Thema n°3 - L'intelligence animale

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Chiens COMMENT ILS COMPRENNENT NOTRE LANGAGE

Abeilles ELLES CLASSENT, COMPTENT ET COMPARENT

Poules SOUS LES PLUMES, UNE TÊTE PENSANTE

L’INTELLIGENCE

ANIMALE


ÉDITO

LE CORBEAU, LE POULPE ET LA TORTUE

L

Sébastien Bohler Rédacteur en chef

a Fontaine a croqué les attitudes des animaux pour dénoncer les travers des hommes. Mais il les a en partie croqués de travers ! Par exemple, le chien qui a le mauvais rôle dans la fable Le Loup et le Chien, est très perspicace et comprend la parole humaine. Le corbeau, qui passe pour un naïf face au renard, est peut-être un des animaux les plus intelligents qui soient, capable d’abstraction, de logique et de planification. Qu’aurait écrit la Fontaine des poules, des pieuvres ou des requins ? Nous ne le saurons jamais, mais il serait surpris d’apprendre que la poule est manipulatrice, et que pieuvres et requins se montrent capables d’utiliser des outils pour se cacher ou attaquer leurs proies. Ne lui jetons pas la pierre. En prêtant à la tortue des vertus de patience et de prévoyance, il ne disposait pas encore des écrans tactiles qu’utilisent les chercheurs pour tester les capacités cognitives de ce reptile caparaçonné. Ce faisant, les éthologues ont découvert que cet animal sait établir des règles générales dans un monde virtuel pour les transférer à son environnement réel. Le grand fabuliste du xviie siècle utilisait les animaux pour rendre saillants les défauts des humains. Il décriait le perroquet bavard pour critiquer le babillage des femmes ! Sans même parler d’une misogynie qui a bien mal vieilli, il ignorait que l’oiseau parleur est surtout un grand intellectuel qui sait coopérer et déchiffrer les intentions de ses congénères. Et pourtant, ce qu’on gagne en science, ne l’a-t-on perdu en art ? Il faudrait un autre La Fontaine pour écrire les fables d’aujourd’hui et mettre des rimes sur les capacités cognitives si variées des animaux. Ce poète moderne trouverait dans ces pages une jolie source d’inspiration.

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Pour la Science 170 bis boulevard du Montparnasse - 75014 Paris

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SOMMAIRE

P/4/UN ANIMAL DOUÉ DE RAISON ? BERNARD THIERRY

P/14/LA PSYCHOLOGIE DU CHIEN KLAUS WILHELM P/22/LES CANIDÉS COMPRENNENTILS LA PAROLE ? GEORGES CHAPOUTHIER P/26/DANS LA TÊTE DU MEILLEUR AMI DE L’HOMME GEORGES CHAPOUTHIER

P/29/DES TORTUES EXPERTES EN ÉCRANS TACTILES DALILA BOVET P/33/L’INTELLIGENCE DES ABEILLES AURORE AVARGUÈS-WEBER P/48/LES REQUINS PENSENT-ILS ?

P/4

GEORGES CHAPOUTHIER

P/52/L’INTELLIGENCE SOCIALE DES DAUPHINS FABIENNE DELFOUR P/70/RUSÉ… COMME UNE POULE CAROLYNN SMITH ET SARAH ZIELINSKI

P/80/ÉLÉPHANTS COMMUNICANTS A. SMET, C. HOBAITER ET R. BYRNE

P/48

P/92/GÉNIALES PIEUVRES GEORGES CHAPOUTHIER

P/96/DES CORBEAUX QUASI HUMAINS JENNIFER HOLZHAIDER ET GAVIN HUN

P/107/ATTENTION : PERROQUET MENTALISTE ! DALILA BOVET

P/26

P/92

Thema / Intelligence animale

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P/111/LE PIGEON AMATEUR D’ART DALILA BOVET


Un animal doué

de raison ? BERNARD THIERRY

© Shutterstock/Alinta T. Giuca

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Des études récentes montrent que les singes peuvent faire des prévisions et trouver des solutions à divers problèmes. Reste à savoir s’ils le font sur la base d’un raisonnement logique.

P

ensée, esprit, raison, intelligence, états de conscience ? Autant de mots pour désigner une réalité cognitive impalpable, autant de concepts différemment formulés qui soulèvent une question essentielle : les animaux ont-ils des capacités mentales semblables à celles de l'être humain ? Sans remonter à l'animal-machine de Descartes, le temps n'est pas loin où l'on soutenait encore qu'il n'existe pas de pensée sans langage. Mais la révolution cognitiviste est passée par là ; les travaux des dernières décennies indiquent que des animaux, et notamment les singes, ont des états mentaux, telles des pensées ou des croyances,

et qu'ils construisent une représentation du monde. Aujourd'hui, nous nous demandons si leurs décisions sont rationnelles : les singes sont-ils capables de résoudre des problèmes autrement que par approximations successives ? Peuvent-ils planifier un événement ou expliquer des effets par leurs causes ? Attribuent-ils des intentions à leurs congénères ? Si l'on se souvient qu'Aristote définissait l'homme comme « l'animal raisonnable », on constate que c'est la nature même de l'être humain qui est en jeu. Nous verrons au fil de divers résultats expérimentaux que certains primates

