PHYSIQUE
Chémobiologie
UN ÉTHYLOTEST
POUR DÉTECTER
LES TUMEURS
Paléontologie
LE MONDE SENSORIEL DU TYRANNOSAURE
Mathématiques
LES MYSTÈRES DES PAVAGES PAR DOMINOS
PHYSIQUE
Chémobiologie
UN ÉTHYLOTEST
POUR DÉTECTER
LES TUMEURS
Paléontologie
LE MONDE SENSORIEL DU TYRANNOSAURE
Mathématiques
LES MYSTÈRES DES PAVAGES PAR DOMINOS
MORT IMMINENTE
L’imagerie cérébrale s’empare enfin du phénomène
MODÉLISATION
Vers une théorie unifiée de la conscience ?
MENSUEL POUR LA SCIENCE
Rédacteur en chef : François Lassagne
Rédacteurs en chef adjoints : Loïc Mangin, Marie-Neige Cordonnier
Rédacteurs : François Savatier, Sean Bailly
HORS-SÉRIE POUR LA SCIENCE
Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin
Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe
Directeur marketing et développement : Frédéric-Alexandre Talec
Chef de produit marketing : Ferdinand Moncaut
Directrice artistique : Céline Lapert
Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy, Ingrid Lhande
Réviseuses : Anne-Rozenn Jouble, Maud Bruguière et Isabelle Bouchery
Assistante administrative : Finoana Andriamialisoa
Directrice des ressources humaines : Olivia Le Prévost
Fabrication : Marianne Sigogne et Stéphanie Ho
Directeur de la publication et gérant : Nicolas Bréon
Ont également participé à ce numéro : Caroline Barathon, Florian Besson, Régis de la Bretèche, Clémentine Laurens, Violaine Llaurens, Rémi Lefebvre, Charlotte Martial, Alain Riazuelo
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SCIENTIFIC AMERICAN
Editor in chief : Laura Helmuth
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2024. Scientific American, une division de Springer Nature America, Inc. Soumis aux lois et traités nationaux et internationaux sur la propriété intellectuelle. Tous droits réservés. Utilisé sous licence. Aucune partie de ce numéro ne peut être reproduite par un procédé mécanique, photographique ou électronique, ou sous la forme d’un enregistrement audio, ni stockée dans un système d’extraction, transmise ou copiée d’une autre manière pour un usage public ou privé sans l’autorisation écrite de l’éditeur. La marque et le nom commercial «Scientific American» sont la propriété de Scientific American, Inc. Licence accordée à «Pour la Science SARL». © Pour la Science SARL, 170 bis bd du Montparnasse, 75014 Paris. En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).
Origine du papier : Autriche Taux de fibres recyclées : 30 %
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Imprimé en France
Maury Imprimeur SA Malesherbes N° d’imprimeur : 280 022
François Lassagne Rédacteur en chef
La conscience est souvent présentée comme une forteresse : elle serait l’imprenable bastion de nos pensées, à l’abri de l’œil inquisiteur des autres ; la meilleure garantie que nos rêves, désirs, jugements nous appartiennent, à nous et à nous seuls. Pourtant, comme le soulignait il y a dix ans Stanislas Dehaene dans son livre Le Code de la conscience (Odile Jacob), le cerveau est bel et bien devenu transparent au regard des scientifiques, grâce aux progrès de l’imagerie cérébrale… Et la science est entrée dans la forteresse. En laboratoire, il est possible de mesurer l’activité du cerveau et de comparer les signaux qu’il produit quand nous percevons consciemment un stimulus ou accomplissons consciemment une tâche, et quand cette perception ou cette action se font sans accès conscient.
Les expériences de mort imminente sont à ce titre un cas extrême de comparaison : qu’advient-il dans le cerveau quand nous perdons conscience ? Y a-t-il un lien entre ce que rapportent les personnes qui en ont vécu – de la sensation de plénitude aux descriptions de lumière intense – et l’activité cérébrale en ces instants où la forteresse paraît déserte ?
Une poignée d’équipes de recherche s’est emparée ces dernières années de cette question, mobilisant des dispositifs d’imagerie cérébrale de plus en plus précis. Comme le dit Christopher Timmermann, à l’Imperial College de Londres, « si nous voulons comprendre la nature de l’expérience consciente, nous devons tenir compte de ce qui se passe dans ces états non ordinaires ». Ces travaux ont aussi le mérite de démêler les résultats empiriques des croyances, comme le rappelle Charlotte Martial, chercheuse du Coma Science Group, à l’université de Liège. Ils contribuent surtout à préciser le portrait que l’imagerie cérébrale, depuis une trentaine d’années, livre de la conscience. Ce portrait reste à parfaire. Les observations expérimentales se traduisent aujourd’hui en quatre grandes familles de modèles théoriques, que leurs promoteurs, en dépit de louables efforts de synthèse, peinent à rapprocher. Des brèches se sont ouvertes dans la forteresse, qu’elle soit occupée ou provisoirement abandonnée, mais il faut encore en dresser le plan. n
ÉCHOS DES LABOS
• L’étau se resserre autour de la fonction zêta de Riemann
• Un cas spectaculaire de convergence évolutive
• L’oxygène des abysses
• Pluton et sa fausse jumelle
• Quand la bactérie donne l’alerte
• L’autel flotté de Stonehenge
• Les gyres océaniques dissipent bien l’énergie
• Piège à la luciole
16
LES LIVRES DU MOIS
P. 21
LES SCIENCES À LA LOUPE
Des guerres doublement froides
Yves Gingras
CAHIER PARTENAIRE
PAGES I À III (APRÈS LA P. 17)
Nucléaire : améliorer la prévention des accidents de criticité
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P. 36
PHYSIQUE
MATÉRIAUX MOIRÉS :
UN TERRAIN DE JEU
POUR LA PHYSIQUE
QUANTIQUE À DEUX
DIMENSIONS
Cécile Repellin
Les matériaux bidimensionnels dotés d’un « angle magique » nourrissent d’importants développements théoriques et inspirent de nouvelles applications
P. 46
CHÉMOBIOLOGIE
BIENTÔT UN ÉTHYLOTEST SANGUIN POUR DÉTECTER LES TUMEURS ?
Pauline Poinot et Sébastien Papot
P. 54
PALÉONTOLOGIE
LE MONDE SENSORIEL DU TYRANNOSAURE
Amy Balanoff et Daniel Ksepka
L’analyse de l’empreinte numérisée de cerveaux de tyrannosaure et d’autres dinosaures, ainsi que de certains oiseaux, aide à mieux reconstituer ce qu’étaient la vision, l’odorat et la cognition des géants disparus.
P. 64
HISTOIRE DES SCIENCES
EMMA LOUISA
TURNER : LES OISEAUX DANS L’OBJECTIF
Eric Buffetaut
En couverture : © cybermagician/Shutterstock
Les portraits des contributeurs sont de Seb Jarnot
Ce numéro comporte un courrier de réabonnement posé sur le magazine sur une sélection d’abonnés.
Imposer une odeur caractéristique – à base d’éthanol – à certains cancers pour repérer à un stade précoce les patients atteints, au moyen d’une simple prise de sang, telle est la stratégie qu’une équipe de chercheurs de Poitiers développe avec succès.
Au début du XXe siècle, dans les marais du Norfolk, dans l’est de l’Angleterre, une femme consacra une grande partie de sa vie à observer les oiseaux et à les photographier, parfois dans de rudes conditions.
P. 22
NEUROSCIENCES AUX CONFINS DE LA CONSCIENCE
Rachel Nuwer
Ces dernières années, une poignée d’équipes de recherche ont patiemment observé et documenté des centaines de cas d’expériences de mort imminente Ces études, en se rapprochant de ce qui sépare la vie et la mort, ouvrent de nouvelles pistes pour saisir la nature de la conscience
P. 30
SCIENCES COGNITIVES THÉORIES DE LA CONSCIENCE : UN CONSENSUS IMPOSSIBLE ?
Mariana Lenharo
Disputes entre spécialistes, multiplication des théories : la recherche en neurosciences peine à avancer d’un seul pas quand il s’agit de saisir la nature de la conscience De récentes expérimentations tentent de faire converger les différentes approches
P. 70
LOGIQUE & CALCUL
LES MYSTÈRES DES PAVAGES PAR DOMINOS
Jean-Paul Delahaye
De « l’échiquier mutilé » aux assemblages exotiques de petits carrés, la question des formes « dominables » est levée petit à petit, non sans difficulté.
P. 78
ART & SCIENCE L’art de survivre à un empalement Loïc Mangin
P. 80
IDÉES DE PHYSIQUE
Rouler sans être rond
Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik
P. 84
CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION
Quand les ornithorynques avaient des dents
Hervé Le Guyader
P. 88
SCIENCE & GASTRONOMIE
Moins de sel dans la sauce soja ?
Hervé This
P. 90
À PICORER
P. 6 Échos des labos
P. 16 Livres du mois
P. 21 Les sciences à la loupe
Distribution des nombres premiers parmi les entiers disposés sur une spirale, dite « spirale d’Ulam ».
L’étude de la distribution des nombres premiers progresse avec la mise au point d’un nouvel outil, dans le cadre de l’hypothèse de Riemann.
Souvent, pour escalader une montagne, la voie la plus directe se révèle bien trop difficile et il faut prendre un chemin détourné. C’est aussi le cas pour l’hypothèse de Riemann, l’un des problèmes les plus importants en théorie des nombres. Le résultat récent de James Maynard, de l’université d’Oxford, et de Larry Guth, du MIT (l’institut de technologie du Massachusetts), a permis de progresser sur une de ces voies indirectes en améliorant un résultat énoncé il y a près de quatre-vingts ans.
L’hypothèse de Riemann porte sur les nombres premiers, c’est-à-dire tous les nombres entiers à partir de 2 qui ne sont
divisibles que par eux-mêmes et par 1. Les premiers nombres premiers sont 2, 3, 5, 7, 11, 13, 17… Alors âgé de 16 ans, Carl Friedrich Gauss avait constaté que les nombres premiers se font de plus en plus rares à mesure qu’on les cherche parmi des nombres toujours plus grands (même si on sait qu’il en existe une infinité ). Il avait alors conjecturé que le nombre de nombres premiers inférieurs à une valeur n tend vers n divisé par le logarithme de n . Ce « théorème des nombres premiers » n’a été démontré que cent ans plus tard, en 1896, et indépendamment par Jacques Hadamard et Charles-Jean de La Vallée Poussin. Ce résultat, bien que très important pour donner une estimation statistique
de la distribution des nombres premiers, n’est pas une formule exacte Par exemple, entre 1 et 100, la formule prévoit environ 22 nombres entiers, alors qu’il y en a en réalité 25. C’est l’écart entre la formule et la bonne valeur qui fait l’objet de l’hypothèse de Riemann Si cette conjecture est vérifiée, alors elle montre que l’erreur ne sera jamais arbitrairement grande et qu’elle évolue au plus comme la racine carrée de n
La conjecture de Riemann est au cœur de beaucoup de démonstrations mathématiques qui font l’hypothèse qu’elle est vraie Et d’autres résultats pourraient tomber si elle est confirmée. Il y a donc un enjeu incontestable à arriver au sommet de cette montagne. En 1859, dans un article de seulement six pages, Bernhard Riemann s’est intéressé à une fonction particulière, nommée depuis la fonction zêta de Riemann : ζ(s) = Σ1/ns = 1 + 1/2 s + 1/3s + 1/4s + 1/5s + …
La variable s peut prendre des valeurs complexes et s’écrit comme s = a + ib, où a et b sont deux nombres réels (appelés respectivement la partie réelle et la partie imaginaire de s) et i est un nombre « imaginaire » tel que i 2 = – 1. On peut représenter les nombres complexes dans un plan où la valeur de a est indiquée sur l’axe horizontal et celle de b sur l’axe vertical.
La fonction zêta converge quand a, la partie réelle de s, est strictement supérieure à 1, et diverge sinon Mais Riemann a montré qu’il est possible d’étudier la fonction dans tout le plan complexe en considérant une relation entre ζ(s) et ζ(1 – s) qui donne une valeur à la fonction partout sauf en s = 1. En particulier, le mathématicien a montré que pour s = – 2, – 4, – 6, … la fonction est nulle, on parle des « zéros triviaux » de la fonction. En dehors de ces points, les zéros non triviaux se trouvent tous dans la bande critique où la partie réelle de s est comprise entre 0 et 1, avec une symétrie par rapport à l’axe vertical passant par s = 1/2.
Mais plus intéressant , Riemann a constaté que tous les zéros non triviaux qu’il trouvait ont une partie réelle égale à 1/2. Il formula donc la conjecture, la fameuse « hypothèse de Riemann », que tous les zéros non triviaux (il y en a une infinité ) ont comme partie réelle 1/2. Cette hypothèse est cruciale puisque c’est elle qui permet d’exprimer l’erreur sur la distribution des nombres premiers, car il y a un lien fort entre la fonction zêta et les nombres premiers En effet, cette
Dans le plan complexe, représentant la partie réelle et la partie imaginaire de la variable s, les mathématiciens traquent les valeurs où la fonction zêta de Riemann s’annule. En dehors des zéros triviaux, l’hypothèse de Riemann suggère que tous les zéros non triviaux se retrouvent sur l’axe vertical passant par le point 1/2
fonction peut se réécrire comme un produit de termes n’impliquant que les nombres premiers :
– 7 – s) ×
À défaut d’une preuve directe de l’hypothèse de Riemann, les mathématiciens ont regardé la distribution N des zéros en dehors de cette ligne verticale et ont
Zéros triviaux
Zéros non triviaux
Les premières étapes [de la preuve] sont standard, mais ils ont ensuite utilisé quelques manœuvres astucieuses et inattendues
Terence Tao, médaille Fields
essayé de montrer que celle-ci tend vers zéro. Mais cela n’a pas été si simple ! Ils savaient déjà que ces zéros non triviaux sont dans la bande critique avec une symétrie miroir par rapport à la droite verticale passant par 1/2. Ils se sont donc concentrés sur la distribution entre 1/2 et 1. Différentes techniques permettent de contraindre le nombre de zéros, mais un cas particulier posait davantage de souci, celui où la partie réelle est égale à 3/4.
