Le secret des
COUPLES
qui durent
Attachement LES ÉMOTIONS AU SECOURS DU COUPLE
Infidélité COMMENT TOURNER LA PAGE
Évolution À QUOI SERT LA MONOGAMIE ?
ÉDITO
COMMENT PRENDRE SOIN DE SON COUPLE
A
Philippe Ribeau
Responsable éditorial web
vec nos couples qui durent parfois une vie entière, nous faisons partie des exceptions parmi les mammifères : moins de 10 % d’entre eux sont monogames. Ce comportement apparu il y a environ un million d’années aurait favorisé la survie de l’espèce, notamment en augmentant l’investissement des pères dans les soins apportés aux petits. Encore faut-il trouver le bon partenaire. Et contrairement à ce que laissent croire les histoires romanesques où l’amour triomphe des différences, nous nous mettons en fait en couple avec des gens qui nous ressemblent physiquement, intellectuellement et socialement. Mais l’homogamie est-elle LE secret qui fait durer les couples ? Non. Les psychologues ont identifié plusieurs autres facteurs, au premier rang desquels l’importance de témoigner de la gratitude envers son conjoint et de se monter amical envers lui. Un atout pour éviter la « déconnexion émotionnelle », la distance qui s’installe insidieusement au fil du temps, bien souvent parce que les petits désagréments que l’on occultait au début se révèlent insupportables au fil des années. Au point que parfois l’un des partenaires se met à ignorer l’autre au lieu de retisser les liens. Or ces comportements sont souvent hérités de l’enfance. Un « attachement sécure » – développé dans l’enfance quand on a reçu suffisamment d’attention de la part de ses parents – favorise des relations amoureuses épanouies. À l’inverse, un attachement insécure – qui concernerait 43 % des adultes – s’accompagne souvent d’un manque de confiance en l’autre et en soi, qui complique la vie de couple. Il existe heureusement des solutions pour surmonter ces écueils. Des thérapies centrées sur les émotions notamment permettent aujourd’hui de modifier son type d’attachement, et par conséquent d’améliorer ses relations amoureuses. Mais si en fin de compte votre couple ne tient pas, ne désespérez pas : des études suggèrent que les personnes ayant vécu seules ou avec plusieurs partenaires au cours de leur vie ne sont au final pas moins heureuses que les personnes ayant vécu en couple !
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SOMMAIRE
P/4/ P/4/QUI SE RESSEMBLE S’ASSEMBLE ! SYLVIE CHOKRON P/9/ P/9/SOMMES-NOUS FAITS POUR PASSER NOTRE VIE AVEC LA MÊME PERSONNE ? BLAKE EDGAR
P/18/ P/18/LES SECRETS DES COUPLES QUI DURENT NICOLAS GUÉGUEN P/24/COUPLE : L’IMPORTANT P/24/ EST D’ANALYSER SES PROPRES VULNÉRABILITÉS ENTRETIEN AVEC JOËLLE DARWICHE
P/32/LE MYTHE DU DÉSIR SPONTANÉ P/32/ YVES-ALEXANDRE THALMANN
P/18
P/36/ P/36/COMMENT RENOUER LE LIEN SUE JOHNSON P/47/L’AMOUR FAIT-IL LE BONHEUR ? P/47/ BÉNÉDICTE SALTHUN-LASSALLE
P/53
P/50/ P/50/PEUT-ON S’ÉPANOUIR DANS L’AMOUR LIBRE ? GUILLAUME JACQUEMONT P/53/MENSONGES ET TRAHISON : P/53/ COMMENT TOURNER LA PAGE LISA LETESSIER
P/64/ P/64/RUPTURE AMOUREUSE : QUELS EFFETS SUR LE CERVEAU ? XIAOMENG XU P/47
P/64
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P/67/LE DIVORCE EST-IL HÉRÉDITAIRE ? P/67/ GUILLAUME JACQUEMONT
SYLVIE CHOKRON
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Qui se ressemble s’assemble !