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non humains savent effectivement raisonner, anticiper leurs besoins futurs et comprendre les intentions d'autrui ? dans une certaine mesure. Un singe peut-il raisonner sur ce qu'il ne voit pas ? À Leipzig, l'Institut Max Planck d'anthropologie s'est associé au parc zoologique de la ville pour étudier les grands singes. C'est là, en 2004, sous l'oeil du public, que Josep Call, chercheur en psychologie, travaille avec des chimpanzés et des gorilles. Il leur présente deux récipients opaques dont un seul contient une friandise, puis il secoue l'un d'eux. S'ils entendent du bruit, les grands singes choisissent ce récipient. Lorsque le récipient secoué ne produit aucun son, ils commettent plus d'erreurs, mais ils sélectionnent en général l'autre récipient. Les grands singes font donc des déductions à partir d'un indice manquant ; c'est un « raisonnement inférentiel par exclusion ».

Représentations et inférences Chaque fois qu'un animal résout un problème, on doit déterminer s'il a réussi par une suite de tentatives et d'erreurs qu'il


La psychologie du chien KLAUS WILHELM Shutterstock.com/Igor Normann

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Les chiens interprètent mieux les gestes humains, que nos plus proches cousins, les chimpanzés. Leurs cerveaux ont été façonnés pour cela depuis des milliers d’années par nos ancêtres, par une patiente sélection génétique.

L

e psychologue canadien Stanley Coren raconte volontiers cet épisode de son enfance : un jour, sa chienne fut surprise en train de lécher le rebord d’un verre de whisky, ce qui lui était formellement interdit. La mère de Stanley jeta alors son trousseau de clés sur l’animal, qui courut se réfugier derrière une armoire. En quittant la pièce, Stanley remarqua que la chienne contournait soigneusement le trousseau de clés, puis elle fit demi-tour pour le prendre dans sa gueule et aller le cacher sous le canapé du salon. Avait-elle compris que cet objet était synonyme de danger et

de colère, et qu’il fallait mieux le faire disparaître ? Les chiens auraient-ils des capacités de raisonnement comparables aux nôtres ? D’innombrables anecdotes ont été rapportées à propos des exploits des chiens ; le grand écran et la bande dessinée en ont souvent fait des personnages à l’intelligence et à la psychologie presque humaines. Ces qualités leur sont-elles attribuées abusivement ? Dans cet article, nous découvrirons qu’elles ont été obtenues au prix d’une sélection génétique plusieurs fois millénaire. Des hommes préhistoriques capturèrent des loups et ne gardèrent de leur

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progéniture que les jeunes qui savaient interagir avec eux. D’étape en étape, en plaçant la barre toujours plus haut, ils aboutirent à des compagnons dévoués, et parés des qualités que nous allons exposer. Les spécialistes du comportement ont, pendant près d’un siècle, dénié au chien toute faculté de discerner les intentions de l’homme ou d’établir des relations de causalité entre les événements. On privilégiait le modèle d’apprentissage pavlovien : quand on présente de façon répétée une écuelle de nourriture à un chien, tout en lui faisant entendre une sonnerie, l’association entre l’écuelle et la sonnerie s’ancre si profondément dans ses connexions neuronales qu’il finit par saliver rien qu’en entendant la sonnerie. Longtemps on admit que tous les comportements appris par les chiens procédaient de la même association conditionnée, mais cette vision est aujourd’hui remise en cause. Dans certains tests, le chien obtient de meilleurs résultats que le chimpanzé ou le gorille, et son talent de communication est remarquable. Selon Vilmos Csanyi, spécialiste de la psychologie


GEORGES CHAPOUTHIER Thema / Intelligence animale

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Les canidés comprennent-ils la parole ?


Certains chiens sont capables de reconnaître plus d’une centaine de mots, et parfois des phrases rudimentaires. Et ils n’ont pas encore révélé toutes leurs capacités !

B

ailey, une chienne york-shireterrier de 12 ans, attend que son maître prenne son petit déjeuner, et lui dise quels objets il voudrait qu'elle lui apporte : le journal, ses pantoufles, son étui à lunettes ? Pour l'instant, rien de surprenant, et cela n'étonnera pas les propriétaires de chiens qui connaissent bien les capacités de leur animal favori. Toutefois, Bailey a quelque chose de différent. Elle pourrait continuer à agir de cette façon pendant des heures : elle sait identifier plus d'une centaine d'objets différents. Au point que les scientifiques s'interrogent : jusqu'où les chiens comprennent-ils notre langage ?

