du cancer Ils émettent des signaux qui incitent les cellules malades à sécréter une protéine, NGF (pour nerve growth factor, facteur de croissance nerveuse), laquelle attire davantage de fibres nerveuses. De l’autre, les nerfs parasympathiques, qui régulent les fonctions de repos et de digestion , envoient des messages chimiques qui enrayent la progression de la maladie Or, dans le cas du cancer de l’estomac, les signaux parasympathiques, à l’inverse, favorisent la croissance tumorale Et dans le cas du cancer de la prostate, ce sont les deux populations qui avantagent les tumeurs : les nerfs sympathiques contribuent aux premiers stades du développement du cancer et les nerfs parasympathiques favorisent sa propagation.
« Chaque cancer semble interagir avec le système nerveux de façon un peu différente », observe le gastroentérologue Timothy Wang, de l’université Columbia, à New York. Si tel est le cas, il pourrait être nécessaire de choisir des cibles thérapeutiques spécifiques des di ff érents types de cancer et de la façon dont ils se connectent au système nerveux ou l’utilisent.
Les neurones ont des effets directs, mais aussi indirects sur les cancers, par exemple en freinant le système immunitaire afin qu’il ne puisse pas lutter aussi efficacement contre les tumeurs Une découverte publiée en 2022 laisse entrevoir un tel mécanisme : une substance appelée CGRP ( pour calcitonin generelated peptide, ou « peptide apparenté au gène de la calcitonine »), que les nerfs sensoriels libèrent, a la faculté de freiner l’activité de certaines cellules immunitaires et ainsi de perturber leur préparation à lutter contre le cancer
Les neurones ont la capacité de supprimer l’activité de cellules immunitaires pour se protéger en cas d’inflammation trop importante. Ainsi, explique Jami Saloman, neuroscientifique spécialiste du cancer à l’université de Pittsburgh, non seulement les nerfs fournissent au cancer une voie et une structure pour se propager, mais ils semblent aussi constituer un refuge sûr
Une tumeur serait ainsi susceptible de « se nicher parmi les nerfs », précise Brian Davis, où elle serait protégée à la fois du système immunitaire et des médicaments, ces derniers ayant du mal à pénétrer dans les faisceaux de nerfs. « Les cellules cancéreuses seraient capables de rester là en attendant que la tempête de défenses biologiques et de chimiothérapie passe, estime-t-il Et de réapparaître ensuite »
Certains cancers parmi les plus agressifs touchent le cerveau. Comme l’ont découvert Humsa Venkatesh et d’autres chercheurs, les cellules cancéreuses y forment même des synapses directes avec des neurones, dont les signaux les aident à se développer. Un article publié parallèlement aux deux articles de 2019 sur le cancer du cerveau a par ailleurs montré que des métastases du cancer du sein dans le cerveau formaient aussi des connexions semblables à des synapses Enfin, des recherches antérieures ont établi un lien entre métastases dans le cerveau et troubles cognitifs
LE CERVEAU PRIS EN OTAGE
Mais il existe d’autres voies encore par lesquelles les cancers cérébraux semblent agir comme le feraient des neurones En novembre dernier, le laboratoire de Michelle Monje a rapporté que des gliomes renforçaient leur emprise neuronale en utilisant une méthode classique de signalisation cérébrale Lorsque les cellules tumorales étaient exposées à une
protéine qui favorise la croissance des neurones, BDNF (brain-derived neurotrophic factor, ou « facteur neurotrophique dérivé du cerveau »), elles réagissaient en produisant davantage de récepteurs capables de recevoir des signaux provenant des neurones.
« Les neurones sains exploitent exactement le même mécanisme pour l’apprentissage et la mémoire, souligne Michelle Monje Le cancer n’invente rien, il ne fait que détourner des processus déjà existants »
En outre, comme dans les réseaux de neurones, certaines cellules du gliome produisent leurs propres ondes rythmiques d’activité électrique « Elles ressemblent tout simplement à de petits cœurs qui battent », détaille Frank Winkler, neurooncologue au Centre allemand de recherche sur le cancer à Heidelberg, dont le laboratoire a mené ces travaux
Ces impulsions électriques se propagent dans les cellules cancéreuses grâce à un réseau de ponts minces et filandreux appelés
« microtubes tumoraux » , que le groupe de Frank Winkler a commencé à étudier il y a plusieurs années Cette activité chorégraphie la prolifération et la survie des cellules cancéreuses , tout comme les neurones dits « pacemakers » orchestrent l’activité lors de la formation des circuits neuronaux « Une fois de plus, le cancer détourne un important mécanisme du développement neuronal » , ajoute le neurooncologue.
Les cancers du cerveau sont aussi susceptibles d’avoir des effets sur des réseaux entiers. Une étude publiée en mai 2023 a montré que des gliomes étaient capables de remodeler des circuits cérébraux fonctionnels entiers Les chercheurs ont demandé à des personnes atteintes de tumeurs qui avaient infiltré des régions cérébrales impliquées dans la production de la parole de nommer des objets décrits oralement ou présentés en image Des électrodes placées à la surface de leur cerveau ont révélé que cette tâche ne stimulait pas seulement les régions clés du langage. Toute la zone où la tumeur s’était propagée, y compris les aires qui ne sont pas habituellement engagées dans la production de la parole, présentait également un pic d’activité. Plus la tumeur était fonctionnellement connectée au reste du cerveau, moins les patients réussissaient l’exercice et plus leur espérance de vie était faible
« La tumeur avait remodelé les circuits fonctionnels du langage pour se nourrir ellemême », constate Michelle Monje, coautrice de l’étude Elle se souvient de l’horreur qu’elle a ressentie à la lecture des résultats. « J’ai la chair de poule quand je pense à la première fois que j’ai vu ces données »
CONTRE LE CANCER ?
