Thema : L'univers avant le Big Bang

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L’UNIVERS AVANT LE

BIG BANG Gravité quantique

Principe holographique

Modèle standard

BIG BANG OU GRAND REBOND ?

L’UNIVERS EST-IL NÉ D’UN TROU NOIR ?

L’INFLATION A DU PLOMB DANS L’AILE


ÉDITO

LE BIG BANG, ET AVANT ?

S Philippe Ribeau

Responsable éditorial Web

elon le modèle cosmologique standard, fondé sur la théorie de la relativité générale, l’Univers a commencé avec le Big Bang, le moment zéro où toute l’énergie était concentrée en un point de densité infinie. Mais cette vision classique est loin d’être satisfaisante, car elle se fonde uniquement sur la relativité générale sans tenir compte de la physique quantique, l’autre pilier de la physique moderne. Et l’apparition d’un point de densité infinie, ou singularité, est le signe que le cadre théorique utilisé a atteint ses limites. Pour remédier à cette épineuse situation, les physiciens imaginent des scénarios fondés sur une physique exotique, qui dépasserait et réunirait la physique quantique et la relativité générale. En introduisant un quantum d’espace – une longueur minimale –, la théorie des cordes ou la gravité quantique à boucles permettent ainsi d’envisager que le Big Bang n’est pas le début de l’Univers, mais une transition entre deux états cosmiques, une sorte de « grand rebond ». L’Univers n’aurait alors ni début ni fin. D’autres physiciens imaginent que l’effondrement d’un trou noir dans un univers à quatre dimensions aurait précédé le Big Bang et donné naissance à notre Univers à trois dimensions. Mais d’où vient alors l’univers dont le nôtre serait issu ? Même des concepts aussi indispensables au modèle cosmologique standard que l’inflation, une période d’expansion accélérée qui se serait produite juste après le Big Bang, sont aujourd’hui remis en question. L’inflation entraîne en effet une foule de problèmes théoriques – parmi lesquels la formation d’une infinité d’Univers –, mais elle tarde en outre à être confirmée par les observations. L’idée classique du Big Bang comme simple point de départ de l’espace, du temps et de notre Univers semble aujourd’hui dépassée. Le récit de l’origine reste à écrire…

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SOMMAIRE

P/4/QU’EST LE BIG BANG DEVENU ? ÉTIENNE KLEIN

P/10/L’UNIVERS RESSUSCITÉ GABRIELE VENEZIANO

P/23/L’UNIVERS REBONDISSANT MARTIN BOJOWALD

P/33/L’UNIVERS EST-IL NÉ D’UN TROU NOIR ? NIAYESH AFSHORDI, ROBERT MANN ET RAZIEH POURHASAN

P/23

P/43/LA SINGULARITÉ VOILÉE JEAN-MICHEL ALIMI ET JÉRÔME PEREZ

P/53/L’INFLATION VA-T-ELLE FAIRE PSCHITT ? ANNA IJJAS, PAUL STEINHARDT ET ABRAHAM LOEB

P/53

P/63/L’ESSENCE QUANTIQUE DE L’ESPACE-TEMPS CLARA MOSKOWITZ

P/43

P/63

Thema / L’Univers avant le Big Bang

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ÉTIENNE KLEIN

Shutterstock.com/Andrea Danti

Qu’est le Big Bang devenu ?


L’idée classique de Big Bang n’est pas physiquement satisfaisante, car elle se fonde uniquement sur la relativité générale sans tenir compte de la physique quantique. Comment la corriger ? Entretien avec le physicien et philosophe Étienne Klein.

Que recouvre l’idée de Big Bang ? La plupart du temps, l’expression « Big Bang » est employée comme si elle désignait l’apparition simultanée de l’espace, du temps, de la matière et de l’énergie. C’est ainsi que dans le langage courant, elle en est venue à désigner la création même du monde ou, si l’on préfère, « l’instant zéro ».

Cette assimilation traduit-elle vraiment les équations de la cosmologie ? A priori, il ne s’agit nullement d’un contresens : selon les premières versions des modèles de Big Bang, qui remontent aux années 1950, si l’on regarde ce que fut l’Univers dans un passé de plus en plus lointain,

on observe que les galaxies se rapprochent les unes des autres, que la taille de l’Univers diminue sans cesse et qu’on finit en effet par aboutir – sur le papier – à un univers « ponctuel », au sens où il se réduisait à un point géométrique, c’est-à-dire de volume nul et de densité infinie. En d’autres termes, si on déroule le temps à l’envers, du présent vers le passé, les équations font bel et bien surgir un « instant zéro », qui serait apparu il y a 13,7 milliards d’années : cet instant se trouve directement associé à ce que les physiciens nomment une « singularité initiale », une sorte de situation théorique monstrueuse où certaines quantités, telles la température ou la densité, deviennent infinies. Or

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qu’est-ce qui empêche d’assimiler cette singularité initiale à l’origine effective de l’Univers ? De prime abord, rien.