En 2004, des chercheurs allemands de l'Institut Max Planck de Leipzig ont décrit les étonnantes capacités d'un chien de la race Border-Collie, âgé de huit ans, nommé Rico. Selon eux, Rico pouvait retenir plus de 200 mots différents. Il savait repérer parmi de nombreux objets celui qu'on indiquait et le rapportait sans se tromper, quand on le lui demandait. Selon les chercheurs, il était même capable de retenir le nom d'un objet après une seule présentation du mot accompagné de l'objet correspondant, une capacité d'apprentissage très rapide, qui n'avait été mise en évidence auparavant que chez les enfants.

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Plus de 200 mots reconnus De telles prouesses, abondamment répercutées dans la grande presse, avaient provoqué, dans les milieux scientifiques, beaucoup de scepticisme. Cependant, d'autres travaux similaires, effectués ultérieurement sur des chiens de la même race, semblaient confirmer les premiers résultats. L'étude qui vient d'être publiée par des chercheurs de l'Université de Memphis, aux États-Unis, sur la chienne Bailey confirme les conclusions de l'étude allemande tout en les nuançant. Bailey peut rapporter près de 120 objets, que le mot soit prononcé par une voix masculine ou une voix féminine, ce qui suggère qu'elle identifie les mots indépendamment du timbre vocal. En outre, elle peut maîtriser des « tests d'exclusion » : si un objet nouveau et dont elle ne connaît pas le nom est placé parmi des objets dont elle connaît le nom, et qu'on lui demande de rapporter cet objet (le mot lui est donc inconnu), elle y parvient : elle est capable d'exclure logiquement tous les objets présents dont elle connaît le nom. En revanche, Bailey échoue évidemment si l'on mélange, aux objets qu'elle


Dans la tête du meilleur ami de l'homme GEORGES CHAPOUTHIER Thema / Intelligence animale

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Que se passe-t-il dans la tête d'un chien à qui son maître parle ? Presque autant de choses que dans la nôtre : son cerveau lui permet de déchiffrer à la fois le sens des mots et les intonations.

C

ertes, les chiens ne parlent pas. Mais il ne s'en faut pas de beaucoup, révèle une expérience menée par des scientifiques hongrois. Leur cerveau comprend non seulement le sens de nombreux mots, mais analyse leur intonation avec une finesse étonnante. Voici déjà quelques années que les preuves s'accumulent de la perception à la fois riche et fine qu'ont nos meilleurs amis du langage articulé. Notamment, plusieurs équipes scientifiques avaient démontré que des chiens pouvaient comprendre jusqu'à plusieurs centaines de mots et

même distinguer le nom d'un objet (un os, un ballon?) de l'action à accomplir avec cet objet (aller le chercher, rester en signalement près de lui?), c'est-à-dire la différence entre un nom et un verbe. Récemment, des travaux réalisés par Attila Andics et ses collaborateurs, des universités Eötvös Loránd et Semmelweis à Budapest, sont allés plus loin encore : ils viennent de montrer que les chiens font la distinction entre le sens d'un mot et son intonation, et que ces deux fonctions sont, comme chez l'homme, gérées l'une par l'hémisphère cérébral droit, l'autre par le

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ET LES AUTRES ANIMAUX ? Chez les poissons, les hémisphères cérébraux ont des rôles identiques. Chez les mammifères et les oiseaux, des fonctions supplémentaires émergent dans chaque hémisphère, comme le chant des oiseaux ou le langage humain. Plus les cerveaux sont complexes, plus les hémisphères se spécialisent.


Des tortues expertes en écrans tactiles DALILA BOVET

© Cerveau & Psycho - A. Wilkinson© Cerveau & Psycho - A. Wilkinson


Étonnant : les tortues sont capables d’assimiler des règles dans un environnement virtuel pour les transférer ensuite vers le monde réel.

Q

ui aurait imaginé que des tortues utiliseraient un jour des écrans tactiles pour obtenir à manger ? C'est pourtant ce qu'observe depuis quelques mois l'éthologue Anna Wilkinson à l'Université du Wymoning, aux États-Unis. Esme est l'une des pensionnaires du laboratoire, et travaille avec son écran tactile pour obtenir une fraise. La tâche n'est a prioripas tellement difficile à réaliser : Esme doit appuyer de son bec sur un triangle rouge, puis, lorsque deux ronds bleus apparaissent sur l'écran, elle doit appuyer sur celui de gauche.

contenant ou non de la nourriture. Elles peuvent même apprendre le chemin correct vers un but simplement en observant un congénère. Par ailleurs, elles font preuve de flexibilité dans leurs apprentissages, puisqu'elles rejoignent encore leur but lorsqu'elles doivent faire des détours par rapport au chemin suivi par celle qu'elles ont observée.