La ressemblance physique et intellectuelle serait-elle une clé de l’amour durable ? Oui, pensent les psychologues, qui en cherchent la raison dans la petite enfance.
S
i on vous interroge sur le choix de votre amoureux ou votre amoureuse, peutêtre répondrez-vous que vous l’avez choisi(e) pour son intelligence, son humour, ses valeurs morales ou encore sa bienveillance. Ou, pourquoi pas, pour son physique. Mais si c’était beaucoup plus simple encore que cela ? En effet, une autre raison, suggérée par des recherches ces dernières années, guiderait nos choix amoureux : le degré de ressemblance avec notre partenaire. Dès lors, le fameux adage « qui se ressemble s’assemble » aurait-il un fondement cérébral ? Se pourrait-il qu’à notre insu nous fassions souvent le choix de passer des années, voire notre vie entière avec notre double ?
Le terme scientifique pour décrire ce phénomène est « homogamie » ou « homophilie ». Il désigne notre tendance à rechercher un autre qui nous soit similaire. Car dans les faits, les partenaires amoureux ont tendance à se ressembler – non seulement physiquement, mais aussi moralement, voire sur un plan physiologique ou lié à l’origine sociologique. Depuis quelques années, plusieurs équipes ont tenté de percer le mystère de cette recherche d’un autre soi-même. De fait, on ne compte plus les études scientifiques montrant que les couples qui durent ont tendance à se ressembler. La liste des points communs entre les partenaires
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amoureux qui passent un certain nombre d’années ensemble est longue, puisque des similarités sont notées non seulement du point de vue de la taille ou du poids, mais également de la santé physique et mentale, du régime alimentaire, de l’âge, de l’éducation, des aptitudes manuelles, du niveau intellectuel, des caractéristiques psychologiques, de la personnalité, des attitudes, des valeurs morales, de la croyance religieuse, de la classe sociale, de l’origine ethnique, du style de vie et de nombreux autres traits qui seraient trop longs à citer ici !
Couples de clones Mais pourquoi sommes-nous attirés par ceux ou celles qui nous ressemblent ? Tout d’abord, l’homogamie pourrait être la conséquence d’une préférence pour les personnes qui partagent des similarités phénotypiques, c’est-à-dire une apparence physique similaire. Mais à la lecture de ces travaux une autre question émerge : choisissons-nous d’emblée un partenaire qui nous ressemble ou bien finissons-nous au fil du temps à ressembler à notre partenaire, par une sorte de mimétisme ?
Sommes-nous faits pour passer notre vie avec la même personne ? Thema / Le secret des couples qui durent
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BLAKE EDGAR
Avec nos amours qui durent parfois une vie entière, nous sommes une exception parmi les mammifères. Et peut-être est-ce la clé de notre succès évolutif…
parcours de notre espèce et aurait constitué une étape cruciale dans le processus de développement de nos ancêtres. Le couple serait même devenu l’un des piliers des systèmes sociaux humains et l’une des clés de notre succès.
L’ardipithèque, déjà en couple ?
D
ans les faits, la monogamie des humains est loin d’être parfaite : ceux-ci ont des aventures extraconjugales, divorcent et, dans certaines cultures, sont mariés à plusieurs personnes à la fois. Cependant, même là où elle est autorisée, la polygamie ne concerne qu’une minorité d’individus. En général, l’organisation sociale repose sur l’hypothèse que la plupart des individus formeront des couples durables et entretiendront des liens exclusifs sur le plan sexuel. Ce qui est une exception dans le règne vivant.