Pourtant, ce n’est pas aussi simple… En effet, et les raisons en sont faciles à saisir : les premiers modèles de Big Bang – ceux-là même qui ont formaté les tournures de nos discours – ne tenaient compte que d’une seule force de la nature, la gravitation, décrite à l’aide du formalisme de la relativité générale développée par Einstein au début du xxe siècle. Cette interaction, toujours attractive et de portée infinie, domine à grande échelle. Mais lorsqu’on remonte le cours du temps, la taille de l’Univers se réduit progressivement et, au bout de 13,7 milliards d’années, la matière finit par rencontrer des conditions physiques très spéciales que la relativité générale est incapable de décrire à elle seule. Cette fois, d’autres interactions fondamentales que la gravitation entrent en jeu : il s’agit des interactions électromagnétique, nucléaire faible et nucléaire forte, qui déterminent le comportement de la


GABRIELE VENEZIANO

© Shutterstock.com/sakkmesterke

L’Univers ressuscité


L’application de la théorie des cordes à la cosmologie suggère que le Big Bang n’est pas le début de l’Univers, mais une transition entre deux états cosmiques distincts.

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ans D’où venons-nous  ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? , ce qu’il estime être son « testament pictural », Paul Gauguin pose les questions existentielles qui agitent chacun d’entre nous, y compris les cosmologistes . Ils sont plus particulièrement intéressés par la première, et avaient même trouvé une réponse, le Big Bang marquait le début de l’Univers. Et pourtant… Est-il vraiment le commencement de tout, ou bien l’Univers existait-il avant ? Il y a quelques années, une telle question aurait eu des allures de sacrilège. Une telle interrogation n’avait tout

simplement pas de sens : autant chercher un point au nord du pôle Nord ! Les temps ont changé et l’on peut désormais réfléchir à ce qu’a pu être une époque antérieure au Big Bang sans devenir un paria. Comment expliquer un tel changement ? Par un changement de théorie. Selon la théorie de la relativité générale, un Univers en expansion doit avoir commencé par un Big Bang, ce qui implique la finitude du temps, apparu simultanément avec l’espace et l’éner­gie (et la matière donc). Lors de sa naissance, l’Univers était concentré en une région si minuscule que

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les lois de la physique quan­tique devaient s’y appliquer. Or la relativité générale, qui n’est pas une théorie quantique, cesse d’être valide à l’échelle du Big Bang. La théorie des cordes, qui se développe depuis une trentaine d’années, est susceptible de prendre le relais en offrant une description quantique de la gravitation. Elle a récemment permis de concevoir deux modèles cosmologiques qui envisagent un Univers antérieur au Big Bang. Qui plus est, ces scénarios, où le temps n’a ni commencement, ni fin, pourraient avoir laissé des traces observables… Cette fenêtre ouverte sur ce qui pourrait s’être passé avant l’origine de l’Univers n’est que le dernier des revirements intellectuels qui se succèdent depuis des millénaires. Dans toutes les cultures, les philosophes et les théologiens, ainsi que les artistes, se sont confrontés à la question du commencement des temps et de l’origine du monde. Notre « généalogie » passe par les premières formes de vie, la formation des étoiles, la synthèse des premiers éléments et remonte jusqu’à l’énergie qui baignait l’espace primordial. Continue-t-il ainsi éternellement ou prend-il racine quelque part ?


MARTIN BOJOWALD

Pat Rawlings Saic

L’Univers rebondissant


Notre Univers ne serait pas né avec le Big Bang : un univers préexistant se serait effondré sur lui-même, avant de rebondir et d’entrer de nouveau en expansion. C’est ce que suggèrent certaines propriétés de la théorie de la gravitation quantique à boucles.

L

e concept d’atome est aujourd’hui tellement bien établi qu’il est difficile de croire à quel point il a été autrefois iconoclaste. Au cours des siècles précédents, la plupart des savants doutaient que les atomes puissent être observés un jour et même qu’ils puissent être considérés comme des objets d’étude scientifique. Cependant les preuves de leur existence se sont accumulées, jusqu’à l’argument définitif de l’analyse du mouvement brownien – le mouvement aléatoire de grains de poussière dans un fluide sous l’effet de l’agitation moléculaire – par Einstein en 1905. Il a encore fallu

attendre 20 ans pour que les physiciens développent une théorie qui décrit le monde des atomes, à savoir la mécanique quantique, et encore 30 ans pour que le physicien Erwin Müller en fasse les premières images au microscope à effet de champ.

Des petits morceaux d’espace-temps Notre compréhension de la structure de l’espace et du temps en est peut-être au même stade que les théories atomistes au XIXe siècle : au même titre que la matière est constituée d’atomes, l’espace-temps

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pourrait être doté d’une structure à petite échelle, une sorte de mosaïque d’« atomes » d’espace-temps. De même que les atomes sont les plus petits composants indivisibles dans les réactions chimiques, les atomes d’espace-temps seraient les plus petites unités de distance. Leur taille serait d’environ 10–35 mètre, bien inférieure aux échelles atteintes par les instruments les plus puissants actuels, de l’ordre de 10–18 mètre. C’est pourquoi de nombreux scientifiques doutent que le concept d’atomes d’espace-temps puisse être considéré comme un objet d’étude scientifique. Certains explorent néanmoins cette idée, et essayent d’imaginer comment mettre en évidence la nature atomique de l’espace-temps. Les pistes les plus prometteuses viennent de la cosmologie. Si nous rembobinons le film de l’expansion cosmique vers le passé, les galaxies et tous les objets que nous voyons convergent vers un unique point : le Big Bang. À cette extrémité, la théorie actuelle de la gravitation, la théorie de la relativité générale d’Einstein, prédit que l’Univers avait alors une


NIAYESH AFSHORDI, ROBERT MANN ET RAZIEH POURHASAN

© Getty Images/Mark Garlick (artist’s conception)

L’Univers est-il né d’un trou noir ?


