Thema Pour la Science n° 31 : Les défis du voyage spatial

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LES DÉFIS DU

VOYAGE SPATIAL

Impesanteur

Rayons cosmiques

Propulsion

L’ORGANISME À RUDE ÉPREUVE

QUELS BOUCLIERS POUR PROTÉGER LES ASTRONAUTES ?

LA PISTE DES MOTEURS NUCLÉAIRES


ÉDITO

VOYAGES SPATIAUX À HAUT RISQUE

D Philippe Ribeau

Responsable éditorial web

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ans certains films de science-fiction, les héros sillonnent la galaxie aussi facilement que nous prenons le train, et les menaces les plus sérieuses qui planent sur eux sont le fait de pluies d’astéroïdes, d’aliens voraces ou d’extraterrestres belliqueux. Mais en réalité, les vrais ennemis des voyageurs spatiaux sont invisibles et évanescents. Le problème le plus évident est l’absence de pesanteur. Atrophie des muscles et des os, perturbation de l’oreille interne, diminution du nombre de globules rouges… Ses effets sur l’organisme sont nombreux et sévères. Invisibles mais plus dangereux encore, les rayons cosmiques, des particules chargées de haute énergie, bombarderaient sans relâche les astronautes qui s’aventureraient hors du cocon protecteur du champ magnétique terrestre. Un aller-retour vers Mars équivaudrait ainsi à vingt fois la dose annuelle maximale de radiation autorisée ! Avec à la clé des risques de cancer accrus, mais aussi une diminution des performances cognitives. L’ennui, la promiscuité et l’isolement ne sont pas non plus à prendre à la légère. Confinés pendant des mois dans un minuscule habitacle, sans espoir de retour rapide en cas de problème, les astronautes risquent de sombrer dans la dépression ou de s’entretuer. En témoigne cet astronaute russe obsédé par l’idée d’ouvrir le hublot de la Station spatiale internationale « pour sentir le vent frais »… Enfin, il ne faut pas écarter trop vite les obstacles techniques : pour un « simple » voyage vers Mars, il faudrait d’abord envoyer en orbite terrestre des milliers de tonnes de matériel, de carburant et de vivres. Une entreprise pharaonique ! Ce constat lapidaire semble condamner définitivement les voyages spatiaux… Mais c’est compter sans l’imagination des physiciens et des ingénieurs qui planchent sur des projets de boucliers magnétiques pour protéger les vaisseaux spatiaux ou pour concevoir de nouveaux modes de propulsion moins gourmands en carburant, ou encore des psychologues, designers et planificateurs qui veillent à l’équilibre psychique des astronautes. S’il reste de nombreux obstacles à surmonter avant d’embarquer peut-être, un jour, vers d’autres planètes, ce Thema vous propose d’explorer les pistes étudiées pour y parvenir.

Thema / Le voyage spatial

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Pour la Science 170 bis boulevard du Montparnasse - 75014 Paris

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SOMMAIRE

P/4/VIVRE DANS L’ESPACE P/4/

NATHALIE PATTYN ET PIERRE-FRANÇOIS MIGEOTTE

P/17/ CERVEAU, INTERDIT P/17/LE DE VOYAGE SPATIAL CHARLES LIMOLI P/29/ P/29/COMMENT PROTÉGER LES VOYAGEURS SPATIAUX ? EUGENE PARKER