Un apprentissage efficace

Les tortues ne sont guère réputées pour leur intelligence ou leurs capacités à se repérer dans l'espace. À l'exception des tortues de mer qui effectuent de longs trajets pendant leurs migrations, ces reptiles n'ont pas besoin de capacités particulières pour se repérer, puisque leur domaine vital est réduit et qu'elles ne se déplacent pas sur de grandes distances. Les tortues charbonnières à pattes rouges, espèce à laquelle appartient Esme, sont pourtant capables, dans un labyrinthe en étoile comportant huit branches, de garder en mémoire, après un seul essai, différents emplacements

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Ces tortues charbonnières à pattes rouges vivent en Amérique du Sud et en Amérique centrale; elles ont été choisies pour participer à plusieurs études, car elles présentent plusieurs avantages pour les recherches. Elles sont relativement actives et rapides (jusqu'à 85 mètres par heure, une vitesse honorable pour une tortue), ont une bonne vision, et détail qui a son importance, se laissent facilement motiver par une récompense alimentaire : ces tortues omnivores sont surtout frugivores et s'acquittent efficacement de diverses tâches pourvu qu'on les récompense avec des fraises, des champignons ou du maïs.


L’intelligence des abeilles AURORE AVARGUÈS-WEBER

© Peter Waters/shutterstock.com

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Les abeilles disposent d’étonnantes facultés cognitives, malgré leur minuscule cerveau. L’étude de leurs neurones livre des sources d’inspiration pour l’intelligence artificielle.

À

l'évocation de l'abeille, on pense souvent à une organisation sociale élaborée. Une ruche comporte des dizaines de milliers d'ouvrières, toutes filles d'une seule reine, et qui assurent ensemble la survie de la colonie. Cependant, cet insecte se distingue aussi par des comportements individuels divers et complexes. Une ouvrière vit de quatre à six semaines, sauf quand elle naît à la fin de l'été, car elle passe alors l'hiver en hibernation. Lors de sa courte vie, elle effectue des dizaines de tâches différentes, telles que le nettoyage de la ruche, le soin aux

larves ou la collecte de nourriture. Au sein de la ruche, la plupart des tâches sont stéréotypées et déclenchées automatiquement par les stimulus (visuels, olfactifs…). En revanche, quand elle va butiner, l'abeille doit choisir des fleurs et naviguer dans un environnement complexe et changeant, conditions qui excluent les comportements stéréotypés. Elle peut alors se repérer dans un rayon de plus de dix kilomètres de la ruche et mémoriser les caractéristiques des sources de nourriture visitées : emplacement, disponibilité temporelle (certaines fleurs

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produisent plus ou moins de nectar selon l'heure), qualité (concentration en sucre) ... Les recherches récentes ont révélé les capacités cognitives mises en jeu lors de la collecte de nourriture. Elles sont d'autant plus étonnantes que l'abeille a un cerveau minuscule : 960 000 neurones qui tiennent dans moins de un millimètre cube, contre 100 milliards pour l'être humain. Depuis un siècle, l'abeille a été utilisée dans des centaines d'études sur la perception, l'apprentissage et la mémoire. L'éthologue autrichien Karl von Frisch (1886-1982) en a été le pionnier. Ses recherches, débutées en 1910, ont été couronnées par le prix Nobel de physiologie en 1973. Il a notamment défini une méthodologie, toujours utilisée aujourd'hui, pour étudier la perception et la mémoire des abeilles. Celles-ci ont un comportement dit de constance florale : lorsqu'elles rencontrent des fleurs contenant du nectar, elles en mémorisent les caractéristiques et ne visitent par la suite que les fleurs de la même espèce. Elles abandonnent l'espèce seulement quand elles visitent plusieurs fleurs « vides ». Ce comportement


GEORGES CHAPOUTHIER Thema / Intelligence animale

©Shutterstock.com/anas sodki

Les requins pensent-ils ?


Volontiers dépeints comme des monstres sanguinaires dénués de toute espèce de raisonnement, les requins sont beaucoup plus intelligents qu'on ne le croit.

L

es requins n'ont pas de cerveau, c'est bien connu. Vide émotionnel, désert mental, la vie intérieure du squale est à l'image de sa peau : lisse et froide comme l'eau des profondeurs. C'est une machine à tuer qui fait des ravages depuis quelque temps sur les côtes de La Réunion. Ne lisezvous donc pas les journaux ? Même si vous ne les lisez pas, vous avez bien dû aller au cinéma et voir Les Dents de la mer. Comment nier, devant un tel spectacle, que le grand squale n'obéit qu'à un instinct : celui du sang ? Telle est l'image populaire du requin. Qui se lézarde si l'on observe les faits : ces animaux s'approchent des côtes à cause de l'épuisement des ressources halieutiques et de la surpêche. Ils confondent le plus souvent une planche de surf avec la silhouette d'un phoque. Oui, mais voilà, le discours

médiatique et les blockbusters hollywoodiens aux scénarios aussi stupides qu'ignorants ont réussi à nous faire croire que les requins ne sont que de simples mâchoires sans intelligence. Pourquoi s'émouvoir alors de la manière dont sont récoltés leurs ailerons fort prisés dans les soupes chinoises ? Le requin capturé, ses ailerons sont découpés sur la bête vivante aussitôt rejetée à la mer, consciente mais désormais incapable de nager, vouée à une agonie atteignant parfois une quinzaine de jours. On estime à plusieurs dizaines de millions par an le nombre de requins ainsi massacrés pour la gloire de la gastronomie. Et pourtant, l'intelligence des requins n'est pas aussi primitve qu'on le croit. Les scientifiques savaient déjà que le grand requin blanc (Carcharodon carcharias)  – les dents de la mer en personne, même s'il

