Thema Cerveau&Psycho n°14 : psychonutrition

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Neurobiologie LES ALIMENTS QUI FONT DU BIEN À VOTRE CERVEAU

Régimes LA VRAIE MÉTHODE POUR PERDRE DU POIDS

Troubles alimentaires QUAND LES ÉMOTIONS PERTURBENT L’ALIMENTATION

PSYCHO NUTRITION Connaître son cerveau pour mieux manger


ÉDITO

TROUVER SON ÉQUILIBRE DANS L’ASSIETTE

S Philippe Ribeau

Responsable éditorial web

elon un suivi réalisé en 2016, plus de un Français sur deux est en surpoids, et 16 % sont obèses. Comment en est-on arrivé là ? La réponse est simple : nous grossissons parce que nous mangeons trop. Nous n’arrivons pas à nous adapter à la surabondance de nourriture de nos sociétés modernes. Notre cerveau est pourtant capable de moduler notre consommation en fonction de nos besoins. Mais de nombreux facteurs perturbent ce mécanisme de contrôle : trop de disponibilité, trop de variété, trop de distractions… Trop d’émotions aussi parfois : qui ne s’est jamais jeté sur la nourriture pour calmer son stress ou se changer les idées ? Cette influence de l’affect peut – bien plus que les aliments eux-mêmes – conduire à des troubles comme l’addiction ou l’anorexie. Comment alors retrouver une hygiène alimentaire ? Les régimes sont aussi divers qu’inefficaces : difficiles à tenir sur la durée, ils se soldent presque toujours par une prise de poids supplémentaire. On sait aujourd’hui que pour mincir sur le long terme, il faut être patient et changer progressivement ses habitudes alimentaires, de sorte à réduire légèrement les quantités sans se priver. Pour cela, il est utile de savoir éviter les pièges qui se cachent jusque dans votre cuisine : manger dans des assiettes plus petites, ne pas servir à table, ne pas disposer les aliments gras et sucrés sous votre nez, etc. Et ne pas se laisser berner par les emballages séduisants et les arguments de santé trompeurs – produits minceur, allégés, naturels… – qui nous font parfois manger davantage et moins sainement, alors que nous pensions manger mieux. En dévoilant les mécanismes cérébraux et physiologiques du comportement alimentaire, ce Thema vous aidera à rétablir l’équilibre dans votre assiette… et dans votre vie !

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Thema / Nutrition

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Pour la Science 170 bis boulevard du Montparnasse - 75014 Paris

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SOMMAIRE

P/04/COMPRENDRE NOTRE CORPS POUR MIEUX MANGER DIDIER CHAPELOT

P/17/BIEN NOURRIR SON CERVEAU BRET STETKA

P/26/NE LAISSEZ PAS VOS ÉMOTIONS DICTER VOTRE ALIMENTATION PAUL BRUNAULT

P/32/LES ADDICTIONS ALIMENTAIRES EXISTENT-ELLES ? GÉRARD APFELDORFER

P/40/LIBÉRÉ(E)S DES RÉGIMES P/17

CHARLOTTE N. MARKEY

P/50/DIX PIÈGES À ÉVITER POUR UNE ALIMENTATION NATURELLE SÉBASTIEN BOHLER

P/54/LES BIENFAITS DU JEÛNE ULRIKE GEBHARDT

P/54

P/63/MANGER SAIN EST-IL MALSAIN ? CAMILLE ADAMIEC

P/69/ALIMENTATION : ATTENTION AUX BIAIS DE PERCEPTION ! CAROLINA WERLE

P/26

P/77

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P/77/POURQUOI AVONS-NOUS PEUR DU GLUTEN ? SUSANNE SCHÄFER


DIDIER CHAPELOT

© Unsplash/ Caju Gomes

Comprendre notre corps pour mieux manger


Nous grossissons en général parce que nous n’arrivons plus à nous adapter « spontanément » à notre environnement d’abondance. D’où l’importance de comprendre les mécanismes du comportement alimentaire pour manger mieux.