Ces premières découvertes ouvrent déjà la voie à des traitements potentiels contre le cancer Elles permettent aussi de comprendre pourquoi les options existantes ont souvent des répercussions cérébrales
Selon Humsa Venkatesh, de nombreuses personnes soumises à une chimiothérapie souffrent d’un déclin cognitif ou « brouillard cérébral », ainsi que d’une dégénérescence des fibres nerveuses dans d’autres parties du corps. Bien que la chimiothérapie soit un moyen efficace de lutter contre le cancer, si elle détruit des neurones ailleurs dans le corps, « ce n’est évidemment pas bon pour le patient », ajoutet- elle Une tactique pour éviter ces effets consisterait à cibler des parties spécifiques du système nerveux Des thérapies existantes seraient utiles à cet égard : « Nous disposons de médicaments qui ciblent presque toutes les branches du système nerveux, explique Moran Amit La plupart d’entre eux ont un profil de sécurité bien établi »
Les bêtabloquants, par exemple, perturbent les signaux des nerfs sympathiques qui favorisent la progression du cancer dans le sein, le pancréas, la prostate et d’autres parties du corps Depuis les années 1960, on utilise ces médicaments pour traiter les troubles cardiaques comme l’hypertension artérielle, ainsi que, parfois, l’anxiété. Erica Sloan souhaite réorienter ces médicaments vers la lutte contre le cancer depuis des années, mais elle s’est d’abord heurtée à des résistances Les gens remarquaient souvent que « si les bêtabloquants avaient un effet sur le cancer, nous le saurions déjà », se souvient-elle
Pour explorer ce lien, elle a dirigé un essai clinique de phase II, publié en 2020, qui testait le bêtabloquant propranolol chez des personnes atteintes d’un cancer du sein La prise du médicament pendant une semaine a réduit le potentiel métastatique du cancer Un autre essai de phase II, inspiré par des études d’observation qui ont établi un lien entre l’utilisation de bêtabloquants et l’amélioration de l’état de santé, a démontré que combiner la chimiothérapie et le propranolol chez des personnes traitées pour un cancer du sein n’était pas dangereux. Et en 2023, Erica Sloan a constaté que ce médicament augmentait l’efficacité d’une chimiothérapie couramment pratiquée. D’autres chercheurs réaffectent des médicaments qui interrompent la communication neuronale, notamment des molécules développées pour traiter les crises d’épilepsie et la migraine Ainsi, un essai clinique vise à bloquer les synapses formées entre les neurones et les cellules cancéreuses dans les gliomes à l’aide d’un médicament contre les crises d’épilepsie, qui calme les cellules hyperexcitables
Un autre essai en cours de planification examinera si la prise d’un médicament contre la migraine serait aussi bénéfique à des personnes recevant une immunothérapie pour un cancer de la peau ou des voies aérodigestives supérieures (bouche, sinus, pharynx, larynx…). On pense que des concentrations élevées de CGRP, la molécule qui freine l’activité de certaines cellules immunitaires dans le cancer, déclenchent des migraines, et le médicament qui sera testé en bloque donc les récepteurs Il empêcherait ainsi le CGRP d’agir et permettrait aux cellules immunitaires de revenir dans la course pour lutter contre le cancer.
Pour Humsa Venkatesh, il sera probablement nécessaire d’utiliser un cocktail de médicaments aux effets complémentaires pour contrôler la maladie. « Il n’y a pas vraiment de solution miracle », dit-elle Le domaine ne fait que commencer à démêler la relation insidieuse entre cancer et système nerveux, et les questions abondent « Je n’aurais pas trop de cinquante vies pour les élucider toutes », déclare Frank Winkler n
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C. Magnon et al., Autonomic nerve development contributes to prostate cancer progression, Science, 2013.
L’ESSENTIEL
> Avant le triomphe de la génétique moléculaire, au milieu du XXe siècle, des biologistes essayaient de ramener la morphogenèse à des lois physiques simples.
> L’Autrichien Hans Przibram était de ceux-là. Il espérait construire une biologie plus mathématisée et mécaniste.
> Il créa à Vienne une institution, le Vivarium, afin d’y réaliser un ambitieux programme expérimental autour de ces questions.
> D’importantes études y furent accomplies entre 1902 et les années 1930, avant que les événements politiques ne viennent y mettre fin.
L’AUTEUR
STÉPHANE SCHMITT directeur de recherche du CNRS au sein des Archives Henri-Poincaré, à Nancy
Au début du XXe siècle, avant le triomphe de la biologie moléculaire, un savant autrichien tenta d’expliquer de manière purement physique la genèse des formes vivantes en la comparant à celle des cristaux.
Dans la Vienne de la Belle Époque, tandis que Gustav Mahler composait ses symphonies, que Gustav Klimt révolutionnait la peinture et que Sigmund Freud tentait de percer les mystères de l’inconscient, un savant s’employait à élever des crevettes dans de curieux aquariums d’eau de mer Il leur tranchait les pinces et examinait encore et encore, dans les moindres détails, comment celles-ci repoussaient, mesurant leur croissance et observant comment, parfois, une petite pince réapparaissait à la place d’une grosse ou inversement, ou comment la température agissait sur la vitesse de cette régénération. Loin d’être fou, parfaitement intégré au contraire dans la communauté scientifique internationale, ce savant au nom difficile à prononcer, Hans Przibram, était convaincu que de telles études, par leur précision même, lui permettraient un jour de comprendre la nature de la matière vivante, les mécanismes de la formation des êtres vivants, et peut-être même d’établir une analogie entre la morphogenèse des animaux et celle des cristaux. Aujourd’hui, depuis le triomphe de la génétique moléculaire au milieu du XXe siècle, les explications recourant à l’action des gènes dominent tous les domaines de la biologie : en particulier, on rend compte de la formation des organismes vivants en invoquant principalement l’action de gènes de développement Mais en ce début du XXe siècle, les biologistes exploraient une grande diversité de voies alternatives et plusieurs d’entre eux tentaient de ramener la morphogenèse à des lois physiques, chimiques ou mathématiques simples.
