LES BIAIS
COGNITIFS Intuition
Sciences affectives
Heuristiques
GARE AUX DÉCISIONS HÂTIVES !
COMMENT LES ÉMOTIONS INFLUENCENT NOS DÉCISIONS
LES PIÈGES DU MODE AUTOMATIQUE DU CERVEAU
ÉDITO
COMMENT PRENDRE DE MEILLEURES DÉCISIONS
S Philippe Ribeau
Responsable éditorial web
avez-vous que des jurés, auxquels on demande de jeter un dé, infligent ensuite à l’accusé une peine de prison d’autant plus lourde qu’ils ont obtenu un résultat élevé ? Pourquoi préfère-t-on sauver 300 personnes sur 1 000 plutôt que d’en laisser mourir 700… alors que le résultat est pourtant le même ? Avez-vous l’impression qu’une seule mauvaise nouvelle l’emporte sur dix bonnes ? Pensez-vous avoir plus de chances de gagner au loto parce que vous avez perdu les cinq dernières fois ? Nous nous targuons d’être des individus rationnels, qui prennent des décisions éclairées en pesant le pour et le contre. Rien n’est moins vrai. Toutes nos décisions sont en réalité soumises à une multitude de biais inconscients. Citons, parmi d’autres, le biais de cadrage (la perception d’une information dépend du contexte), le biais d’ancrage (qui pousse à se fier à l’information reçue en premier, comme le résultat au dé), l’effet de halo (quand un aspect positif ou négatif d’une personne « déteint » sur toutes ses autres caractéristiques), le biais de supériorité (nous sommes chacun convaincus d’être meilleurs que les autres)… La liste est longue ! La faute au fonctionnement de notre cerveau. Lorsque nous ne disposons pas des éléments suffisants pour trancher une situation, nous nous reposons sur des raccourcis mentaux appelés « heuristiques de jugement ». Ce mode de traitement automatique a l’avantage de nous faire économiser de lourds processus de réflexion et de permettre des réactions rapides. Mais il nous précipite parfois vers des décisions absurdes ! Sommes-nous pour autant condamnés à prendre de mauvaises décisions ? Il existe heureusement des parades. La première est de prendre conscience de tous ces biais cognitifs pour mieux les contrer. Ensuite, prendre « le temps de la réflexion », permet justement aux circuits cérébraux du raisonnement de prendre le relais pour éviter les chausse-trappes. Laisser mûrir sa première impression pendant dix minutes suffit souvent à écarter l’influence de facteurs irrationnels. L’éducation, bien sûr, notamment à l’esprit critique, nous aide à lutter contre ces biais cognitifs. Ou enfin la lecture de ce numéro des Thema… Bonne découverte !
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Thema / Les biais cognitifs
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Pour la Science 170 bis boulevard du Montparnasse - 75014 Paris
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SOMMAIRE
P/4/ P/4/QUAND NOTRE INTUITION NOUS ÉGARE SYLVAIN MOUTIER P/19/POURQUOI NE VOIT-ON P/19/ SOUVENT QUE LE NÉGATIF ? DANIELA OVADIA
P/25/L’EFFET DE CADRAGE P/25/ DANIELA OVADIA
P/31/L’ILLUSION DE SUPÉRIORITÉ P/31/ DANIELA OVADIA
P/38/ P/38/GARE À LA PREMIÈRE IMPRESSION ! NICOLAS GUÉGUEN P/44/VOUS ÊTES NUL EN P/44/ STATISTIQUES ? C’EST NORMAL ! P/25
DANIELA OVADIA
P/50/ P/50/LES FAILLES PSYCHOLOGIQUES DE LA JUSTICE A. NAVARRE, C. THOMAS ET A. DIDIERJEAN
P/59
P/59/ P/59/CLIMAT : LES RAISONS COGNITIVES DE L’INACTION FABIEN GIRANDOLA
P/68/ P/68/POURQUOI LES GENS INTELLIGENTS CROIENT PARFOIS N’IMPORTE QUOI
ÉLÉONORE MARIETTE ET NICOLAS GAUVRIT
P/38
P/77
Thema / Les biais cognitifs
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P/77/ P/77/COMMENT PRENDRE LES BONNES DÉCISIONS PHILIPPE DAMIER
SYLVAIN MOUTIER
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Quand notre intuition nous égare
Vous préférez sentir les choses et décider au feeling ? Dans ce cas, prenez d’abord quelques instants pour vous instruire des pièges tendus par votre propre cerveau.