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n'attaque l'homme qu'en de rares occasions et par erreur  – était capable de sortir occasionnellement la tête hors de l'eau pour observer son environnement aérien, ce qui suggérait une intelligence mêlant curiosité et attention. D'ailleurs, on voit mal comment un animal qui sait chasser n'aurait pas un sens de l'observation et une intelligence nécessaires à la capture des proies, dont il doit anticiper le comportement. Dans tout le règne animal, les prédateurs tendent à développer des capacités intellectuelles élevées et on voit mal pourquoi les requins feraient exception à la règle. Mais les récents travaux effectués sur deux autres espèces vont plus loin et nous forcent à considérer les requins comme probablement beaucoup plus intelligents que ne le veut la légende.

Le requin et l’outil L'éthologue américain Simon Oliver et ses collègues de l'Université de Bangor au pays de Galles, en collaboration avec le Projet de recherche et conservation du requin-renard aux Philippines, ont récemment collecté en caméra sous-marine des dizaines d'observations de requins-renards


FABIENNE DELFOUR

Thema / Intelligence animale

© Willyam Bradberry/Shutterstock.com

L’intelligence sociale des dauphins


Si les études en delphinarium ont révélé les étonnantes capacités cognitives des dauphins, celles en milieu naturel, menées auprès de groupes d’animaux suivis depuis plus de trente ans, commencent à dévoiler toute la complexité de leur société.

Denise Herzing, les scientifiques du Wild Dolphin Project étudient ce groupe de dauphins tachetés depuis une trentaine d’années, si bien que chercheurs et animaux se connaissent et se reconnaissent.

Plus de trente ans de rencontres régulières

I

l est bientôt 20 heures. Notre bateau est ancré dans les eaux turquoise des Bahamas. L’équipe du Wild Dolphin Project prépare doucement sa fin de journée lorsque la personne de quart annonce l’arrivée de dauphins tachetés (Stenella frontalis) que nous étudions. Un petit groupe s’approche du bateau. Il s’agit de deux femelles adultes avec quatre petits. Elles sont donc accompagnées de leur progéniture et de deux jeunes qu’elles gardent. Nous décidons de nous mettre à l’eau pour les filmer et documenter leurs comportements. Après quelques minutes, les deux mères, bien identifiées

grâce à leurs marques et aux motifs de leurs taches, s’éloignent, nous laissant seuls avec les jeunes dauphins. Elles ne reviendront que quelques dizaines de minutes plus tard pour les récupérer calmement et sans doute rejoindre le groupe au loin. Cet épisode a eu lieu il y a déjà plusieurs années, mais je m’en souviens encore très bien. J’avais trouvé très étrange que des animaux sauvages placent leurs jeunes sous la responsabilité d’humains. Ces femelles ont cependant très probablement pensé que leurs petits n’encourraient pas de gros risques. En effet, sous la houlette de

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Depuis 1985, Denise Herzing et son équipe suivent non seulement ce groupe, mais aussi des grands dauphins (Tursiops truncatus, l’espèce la plus communément hébergée dans les delphinariums comme celui du parc Astérix), à raison de missions d’une centaine de jours chaque année. La somme des données récoltées sur la vie de ces groupes est considérable. Les chercheurs ont identifié plusieurs centaines d’individus à partir des marques corporelles telles que les cicatrices et l’agencement des taches colorées. Les dauphins vivant parfois plus de quarante ans, certains côtoient l’équipe depuis le début de l’étude. Celle-ci connaît par ailleurs la généalogie des individus, grâce à des analyses d’ADN effectuées à partir de leurs fèces, mais aussi leur coefficient d’association


Rusé... comme une poule CAROLYNN SMITH ET SARAH ZIELINSKI

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Thema / Intelligence animale


Loin de mériter leur réputation d’oiseaux stupides, les poules ont des capacités cognitives étonnantes… Ces gallinacés communiquent avec leurs congénères, manipulent les informations qu’ils distillent et auraient même certaines facilités pour les mathématiques !

M

yope comme une taupe, gai comme un pinson, bavard comme une pie, plat comme une limande, têtu comme une mule, laid comme un pou... Dans de nombreuses expressions de la langue française, des animaux sont associés à une qualité dont ils seraient les dignes représentants. Quelles espèces sont réputées pour leur intelligence ? Les rusés renards et les singes malins, certes, mais on en oublie une : il s’agit de Gallus gallus domesticus, c’est-à-dire la poule domestique ! On se couche comme les poules, on est une mère poule ou une poule

mouillée, et l’on devrait ajouter « intelligent comme une poule » tant cet animal étonne aujourd’hui par ses facultés.