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otre comportement alimentaire repose sur des mécanismes biologiques issus d’une adaptation à un environnement, qui fut relativement stable durant de nombreux millénaires. Comme tout comportement, le cerveau en est l’opérateur. Mais depuis quelques décennies, ces mécanismes doivent faire face à des changements de modes de vie qui perturbent cette adaptation dans le sens d’un déséquilibre énergétique : les apports sont supérieurs aux dépenses. Cela conduit à un

stockage d’énergie sous forme de graisse et à ce que certains nomment même une « épidémie d’obésité ».

Quand les apports sont supérieurs aux dépenses, on grossit Nous devons donc contrôler consciemment notre alimentation – et mettre en place un relais cognitif – pour échapper à cette « sanction » pondérale. Mais si nutrition et diététique sont nécessaires, analyser le fonctionnement et d’où vient notre

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comportement alimentaire peut éviter de verser dans une lutte perpétuelle avec notre organisme, parfois destructrice, notamment pour l’estime de soi. Ce comportement repose sur une séquence très précise, dite prandiale. D’abord, il y a un signal de faim : le cerveau nous incite à prendre un repas. Puis le mécanisme dit de rassasiement provoque progressivement l’arrêt de la consommation alimentaire. Enfin, il existe une période sans signal, dite de satiété, quand nous n’avons pas faim. Cette séquence définit le comportement alimentaire physiologique. Toute autre consommation, par exemple quand nous mangeons sans faim, simplement par l’attrait qu’exerce sur nous un aliment, par ennui ou même pour nous consoler, peut être considérée comme répondant à d’autres facteurs, que nous serions tentés d’appeler abusivement extraphysiologiques. Ces derniers mettent en œuvre des mécanismes différents, liés au plaisir et à la distraction. Mais abordons d’abord la physiologie. Le mécanisme à l’origine du signal de faim fait toujours l’objet de vives controverses.


BRET STETKA

© Shutterstock.com/Eugene Sergeev

Bien nourrir son cerveau


Comment manger de façon à assurer un développement optimal à nos neurones ? C’est ce qu’explore depuis quelques années la « psychiatrie nutritionnelle ».

doit leur permettre de mieux gérer leur stress. L’autre moitié reçoit des conseils nutritionnels. C’est le cas de Carolyn, qui découvre qu’elle aime les aliments sains comme le saumon ou le thon. Elle les substitue alors aux frites, gâteaux et sucreries auxquels elle était habituée.

Saumon et thon contre dépression

À

75 ans, Carolyn tient une forme étincelante. Entre une activité sociale débordante et ses quatre petits-enfants, elle n’a pas le temps de s’ennuyer. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Il y a sept ans, le tableau était bien différent pour cette retraitée de Pittsburgh. Dépressive et apathique, elle se nourrissait mal et souffrait d’un excès de poids, de diabète et d’une maladie pulmonaire chronique. « Je venais de perdre ma mère et mes deux fils étaient partis », se souvient-elle.

Mais un jour, un ami lui parle d’une étude sur la prévention de la dépression qui va démarrer à l’université de Pittsburgh. Elle décide aussitôt d’y participer. Comme Carolyn, toutes les personnes incluses dans cette étude – 247 au total – sont âgées et souffrent de troubles dépressifs légers qui, s’ils ne sont pas traités, conduisent à une grave dépression dans 20 à 25 % des cas. La moitié des participants bénéficie d’une psychothérapie cognitivo-comportementale qui

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Quinze mois plus tard, en 2014, une surprise attend le psychiatre Charles Reynolds et ses collègues : l’état des patients s’est très nettement amélioré, dans les deux groupes. Or, celui de Carolyn servait de témoin. Les conseils diététiques n’étaient pas censés avoir un quelconque effet sur la santé mentale des patients… Pourtant, les résultats du test de Beck – un questionnaire à choix multiples utilisé pour mesurer la gravité de la dépression – sont sans appel : tous les patients ont enregistré une diminution de 40 à 50 % de leurs symptômes dépressifs. Seuls 8 % ont développé une forme sévère de la maladie. Il est fort probable que l’effet placebo ait joué un rôle dans l’amélioration de l’état des patients. Le simple fait de rencontrer