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ne loupe, une pipe, une casquette, une formidable intuition… Sherlock Holmes ! Pour Conan Doyle, tout le talent de son célèbre détective ne repose pas uniquement sur sa formidable habileté logique mais aussi sur son flair ou son intuition, comme si cette part d’irrationnel était indispensable à la résolution des énigmes les plus complexes. De ce point de vue, l’intuition qui consiste à penser que l’on connaît la solution d’un problème mais sans savoir ni pourquoi ni comment, est présentée comme « vraie » et indispensable à l’intelligence. Bien
entendu, il ne s’agit que de littérature et l’on peut se demander si l’on peut se fier à ces mystérieuses pensées intuitives qui nous viennent si rapidement à l’esprit, à l’occasion des innombrables situations de résolutions de problèmes auxquels nous sommes confrontés au quotidien, pour l’achat d’un appartement, le choix d’un candidat pour les élections, ou tout simplement lorsqu’il s’agit de décider si nous devons sortir avec ou sans notre parapluie. De façon intéressante, la littérature n’est pas la seule à vanter les mérites de l’intuition. Einstein lui-même écrivait que « le
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plus important pour un scientifique n’est pas dans ses diplômes, ni le nombre de ses années d’études, ni même son expérience, mais tout simplement son intuition ». Plus récemment, de nombreuses recherches menées en psychologie ou en neurosciences cognitives montrent en revanche les intuitions sous un angle bien moins positif voire comme l’une des principales causes de nos décisions absurdes. Afin de comprendre dans quelles situations nos intuitions (mais peut-être aussi celles de Sherlock Holmes) seraient dangereuses et en conflit avec la logique, les chercheurs ont élaboré des épreuves expérimentales qui s’apparentent souvent à des situations de prise de décision dites « pièges » où les participants sont confrontés à un véritable dilemme entre deux choix proposés, l’un attractif (ou « intuitif ») mais totalement erroné, tandis que l’autre choix offert est nettement moins attirant mais pertinent. Les résultats sont spectaculaires et montrent que les participants adultes produisent quasiment systématiquement des réponses irrationnelles et cela malgré d’indéniables capacités logico-mathématiques.
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Pourquoi ne voit-on souvent que le négatif ?
Une mauvaise nouvelle l’emporte souvent sur dix bonnes arrivées la même journée. Pourquoi ne parle-t-on jamais des trains qui arrivent à l’heure ? À cause d’un biais cognitif, le biais de négativité, qui fausse nos appréciations. Quand on arrive à s’en défaire, la vie devient beaucoup plus agréable.
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argie Warrell, spécialiste de la psychologie du travail et l’une des plumes de la revue économique Forbes, est aussi mère de trois adolescents. Une très mauvaise mère selon sa fille aînée… Margie le raconte à ses lecteurs : « Lorsque ma fille avait 4 ans, je suis arrivée en retard à un spectacle de classe. J’aurais dû partir de la maison plus tôt. J’aurais dû prévoir que le parking de la maternelle serait plein. Je n’aurais pas dû emmener mes deux autres enfants, de trois et un an à l’époque. Mais ce qui est fait est fait. Depuis, ma fille pense qu’on ne peut pas compter sur moi ; cet épisode a pris pour elle une importance
disproportionnée. Pourtant, je suis arrivée à l’heure à des dizaines de spectacles, fêtes et réunions, mais je paierai cette erreur jusqu’à la fin de ma vie. » C’est ainsi que l’autrice explique à quel point des événements vécus comme négatifs influencent parfois nos jugements et nos décisions sur le long terme. Le bien et le mal comptent parmi les premiers concepts abstraits que les enfants comprennent : dès leur plus jeune âge, ils sont capables de classer une expérience ou une émotion selon cette dichotomie. Mais le bien et le mal ne sont pas psychologiquement équivalents et n’ont
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pas le même impact sur notre cerveau. Depuis les années 1960, de nombreuses études de psychologie l’ont démontré, et en 1980, la psychologue américaine Susan Fiske a synthétisé ces données, du moins pour les relations entre individus, dans un article de la revue Journal of Personality and Social Psychology. En se fondant sur une série d’expériences où des volontaires étaient invités à porter un jugement sur des inconnus à partir de certains traits (négatifs et positifs) de leur personnalité, Fiske a conclu que les faiblesses d’un individu nous frappent davantage que ses qualités, même lorsque les deux sont équivalentes en nombre et en valeur. Nous jugeons alors les personnes en nous fondant principalement sur leurs traits négatifs.