P/40/ P/40/COMMENT SOIGNER DANS L’ESPACE

S. THIERRY, M. KOMOROWSKI, A. GOLEMIS ET L. ANDRÉ-BOYET

P/17

P/54/ P/54/CRYOGÉNIE : UN SOMMEIL DE GLACE R. LEHOUCQ ET J.-S. STEYER

P/58/ P/58/UNE NOUVELLE ÈRE POUR LES VOLS SPATIAUX ALEXANDRA WITZE

P/64/LA RUÉE VERS LA LUNE P/64/ ADAM MANN

P/54

P/73/EN ROUTE VERS MARS P/73/ DAMON LANDAU ET NATHAN STRANGE

P/85/ P/85/QUELLE EST LA MEILLEURE ROUTE VERS MARS ? JEAN-MICHEL COURTY ET ÉDOUARD KIERLIK

P/40

P/85

Thema / Les défis du voyage spatial

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P/91/ P/91/CAP SUR ALPHA DU CENTAURE ANN FINKBEINER


Vivre dans l’espace © Nasa

NATHALIE PATTYN et PIERRE-FRANÇOIS MIGEOTTE Thema / Titre thema


Les futurs astronautes au long cours devront surmonter les effets délétères de l’impesanteur et du rayonnement cosmique, ainsi que les périls psychologiques d’une vie isolée, en petit groupe et dans un lieu confiné.

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n 2021, on fêtait les 60 ans du premier vol dans l’espace de l’astronaute soviétique Youri Gagarine. Et deux ans plus tôt, on célébrait le cinquantenaire des premiers pas de l’américain Neil Armstrong sur la Lune, en 1969, qui fut suivi par 11 de ses compatriotes jusqu’en 1972. La conquête spatiale par des vols habités connaît depuis une longue pause, même si des hommes

sont régulièrement envoyés en orbite à bord de la Station spatiale internationale. Mais ces premiers succès ont inspiré les auteurs de science-fiction, pour qui les voyages spatiaux seront monnaie courante dans le futur. La série Star Trek écrite par Gene Roddenberry en 1964, le roman 2001 : L’odyssée de l’espace, écrit par Arthur Clarke et adapté au cinéma par Stanley Kubrick

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en 1968, ou des films plus récents, tel Avatar, de James Cameron, en 2009, l’illustrent. Ces œuvres évoquent souvent les difficultés de la vie dans l’espace, dues à l’absence de pesanteur et à un séjour prolongé dans un espace confiné, sans contacts ou presque avec le monde extérieur. Malgré le ralentissement de la conquête de l’espace par des astronautes, l’Agence spatiale européenne (Esa) et l’Agence spatiale américaine (Nasa) maintiennent des projets d’exploration de Mars ou de retour sur la Lune, fortement motivés par le succès des sondes robotisées martiennes. Or l’une des grandes questions est de savoir comment préparer l’homme physiquement et psychologiquement à des explorations de longue durée dans un milieu – l’espace – particulièrement hostile. Dès les premiers vols, dans les années 1960, les scientifiques se sont intéressés aux conséquences d’un séjour dans l’espace sur le corps humain. Ces études ont suivi de près les programmes spatiaux russes et américains. Nos connaissances des problèmes liés à la présence de l’homme dans l’espace ont progressé, mais il reste beaucoup


© Chris Malbon

Le cerveau, interdit de voyage spatial CHARLES LIMOLI Thema / Titre thema


Des expériences sur des souris montrent que le rayonnement cosmique détruit des connexions neuronales et dégrade les performances cognitives. Un obstacle plus sérieux qu’on ne le pensait pour les voyages interplanétaires habités.

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epuis des millénaires, les hommes regardent le ciel et rêvent de voyager vers les étoiles. Maintenant que certains ont marché sur la Lune et vécu parfois plusieurs mois en orbite dans la Station spatiale internationale, il semble inévitable que nous tentions d’aller plus loin : Mars, le reste du Système solaire, voire au-delà. Ce rêve est partagé par de nombreuses cultures et

occupe les agences spatiales de plusieurs nations. Et pourtant, nous savons que l’espace est un milieu hostile. Chaque fois que des astronautes quittent la Terre, ils sont confrontés à un froid extrême, à l’absence d’atmosphère, à la microgravité et à l’exposition au rayonnement cosmique. Ces dangers ont jusqu’à présent été considérés

