Thema Pour la Science n°19 : gérer son stress

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GÉRER SON

STRESS Santé

Thérapie

Résilience

IMMUNITÉ, CŒUR, CERVEAU… LES EFFETS DU STRESS

MUSCLER SON CERVEAU POUR MAÎTRISER SON STRESS

LES BONS CÔTÉS DU STRESS


ÉDITO

ARMER SON CERVEAU CONTRE LE STRESS

D Philippe Ribeau

Responsable éditorial web

epuis les débuts de la pandémie de Covid-19, vous avez souvent mal à la tête ou au ventre, vous dormez mal, vous vous sentez oppressé ? Ce sont sans doute les effets d’un stress prolongé. Le stress est une réaction physiologique développée au fil de l’évolution pour faire face à un danger immédiat. L’hypothalamus stimule la production d’adrénaline et de cortisol, des hormones qui augmentent entre autres le rythme cardiaque et la pression sanguine, préparant ainsi l’organisme à la défense ou à la fuite. Ce système vital peut cependant devenir un handicap dans des situations de la vie quotidienne, comme passer un examen ou prendre la parole en public. En plus de provoquer des réactions physiologiques désagréables, le stress perturbe les circuits cérébraux du contrôle de soi et de la réflexion, ce qui peut entraîner des réactions irrationnelles, voire une « paralysie mentale ». Mais quand les situations anxiogènes se prolongent – difficultés relationnelles, problèmes matériels, période inquiétante comme une pandémie… – alors le stress devient chronique et le danger guette. La sécrétion prolongée de cortisol augmente en effet l’inflammation, avec un impact sur tous les organes, de l’intestin au cerveau en passant par le cœur ou la peau. Elle affaiblit les connexions entre neurones et perturbe la mémoire, dégrade le système immunitaire, et dérègle le sommeil et l’appétit. Il existe heureusement des moyens de combattre ce stress chronique. Des études ont montré que les techniques de respiration, en stimulant le système nerveux « parasympathique », sont efficaces contre le stress. Il en va de même de la musique, et plus généralement, du fait d’éprouver des émotions positives. L’autre clé est mentale : il s’agit de « muscler » son cerveau pour développer des capacités cognitives qui permettent de reprendre le contrôle. Rationalité, curiosité ou souplesse d’esprit sont ainsi de précieuses armes contre le stress. Qui permettent même parfois de retourner la situation. Car tout stress n’est pas mauvais. Modéré, il peut être un allié : il renforce l’attention, améliore la mémoire immédiate et stimule les capacités d’apprentissage. Le tout est d’envisager les difficultés comme un défi et non comme une menace !

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Pour la Science 170 bis boulevard du Montparnasse - 75014 Paris

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SOMMAIRE

P/04/LE CERVEAU STRESSÉ A. ARNSTEN, C. MAZURE ET R. SINHA

P/12/PEAU, CŒUR, FERTILITÉ : LES EFFETS DU STRESS NATHALIE RAPOPORT-HUBSCHMAN

P/18/LE DOUBLE EFFET DU STRESS SUR LA MÉMOIRE MATHIAS SCHMIDT ET LARS SCHWABE

P/28/STRESS ET DÉFENSES IMMUNITAIRES KARL BECHTER ET KATJA GASCHLER

P/37/MANGER SOULAGE-T-IL LE STRESS ? NATHALIE GODART P/12

P/45/STRESSÉ... DE NE PAS DORMIR FRANÇOIS MARCHAND

P/52/COMPRENDRE LE STRESS POUR LE VAINCRE JACQUES FRADIN ET CAMILLE LEFRANÇOIS

P/37

P/61/COMMENT RÉSISTER AU STRESS ELISABETH SVOBODA P/68/UN SOUFFLE SI APAISANT CHRISTOPHE ANDRÉ

P/78/LA MUSIQUE ADOUCIT LES MŒURS STÉPHANIE KHALFA P/28

P/45

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P/83/LES BONS CÔTÉS DU STRESS RÜYA-DANIELA KOCALEVENT


AMY ARNSTEN, CAROLYN MAZURE ET RAJITA SINHA Thema / Gérer son stress

© Shutterstock/Andrii Zastrozhnov

Le cerveau stressé


Les circuits neuronaux assurant le contrôle de soi sont perturbés par un stress, même modéré. Dès lors, les émotions et les désirs prennent les commandes…

