SANTÉ POURQUOI DORMIR FAIT DU BIEN AU CERVEAU
INSOMNIE FAITES LA PAIX AVEC VOTRE SOMMEIL
ALIMENTATION RÉGULER SON POIDS EN DORMANT
COMMENT RETROUVER
LE SOMMEIL ?
ÉDITO
COMMENT RETROUVER LE SOMMEIL ?
N Sébastien Bohler Rédacteur en chef
ous vivons une épidémie de manque de sommeil. Aujourd’hui, nous dormons 1 h 30 de moins qu’il y a 50 ans. Les dégâts sur notre santé prennent la forme de l’obésité, du diabète, de l’anxiété, de problèmes d’attention et de mémorisation. Ces effets ont été chiffrés : 100 milliards de pertes pour l’économie, causées par des arrêts maladie et une baisse de productivité. Pourquoi ? Principalement à cause des rythmes de vie toujours plus rapides, et de l’invasion de nos sphères privées par les écrans qui nous maintiennent longtemps, trop longtemps éveillés. Et qui fragmentent nos rythmes de sommeil. Nous nous plaignons tous de ne plus dormir assez. Récemment, pour la première fois, nous sommes passés sous le seuil des sept heures par nuit. Jusqu’où irons-nous ? Nous devons absolument nous réapproprier notre sommeil, et pour cela, mieux connaître à la fois son fonctionnement et son caractère vital. Dans ce Thema, vous découvrirez que dormir est indispensable pour résister au stress, aux maladies, pour mémoriser nos connaissances, et pour conserver un poids de forme. Nous pensons toujours qu’il faut être éveillé pour être actif, pour produire, pour justifier une situation et un salaire. Ce n’est pas vrai. Regardez ce bébé sur cette couverture. Il dort, et il se construit. Nous aussi, nous nous construisons (et nous reconstruisons) en dormant. Nous ne sommes pas des machines. Notre cerveau travaille autant en mode non conscient, et cela, nous commençons à le savoir. Ce sont ces faits, dûment documentés, qui doivent vous donner la force de ne rien faire. D’éteindre les lumières et de couper les écrans suffisamment tôt le soir. De dîner léger, de limiter l’alcool, de lire une histoire aux enfants. De faire comme nos ancêtres. D’accepter ce passage vers l’inaction, vers la réparation du soi. Car c’est en réalité une préparation. En réalité, la journée du lendemain sera bien assez chargée.
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Thema / Le sommeil
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Pour la Science 170 bis boulevard du Montparnasse - 75014 Paris
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Directrice des rédactions : Cécile Lestienne Cerveau & Psycho Rédacteur en chef : Sébastien Bohler Rédactrice en chef adjointe : Bénédicte Salthun-Lassalle Rédacteur : Guillaume Jacquemont Conception graphique : Pauline Bilbault Directrice artistique : Céline Lapert Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy Réviseuse : Anne-Rozenn Jouble Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe Marketing & diffusion : Arthur Peys Chef de produit : Charline Buché Presse et communication : Susan Mackie susan.mackie@pourlascience.fr Tél. : 01 55 42 85 05 Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot Publicité France Stéphanie Jullien stephanie.jullien@pourlascience.fr Tél. : 06 19 94 79 25 © Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de représentation réservés pour tous les pays. Certains articles de ce numéro sont publiés en accord avec la revue Spektrum der Wissenschaft (© Spektrum der Wissenschaft Verlagsgesellschaft, mbHD-69126, Heidelberg). En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris). © Couverture : shutterstock.com/shutt2016 EAN : 9782490754038 Dépôt légal : Avril 2019
SOMMAIRE
P/4/DORMIR, C’EST LA VIE ROBERT STICKGOLD
P/15/COMMENT APPRENDRE EN DORMANT KEN A. PALLER ET DELPHINE OUDIETTE.