Au cours de ses recherches, le biologiste autrichien Hans Przibram (1874-1944, page ci-contre) s’intéressa à la régénération des pinces asymétriques des crevettes du genre Alpheus, comme celle-ci, représentée sur une planche de son livre Experimental-Zoologie ; eine Zusammenfassung der durch Versuche ermittelten Gesetzmäszigkeiten tierischer formen und Verrichtungen (Zoologie expérimentale ; un résumé des lois des formes et des activités animales établies par l’expérimentation, 1908).
De cette période de grand foisonnement conceptuel, le souvenir de quelques rares auteurs s’est perpétué jusqu’à nos jours, comme l’Écossais D’Arcy Thompson qui, dans un ouvrage resté célèbre paru en 1917, On Growth and Form (Forme et croissance), rapportait la variété des formes biologiques à des phénomènes inorganiques et à des transformations mathématiques élémentaires Mais de nombreux autres travaux de l’époque méritent aussi de l’attention. Parmi eux, ceux de Przibram apparaissent particulièrement intéressants, car ils témoignent d’une pensée originale qui traverse toute son œuvre prolifique et qui a marqué son temps : la volonté de fonder la biologie sur des bases à la fois mathématiques et expérimentales
Le destin de Przibram est intimement lié aux grandeurs et aux drames successifs de l’histoire autrichienne entre la fin du XIXe siècle et la Seconde Guerre mondiale Issu d’une riche famille d’industriels juifs originaires de Prague et établis à Vienne, il fut élevé dans un cadre progressiste, très ouvert aux sciences et aux arts Vienne, capitale de l’Empire austro-hongrois, connaissait alors une effervescence culturelle prodigieuse La famille Przibram était très liée aux milieux intellectuels de la ville, et le jeune homme publia même quelques dessins naturalistes dans la revue de Klimt, Ver Sacrum. Mais c’étaient les sciences qui le passionnaient le plus, comme ses deux frères, Walter et Karl, lequel devint physicien Pour sa part, Hans se tourna vers la biologie et entra en 1894 à l’université de Vienne, où il suivit les cours de Berthold Hatschek, spécialiste d’anatomie et d’embryologie comparées, tenant de méthodes descriptives traditionnelles mais ouvert aux nouvelles approches expérimentales de ces questions Durant ses études, Przibram effectua plusieurs séjours dans des universités germanophones et dans des stations maritimes (Trieste, Naples, Roscoff). Il soutint à Vienne, en 1899, une thèse sur la régénération chez les crustacés, un sujet auquel il consacrerait une grande partie de sa carrière En 1902, il décida avec les botanistes Leopold Porges von Portheim et Wilhelm Figdor, issus comme lui de la bourgeoisie juive et progressiste viennoise , de racheter le « Vivarium » de Vienne. Ce magnifique bâtiment, situé au Prater, avait été un lieu d’exhibition d’animaux exotiques mais se trouvait à l’abandon depuis quelque temps Les trois hommes employèrent leur fortune à le transformer en un lieu destiné uniquement à la recherche, l’Institut de biologie expérimentale. En 1914, à la suite d’un accord entre ses fondateurs et l’Académie des sciences de Vienne, il fut cédé à cette dernière sous la condition que Przibram et ses collègues continuent à le diriger
Le Vivarium était une institution incomparable étant donné son statut original semiprivé et, surtout, le type de recherches auquel il était consacré. Par certains aspects, il se rapprochait des stations maritimes qui avaient fleuri un peu partout en Europe et en Amérique depuis les dernières décennies du XIXe siècle et dans lesquelles on pratiquait des études à la fois descriptives et expérimentales sur les êtres vivants. Mais tandis que ces stations étaient établies au plus près de l’habitat naturel des animaux et des végétaux marins, le Vivarium,
À LIRE
Publié à l’occasion des 150 ans de la naissance de Hans Przibram, le livre de Stéphane Schmitt Du Crustacé au Cristal : la pensée biologique de Hans Przibram (1874-1944), paru aux éditions Matériologiques début 2024, part sur les traces de ce biologiste méconnu tout en redonnant vie aux débats de l’époque sur la formation des organismes vivants.