Des oiseaux de génie Pourtant, la surprise ne devrait pas être totale, car sur le plan cognitif, la poule appartient à une classe plutôt brillante : les oiseaux ont de nombreuses qualités remarquables, autrefois considérées comme l’apanage de l’homme. Ainsi, les pies reconnaissent leur reflet dans un miroir. Les corneilles de NouvelleCalédonie fabriquent des outils, un

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savoir-faire qu’elles se transmettent de génération en génération à la façon d’une culture. Les perroquets gris du Gabon comptent et classent des objets en fonction de leur couleur et de leur forme. Ils apprennent également des mots humains. Et Snowball, un cacatoès à huppe jaune, sait danser en rythme. Au sein de ces petits génies à plumes, on imagine rarement la poule parmi les premiers de la classe. Pourtant, ces dernières années, les éthologues ont découvert qu’elle ne mérite pas sa réputation de cancre. Elle est futée et a des capacités de communication voisines de celles de certains primates. Quand elle prend des décisions, elle tient compte de son expérience et de ses connaissances sur la situation. Elle peut résoudre des problèmes complexes et se montrer compatissante envers des individus en danger. Est-ce à dire que la poule est un petit Einstein ? Plus probablement, certaines capacités cognitives classiquement attribuées aux seuls primates sont davantage répandues qu’on ne le pensait. Quoi qu’il en soit, ces découvertes obligent à une réflexion éthique sur les élevages de


ANNA SMET, CATHERINE HOBAITER ET RICHARD BYRNE Thema / Intelligence animale

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Éléphants communicants


Probablement en raison d’une organisation sociale complexe, les éléphants disposent d’étonnantes capacités de mémorisation, de coopération, de communication et de compréhension de leurs semblables.

C

ertains éléphants d’Asie (Elephas maximus) apprivoisés, qui portent une cloche autour du cou, la remplissent de boue pour l’empêcher de tinter quand ils partent piller les champs. Les éléphants d’Afrique (Loxodonta africana ou cyclotis)creusent parfois des trous pour trouver de l’eau, puis les referment avec de l’écorce pour empêcher son évaporation. La presse et la littérature scientifique abondent d’anecdotes de ce type, qui présentent ces animaux comme particulièrement intelligents. Les dictons populaires, évoquant par exemple une mémoire d’éléphant, viennent renforcer cette image flatteuse. Ces pachydermes sont-ils à la hauteur de leur réputation ? Les études réalisées au

cours des deux dernières décennies tendent à répondre par l’affirmative. Les éléphants vivent en sociétés complexes, où leurs comportements traduisent de multiples facultés cognitives : capacité à se mettre mentalement à la place de l’autre, mémorisation de l’organisation sociale et des caractéristiques (notamment olfactives) de chaque individu, grande faculté à communiquer... Examinons plus en détail ces capacités et les pressions environnementales qui ont conduit à leur apparition chez les éléphants. Quand une capacité cognitive se répand dans une espèce, c’est qu’elle répond à une nécessité particulière : par exemple se nourrir, échapper aux prédateurs, se reproduire ou plus généralement

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remplir certaines fonctions sociales. Les chimpanzés utilisent ainsi des outils pour accéder à des aliments très nutritifs impossibles à atteindre autrement : ils collectent des fourmis dans leur nid à l’aide de brindilles. De même, la difficulté à se nourrir a-t-elle entraîné le développement de capacités cognitives particulières chez les éléphants ? Il semble que non. Ces animaux ne sont pas confrontés à des problèmes aussi complexes dans leur quête de nourriture. Ce sont des herbivores généralistes, c’est-à-dire peu sélectifs. Ils disposent de ressources alimentaires variées, incluant l’herbe, les arbustes, ainsi que les feuilles et les branches d’arbre. Leur système digestif est peu efficace (seuls 30 à 45 % de la masse des aliments avalés sont digérés), de sorte qu’ils doivent manger presque constamment quand ils sont éveillés, mais cela ne semble pas nécessiter de capacités cognitives particulières.

Des outils pour se bichonner Les éléphants utilisent tout de même régulièrement des outils, pas pour se nourrir mais pour prendre soin de leur corps. Ils


GEORGES CHAPOUTHIER

Thema / Intelligence animale

Kondratuk Aleksei/Shutterstock.com

Géniales pieuvres


Voici un animal qui révèle chaque jour de nouvelles capacités d’innovation, d’adaptation et de mémoire.