En effet, parmi les mammifères, moins de 10 % des espèces vivent exclusivement en couple. Ce mode d’existence est un peu plus courant chez les primates, où 15 à 30 % des espèces y ont recours. Cependant, très peu d’entre elles pratiquent la monogamie au sens strict où nous l’entendons habituellement – sous forme d’un partenariat sexuel exclusif entre deux individus. Comment ce comportement est-il alors apparu dans la lignée humaine ? Selon les spécialistes de l’évolution, la monogamie serait un héritage du long
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Selon Owen Lovejoy, de l’université d’État du Kent, aux États-Unis, l’étude des fossiles d’hominidés indique que la monogamie serait antérieure à Ardipithecus ramidus, une espèce connue depuis la découverte, près de la rivière Awash, en Éthiopie, d’une partie de squelette féminin datant de 4,4 millions d’années, et surnommée Ardi. Peu après que notre lignée s’est séparée de celle des grands singes, il y a plus de 7 millions d’années, nos prédécesseurs auraient adopté trois nouveaux comportements : transporter de la nourriture dans leurs bras (désormais libérés grâce à la bipédie), former des couples permanents et dissimuler les signes extérieurs de l’ovulation féminine. Ces innovations auraient, avec l’évolution, conduit au stade suivant de la lignée humaine, celui des hominines.
NICOLAS GUÉGUEN
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Les secrets des couples qui durent
Thema / Le secret des couples qui durent
Envie de donner un maximum de chances à votre couple ? Voici les bonnes pratiques observées par les psychologues chez les champions du bonheur marital.
P
eut-être filez-vous le parfait amour avec votre conjoint. Ou bien pensez-vous que vous avez trouvé la bonne personne, mais que le quotidien est malgré tout difficile à gérer : les tâches ménagères sont sources de conflit, vous n’êtes jamais d’accord sur le programme de la soirée, ça coince avec votre belle-famille… Alors, comment maximiser les chances que votre couple tienne et s’épanouisse malgré tout ? En la matière, les statistiques ne sont pas très claires. Elles révèlent que chacun ou presque a l’espoir d’un amour qui dure : selon l’Insee, on comptait en France environ 190 000 pacs et 230 000 mariages – un toutes les 2,3 minutes – pour la seule année 2016. Mais elles montrent aussi
que près de 47 % des mariages finissent par un divorce. Étant donné l’importance centrale du couple dans notre vie, les chercheurs en psychologie ne pouvaient que s’y intéresser. Ils ont donc passé au crible les amours qui durent… et les autres. En mettant parfois les amoureux dans une IRM pour observer le fonctionnement de leur cerveau.
LA FORCE DE LA ROUTINE, OU BIEN CELLE DE L’AMOUR ? Leur premier constat ravira les plus romantiques. On pourrait craindre que si les couples durent, c’est parce qu’une routine s’instaure : après des années de vie commune, on a pris ses petites habitudes
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et il est difficile d’en changer… Mais les résultats obtenus par Daniel O’Leary et ses collègues de l’université Stony Brook, dans l’État de New York, dressent un tout autre tableau. À l’aide d’une enquête auprès de plusieurs centaines d’individus, les chercheurs ont montré que 84 % des personnes mariées depuis plus de 10 ans se déclarent très amoureuses, voire plus – c’est-à-dire qu’elles cochent l’une des trois premières cases de l’échelle de mesure utilisée (« intensément amoureux », « très très amoureux » ou « très amoureux »). Plus de 40 % d’entre elles choisissent la valeur maximale. Ce sentiment reste intense, même après 30 ans de mariage. Dans la grande majorité des cas, les gens ne restent donc pas ensemble sans un amour fort – du moins dans les sociétés où le divorce est largement accepté, comme aux États-Unis, où cette étude a été réalisée.