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hez certains étudiants, la pression des examens perturbe, voire bloque totalement, les capacités de raisonnement. Les expressions imagées ne manquent pas pour décrire ce phénomène : être paralysé, sur les nerfs, mort de peur, au bord de l’évanouissement, etc. De même, certaines personnes sont paralysées à l’idée de parler en public. Les situations de stress sont courantes, et chacun en connaît les effets. Les neuroscientifiques croyaient comprendre les mécanismes cérébraux du stress, mais les recherches récentes ont remis en cause leurs explications.

La réponse au stress n’est pas seulement une réaction primitive, qui ne concerne que les aires cérébrales communes à de nombreuses espèces, de la salamandre à l’homme. En réalité, le stress affecte les facultés cognitives, les zones cérébrales les plus élaborées chez les primates. Auparavant, on décrivait la manifestation physiologique du stress comme une réaction de l’hypothalamus, une structure apparue très tôt au cours de l’évolution et située à la base du cerveau : l’hypothalamus déclencherait la sécrétion d’hormones par l’hypophyse (localisée à la base du cerveau)

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et les glandes surrénales (juste au-dessus des reins), hormones qui accélèrent le rythme cardiaque, augmentent la pression sanguine et diminuent l’appétit. Les recherches récentes ont révélé un rôle inattendu du cortex préfrontal, une structure cérébrale située derrière le front. Il est le siège des capacités cognitives les plus élaborées – la concentration, la planification, la prise de décision, l’intuition, le jugement... C’est la partie du cerveau apparue le plus tard au cours de l’évolution. Le cortex préfrontal agit comme un centre de commande. Quand tout va bien, il maintient nos émotions et nos pulsions « primaires » sous contrôle. En revanche, un stress aigu déclenche une série d’événements chimiques qui réduisent son influence, tout en renforçant celle d’aires cérébrales plus anciennes. Nous pouvons alors nous retrouver en proie à une anxiété paralysante ou à des pulsions que d’habitude nous réussissons à contrôler : excès de nourriture et de boissons, consommation de drogues, frénésie dépensière... En d’autres termes, nous perdons le contrôle de nous-mêmes.


NATHALIE RAPOPORT-HUBSCHMAN Thema / Gérer son stress

© Shutterstock.com / Mary Long

Peau, cœur, fertilité : les effets du stress


Comment le stress agit-il sur l’organisme, et comment prévenir les dégâts qu’il peut causer ? Les réponses de Nathalie Rapoport-Hubschman, médecin et psychologue spécialisée en psychologie de la santé.

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omment interpréter des maux de dos, de ventre, des problèmes de peau ou de perte de cheveux après un stress ou une période de déprime ? Il faut commencer par mettre les choses au clair sur ce qu’on appelle la somatisation. De tels symptômes ne sont en aucun cas à prendre comme des signes qu’il s’agirait de déchiffrer comme dans un jeu de tarot. Ils sont généralement la répercussion d’un état de stress, dont certaines conséquences commencent à être identifiées sur notre organisme. Dans le domaine de ce qui est connu, citons des liens entre

le stress et les perturbations du système digestif, puisqu’on sait aujourd’hui que des phénomènes inflammatoires et immunitaires déclenchés par un stress peuvent avoir un impact direct sur les fonctions viscérales. En ce qui concerne les maladies de peau, les médecins ont souvent repéré chez certains patients un lien entre le stress lié à certains événements de vie (problèmes au travail, anticipation d’événements stressants comme un examen) et des éruptions de type eczéma, même s’il s’agit là d’un trouble multifactoriel. Disons que le stress peut être la goutte qui fait déborder

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le vase lorsque des facteurs génétiques ou environnementaux comme des irritants chimiques sont déjà présents.