PAUL BRUNAULT

©Unsplash/Pete Wright

Ne laissez pas vos émotions dicter votre alimentation


Comment nos émotions influent-elles sur notre alimentation, et inversement ? À quel moment bascule-t-on dans l’addiction ? Comment résister à la tentation engendrée par la profusion de nourriture disponible ? Paul Brunault, médecin psychiatre spécialisé dans la prise en charge des addictions alimentaires, nous répond.

Le corps humain a ses propres mécanismes de régulation de l’alimentation. Pourquoi avons-nous parfois tant de mal à les maintenir en équilibre ? Parce que le monde a changé depuis que ces mécanismes d’équilibrage se sont constitués. Pour nos ancêtres, la nourriture était globalement difficile d’accès, et ce jusqu’à une époque relativement récente – probablement moins d’un siècle. Aujourd’hui, dans les pays industrialisés,

la plupart des gens n’ont même plus à se poser la question de savoir où et quand ils vont trouver à manger. C’est l’accessibilité et l’abondance de la nourriture qui fait la différence. À cela s’ajoute le fait qu’aujourd’hui, plus la nourriture est riche en graisse et en sucres, moins elle est coûteuse. Le cerveau humain se trouve donc placé face à un stimulant permanent et facilement accessible. Cela ouvre la voie à des dérives. Notamment celle qui consiste à utiliser les aliments, si facilement

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disponibles, comme moyen de réguler ses propres émotions.

Une sorte de palliatif à nos mouvements d’humeur ? C’est ce qu’on appelle l’alimentation émotionnelle. C’est une façon de se nourrir qui est en lien avec un ressenti, le plus souvent négatif, mais qui peut être aussi positif (pensez à l’envie de « se faire un bon gueuleton » quand on a appris une très bonne nouvelle). Nous ne sommes pas toujours très habiles à déchiffrer, gérer et modérer nos émotions. Lorsque nous ressentons un coup de blues ou un moment de stress, le geste consistant à tendre la main vers une barre de chocolat ou un sachet de chips peut avoir quelque chose de réconfortant. Le plaisir ressenti dissipe momentanément la tension ou le mal-être intérieur, mais de façon éphémère et surtout sans en éliminer les causes. Le risque est ensuite de banaliser le geste, de ne pas savoir gérer ses émotions autrement, et donc de devenir esclave de ce comportement. On n’est alors pas très loin de l’addiction. Il nous faut donc veiller à ne pas


GÉRARD APFELDORFER

© Unsplash/ Wei Ding

Les addictions alimentaires existent-elles ?


Non, le chocolat – ou un autre aliment – ne peut pas vous rendre dépendant ! En revanche, en manger pour contrôler vos émotions ou chasser des pensées désagréables est une addiction comportementale.

R

ien de plus populaire que la notion d’addiction, en particulier l’idée que nous puissions développer une toxicomanie à des aliments. Océane me l’annonce : « Le sucre, docteur, ça me rend frénétique ! J’y pense toute la journée, au chocolat, au Coca, aux biscuits et aux fraises Tagada. Mais grosse comme je suis… Alors je lutte toute la sainte journée, pour finir par craquer. Faut m’aider, docteur, et me désintoxiquer. » Manon n’est pas en reste : « Le Nutella surtout, c’est une drogue dure. Ça m’obsède, ça m’empêche de me concentrer et de travailler. Le soir, je passe