LE CERVEAU AMOUREUX OBSERVÉ À L’IRM C’est au point que la simple vue de l’autre procure un plaisir détectable par imagerie cérébrale. Bianca Acevedo,
ENTRETIEN AVEC JOËLLE DARWICHE Thema / Le secret des couples qui durent
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Couple : l’important est d’analyser ses propres vulnérabilités
Que faire quand votre couple ne fonctionne plus ? Les thérapies de couple peuvent apporter des réponses. Explications de Joëlle Darwiche, responsable du Centre de recherche sur la famille et le développement à l’université de Lausanne.
les enfants sont en cause. Dès l’instant où la relation fonctionne mal, tout sujet peut devenir source de conflit… Pourquoi ces problèmes sont-ils « cachés » au début de la relation ? Quand les personnes se rencontrent, l’excitation de la rencontre et l’attraction physique font que l’on cherche à minimiser,
Quels sont les principaux motifs de désaccord et de dispute dans le couple ? On observe différents types de conflits qui vont des toutes petites choses aux plus grandes. Évidemment les désaccords sur les visions fondatrices, comme la religion ou la politique, sont généralement un handicap pour aller plus loin dans une union. Mais certains aspects plus anodins de la vie quotidienne risquent aussi devenir problématiques avec la durée. C’est la façon dont
l’autre se révèle dans les relations du couple avec leurs amis, dans la gestion du temps professionnel et du temps privé, l’hygiène, le mode de communication au quotidien, les habitudes alimentaires… Par ailleurs, lorsque le couple a des enfants, alors même que les principes de départ semblaient en phase, les conceptions commencent à diverger dans la pratique. La découverte de ces désaccords active parfois des dynamiques qui n’étaient pas apparentes, comme les valeurs religieuses qui semblaient correspondre mais qui ne collent plus quand
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voire ignorer, ces différences pour sauvegarder ce nouveau lien. Les jeunes couples sont attentifs à ne pas mettre sur la table ce qui fâche. Au fur et à mesure, deux phénomènes antagonistes interviennent alors souvent : d’un côté, l’attachement et la construction d’un lien de confiance et de complicité, de l’autre… L’énervement pour ces petites choses que l’on n’avait pas vues au départ, et qui risquent tout faire capoter. Les manières de parler, de bouger, de réagir en société, de gérer les affaires quotidiennes, peuvent devenir autant de points d’achoppement. Qu’est-ce qui va permettre au couple de surmonter ces difficultés ? À la fois le passé personnel des partenaires, la qualité de leur relation et leur
YVES-ALEXANDRE THALMANN Thema / Le secret des couples qui durent
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Le mythe du désir spontané
On croit souvent que le désir doit éclore de lui-même, grâce à des étincelles nommées climat d’amour sincère, communication bienveillante et romantisme. Si c’était une erreur ?
«
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ne femme qui dit qu’elle n’a pas envie est une femme paresseuse. » La phrase est lâchée devant un auditoire littéralement médusé. Nous sommes en pleine formation continue portant sur les relations affectives et la sexualité. Autour de moi, d’autres psychologues, des conseillers conjugaux, des thérapeutes de couple, des psychiatres. Et face à nous, notre formatrice. Vous l’aurez compris, jamais un homme n’aurait pu prononcer une telle maxime. Il se serait illico fait accuser de sexisme et aurait été cloué au pilori de la bien-pensance, son nom sali avec les autres « porcs » balancés en pâture sur les réseaux sociaux.
Il en faut plus pour décontenancer notre formatrice. Il faut dire qu’elle s’y connaît, puisqu’elle vient d’être propulsée au firmament du succès avec son ouvrage L’Intelligence érotique (dont le titre original en dit sans doute un peu plus long : Mating in Captivity, littéralement : « s’accoupler en captivité »). Il s’agit d’Esther Perel, une psychothérapeute belge exerçant maintenant à New York et parcourant le monde pour diffuser son analyse.