S

i, en 2010, vous étiez passionné de football, vous avez dû entendre parler de Paul le poulpe, cette pieuvre (les mots « pieuvre » et « poulpe » sont équivalents) d’un aquarium d’Allemagne, qui a prédit, sans erreur, les résultats de plusieurs matchs de foot. Les raisons n’en seront probablement jamais connues. Il est, bien sûr, impensable que Paul le poulpe ait eu le moindre intérêt pour le football et je ferais volontiers l’hypothèse que les résultats des matchs à venir lui étaient « soufflés », peutêtre sous forme d’incitations alimentaires discrètes à se diriger dans un endroit voulu (comme le drapeau d’une des équipes), par un de ses astucieux soigneurs. Mais, quelles que soient les raisons des choix

spectaculaires de Paul le poulpe, ce qui est certain c’est que les pieuvres sont des animaux particulièrement intelligents. L’intelligence de cet animal aquatique, nu et fragile, qu’est la pieuvre, fait un peu songer à celle de ce « singe nu » terrestre, et fragile lui aussi, l’être humain, devenu maître de la planète.

Une capacité d’innovation Les différentes espèces de pieuvres appartiennent au groupe des mollusques céphalopodes, qui comprend aussi les calmars et les seiches. Bien que lointains cousins des escargots, leur intelligence n’en finit pas d’étonner les spécialistes. On sait déjà depuis plusieurs années qu’elles sont capables d’apprendre à faire des détours pour aller chercher leur nourriture, crabes

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ou coquillages, c’est-à-dire à s’éloigner de leur but pour y revenir ultérieurement. Elles apprennent aussi aisément à utiliser leurs tentacules, munis de ventouses, pour effectuer le geste intégré, complexe et finalisé consistant à ouvrir des bocaux contenant de la nourriture. En 2009, Julian Finn, du Muséum de Melbourne en Australie, et ses collègues avaient même montré qu’elles pouvaient protéger leur corps mou en « s’habillant » dans des fragments de coques de noix de coco. Il s’agissait de pieuvres de l’espèce Amphioctopus marginatus, observées par ces chercheurs sur les côtes d’îles d’Indonésie. Les coques de demi-noix de coco, qui étaient à la disposition des pieuvres sur le fond marin, étaient des résidus de l’activité des populations humaines côtières. Les pieuvres se sont montrées capables de faire usage de ces objets nouveaux, de les transporter comme une armure, sur près de 20 mètres et même d’assembler deux moitiés de noix de coco pour constituer un refuge sphérique presque complet. Des films spectaculaires de ce comportement sont visibles sur Internet. Bref, ces mollusques excellent


Des corbeaux quasi humains JENNIFER HOLZHAIDER ET GAVIN HUN ©Shutterstock.com/Piotr Krzeslak

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Fabriquer des outils, imaginer des scénarios et duper ses ennemis : le corbeau est pratiquement ce qui se fait de mieux en matière d’intelligence animale. Bien loin de l’image d’oiseau de malheur véhiculée par la croyance populaire.

« Si les hommes avaient des ailes et s’ils portaient des plumes noires, peu d’entre eux seraient assez malins pour faire des corneilles. »

L’

Révérend Henry Beecher, Californie, vers 1850.

intelligence est une notion difficile à définir. On peut cependant affirmer sans grands risques que les animaux intelligents ont un cerveau bien développé, qu’ils sont capables de comportements innovants, qu’ils ont une compréhension cohérente de leur environnement physique et qu’ils vivent au sein de groupes sociaux complexes, où chaque individu a une certaine idée de ce qui se passe dans l’esprit de ses congénères. Les scientifiques qui s’intéressent à la cognition animale se sont surtout penchés sur les primates. Or, comme le montrent des études de plus en

plus nombreuses, il existe d’autres groupes animaux que la recherche d’une vie intelligente sur Terre ne peut plus ignorer. Les corbeaux, en particulier, ont depuis longtemps la réputation de figurer parmi les animaux les plus intelligents. Des recherches récentes le confirment et montrent que, dans certains domaines, leurs performances sont même supérieures à celles des primates non humains. Corbeaux et corneilles – de proches cousins – sont des oiseaux très répandus. Ils occupent une place de choix dans les contes et légendes de toutes les cultures. Dans les

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histoires racontées par les Indiens d’Amérique, par exemple, ils se montrent systématiquement plus astucieux que les autres animaux et même que les humains. Il y a 2 600 ans, c’est une corneille que le fabuliste grec Ésope met en scène pour illustrer que « la nécessité est mère de l’invention » : dans La Corneille et la Cruche, l’oiseau élève le niveau de l’eau d’une cruche en remplissant celle-ci de cailloux, puis y plonge son bec pour étancher sa soif. Dans la mythologie scandinave, deux grands corbeaux, Hugin et Munin, qui représentent respectivement la pensée et la mémoire, parcourent le monde pour renseigner le dieu Odin. Quant au poème Le Corbeau d’Edgard Alan Poe, il met en scène un de ces oiseaux aux sombres pouvoirs surnaturels, tandis que les corbeaux jouent le rôle de messagers et d’oiseaux savants dans la Terre du milieu imaginée par le romancier J. R. R. Tolkien. La liste des pouvoirs légendaires attribués aux corbeaux est longue, et à la lumière du comportement de ces oiseaux dans la nature, la légende semble reposer sur un fond de vérité. De nombreuses anecdotes circulent sur le comportement intelligent des


Attention : perroquet mentaliste ! DALILA BOVET © Mikael Damkier / Shutterstock.com

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Un perroquet qui devine vos intentions ? Mais oui – ils ne font que cela entre eux !