au contraire, avait pour vocation de créer un espace de travail entièrement artificiel, proche des lieux de savoir traditionnels (en l’occurrence, l’université), où il était possible d’apporter des organismes prélevés ailleurs et de les maintenir en vie dans des conditions parfaitement contrôlées, avec un réglage précis des différents facteurs physicochimiques et de leurs variations, et ce afin d’aborder des questions biologiques générales. Przibram était en effet convaincu que tous les grands problèmes contemporains de la biologie (hérédité, évolution, morphogenèse…) étaient accessibles à l’expérimentation, et plus précisément à une expérimentation la plus quantifiée possible, qui permettait selon lui de rapprocher les sciences de la vie de disciplines traditionnellement jugées plus « rigoureuses » car plus mathématisées, à savoir la chimie et la physique. Rechercher un tel degré de quantification et de précision dans les mesures était pionnier à cette époque, et le Vivarium était spécialement conçu dans ce but. Il était doté des équipements les plus modernes et de dispositifs novateurs fonctionnant à l’électricité, comme des aquariums avec circulation d’eau salée pour l’élevage d’animaux marins sur plusieurs générations, des terrariums spéciaux pour espèces cavernicoles , des serres éclairées pour la culture de plantes tropicales Des systèmes élaborés et coûteux furent mis au point pour fixer et mesurer avec exactitude la température, l’humidité ou d’autres facteurs, et quantifier leur action sur les fonctions physiologiques ou le développement des êtres vivants
Le Vivarium devint ainsi , durant trois décennies, l’un des plus grands centres européens d’études biologiques , accueillant un grand nombre de chercheurs autrichiens (notamment des Juifs peinant à obtenir des postes universitaires) et étrangers Outre les travaux de Przibram, d’importantes recherches y furent menées , comme celles d’Eugen Steinach sur les sécrétions glandulaires et le rajeunissement, de Wolfgang Joseph Pauli (le père du physicien) sur la chimie colloïdale des protéines ou de Karl von Frisch sur les sens des animaux, prémices de celles qui le conduiraient au prix Nobel en 1973. C’est là que Paul Weiss ébaucha ses premières réflexions sur la biologie des systèmes, c’est-à-dire sur l’idée qu’un organisme est un système complexe et dynamique constitué de parties en interaction, formant un tout fonctionnel Mais le plus célèbre de ces collaborateurs fut sans doute Paul Kammerer en raison de son implication dans une affaire de fraude scientifique qui entacha la réputation de l’institution dans les années 1920 (voir l’encadré page 78).
Outre la direction du Vivarium, Przibram mena une carrière universitaire et fut nommé professeur de zoologie expérimentale à Vienne en 1913. Mais la Première Guerre mondiale marqua pour lui le début des difficultés Le Vivarium dut en effet cesser ses activités pour être transformé en hôpital militaire et les installations subirent des dégâts. Après le conflit, le biologiste et ses collègues s’efforcèrent de les remettre en état et la recherche reprit de manière intense
dans les années 1920. Mais les crises économiques successives grevèrent le budget, au point qu’il fallut ouvrir au public un aquarium payant, en 1932, pour soulager les finances, d’autant que l’inflation avait ruiné Przibram. Après 1930, ce fut pire La montée de l’antisémitisme le marginalisa de plus en plus. Chassé de l’université et du Vivarium en 1938 après l’Anschluss et l’arrivée des nazis au pouvoir, il parvint à quitter l’Autriche peu après le début de la Seconde Guerre mondiale et se réfugia à Amsterdam, mais il y fut rattrapé par l’invasion allemande en 1940. Déporté en 1943 avec son épouse au camp de concentration de Theresienstadt (en actuelle République tchèque), il y mourut d’épuisement le 22 mai 1944. Quant au Vivarium, il fut fermé, puis abandonné en 1941 et détruit par les bombardements en 1945. Il n’en reste aujourd’hui qu’une plaque commémorative.
ET ÉVOLUTION, MÊME COMBAT ?
L’un des principaux sujets de recherche de Przibram était la régénération, notamment celle des appendices des arthropodes (qui, dans certaines conditions, repoussent après ablation). Cette question le passionnait parce qu’elle se trouvait à la jonction de plusieurs grands problèmes de la biologie du début du XXe siècle : elle se rattachait à l’embryologie descriptive traditionnelle, mais faisait aussi intervenir des considérations sur l’évolution En particulier, dans ce domaine , une théorie
En 1902, Hans Przibram et deux collègues rachetèrent le Vivarium de Vienne (ci-contre en 1880), un beau bâtiment à l’abandon, et le transformèrent en un institut de biologie expérimentale, le Biologische Versuchanstalt, qui fut jusqu’à la fin des années 1930 l’un des plus grands centres européens d’études biologiques.
couramment admise, défendue notamment par le biologiste allemand Ernst Haeckel, supposait que le développement embryonnaire d’un animal ( son ontogenèse ) récapitulait toute la succession des ancêtres de cet animal au cours de l’évolution (sa phylogenèse). En était-il de même pour la régénération d’un organe ?
Se posait aussi la question du caractère adaptatif de la régénération : des biologistes darwiniens, comme August Weismann, expliquaient son apparition par l’effet de la sélection naturelle dans la mesure où elle constituait un avantage adaptatif ; mais d’autres auteurs contestaient une telle interprétation.