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comme surmontables : essentiellement des problèmes que les ingénieurs font leur possible pour régler et des risques que les courageux voyageurs spatiaux acceptent de prendre. Mais plusieurs équipes, dont la mienne, ont montré récemment que les radiations dans l’espace pourraient être plus nocives que nous ne le pensions, en particulier pour le cerveau humain, un organe fragile et néanmoins essentiel. Les chercheurs suspectaient depuis des décennies un tel impact, mais ce n’est que depuis peu que nous avons des indices concrets donnant toute la mesure des effets des rayons cosmiques sur le cerveau. En soumettant des souris à un rayonnement comparable à celui auquel s’exposent les astronautes dans l’espace, mes collègues et moi avons observé des troubles cognitifs importants et durables, qui se retrouveraient probablement chez les humains et compromettraient potentiellement le succès des missions spatiales. Si les astronautes de la Station spatiale internationale, qui est en orbite relativement basse (à environ 400 kilomètres d’altitude), sont dans une large mesure protégés par


EUGENE PARKER Thema / Titre thema

© sdecoret / Shutterstock

Comment protéger les voyageurs spatiaux ?


Les rayons cosmiques constituent un grave danger pour les voyageurs de l’espace. Plusieurs solutions ont été envisagées pour les protéger, mais à ce jour, aucune n’est vraiment convaincante.

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ans les films de science-fiction, les menaces les plus effrayantes planent sur les voyageurs de l’espace : pluies d’astéroïdes, créatures voraces ou croiseurs de guerre impériaux. En réalité, la menace la plus grave pour l’homme dans l’espace provient des agresseurs les plus petits et les plus évanescents qui soient : les rayons cosmiques, des particules subatomiques très énergétiques, qui traversent l’espace à des vitesses considérables.

Lors d’un long voyage interplanétaire, ces rayons cosmiques exposeraient les astronautes à de telles doses de rayonnement qu’ils provoqueraient des cancers. Si la plupart des défis techniques que pose l’aventure spatiale finiront certainement par être surmontés, les rayons cosmiques représentent un risque irréductible: ils pourraient tout simplement nous empêcher de visiter Mars… L’histoire des rayons cosmiques commence au début du XXe siècle, lorsque les

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physiciens notèrent que des appareils électriquement chargés tendent à se décharger lentement dans l’air : quelque chose ionise l’air et le rend conducteur de l’électricité. La radioactivité ambiante du sol fut d’abord soupçonnée, mais le physicien autrichien Victor Hess trancha la question en 1912 : des expériences réalisées à bord d’un ballon montrèrent que plus on s’élève, plus la décharge est importante. L’air est donc ionisé par un rayonnement qui vient de l’espace, d’où le nom de rayons cosmiques. Dès 1950, les physiciens se rendirent compte que le terme est impropre. Les rayons cosmiques ne sont pas des rayonnements mais des ions, essentiellement des protons et quelques noyaux atomiques légers, qui pénètrent dans la haute atmosphère à des vitesses proches de celle de la lumière (les processus à l’origine de l’accélération de ces particules commencent tout juste à être compris ; ils sont liés aux phénomènes cosmiques violents). Les expérimentateurs mirent bientôt les rayons cosmiques à profit pour explorer les phénomènes astronomiques. L’étude des variations de l’intensité du flux de rayons


S. THIERRY, M. KOMOROWSKI, A. GOLEMIS ET L. ANDRÉ-BOYET Thema / Titre thema

© NASA

Comment soigner dans l’espace


La santé des astronautes pose d’innombrables défis aux futures missions vers la Lune ou Mars, et même au tourisme spatial. L’enjeu : prévenir les risques médicaux et pouvoir intervenir en cas de force majeure.