En 1940, le mathématicien Albert Ingham a montré qu’il y a au plus
Bande critique
Partie imaginaire de s
Partie réelle de s
y3/5 + c zéros avec une partie réelle comprise entre 3/4 et 1 et une partie imaginaire inférieure à y (c est un petit nombre). Par la suite, d’autres chercheurs ont traduit cette contrainte des zéros non triviaux sur la distribution des nombres premiers parmi les entiers De façon concrète, avec cette borne sur le nombre de zéros dont la partie réelle est différente de 1/2, on peut dire qu’il est possible d’appliquer le théorème des nombres premiers dans presque tous les intervalles aussi petits que [x, x + xθ], si θ > 1/6. Évidemment, si la conjecture de Riemann était prouvée, le théorème s’appliquerait sur n’importe quel intervalle, donc pour θ = 0. Mais à défaut de pouvoir prouver l’hypothèse de Riemann ou de montrer que la densité de zéros non triviaux de partie réelle différente de 1/2 est nulle, une voie de progrès consiste à améliorer la « borne d’Ingham » pour la rendre plus contraignante
James Maynard et Larry Guth ont reformulé le problème Si un zéro de la fonction zêta a une partie réelle di ff érente de 1 / 2, alors une fonction associée, un polynôme de Dirichlet, devrait prendre une valeur très grande La question revenait donc à montrer que les polynômes de Dirichlet ne prennent pas de valeurs trop grandes. Les deux chercheurs ont utilisé les polynômes de Dirichlet pour construire des matrices et c’est sur ces objets qu’ils ont cherché si les valeurs restaient petites. Ce faisant, les deux mathématiciens ont fixé une borne améliorée à y13/25 + c , ce qui permet d’utiliser le théorème des nombres premiers sur presque tous les intervalles [ x , x + x θ] avec θ > 2 / 15, soit 0,1333 , au lieu de 1/6 = 0,1666… La différence semble minime , mais l’enthousiasme de la communauté pour ce résultat qui est pour l’instant une prépublication, et qui reste à valider par les pairs , est ailleurs. En développant de nouveaux outils qui leur ont permis de dépasser la borne d’Ingham, peut- être James Maynard et Larry Guth ont- ils posé des jalons inédits pour que des mathématiciens se relancent à l’assaut de l’Everest des mathématiques ! n
Sean Bailly
L. Guth et J. Maynard, en ligne sur arXiv, 2024. arxiv.org/abs/2405.20552
BIOLOGIE VÉGÉTALE
De nombreuses espèces végétales ont des « épines ». Cet attribut est apparu de façon indépendante au moins 28 fois au cours des derniers 150 millions d’années.
D’après le dicton, « il n’y a pas de rose sans épines ». Ainsi, rien n’est jamais parfait, rien n’est jamais simple. D’ailleurs, les scientifiques soulignent que les roses n’ont de toute façon pas d’épines, mais des aiguillons ! La différence semble subtile, mais les épines sont des tiges ou des feuilles qui se sont spécialisées au cours de l’évolution, alors que les aiguillons sont juste des excroissances de l’épiderme. Ainsi, les cactus et les aubépines ont des épines, mais les roses ont des aiguillons. Elles ne sont d’ailleurs pas les seules à arborer de tels attributs, on en observe chez certaines solanacées proches de l’aubergine, par exemple.
Quand des espèces ont un ancêtre commun récent, elles partagent une importante part de leur génome, et il n’est pas étonnant de retrouver des traits communs Mais dans le cas des espèces dotées d’aiguillons (qui protègent la plante notamment de l’appétit des herbivores), certaines ont un ancêtre commun très éloigné dans le temps Il est donc probable que les excroissances se sont développées de façon indépendante – au moins 28 fois depuis 150 millions d’années ; on parle alors de convergence évolutive Mais retrouve - t- on , chez ces différentes espèces, un même gène qui contrôle le développement des aiguillons ? Le consortium international coordonné par Zachary Lippman, du laboratoire de Cold Spring Harbor, aux États-Unis, et impliquant plusieurs équipes dont celle de Mohammed Bendahmane, directeur de recherche Inrae, à l’École normale supérieure de Lyon, vient d’identifier le volet génétique de cette convergence
Dans le genre Solanum, où l’on retrouve les pommes de terre, les tomates ou encore les aubergines, près de la moitié des espèces ont des aiguillons On y constate d’ailleurs un signe de domestication : l’espèce sauvage Solanum insalum, dotée d’aiguillons, a été domestiquée, probablement en Inde, et a donné l’aubergine (Solanum melongena) sélectionnée par les cultivateurs, car dépourvue de ces excroissances protectrices
Zachary Lippman et ses collègues ont commencé leur étude en croisant ces deux espèces d’aubergine (sauvage et cultivée) afin
Les épines, ou plus précisément les aiguillons, procurent de nombreux avantages à la plante. Ils la protègent de l’appétit des herbivores ou des insectes, et retiennent l’humidité.
« LOG » EXPLIQUE
L’ABSENCE
D’AIGUILLONS
de localiser le gène responsable de la croissance des aiguillons. Ils ont montré qu’il s’agit d’un gène de la famille LOG (Lonely Guy) Ce gène est impliqué dans la synthèse de la cytokinine, une hormone végétale qui participe à la prolifération cellulaire et au développement de la plante Chez l’aubergine cultivée, le gène LOG est présent, mais il présente une mutation qui le rend inopérant et explique l’absence d’aiguillons
En explorant d’autres espèces portant ces excroissances , l’équipe de Mohammed Bendahmane a retrouvé ce même gène LOG chez les rosiers « Nous avons montré que le développement des aiguillons chez le rosier utilise le même mécanisme génétique que celui observé chez le genre Solanum », souligne le chercheur. Zachary Lippman et ses partenaires ont ainsi montré qu’un même mécanisme génétique a été recruté et a mené à cette convergence évolutive. D’après eux, l’apparition fréquente des aiguillons aurait été facilitée par la simplicité de ces excroissances, qui n’appellent pas de caractère physiologique spécifique n
S. B.
J. W. Satte,rlee et al., Science, 2024.
Un génome XXL
Les dipneustes sont des poissons qui ont conservé des traits proches de ceux des ancêtres des tétrapodes. Leur étude permettra peut-être de comprendre comment les premiers animaux ont quitté l’eau pour la terre ferme. L’équipe d’Axel Meyer, de l’université de Constance, en Allemagne, a séquencé le génome du dipneuste sud-américain (Lepidosiren paradoxa). Avec 91 milliards de paires de bases, il est trente fois plus grand que le génome humain. Le record du plus grand génome animal connu.
Nature, 14 août 2024.
La recette des pépites d’or
Les pépites d’or se forment principalement dans les veines de quartz. La raison restait inconnue, jusqu’aux travaux récents de Christopher Voisey, de l’université Monash, en Australie, et de ses collègues. Ils ont confirmé en laboratoire le scénario suivant : lors d’un séisme, les pressions mécaniques créent un champ électrique dans le quartz, un matériau piézoélectrique. Ce champ provoquerait la précipitation d’atomes d’or dissous dans les fluides qui baignent le milieu.
Nature Geoscience, 2 septembre 2024.
Îlot urbain de précipitations
Les villes a chent souvent des températures plus élevées que la campagne environnante. Un e et similaire existerait pour les précipitations. Pour s’en assurer, l’équipe de Dev Niyogi, de l’université du Texas à Austin, a analysé les données de 1 056 villes. Près de 60 % d’entre elles présentent une anomalie pluviométrique. Ce phénomène proviendrait en partie des immeubles, qui ralentissent les vents. Cette accumulation de pluies augmente d’autant les risques de crues éclair.
PNAS, 9 septembre 2024.
Dans les profondeurs des océans, de l’oxygène serait produit par un processus inattendu ! Cette découverte a de quoi surprendre. Jusqu’à présent, seule l’activité biologique des organismes photosynthétiques, comme les cyanobactéries et les plantes, était connue pour enrichir l’environnement en dioxygène. Or, à près de quatre kilomètres de la surface, la lumière ne pénètre jamais. Andrew Sweetman, de l’Association écossaise des sciences marines, et ses collègues viennent d’y découvrir un processus purement inerte qui émet ce gaz si essentiel pour la vie.
En étudiant les écosystèmes des plaines abyssales de la zone de Clarion-Clipperton, située dans l’océan Pacifique entre Hawaii et le Mexique, les chercheurs ont découvert que du dioxygène était produit localement Selon eux, les nodules polymétalliques, des concrétions rocheuses riches en métaux, qui jonchent le plancher océanique à la surface des sédiments, généreraient un potentiel électrique capable de réaliser l’électrolyse de l’eau de mer. En laboratoire, l’équipe a montré que le potentiel varie beaucoup d’un nodule à un autre, mais peut atteindre 0,95 volt Or il suffit de 1,6 volt pour accomplir l’électrolyse de l’eau de mer. Des nodules en contact pourraient agir comme des
Parce qu’elles ont une taille, une densité et une composition similaires, Pluton, la planète naine, et Triton, la lune de Neptune, sont probablement nées dans la même région de la ceinture de Kuiper. Pourtant, leurs paysages sont très différents : Pluton présente des glaciers d’azote et de méthane à l’équateur ; sur Triton, la glace d’azote forme une calotte au pôle Sud qui s’étend sur presque tout l’hémisphère. Or le fait que Triton soit en orbite autour de Neptune ne suffit pas à expliquer ces différences. Tanguy Bertrand, astrophysicien à l’observatoire de Paris, et ses collègues ont développé un modèle numérique couplant l’atmosphère et la surface pour suivre l’évolution des deux corps, en partant des mêmes conditions initiales. Ils ont montré que c’est l’obliquité – l’inclinaison de l’axe de rotation par rapport à la perpendiculaire au plan de l’orbite – qui contrôle l’évolution : Triton a une
Ce bernard-l’hermite de la famille Parapagurus se déplace sur un tapis exceptionnellement dense de nodules polymétalliques. L’image a été prise dans l’Atlantique nord pendant une campagne d’exploration de la Noaa (l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique) en 2021
piles en série Reste à savoir si cet « oxygène noir » a un rôle important pour l’écosystème qui vit près des fonds marins Un milieu mal connu, mais dont l’exploitation des nodules intéresse certains industriels pour leur contenu en cobalt, nickel et cuivre. Ces métaux sont indispensables pour les filières technologiques de la transition énergétique, pour la fabrication de batteries ou des panneaux solaires n
S. B.
Pluton (à gauche) et Triton (à droite) ont une composition et une taille similaires, mais leurs paysages sont très différents. Une énigme enfin résolue.
obliquité moyenne de seulement 30 degrés, ce qui fait que les pôles restent en moyenne annuelle plus froids que l’équateur, tandis que Pluton a une obliquité de 60 degrés, ce qui implique que les pôles chauffent, en moyenne annuelle, plus que l’équateur. n
Évrard-Ouicem Eljaouhari
T. Bertrand et al., PNAS, 2024.
Ces dernières années, une poignée d’équipes de recherche ont patiemment observé et documenté des centaines de cas d’expériences de mort imminente. Ces études, en se rapprochant de ce qui sépare la vie et la mort, ouvrent de nouvelles pistes pour saisir la nature de la conscience.
RACHEL NUWER
Pendant des décennies, François d’Adesky, un diplomate et fonctionnaire à la retraite qui vit aujourd’hui à Bruxelles, n’a parlé à personne de son expérience de mort imminente (EMI). Celle-ci s’est produite alors qu’il était hospitalisé, à l’âge de 13 ans, pour une appendicite aiguë. François d’Adesky se souvient très bien d’avoir vu son corps sur la table d’opération, puis d’avoir traversé un tunnel dans lequel il a rencontré des êtres étranges qui rayonnaient de lumière et de bonté « Ton heure n’est pas venue, tu n’as pas entrepris ta mission sur Terre », lui a dit un être plus âgé, que l’ancien diplomate pressent aujourd’hui comme étant Dieu. L’expérience s’est poursuivie par une impression de voyage « à une vitesse vertigineuse à travers le temps et l’espace, jusqu’au début de la création du monde ». À l’arrivée, un jardin paradisiaque où des êtres spirituels – dont l’un était une grand - mère décédée , l’autre un ami d’enfance mort à l’âge de 5 ans – communiquaient par télépathie avec lui La grand-mère du jeune d’Adesky l’a alors pris par la main et l’a ramené à la clinique, où il s’est réveillé dans son corps en proie à d’atroces douleurs, raconte le retraité François d’Adesky a passé sa vie d’adulte à s’efforcer de découvrir quelle pouvait être sa mission spéciale Il a fini par la considérer comme le rôle qu’il jouait pour « rendre le monde meilleur », dit-il Il a en effet contribué, en tant que fonctionnaire des Nations unies, à l’adoption d’une résolution clé lors de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique de 2011. Ce n’est que quelques années plus tard , lorsque les EMI sont devenues plus fréquentes dans le discours public, qu’il a commencé à partager l’histoire de son expérience charnière au-delà de sa famille proche « J’avais peur pour ma réputation », explique-t-il.
Les expériences de mort imminente sont relatées à travers les âges et les cultures. On estime que 5 à 10 % de la population générale se souvient d’une expérience de mort imminente, dont 10 à 23 % des personnes ayant survécu à un arrêt cardiaque Un nombre croissant d’universitaires considèrent aujourd’hui les EMI comme un état mental singulier, à même d’offrir de nouvelles perspectives sur la nature de la conscience « Aujourd’hui, il est clair que nous ne mettons
L’ESSENTIEL
> Les expériences de mort imminente concernent 5 à 10 % de la population générale. Elles peuvent être « mimées » par l’évanouissement induit ou la prise de certaines drogues.
> La mesure rigoureuse de l’activité cérébrale, l’imagerie et l’analyse des récits des survivants font apparaître
des caractéristiques spécifiques à ces expériences.