Le biais de négativité Notre cerveau semble « préférer » les informations négatives aux positives. C’est ce que les psychologues appellent le « biais de négativité » : il pèse lourdement sur nos prises de décisions et nos jugements. Les racines de ce phénomène sont très anciennes : en milieu hostile, ou face à des
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L’effet de cadrage
Le verre peut être à moitié vide ou à moitié plein. Tout dépend du contexte dans lequel on l’envisage. Un effet parfaitement étudié par les psychologues et que l’on peut manipuler à souhait.
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ne nouvelle épidémie de grippe asiatique frappe la France. Les experts s’interrogent sur la meilleure façon de lutter contre la maladie qui, selon les estimations, pourrait faire six cents morts. Deux programmes d’intervention sont proposés, avec différentes mesures de quarantaine, de prévention et de traitement. La population est invitée à voter. Si c’est le programme A qui est adopté, expliquent les médecins, deux cents personnes seront sauvées. Si c’est le programme B, il est probable que
quatre cents personnes mourront. Quelle solution choisissez-vous ? Le dilemme de l’épidémie est célèbre dans l’histoire de la psychologie, en particulier parce qu’il permet d’étudier la façon dont nous prenons des décisions et comment notre cerveau analyse les données à sa disposition. Nous le devons à deux psychologues israéliens, Adam Tversky et Daniel Kahneman, qui étudient alors les mécanismes mentaux qui gouvernent nos choix, notamment les heuristiques de
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jugement, ces raccourcis cognitifs qui facilitent l’analyse des informations fournies par l’environnement afin de prendre une décision. Les chercheurs découvrent ainsi que nous sommes souvent des êtres peu rationnels… Le dilemme de l’épidémie de grippe apparaît en 1981 dans l’un de leurs articles intitulé : « The framing of decisions and the psychology of choice » (« Le contexte des décisions et la psychologie du choix »). Bien des années après, en appliquant ces découvertes aux marchés économiques, Kahneman obtient même le prix Nobel d’économie de 2002 pour avoir révélé ce qui se cache derrière certains choix apparemment irrationnels des individus et des marchés financiers. Mais revenons au dilemme de l’épidémie : il suffit de prêter un minimum d’attention aux chiffres pour constater que les deux programmes permettent de sauver exactement le même nombre de personnes. Toutefois, si l’on demande à des volontaires de répondre sans trop réfléchir, 72 % d’entre eux choisissent le programme A, mettant en avant le nombre de personnes sauvées,
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L’illusion de supériorité
En général, nous pensons être plus compétents que nos collègues, mieux éduquer nos enfants que les autres parents, voire savoir mieux que les médecins ce qui est bon pour notre santé. Pourquoi le cerveau humain est-il si prétentieux ?