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e 24 février 1997, à bord de la station orbitale russe Mir, un incendie se déclare lors d’une opération de maintenance d’un générateur d’oxygène. Une cartouche de perchlorate de lithium prend feu. À plus de 350 kilomètres d’altitude et en impesanteur, la situation est d’emblée critique. D’épaisses fumées mélangeant particules de combustion et boulettes de métal fondues flottent dans la station, exposant les astronautes à des risques de brûlures

graves ou une perte de connaissance par asphyxie. Les flammes menacent de percer les parois de la station et de dépressuriser l’habitacle, ce qui tuerait rapidement ses occupants. Les membres d’équipage enfilent en urgence leurs masques de protection respiratoire pour se prémunir des fumées toxiques, activent les extincteurs et parviennent à maîtriser l’incendie en quelques minutes sous le hurlement des alarmes. Seules quelques blessures légères

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sont à déplorer. Le pire est miraculeusement évité. Cet incident critique illustre trois des risques les plus redoutés à bord d’une station spatiale pour la survie des astronautes : le feu, la dépressurisation et la contamination de l’atmosphère de la station. Car, en cas de blessure grave d’un astronaute, les multiples contraintes entourant un vol spatial compliquent considérablement les possibilités de soins médicaux lourds en cours de mission. À l’image des marins qui entreprennent le tour du monde en solitaire, l’assistance et surtout l’évacuation médicale ne sont pas toujours envisageables. Il est dès lors impératif de prévenir les risques plutôt que de les subir et d’anticiper un grand nombre de scénarios et rendre l’équipage le plus autonome possible face aux différents imprévus de santé. Si l’orbite terrestre basse est occupée depuis plus de vingt ans par la Station spatiale internationale (ISS), récemment rejointe par la station chinoise, de nouvelles perspectives de présence humaine amènent à repenser la gestion du risque médical. Les vols touristiques, orbitaux ou suborbitaux, soulèvent


ROLAND LEHOUCQ ET JEAN-SÉBASTIEN STEYER Thema / Titre thema

© Igor Stepovik / Shutterstock

Cryogénie : un sommeil de glace


Pour traverser la Galaxie sans avoir à supporter de longs et ennuyeux voyages, rien n’égale le sommeil cryogénique. En refroidissant le corps, on en ralentit le métabolisme. Un principe qui a des applications médicales.

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’innombrables œuvres de fiction invoquent un procédé qui interrompt temporairement la vie avant de la relancer. Si la sorcière de Blanche Neige, publiée en 1812 par les frères Grimm, utilise plutôt la magie pour plonger l’héroïne dans le sommeil artificiel, les histoires plus récentes sont dans un registre plus technique. Ainsi, dans Star Wars: L’Empire contre-attaque (Irvin Kershner, 1980), Han Solo est congelé dans de la carbonite, un matériau fictif, avant d’être remis au chasseur de primes Boba Fett.

Afin de leur éviter l’ennui d’un interminable voyage interstellaire, les protagonistes de La Planète des singes (Franklin Schaffner, 1968), d’Alien (Ridley Scott, 1979) ou d’Avatar (James Cameron, 2009) sont eux aussi plongés en « animation suspendue », aussi nommée « stase » ou « sommeil cryogénique ». Comme le suggère cette dernière expression, il semble que, pour atteindre cet état, la température corporelle ait diminué au point que les fonctions métaboliques sont presque à l’arrêt.

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Le refroidissement est sans doute la technique la plus utilisée dans les œuvres de fiction. Hibernatus (1969), d’Édouard Molinaro, raconte l’histoire d’un individu congelé vivant et réanimé soixante-cinq ans après, situation que l’on retrouve dans l’album Le Savant fou, de Tardi (1977), où une poignée de scientifiques ramènent à la vie un pithécanthrope conservé dans une gangue de tourbe gelée provenant de Sibérie. La congélation permet une sorte de voyage dans le futur, comme dans le film Demolition Man (Marco Brambilla, 1993), où les criminels sont condamnés à une longue peine d’hibernation dans un cryopénitencier. Il est bien connu que le froid préserve les aliments en ralentissant les réactions chimiques de décomposition ainsi que l’activité et la prolifération de microorganismes. Mais peut-on utiliser cette technique sur un humain ? L’idée d’utiliser le froid pour induire une animation suspendue de l’organisme n’est pas récente. Ainsi, Hippocrate (460-370 avant notre ère) suggérait de placer les soldats blessés dans la neige pour les maintenir en vie. En outre,


Une nouvelle ère pour les vols spatiaux © SpaceX

ALEXANDRA WITZE Thema / Titre thema


La capsule « Crew Dragon », de SpaceX, est le premier vaisseau commercial à emmener des astronautes en orbite.