Les ressorts cachés du désir Avec elle, les idées reçues volent en éclat. Ce jour-là, elle n’est pas au mieux de sa forme, un méchant refroidissement
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drainant une part de son énergie. Mais quelle vitalité ! Quelle fougue ! Quelle pertinence dans ses propos impertinents ! « Vous croyez que c’est le stress et la fatigue du quotidien qui amenuisent le désir sexuel ! Ce n’est pas ce que j’observe chez mes patientes. Comment expliquer qu’une femme tellement épuisée de jongler entre sa vie professionnelle, son rôle de maman et le poids de sa charge mentale pour les soucis du quotidien, au point d’avoir perdu le désir pour son conjoint, soit soudainement prête à rouler plus de 100 kilomètres aller-retour pour retrouver son nouvel amant ? Et qu’avec lui, la passion et l’ardeur soient au rendez-vous : finis la fatigue et les soucis… » Cela donne en effet à réfléchir. Le mot d’ordre d’Esther Perel est que l’on n’est que rarement fatigué de la sexualité. Ce qui arrive beaucoup plus fréquemment, c’est que l’on soit fatigué de la sexualité que l’on a. Ou plus précisément encore, de celle que l’on croit pouvoir avoir. La nuance est de taille : combien de messieurs recourent-ils aux services de prostituées pour des pratiques qu’ils n’osent pas proposer à leur compagne légitime ?
SUE JOHNSON Thema / Le secret des couples qui durent
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Comment renouer le lien
Dans le couple, la distance se crée parfois avec le temps. Pourquoi l’un se retire-t-il, tandis que l’autre veut à tout prix recréer de la proximité ? Ces comportements sont souvent hérités de l’enfance : en prendre conscience aide à recréer une intimité épanouie.
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i vous avez un bras cassé, vous ferez confiance à votre médecin pour le réparer. De même, si vous avez un problème de tension artérielle : vous croirez sans peine que quelques médicaments vous aideront à le résoudre. Mais en amour, c’est différent. « Je pense que personne n’a jamais eu les idées très claires là-dessus, et vous non plus », me confiait un jeune homme avec qui j’ai travaillé. Poètes, philosophes et psychologues ont d’ailleurs longtemps considéré l’amour comme intangible, nébuleux, impossible à définir. Comment quelqu’un pourrait-il
donner des conseils sur des histoires de cœur, par essence énigmatiques ? Dans mon expérience de chercheuse et de thérapeute de couple, j’ai rencontré beaucoup, beaucoup de gens qui essayaient d’y voir un peu plus clair. « Je ne sais pas ce qui a mal tourné dans ma relation… et je n’ai aucune idée de la façon de la réparer. » Combien de fois ai-je entendu cette phrase ! En fait, il existe des moyens réels, validés par la recherche, pour aider les gens à comprendre et à renforcer l’amour. Depuis plusieurs décennies, les connaissances
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scientifiques accumulées sur l’attachement provoquent une révolution tranquille. Nous savons, par exemple, que les schémas comportementaux appris dans l’enfance constituent un modèle pour nos relations à l’âge adulte. À un niveau plus profond, nous avons montré que l’amour et l’affection ont des effets mesurables sur notre corps et notre santé. Plus intéressant encore, nous avons étudié les moyens de guider les couples vers des relations plus saines. Et nous avons ainsi mis au point des outils concrets : dans mon propre travail, j’ai élaboré et testé une approche thérapeutique très efficace pour consolider les relations amoureuses. En un sens, la science de l’attachement, qui s’intéressait autrefois aux liens entre mère et enfant, a progressé au point de découvrir une myriade de puissants facteurs influençant le bonheur dans le couple. Ces connaissances sont précieuses. Les sondages qui se succèdent confirment la place majeure de l’amour dans notre vie. À l’instar du psychiatre Robert Waldinger, de l’école de médecine de Harvard, qui étudie le bonheur, beaucoup d’entre nous
BÉNÉDICTE SALTHUN-LASSALLE Thema / Le secret des couples qui durent
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L’amour fait-il le bonheur ?
Sur toute la durée d’une vie, rester marié(e) à la même personne ne rendrait pas beaucoup plus heureux que d’avoir vécu seul(e) ou connu plusieurs relations.