> Ces caractéristiques contribuent à préciser les contours des di érents états de la conscience, et le rôle qu’est susceptible de jouer chacun de ces états.
plus en doute la réalité des expériences de mort imminente, observe Charlotte Martial, neuroscientifique à l’université de Liège, en Belgique Les personnes qui en rapportent ont réellement vécu quelque chose »
5 À 10 % DE LA POPULATION
GÉNÉRALE
Les individus qui vivent une EMI en reviennent également avec « cette qualité noétique de l’expérience qui, très souvent, change le cours de leur vie », ajoute le neuroscientifique Christof Koch , de l’institut Allen de Seattle, dont le livre Then I Am Myself the World (Basic Books, 2024, non traduit) évoque les EMI et d’autres états de conscience. « Ils savent ce qu’ils ont vu »
Une poignée de chercheurs , principalement des médecins urgentistes, ont commencé à recueillir des données qualitatives sur les EMI après la publication, en 1975, du livre du psychiatre et médecin Raymond A . Moody intitulé Life after Life ( La Vie après la vie , Robert Laffont, 1977), qui décrivait en détail les récits de patients ayant vécu des expériences de mort imminente Depuis lors , seules quelques équipes de recherche ont tenté d’étudier empiriquement la neurobiologie des EMI Leurs découvertes n’en remettent pas moins en question des croyances de longue date sur le cerveau mourant, notamment celle selon laquelle la conscience cesse presque immédiatement après que le cœur s’est arrêté de battre. Selon Jimo Borjigin, neuroscientifique à la faculté de médecine de l’université du Michigan, cette observation, en particulier, a d’importantes implications sur les pratiques actuelles de réanimation , qui reposent sur des croyances dépassées concernant l’activité du cerveau lors d’un arrêt cardiaque « Si nous comprenons mieux les mécanismes de la mort, nous pourrons trouver de nouveaux moyens de sauver des vies », fait valoir la chercheuse. À l’instar des drogues psychédéliques et d’autres moyens d’altération de la conscience, les EMI sont également susceptibles de servir de sondes pour révéler des traits fondamentaux de l’esprit et du cerveau Ces états sont des perturbations du système de la conscience, « et
L’AUTRICE
RACHEL NUWER journaliste scientifique et autrice. Son dernier livre s’intitule I Feel Love : MDMA and the Quest for Connection in a Fractured World (Bloomsbury, 2023, non traduit).
Ce texte est une adaptation de l’article Lifting the veil of near-death experiences, publié par Scientific American en juin 2024.
lorsque vous perturbez un système, vous comprenez mieux comment il fonctionne », justifie Christopher Timmermann, chercheur postdoctoral au Centre de recherche psychédélique de l’Imperial College de Londres « Si nous voulons comprendre la nature de l’expérience consciente, nous devons tenir compte de ce qui se passe en marge des états non ordinaires. »
En outre, les dimensions existentielles de la conscience sont importantes, bien que leur nature exacte continue d’être débattue dans la littérature scientifique et lors de conférences, notamment à l’occasion de celle que l’Académie des sciences de New York a organisée en 2023. Le phénomène de la conscience y a été discuté à travers le prisme de ce que l’on sait de la mort, des effets des psychédéliques et du mysticisme « De nombreuses expériences transcendantes se manifestent dans les principales religions et traditions du monde, explique Anthony Bossis, professeur adjoint de psychiatrie à la Grossman School of Medicine de l’université de New York, qui a participé à l’organisation de la conférence Elles sont susceptibles d’aider l’humanité à cultiver la réflexion sur la conscience » Pour Charlotte Martial, les questions que posent ces expériences rendent d’autant plus critique l’étude minutieuse des EMI et leur interprétation rigoureuse. « Il est important de démêler les résultats empiriques des croyances », insiste la chercheuse.
Par une après- midi couverte de février, alors que cette dernière était en réunion avec les vingt membres de son laboratoire de neurosciences , son téléphone sonne . Elle avait demandé à être alertée si quelqu’un arrivait à l’hôpital universitaire de Liège en état de mort imminente Charlotte Martial se précipite vers l’ascenseur pour rejoindre, deux minutes plus tard, le hall de l’hôpital, dont les escaliers roulants et les motifs géométriques qui s’entrecroisent rappellent un dessin de M C Escher Dans la salle de réanimation, Aurore Ancion, médecin urgentiste et doctorante en sciences médicales, est déjà arrivée. Sur l’un des deux lits est allongé un homme barbu d’environ 70 ans , dont la chemise
Dans quel état se trouve la conscience lors d’une expérience de mort imminente (EMI) ? En quoi est-il proche, ou di érent, de ce que devient la conscience lors d’hallucinations psychédéliques, de rêves lucides ou d’autres états mentaux aux frontières de ce que nous éprouvons ordinairement ?
Charlotte Martial, de l’université de Liège, en Belgique, et ses collègues proposent de considérer la conscience comme un espace à trois dimensions principales : l’éveil, la conscience interne et la connexion avec le monde extérieur. Dans cette représentation, les EMI et l’anesthésie induite par la kétamine sont associées à des niveaux d’éveil et de connexion très faibles
(la personne ne réagit pas), mais à une conscience interne très élevée. Les hallucinations, la méditation profonde et les évanouissements impliquent également une conscience interne élevée, mais avec un éveil partiel et une déconnexion de la réalité. Le sommeil paradoxal, au cours duquel les rêves semblent particulièrement réels, implique une conscience interne relativement élevée. Le sommeil profond sans rêve et l’anesthésie générale a chent des valeurs faibles sur les trois axes. L’intrusion du sommeil paradoxal, une intrusion de l’état d’éveil dans le sommeil paradoxal que certaines personnes ayant rapporté des EMI ont dit avoir également subie, n’est pas représentée.
Pleinement conscient
Conscience interne
Caractérisée par la capacité à avoir des pensées (images mentales, discours intérieur, vagabondage de l’esprit…) non liées à des stimuli externes.
États associés à l’anesthésie
États associés au sommeil
Expérience de mort imminente
Se produit dans des situations où la vie est en danger, notamment en cas d’arrêt cardiaque et après une lésion cérébrale traumatique.
Non éveillé
Anesthésie induite par la kétamine
Sommeil paradoxal avec rêve
Anesthésie générale
Coma
État permettant certaines réponses motrices pendant une anesthésie générale
Sommeil non paradoxal sans rêve
État d’éveil
Caractérisé par l’ouverture des yeux, soit spontanément, soit en réponse à un stimulus externe.
Sommeil paradoxal avec rêve lucide
Expérience de mort imminente
Se produit dans des situations où la vie n’est pas en danger, notamment lors de la méditation et au cours d’un évanouissement.
Éveil (conscience normale)
Hallucination (induite par les drogues ou psychotique)
Émergence d’un état de conscience minimale
État de conscience minimale
Syndrome d’éveil non répondant
Pleinement connecté
Connexion avec le monde extérieur
Caractérisée par la capacité à percevoir et à répondre potentiellement à des stimuli externes.
Pleinement éveillé
Non connecté
d’hôpital, ouverte, laisse apparaître le ventre et la poitrine. Alors qu’il est victime d’un épisode de fibrillation auriculaire, il est alerte et plaisante. Il rit nerveusement pendant qu’Aurore Ancion, entourée de deux médecins urgentistes, attache sur sa tête un bandeau d’électroencéphalographie (EEG, pour enregistrer, à la surface du crâne, les ondes électriques produites par le cerveau) et applique deux détecteurs de niveau d’oxygène sur son front. Charlotte Martial, en retrait, se concentre debout sur l’écran d’un ordinateur portable sur lequel deux lignes, rouge et bleue, ponctuées de crêtes, commencent à défiler – des mesures précises, pour un œil averti, de l’activité cérébrale du patient
L’homme a finalement dû être anesthésié, et recevoir un choc électrique pour que son cœur retrouve un rythme normal Grâce aux données enregistrées tout au long de son passage en salle de réanimation, et à des entretiens de suivi, ainsi qu’aux informations issues d’autres patients similaires, Charlotte Martial, Aurore Ancion et leur collègue Pauline Fritz espèrent établir une représentation plus détaillée de ce qui se passe dans le cerveau humain lors d’une rencontre rapprochée avec la mort
Plusieurs caractéristiques spécifiques apparaissent dans les récits que font de nombreuses personnes de leur expérience d’EMI. Celles-ci se rappellent par exemple s’être séparées de leur corps et l’avoir vu d’en haut. Elles racontent avoir traversé des tunnels et aperçu de la lumière, avoir rencontré des parents décédés ou des entités compatissantes, et éprouvé un sentiment d’immensité et de profondeur. Certains témoins disent avoir fait le bilan de leur vie et évalué moralement les choix qu’ils ont faits, notamment en ressentant la joie ou la douleur que leurs actes ont causé à d’autres personnes « Ce qui est fascinant, c’est que lorsque les gens meurent, ils ne s’évaluent pas en fonction de leurs propres normes morales », explique Sam Parnia, directeur des soins intensifs et de la recherche en réanimation à l’école de médecine Grossman de l’université de New York « Ils s’évaluent en fonction d’une norme universelle. »
Bien que la plupart des personnes décrivent leur EMI en termes positifs , une minorité d’entre elles relatent des visites dans des régions évoquant l’enfer, des rencontres avec des êtres démoniaques ou des vides terrifiants Dans une étude réalisée en 2019, Charlotte Martial et ses collègues ont constaté que, parmi les 123 patients ayant rapporté une EMI, 14 % l’ont qualifiée de négative – une proportion dont la chercheuse est certaine qu’elle est sousestimée, en raison du caractère troublant de ces souvenirs.
Si les personnes religieuses ne semblent pas plus enclines aux EMI – ce qui peut sembler
surprenant –, il existe cependant des preuves préliminaires qu’un autre groupe est, lui, plus susceptible d’en connaître : ce sont les individus sujets à l’intrusion du sommeil paradoxal, un état qui se produit lorsque cette phase du sommeil (appelée aussi REM, rapid eye movement) s’immisce dans l’état de veille et mêle des éléments de rêve et d’éveil. Certaines des personnes qui, pendant quelques secondes ou minutes , éprouvent cette intrusion, ont des sensations extracorporelles ou l’impression que quelqu’un ou quelque chose se trouve dans la pièce avec elles , ou encore souhaitent bouger mais constatent qu’elles en sont incapables. En 2019, Daniel Kondziella, neurologue au Rigshospitalet, du réseau hospitalier universitaire de Copenhague, et ses collègues ont recruté un échantillon de 1 034 adultes issus de la population générale de 35 pays. Dix pour cent des participants à l’étude avaient vécu une expérience de mort imminente, dont 47 % ont également signalé une intrusion du sommeil paradoxal – une association statistiquement significative. Parmi les personnes qui n’avaient pas vécu d’EMI, seulement 14 % ont signalé une intrusion. Au-delà de ces observations, on sait encore peu de choses sur la neurobiologie des EMI. Parmi les questions en suspens, citons celle de savoir si elles relèvent d’un processus central unique ou si elles constituent une palette de réponses à la « compréhension, d’une manière ou d’une autre , que la mort est proche » , comme le suggère Christopher Timmermann.
Quelques chercheurs, dont Charlotte Martial, tentent d’identifier les mécanismes à l’œuvre dans le cerveau des personnes qui approchent de la mort ou y sont confrontés sans retour
UNE SIGNATURE POUR LES EMI
Dans une publication de 2023, Jimo Borjigin et ses collègues ont dévoilé ce qu’ils soupçonnent être une signature des EMI dans le cerveau mourant Les chercheurs ont analysé les données EEG de quatre patients comateux avant et après
L’évanouissement, ou syncope, est en soi un phénomène étonnant : schématiquement, la personne qui s’évanouit « perd conscience » très rapidement, puis retrouve toutes ses facultés – et le tonus musculaire, réduit au minimum pendant l’épisode – peu de temps après. Mais ce phénomène prend parfois une coloration encore plus marquante : en faire l’expérience s’apparente, chez certains, à une expérience de mort imminente (EMI). C’est ce que révèle une étude originale, conduite par Charlotte Martial et ses collègues, à l’université de Liège, et publiée en septembre 2024. Cette étude montre qu’il n’est pas rare que des personnes qui s’évanouissent rapportent des expériences subjectives riches, habituellement vécues comme très positives, pouvant ressembler aux EMI. Les chercheurs ont observé que 8 sur 22 des participants sains de l’étude (chez qui la syncope était provoquée volontairement, notamment par la manœuvre dite « de Valsalva ») ont traversé un épisode conscient qui comprend des dimensions prototypiques des EMI, ayant des aspects parfois « extraordinaires » et mystiques. Les chercheurs ont par ailleurs exploré l’activité électrique cérébrale
des individus grâce à un EEG haute densité lors des épisodes syncopaux – une première. Ils ont constaté que ces épisodes de conscience semblent être soutenus par des poussées dans les bandes d’activité à basse fréquence. Bien que ces résultats doivent être interprétés avec prudence, ils ouvrent de nouvelles perspectives pour comprendre les mécanismes neurobiologiques sous-jacents aux expériences de mort imminente. Ces résultats s’ajoutent à ceux d’une série d’autres études qui démontrent, à travers un large éventail de conditions physiologiques, pathologiques et pharmacologiques, que l’absence de réponse physique ne peut pas être considérée comme une manifestation de l’inconscience. Trouver les bases neuronales associées à ce type d’expériences permettrait, à long terme, de développer des stratégies innovantes utilisant ces marqueurs pour concevoir une détection automatisée des expériences conscientes à l’hôpital, sans dépendre uniquement de la mémoire des patients, ce qui contribuerait à une meilleure prise en charge médicale.