P/25/MAIGRIR SUR L’OREILLER ? MANFRED HALLSCHMID
P/32/UN INQUIÉTANT MANQUE DE SOMMEIL DAVID ELMENHORST ET EVA-MARIA ELMENHORST
P/45/COMBIEN DE TEMPS PEUT-ON TENIR SANS DORMIR ? P/15
MARIE-FRANÇOISE VECCHIERINI
P/48/RÉAPPRENDRE À DORMIR PATRICK LEMOINE
P/60/COMMENT PASSER UNE BONNE NUIT
ANNA VON HOPFFGARTEN ET YOUSUN KOH
P/48
P/63/POUR EN FINIR AVEC L’INSOMNIE ROMINA RINALDI P/74/LA SIESTE AMÉLIORE-T-ELLE LES PERFORMANCES KIMBERLY COTE
P/32
P/77
Thema / Le sommeil
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P/77/SOMMEIL DES BÉBÉS ATTENTION AUX ÉCRANS ! BÉNÉDICTE SALTHUN-LASSALE
ROBERT STICKGOLD Thema / Titre thema
© Complot/shutterstock.com
Dormir, c’est la vie
Dormir n’est pas seulement reposant. Humeur, mémoire, santé physique et intellectuelle : tout dépend de notre sommeil et on sait de mieux en mieux comment.
A
i-je vraiment besoin de dormir ? » Cette question, on me la pose à chacun de mes séminaires à travers le monde. Et ma réponse, invariablement, est sans équivoque : « Oui, tout le monde a besoin de dormir. » Au même titre que la faim, la soif ou le désir sexuel, le sommeil est une nécessité physiologique universelle : nous passons en moyenne un tiers de notre vie à dormir. Mais les bénéfices réels de cet état d’inconscience prolongée font l’objet de nombreuses spéculations au sein de la communauté scientifique.
Devant notre incapacité à répondre clairement à cette question, Allan Rechtschaffen, un des plus grands spécialistes mondiaux du sommeil, répondait avec humour en 1978 : « Si le sommeil n’est pas une fonction vitale de l’organisme, il représente alors la plus grande erreur que l’évolution ait jamais commise. » Et John Allan Hobson, neuropsychiatre américain et chercheur, plaisantait lui aussi dans les années 1990 en rétorquant que l’unique fonction du sommeil était sans doute de guérir précisément ? notre manque de sommeil.
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Cependant, depuis une vingtaine d’années, les études scientifiques ont levé partiellement le voile quant à la nécessité de dormir. Loin de se limiter à une unique fonction biologique, le sommeil garantit le fonctionnement optimal d’une multitude de processus physiologiques : l’activité du système de défense immunitaire et l’équilibre hormonal de l’organisme, la santé émotionnelle et psychique, les apprentissages, les processus de mémorisation, ou encore l’élimination des déchets du cerveau. Aucun de ces mécanismes ne « s’arrête » en l’absence de sommeil, mais ce dernier semble les améliorer, sans pour autant être totalement nécessaire. Toutefois, une privation de plusieurs mois de sommeil conduit irrémédiablement à la mort. Ironie du sort : c’est aujourd’hui, alors que les découvertes insistent sur la nécessité d’une bonne nuit pour le fonctionnement optimal du corps et de l’esprit, que les gens passent le moins de temps dans les bras de Morphée.
Insomnie fatale À la fin du xxe siècle, les chercheurs ont balayé les anciennes théories sur les origines
Comment apprendre en dormant KEN A. PALLER ET DELPHINE OUDIETTE © Donald Iain Smith / shutterstock.com
Thema / Titre thema
Une technique révolutionnaire, la réactivation mnésique, permet de renforcer certains souvenirs pendant le sommeil, grâce à des sons discrets ou des odeurs.
dans un profond sommeil, posant les bases d’une nouvelle science de l’apprentissage durant le sommeil.
Pour arrêter de se ronger les ongles ?