éo, un perroquet gris du Gabon, a une passion pour les claviers d’ordinateurs : il adore en détacher les touches. Dans notre laboratoire, à l’université Paris-Ouest, nous élevons quelques perroquets et en étudions le comportement. Bien sûr, je n’apprécie guère de retrouver toutes les touches de mon ordinateur arrachées, voire cassées, je le chasse donc dès qu’il tente de s’approcher du clavier, ce qu’il sait parfaitement. C’est pourquoi il attend pour commettre son méfait que je sois sortie de la pièce ou que j’ai le dos tourné. Léo, comme les autres oiseaux de son espèce, est capable de conclure que, si j’ai le dos tourné, je ne le verrai pas et qu’il pourra

© L. Rat-Fischer

L

Le perroquet testé (en bas) a le choix de coopérer avec un autre perroquet pour tirer ensemble le plateau présentant le plus de nourriture, ou bien d’agir seul et d’obtenir moins de nourriture. Les oiseaux agissent différemment selon le partenaire à qui ils ont affaire, et dont ils connaissent le « caractère ».

perpétrer son méfait. Il réalise une « attribution de perception », en langage cognitiviste, ce qui signifie qu’il « sait » que l’humain présent ne le voit pas. Nous souhaitons nous en assurer et éliminer la possibilité que notre perroquet ait simplement repéré les circonstances qui lui permettent d’arracher les touches du clavier, sans en conclure que

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je ne le vois pas. Nous testons donc trois perroquets gris dans une tâche d’attribution de perception : profitant de leur propension à explorer et détruire tous les objets à leur portée, nous leur présentons des objets habituellement interdits (et donc d’autant plus tentants) tels que crayons ou gommes posés devant deux types d’écrans : un écran


DALILA BOVET

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shutterstock.com/hkhtt hj

Le pigeon amateur d’art


de Picasso, un tableau de Renoir ou de Cézanne, de style impressionniste, étant jugé par les pigeons comme plus proche d’un Monet… Dans une autre expérience, des pigeons ont aussi, après entraînement, classé correctement des oeuvres de Chagall et van Gogh qu’ils n’avaient jamais vues auparavant.

Saviez-vous que les pigeons distinguent Picasso de Renoir, et Bach de Stravinsky ?

S

i l’on vous disait qu’un pigeon peut distinguer un Picasso d’un Renoir, vous auriez sûrement envie de sourire. Et pourtant, vous ririez moins si vous saviez que ces volatiles, et bien d’autres animaux, démontrent d’étonnantes capacités de discrimination artistique. Récemment, au Japon, un éthologue du nom de Shigeru Watanabe a montré que des souris savent distinguer des peintures de Renoir et de Picasso, ou de Kandinsky et de Mondrian. Des expériences analogues avaient déjà été réalisées avec des pigeons. De quelle façon ? S. Watanabe a entraîné ces oiseaux à faire la différence entre des peintures de Monet et de Picasso, de styles très différents (impressionniste et cubiste, respectivement).

Dans cette expérience, les pigeons étaient récompensés par des graines de chanvre lorsqu’ils donnaient un coup de bec sur un bouton lors de la présentation d’une peinture de Monet ; ils ne recevaient rien s’ils appuyaient à tort sur le bouton et qu’il s’agissait d’une peinture de Picasso. Après une phase d’entraînement avec un certain nombre d’oeuvres des deux artistes, on refaisait l’expérience avec des toiles de Monet ou de Picasso que les pigeons n’avaient jamais vues : du premier coup, ils ont répondu correctement. Mieux : ces volatiles savent reconnaître les mouvements picturaux auxquels ces peintres ont appartenu. Un tableau de Braque ou de Matisse, de style cubiste, est traité de la même façon qu’un tableau

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Un goût bien affirmé Qui plus est, les pigeons savent reconnaître un bon dessin d’un mauvais. Les animaux ont été entraînés à discriminer des dessins d’enfants préalablement classés comme bons ou mauvais par des professeurs d’art plastique. À nouveau, après une période d’entraînement avec un premier lot de dessins, les pigeons ont classé des dessins qu’on leur montrait pour la première fois, conformément au jugement des professeurs. Sur quoi ces oiseaux se fondent-ils pour décider qu’un dessin est meilleur qu’un autre  ? Manifestement, sur les couleurs (si on leur présente des dessins en noir et blanc, ils ont plus de mal à les classer), ainsi que sur l’agencement


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