Pourquoi cette tension initiale se répercute-t-elle tantôt sur la peau, tantôt sur les viscères ou ailleurs, selon les cas ? Cela tient aux particularités de chaque individu : génétiques ou liées à son histoire personnelle… Du fait qu’il est très difficile de démêler ces facteurs, la question conserve une part de mystère, et ce vide fut longtemps comblé par des théories psychanalytiques. Mais un certain nombre d’arguments biologiques existent. Par exemple, le fait que la peau et le cerveau ont la même origine développementale. Ainsi, chez un tout jeune embryon, les neurones et les cellules de la peau se développent à partir d’un même ensemble de cellules appelées ectoderme. Ils pourraient alors parler un « langage commun » sur le plan moléculaire. La peau contient ainsi un système de récepteurs sensibles au stress, notamment les mastocytes, cellules impliquées dans l’inflammation et activées différemment


MATHIAS SCHMIDT ET LARS SCHWABE Thema / Gérer son stress

©Shutterstock/Piyapong89

Le double effet du stress sur la mémoire


La pression psychologique peut renforcer l’attention, améliorer la mémoire et stimuler les capacités d’apprentissage. Mais un excès de stress risque d’avoir les effets inverses.

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n slogan bien connu pour lutter contre les ravages dus à l’alcool –un verre ça va, trois verres bonjour les dégâts – pourrait être transposé au stress.Un peu de stress renforce certaines capacités cognitives, trop de stress nuit à la santé. En effet, si le stress a longtemps été redouté pour ses effets négatifs, on lui reconnaît aussi des effets positifs ; nous allons voir lesquels. Vous avez déjà ressenti une certaine oppression à l’idée d’une réunion où vous devrez prendre la parole ou à cause d’une

interaction tendue avec votre patron. Ou encore le sentiment d’un poids sur les épaules devant les dossiers qui s’accumulent et qui doivent être rendus en fin de semaine. Ces sensations familières du stress peuvent nous obnubiler au point que nous finissons par nous concentrer uniquement sur nos soucis. Le stress peut aussi provoquer des modifications physiologiques. Dans une situation stressante, les systèmes cérébraux d’alarme déclenchent la libération d’hormones qui nous préparent

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à combattre ou fuir un danger. Ces substances peuvent, entre autres, faire augmenter la pression artérielle et accélérer les fréquences cardiaque et respiratoire. Mais elles peuvent aussi perturber les capacités d’apprentissage et de mémorisation. Essayez de repenser aux examens que vous avez passés pendant votre scolarité. Même lorsque vous vous sentiez prêt, votre performance aux examens était souvent un peu décevante. Sans doute vous est-il arrivé de ne pas réussir à retrouver la bonne réponse à une question, alors que vous la connaissiez et qu’elle vous est revenue à l’esprit quelques heures après l’examen. Une explication possible de ce phénomène est le stress : il peut perturber le rappel des informations mémorisées. Cette explication peut paraître évidente, mais en réalité, les effets du stress sur la mémoire sont très nuancés. Différents travaux ont montré que, dans certaines circonstances, la pression psychologique peut au contraire améliorer le rappel des informations. Les personnes qui éprouvent de telles difficultés au cours d’un examen se souviennent combien elles se sont senties


KARL BECHTER ET KATJA GASCHLER Thema / Gérer son stress

©Shutterstock / Lozovytska

Stress et défenses immunitaires


Le stress rend-il malade ? Peut-on favoriser une guérison par la pensée ? L’étude des interactions du corps et de l’esprit par les biologistes et les psychologues révèle que l’état d’esprit participe à l’état de santé.