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arié(e), en couple, célibataire, divorcé(e), veuf(ve) ou adepte des relations qui s’enchaînent : qui est le plus heureux au cours de sa vie ? Contrairement à ce que l’on a longtemps cru, il n’existe pas de grandes différences de bien-être entre ces statuts, selon l’étude récente de Mariah Purol, de l’université d’État du Michigan, aux États-Unis, et de ses collègues. Différentes études antérieures ont révélé que les personnes mariées ou qui vivent en couple, sont en moyenne plus heureuses que les individus célibataires, divorcés ou veufs, et présenteraient un
bien-être global supérieur, avec des effets bénéfiques sur leur santé physique et mentale (moins de stress, d’anxiété, de symptômes dépressifs et de troubles mentaux). Une raison en est que la perte de l’être aimé s’accompagne souvent de difficultés, et donc de stress, et que le fait d’être seul, après une séparation, un décès ou parce qu’on n’a jamais été en couple, réduit les contacts sociaux. La vie à deux aurait donc nombre d’avantages ? Mais, la plupart du temps, ces travaux ont recueilli les ressentis des gens à un moment donné de leur vie ou sur des périodes très courtes.
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C’est pourquoi Purol et ses collègues ont analysé le bien-être global de 7 532 personnes entre leur 18 et 60 ans et selon leur statut marital, grâce à l’étude Panel Study of Income Dynamics (PSID) lancée en 1968, en leur posant essentiellement une question à différentes périodes de leur vie : « Pensez à votre vie dans son ensemble. Êtes-vous satisfait ? » Les réponses allant de 5, complètement satisfait, à 1, pas du tout satisfait. Ainsi, trois parcours de vie caractérisent la plupart des participants : 79 % des sujets ont été mariés presque tout le temps à une même personne durant la majorité de leur vie ; 8 % ont presque toujours été célibataires ; 13 % ont connu diverses situations, de célibat, de divorce, de remariage ou de veuvage. Les personnes des deux derniers groupes déclarent des niveaux de bonheur comparables, avec un score de 3,82 sur 5 pour les célibataires et de 3,7 sur 5 pour ceux ayant des antécédents variés. Donc ceux qui ont aimé et perdu leur partenaire sont tout aussi heureux que ceux qui n’ont jamais aimé. Et en moyenne, les gens n’ayant connu qu’un mariage toute leur vie semblent un peu plus heureux, avec un score de 4 sur 5.
GUILLAUME JACQUEMONT Thema / Le secret des couples qui durent
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Peut-on s’épanouir dans l’amour libre ?
Les personnes engagées dans un couple « ouvert », où les deux partenaires s’autorisent mutuellement quelques incartades sexuelles ou romantiques, seraient aussi satisfaites de leur relation que les autres.
E
nviron 4 % des Américains seraient engagés dans des relations amoureuses « ouvertes », où les partenaires s’autorisent mutuellement d’autres histoires sexuelles et romantiques. Pour la psychologue canadienne Jessica Wood, « les gens attendent plus de leurs partenaires aujourd’hui qu’à aucun moment du passé récent : l’amour, l’excitation sexuelle, un soutien social et financier… » D’où une forte pression sur le couple ! C’est ce qui pousserait certains à
4 % des américains
seraient engagés dans des relations amoureuses ouvertes
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se tourner vers des modèles plus ouverts. Mais s’y épanouissent-ils ? Pour le savoir, la psychologue et ses collègues des universités de New York et de Guelph, au Canada, ont interrogé 142 adeptes de ce mode de vie, qui avaient un partenaire «principal» – ou tout du moins envers lequel ils se sentaient engagés – et s’autorisaient quelques incartades. Les chercheurs ont utilisé un questionnaire évaluant divers paramètres, comme la qualité de la communication ou le bonheur trouvé dans la relation. Ils ont ensuite comparé les réponses de leur panel à celles de 206 personnes «monogames». Et les résultats n’ont montré aucune différence moyenne de satisfaction quant à leur relation. Un constat qui va à l’encontre de certaines idées reçues, selon Jessica Wood, pour qui les partisans de l’amour libre sont souvent stigmatisés et leurs relations considérées comme délétères. Alors, pas de loi universelle en matière d’amour ? Peut-être que si, mais elle ne résiderait pas dans l’exclusivité. Les chercheurs ont aussi évalué les motivations des participants à s’engager dans une relation sexuelle, et montré qu’elles leur apportent
LISA LETESSIER
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Mensonges et trahison : comment tourner la page
Colère, tristesse, confusion… La découverte d’une dissimulation majeure, comme une infidélité, plonge souvent dans un tourbillon émotionnel douloureux. Les conseils d’une experte pour surmonter cette épreuve.