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e 30 mai 2020, les deux astronautes de la Nasa Robert Behnken et Douglas Hurley ont pris place dans la capsule Crew Dragon au sommet d’une fusée Falcon 9 de la société SpaceX pour décoller vers la Station spatiale internationale. Le lancement s’est déroulé sans encombre et 19 heures plus tard, la capsule s’est arrimée à la Station spatiale internationale (ISS).

Ce lancement est une première à plusieurs titres dans le domaine des vols spatiaux habités. C’est la première fois qu’une entreprise privée amène des hommes en orbite et la première fois que des astronautes décollent depuis le sol américain depuis que la Nasa a mis la navette spatiale hors service en 2011. Plus important encore, c’est la première fois en dix-sept ans que quelqu’un

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lance un nouveau type de vaisseau spatial pour transporter des hommes en orbite terrestre. « C’est une toute nouvelle façon d’envoyer des gens dans l’espace », déclare Robert Cabana, ancien astronaute de la Nasa, aujourd’hui directeur du Centre spatial Kennedy en Floride. Ce vol est l’aboutissement d’une stratégie de long terme de la Nasa d’abandonner le développement de ses propres lanceurs et de confier les vols habités vers la Station spatiale internationale à d’autres entreprises. Depuis 2011, la Nasa – comme toutes les autres agences spatiales – doit s’en remettre au lanceur russe Soyouz, conçu dans les années 1960, pour amener les astronautes en orbite. Mais avec ce vol réussi de SpaceX, l’agence américaine va pouvoir commencer à utiliser le lanceur Falcon 9 et la capsule Crew Dragon pour envoyer ses hommes vers l’ISS, et les ramener sur Terre. La société SpaceX est à l’avant-garde des vols spatiaux privés, et transporte du fret vers et depuis l’ISS depuis 2012. C’est la première des deux entreprises choisies par la Nasa pour effectuer un vol d’essai habité. Elle a pris une longueur d’avance


ADAM MANN Thema / Titre thema

© P. Carril, Agence spatiale européenne

La ruée vers la Lune


Une nouvelle course vers le satellite naturel de la Terre va commencer. États et sociétés privées sont dans les « starting-blocks ». Objectif : s’approprier les zones stratégiques en profitant des failles dans les lois internationales.

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’est sur un écran noir et blanc aux images bruitées que s’est joué l’un des plus vieux souvenirs de Bob Richards : un module lunaire, des combinaisons spatiales, et les premiers pas historiques des astronautes Neil Armstrong et Buzz Aldrin à la surface de la Lune. Jeune enfant à l’époque, l’entrepreneur se souvient très bien qu’il était assis dans le salon familial à Toronto alors que son père s’escrimait

avec l’antenne de la télé pour améliorer la qualité de l’image. « Apollo 11 a été un événement clé dans l’histoire de l’humanité, » raconte le fondateur de Moon Express, une société dont l’objectif est de développer un moyen de transport vers la Lune et éventuellement d’y installer des exploitations minières. « L’inspiration instillée par Apollo est encore très présente dans tous les projets spatiaux actuels. »

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Dans les années 1960, on pensait que la conquête de l’espace n’était qu’une question de temps ; l’humanité quitterait bientôt son berceau terrestre pour explorer l’Univers. Ce rêve a pris plus de temps que prévu, mais l’heure pourrait bientôt sonner. Une poignée de nations, mais aussi des sociétés privées, ont planifié des missions pour retourner sur la Lune dans un futur proche… Une situation mûre pour engendrer des conflits. À peine deux ans avant Apollo 11, afin d’éviter de telles crises, les États-Unis, l’Union soviétique et le Royaume-Uni ont signé le traité de l’espace (il compte aujourd’hui 107 signataires). Cet accord stipule que l’exploration spatiale doit se faire de façon pacifique et pour le bénéfice de l’ensemble des nations. Il indique aussi que personne ne peut s’approprier un territoire sur un corps céleste. Mais dans les dernières parties du traité se cache une faille : deux « clauses de non-interférence » qui demandent aux signataires de ne pas détruire ni endommager les véhicules ou bases d’autrui, par exemple en atterrissant sur une structure déjà présente. Si cette