CHARLOTTE MARTIAL université de Liège
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T 8 10
Pour certaines bandes de fréquence (les ondes delta et thêta en particulier), l’activité électrique cérébrale, mesurée à la surface du cortex par électroencéphalographie (EEG), présente des différences marquées (l’échelle du vert au rouge indique l’importance de ces différences) entre des individus s’étant évanouis et rapportant une expérience analogue aux expériences de mort imminente, et ceux ne rapportant pas d’expérience singulière.
le retrait de leur respirateur Lorsque leur cerveau a été privé d’oxygène, deux des patients mourants ont présenté une poussée paradoxale d’activité gamma, un type d’onde cérébrale à haute fréquence liée à la formation de la mémoire et à l’intégration de l’information. La neuroscientifique de l’université du Michigan avait observé un phénomène analogue au cours d’études antérieures sur le cerveau de rats sains, lors d’un arrêt cardiaque provoqué Chez les rongeurs, l’augmentation de l’activité se produisait dans l’ensemble du cerveau Chez l’homme, en revanche, elle se limitait principalement à la jonction des lobes temporal, pariétal et occipital du cerveau, une région impliquée dans de multiples aspects de la conscience, notamment le traitement visuel, auditif et du mouvement D’autres recherches, par le passé, ont également associé cette région aux expériences de décorporation, ainsi qu’à l’altruisme et à l’empathie. Bien qu’il s’agisse de composantes habituelles des EMI, il est impossible de savoir si les deux patients ont réellement vécu une telle expérience, car ils n’ont pas survécu pour en parler, relativise Jimo Borjigin Mais « je peux presque deviner ce qu’ils ont pu vivre », avance-t-elle.
Une étude menée en 2023 par Sam Parnia et décrite dans son livre Lucid Dying (Hachette Books, 2024, non traduit), apporte d’autres preuves de l’activité cérébrale après l’arrêt du cœur des patients Le chercheur de l’université de New York et ses collègues ont collaboré avec 25 hôpitaux aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Bulgarie, pour examiner les données, obtenues en EEG et par mesure de l’oxygénation cérébrale, documentant l’activité du cerveau de 567 personnes ayant subi un arrêt cardiaque à l’hôpital Le personnel médical a réussi à recueillir des données interprétables pour 53 de ces patients, qui n’ont pu être réanimés La plupart d’entre eux présentaient un profil électrique plat pendant la crise, mais dans environ 40 % des cas, une activité neurologique correspondant à celle d’un cerveau conscient est réapparue de manière transitoire, parfois jusqu’à une heure après la réanimation cardiopulmonaire
Un autre sous-groupe de 53 patients de l’étude a survécu Les données d’EEG et les mesures d’oxygénation cérébrale recueillies étaient trop peu nombreuses pour qu’il soit possible d’établir une corrélation entre les souvenirs potentiels que ces survivants avaient de l’événement et leur activité cérébrale . Les auteurs ont pu interroger 28 d’entre eux : 6 ont évoqué une « expérience de mort rappelée », comme Sam Parnia qualifie les EMI
Le professeur et ses collègues ont également cherché à tester l’attention consciente et inconsciente – y compris les rapports d’expériences de
décorporation Ils ont pour cela fait apparaître une série de dix images aléatoires sur une tablette placée près de la tête des patients, et leur ont fait écouter un enregistrement répétant le nom de trois fruits (pomme, poire, banane) à l’aide d’un casque, toutes les minutes pendant cinq minutes, alors qu’ils étaient inconscients Aucun des survivants n’a pu se souvenir des images diffusées. Une personne ayant témoigné d’une « expérience de mort rappelée » a correctement nommé les fruits dans l’ordre – bien que cela ait pu être dû au hasard – observe Sam Parnia. Pour lui, ces résultats offrent « une explication cohérente des mécanismes » par lesquels les gens se souviennent de leur expérience de la mort et de la raison pour laquelle ils le font Selon lui, lorsqu’une personne commence à mourir, le cerveau devient dysfonctionnel Certaines fonctions sont immédiatement perdues , comme les réflexes dépendant du tronc cérébral, mais d’autres, qui sont normalement inhibées au quotidien, sont soudainement désinhibées parce que les « systèmes de freinage » naturels du cerveau ne fonctionnent plus En conséquence, « l’ensemble de la conscience passe au premier plan », détaille Sam Parnia Le but de ce changement, suggère-t-il, est de préparer la personne « à une nouvelle réalité » – la transition de la vie à la mort, une condition dans laquelle, selon le chercheur, la conscience perdure
Pour d’autres scientifiques, cette analyse ne tient pas « Lorsque vous êtes sujet à une EMI, vous devez avoir un cerveau en état de marche pour stocker le souvenir, et vous devez survivre avec un cerveau intact pour pouvoir retrouver ce souvenir et le raconter, explique Daniel Kondziella Vous ne pouvez pas faire cela avec un cerveau dysfonctionnel, donc tous ces arguments selon lesquels les EMI prouvent qu’il existe une conscience en dehors du cerveau sont tout simplement absurdes »
Le chercheur danois, Charlotte Martial ainsi que d’autres spécialistes de la question considèrent plutôt les EMI comme de possibles manifestations d’une tactique de survie de dernier recours. Dans le règne animal, de nombreuses espèces simulent la mort – un comportement appelé « thanatose » – lorsqu’elles perçoivent une menace mortelle, comme l’attaque d’un prédateur. Si la lutte ou la fuite échoue, l’instinct de feindre la mort prend le relais pour tenter d’écarter le danger. L’animal s’immobilise et ne réagit plus aux stimuli extérieurs, mais il reste conscient afin de pouvoir s’échapper si l’occasion se présente « Personnellement, je pense que l’aspect évolutif est vraiment la clé pour comprendre ce que sont les EMI et comment elles sont apparues, soutient Daniel Kondziella. Il existe une explication biologique parfaitement valable » Charlotte Martial et d’autres chercheurs ont par ailleurs critiqué la rigueur méthodologique de l’étude de Sam Parnia L’un des problèmes,
Examiné par EEG ou IRM, le cerveau d’un quart des personnes souffrant de lésions cérébrales (ici, en rouge, une hémorragie observée par tomographie) et ne répondant pas physiquement à une commande (comme « agitez vos orteils ») montre cependant une activité indiquant une réponse consciente à cette commande, selon les résultats d’une large étude qui a fait l’objet d’une récente publication.
selon la neuroscientifique de l’université de Liège, est que l’équipe a fondé ses conclusions sur des lectures visuelles des données EEG brutes des patients plutôt que sur « une analyse statistique appropriée » Sam Parnia affirme pour sa part que ses collègues et lui ont appliqué la méthode standard de lecture des EEG que « tous les médecins du monde » exploitent dans leur pratique clinique Ceux qui critiquent l’étude , ajoute - t- il , « ne veulent pas tenir compte de ses conclusions parce qu’elles ne leur plaisent pas »
Dans leurs travaux les plus récents, Charlotte Martial et ses collègues prévoient d’employer l’approche la plus rigoureuse à ce jour pour recueillir des données subjectives et objectives auprès d’une centaine de patients, y compris des relevés d’EEG et d’oxygénation du cerveau, ainsi que des informations provenant de plusieurs séries d’entretiens et d’enquêtes avec les survivants du groupe étudié. L’équipe de l’université de Liège tente également d’évaluer de manière plus approfondie les affirmations relatives aux expériences de sortie du corps Environ 79 % des personnes ayant vécu une EMI déclarent avoir quitté leur corps, et certaines se réveillent en affirmant savoir des choses sur leur environnement dont elles ne devraient a priori pas avoir pu prendre connaissance. « Je ne dis pas que ce n’est pas vrai, mais nous voulons le tester objectivement », explique la chercheuse À cette fin, Charlotte Martial et ses collègues ont placé dans la salle de réanimation de l’hôpital des images et des objets inattendus, pour certains dans des endroits visibles du seul
point de vue d’une personne située près du plafond. Pendant qu’un patient se trouve dans la salle de réanimation, y compris lorsqu’il est conscient, l’équipe prévoit de lui faire écouter une fois par minute un extrait sonore composé de divers mots et sons d’animaux. Les chercheurs vérifieront si les participants survivants se souviennent d’images ou de sons lors d’entretiens de suivi Ils se serviront également d’enregistrements vidéo pour comparer les souvenirs des participants à la réalité
Une approche plus facile pour explorer les mécanismes sous-jacents aux EMI consiste à recourir à des substituts sans risque, tels que l’hypnose, l’évanouissement provoqué et les drogues psychédéliques Aucune de ces méthodes ne produit de véritables EMI, mais les états qu’elles déclenchent évoquent des similitudes avec le cerveau mourant. En 2018, Christopher Timmermann, Charlotte Martial et leurs collègues ont publié une étude comparant les EMI aux effets de la N,N-diméthyltryptamine (DMT), un composant de l’ayahuasca, un breuvage psychédélique sud - américain dérivé d’une plante, qui altère le fonctionnement du cerveau Des traces de DMT sont également présentes dans l’organisme humain. « Il y a des spéculations sur le fait que cette substance est en quelque sorte à l’origine des EMI, mais les données sont très préliminaires », prévient Christopher Timmermann.
Dans cette étude, 13 volontaires ont reçu de la DMT par voie intraveineuse, en laboratoire, et ont évalué leur expérience à l’aide d’un questionnaire couramment utilisé pour évaluer les EMI, mis au point par le psychiatre Bruce Greyson en 1983. Les chercheurs ont comparé les scores et les récits subjectifs du groupe ayant reçu de la DMT avec ceux d’autres personnes présentes dans une base de données documentant les EMI (elle contient environ 2 000 récits) que Charlotte Martial et ses collègues compilent depuis 2016.
Les scientifiques ont constaté un « recouvrement frappant » entre le « groupe DMT » et le « groupe EMI », relate Charlotte Martial : les personnes des deux groupes décrivent un sentiment d’entrée dans un royaume extraterrestre, la séparation de leur corps, la rencontre avec des êtres mystiques, la perception d’une lumière brillante… Elles font également état de sentiments de paix, d’unité et de joie. Il n’y a qu’une seule différence significative : les personnes du « groupe EMI » ont plus souvent eu l’impression d’atteindre une frontière délimitant un point de non-retour. Roland Griffiths, psychiatre à l’université Johns-Hopkins, pionnier des études sur la psilocybine et décédé en octobre 2023, a rapporté des résultats similaires , obtenus avec ses
collègues en 2022. Les auteurs ont comparé les informations recueillies auprès de 3 192 personnes ayant vécu une EMI, ou été sous l’emprise de drogues psychédéliques, ou encore ayant eu une expérience mystique non induite par des drogues. L’équipe a constaté que certains effets psychologiques à long terme de ces différentes expériences – comme la diminution de la peur de la mort – étaient « remarquablement similaires » chez les sujets des trois groupes. Dans une autre étude, dont les résultats ont été publiés en août dernier, Charlotte Martial, Christopher Timmermann et leurs collègues ont interrogé 31 personnes ayant vécu une EMI et essayé une drogue psychédélique (LSD, psilocybine, ayahuasca, DMT ou mescaline), pour identifier les différences entre les deux types d’expériences Les participants ont fait état d’effets sensoriels plus marqués pendant leur EMI, notamment la sensation d’être désincarné, et, dans le cas de la prise de substances psychédéliques, d’une imagerie mentale plus saillante Dans les deux cas, les volontaires ont éprouvé des sentiments de spiritualité, de connexion et de sens plus profonds.
« Le point commun qui me frappe [dans ce type d’expériences] est un puissant sentiment d’amour : que tout est amour et que la conscience est amour », relève Anthony Bossis, de l’université de New York, qui étudie les effets de la psilocybine chez les personnes atteintes d’un cancer en phase terminale, dans le but d’alléger la détresse en fin de vie, de renforcer la spiritualité et d’aider les patients à donner un sens à leur vie « [On trouve aussi dans le récit de ces expériences] l’impression de transcender le temps tel que nous le connaissons et de mieux accepter le mystère de la vie et de la mort »
Guy Vander Linden , comme François d’Adesky, profite de sa retraite à Bruxelles. Il a lui aussi vécu une EMI, qu’il considère comme un « cadeau ». Elle s’est produite en 1990 après un grave accident de vélo Après cet accident, quand il a quitté l’hôpital, il était devenu une personne différente Sa peur de la mort a disparu, dit-il aujourd’hui, car il sait que « mourir est quelque chose de fantastique » Après son EMI, son regard sur les possessions matérielles a changé ; il a vendu sa voiture et deux maisons Il s’est également senti obligé de partager son expérience avec d’autres personnes, par le biais de livres et de conférences. Ces changements ont affecté ses relations « Ma femme m’a dit que j’étais fou, se souvient le retraité. Le fait de revenir avec une expérience que d’autres n’ont pas vécue engendre des conflits. » Quelle que soit l’interprétation des EMI , leur étude n’en repousse pas moins les limites de la réanimation, offre la possibilité de mieux comprendre le fonctionnement de l’esprit et du cerveau et d’éclairer certains des mystères les plus insondables de l’existence n
BIBLIOGRAPHIE
Y. G. Bodien et al., Cognitive motor dissociation in disorders of consciousness, NEJM, 2024.
C. Martial et al., EEG signature of near-death-like experiences during syncope-induced periods of unresponsiveness, NeuroImage, 2024.
S. Parnia et al., AWAreness during REsuscitation - II : A multi-center study of consciousness and awareness in cardiac arrest, Resuscitation, 2023.
G. Xu, Surge of neurophysiological coupling and connectivity of gamma oscillations in the dying human brain, PNAS, 2023.
D. Kondziella et al., Prevalence of near-death experiences in people with and without REM sleep intrusion, PeerJ., 2019.
H. Cassol et al., A systematic analysis of distressing near-death experience accounts, Memory, 2019.
Imposer une odeur caractéristique – à base d’éthanol – à certains cancers pour repérer à un stade précoce les patients atteints, et ce au moyen d’une simple prise de sang, telle est la stratégie qu’une équipe de chercheurs de Poitiers développe avec succès depuis quelques années.
> Le dépistage des cancers par l’odeur qu’exhalent les patients atteints est une piste prometteuse, mais pas encore assez robuste pour être utilisable à grande échelle.
> Cependant, induire la production de molécules odorantes spécifiquement chez les patients atteints d’une tumeur améliorerait le diagnostic.