profession, elle finit par intervenir dans la discussion pour rectifier certaines affirmations. Mais Éléonore n’a aucune intention de l’écouter : « Qu’est-ce que cela change que tu sois médecin ? Un médecin ne sait pas tout. Moi, sur les vaccins, j’ai fait des heures de recherches. »
« Je suis sûre de ce que je dis »
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’est l’heure des mamans ; elles échangent quelques mots dans le square près de l’école en attendant la sortie des classes. Aujourd’hui, la discussion est très animée. Il faut dire que le thème est brûlant : faut-il ou non faire vacciner ses enfants ? Éléonore, maman d’une petite fille de six mois, a pris la décision de ne pas le faire, du moins, pas tout de suite. Elle a lu sur Internet différents articles annonçant que l’administration de plusieurs vaccins en
même temps est dangereuse pour la santé. Elle est certaine d’être bien informée et cherche à convaincre les autres parents : « J’ai fait de nombreuses recherches, recoupé les informations, consulté des sites sérieux, je suis sûre de ce que j’avance ! » Quant à Paola, elle a déjà de grands enfants, se trouve là par hasard, et suit la conversation. Étant médecin, elle s’aperçoit vite que nombre des informations rapportées par Éléonore sont inexactes ou incomplètes. En invoquant sa
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« Si le monde explose, la dernière voix que l’on entendra sera celle d’un expert disant que la chose est impossible », a déclaré l’acteur et écrivain britannique Peter Ustinov dans un entretien au cours duquel il a affirmé n’avoir aucune confiance en ceux qui se posent en détenteurs d’un savoir sans avoir auparavant démontré leurs compétences. Nous ignorons si Ustinov connaissait les travaux réalisés sur les biais cognitifs, mais la psychologie sociale lui a donné raison. Car l’une des plus puissantes heuristiques (les raccourcis cognitifs qui nous aident à prendre des décisions rapidement, même sur des questions complexes) est l’illusion de supériorité. Celle-ci nous convainc de notre propre compétence dans des
NICOLAS GUÉGUEN Thema / Titre thema
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Gare à la première impression !
Vous avez pour habitude de jauger les gens au premier coup d’œil ? Bien mal vous en prend ! La première impression est sujette à mille biais de perception et de cognition.
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es pessimistes diront, à l’instar de l’écrivain Henri Jeanson : « La première impression est toujours la bonne, surtout quand elle est mauvaise. » Les optimistes s’arrêteront avant la deuxième partie de la phrase. Mais les recherches en psychologie ne feront pas de jaloux entre les deux : tous ont tort. Car ce qu’elles enseignent, c’est que notre première impression risque fort d’être peu pertinente, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Les situations ne manquent pas où vous vous ferez une opinion de votre interlocuteur avant même d’avoir interagi avec lui : discussion avec un inconnu lors
d’une soirée, recrutement d’un collaborateur, présentation du nouveau petit ami de votre fille… Vous trouverez alors qu’il a l’air sympathique, qu’il a un regard intelligent, qu’il a le pas nerveux… Le problème est que cette première impression sera biaisée par toute une série de facteurs, le premier étant ce que vous avez vécu juste avant. Si personne ne sera étonné d’apprendre que notre jugement sur les autres est moins favorable lorsqu’on est d’une humeur massacrante, d’autres influences sont plus pernicieuses. John Bargh, de l’université de New York, et Paula Pietromonaco, de l’université du Michigan,
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ont ainsi montré que même les informations perçues de façon inconsciente conditionnent notre jugement ultérieur. Dans leur expérience, les participants commençaient par fixer un écran où des mots s’affichaient de manière très brève (quelques millisecondes) de sorte qu’il était impossible de les voir consciemment. Ces mots avaient une connotation tantôt hostile (« insulte, haine, coup de poing… »), tantôt neutre (« eau, nombre, gens… »). Puis les sujets lisaient des phrases relatant une série de comportements, du type : « Adrien refuse de payer son loyer tant que le propriétaire n’aura pas repeint l’appartement », avant de décrire le protagoniste à l’aide d’adjectifs plus ou moins flatteurs (hostile, gentil, vaniteux, intelligent…). Ce jugement était ensuite synthétisé par un « score de négativité » allant de 0 à 10, selon la proportion de termes défavorables choisis. Or la liste de mots initiale a notablement influencé les participants : le score de négativité était de 4,95 lorsqu’elle ne contenait aucun terme lié à l’hostilité et de 5,94 quand elle en avait 80 %. Soit un jugement 20 % plus négatif juste parce qu’ils avaient d’abord été
DANIELA OVADIA
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Vous êtes nul en statistiques ? C’est normal !