DAMON LANDAU et NATHAN STRANGE Thema / Titre thema

© Gorodenkoff / Shutterstock

En route vers Mars


Le programme spatial habité pourrait s’inspirer de l’exploration planétaire robotisée pour transporter des astronautes vers des astéroïdes, puis vers Mars, rapidement et à faible coût.

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n octobre 2009, un petit groupe de spécialistes de l’exploration spatiale robotisée, dont nous faisions partie, a décidé de s’aventurer hors des sentiers battus en imaginant différentes approches pour envoyer des hommes dans l’espace. Cette initiative était motivée par les conclusions de la commission Augustine, un comité d’experts mis en place par le président Barack Obama pour faire le point sur les projets à venir. La commission avait conclu que le programme américain de vols habités

était dans une impasse. Nous avons voulu déterminer si le programme d’exploration robotisée, allant de Mercure aux confins du Système solaire, pouvait apporter des solutions techniques à certains des défis politiques et budgétaires auxquels la Nasa était confrontée. Nous avons imaginé utiliser des moteurs ioniques pour acheminer les composants d’une base lunaire ; fournir de l’énergie à distance aux rovers, des véhicules robotisés envoyés sur la lune

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martienne Phobos ; placer à l’avance des fusées d’appoint chimiques le long d’une trajectoire interplanétaire, afin que les astronautes puissent les récupérer en chemin ; remplacer les combinaisons spatiales par des capsules d’exploration similaires à celles du film 2001, l’Odyssée de l’espace. Par exemple, nous avons calculé que la propulsion électrique (par un moteur ionique ou des techniques apparentées) réduirait considérablement la masse du vaisseau pour les missions habitées vers des astéroïdes et vers Mars. C’était comme un retour à l’effervescence qui régnait à la Nasa dans les années 1960 ! Pendant six mois, nous avons rencontré des spécialistes qui s’intéressaient à notre approche, et nous nous sommes renseignés sur les expériences conduites par la Nasa : des essais de moteurs électriques aux panneaux solaires légers à haut rendement. Nous avons combiné les propositions les plus prometteuses avec des stratégies éprouvées pour développer un projet visant à envoyer dès 2024 des astronautes sur un astéroïde. Cette approche découpe la tâche


JEAN-MICHEL COURTY ET ÉDOUARD KIERLIK Thema / Titre thema

© Illustrations de Bruno Vacaro

Quelle est la meilleure route vers Mars ?


Comment choisir les trajectoires des sondes spatiales de telle façon que les moteurs-fusées consomment le moins possible de carburant ?

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ianwen-1, Hope, Mars 2020… Le point commun à tous ces noms ? Il s’agit de missions spatiales à destination de Mars dont le lancement est prévu entre la mi-juillet et le début d’août 2020. Une accumulation temporelle qui n’est pas fortuite : ces missions profitent d’une fenêtre de lancement vers la Planète rouge qui ne s’ouvre que tous les 26 mois. Toutes ces sondes spatiales suivront la même trajectoire, grosso modo une demi-ellipse. Pourquoi cette fenêtre ? Et quelles trajectoires ces engins empruntent-ils ? Les lois de la mécanique permettent de répondre.