Surtout, les phénomènes régénératifs se prêtaient à des expériences ainsi qu’à des analyses quantifiées et mathématiques, et leur comparaison avec des processus inorganiques donnait lieu à des réflexions sur les frontières du vivant Przibram privilégiait ces aspects Ayant décrit des cas de régénération chez des espèces de crustacés où elle était inconnue, il considérait ce phénomène comme banal , répandu dans le monde vivant (même s’il tendait à régresser chez les organismes les plus complexes) et s’expliquant davantage par les propriétés matérielles des tissus vivants que par l’évolution et la sélection naturelle Il la comparait même à des cas similaires observés sur des cristaux
En effet, dès 1842, un médecin et minéralogiste de Sarrebruck, Hermann Jordan, avait découvert l’existence d’une « régénération » des cristaux : certains, abîmés, retrouvaient leur forme initiale quand ils étaient plongés dans une solution saturée en un composé de même nature qu’eux Cette découverte, passée inaperçue au départ, avait suscité à la fin du siècle l’intérêt de plusieurs biologistes , comme August Rauber, qui avaient alors défendu l’idée que les cristaux minéraux montraient des propriétés semblables à celles du vivant et qu’il n’existait pas de discontinuité fondamentale entre les mondes organique et inorganique. À la fin des années 1880, la découverte des cristaux liquides par le physicien allemand Otto Lehmann avait ravivé ces spéculations, car ces structures présentaient des propriétés d’organisation, d’élasticité et même de bourgeonnement qui rappelaient davantage encore celles des corps vivants Przibram , qui était en relation avec Lehmann, s’inscrivit dans ce courant et se livra lui-même, en 1901-1902, à des expériences de « régénération » de cristaux d’acide D-tartrique et de divers aluns. Il montra que lorsque ces cristaux mutilés étaient placés dans une solution saturée, des particules en solution se déposaient sur eux mais de manière différentielle, l’endroit de la lésion croissant plus vite que le reste, ce qui tendait peu à peu à rétablir la forme parfaite du cristal En utilisant des aluns de différentes
couleurs, il mit même en évidence le fait que la croissance localement accélérée employait des particules issues d’une autre partie du cristal, sans augmentation de la masse totale. Ce mode de reconstitution rappelait certains cas de régénération chez des êtres vivants comme la planaire, dont les parties lésées se reconstituent par migration de tissus voisins. Przibram était conscient des différences importantes entre « régénérations » cristallines et biologiques, comme le fait que, dans le cas des cristaux, la solution constituait un intermédiaire indispensable à la migration des particules ; plus généralement il admettait l’existence dans le monde vivant de propriétés absentes chez les cristaux, comme la capacité d’assimilation des nutriments. Malgré tout, il insistait
Dans un article de 1906, Hans Przibram compare la régénération de cristaux (ci-dessous) à celle de plantes et de différents animaux, dont des crustacés (page ci-contre), parmi lesquels une crevette-pistolet du genre Alpheus qu’il a particulièrement étudiée : il examine la régénération normale (deuxième ligne illustrée des tableaux), mais aussi la morphallaxie (régénération par migration de particules ou de cellules issues d’autres parties du cristal ou de l’organisme, qu’il met en parallèle, chez les crustacés, avec l’« échange des pinces », troisième ligne) et les malformations (quatrième et cinquième lignes)
sur les similitudes, y compris dans les mécanismes fondamentaux. Par exemple, il nota qu’une explication possible de la « régénération » d’un cristal abîmé était l’augmentation de la tension superficielle au niveau de la zone lésée : le cristal tend vers la forme énergétiquement la plus stable en diminuant cette tension Or celle-ci est inversement proportionnelle au rayon de courbure de la surface dans la zone lésée, si bien que ce rayon augmente, ce qui restaure une surface plus régulière Selon lui, un processus comparable serait envisageable dans le cas des régénérations biologiques, où une augmentation locale de la division cellulaire serait due à un facteur purement mécanique
Cette comparaison entre processus vitaux et inorganiques était récurrente chez lui et
marquait son opposition nette au vitalisme encore répandu chez certains biologistes de l’époque Sa démarche se rapprochait de celle de contemporains comme le Français Stéphane Leduc, connu pour ses tentatives de « biologie synthétique ». Mais une importante spécificité de Przibram était la quête d’une approche plus quantitative.
Parmi les phénomènes morphogénétiques auxquels s’intéressait Przibram figuraient les régénérations dites « homéotiques », c’est-àdire à l’issue desquelles l’organe néoformé est différent de celui qui a été ôté (par exemple une patte à la place d’une antenne chez un crustacé). Depuis les années 1890, de nombreux cas avaient été étudiés en laboratoire et on invoquait plusieurs types d’interprétations à leur sujet, comme le rôle du système nerveux, qui aurait orienté le développement vers un type d’organe plutôt qu’un autre. Mais le savant viennois préférait recourir à des mécanismes physicochimiques plus simples et susceptibles d’être étudiés mathématiquement
Un cas en particulier retenait son attention : les « échanges de pinces » chez certains crustacés possédant normalement des pinces di ff érentes à droite et à gauche , comme le crabe violoniste… ou les crevettes du genre Alpheus C’était une crevette de ce type que Przibram avait patiemment étudiée dans son Vivarium Il avait observé que lorsqu’on coupe la petite pince, elle se régénère à la mue suivante conformément à son état initial ; mais si l’on coupe la grosse, à la mue suivante, une petite pince la remplace, tandis que la petite pince devient grosse
L’explication de Przibram était très simple, car elle ne faisait intervenir que la cinétique de croissance. Selon lui, l’ablation de la grosse pince provoquait localement une accélération de la croissance normale qui venait compenser le déséquilibre causé Si l’on admettait que cette accélération de croissance se produisait de manière bilatérale, dès que l’état de « grosse pince » était atteint d’un côté, l’équilibre était rétabli et l’accélération de croissance s’arrêtait des deux côtés. Et puisque le côté portant initialement la petite pince avait une certaine « avance » sur l’autre, qui n’avait plus de pince, c’était lui qui atteignait d’abord l’état de « grosse pince », tandis que l’autre ne parvenait qu’à celui de « petite pince »
Le biologiste exprima ces relations sous forme d’équations mathématiques Plus généralement, il étudia la croissance de façon quantitative et montra par exemple que, d’une mue à l’autre, un arthropode double sa masse, tandis que sa taille augmente d’un facteur 1,26, soit à peu près la racine cubique de 2. Il interpréta ces H.
résultats en invoquant à nouveau des causes physicochimiques. Par exemple, il nota que les courbes globales d’augmentation du poids et de la taille lors de la vie de l’animal, ainsi que celle de la production de chitine (constituant de la cuticule des arthropodes), montraient une forme en S caractéristique des processus chimiques autocatalytiques. La croissance générale de l’animal respectait donc des lois chimiques simples, tandis que les discontinuités marquées par les mues successives suivaient une progression géométrique (le doublement de la masse) qui s’expliquait par une contrainte biologique simple elle aussi : la division cellulaire.