> Une piste prometteuse consiste à étiqueter une molécule avec de l’éthanol que seule une enzyme issue de la tumeur peut libérer. Et à détecter, dans l’haleine des patients voire par une simple prise de sang, l’éthanol ainsi libéré.
> Des essais cliniques sont en cours.
Un vendredi soir, 20 h 30, à Nantes. Ils sont deux , un chercheur en poste (Sébastien Papot) et une chercheuse en devenir ( Pauline Poinot ).
Nous sommes alors en 2010, ils s’aiment et partagent une passion commune pour la science. Autour d’un verre de vin et de quelques noix de cajou, la jeune femme , alors en postdoctorat, expose ses dernières réflexions sur la détection du cancer à partir de l’odeur des patients. Ce n’est alors pas du tout son domaine de recherche. Après une thèse en chimie des arômes et des odeurs soutenue en 2009 à Nantes, elle s’est lancée, entre autres, dans le développement d’outils pour étudier le lien entre chimie et perception sensorielle Et depuis quelques mois, elle travaille sur un projet de dispositif visant à étudier la perception cognitive des arômes, et en particulier l’impact des interactions des sens (odorat, goût, toucher) sur cette perception. Or, pour ce projet, elle a fait passer des tests à un panel d’individus plus ou moins âgés, plus ou moins sportifs, plus ou moins fumeurs, etc., et, de fil en aiguille, elle a commencé à s’interroger sur le lien entre perception et maladie. De là, elle s’est plongée dans la littérature scientifique et a appris que les chiens, après un entraînement intensif, semblent être en mesure de distinguer des personnes saines d’individus souffrant d’un cancer, et ce juste en reniflant leur odeur
Ces résultats sont très intéressants d’un point de vue fondamental, mais la stratégie reste relativement difficile à transposer en clinique Les chiens sont donc remplacés par des instruments d’analyse tels que ceux qu’elle
PAULINE POINOT maîtresse de conférences à l’université de Poitiers au sein de l’Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers (IC2MP)
SÉBASTIEN PAPOT professeur de chimie à l’université de Poitiers, responsable de l’équipe Synthèse organique de l’IC2MP
manipule au quotidien dans son laboratoire de chimie des arômes. Cependant, malgré cette haute technologie, le dépistage des cancers par l’analyse des molécules odorantes que sécrètent les humains n’est toujours pas assez robuste pour être appliquée à grande échelle. La variabilité naturelle entre les personnes en est la principale raison. Chacun a sa propre odeur, qui varie suivant le genre, l’âge, le poids, les habitudes alimentaires et sportives… Ce qu’il faudrait , c’est un moyen qui consisterait à induire la production artificielle d’une odeur particulière chez les personnes malades, et uniquement chez elles
La chercheuse en est là de ses réflexions Le ping-pong des idées commence Un second sachet de noix de cajou est ouvert et… mais pourquoi ne pas induire artificiellement la production d’une odeur chez les patients atteints d’un cancer ? Seules les personnes malades dégageraient cette odeur. Pas les autres. Parfait ! Mais comment ? Les échanges reprennent… Et pourquoi ne pas avoir recours, pour émettre cette odeur, à un catalyseur biochimique qui serait présent sélectivement dans les tumeurs ?
L’idée ne vient pas de nulle part Le chercheur, chimiste lui aussi, travaille justement sur un tel catalyseur depuis quelques années, une enzyme au nom barbare, la β-glucuronidase. Habituellement , cette enzyme est confinée dans les cellules, où elle participe à la dégradation des sucres complexes (voir l’encadré page ci-contre). Mais dans les tumeurs solides (repérables par un amas localisé de cellules), elle est surproduite dans les cellules cancéreuses, si
bien qu’une partie se retrouve en dehors de celles-ci, dans leur microenvironnement. En d’autres termes, si on cherche cette enzyme hors des cellules, on ne la détecte que dans les tumeurs, pas dans les tissus sains, ce qui en fait une cible privilégiée pour atteindre spécifiquement ces dernières
Partant de ce constat, le chercheur a mis au point des molécules dites « intelligentes », qui s’activent uniquement dans les tumeurs grâce à cette enzyme Les résultats sont inédits Le nouveau candidat médicament qu’il a conçu à partir de ces travaux, qui appartient à la classe des chimiothérapies ciblées, a un effet anticancéreux sans précédent sur des tumeurs humaines du sein, du colon et du pancréas implantées chez des souris, et ce, sans aucun effet secondaire
Les deux chémobiologistes imaginent alors une nouvelle stratégie pour détecter
les cancers Cette approche est fondée sur l’utilisation d’une sonde programmée pour libérer un composé volatil (l’autre dénomination de « molécule odorante »). Comme le candidat médicament , après injection chez le patient, cette sonde serait activée par la β -glucuronidase dans la masse tumorale et convertie en une molécule odorante. Il leur faut alors réfléchir au bon composé volatil qui sera produit après activation de la sonde dans la tumeur Cette molécule devra s’échapper facilement de la tumeur pour aller dans la circulation sanguine Puis elle devra passer dans les alvéoles pulmonaires pour être expirée dans l’haleine des patients
Un autre verre de vin et… l’éthanol ! Tout le monde sait que lorsqu’on a de l’éthanol dans le sang, il passe rapidement dans les voies aériennes avant d’être exhalé par la
La β-glucuronidase, l’enzyme que ciblent les auteurs, appartient au groupe des glycosidases, des protéines qui interviennent dans la biosynthèse et la dégradation des glycanes – des polymères de sucres liés à des protéines ou à des acides gras. La β-glucuronidase, en particulier, a la propriété d’hydrolyser – c’est-à-dire couper – des glucides complexes nommés « glucuronides ». Du fait de cette fonction, l’enzyme intervient dans le métabolisme des glycanes présents à la surface des cellules, ainsi que dans le recyclage des métabolites liés à son sucre substrat, l’acide glucuronique. Ces réactions ont lieu dans les lysosomes, des organites intracellulaires qui, grâce au cocktail d’enzymes hydrolytiques qu’ils contiennent (dont la β-glucuronidase, mais aussi des glucosidases, ou encore la β-galactosidase), digèrent les déchets du métabolisme cellulaire et les corps étrangers ingérés.
Les glycanes sont quant à eux omniprésents à la surface des membranes cellulaires des animaux et des plantes. Ils jouent un rôle clé dans de nombreux événements biologiques, comme l’inflammation, en influençant notamment l’adhésion cellulaire et la reconnaissance cellule-cellule, ainsi que la signalisation intracellulaire et le remodelage de la matrice extracellulaire. Des travaux ont ainsi montré une colocalisation des glycosidases avec les globules blancs sur les sites inflammatoires. Et d’autres, que la production de ces enzymes est dérégulée dans certains cancers. Cette dérégulation est telle qu’on décèle parfois ces protéines dans le sang ou dans des biopsies de patients sou rant d’un cancer.
La présence de β-glucuronidase dans les tumeurs a été mise en évidence dès 1947,
mais c’est seulement en 1995 que l’équipe de Klaus Bosslet, alors chercheur au sein de l’entreprise pharmaceutique Behringwerke, à Marburg, en Allemagne, l’a détectée dans l’environnement des tumeurs solides – c’est-à-dire dans l’espace entre les cellules tumorales. Klaus Bosslet avait alors développé un agent chimiothérapeutique activable par cette enzyme. Son équipe a montré que la β-glucuronidase est sécrétée dans les zones nécrotiques (zones de mort cellulaire), c’est-à-dire à l’extérieur des cellules cancéreuses, tandis que dans les tissus sains, elle est localisée à l’intérieur des cellules dans des vacuoles – les lysosomes.
Ces travaux ont également révélé la présence de β-glucuronidase dans le microenvironnement des tumeurs solides, dès lors que celles-ci atteignaient une taille de 2 à 3 millimètres. Cette découverte en a fait une cible privilégiée pour de nombreuses stratégies de chimiothérapies vectorisées, c’est-à-dire qui ont la propriété de transporter un agent anticancéreux dans la tumeur, puis d’y libérer celui-ci afin qu’il y déploie son activité. Depuis, de nombreux travaux ont démontré la présence de cette enzyme dans di érents types de tumeurs : sein, poumon, pancréas, ovaires, colon…
Toutes ces recherches ont conduit Sébastien Papot à se lancer lui aussi, dans les années 2000, dans la conception d’un agent anticancéreux activable spécifiquement par la β-glucuronidase, puis à fonder une entreprise, Seekyo, en 2018, afin de développer une nouvelle stratégie pour traiter les tumeurs solides. L’agent anticancéreux de Klaus Bosslet présentait en e et une sérieuse limitation : l’organisme l’éliminait
L’enzyme β-glucuronidase humaine (ici une représentation de sa structure tridimensionnelle) est surproduite dans les tumeurs, ce qui en fait depuis plusieurs années une piste de recherche pour diagnostiquer les cancers solides et les traiter.
si vite (comme la plupart des glucuronides) qu’il n’était e cace qu’à des doses élevées, lesquelles déclenchaient d’importants e ets secondaires chez la souris. Sébastien Papot et ses collègues ont donc élaboré une nouvelle approche pour cibler la β-glucuronidase. Leur astuce a consisté à concevoir une molécule capable de s’associer à l’albumine dans le flux sanguin, ce qui augmente ainsi considérablement son temps de circulation et, par conséquent, son e cacité. Cette stratégie leur a permis de réduire considérablement les doses injectées et de traiter avec succès des tumeurs du pancréas à un stade très avancé implantées chez la souris. Les sondes à molécules odorantes que Pauline Poinot et Sébastien Papot ont imaginées depuis les années 2010, activables par la β-glucuronidase, puis par un cocktail de glycosidases, pour détecter les tumeurs sont directement inspirées de ces travaux.
bouche et le nez L’éthanol sera donc la molécule odorante.
Pour ne pas confondre cette molécule avec l’éthanol naturellement présent dans l’haleine des individus, les deux chercheurs décident d’opter pour de l’éthanol « étiqueté ». Il s’agit de la même molécule, mais marquée avec l’isotope non radioactif de l’hydrogène, à savoir le deutérium (noté ensuite « éthanol-D »).
La sonde imaginée est ainsi constituée d’un sucre, l’acide glucuronique, reconnu spécifiquement par le catalyseur biochimique présent dans les tumeurs (l’enzyme β-glucuronidase), sur lequel est fixé de l’éthanol-D. Elle portera le nom de « glucuronide d’éthyle-D » En présence de l’enzyme, elle sera donc coupée en deux pour libérer de l’éthanol-D, qui passera alors de la tumeur vers les voies aériennes des personnes souffrant d’un cancer. Un nouveau paradigme vient d’émerger : la « volatolomique induite » pour le diagnostic du cancer.
Les années passent Les deux scientifiques travaillent désormais dans la même université et ont monté, chacun, un groupe de recherche L’idée s’affine. Elle est financée. La sonde à éthanol-D est conçue La méthode d’analyse est mise au point. Elle implique un chromatographe en phase gazeuse (un appareil qui sépare les composés volatils d’un mélange en exploitant leur différence d’affinité pour une phase disposée sur une colonne) couplé à un spectromètre de masse ( un instrument qui sépare les molécules d’un échantillon en fonction de leur masse et de leur charge, ce qui permet leur identification). Cette méthode offre la possibilité de déceler de très faibles quantités d’éthanol-D, de l’ordre d’une partie par milliard
Les premiers essais in vitro sont pratiqués, puis rapidement débutent les expérimentations chez la souris Il faut d’abord trouver la bonne dose de sonde à injecter aux animaux : celle qui fera que seuls les animaux malades seront détectés avec ce test. Les animaux sains ne devront pas y répondre Les premières données sont assez surprenantes. La dose optimale à injecter est 100 à 1 000 fois inférieure à celles qui sont classiquement utilisées lorsque des essais sont e ff ectués sur animaux avec des médicaments anticancéreux.
Une étude comparative avec des animaux sains et malades est alors engagée. La sonde à éthanol-D est injectée par voie intraveineuse à des souris porteuses d’une tumeur humaine du col de l’utérus (on parle de « xénogreffe tumorale »). Elle est également administrée à des animaux sains La quantité d’éthanol-D expirée par chacun des animaux est alors mesurée quelques minutes plus tard Les premiers résultats tombent Ils sont bons ! Les animaux
malades expirent de l’éthanol-D, alors que les animaux sains n’en expirent pas.
Les essais continuent Il faut confirmer, reproduire, vérifier, exemplifier… Les scientifiques testent alors la sonde sur d’autres types de cancers : des tumeurs du poumon et du sein. De nouveau, les animaux malades expirent de l’éthanol-D contrairement à leurs comparses sains L’équipe au complet ne cache plus sa joie : ça marche ! La volatolomique induite permet de diagnostiquer les cancers solides très précocement, seulement quelques jours après implantation de la tumeur chez les animaux
Mais elle ne s’arrête pas là En regardant les résultats de plus près , les chercheurs s’aperçoivent que les animaux malades expirent de plus en plus d’éthanol-D à mesure que la tumeur grossit Mais alors… la volatolomique induite o ff rirait aussi la possibilité de suivre en temps réel l’évolution d’une tumeur cancéreuse ?
Les chercheurs lancent une étude longitudinale sur des souris porteuses de tumeurs humaines Ils traitent les animaux avec une chimiothérapie ciblée sur une durée de quarante jours – chimiothérapie menée avec l’agent anticancéreux « intelligent » mentionné au début de ce récit À la fin du protocole, l’équipe est aussi surprise qu’enthousiaste : non seulement plus de 80 % des souris sont guéries
vient d’émerger : la “volatolomique induite” pour le diagnostic du cancer £
à la fin du protocole, comme attendu au vu des résultats précédents avec cet agent, mais les données indiquent une parfaite corrélation entre l’évolution de la masse tumorale et celle de la quantité d’éthanol-D dans leur haleine
Autrement dit, lorsque la tumeur régresse ( après injection de la chimiothérapie ), la quantité d’éthanol-D dans l’haleine des animaux diminue À l’inverse, lorsque la tumeur progresse, la quantité d’éthanol-D augmente La sonde constituerait donc un outil compagnon précieux pour les chimiothérapies Elle
On injecte un cocktail de sondes dans une souris atteinte d’un cancer.