à la supérette pour m’acheter mon shoot, puis je me fais vomir, et souvent je recommence. C’est une obsession. » Ainsi, nombre de produits alimentaires sont accusés d’entraîner des addictions : le sucre et ses dérivés – bonbons, barres chocolatées, confiseries, pâtisseries… ; le Coca-Cola, qui contiendrait un ingrédient mystérieux entraînant une addiction ; les hamburgers composés eux aussi de substances nous rendant dépendants. Ces aliments affoleraient nos circuits cérébraux de la récompense, les inonderaient de dopamine (le neuromédiateur considéré comme

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la « molécule du plaisir »), nous satureraient d’endorphines (les analogues naturels de la morphine que le cerveau sécrète quand nous nous faisons plaisir). Quel soulagement pour Océane et Manon de se dire qu’elles ne sont pas des personnes coupables qui manquent de volonté, mais des victimes. De là à porter plainte contre ces industriels sans scrupule qui ne pensent qu’à augmenter leur chiffre d’affaires, il n’y a qu’un pas, que certains n’ont pas hésité à franchir…

Victimisation hâtive La victimisation des consommateurs ne fait pas seulement plaisir aux moralistes de tout poil, mais débouche aussi sur des solutions bien tentantes pour les pouvoirs publics : si on peut imputer l’épidémie d’obésité et des troubles du comportement alimentaire qui sévit dans les sociétés occidentales à différents aliments, alors pourquoi ne pas tenter de limiter leur consommation, voire de les interdire ? Mais instaurer la prohibition du sucre ou décréter la fermeture des restaurants à hamburgers semble quelque peu irréaliste… On


CHARLOTTE N. MARKEY © Shutterstock.com/Alan Poulson Photography

Libéré(e)s des régimes


Quel bonheur de perdre vite ses kilos superflus avec le dernier régime de l’été ! Mais quelle horreur quand ils reviennent quelques mois après, avec en prime un surplus… Les psychologues savent pourquoi les régimes échouent et connaissent des méthodes efficaces pour perdre du poids durablement.

régimes au cours de leur vie. Mais la plupart des gens ne parviennent pas à se débarrasser durablement des kilos en trop. De fait, de nombreuses études scientifiques ont montré que suivre un régime, notamment ceux faisant le buzz avant l’été, ne permet pas de perdre du poids dans la durée. Pire encore : les adeptes finissent par accumuler plus de kilos qu’ils n’en ont perdus.

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Des régimes trop restrictifs

on amie Anne a récemment testé le régime Paléo. Le principe ? Manger de la viande et des fruits comme nos ancêtres de l’âge de pierre, en supprimant les laitages, les céréales, les sucres raffinés, ainsi que tous les produits transformés. En six semaines, elle a perdu près de sept kilos. Mais à quel prix ? Pendant son régime, Anne a évité toute situation « dangereuse » : les happy hours au bar après le travail, les soirées entre copines ou les pots entre collègues. Mais comme on pouvait s’en douter, elle a vite regretté son ancienne vie et, peu à

peu, a repris ses habitudes. Après quelques semaines, mon amie a retrouvé tous ses kilos perdus, et quelques-uns en prime. Ce n’est pas son premier échec ; habituée des régimes, Anne n’a jamais réussi à mincir durablement. Dès qu’elle finit un régime, la balance, telle une pendule, remonte inexorablement le temps des kilos superflus… Cette situation n’a rien d’exceptionnel. D’après une étude de l’Inserm publiée en 2012, en France, sept femmes sur dix et un homme sur deux aimeraient maigrir. Quelque 30 % des Françaises ont suivi cinq

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Par « régime », il faut comprendre ces programmes qui exigent de réduire les portions, diminuant fortement l’apport en calories, ou d’éliminer certains groupes d’aliments, comme les glucides, les graisses ou les sucreries. Malgré ces privations, le régime séduit, car il dicte clairement ce que l’on doit ou ne doit pas manger. Ces stratégies permettent effectivement de corriger des comportements alimentaires instables ou de mauvais choix nutritionnels. Mais sur une très courte période. Dans les faits, ces régimes, trop draconiens, sont presque impossibles à respecter et donc souvent inefficaces. D’où mon conseil : ne suivez pas de régime. N’éliminez aucun groupe


SÉBASTIEN BOHLER

© Shutterstock / stockcreations

Dix pièges à éviter pour une alimentation naturelle


Le pire ennemi de votre alimentation est parfois… votre propre chez-vous ! Déjouez les pièges du quotidien grâce aux études décrites par le neuroscientifique Michel Desmurget dans son ouvrage L’Antirégime (Belin, 2017).