L

e stress et l’anxiété affaiblissentils les défenses naturelles ? La question préoccupe les biologistes, les médecins, les immunologistes et... les psychologues. Que les difficultés rencontrées et l’état d’esprit influent sur le système immunitaire, on l’admet depuis longtemps. Toutefois, les résultats sont souvent contradictoires. Dans certaines expériences, le stress diminue la production des cellules immunitaires, mais dans d’autres, c’est le contraire. Si le stress atténue les réactions immunitaires,pourquoi, chez certaines personnes

atteintes de maladies auto-immunes (où le système immunitaire attaque l’organisme qu’il devrait protéger), aggrave-t-il ces réactions ? Cette confusion a plusieurs causes. D’une part, le système immunitaire représente un réseau complexe comportant de nombreux acteurs, dont on ne comprend pas encore toutes les interactions.D’autre part, il y a différentes sortes de stress et d’anxiété : il y a manifestement une différence entre la situation d’un individu s’apprêtant à effectuer un saut à l’élastique,

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l’inquiétude qu’il ressent avant un examen ou la souffrance qu’il éprouve depuis des mois parce que sa compagne l’a quitté. Et ce n’est pas seulement la nature du stress qui importe : sa répétition et l’impossibilité de retrouver un état sans stress sont responsables de ses effets négatifs, que le stress soit physique, psychique, émotionnel ou social. En 2004, les psychologues américains Suzanne Segerstrom et Gregory Miller ont analysé 300 études publiées depuis 1970 sur les interactions du stress et des réactions immunitaires ; ils en ont proposé un résumé remarquable, qui permet de comprendre comment les tensions psychiques agissent sur le système immunitaire. De surcroît, de nouvelles études fournissent les premiers indices de l’influence que nous pouvons exercer sur nos défenses naturelles. Revenons d’abord aux débuts des recherches sur le stress. Dans les années 1970, l’endocrinologue viennois Hans Selye postula que le stress réprime les réactions immunitaires, et que des tensions psychiques prolongées favorisent


NATHALIE GODART Thema / Gérer son stress

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Manger soulage-t-il le stress ?


Une personne sur trois mange moins quand elle est stressée, les autres se ruent sur la nourriture pour se sentir mieux. Comment le stress perturbe-t-il l’appétit, et par quels mécanismes la nourriture régule-t-elle le stress ?

À

un dîner chez des amis, les petits fours circulent et vous en proposez à votre voisine qui les refuse. Elle est très mince et vous confie avec un sourire gêné : « J’ai de gros soucis au travail et cela me coupe l’appétit. » Une autre convive qui l’entend s’exclame : « Quelle chance ! Moi, dès que je suis stressée, je ne peux plus m’arrêter de manger, alors que je fais toujours attention à mon poids quand je vais bien. » Les hommes de l’assemblée se rangent alors à l’avis du maître de maison qui conclut : « Tout cela semble bien féminin. En rien le stress ne guide dans un sens ou

dans un autre ma fourchette ! » Alors qu’en est-il vraiment ? Et que se passe-t-il quand on est stressé : mange-t-on plus ou moins ? Nous allons voir que les mécanismes qui lient le stress et l’alimentation sont complexes et que les hommes et les femmes ne sont pas égaux quant à leur façon de s’alimenter en cas d’anxiété.

Les facteurs déterminant notre alimentation Notre conduite alimentaire dépend de la personnalité, du métabolisme et de l’environnement : de nombreux facteurs

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–psychologiques, physiologiques, biologiques, socio-économiques, culturels ou religieux– interagissent de façon complexe et déterminent notre façon de manger. Chaque personnalité se construit en fonction de l’histoire de l’individu, son patrimoine génétique et son environnement ; elle résulte entre autres des expériences précoces, tels les liens avec les parents dans la petite enfance et le plaisir ou le dégoût que l’on éprouve en découvrant un nouvel aliment. L’environnement influe aussi sur l’alimentation : de multiples facteurs culturels, familiaux, religieux et socioéconomiques, tels le pouvoir d’achat et la disponibilité des aliments dans la société, entrent en compte. L’alimentation façonne les premiers échanges entre l’enfant et les adultes : quand les liens précoces sont perturbés, l’alimentation l’est aussi et l’on observe parfois des formes d’anorexie du nourrisson. En outre, la façon dont on s’alimente varie d’une culture à l’autre, et dans une culture donnée, d’un sujet à l’autre. Mais la conduite alimentaire est surtout liée à l’appétit qui peut être diminué