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ans Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, un garçon mémorise chaque mot d’une conférence en anglais, alors qu’il ne connaît pas la langue… Et ce, pendant qu’il est en train de dormir près d’une radio qui retransmet la conférence. À son réveil, l’enfant est capable de la réciter en entier. S’appuyant sur cette découverte, les autorités totalitaires du monde dystopique de Huxley adaptent la méthode pour façonner l’inconscient de tous les citoyens. Tout le monde sait que nous apprenons mieux quand nous sommes bien reposés. En revanche, la plupart d’entre
nous pensent a priori qu’il est impossible d’apprendre en dormant. Pourtant, de nouvelles découvertes scientifiques suggèrent que les choses ne sont pas aussi simples : une partie essentielle de l’apprentissage se produit bien pendant le sommeil. En effet, des souvenirs récemment formés refont surface pendant la nuit, et cette relecture aide à les « consolider », voire à en mémoriser certains de façon définitive. Et si aujourd’hui le scénario imaginé par Huxley en 1932 reste une fiction, des expériences indiquent qu’il est possible de manipuler les souvenirs d’une personne plongée
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Pour que de telles manipulations fonctionnent, il s’agit avant tout d’explorer comment une personne peut absorber une information à un moment où sa conscience semble au repos. À l’époque où Huxley a écrit son roman, commençaient déjà de sérieuses recherches sur la possibilité d’intervenir durant le sommeil. En 1927, le New-Yorkais Alois Saliger inventait une « machine à suggestion automatique à départ différé », commercialisée sous le nom de PsychoPhone, capable de réémettre pendant la nuit un message enregistré. Puis, dans les années 1930 et 1940, diverses études livraient de prétendus exemples d’apprentissage durant le sommeil… L’une d’elles, publiée en 1942, décrivait ainsi une expérience que Lawrence LeShan, alors au Collège de William et Mary, aux États-Unis, avait menée dans un camp d’été où nombre de garçons se rongeaient les
MANFRED HALLSCHMID ET JAN BORN
Thema / Titre thema
© Cerveau & Psycho
Maigrir sur l’oreiller ?
Un sommeil de qualité est essentiel pour garder la ligne – ou l’obtenir ! La raison ? La nuit, notre cerveau fait la chasse aux kilos.
souvent plusieurs décennies) confirment le lien entre les deux phénomènes : moins les gens dorment, plus ils risquent de prendre quelques kilos.
Les hormones de la nuit
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ous en avez assez des régimes hyperprotéinés, de la relaxation, de l’hypnose ou de l’acupuncture ? Vous ne savez décidément plus comment vous débarrasser de ces kilos en trop et vous avez l’impression que rien ne marche ? Et si vous tentiez quelque chose de vraiment différent ? Quelque chose qui ferait à la fois du bien à votre ligne et à votre tête, à votre équilibre général ; quelque chose de vieux comme le monde mais que l’humanité semble avoir oublié ? Cette méthode consiste tout simplement à mieux dormir. Car nous ne dormons plus. Ou beaucoup moins – environ une heure et demie de moins qu’il y a un demi-siècle. Or non
seulement le taux d’obésité a explosé au cours de cette période, mais nous disposons aujourd’hui de données scientifiques en quantité qui établissent une nette corrélation entre la diminution du temps de sommeil et le surpoids. Une soixantaine d’études épidémiologiques pointent ainsi du doigt le nombre d’heures insuffisantes pendant lesquelles nous nous reposons des incessantes stimulations de la journée. Dans les pays développés, on ne dort plus qu’environ sept heures par nuit (contre huit à neuf heures dans les années 1950). Les études que l’on appelle longitudinales (elles suivent des échantillons de population pendant une période de temps donnée,
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La bonne nouvelle, c’est qu’on sait aujourd’hui par quels mécanismes un bon sommeil peut normaliser le poids. Un des premiers laboratoires de recherche à avoir précisé ce lien est celui de Eve Van Cauter, à l’Université de Chicago. Dès 2004, elle réalise des analyses de sang chez de jeunes hommes ayant dormi soit neuf, soit quatre heures la nuit précédente. Verdict : chez les participants ayant peu dormi, une hormone produite par l’estomac, la ghréline, augmente de 30 %. Le rôle de cette ghréline ? Créer la sensation de faim. C’est pourquoi nous aurions tendance à manger plus quand nous ne dormons plus assez. Ce que confirmera quelques années plus tard une expérience du diététicien Peter Jones, à l’Université du Manitoba : en 2011, il réduit expérimentalement le temps de sommeil d’un groupe de cobayes à quatre heures. Il leur propose ensuite un buffet à
PAR DAVID ELMENHORST ET EVA-MARIA ELMENHORST Thema / Titre thema
© ALMAGAMI / shutterstock.com
Un inquiétant manque de sommeil
À l’heure où nous dormons de moins en moins, quels sont les effets du manque de sommeil sur nos capacités cognitives ? Récemment, des laboratoires ont repéré les changements délétères qui se jouent dans nos cerveaux. Plus que jamais, il est temps de prendre son sommeil au sérieux.