Vous pensez avoir plus de chances de gagner au loto parce que vous avez perdu les cinq dernières fois ? Grossière erreur, mais vous n’êtes pas seul à vous tromper. Notre cerveau est mauvais en probabilités à cause de différents biais de pensée.
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oici deux heures que Pierre est attablé face à la roulette. La chance n’est pas avec lui : il a déjà perdu beaucoup… Pour essayer de se refaire, il décide de changer de stratégie. Au lieu de miser sur les numéros, qui rapportent davantage mais sont plus difficiles à deviner, il parie désormais sur le rouge, sa couleur porte-bonheur. Si le rouge sort, il empoche le double de sa mise, ce qui limitera ses pertes. Mais ce soir, rien ne va plus : en une demi-heure, le noir sort quatorze fois de suite, et le rouge seulement deux fois. Pierre ne renonce pas pour
autant et continue à parier sur le rouge : « Le noir est sorti tellement souvent que maintenant, c’est sûrement au tour du rouge ! » Si l’infortuné joueur est convaincu que la chance doit tourner, c’est qu’il s’appuie sur un raisonnement probabiliste erroné, mais très répandu, notamment chez les amateurs de jeux de hasard : les chercheurs l’ont d’ailleurs appelé l’erreur du parieur ou sophisme de Monte-Carlo, du nom de la ville célèbre pour ses casinos. Ce biais consiste à croire que si un événement s’est produit plus fréquemment qu’on ne s’y
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attend durant une période déterminée, il aura lieu moins souvent durant la période suivante, et vice versa.
L’erreur du parieur : croire qu’un tirage influe sur le suivant C’est aussi le raisonnement que nous tenons quand nous pensons avoir plus de chances de gagner au loto si la cagnotte n’a pas été remportée depuis longtemps ; d’ailleurs, cette erreur est si commune que les mises augmentent à mesure que la date de la dernière victoire s’éloigne (et que s’accroît le montant de la cagnotte). Pourtant, dans le cas de la roulette, l’éventualité que sorte le rouge ou le noir est absolument imprévisible, car les différentes tentatives sont indépendantes les unes des autres. À chaque lancer, la probabilité de tomber sur le rouge ou le noir est la même, égale à 50 % : ce qui se produit durant un tour n’influence en aucune façon ce qui se passera au tour suivant. De même, rien n’exclut que la cagnotte du loto soit remportée deux fois de suite, lors de deux tirages consécutifs totalement indépendants.
AGLAÉ NAVARRE, CYRIL THOMAS ET ANDRÉ DIDIERJEAN
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Les failles psychologiques de la justice
Dans un tribunal, la beauté de l’accusé entre-t-elle en ligne de compte ? L’avis d’un quidam relayé par la presse peut-il influencer les jurés ? Les recherches montrent que oui… Peut-on aller vers une justice exempte de ces distorsions ?