Comment, dans le Système solaire, modifier une trajectoire régie exclusivement par l’attraction gravitationnelle du Soleil et des autres planètes ? Pour ce faire, il faut exercer une force. Or dans le vide spatial, il n’y a ni sol terrestre sur lequel prendre appui, ni eau sur laquelle flotter, ni air pour se faire porter. Si l’on exclut l’utilisation de la lumière du Soleil comme le font les voiles solaires, la seule possibilité qui reste est le principe de l’action et de la réaction. Lorsqu’un système physique éjecte une masse vers l’arrière, la conservation de la quantité de mouvement (le produit de la

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masse par la vitesse) implique que le reste du système est propulsé vers l’avant. En pratique, pour les moteurs-fusées, la force propulsive résultant de cette éjection est le produit du débit de masse par la vitesse d’éjection. Cela a deux conséquences. D’une part, cette force ne dépend pas de la vitesse déjà acquise par la fusée ; autrement dit, il n’est pas de plus en plus difficile d’accélérer (contrairement au cas d’une voiture !). D’autre part, les moteurs à combustion chimique utilisés pour les sondes interplanétaires ne peuvent fonctionner en continu, compte tenu des petites quantités de carburant embarquées et des débits massiques requis pour accélérer convenablement. Une fois la sonde spatiale libérée de l’attraction terrestre, à l’échelle de la durée et des distances d’une mission vers Mars, tout se passe comme si le fonctionnement des moteurs se limitait à quelques brefs instants et provoquait une variation de vitesse instantanée. On parle alors d’« incrément » de vitesse de la sonde en un point de sa trajectoire. Comment dans ces conditions aller sur Mars ? Pour simplifier, une fois la sonde


ANN FINKBEINER Thema / Titre thema

© Chris Wren, Mondolithic Studios

Cap sur Alpha du Centaure


Un projet fou : propulser par laser des sortes de petits voiliers vers une autre étoile que le Soleil. En finançant le projet « Starshot », le milliardaire russe Youri Milner va-t-il réaliser un vieux rêve de l’humanité ?

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u printemps 2016, j’étais à une soirée en compagnie du brillant physicien et mathématicien Freeman Dyson, alors âgé de 92 ans et professeur émérite à l’Institut d’études avancées de Princeton, aux États-Unis. Il a la réputation d’avoir un franc-parler et de toujours vous surprendre, alors je lui ai demandé quelles étaient les nouvelles. Il a souri de façon énigmatique et a répondu : « Apparemment, nous allons rendre visite à Alpha du Centaure. » Cette étoile est l’une des plus proches voisines du Soleil et un milliardaire russe

avait récemment annoncé qu’il voulait financer un projet nommé Breakthrough Starshot pour y envoyer un vaisseau spatial d’un type nouveau. « Et c’est une bonne idée ? », ai-je demandé. Le sourire de Freeman Dyson s’est élargi : « Non, c’est idiot. Mais le vaisseau est intéressant. » Son principe est effectivement séduisant. Au lieu de l’habituelle fusée propulsée par des réactions chimiques et assez grande pour transporter des humains ou des instruments lourds, Starshot est un essaim de minuscules puces électroniques

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polyvalentes, dénommées StarChips, munies chacune d’une « voile solaire ». La voile sera tellement légère que, poussée par un faisceau laser, elle atteindra jusqu’à 20% de la vitesse de la lumière. Alpha du Centaure étant distante de 4,37 années-lumière, la plus rapide des fusées pourrait mettre, selon sa masse, 30 000 ans à l’atteindre ; une puce StarChip ferait le voyage en vingt ans. À leur arrivée, les puces ne s’arrêteront pas et croiseront en quelques minutes l’étoile et ses éventuelles planètes. Au passage, elles prendront des clichés qui mettront 4,37 années à nous parvenir. L’aspect « idiot » de la mission Starshot, c’est que son intérêt scientifique est très limité. Les informations que les astronomes souhaitent obtenir sur les étoiles ne sont pas du genre de celles que l’on peut saisir en un rapide survol. Et comme personne ne sait si Alpha du Centaure est accompagnée de planètes, Starshot ne peut même pas promettre de gros plans sur des planètes extrasolaires. « Nous n’avons pas vraiment réfléchi à l’aspect scientifique », admet l’astrophysicien Ed Turner, de l’université de Princeton et membre


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