FRANÇOIS MARCHAND Thema / Gérer son stress

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Stressé... de ne pas dormir


Qui, de l’insomnie ou de l’anxiété, survient en premier ? Les deux pathologies vont souvent de pair, mais peuvent être soulagées par des thérapies comportementales.

L

’anxiété et l’insomnie méritent toute l’attention du médecin, les négliger serait faire fi de leurs conséquences négatives sur la santé. Ces deux symptômes ne sont pas des troubles mineurs, mais des pathologies à part entière. Toute la difficulté consiste à déterminer quelle maladie soustend l’autre, car elles sont souvent associées, et l’objectif du médecin est d’adapter au mieux le traitement. La notion de « sommeil troublé » se trouve déjà dans les récits bibliques – « Le sommeil du travailleur est doux, […] et le souci de la subsistance trouble le sommeil. » Toutefois, le mot insomnie ne s’inscrit dans

le dictionnaire que dans les années 1920. Mais, alors que pour les Anciens un sommeil troublé était toujours lié à une conscience également « troublée », à des scrupules ou à une faute, au XIXe siècle, on commence à parler de nuits sans sommeil, indépendamment de toute culpabilité. L’ère industrielle y est pour beaucoup.

La nuit s’éveille Autrefois, l’activité professionnelle et sociale, centrée sur le travail de la terre, obéissait au rythme des saisons. Puis, peu à peu, les horaires ont cessé de se caler sur le Soleil. Depuis la révolution industrielle,

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sont apparus l’obsession des montres et des réveils – car on se doit d’être à l’heure –, la crainte des retards, l’exigence des rendus « en temps et en heure »… Des situations déjà stigmatisées dans les films Les temps modernes (1936) et Metropolis (1927). Les exigences professionnelles ne sont pas les seules perturbations du rythme de vie. Les loisirs et les activités de toutes sortes nous sollicitent davantage le soir : les salles de spectacles, de sport et les magasins sont ouverts tard dans la soirée, les programmes télévisuels durent toute la nuit.Ainsi, la veille ne coïncide plus seulement avec le jour. La nuit « s’est éveillée ». En témoigne l’engouement pour les boîtes de nuit, la Nuit blanche, la Fête de la musique, etc. Traqué par les impératifs d’emploi du temps et les exigences de vie sociale, l’organisme s’adapte.Mais sournoisement, s’organisent des retards de phase. On dort aujourd’hui une heure et quart de moins qu’il y a un siècle. Au sens strict, le mot insomnie signifie absence totale de sommeil. Mais aujourd’hui, dans le langage courant, il désigne un sommeil insuffisant ou de


JACQUES FRADIN ET CAMILLE LEFRANÇOIS Thema / Gérer son stress

©Shutterstock .com/ adike

Comprendre le stress pour le vaincre


Peut-on vivre de façon plus sereine les difficultés de la vie ? Pour mieux gérer le stress, les psychologues ont mis au point des exercices pour « muscler » la région du cerveau qui gère les situations complexes et inconnues, le cortex préfrontal. Et ça marche !