Paul Kammerer fut l’un des biologistes les plus célèbres du début du XXe siècle. Issu du même milieu social que Hans Przibram, il était, comme ce dernier, passionné de zoologie et avait le même directeur de thèse. Dès la fondation du Vivarium, il s’y installa pour y effectuer ses recherches, principalement sur l’hérédité. Sans rejeter totalement la génétique alors en cours de construction, Przibram n’y voyait qu’un mode de transmission héréditaire parmi d’autres et privilégiait d’autres mécanismes. Il était convaincu, en effet, que les caractères acquis par un individu au cours de la vie se transmettaient à sa descendance : cette conception, souvent associée à une vision néolamarckienne de l’évolution, était encore répandue au début du XXe siècle, mais très contestée, précisément par les partisans de la nouvelle génétique et par les évolutionnistes néodarwiniens. Kammerer, lui, imaginait un modèle en deux étapes : l’environnement induirait des modifications somatiques (affectant le corps), puis celles-ci seraient communiquées aux chromosomes et transmises ainsi à la descendance. Il entreprit un vaste programme de recherches sur cette question au Vivarium. Il s’intéressa notamment au crapaud accoucheur, Alytes obstetricans, un amphibien capable, contrairement à d’autres espèces proches, de s’accoupler hors de l’eau : les doigts des mâles sont donc dépourvus des callosités qui, chez ces autres crapauds, permettent d’agripper les femelles dans l’eau sans glisser. Or, en obligeant des crapauds accoucheurs à s’accoupler dans l’eau (à la suite d’une augmentation de la température), Kammerer parvint à provoquer l’apparition de ces callosités. Mais surtout, il prétendit avoir observé que cette modification se transmettait à la descendance, c’est-à-dire qu’elle apparaissait chez les mâles de la génération suivante de manière spontanée, sans qu’on les force à s’accoupler dans l’eau. Ces résultats furent immédiatement contestés et s’ensuivit alors une longue
D’autres travaux portaient sur la croissance différentielle des organes, un phénomène connu par la suite sous le nom d’« allométrie » Przibram se livra aussi à des réflexions plus théoriques sur l’approche mathématique de la morphogenèse . Généralisant ses idées sur l’échange des pinces, il pensait pouvoir décrire la genèse de toute forme vivante comme la résultante d’un équilibre dynamique Il introduisit pour cela une notion inspirée de la physique, le potentiel Selon lui, de même que l’intensité du courant électrique est proportionnelle à la différence de potentiel entre deux points, la vitesse de croissance, lors du développement d’un
Le biologiste autrichien Paul Kammerer (1880-1926, à gauche) étudia le crapaud accoucheur (à droite), qui a la particularité de s’accoupler hors de l’eau. Il espérait trouver des preuves de l’hérédité des caractères acquis.
controverse, dont les enjeux dépassèrent le cadre scientifique, car Kammerer était un savant très connu, « médiatique », marqué politiquement à gauche ; or, en plein débat sur l’hérédité des caractères acquis et le néolamarckisme, ces questions revêtaient une forte dimension idéologique (l’hérédité des caractères acquis, qui permettait a priori une transformation orientée des espèces dans un sens désiré, étant considérée comme une théorie plus « progressiste » que le néodarwinisme, qui mettait l’accent sur la compétition pour la survie). Mais début 1926, un zoologiste américain de passage à Vienne, Gladwyn Kingsley Noble, observa que sur certains spécimens de Kammerer supposés présenter les callosités transmises, ces dernières n’étaient en réalité que des falsifications, à savoir des marques faites à l’encre de Chine. Kammerer clama son innocence, mais quelques mois
après la révélation de cette fraude dans la revue Nature, il se suicida.
Aujourd’hui encore, cette affaire reste mystérieuse et, en définitive, on ignore si Kammerer a vraiment falsifié ses résultats ou s’il a été victime d’un coup monté – comme en était persuadé Przibram, qui se trouvait aux premières loges de ces événements et a toujours défendu la mémoire de son ami. En tout cas, ce scandale contribua à affaiblir gravement la théorie de l’hérédité des caractères acquis, qui était de toute façon en perte de vitesse face au triomphe de la génétique et du néodarwinisme, du moins dans le monde occidental. Dans l’URSS des années 1930, en revanche, cette théorie fut érigée en doctrine officielle sous l’impulsion de Trofim Lyssenko, et les travaux de Kammerer, présenté comme une victime de la science « bourgeoise », furent alors glorifiés.
organisme ou d’un organe, dépendrait de la différence d’un « potentiel morphogénétique », cette différence s’interprétant elle - même comme le degré de perturbation d’un équilibre. Et comme dans le cas de la loi d’Ohm en électricité (admise depuis le milieu du XIXe siècle), le facteur de proportionnalité serait une sorte de « résistance » dont la valeur dépendrait de différents paramètres Par exemple, dans le cas d’une régénération, la longueur du moignon serait déterminante : à mesure que l’organe ôté se reformerait, sa longueur augmenterait et la vitesse de croissance diminuerait jusqu’à s’annuler une fois une certaine longueur atteinte. De même, le développement embryonnaire ne serait, en fin de compte, que la résultante d’une compétition cinétique entre plusieurs processus morphogénétiques simultanés, mais se déroulant à des vitesses différentes, à la suite de la perturbation d’un équilibre initial dans la cellule œuf, déclenchée par la fécondation.