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l est encore tôt quand nous arrivons au laboratoire sur le sommeil du centre d’études spatiales et aéronautiques de Cologne. Au-dehors, les premiers rayons de l’aube pointent tout juste. Lorsque nous pénétrons à l’intérieur des locaux, la luminosité est à peine plus élevée : seulement de 100 lux, pas franchement de quoi combattre la somnolence. Nous allons dans quelques instants réveiller nos patients, et relever les enregistrements de leur activité cérébrale réalisés durant la nuit. L’une d’entre eux, Sarah, n’a eu le droit de dormir que cinq heures au cours des cinq dernières
nuits. Rien d’étonnant si elle est fatiguée et peu loquace. Avant qu’elle se lève pour de bon, il lui reste à subir une prise de sang. Puis, en guise de petit-déjeuner, elle aura droit aujourd’hui à une solution sucrée.
La pression de sommeil : le besoin physiologique de dormir C’est alors qu’elle nous décrit les sensations qu’elle a éprouvées pendant son sommeil. « Après mes quatre premières nuits courtes, je me suis endormie très vite le cinquième soir, confie-t-elle. Mais ensuite, entre le moment où j’ai fermé
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les yeux et celui où je me suis réveillée, je ne me rappelle plus rien. Je ne pense pas m’être réveillée une seule fois. » Cette étudiante participe à une étude sur le sommeil que nous menons dans notre laboratoire. En collaboration avec le centre de recherche de Jülich, nous cherchons à déterminer les conséquences directes d’un manque de sommeil chronique. Sarah commence à éprouver les symptômes typiques de ce qu’on appelle une pression croissante de sommeil : un besoin de dormir qui s’accentue à mesure que la durée de veille augmente. Si elle le pouvait, elle s’allongerait maintenant et continuerait à dormir. Les résultats des questionnaires qu’elle a passés ces derniers jours montrent que son humeur s’est dégradée. L’analyse des courants électriques mesurés à la surface de son cerveau nous révèle aussi que les quatre premières nuits raccourcies ont modifié son sommeil. La proportion de sommeil profond (reconnaissable sur l’électroencéphalogramme à des ondes lentes, les ondes delta) a augmenté – comme si son cerveau essayait de compenser la durée
MARIE-FRANÇOISE VECCHIERINI
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Combien de temps peut-on tenir sans dormir ?
Un individu moyen peut tenir plusieurs jours sans dormir, sans séquelles sur son organisme. Mais au-delà, en cas de privation chronique, les ennuis commencent…
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n 1965, Randy Gardner, un étudiant américain de 17 ans, a passé 264 heures (11 jours et 11 nuits) sans dormir. C’est, aujourd’hui encore, la plus longue privation de sommeil enregistrée. William Dement, de l’Université Stanford, a vérifié l’absence d’endormissement en enregistrant l’activité du cerveau. Peut-on aller encore plus loin ? À la fin de sa longue veille, l’étudiant était plus instable, plus agressif et peinait à se concentrer. Ses gestes étaient moins précis, ses paroles moins fluides, ses réactions plus lentes. Il avait aussi quelques hallucinations
visuelles. Mais ce n’était pas un zombi pour autant ! Il a d’ailleurs pu tenir une conférence de presse et jouer au basket. On a étudié la privation totale de sommeil pendant quelques jours dans d’autres expériences – la plus ancienne remonte à 1896. Il a aussi été constaté une apparition progressive de ces symptômes, les hallucinations survenant en dernier. À mesure que la veille s’allonge, certains sujets semblent adhérer à ces hallucinations et perdre leur esprit critique. Selon des rumeurs circulant sur Internet, la privation de sommeil pourrait
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avoir des conséquences encore plus graves. Un disc-jockey aurait eu des hallucinations et des délires paranoïaques après avoir passé plus de huit jours sans dormir. En 2012, un Chinois serait mort à la suite d’une veille de trois jours, rivé à la Coupe du monde de football à la télévision. Mais ces deux cas sont sans doute dus à la consommation de substances psychotropes, telles que l’alcool ou les amphétamines, plus qu’à la privation de sommeil. Une trop longue privation de sommeil peut-elle alors se révéler fatale et si oui, en combien de temps ? Difficile de savoir, puisque pour des raisons éthiques évidentes, il est impossible de réaliser l’expérience ! Les études menées sur des animaux pour préciser les conséquences de la privation de sommeil donnent quelques indices, mais ne permettent pas d’extrapoler à l’homme, car les résultats varient selon les espèces. Les poussins meurent en quatre à six jours, les rats en 21 à 30 jours. Leur température interne baisse notablement et des troubles immunitaires finissent par les tuer. En revanche, les chats semblent s’endormir avant que les conséquences ne soient fatales, même
Réapprendre à dormir PATRICK LEMOINE © Shutterstock.com/ Haver
Comme une bonne partie des Français, vous ne dormez probablement pas assez. Le moment de se tourner vers les neurosciences pour savoir comment réorganiser notre vie, afin retrouver le sommeil.