L

e début du IIIe millénaire est marqué du sceau de la peur : peur des attentats, peur de perdre son travail, peur des jeunes, peur des changements climatiques. Certains analystes interprètent la montée de ces inquiétudes comme le symptôme d’un déficit d’identité ou d’une perte de sens. En effet, depuis 50 ans, les sociétés occidentales ont subi des évolutions de grande ampleur, et l’inconstance des valeurs et des pratiques est devenue la seule… constante ! Quels que soient les repères – moraux, sociaux, sexuels, ceux de l’autorité, de

l’enseignement, de la santé, du travail –, ils changent vite. Notre cerveau est-il adapté pour affronter ces changements ? Les neuropsychologues apportent des réponses à cette question. Oui, le cerveau est équipé pour faire face aux changements et ne pas succomber à la peur, à condition de mettre en place des stratégies adéquates. L’être humain dispose de deux façons d’aborder une situation : soit il applique des schémas appris face à une situation qui lui paraît simple et connue ; soit il imagine des stratégies inédites lorsque la

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situation se révèle nouvelle ou complexe. Les situations de changement de stratégie font intervenir, d’après les études d’imagerie cérébrale, la zone dite préfrontale de l’encéphale. Ces territoires cérébraux sont les plus évolués et les plus récents du point de vue de l’évolution. Le mode préfrontal permet de s’adapter au changement, alors que l’autre mode de fonctionnement cérébral, que l’on pourrait qualifier d’automatique, est utilisé lorsqu’une tâche maîtrisée devient routinière. Les zones concernées sont postérieures, basses et anciennes au plan évolutif. Dès lors comment réagit un employé face à un changement d’orientation professionnelle ? Une mère face à son enfant qui entre dans l’adolescence ? Dans un premier temps, l’individu tente d’activer des schémas d’action ou de pensée déjà acquis, ce qui lui permettrait de maintenir le fonctionnement en mode automatique. Toutefois, cette inertie n’est pas sans conséquences : sans que nous n’en ayons conscience, le cortex préfrontal détecte que cette attitude « conservatrice » n’est pas adaptée et active les centres du stress (d’abord le complexe


ELISABETH SVOBODA Thema / Gérer son stress

©Shutterstock.com/Pensee Sauvage

Comment résister au stress


Vous craignez de perdre vos moyens devant votre public ? Essayez de ne pas trop penser.

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ous avez répété votre exposé des dizaines de fois.Vous êtes prêt, concentré sur votre objectif : sourire, parler fort et distinctement. Mais voilà qu’arrivé sur l’estrade, vous restez figé, comme un animal apeuré dans les phares d’une voiture, incapable d’articuler la moindre syllabe. Nous avons tous vécu cette expérience. Pourquoi bafouillons-nous parfois, précisément dans les situations importantes ? Le responsable : l’organisation de notre cerveau. Lorsque nous avons répété une action au point de l’accomplir sans avoir à y réfléchir, des systèmes inconscients sont à l’œuvre, gérant automatiquement les processus nécessaires. Si nous nous focalisons sur les actes à accomplir, par exemple sous l’effet du trac, le traitement conscient

interfère avec ce traitement automatique. Des recherches récentes ont révélé les mécanismes en jeu, et pourraient aider à mieux contrôler cette tendance à l’« autosabordage ». En 1984, le psychologue Roy Baumeister, de l’université de Floride, a défini le fait de perdre brusquement ses moyens par le terme choking. Les sportifs ayant subi une contre-performance disent ainsi, en utilisant cet anglicisme, qu’ils ont choké. Le stress et l’anxiété dus à certaines circonstances, telles que la présence d’un public et le fait de souhaiter réussir brillamment ce que l’on entreprend, nous rendent particulièrement vulnérables à ce type de blocage. Les experts recommandent de prendre du temps face à un événement stressant,

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l’idée étant que cela aidera à calmer sa nervosité. En fait, les recherches récentes ont montré que prendre trop de temps peut avoir l’effet inverse et entraîner un blocage. Mieux vaut avancer sans se poser de questions quand on a bien répété une action, affirme la psychologue Sian Beilock, de l’université de Chicago.