«J
e suis passée à autre chose », me confie Sophia lors d’une consultation. Pourtant, elle souffre de troubles somatiques, comme des maux de tête ou de ventre, et s’énerve contre Nicolas, son compagnon, à la moindre occasion. Après avoir surpris une conversation téléphonique en rentrant chez elle, elle a découvert qu’il avait une liaison. Des semaines d’excuses et d’efforts ont permis de rabibocher le couple, mais, quoi qu’en dise Sophia, il reste des séquelles…
L’infidélité est loin d’être la seule « dissimulation » qui met le couple à l’épreuve. Dans une enquête en ligne que j’ai effectuée récemment, les sondés devaient indiquer les mensonges qui entamaient le plus le lien de confiance. Outre l’adultère, ils ont jugé particulièrement grave de mentir sur ses sentiments ou ses intentions (par exemple en affirmant être sûr de vouloir s’engager alors qu’on en est pleine hésitation). Autres mensonges peu appréciés : ceux qui concernent la santé, la situation professionnelle, le
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compte en banque, ou le fait de rester en contact avec son ex. À cela s’ajoutent les petits mensonges du quotidien, même s’ils sont jugés bien moins dommageables que le reste. Notez que sur 189 personnes qui ont ouvert mon enquête, plus du quart ont abandonné dès la première question (portant sur la fréquence du mensonge). Ce qui en dit long sur le malaise qu’entraîne ce sujet dans le couple… Si vous avez vous-même été victime d’un mensonge important, vous savez probablement quel tourbillon émotionnel cela entraîne. Faut-il pour autant tout envoyer promener ? Pas forcément. Chez bien des couples qui viennent me consulter, il reste beaucoup d’amour. Voici donc quelques clés pour traverser cette épreuve et prendre les bonnes décisions.
Une pratique très courante Tout d’abord, les mensonges dans le couple sont très courants. D’après la psychologue Claudine Biland, qui se fonde sur plusieurs études, on note 1 mensonge toutes les 10 interactions dans un couple qui vit ensemble depuis un moment (une
quels effets sur le cerveau ? XIAOMENG XU Thema / Le secret des couples qui durent
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Rupture amoureuse :
Des études de neuro-imagerie suggèrent qu’être rejeté, même par un étranger, s’apparente à une douleur physique.
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vez-vous déjà eu l’impression de ne plus vous reconnaître après une rupture amoureuse ? Vous passiez votre temps à penser à votre ex-partenaire, à visiter son profil Facebook, à vous demander ce qui était allé de travers ? Des changements dans l’activité de votre cerveau pourraient être en cause . Des études de neuro-imagerie suggèrent ainsi qu’être rejeté, même par un étranger, s’apparente à une douleur physique : un grand nombre de régions cérébrales communes s’activent dans les deux cas. Une équipe menée par David Hsu, de l’université du Michigan, a même montré que le cerveau répond à cette souffrance
en relâchant des opioïdes, des antidouleurs naturels.