Des enzymes présentes dans la tumeur activent certaines sondes, ce qui libère les traceurs volatils associés.
Traceurs volatils
Enzyme
Sondes
Tumeur
La souris est guérie.
Les auteurs ont testé ce protocole pour cibler et traiter des tumeurs humaines du sein « triple négatives » – c’est-à-dire parmi les plus agressives – implantées chez des souris. À l’issue de l’expérience, 66 % des animaux traités ne présentaient plus de tumeur.
permettrait de savoir rapidement si le protocole thérapeutique est e ffi cace ou non , et donc de l’adapter le cas échéant Ce serait formidable !
Ces résultats font alors l’objet d’un premier article scientifique On est en 2019. Quelques jours après la publication des résultats , Owlstone Medical , une entreprise anglaise implantée à Cambridge spécialisée dans l’analyse de l’air expiré, contacte les chercheurs Elle veut tester la volatolomique induite sur de vrais patients Elle entame rapidement les essais précliniques (chez l’animal), puis cliniques (chez l’humain). Fin 2023, après avoir montré l’innocuité de la molécule injectée, l’entreprise annonce être entrée en phase clinique II pour le diagnostic du cancer du poumon À cette étape, il s’agit d’administrer la sonde à des patients atteints d’un cancer du poumon et à des personnes saines pour vérifier que le résultat du test est cohérent avec le diagnostic établi par ailleurs À ce jour, le recrutement des patients est terminé. Les résultats ne sauraient tarder…
Mais la recherche avance. L’équipe poursuit sur sa lancée L’objectif étant de rendre ce test accessible au plus grand nombre le plus vite possible, elle décide de mettre au point une stratégie plus simple, qui n’impliquerait plus
De l’analyse des traceurs volatils libérés dans l’air expiré, on déduit quelle enzyme est la plus active dans la tumeur.
Vecteur sensible à l’enzyme majoritaire Agent anticancéreux Agent anticancéreux
Vecteur sensible à l’enzyme majoritaire
Injecté dans la souris, le vecteur libère sélectivement l’agent anticancéreux dans la tumeur.
l’injection d’une sonde aux patients En effet, pour obtenir l’autorisation d’injecter une nouvelle molécule à un individu, même si cette molécule s’est révélée non toxique et est administrée à très faible dose, il faut passer un grand nombre d’étapes réglementaires, ce qui ralentit grandement l’arrivée d’un test diagnostic dans les laboratoires médicaux L’idée d’un « éthylotest sanguin » se fait jour.
Dans les tumeurs , l’enzyme ciblée , la β-glucuronidase, s’accumule à l’extérieur des cellules cancéreuses, dans leur microenvironnement Puisqu’elle est dans le milieu extracellulaire, les scientifiques supposent que de petites quantités s’échappent dans la circulation sanguine des patients atteints d’un cancer. Ainsi, si on leur prélève du sang, l’enzyme devrait y être présente. À l’inverse, elle devrait être absente des prélèvements sanguins des individus sains À condition, cependant, que l’on soit capable de déceler d’infimes quantités de cette enzyme dans le sang, car sa concentration y est forcément extrêmement faible Les données bibliographiques indiquent que les stratégies jusqu’alors développées pour doser cette enzyme ne sont pas assez efficaces, sensibles et robustes pour la
On utilise l’enzyme tumorale surrégulée pour concevoir un vecteur thérapeutique qui libérera un agent anticancéreux uniquement dans la tumeur, lorsqu’il sera activé par l’enzyme.
détecter dans le sang sans ambiguïté La sonde à éthanol le serait-elle ? Une seule manière de le savoir : essayer
Exaltée par l’idée, l’équipe fait quelques tests sur trois poignées d’échantillons sanguins de patients : des témoins sains et des personnes tout juste diagnostiquées avec un cancer du poumon ou du sein. Les résultats arrivent au compte - gouttes Le stress monte , puis le rythme cardiaque s’emballe… Le verdict tombe : la piste est bonne ! Ajoutée aux échantillons sanguins, la sonde permet de distinguer les individus sains et malades : les prélèvements sanguins des personnes saines ne dégagent pas d’éthanol-D À l’inverse, au-dessus des prélèvements des patients diagnostiqués avec un cancer, de l’éthanol-D est détecté !
UN COCKTAIL
DE PLUSIEURS SONDES
Mais encore et toujours , la recherche avance Et de nouveau, l’équipe ne s’arrête pas là. Elle veut développer un diagnostic plus robuste En effet, déceler la β-glucuronidase dans le sang peut être le signe d’autres maladies , comme des problèmes cardiaques ou encore des infections bactériennes. En ne ciblant que cette enzyme, le test engendrerait probablement des faux positifs (il repérerait des personnes qui n’ont pas de cancer). Les chercheurs envisagent alors de mettre au point un cocktail de sondes à éthanol-D capable de détecter simultanément jusqu’à sept enzymes associées à la malignité
En effet, la β-glucuronidase n’est pas la seule enzyme impliquée dans la dégradation des sucres complexes dans les cellules. Toute une classe dont elle fait partie – les glycosidases – y contribue chez les mammifères Et plusieurs d’entre elles sont connues pour être hyperactives dans certaines tumeurs au point de se retrouver aussi dans leur fluide interstitiel. Détecter la présence simultanée de plusieurs de ces enzymes dans le milieu extracellulaire éliminerait la piste d’autres maladies ne faisant intervenir que l’une d’entre elles.
Chacune des sondes sera activée par une enzyme particulière pour libérer une molécule d’éthanol étiqueté De plus, dans ce cas, des molécules distinctes d’éthanol étiqueté seront utilisées pour chaque sonde afin qu’elles soient différenciables par spectrométrie de masse : les molécules d’éthanol libérées comporteront un, deux, trois, etc., atomes de deutérium. Ainsi, chaque molécule d’éthanol étiqueté correspondra à une activité enzymatique spécifique.
Une nouvelle fois, les essais chez les animaux sont concluants. Après l’injection du cocktail de sondes, deux molécules distinctes d’éthanol étiqueté sont détectées dans l’haleine des souris porteuses de tumeurs (et aucune chez les souris saines), ce qui atteste de la dérégulation des
deux enzymes correspondantes lors de l’apparition du cancer et de son évolution.
Ces données en mains , les chercheurs décident de développer une nouvelle molécule chimiothérapeutique fondée sur le même mécanisme d’action que celles qui ont été développées précédemment , mais activable par
l’enzyme la plus surrégulée. Leur hypothèse est que cette enzyme est tellement active dans les tissus tumoraux qu’elle activera une très grande quantité d’agent anticancéreux au sein de la masse tumorale, ce qui devrait détruire complètement les cellules cancéreuses
Testée chez des souris porteuses de tumeurs humaines du sein triple négatif, c’està-dire qui résistent aux traitements hormonaux et à la thérapie ciblée anti-Her2 (un traitement efficace contre les tumeurs surexprimant le gène Her2, qui code une protéine impliquée dans la prolifération cellulaire), cette molécule conduit au traitement de 66 % des animaux sans entraîner d’effets indésirables La boucle est bouclée : la volatolomique induite représente un espoir pour détecter de nouveaux marqueurs associés à la malignité et découvrir des stratégies thérapeutiques innovantes
Aujourd’hui, l’objectif de l’équipe est clair : faire de cette approche un outil pour la recherche en biologie fondamentale, le diagnostic du cancer, le suivi de l’efficacité des chimiothérapies, ou encore étendre son utilisation à d’autres maladies Dans ce cadre, elle vient tout juste d’apporter, dans une étude pilote, la preuve que ses cocktails de sondes sont en mesure d’aider à anticiper l’évolution vers des formes graves du Covid-19. L’étude se poursuit, les résultats seront là début 2025. En attendant, comme leurs travaux avancent, le chercheur et la chercheuse trinquent encore une fois… n
BIBLIOGRAPHIE
E. Blochouse et al., Induced-volatolomics, a new research field in chemical biology, Comptes Rendus. Chimie, 2024.
R. Châtre et al., Inducedvolatolomics for the design of tumour activated therapy, Chem. Sci., 2023.
E. Blochouse et al., VOC-based probes, a new set of analytical tools to monitor patient health from blood sample. Proof of concept on tracking Covid-19 infection, Anal. Chem., 2023.
F. Djago et al., Induced volatolomics of pathologies, Nat. Rev. Chem., 2021.
J. Lange et al., Volatile organic compound based probe for induced volatolomics of cancers, Angew. Chem. Int. Ed., 2019.
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LOÏC MANGIN
rédacteur en chef adjoint à Pour la Science
Dans le plus ancien musée du monde, en Autriche, le portrait d’un chevalier au crâne transpercé par une lance, mais vivant, laisse incrédule. Et pourtant, c’est tout à fait plausible.
u sud-est d’Innsbruck, en Autriche, sur les premiers contreforts des montagnes qui cernent la ville, se trouve… le premier musée du monde ! Rien de moins En effet, en 1563, le comte du Tyrol, l’archiduc d’Autriche Ferdinand II, fait transformer cette ancienne forteresse médiévale en un château de style Renaissance pour sa femme, Philippine Welser. Mais le Habsbourg disposait d’une des plus importantes collections d’objets d’art de son époque : aussi décide-t-il de l’abriter dans un nouvel édifice qui lui sera entièrement réservé, le château bas d’Ambras, construit en 1570. Et la collection, toujours présentée là où elle fut installée, est de fait impressionnante Elle regroupe des objets , parfois intrigants , comme cette « petite mort », un squelette avec sa faux sculpté avec une rare minutie dans un bloc de bois. Et parmi les œuvres souvent exubérantes en corail rouge, en ivoire, en porcelaine… figurent également quelques peintures L’une d’elles ne peut manquer d’attirer l’œil du visiteur, car on y voit un homme dont le crâne est perforé par une barre en bois (voir la reproduction page ci-contre) ! Petite précision : l’individu est assurément vivant. Le tableau, daté de 1550 et dont l’auteur est inconnu, représente un noble hongrois nommé Gregor Baci (la version germanisée de Gergely Paksy). Lors d’un tournoi ou d’une bataille contre les Ottomans, les sources historiques se contredisent, il fut blessé de façon spectaculaire par une lance : elle pénétra par l’œil droit et ressortit au niveau de la nuque. La légende veut qu’après le découpage de la
lance à l’avant et à l’arrière du crâne, le chevalier ait survécu un an. Quel crédit apporter à cette hypothèse ? En 2012, une équipe de l’université de médecine d’Innsbruck a reconstitué la blessure sur un modèle en trois dimensions, exposé au château d’Ambras, sous le portrait, et montré que la survie était tout à fait possible. En passant sous le cerveau, l’arme n’a pas endommagé les méninges, ce qui réduit les risques d’infection cérébrale, et n’a touché aucune région vitale. En outre, les peintures au plomb de la lance ont peut-être eu un effet antiseptique…
Deux autres arguments plaident en faveur de la survie de Gregor Baci. D’abord, sa mésaventure en évoque une similaire, plus récente et plus célèbre, celle de Phineas Gage, devenu une icône de la neurologie. En 1848, à la suite d’une explosion accidentelle, cet ouvrier des chemins de fer américains a vu une barre à mine métallique lui transpercer le crâne, cette fois selon une direction un peu plus verticale. L’homme survécut près de douze ans, quand bien même cette fois le cerveau ne fut pas épargné, le lobe frontal gauche ayant été particulièrement altéré. Le changement le plus notable fut celui de sa personnalité : d’un caractère auparavant sociable, attentionné, il devint grossier et colérique.
En 1994, le neurologue António Damásio offrit une postérité inattendue à Phineas Gage en le faisant, à partir d’une reconstitution par ordinateur de sa blessure (le crâne et la barre sont conservés à l’université Harvard), le « héros » de son livre L’Erreur de Descartes : la raison des émotions,
consacré au rôle des émotions dans le raisonnement et la prise de décision.
Ensuite, deuxième argument, Robert Gassner, de l’hôpital universitaire… d’Innsbruck, et ses collègues ont étudié, dans les années 2000, le cas d’un ouvrier dont le crâne fut perforé de part en part par une barre en fer tombée du plafond d’une église. Après deux opérations chirurgicales, et une année à subir migraines et troubles oculaires, l’individu a survécu sans symptômes au moins cinq ans. L’empalement n’est donc pas toujours fatal.
Facétie des muséographes ? Le portrait de Gregor Baci, au château d’Ambras, est accroché au-dessus de celui d’une célébrité en matière de transpercement des chairs, Vlad III Basarab, voïvode (un prince élu) de Valachie, en actuelle Roumanie, qui fut surnommé « l’Empaleur » (Țepeș en roumain) par ses ennemis, une réputation infondée selon les historiens. Un autre de ses surnoms, Drăculea (« fils du dragon », car son père s’appelait Dracul, « dragon ») fut retenu par Bram Stoker quand il imagina son personnage de vampire, une créature dont on se débarrasse en empalant… le cœur. C’est plus sûr que la tête ! n
R. Missmann et al., Impaled head, The Lancet, 2010.
A. Damásio, L’Erreur de Descartes : la raison des émotions, Odile Jacob, 1995.
L’auteur a publié : Pollock, Turner, Van Gogh, Vermeer et la science… (Belin, 2018)
JEAN-MICHEL COURTY ET ÉDOUARD KIERLIK professeurs de physique à Sorbonne Université, à Paris
Boules et roues roulent, certes, mais elles ne sont pas les seules. Et en plus, pas besoin d’être rond pour le faire.
La preuve avec le mokuru.