Ne vous concentrez pas ! Dans une étude de 2008, elle a réparti des golfeurs expérimentés et novices en deux groupes, et leur a demandé d’exécuter une série de putts (on fait rouler la balle sur le green en direction d’un trou). Les membres du premier groupe pouvaient prendre leur temps, mais ceux du second groupe devaient jouer aussi vite qu’ils le pouvaient. Résultat : les golfeurs débutants du second groupe ont été moins précis que ceux du premier ; à l’inverse, la performance des golfeurs expérimentés a été meilleure quand ils devaient jouer rapidement. Selon S. Beilock, prendre son temps pour exécuter une tâche qui a été répétée de nombreuses fois peut favoriser la prise de conscience de l’enjeu. Ainsi, les


CHRISTOPHE ANDRÉ Thema / Gérer son stress

© Shutterstock.com/KsanaGraphica

Un souffle si apaisant


Régulation du stress, lutte contre lʼinsomnie, contrôle des émotions et de lʼattention… Savoir bien respirer apporte un véritable avantage pour vivre mieux. Alors, comment sʼy prendre ?

N

ouveau-nés, nous entrons dans la vie par une grande inspiration. Et nous quittons l’existence en rendant notre dernier souffle, dans une ultime expiration ; le terme « expirer » est même, dans de nombreuses langues, un équivalent de « mourir ». Voilà pourquoi, depuis toujours, les humains associent le souffle à la vie. Et à son corollaire, le bon fonctionnement du corps et de l’esprit. Dès le premier millénaire avant notre ère, le taoïsme chinois et l’hindouisme

insistent sur l’importance d’un « fluide vital » irriguant notre corps, une sorte d’énergie ou de souffle intérieur, dont la respiration serait une des manifestations. Les Chinois nomment cette énergie qi et les Hindous prana (c’est un des concepts clés du yoga). Un peu plus tard à l’ouest, le pneuma des Grecs renvoie, comme la rûah des Hébreux, aux deux dimensions du déplacement de l’air et de la présence divine ; c’est pourquoi, dans les langues latines, le terme spiritus est à l’origine à la

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fois du terme esprit et du mot respiration. Très tôt apparaissent aussi des conseils pour moduler sa respiration et influencer le cours de sa santé et de sa spiritualité. Ainsi, le yoga Pranayama (terme signifiant « rétention du souffle ») considère que c’est un moyen pour accroître sa longévité. Il s’agit de la première doctrine théorisant l’intérêt du contrôle respiratoire, environ sept siècles avant notre ère. À l’époque moderne, le médecin allemand Johannes Heinrich Schultz élabore le « training autogène ». Née dans les années 1920, cette méthode de relaxation, qui se fonde en partie sur une respiration lente et profonde, est sans doute encore aujourd’hui la plus célèbre en Occident. Dans sa codification contemporaine, la méditation de pleine conscience fait elle aussi la part belle aux exercices basés sur le souffle. Pas une technique de relaxation, d’apaisement ou de méditation, donc, qui ne fasse appel au souffle : s’appuyer sur la respiration est sans doute le plus petit dénominateur commun de toutes les approches de pacification du corps comme de l’esprit.


STÉPHANIE KHALFA Thema / Gérer son stress

©Shutterstock.com/Rohappy

La musique adoucit les mœurs


Vous êtes stressé ? Écoutez de la musique ! Elle réduit les concentrations sanguines en hormones du stress et fait disparaître les tensions accumulées pendant une journée de travail.

S

ans stress, la vie serait une sinécure. Malheureusement, le stress est omniprésent. Vous vous souvenez sûrement d’une réunion de travail qui s’est mal terminée, où vous avez eu une âpre discussion avec l’un de vos collègues. De retour chez vous, vous étiez dans un état de tension extrême. Vous vous êtes installé sur votre canapé et vous avez pris un apéritif. En vain : votre estomac est resté noué, et vous n’avez pu oublier vos soucis. Puis vous avez mis un morceau de musique. Progressivement, vous vous êtes détendu et une sensation de bien-être vous a envahi. Le stress modifie le fonctionnement de l’organisme. Sa première fonction est la défense. Nos lointains ancêtres étaient déjà dotés de systèmes de réactions qui devaient

laboratoire. Puis nous avons fait écouter de la musique à ces volontaires et nous avons constaté que certaines musiques particulièrement apaisantes et harmonieuses font diminuer la concentration sanguine en hormone de stress. Ainsi, la musique adoucit bien les mœurs !