1/ Utilisez de petites assiettes Inconsciemment, nous avons tendance à absorber davantage de nourriture si nos assiettes sont plus grandes. Nous nous servons alors des portions plus importantes et rehaussons notre appétit en conséquence. Par exemple, des personnes mangeant dans des assiettes de 26 centimètres de diamètre mangent 25 % de plus que des personnes prenant leur repas dans des assiettes de 14 centimètres de large. K. Van Ittersum et B. Wansink, Plate Size and Color Suggestibility : The Delboeuf Illusion’s Bias on Serving and Eating Behavior, Journal of Consumer Research, vol. 39, pp. 215-228, 2012

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2/ Placez la nourriture dans des endroits opaques, peu visibles, peu accessibles Dans des études menées sur 200 femmes, celles qui laissent visibles les aliments les plus tentants et les plus « dangereux » (sodas, chocolats) grignotent davantage et accusent le coup sur la balance. Par exemple, laisser régulièrement en vue sa bouteille de soda est associé en moyenne à un surpoids de 12 kg. De même, des bonbons placés dans des bocaux transparents sont consommés 75 % davantage que les mêmes bonbons dans des récipients opaques. Prévoyez donc de bons placards en hauteur et à l’abri des regards… J. E. Painter et al., How visibility and convenience influence candy consumption, Appetite, vol. 38, pp. 237-238, 2002.

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ULRIKE GEBHARDT

© Shutterstock.com/Shebeko

Les bienfaits du jeûne


Notre corps semble fait pour observer de longues périodes de restriction calorique, allant de 12 heures à plusieurs jours. Tels sont les résultats des récentes recherches en physiologie de l’alimentation. Avec, à la clé, une meilleure santé du corps, mais aussi un cerveau plus jeune et plus performant.

L

e manchot empereur est un expert du jeûne. Il peut tenir jusqu’à cinq mois de l’année sans avaler le moindre poisson, subsistant grâce à ses réserves de graisse et allant jusqu’à perdre la moitié de son poids de 15 kg par des températures de moins 60 degrés. Nous n’avons pas grand-chose en commun avec lui. Nous mangeons à peu près tout le temps, sauf lorsque nous dormons. Les trois repas quotidiens sont si fortement ancrés dans notre conscience depuis des générations qu’y renoncer n’est absolument pas envisageable pour une majorité

de personnes. À quoi nous ajoutons des en-cas, des boissons rafraîchissantes souvent sucrées et pour finir la journée un verre de vin ou une bière avec un petit sachet d’apéritifs salés…

Un excès de nourriture abîme le corps L’industrie agroalimentaire se frotte les mains. Notre corps un peu moins. « Nous sommes une société de surplus, la nourriture est toujours disponible, et dans le même temps nous nous déplaçons à peine », note Dieter Melchart, professeur de

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médecine complémentaire et de soins naturels à l’université technique de Munich, en Bavière. Cela laisse des traces sous forme de surpoids, de diabète, d’hypertension, d’AVC, d’infarctus du myocarde et de maladie d’Alzheimer. Un regard sur le manchot empereur, et sur la nature à laquelle nous appartenons en dépit de nos téléphones portables, de nos hot-dogs et de nos cuisines suréquipées, pourrait nous montrer ceci : la vie sur Terre s’est développée au rythme des jours et des nuits, du froid et de la chaleur, de l’excès et du manque. Et nous serions probablement bien avisés d’accepter de temps en temps quelques privations, et « d’aller pour une fois à l’encontre du continuel engloutissement qui forme la toile de fond de nos vies », comme le souligne Melchart. Paracelse, le fameux médecin et philosophe de la Renaissance, considérait déjà en son temps que le jeûne était le plus grand des remèdes, sans disposer pour cela de laboratoire de recherche. Alors, quels indices en ce sens nous livre la science moderne ? Une chose est certaine : un excès de nourriture abîme le corps, et même le


CAMILLE ADAMIEC

© Shutterstock.com/R.Legosyn

Manger sain est-il malsain ?