D’autres spéculations, après 1920, s’inspiraient plus ou moins de la théorie des transformations de coordonnées de Thompson Celle-ci consistait à appliquer une grille de coordonnées cartésiennes sur un dessin représentant, par exemple, une espèce de poisson ; ensuite, en déformant cette grille, on obtenait des dessins représentant d’autres espèces. Przibram proposait une conception proche, mais plus complexe, selon laquelle la forme des organismes serait l’intégrale d’une sorte de fonction morphogénétique, tout comme, en mécanique , la position est l’intégrale de la vitesse, elle-même intégrale de l’accélération. Il croyait possible d’édifier ainsi une sorte de dynamique morphogénétique qui rendrait compte de la morphogenèse des organismes à partir des différents facteurs physiques, et permettrait en même temps d’établir des comparaisons interspécifiques Jugeant l’approche de Thompson trop simpliste, car limitée à une analyse bidimensionnelle, il estimait nécessaire de considérer les corps dans l’espace et de mesurer des angles plutôt que des longueurs, car c’étaient eux qui montraient la constance et les variations les plus intéressantes du point de vue de la morphogenèse. Il imaginait une « grille spatiale » qui permettrait d’exprimer, au moyen d’un système de coordonnées plus complexe que celui du scientifique écossais , la forme animale et ses changements dans le temps, y compris dans les cas d’anomalies de régénération, de transplantation, etc. Associée aux considérations sur la cinétique de croissance, une telle manière d’envisager la structure de la matière, vivante ou inorganique, et de décrire ses modifications lors de processus morphogénétiques, voire, en ce qui concerne les êtres vivants, au cours de l’évolution, ouvrirait la
voie, au moins virtuellement, à des outils d’analyse mathématique puissants, voire à de nouvelles théories explicatives Mais Przibram considérait qu’il n’était pas encore possible, compte tenu de l’état des mathématiques, de disposer à cet égard d’un système de paramètres, ni d’outils adéquats Il prônait vivement la recherche de tels concepts : « C’est une tâche très prometteuse et séduisante pour le futur, écrivaitil en 1922, que de concevoir les diagrammes pour la grille spatiale organique et de représenter en formules les formes animales. »
BIBLIOGRAPHIE
S. Schmitt, Du Crustacé au Cristal : la pensée biologique de Hans Przibram (1874-1944), Matériologiques, 2024.
G. B. Müller (éd.), Vivarium. Experimental, quantitative, and theoretical biology at Vienna’s Biologische Versuchsanstalt, MIT Press, 2017.
S. Schmitt, Histoire d’une question anatomique : la répétition des parties, MNHN, 2004.
Il existe donc entre Przibram et Thompson, qui, de fait, étaient en relation, des points de convergence , mais la pensée du biologiste autrichien montre d’importantes spécificités, notamment dans le type de mathématiques auquel il a recours, et surtout dans la nécessité qu’il y a, selon lui, à associer cette approche mathématique à une étude expérimentale quantifiée et extrêmement précise À cet égard, Przibram n’a guère eu de postérité directe, et il serait anachronique, par exemple, de le voir comme un précurseur de l’approche biomécanique de la morphogenèse qui s’est développée au tournant de ce siècle sous l’impulsion de chercheurs comme Emmanuel Farge et Thomas Lecuit en France Cependant, à un niveau général, il est certain que ses recherches ont influencé des scientifiques qui, par la suite, ont promu la biologie mathématique et la biologie des systèmes, à commencer par ceux qui, comme Paul Weiss, sont passés par le Vivarium De plus, certains de ses travaux expérimentaux ont exercé un réel impact : les premières études sur les mutations homéotiques, en particulier celles effectuées en Russie, citent toute la tradition d’étude sur les régénérations homéotiques dont Przibram a été l’une des principales figures D’ailleurs, ces travaux russes invoquent eux aussi, pour expliquer le mode d’action des gènes impliqués, des questions de cinétique de croissance. Enfin, sur un plan historique, le cas de Przibram montre que les réflexions de Thompson au début du XXe siècle n’étaient en rien isolées, mais s’inscrivaient dans un contexte européen foisonnant de recherches en biologie théorique et de tentatives de compréhension des formes vivantes. n
L’AUTEUR
HERVÉ THIS physicochimiste, directeur du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inrae, à Palaiseau
Nul besoin d’additifs pour stabiliser une omele e soufflée.
Avec l’équipement adéquat, le jaune d’œuf suffit.
n cuisine, la mousse la plus simple est le blanc en neige, obtenu par battage de cette solution aqueuse à 10 % de protéines qu’est le blanc d’œuf Une mousse légère… mais fragile : l’eau qui se trouve entre les bulles d’air, plus dense que celles - ci , draine progressivement . Comment obtenir plus de stabilité ?
Les pâtissiers savent que l’ajout de sucre est une solution : non seulement la dissolution du sucre dans la phase aqueuse en améliore la viscosité, ce qui réduit le drainage du liquide, mais, surtout, cette augmentation de viscosité conduit à la formation de bulles bien plus petites, qui renforcent le brillant et la stabilité. Le nombre de réflexions de la lumière est à l’origine du premier effet, l’amplification des forces de capillarité explique le second : le liquide est retenu entre les bulles serrées, comme il l’est entre les poils d’un pinceau.
Comment éviter le sucre ? L’industrie utilise des stabilisants variés, mais non comestibles, et elle voudrait éviter les additifs. La solution serait-elle dans la cuisine classique ?