Àla fin des années 2010, un objet venu du Japon est devenu très populaire dans le monde. Une console de jeux ou un autre appareil électronique ? Non , un simple bout de bois ayant la forme d’une barrique très allongée… C’est un mokuru, un jouet étonnant qui, lorsqu’on le fait basculer avec un peu d’élan sur une surface plane et rigide à partir de sa position verticale , avance sans quasiment perdre d’énergie, alternant les phases où il roule sur sa partie bombée et celles où il se redresse sur une de ses faces avant de basculer à nouveau
La même expérience avec un bouchon parfaitement cylindrique ou un tonneau miniature tourne court : ils s’arrêtent très vite Pourquoi une telle di ff érence de comportement pour des formes si
Les Égyptiens déplaçaient des blocs de pierre sur des rouleaux cylindriques. Et la ruse d’Amonbofis de les remplacer par d’autres a échoué : la section en triangle de Reuleaux n’empêche en rien le roulement.
proches ? La réponse se cache dans la signification du terme « rouler » Et pour cela, nul besoin d’être rond !
Pourtant , c’est bien ce à quoi on pense en premier lieu : ce qui roule, c’est la boule, et elle le fait grâce aux frottements. Prenons une boule de bowling que nous lançons sur la piste sans aucun effet Dans un premier temps, elle glisse. Puis, à l’endroit du contact, quasiment ponctuel, apparaît une force de frottement constante, dirigée dans la direction opposée au mouvement de la boule et qui met cette dernière en rotation autour de son centre de gravité. Cette force persiste tant que la vitesse du point de contact de la boule sur le sol n’est pas nulle, et se
traduit par un mouvement de roulement sans glissement Si jamais une autre force comme le frottement de l’air agissait sur la boule, celui du sol permettrait – dans certaines limites – d’ajuster sa vitesse de rotation pour qu’elle continue à rouler sans glisser, même si elle ralentit. Qu’en est-il de la dissipation d’énergie ? La puissance dissipée est le produit de la force de frottement par la vitesse de glissement : pas de glissement, pas de dissipation ! Le roulement est donc ce qui rend possible un mouvement sans dissipation en présence de frottement, car il élimine le glissement. D’où l’intérêt de la roue ou des roulements à billes C’est ce qu’avaient aussi compris les Égyptiens dans l’antiquité Dès 2600 avant notre être , ils déplaçaient des
Un triangle équilatéral a du mal à rouler (ci-dessous), car le passage du centre de rotation d’un sommet à un autre se traduit par un choc et un point de rebroussement dans la trajectoire de son centre de gravité (en rouge) : beaucoup d’énergie est alors perdue. Rien de tel avec un triangle de Reuleaux (en bas), caractérisé par des faces bombées. Cette fois, le centre de gravité suit une sorte de sinusoïde (en blanc et en rouge) sans à-coups.
Centre de gravité
Centre de rotation
Centre de rotation
blocs de pierre de plusieurs tonnes à l’aide de rouleaux pour construire les pyramides. Il s’agissait de cylindres de bois placés sous les blocs que les ouvriers poussaient. De la sorte, ils les faisaient rouler qui ne glissaient ni au niveau du sol ni contre la pierre.
D’ARCS EN ARCS
Étudions de plus près le mouvement d’un cylindre qui roule sur un plan En faisant une coupe par un plan perpendiculaire à son axe , tout se passe comme si on observait le roulement sans glissement d’un cercle (une roue ! ) sur une droite Si nous avons l’habitude de considérer ce mouvement comme la composition d’une translation (parallèle au sol) et d’une
rotation autour de l’axe du cercle , la géométrie nous dit que la composition d’une translation et d’une rotation est une autre rotation Mais autour de quoi ? À un instant donné, le point du cercle qui est en contact avec le sol est immobile à cause de l’absence de glissement : c’est donc autour de ce point qu’il tourne. Notons que durant le déplacement, ce point de contact de nature géométrique n’est jamais le même point sur le cercle : tous les points du périmètre du cercle sont successivement centre de rotation Si nous suivons le mouvement d’un point donné du cercle ( on prend souvent l’exemple de la valve d’une roue de vélo), nous constatons que c’est une succession d’arcs de cycloïde et que la vitesse de ce point est nulle aux points
Centre de gravité
de rebroussement , lorsqu’il est en contact avec le sol
Pour comprendre ce qui se passe avec le mokuru, prenons une des formes géométriques qui paraît la moins susceptible de rouler : le triangle , équilatéral pour simplifier. Si nous tentons de le faire avancer ( sans glisser ) alors qu’il est posé sur un côté , il doit pivoter autour de l’un de ses sommets Après une rotation d’un tiers de tour autour de ce sommet , il se retrouve posé sur un nouveau coté et commence un nouveau
Les auteurs ont notamment publié : En avant la physique !, une sélection de leurs chroniques (Belin, 2017).
pivotement autour du sommet suivant Le mouvement du centre de gravité est donc une succession d’arc de cercles qui présente des points anguleux apparaissant lorsque le centre de rotation passe d’un sommet à un autre ( voir la figure page précédente ) C’est une di ff érence notable par rapport à la boule ou à la roue, où le centre de gravité suivait une trajectoire rectiligne, sans à - coups. Le changement brutal de direction de la vitesse nécessite une force « infinie », ce que nous appelons plus communément un « choc ». Or la plupart des chocs ne sont pas élastiques, comme on peut le constater au quotidien : il y a des pertes d’énergie très significatives dues notamment à l’excitation de vibrations dans la matière. Notre triangle va probablement s’arrêter dès le premier impact
Pour s’affranchir des chocs, il est tentant d’arrondir notre triangle Commençons donc par arrondir les angles, en les remplaçant par de petits arcs de cercle. Cela modifie un peu la forme de la trajectoire du centre de gravité, mais sans supprimer ses points anguleux : ils apparaissent lorsqu’une face se pose à plat sur le sol et que le centre de rotation saute donc brusquement d’un angle , même arrondi, au suivant. On aurait le même phénomène si jamais la face était creusée , aussi légèrement soit- elle. Le problème vient dès lors de la présence d’une zone plate dans notre objet, qui provoque une discontinuité dans la position du centre instantané de rotation et donc un point anguleux dans la trajectoire du centre de gravité C’est ce qu’avait très bien compris le technologue et ingénieur allemand Franz Reuleaux, à l’origine des triangles qui portent son nom Pour obtenir une forme géométrique qui roule, ce ne sont pas les angles de la figure qu’il faut arrondir, mais la trajectoire du centre de gravité !
ROULEAUX ET REULEAUX
Le « triangle de Reuleaux » est obtenu en remplaçant chaque côté d’un triangle équilatéral par un arc de cercle dont le centre est le sommet opposé au côté et le rayon égal au côté du triangle (voir la figure page précédente ) Les sommets restent anguleux, mais les points anguleux de la trajectoire du centre de gravité sont remplacés par des arcs de courbes lorsque le triangle roule sur ses côtés bombés et qui joignent de manière lisse les arcs de cercle correspondant à la rotation autour des sommets. Et les Égyptiens
Le mokuru, comme un triangle de Reuleaux, roule car son centre de gravité suit une trajectoire « douce » du fait de son corps légèrement renflé. Qui plus est, le matériau plastique placé aux extrémités, grâce à son élasticité, entretient le mouvement.
Plastique
Centre de gravité
Centre de rotation
auraient tout aussi bien déplacé leurs blocs de pierre sur des rouleaux dont la section est un triangle de Reuleaux En fait, cette propriété apparaît quel que soit le rayon de courbure de l’arc de cercle que nous choisissons pour remplacer les côtés plats du triangle On peut aussi faire cette construction pour tous les polygones réguliers Plus le rayon de courbure des côtés est grand, plus l’arc courbe qui rejoint les arcs de cercle dans la trajectoire du centre de gravité est court Mais la géométrie prouve que cette trajectoire reste lisse et qu’il n’y a aucun choc Pas de choc, pas de dissipation d’énergie et le triangle roulera sans glisser, même si le rayon de courbure est tellement grand que l’on croit voir les côtés comme plats. Le passage sur ces faces est alors très rapide et donne l’impression d’une sorte de rebond élastique du centre de masse
C’est ce qui se produit avec les parties latérales bombées du mokuru (voir la figure ci-dessus). Et si les deux extrémités de ce jouet sont quasi plates, elles sont recouvertes d’une petite pastille de matériau élastique : il n’évite pas le choc, mais sa compression restitue su ffi samment d’énergie pour que le roulement continue. Sans elles, on retrouverait le comportement d’un tonneau qu’on essaierait (curieusement) de faire rouler perpendiculairement à son axe Les Égyptiens ne s’y sont sans doute pas essayés n
T. Tokieda, Toys in Applied Mathematics : youtu.be/f07KzjnL2eE
J.-M. Courty, Le secret du mokuru, une vidéo de Merci la physique : youtu.be/QMKqjCFYh1k
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L’AUTEUR
HERVÉ LE GUYADER professeur émérite de biologie évolutive à Sorbonne Université, à Paris
Où l’on apprend que l’unique mammifère doté d’un bec de canard n’a pas toujours été insolite… ni édenté !
En 1797, le capitaine John Hunter, alors gouverneur de la NouvelleGalles du Sud (qui à l’époque couvre la majorité du continent australien et la Nouvelle-Zélande), observe un aborigène attendant patiemment de harponner un animal amphibie dans une rivière au nord de Sydney Étonné par l’animal chassé, il en exécute des dessins anatomiques de qualité et les expédie à Londres, accompagnés d’une peau et d’une description. L’étrangeté de l’animal est telle que l’on a cru tout d’abord à une supercherie : une fourrure de mammifère, un bec de canard, des pattes palmées pourvues de griffes, une queue courte très grasse… En 1799, George Shaw, conservateur au British
Museum, l’appelle Platypus anatinus, c’està-dire « canard à pied plat » et le place parmi les édentés, avec les fourmiliers et les paresseux – mais aussi l’échidné ( genre Tachyglossus ), qu’il considère comme un fourmilier depuis 1792. Quatre ans plus tard, Johann Blumenbach, de l’université de Göttingen, décrit à nouveau l’animal et le nomme Ornithorhynchus paradoxus, « bec d’oiseau paradoxal ». Un insecte coléoptère ayant déjà reçu le nom de genre Platypus en 1793, les zoologistes retiennent finalement le nom de genre Ornithorhynchus associé au nom d’espèce anatinus , ou « canard à tête d’oiseau », ce qui ajoute à son étrangeté.
Éclairé aux ultraviolets, son pelage est fluorescent, comme celui des opossums et des écureuils volants d’Amérique.
Ses pattes sont dotées de larges palmes et de cinq doigts. Les pattes postérieures des mâles adultes portent un éperon venimeux au niveau de la cheville.
Hervé Le Guyader a notamment publié : Ma galerie de l’évolution (Le Pommier, 2021).
L’ornithorynque ferme ses yeux, oreilles et narines quand il plonge. Il repère ses proies en détectant les vibrations de leur champ électrique à l’aide de milliers d’électrorécepteurs présents à l’avant de son bec.
C’est le nombre d’espèces actuelles de monotrèmes (1 ornithorynque et 4 échidnés), un des trois groupes constituant les mammifères avec les marsupiaux (345 espèces dont les kangourous) et les euthériens (5 140 espèces dont les humains).
Seuls les ornithorynques juvéniles ont des dents (deux prémolaires et dix molaires), remplacées à l’âge adulte par des plaques cornées.
Ornithorynque
(Ornithorhyncus anatinus)
Taille : env. 50 cm (mâles) et 43 cm (femelles)
Poids : entre 0,7 et 2,4 kg
Cependant, en 1803, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, au Muséum d’histoire naturelle de Paris, remarque qu’échidné et ornithorynque (qui ne se ressemblent absolument pas) ont un caractère commun : comme les oiseaux et les reptiles, et à l’inverse des mammifères, ils sont pourvus d’un cloaque – un orifice unique dans lequel débouchent l’anus et les voies urogénitales. Il les nomme « monotrèmes » (« un seul trou »).
Pondaient-ils des œufs ? Dans les années 1830, on décrit des glandes mammaires… et on trouve des œufs ! En 1837, le zoologiste Charles-Lucien Bonaparte reprend la proposition de Geoffroy SaintHilaire et crée correctement le taxon des
Dans la mine d’opales de Lightning Ridge, en Australie, Timothy Flannery et ses collègues ont trouvé 10 fragments crâniodentaires appartenant à six espèces de monotrèmes vieux de 100 millions d’années – et aucun autre mammifère.
On estime que l’ornithorynque pèse quatre fois moins que les espèces éteintes de monotrèmes décrites.
monotrèmes, qui rassemble une espèce d’ornithorynque et quatre d’échidnés, et qu’il place parmi les mammifères. Depuis, l’histoire évolutive des monotrèmes, et en particulier de l’ornithorynque, est restée une énigme. Mais les découvertes récentes de Timothy Flannery, paléontologue à l’université de Melbourne, dans une des plus célèbres mines d’opales apportent de précieuses réponses.
Aujourd’hui, on sait que les mammifères actuels se divisent en monotrèmes, marsupiaux (kangourous, koalas…) et euthériens, qui regroupent la plupart des mammifères connus (éléphants, souris, singes, lions…). L’étude de leurs liens de parenté par phylogénie moléculaire, c’està-dire par comparaison des séquences de leurs génomes, corrobore l’ordre d’émergence suivant : les monotrèmes sont apparus il y a environ 190 millions d’années, puis les marsupiaux il y a environ 167 millions d’années, tandis que la diversification des euthériens a commencé il y a environ 100 millions d’années. Il y a donc eu trois faunes étagées dans le temps. Celle qui domine actuellement est bien sûr celle des euthériens, mais les marsupiaux sont toujours diversifiés (si on ne tient pas compte des extinctions
anthropiques récentes), car ils se sont trouvés isolés des euthériens en Australie. Qu’en est-il de la faune monotrème ?