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ormir, cela semble si naturel… Et pourtant, plus d’un Français sur trois dit souffrir d’un trouble du sommeil, selon les résultats de l’Institut national du sommeil et de la vigilance en 2012. Qu’il s’agisse d’insomnies, de troubles des rythmes du sommeil, du syndrome des jambes sans repos (une agitation involontaire des jambes chez le sujet endormi), ou d’une apnée du sommeil, nous serions de plus en plus nombreux à ne plus trouver un repos de qualité la nuit. Quelles sont les conséquences de cette perte de notre capital de sommeil ? Avonsnous perdu le mode d’emploi du repos ? Comment se réapproprier cet ingrédient si crucial de notre équilibre et de notre santé ?
Un sommeil naturel ? Les alternances de sommeil et d’éveil sont régulées, dans notre cerveau, par des horloges internes comme les noyaux suprachiasmatiques de l’hypothalamus, qui libèrent la mélatonine : lorsque la concentration de mélatonine augmente, la vigilance baisse et le cerveau se prépare à dormir. Lorsqu’elle diminue, nous nous réveillons. Or l’horloge biologique et la libération de mélatonine sont quotidiennement remises à l’heure par un maître horloger : la lumière. C’est donc la lumière qui, dans notre environnement, va constituer le premier modulateur de notre temps de sommeil – et de sa qualité.
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Ainsi, nos soucis actuels de sommeil ont sans doute un lien avec les multiples changements de condition de vie que notre espèce a traversés depuis ses origines. Nos ancêtres issus d’Afrique équatoriale étaient adaptés pour survivre à des températures variant peu tout au long de l’année, avec douze heures de lumière et douze heures d’obscurité par jour. Ils étaient aussi « façonnés » pour appartenir à des groupes d’une centaine d’individus ? Or, tout cela a changé d’abord progressivement (lorsque les Homo erectus ont maîtrisé le feu, puis que les sapiens ont migré vers d’autres latitudes et affronté des climats différents avec de grandes variations des durées du jour et de la nuit entre l’hiver et l’été) et de façon plus radicale avec la modernisation des techniques agricoles à partir du xviiie siècle, quand les espaces de vie clos ont permis d’obtenir de l’obscurité pendant la journée, et avec la révolution industrielle amenant progressivement l’éclairage artificiel. Avec l’apparition de l’électricité, de l’éclairage public, des ampoules et des néons, de la télévision, des ordinateurs, puis des tablettes
Comment passer une bonne nuit TEXTE : ANNA VON HOPFFGARTEN / ILLUSTRATION : YOUSUN KOH ©Shutterstock.com/ Nitchakul Sangpetch
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Dormir, cela ne tombe pas du ciel. Pour mettre toutes les chances de votre côté, sachez mettre en place de « bonnes pratiques » qui ont été validées par les neuroscientifiques et les spécialistes du sommeil.
1 Des horaires de coucher réguliers Vous ne pourrez mettre en place vos rythmes naturels que si vous allez au lit et si vous vous levez toujours à peu près à la même heure. Cela vaut aussi pour les week-ends : pas de grasse matinée ! 2 Une lumière vive le matin Une lumière vive, juste au lever du lit, stabilise les rythmes de veille et de sommeil et rehausse efficacement l’humeur. En hiver, procurez-vous un éclairage soutenu.
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3 La sieste avec modération Un petit somme à midi a des effets bénéfiques sur l’humeur et la performance au travail, s’il ne dépasse pas 20 minutes. Ne dépassez pas cette limite, et pas après 15 heures. Vos nuits seraient moins réparatrices.