Les circuits du stress assurer leur survie dans les situations dangereuses. Quelques dizaines de milliers d’années ont passé entre l’attaque d’un ours des cavernes et une altercation avec un collègue agressif…, mais les réactions physiologiques sont les mêmes : du cortisol, l’hormone du stress, est relâché dans l’organisme et une cascade de réactions métaboliques prépare à la fuite ou au combat. L’événement passé, le cortisol reste quelque temps dans l’organisme : vous restez sur le quivive et votre estomac reste noué. Comment la concentration en cortisol se normalise-t-elle ? Nous avons récemment mesuré les concentrations en cortisol chez des personnes ayant vécu une situation de stress déclenchée lors d’une expérience en

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Pour bien comprendre comment le stress naît d’une agression et peut être combattu, examinons la façon dont le cerveau réagit face à une situation difficile. Lors d’un stress d’origine psychologique ou physique (agression, angoisse avant l’examen, réunion houleuse ou tensions familiales), le système limbique, le centre des émotions, est activé. C’est ce système qui déclenche le plaisir de voir un ami ou la peur face à un serpent. Cette structure cérébrale comporte notamment une zone nommée complexe amygdalien, qui s’active fortement lorsqu’on ressent une agression, une frayeur, un sentiment désagréable. Que fait votre complexe amygdalien lorsque vous vous êtes disputé ? Il vous prépare à vous défendre. Il envoie un message


RÜYA-DANIELA KOCALEVENT

©Shutterstock.com/Obak

Les bons côtés du stress


Tout stress n’est pas mauvais. Bien vécu, il maintient en bonne santé et donne de l’énergie. À condition d’envisager les difficultés comme un défi et non comme une menace…

une relation avec un partenaire, cultiver nos relations… D’où la crainte que tout le stress engendré affecte notre santé et notre bien-être. En fait, en tant que psychothérapeute, je pense que la plupart des gens évaluent le stress de façon très, voire trop, négative.

On évalue le stress trop négativement

A

ujourd’hui, le stress est accusé de tous les maux. On nous dit de l’éviter à tout prix. « Ne stresse pas ! » est la devise de bien des gens, avec l’idée qu’il faut « rester zen » et « lâcher prise » pour préserver ses chances d’être heureux, cultiver ses bonnes relations et rester en bonne santé. Cette sorte de doctrine populaire reflète une totale incompréhension de ce qu’est le stress. Car celui-ci, et c’est ce qu’indiquent de nombreuses études scientifiques, ne rend pas

malade en soi. C’est même le contraire : il est parfois bénéfique. En fait, tout dépend de la façon dont on le perçoit. L’évaluation subjective est déterminante, dès lors qu’il s’agit d’en évaluer les conséquences. Nous vivons dans une société en mutation rapide et devons constamment faire face à de nouveaux défis : assimiler le flot croissant d’informations, donner le meilleur de nous-mêmes au travail, nous impliquer dans l’éducation des enfants ou dans

Thema / Gérer son stress

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Bien entendu, cette vision n’est pas complètement injustifiée. En effet, l’organisme humain s’efforce d’atteindre, et de conserver, un état d’équilibre, que l’on appelle homéostasie. De nombreuses fonctions vitales de l’organisme, comme la pression artérielle et la température corporelle, sont « conçues » pour se réguler et rester stables. Le stress perturbe cet équilibre à court terme, certes. Mais c’est précisément de ce stimulus que nous avons besoin pour grandir, évoluer personnellement et être efficaces. Ainsi, il est logique que la pression artérielle et la tension musculaire augmentent lorsqu’une personne vous menace : c’est une aide pour réagir rapidement au danger.


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