Les « orthorexiques » font très attention à ce qu’ils mangent et se restreignent à des aliments qu’ils jugent bons pour leur santé. Parfois, ils font de leur alimentation le centre de leur vie, voire une obsession… L’orthorexie est-elle une maladie ?

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uand il se lève, Pierre ne mange que les aliments qu’il a achetés chez ses marchands « bio », qui vendent seulement des produits sans colorants, ni additifs, ni conservateurs, ni pesticides… Au menu : uniquement des céréales complètes et du fromage. Tous les jours, à chaque repas, depuis de nombreuses années. Pierre rejette systématiquement tout aliment qu’il considère mauvais pour sa santé – donc tous, sauf les céréales complètes et le fromage. Mais Pierre se sent bien, il apprécie son mode de vie. Il se prépare même son repas du midi, pour déjeuner avec ses

collègues, et ne dînera pas au restaurant le soir avec eux, préférant se mettre à la diète. Quant à Steve, cela fait plusieurs années qu’il mange essentiellement des fruits et des légumes frais, qu’il prend grand soin à choisir et à sélectionner… S’il souffre de différentes carences, qui mettent en danger son organisme, il n’en a pas forcément conscience. Steve pense que sa façon de s’alimenter est ce qu’il y a de plus sain pour lui.

Une préoccupation sociétale Ce genre de comportements face à la nourriture semblent en général excessifs,

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irrationnels. Il est vrai que bien manger – en qualité et en quantité – est essentiel au développement de l’organisme et du cerveau. Les famines ou la malnutrition n’ont jamais amélioré la santé… Nul n’en doute. Mais pour certaines personnes, tels Pierre et Steve, « l’alimentation-santé » devient centrale dans leur vie, et elles organisent leur quotidien autour de la recherche du bienêtre alimentaire. Dans les sociétés occidentales, on parle d’orthorexie. Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce une pathologie ? L’alimentation-santé – se nourrir pour améliorer sa santé – s’inscrit avant tout dans un contexte d’inquiétudes collectives à propos des aliments. Après la Seconde Guerre, les individus, les politiques, les sociétés ont pris conscience des enjeux sanitaires propres à la nourriture. Différentes crises ont secoué les foules et érodé leur confiance : l’explosion de Tchernobyl et la contamination des sols, les cultures d’OGM, la crise de la vache folle, l’épidémie de grippe aviaire, etc. Les politiques, médecins, scientifiques, philosophes, sociologues, intellectuels ont alors réfléchi à ces « crises » et les


CAROLINA WERLE

© Ingrid Leroy / Shutterstock.com/nito/Ipich

Alimentation : attention aux biais de perception !


Taille des contenants, emballages, arguments de santé… Différents biais nous font parfois manger plus et moins sainement, alors que nous pensions manger mieux.

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référez-vous manger sain et équilibré, plutôt que gras et chimique ? Vous répondez, sans hésiter et en toute bonne foi, « sain et équilibré ». D’ailleurs, 98 % des Français connaissent au moins l’une des recommandations préconisées par le Programme national nutrition santé (PNNS), tel « manger cinq fruits et légumes par jour ». Alors pourquoi y a-t-il toujours plus de personnes en surpoids en France ? En 2012, l’enquête ObÉpi montrait encore

une augmentation de la prévalence de l’obésité entre 2006 et 2012, avec environ 6,9 millions d’adultes obèses. Plusieurs causes entrent en jeu dans ces données paradoxales. L’une d’elles, souvent méconnue, concerne nos décisions face à notre assiette. En 2006, Brian Wansink, professeur de marketing à l’université Cornell à Ithaca, et ses collègues ont montré que nous prenons, en moyenne, plus de 200 décisions alimentaires par jour et que,