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4 Bouger pendant la journée Le sport crée une bonne fatigue corporelle, mais il n’est pas conseillé 6 avant d’aller se coucher car il active le système nerveux sympathique, qui augmente la vigilance et prépare à l’effort. Pas l’idéal pour dormir ! 5 Un moment de calme avant le coucher Ne commencez pas d’activité stimulante intellectuellement avant d’aller au lit. Notez ce qui reste à faire pour le lendemain, et n’y pensez plus, car les ruminations empêchent de dormir. 6 Un dîner léger Évitez de prendre un repas trop copieux le soir. Préférez quelque chose de léger, voire un petit en-cas. Les noix, le fromage blanc ou le poisson contiennent beaucoup de tryptophane, un nutriment qui favorise le sommeil.
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Pour en finir avec l’insomnie ROMINA RINALDI © Sylvie Bouchard/Shutterstock.com
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« Je dois dormir pour être en forme demain », « Si je ne passe pas une longue nuit, je vais être épuisé et ce sera la catastrophe » : ces pensées stressantes retardent l’endormissement. Comment les désamorcer et retrouver le sommeil ?
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l est 22 h 30, Jeanne tire les rideaux de la fenêtre de sa chambre à coucher, éteint la lumière et s’installe confortablement dans son lit. Elle s’est couchée tôt, car elle a une journée chargée le lendemain : plusieurs réunions vont s’enchaîner dans la journée et elle devra être alerte pour gérer les horaires, récolter les bonnes informations et assurer le suivi de ces échanges. Elle a fait des heures supplémentaires aujourd’hui pour que tout soit prêt pour la journée de demain. Une fois rentrée, elle s’est occupée du dîner et des enfants. C’est donc épuisée qu’elle se met au lit pour entamer cette
nuit de sommeil si attendue et si nécessaire. Mais les heures passent et Jeanne ne parvient pas à trouver le sommeil. En réalité, cela fait maintenant plusieurs mois qu’elle souffre d’insomnie et il lui semble que plus elle est fatiguée, moins elle parvient à s’endormir. Au début, elle pensait que le stress était la cause de son manque de sommeil. Elle a cherché à s’accorder des moments de détente, à faire du sport pour évacuer les tensions, mais rien n’y faisait : les nuits étaient de plus en plus courtes et les journées de plus en plus pénibles. Elle a fini par aller consulter son médecin de famille qui lui a conseillé des tisanes de valériane, des
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comprimés à base de plantes, et de consulter un sophrologue. Elle suit rigoureusement ses conseils et a ressenti quelques effets bénéfiques sur son sommeil les premières semaines, mais très vite, ceux-ci ont disparu et Jeanne est de plus en plus désemparée. Son manque de sommeil affecte considérablement sa vie privée et professionnelle : elle ne parvient plus à se concentrer, oublie des rendez-vous ou des informations importantes, se sent en retrait par rapport au reste du monde et se trouve démoralisée. Elle craint de perdre son travail si elle oublie une réunion importante, d’être une mauvaise mère pour ses enfants en ne parvenant pas à leur accorder l’attention nécessaire et une mauvaise épouse si elle n’est pas de meilleure humeur. Mais elle ne souhaite pourtant pas consommer de somnifères, car elle sait que ces médicaments sont addictifs et peuvent manquer d’efficacité sur le long terme. C’est donc en dernier recours qu’elle consulte une psychologue pour gérer les aspects émotionnels liés à son manque de sommeil. Celle-ci lui explique que ses problèmes émotionnels, cognitifs et ses
KIMBERLY COTE
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La sieste améliore-t-elle les performances ?
La sieste idéale ne dure pas plus de vingt minutes et se pratique en début d’après-midi.
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es adultes n’ont certes pas autant besoin d’une sieste au milieu de la journée que les jeunes enfants. Pourtant, selon une étude de l’Inpes en 2008, les Français seraient 30 % à s’en accorder au moins deux dans la semaine. Les raisons évoquées ne manquent pas. Certains cherchent à rattraper un peu de sommeil après une mauvaise nuit. D’autres pratiquent la sieste à titre préventif : les travailleurs de nuit peuvent ainsi préparer leur longue veille à venir. Et pour bien d’autres, de tous les âges et dans toutes les cultures, il s’agit d’une gourmandise – ils piquent un somme juste parce qu’ils aiment ça !