Jusqu’en 1985, l’histoire évolutive pré-Oligocène – antérieure à 34 millions d’années – des mammifères restait inconnue faute de fossiles. Pourtant, dès 1957, le naturaliste américain Philip Darlington écrivait : « On doit supposer que, d’où qu’ils viennent, les monotrèmes se sont diversifiés en Australie avant les marsupiaux, et que l’ancienne faune monotrème australienne a sans doute été aussi diverse que la faune marsupiale plus tardive. » Darlington fondait son raisonnement sur l’ultraspécialisation des monotrèmes actuels. Les échidnés sont entomophages et capturent les insectes (fourmis, termites…) grâce à leur longue langue ; leur défense est assurée par des piquants acérés. L’ornithorynque est un animal semi-aquatique qui capture de petites proies (vers, crustacés…) à l’aide d’un bec spécialisé. Ses pattes palmées et sa queue plate en font un excellent nageur et c’est le seul mammifère portant un ergot empoisonné. Or une faune ne peut être constituée seulement d’animaux très dérivés. Pour le comprendre, prenons un exemple.
Dans la faune vertébrée actuelle, les crocodiliens et les oiseaux ont un ancêtre commun exclusif et forment le taxon des archosaures. Or ils ne se ressemblent pas du tout. Mais les paléontologues ont ajouté entre ces deux groupes les dinosaures, qui ont disparu à la frontière Crétacé-Tertiaire, il y a 66 millions d’années. On suit alors sans problème la spécialisation des oiseaux et comment ils s’éloignent des crocodiles. Darlington postule que la découverte de fossiles permettrait de faire de même chez les monotrèmes. Des phylogénies moléculaires récentes indiquent qu’échidnés et ornithorynque ont divergé il y a 55 millions d’années. Que s’est-il donc passé entre 190 et 55 millions d’années ?
Timothy Flannery a consacré sa vie à décrypter l’histoire évolutive des monotrèmes, en particulier de l’ornithorynque. En 1985, ses collègues et lui ont trouvé dans la mine d’opales de Lightning Ridge, dans le nord de la Nouvelle-Galles du Sud, un fossile du Cénomanien (il y a environ 100 millions d’années, au milieu du Crétacé), Steropodon galmani, ressemblant à un ornithorynque. Puis, au cours des dernières décennies, pas moins de
Il y a 125 millions d’années, le supercontinent du Gondwana (en vert) avait commencé à se fracturer depuis plusieurs dizaines de millions d’années, mais les parties qui deviendraient l’Australie, l’Antarctique, l’Afrique et l’Amérique étaient toujours connectées dans les hautes latitudes australes. À cette époque, les monotrèmes, apparus dans cette région, étaient déjà en cours de diversification. Certains ont atteint ce qui deviendrait l’Amérique, d’autres se sont installés dans la future Australie, dont les ancêtres de l’ornithorynque et des échidnés. Teinolophos trusleri, le plus ancien fossile connu de monotrème, vieux de 123 millions d’années, a été trouvé à Flat Rocks, un a eurement côtier situé dans la pointe sud-est de l’Australie, près du dernier contact avec le futur continent Antarctique. Il y a 100 millions d’années, les monotrèmes avaient atteint ce qui est devenu aujourd’hui la mine d’opales de Lightning Ridge.
onze nouveaux genres éteints ont été découverts, s’étalant du milieu du Crétacé inférieur (il y a environ 123 millions d’années) au Pléistocène (il y a environ 1 million d’années) et distribués en Australie, Nouvelle-Guinée et Amérique du Sud. En particulier, Teinolophos trusleri, vieux de 123 millions d’années, est le plus ancien monotrème connu.
L’année dernière, l’équipe de Timothy Flannery a exhumé, toujours dans la mine d’opales, six espèces datant du Cénomanien, dont trois nouvelles. Or tout prouve que la faune est sous-représentée dans ce gisement. D’une part, quatre de ces espèces ne sont connues
que par un seul échantillon, ce qui suggère que leurs populations sont ellesmêmes sous-représentées, et donc potentiellement aussi celles d’autres espèces. D’autre part, les processus miniers d’extraction et de broyage interdisent l’accès à des spécimens de petite taille, ce qui crée un biais d’observation. Décidément, les monotrèmes étaient donc bien plus diversifiés à cette époque que ne le suggèrent les rares rescapés actuels. Ces découvertes permettent à Timothy Flannery d’esquisser un scénario. Teinolophos trusleri a été décrit dans le sud-est d’une Australie qui faisait alors partie du supercontinent du Gondwana, dans les hautes latitudes australes. Le paléontologue suggère que les monotrèmes sont apparus dans des régions très froides il y a 190 millions d’années, puis se sont diversifiés, toujours dans un climat de type polaire. Ainsi, au Cénomanien, le groupe compte de multiples lignées, dont une conduira à l’ornithorynque. Les fossiles les plus anciens connus de la famille des ornithorynchidés, dont le seul représentant actuel est l’ornithorynque, remontent à l’Oligo-Miocène, il y a environ 25 millions d’années, et ont toujours des dents, contrairement à ce dernier.
Ainsi, les monotrèmes, autrefois endémiques d’un continent polaire austral, terminent leur évolution dans les
régions tempérées et subtropicales de l’Australie. Pourquoi ne reste-t-il presque plus rien de leur diversité passée ? La piste ébauchée par Darlington est séduisante : la faune marsupiale a sans doute remplacé les monotrèmes, à quelques exceptions près. Puis les survivants ont probablement subi les assauts de la faune euthérienne. Une hypothèse qui expliquerait aussi l’absence de dents chez les ornithorynques.
En fait, le plus ancien fossile d’ornithorynquidé dépourvu de dents date de la fin du Tertiaire, il y a environ 3 millions d’années. Les ornithorynchidés ont donc gardé des dents pendant plusieurs dizaines de millions d’années, puis, soudain, sont devenus édentés. Pour Timothy Flannery, cette perte serait due à une compétition avec un rongeur euthérien. En effet, le rat d’eau australien (Hydromys chrysogaster), d’une taille équivalente à celle de l’ornithorynque, est le seul autre mammifère amphibie vivant en Australie. Apparu en Nouvelle-Guinée il y a 8,5 millions d’années, il a migré vers l’Australie au Pléistocène, il y a 1 million d’années. C’est un animal carnivore se nourrissant de moules d’eau, d’écrevisses, d’insectes aquatiques. Aurait-il obligé l’ornithorynque à se tourner vers un régime de proies plus petites et plus molles, plus faciles à capturer à l’aide de son fameux bec ? n
T. F. Flannery et al., A diverse assemblage of monotremes (Monotremata) from the Cenomanian Lightning Ridge fauna of New South Wales, Australia, Alcheringa, 2024.
T. F. Flannery et al., A review of monotreme (Monotremata) evolution, Alcheringa, 2022.
B. K. Hall, The paradoxical platypus, BioScience, 1999.
P. J. Darlington, Zoogeography : The Geographical Distribution of Animals, John Wiley & Sons, 1957.
L’AUTEUR
HERVÉ THIS physicochimiste, directeur du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inrae, à Palaiseau
Elle conservera un bon goût « traditionnel » pour une teneur en sel de 12 %.
n sait la diversité des vinaigres balsamiques : il y a un monde entre un moût de raisin réduit et additionné de caramel, ou un vin qui a passé de tonneau en tonneau plus petit pendant six ans ! Le phénomène se retrouve en Asie, où s’affrontent des sauces soja faites d’un simple mélange de soja et de blé moulus, ajoutés à un caramel déglacé au vinaigre, et des produits fermentés pendant plusieurs années, après des mois de préparation et des fermentations maîtrisées. Des analyses chimiques et microbiologiques permettent d’envisager des sauces moins salées qui conservent le goût traditionnel
En Orient, la sauce soja semble avoir initialement servi comme milieu de conservation, mais elle est aujourd’hui un assaisonnement. Elle est souvent faite de graines de soja (source de protéines), de grains de blé (source de polysaccharides), de sel, d’eau, de champignons microscopiques, tels qu’Aspergillus orizae ou Aspergillus sojae, et de microorganismes tolérants au sel et à l’acidité.
Il y a deux types principaux de fermentations : en phase liquide et haute teneur en sel (pour des sauces soja sombres), et en phase solide, avec moins de sel (pour des sauces soja claires). Dans une première étape du procédé en phase solide, considéré comme traditionnel par les Chinois, des spores d’Aspergillus sont ajoutées à des graines de soja souvent cuites à l’eau et au blé (grillé et moulu) ; puis une fermentation en saumure, par des bactéries lactiques, utilise les peptides, acides aminés et saccharides formés lors de la première fermentation. Après un mois à quatre ans, on filtre et on pasteurise.
Aujourd’hui, alors que l’hypertension et les autres maladies cardiovasculaires
La sauce soja se compose en général de graines de soja, de grains de blé, de sel, d’eau, de champignons microscopiques et de microorganismes tolérants au sel et à l’acidité.
sont une préoccupation, comment faire des sauces soja moins salées ? La question est difficile, parce que les produits obtenus ont un goût inférieur, en raison notamment de la réduction des concentrations en 3(2H)-furanone, au goût de caramel, en 4-éthylphénol (fumé) et 1-octèn-3-ol (champignon).
Récemment, Xinyun Zhou et ses collègues de Tianjin ont exploré les sauces soja moins salées, corrélant des analyses de génétique et de chimie, montrant que c’est avec une réduction du sel à une valeur de 12 % que l’on peut augmenter au mieux
l’utilisation initiale du substrat par Aspergillus orizae. Une activité prolongée de ce microorganisme dégrade davantage l’amidon et les protéines, enrichissant le milieu en acides organiques et en précurseurs de composés qui contribuent au goût. L’installation et l’activité des bactéries lactiques sont facilitées, stabilisant le milieu et permettant à des champignons ascomycètes de produire des molécules odorantes. Mais les amateurs de sensations salées, pourtant conscients des méfaits du sel en excès, se laisseront-ils convaincre ? n
NOLLET DE THON ET SAUCE SOJA… SANS SOJA
➊ Deux jours avant, mettre un morceau de thon cru au congélateur (pour éviter les parasites du poisson cru).
➋ Dans une casserole, mettre 100 grammes de sucre et une cuillerée d’eau. Chau er jusqu’au stade du caramel, puis verser 50 grammes de vinaigre blanc. Réduire à tout petit feu pour bien dissoudre les masses solides formées.
➌ Ajouter deux cuillerées à soupe de farine, une cuillerée de vinaigre (on fait une hydrolyse acide) et continuer de cuire à couvert, à très petit feu. Saler.
➍ Ajouter trois feuilles de gélatine préalablement trempées dans de l’eau froide pendant deux minutes, puis porter l’ensemble à ébullition. Couler le liquide dans une assiette tapissée d’un film alimentaire et laisser prendre en gelée, avant de découper des carrés de « sauce soja » en feuille.
➎ Mixer une dizaine d’olives vertes et un petit piment dans un verre d’huile d’olive.
➏ Couper des pommes de terre en petits filaments (pommes dites « allumettes ») que l’on étale sur une plaque à four et que l’on place sous le gril jusqu’à coloration.
➐ Cuire de petits croûtons et des pétales d’ail dans du beurre.
➑ Dans le thon encore congelé, faire des lamelles très minces à l’aide d’une machine à jambon.
➒ Tapisser les alvéoles de moules à financier avec les lamelles de thon, y déposer les croûtons et les pétales d’ail grillé, et refermer le thon par-dessus pour faire des ballottines parallélépipédiques.
➓ Les déposer dans les assiettes, couvertes d’une large feuille de gelée de sauce soja. Agrémenter de roquette et des pommes allumettes. Par-dessus tout cela, verser de l’huile aux olives pimentées.
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Les mammifères rassemblent trois groupes : les euthériens (éléphants, souris, singes, lions…), les marsupiaux (kangourous, koalas…) et les monotrèmes, qui ne comportent plus que cinq espèces aujourd’hui : quatre d’échidnés… et l’ornithorynque.
Superposez deux couches de graphène avec cet angle de rotation. Outre un beau moiré, vous obtiendrez une situation très rare en physique : un matériau dont certains électrons ont une énergie cinétique quasi nulle, si bien que leurs interactions deviennent le paramètre le plus important du système. Cet état donne accès à des propriétés inédites de la matière. Un « angle magique » qui porte bien son nom !
Si les guerres froides ont favorisé les échanges scientifiques entre les pays en conflit, cela ne semble possible que tant que ces échanges ne mettent pas en danger les intérêts économiques de l’un d’eux £
YVES GINGRAS historien et sociologue des sciences
Le cerveau du tyrannosaure pèse moins de 500 grammes pour une masse corporelle de 6 à 10 tonnes.
Bien peu par rapport aux 5 kilogrammes de celui de l’éléphant africain actuel mâle, pour une masse corporelle de 5 à 6 tonnes !
Faire rouler un triangle équilatéral, c’est possible ! Il suffit de remplacer chaque côté par un arc de cercle centré sur le sommet opposé. Le centre de gravité du triangle suit alors une sorte de sinusoïde, sans à-coups, ce qui permet la rotation de ce dernier, même si ses sommets restent anguleux. C’est un technologue et ingénieur allemand, Franz Reuleaux, qui a imaginé cette forme au XIXe siècle.
Au début du XXe siècle, une naturaliste britannique, Emma Louisa Turner, s’installa plusieurs mois par an dans une maison flottante pour observer et photographier les oiseaux des marais du Norfolk, dans l’est de l’Angleterre. Elle nomma son refuge Water Rail – « Râle d’eau » –, du nom d’un des premiers oiseaux qu’elle photographia.
Les roses n’ont pas d’épines, mais des aiguillons ! Les épines sont des tiges ou des feuilles qui se sont spécialisées au cours de l’évolution, alors que les aiguillons sont juste des excroissances de l’épiderme. Ainsi, les cactus et les aubépines ont des épines, mais les roses ont des aiguillons… de même que les aubergines.
LE MUSÉUM NATIONAL D’HISTOIRE NATURELLE ET L’INSTITUT DE PHYSIQUE DU GLOBE DE PARIS ACCUEILLENT
Scolaire / Du 8 au 18 octobre 2024
Grand Public / Du 24 au 28 octobre 2024
Muséum national d’Histoire naturelle, Jardin des Plantes, Paris 5e Institut de physique du globe de Paris, 1 rue Jussieu, Paris 5e
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