«
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esdames et messieurs, la Cour ! » À ces mots, les jurés entrent dans l’enceinte du tribunal, aux côtés du juge et de ses deux assesseurs. Il est l’heure d’annoncer à l’accusé la décision prise collégialement, quelques minutes plus tôt, dans la salle de délibération. Les avocats scrutent les visages des jurés pour tenter de prédire quel sera le verdict. Parmi les six jurés, certains semblent profondément tourmentés : ils se demandent si la décision qu’ils ont prise est la bonne et se rappellent le serment prêté au début du procès : « Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui
seront portées contre X, […] de vous décider […] suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre. »
Comment les jurés se décident Mais les jurés ont-ils réellement pris leur décision de façon impartiale ? Comme tous les choix que nous faisons au quotidien, les décisions judiciaires n’échappent pas à diverses influences, notamment aux biais cognitifs recensés par les études en psychologie. À chaque temps du procès, ces biais interviennent, sans même qu’on
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soupçonne leur existence : à l’arrivée de l’accusé et du plaignant dans la salle du tribunal, puis à la présentation des différents éléments de preuve, ou encore au cours des différents plaidoyers. Nous allons par la suite les détailler pour chacune de ces étapes, mais, d’abord, d’où viennent-ils ? Souvent, de l’utilisation de raccourcis mentaux automatiques et inconscients, appelés « heuristiques ». Ces dernières nous permettent, au quotidien, de faire des choix rapidement, sans avoir à prendre en compte la totalité des informations disponibles. Ainsi, notre cerveau détermine et choisit les éléments qu’il estime être les plus pertinents dans notre environnement, et se fonde sur cette sélection pour prendre une décision à la fois rapide et peu coûteuse en termes d’énergie cognitive. La plupart du temps, ces heuristiques nous facilitent grandement la vie et sont d’une efficacité remarquable ! Comme lorsqu’on se prépare un premier café le matin, au lieu de réfléchir de longues minutes à comment commencer sa journée… Cependant, il arrive, par exemple lorsque la décision est trop complexe ou lorsque le niveau
FABIEN GIRANDOLA Thema / Titre thema
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Climat : les raisons cognitives de l’inaction
Malgré l’urgence climatique, nous peinons à changer nos comportements. Une vaste palette de freins cognitifs et sociaux explique ce blocage.
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e mardi 28 août 2018, coup de tonnerre dans le monde politique : Nicolas Hulot, ministre d’État de la Transition écologique et solidaire, annonce sa démission du gouvernement. Impossible de comprendre, dit-il, pourquoi nous ne tentons rien pour freiner l’évolution du climat planétaire. Et celle-ci est dramatique : incendies, ouragans, chaleur record et sécheresses dans plusieurs pays de la planète. En un mot, le pire défi de l’humanité, qui ne peut plus s’accommoder de la méthode des petits pas, pour reprendre l’expression de Nicolas Hulot.
L’ex-ministre posait plus implicitement la question du changement des comportements dans le domaine de l’environnement et plus spécifiquement, en faveur de la réduction du réchauffement planétaire actuel. Ce constat d’inertie, de résistance, fait l’objet de nombreuses recherches en psychologie sociale et, plus globalement, dans la communauté de chercheurs travaillant sur l’influence sociale. C’est ainsi que depuis 2006, des millions de spectateurs ont visionné « Une vérité dérangeante » (An Inconvenient Truth) documentaire américain réalisé par Davis Guggenheim et
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présenté par Al Gore, ancien vice-président des États-Unis et Prix Nobel de la paix en 2007 (partagé avec le Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le Giec), pour sa campagne de sensibilisation et de changement sur le réchauffement climatique. Ce film a été pris comme un outil important pour faire changer les mentalités, plusieurs pays l’ont utilisé comme documentaire auprès du grand public mais aussi chez les plus jeunes dans de nombreuses écoles dans l’espoir de susciter de nouveaux comportements favorables à la planète. A-t-il pour autant atteint l’objectif du changement ? En 2010, une étude expérimentale de Jessica Nolan, chercheuse en psychologie sociale à l’université de Scranton, aux États-Unis, montre que ce n’est pas vraiment le cas. Ce film permet d’acquérir une plus grande connaissance sur les causes et conséquences du changement climatique, les spectateurs disent même avoir l’intention de réduire leur émission de carbone après la projection. Toutefois, une mesure des comportements environnementaux chez ces mêmes spectateurs, un mois après,
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Pourquoi les gens intelligents croient parfois n’importe quoi
Certains climatosceptiques notoires ont eu un parcours scientifique brillant. Et nous connaissons tous des personnes très intelligentes, mais qui à un moment donné s’expriment de façon aberrante sur des sujets importants. Comment expliquer ce paradoxe ?