Une amélioration de l’humeur et des performances Les études confirment que la sieste améliore l’humeur. Elles vont même plus loin, en montrant que ses adeptes ont des réactions plus rapides et de meilleures performances aux tâches de logique, d’attention et de mémoire. À quoi ressemble la sieste idéale ? Elle n’est pas trop longue et se pratique plutôt en début d’après-midi. La meilleure durée pour l’humeur et les capacités cognitives semble être de 20 minutes. Mais des siestes plus courtes, d’environ 10 minutes, sont également bénéfiques,
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car elles améliorent aussi les performances sans trop nous déconnecter des tâches à venir. En revanche, les siestes de plus d’une heure ne sont pas recommandées. Elles provoquent un sommeil profond dont il est difficile de sortir frais et dispos. En outre, les siestes trop longues diminuent la qualité du sommeil nocturne. Le moment le plus propice pour une sieste se situe entre 14 et 16 heures. Notre horloge interne est réglée de telle sorte que c’est à ce moment qu’il est le plus facile de s’endormir et que les bienfaits sont les plus importants. À condition bien sûr que les rythmes
Sommeil des bébés : attention aux écrans ! BÉNÉDICTE SALTHUN-LASSALLE © Shutterstock / surowa
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Pour la première fois, une étude révèle que même quelques minutes d’utilisation quotidienne d’un écran tactile perturbent le sommeil des enfants de moins de trois ans.
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hacun sait que la télévision, les jeux vidéos et écrans en tout genre perturbent le sommeil des enfants et des adolescents, avec des conséquences néfastes sur leur développement et leurs apprentissages. Le psychiatre Serge Tisseron a proposé en 2007 la règle des « 3-6-9-12 » : pas d’écran avant 3 ans ; pas de console de jeu avant 6 ans ; pas d’internet avant 9 ans ; enfin, internet seul après 12 ans. Pourtant, force est de constater que l’on voit de plus en plus de bambins de moins de 3 ans avec un smartphone ou une tablette entre les mains, ne serait-ce que quelques minutes par jour. Cette utilisation des écrans tactiles à un si jeune âge a-t-elle déjà un effet sur leur santé ? Oui, au moins sur leur sommeil, selon une étude menée par Tim Smith, de
l’université de Londres. C’est la première fois que des chercheurs analysent ce phénomène chez des tout-petits en observant 715 enfants âgés de 6 mois à 3 ans. Ils ont demandé à leurs parents de remplir des questionnaires sur le mode d’utilisation des écrans tactiles de leur enfant et sur leur sommeil : combien de minutes par jour ont-ils un écran tactile entre les mains ? Combien de temps dorment-ils chaque jour et chaque nuit ? S’endorment-ils vite ? Se réveillent-ils la nuit ? Etc.
Quinze minutes de sommeil en moins par heure d’écran Trois quart des enfants étudiés utilisent un écran tactile, en moyenne près de 25 minutes par jour. Mais des
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différences existent avec l’âge : seule la moitié des nourrissons âgés de 6 à 11 mois y sont exposés 8 minutes par jour, alors que ce sont 92 % des bébés de 26 à 36 mois qui tapotent sur un écran 45 minutes par jour. Indépendamment d’autres facteurs comme l’âge des enfants et de leurs parents, leur sexe, l’exposition à la télévision et l’éducation, pour chaque heure passée devant un écran pendant la journée, les enfants dorment 15,6 minutes de moins par jour (26,4 minutes de moins la nuit et 10,8 minutes de plus le jour, probablement pour compenser). Et les chercheurs ont montré que c’est leur temps d’endormissement qui est allongé dans l’ensemble, alors que la qualité du sommeil ne semble pas perturbée. Quatre mécanismes, mis en évidence par d’autres études chez les enfants de plus de 6 ans et les adolescents, expliqueraient l’effet des écrans sur la durée du sommeil. Premièrement, l’utilisation de ces technologies décale le moment où l’enfant est prêt à dormir. Deuxièmement, le contenu de ce qu’il regarde perturberait son endormissement. Troisièmement, la lumière bleue de l’écran modifie son horloge interne