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pour la plupart d’entre elles, nous sommes peu impliqués et peu attentifs. Ce qui signifie que ces choix sont réalisés de façon automatique : sans réfléchir, nous ajoutons un sucre à notre café, nous tartinons du beurre avant la confiture… Des facteurs contextuels sont donc susceptibles d’influer sur nos décisions, dont des éléments de marketing ; examinons ainsi les effets inattendus des labels, des emballages, des messages publicitaires ou de santé sur notre prise alimentaire. Le nombre de calories disponibles par individu sur le marché américain a augmenté de 600 entre 1970 et 2005, et les enquêtes montrent aujourd’hui une consommation excessive d’aliments trop gras ou trop sucrés. Une raison à cela : la taille des portions et des emballages alimentaire, de plus en plus grande, surtout pour les produits de snacking, la restauration rapide, et les sodas. Bien sûr, les portions en France restent plus petites que celles aux États-Unis, que ce soit les parts individuelles vendues en supermarché ou celles servies au restaurant. Une barre chocolatée vendue à Philadelphie est 41 % plus


SUSANNE SCHÄFER

© Shutterstock.com / Wichudapa

Pourquoi avons-nous peur du gluten ?


De plus en plus de personnes consomment des produits sans gluten ou sans lactose. Pourtant, elles ne souffrent d’aucune intolérance alimentaire. Comment expliquer ces maladies subjectives ?

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epuis peu, les galettes de riz sont « sans gluten ». Bravo ! Il était temps… car elles n’en ont jamais contenu. Que ferait cette protéine du blé dans le riz ? Cependant, la nouvelle étiquette « sans gluten » sur l’emballage serait un bon argument de vente. Dans tous les rayons, fleurissent des aliments que nous consommons depuis longtemps, mais qui sont désormais « sans gluten » ou « sans lactose ». Sans aucun doute, les intolérances alimentaires existent : certaines personnes ne peuvent pas manger un type d’aliment parce que leur organisme ne le tolère pas

ou mal. Consommer cet aliment les rend malades, ou même, le produit peut être vraiment dangereux pour leur santé. Donc, grâce aux étiquettes « sans gluten », ces individus font leurs courses plus facilement. Mais on observe un phénomène étonnant : d’autres personnes décident de renoncer au pain, au lait et à d’autres ingrédients ayant des effets présumés dévastateurs, bien que ce ne soit pas médicalement nécessaire.

Fini les flatulences ! Aujourd’hui, nous rendons souvent notre nourriture responsable de nos

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problèmes de santé. Certaines personnes, qui ont mal à la tête au lendemain d’une soirée festive et arrosée avec quelques verres de vin rouge, ne pensent pas que leur consommation excessive d’alcool soit responsable de leur trouble, mais qu’elles souffrent d’une intolérance aux histamines (des amines naturellement produites par notre système immunitaire en cas de réactions allergiques, également dégradées par l’organisme, et que les aliments « fermentés », tel le vin, contiennent). D’autres individus pensent constater qu’ils se portent beaucoup mieux depuis qu’ils ont renoncé à l’ingrédient « dangereux » : Guillaume ne mange désormais que du pain sans gluten et se sent soudainement plus léger, n’a plus le ventre gonflé ni des flatulences toute la journée… En 2009, un sondage indiquait déjà que 30 % des Américains souhaitaient adopter un régime sans gluten. Toutefois, Alessio Fasano, du Centre de recherche sur la maladie cœliaque de l’université du Maryland, précisait que seuls 5 à 6 % des sondés étaient vraiment hypersensibles au gluten. De même, selon une étude de l’institut national de la consommation, trois


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