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oy Warren Spencer est un météorologue américain affilié à l’université d’Alabama. En 1991, la Nasa lui décerne une médaille pour son « travail scientifique exceptionnel ». De quoi imaginer qu’il s’agit d’une personne intelligente. Pourtant, il affirme que la communauté des climatologues se fourvoie à propos du réchauffement climatique, soutenant une thèse en contradiction flagrante avec les données scientifiques. En France, Claude Allègre et Vincent
Courtillot, tous deux anciens directeurs de l’institut de physique du globe de Paris et membres de l’académie des sciences, ont adopté de semblables postures. Ils sont loin d’être les seuls dans leur cas : les exemples abondent, de personnes ayant brillamment réussi dans une profession intellectuelle et qui pourtant embrassent des croyances « décalées ». Luc Montagnier, Prix Nobel de médecine, décrie les vaccins contre toute raison scientifique. François
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Mitterrand consultait une astrologue. Comment expliquer que ces individus d’une intelligence indéniable sombrent soudain dans l’irrationnel ?
Qu’est-ce que l’intelligence ? La réponse tient peut-être à la façon dont nous définissons et mesurons l’intelligence. Les meilleurs outils dont disposent les psychologues pour la quantifier sont les tests de quotient intellectuel, qui résument le fonctionnement mental d’une personne par un score – le célèbre QI. Ces tests prédisent remarquablement la réussite scolaire, académique et professionnelle, ainsi que bon nombre d’autres caractéristiques, comme des choix de vie plus sains. Ce qui indique qu’ils représentent plutôt une mesure fiable de l’intelligence. Mais ce qui compte pour éviter les sorties de route intellectuelles, ce n’est pas seulement l’intelligence elle-même, mais la résistance aux croyances irrationnelles, autrement dit l’esprit critique. Et cela, les tests de QI le mesurent-ils ? Eh bien, oui et non. De fait, ils lui sont liés : les recherches montrent qu’en
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Comment prendre les bonnes décisions ?
Nos décisions sont parasitées par le fonctionnement automatique de notre cerveau et soumises à toutes sortes de biais cognitifs et émotionnels. Comment dès lors prendre la bonne décision ? Philippe Damier, professeur de neurologie au CHU de Nantes, nous livre quelques clés.
En pesant le pour et le contre, en dressant des listes de points négatifs et positifs, on pense souvent prendre des décisions rationnelles. Est-ce vrai ? C’est loin d’être le cas ! Pour nombre d’entre nous, prendre une décision rationnelle signifie prendre une décision consciente, réfléchie, que l’on a l’impression de contrôler pleinement. Or ce registre conscient ne représente que la partie « émergée » des fonctions du cerveau. Ce dernier dispose en réalité de nombreux modes de fonctionnement automatiques que l’on peut très difficilement maîtriser.
On peut les désigner sous le terme de « systèmes ». Et l’ensemble des systèmes automatiques de notre cerveau interagit avec ceux accessibles à notre contrôle conscient. Pour cette raison, même si l’on croit parfois que tout est sous contrôle, nous sommes en fait influencés par le fonctionnement automatique de notre cerveau. De quelle façon cette influence s’exerce-t-elle ? Un des exemples les plus parlants est celui des stéréotypes. Notre cerveau est doté de programmes comportementaux
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puissants qui nous protègent des dangers potentiels : ils font notamment intervenir l’amygdale, une zone ultrasensible et profonde du cerveau qui surveille notre environnement pour en détecter les dangers et les opportunités. Cette zone est reliée à de nombreuses zones du cerveau, dont le cortex préfrontal, pivot de la pensée consciente et des comportements complexes. Lorsque nous nous trouvons face à quelqu’un qui nous est différent, sur le plan physique ou culturel, le programme d’alerte s’active automatiquement. Cette réaction qui signifie « attention, danger potentiel ! » va alors moduler notre comportement, de sorte que nous faisons moins confiance à la personne qui nous fait face. Sans que l’on sache réellement pourquoi, nous aurons par exemple moins tendance à choisir cette personne comme éventuel collaborateur. Ce mode de fonctionnement du cerveau est à l’origine de tout ce qui est de l’ordre des stéréotypes, des étiquettes qui sont de nature à dévaloriser un individu. Une expérience menée aux États-Unis l’a montré très clairement : dans cette expérience, les chercheurs demandent à des
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