Pourquoi le cerveau peine à lâcher prise ? Lors d’autres travaux, l’anthropologue Helen Fisher, de l’université Rutgers, à New York, a placé dans un appareil d’IRM fonctionnelle de courageux volontaires, qui ont dû regarder des photos de leur ex-partenaire. L’activité cérébrale était particulièrement intense dans plusieurs régions habituellement allumées par l’obtention d’une récompense et associées à la motivation, à l’addiction ou aux troubles obsessionnels
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compulsifs. Cela expliquerait en partie la difficulté à lâcher prise après la fin d’une relation amoureuse. Le chagrin laisse aussi sa trace dans le cerveau. Une étude sur des femmes sortant d’une rupture a montré que lorsqu’elles pensent à leur ancien partenaire, leur activité cérébrale est caractéristique de sentiments de tristesse, de rumination et de dépression chronique. Parfois, la peine s’éternise. Une équipe allemande s’est penchée sur un petit groupe de personnes encore éprises de leur ex-partenaire six mois après la rupture. Leur cerveau s’activait également comme lors d’une dépression, avec une diminution de l’activité dans l’insula (derrière les tempes) et les cortex cingulaires antérieur et postérieur (à l’interface des deux hémisphères cérébraux).
Des ruptures parfois positives Toutes les ruptures ne tournent cependant pas au chagrin obsessionnel et la portée de ces études est à relativiser. Les participants y sont priés de se focaliser plus que de coutume sur leur ex-partenaire. En
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Le divorce est-il héréditaire ?
La tendance à divorcer serait fortement influencée par des facteurs génétiques. Les chercheurs en déduisent des pistes pour les thérapies de couple.
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es recherches montrent que les enfants de divorcés se séparent davantage de leur conjoint(e) que la moyenne. Selon la théorie dominante, ils reproduisent le comportement de leurs parents, qu’ils ont vus s’écharper ou ne pas faire assez d’efforts pour leur relation. Mais une étude américano-suédoise remet en cause l’idée d’une transmission essentiellement psychologique. Des facteurs génétiques seraient aussi à l’œuvre. Les chercheurs se sont penchés sur les registres d’état civil suédois, afin d’analyser le statut marital de près de 20000 personnes adoptées et de leurs parents biologiques ou adoptifs. Résultat : les enfants de divorcés ont une tendance au divorce bien plus proche de celle de leurs parents biologiques
que de celle de leurs parents adoptifs. Pour Kenneth Kendler, l’un des auteurs de l’étude, c’est la preuve que les facteurs génétiques jouent un rôle majeur. Cela n’exclut pas l’influence de l’environnement, comme l’a confirmé une autre partie de l’étude. Les chercheurs ont analysé le cas de plus de 82 000 enfants dont les parents s’étaient séparés et qui avaient continué à vivre avec l’un d’eux. Après la séparation, chacun des parents suivait son propre chemin, traversant parfois d’autres divorces. Or lorsque les enfants devenaient adultes, leur histoire amoureuse ressemblait davantage à celle du parent avec qui ils avaient vécu qu’à celle de l’autre parent. Signe que l’environnement où l’on grandit joue aussi un rôle.
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Ces résultats ne signifient pas non plus qu’il existerait un « gène du divorce ». Ils indiquent plutôt que certains traits de personnalité, en partie d’origine génétique, nuisent à notre vie amoureuse. On sait par exemple que l’instabilité émotionnelle tend à faire voir tout ce que fait notre partenaire sous un jour excessivement négatif. « Corriger ces distorsions cognitives, liées à certains traits de personnalité, grâce à des approches cognitivo-comportementales, pourrait alors être une meilleure stratégie que de travailler sur la capacité à s’engager », conseille alors Jessica Salvatore, l’auteure principale de l’étude.
Guillaume JACQUEMONT est rédacteur à Cerveau & Psycho.
BIBLIOGRAPHIE J. Salvatore et al., Genetics, the Rearing Environment, and the Intergenerational Transmission of Divorce : A Swedish National Adoption Study, Psychological Science, 2018.
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