Les cuisiniers connaissent la technique de battre l’œuf entier pour faire des omelettes soufflées. Mieux, ils ont compris que l’on obtient des mousses différentes si l’on bat les œufs entiers ou si l’on ajoute les jaunes d’œufs aux blancs battus en neige. Pourquoi ? C’est ce qu’ont indirectement exploré Jihan Liu, Xin Li et leurs collègues de l’université Yantai du Shandong, en Chine, en s’inspirant des émulsions de Ramsden et en se servant d’homogénéiseurs sous pression.
Le physicochimiste anglais Walter Ramsden a découvert, en 1903, comment des particules solides bien choisies pour
Les granules du jaune d’œuf ou, mieux, les microgranules obtenus par homogénéisation sous pression, augmentent de façon notable la stabilité des mousses formées à partir d’œufs battus.
leur mouillabilité permettent de stabiliser des émulsions. Dans les mousses, les granules formant le jaune d’œuf, dispersés dans son plasma (solution aqueuse de protéines), jouent le rôle de telles particules. Sachant que des microparticules de protéines de blanc d’œuf peuvent stabiliser des émulsions de Ramsden, les chimistes chinois ont cherché à former des microparticules à partir des fractions du jaune, avant de tester leur effet sur la stabilité des mousses.
En pratique, les préparations sont simples : on sépare le blanc du jaune de l’œuf, on dilue le jaune, puis on le centrifuge : le surnageant est le plasma, et le culot est formé des granules. Puis, par chauffage des différentes fractions (blanc, plasma ou granules), on obtient des gels, que l’on fait passer sous pression dans une buse de très petit diamètre (c’est l’« homogénéisation ») jusqu’à obtenir des microparticules. L’homogénéisation ne modifie pas seulement la taille des particules. Comme quand on bat en neige un blanc d’œuf, les cisaillements dénaturent les protéines, et exposent différemment les résidus en acides aminés, donc modifient la mouillabilité des particules de gel.
L’effet sur les mousses ? C’est avec le blanc d’œuf qu’on produit le plus de mousse, mais le jaune d’œuf, les microgels de jaune, le plasma ou les microgels
de plasma font des mousses presque aussi volumineuses. Surtout, l’ajout de granules ou de microgels de granules augmente notablement la stabilité des mousses formées. Les homogénéiseurs, naguère réservés à la stabilisation du lait, vont se généraliser. n
Dans une jatte, battre longuement deux œufs entiers ; puis, quand un fort volume de mousse est obtenu, avec le fouet qui laisse des traînées permanentes dans une mousse épaisse, ajouter 50 g de sucre et poursuivre le battage pour assurer la dissolution du sucre.
Dans une autre jatte, battre deux jaunes d’œufs avec 25 g de sucre jusqu’à ce que la mousse formée soit blanche et ferme (c’est le « ruban »). À part, battre les blancs en neige ferme, puis leur ajouter 25 g de sucre, et battre encore. Ajouter les blancs ainsi « meringués » aux jaunes battus.
Dans une grande poêle, faire fondre une noix de beurre, et déposer la première mousse sur la gauche, l’autre sur la droite, et chau er pendant 5 minutes à feu pas trop soutenu, avant de couvrir, et de poursuivre la cuisson jusqu’à ce que les omelettes soient au point de cuisson voulu. Servir avec de la confiture d’orange et une rasade de Grand Marnier.
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Le cacao était déjà très utilisé en Amérique du Sud il y a plus de 5 000 ans. Le cacaoyer a été domestiqué plusieurs fois au Pérou et en Colombie bien avant son arrivée en Mésoamérique, puis son usage s’est répandu le long des côtes caraïbe et pacifique.
Les matériaux 2D sont comparables à des damiers géants dont les pièces sont des électrons et des « trous » se comportant comme des électrons chargés positivement. Dans certaines conditions, chaque paire électron-trou apparaît comme une entité possédant une fraction de la charge de l’électron. Elle devient alors un anyon, une quasi-particule intermédiaire entre les fermions et les bosons, les deux types de particules du modèle standard.
Il est irréfutable à ce jour que le stress psychologique active le développement de tumeurs déjà existantes dans l’organisme et leur progression métastatique £
MAGNON biologiste spécialiste du cancer à l’Inserm
Ce mot grec ancien signifiant « pourpre » est le premier qu’un trio d’informaticiens amateurs est parvenu à déchiffrer dans un rouleau de papyrus carbonisé provenant d’une bibliothèque romaine détruite par l’éruption du Vésuve en 79. Le texte serait du philosophe Philodème.
Sur un plateau en losange composé de cases hexagonales adjacentes, deux joueurs s’affrontent, chacun plaçant à son tour un pion de sa couleur sur une case. Le but de chacun est de relier, avec ses pions, les deux côtés opposés marqués de sa couleur. Inventé en 1942 par le poète et physicien danois Piet Hein, ce jeu ravit les mathématiciens, car il conduit, encore maintenant, à de nombreux résultats élégants.
Les embarcations munies de cette « aile d’eau » semblent voler : à une vitesse suffisante, cette surface portante fixée sous la coque soulève celle-ci hors de l’eau. Ce qui diminue son sillage, source de ralentissement. Deux épreuves des Jeux olympiques 2024 utiliseront cette technique pour la première fois : la planche à voile et le kitesurf.
C’est le premier organisme vivant qu’Iseult, le nouvel appareil d’imagerie par résonance magnétique du CEA, a scanné en 2021. Début avril, l’engin a livré les premières images d’un cerveau humain avec une résolution inégalée. Son secret ? Un aimant de 132 tonnes, 5 mètres de long et de diamètre, qui produit un champ magnétique de 11,7 teslas, dix fois plus intense que ceux obtenus habituellement en France.
Cet encart d’information est mis à disposition gratuitement au titre de l’article L. 541-10-18 du code de l’environnement. Cet encart est élaboré par CITEO.