Selon un scénario récent, l’effondrement d’un trou noir dans un univers à quatre dimensions aurait précédé le Big Bang et donné naissance à notre Univers. Mais d’où vient l’univers dont le nôtre serait issu ?

D

ans le livre VII de La République, Platon développe l’allégorie de la caverne. Il imagine la perception du monde par des individus enchaînés depuis toujours face à un mur au fond d’une sombre caverne. Derrière eux, une flamme projette l’ombre de différents objets sur le mur. Ces ombres bidimensionnelles sont les seules choses que les prisonniers aient jamais vues – elles sont leur seule réalité. Leurs chaînes les ont empêchés de voir le monde réel, qui a une dimension de plus que le monde qu’ils connaissent, une dimension riche de complexité dont la connaissance leur

permettrait de comprendre ce qu’ils voient. Et si les cosmologistes étaient les prisonniers de Platon ? Vivons-nous dans une gigantesque caverne cosmique, créée aux tout premiers instants de l’Univers ? Dans le scénario classique, l’Univers émerge d’un Big Bang issu d’un état infiniment dense. Ce scénario explique de nombreuses observations et offre une vision cohérente du monde que nous voyons. Mais ce modèle a ses limites qu’il est crucial de comprendre et de chercher à dépasser. Nous nous sommes intéressés à la question du commencement du Big Bang,

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qui recèle une partie de ces difficultés, et nous avons élaboré un scénario alternatif. Dans ce dernier, l’Univers remonterait à une époque antérieure au Big Bang, où il existait une dimension spatiale supplémentaire. Ce proto-univers pourrait avoir laissé des traces visibles que de prochaines observations astronomiques révéleront peut-être. L’Univers nous paraît occuper trois dimensions d’espace et une de temps, une géométrie que nous qualifierons d’« univers tridimensionnel ». Dans notre scénario, cet univers tridimensionnel ne serait que l’ombre d’un monde à quatre dimensions spatiales. Plus précisément, l’Univers serait né par l’effondrement d’une étoile en fin de vie quelque part dans ce proto-univers. L’implosion aurait créé un trou noir quadridimensionnel, dont l’enveloppe tridimensionnelle serait notre Univers. Ce modèle semble extravagant ; il est pourtant solidement ancré dans les mathématiques qui décrivent l’espace et le temps. Ces dernières décennies, les physiciens ont développé une théorie, dite du principe holographique, qui présente une analogie


JEAN-MICHEL ALIMI ET JÉRÔME PEREZ

Shutterstock.com/ Markus Gann

La singularité voilée


La relativité générale prédit l’existence de points de densité infinie où les lois de la physique s’effondrent : les singularités. Comme celles cachées au cœur des trous noirs, la singularité initiale – le Big Bang –, est elle aussi masquée, car la relativité générale introduit du chaos à l’origine de l’Univers.

A

u début du xxe siècle, la théorie de la relativité générale, proposée par Albert Einstein, mit fin à la vision, développée au xviie siècle par Galilée, par Descartes, puis par Newton, selon laquelle l’espace et le temps sont absolus, rigides et donnés une fois pour toutes. Dans ce cadre, l’espace et le temps ne sont pas des objets de la physique. En revanche, en relativité générale, l’espace, le temps et la matière sont indissolublement liés. Les mouvements des corps s’interprètent comme des glissements le long des déformations géométriques de l’espace-temps, déformations qui résultent

de la présence des corps massifs. L’Univers devient alors un objet physique comme les autres, capable de se déformer, de s’effondrer ou de se répandre selon la quantité de matière qu’il contient. Ainsi, la relativité générale est fondamentalement une théorie cosmologique grâce à laquelle nous construisons des modèles de l’Univers pour tenter de prédire son évolution et de reconstruire son histoire. Un de ses aspects les plus fascinants est qu’elle a révélé un infini, peut-être plus mystérieux que celui qu’on envisage parfois pour l’espace et pour le

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temps : la singularité initiale à l’origine de l’Univers, où la densité de matière et la température deviennent infinies, et où les lois de la physique ne s’appliquent plus. Les phénomènes exotiques et inconnus qui se produisent peut-être à la singularité ne devraient-ils pas affecter l’Univers contemporain ? On a montré que la relativité générale nous isole de cet « instant zéro » en le repoussant, en quelque sorte, à l’infini : si nous remontions le temps, nous verrions l’Univers passer par une série infinie d’états distincts impossibles à prédire avant d’atteindre le Big Bang. Avant de poursuivre, abordons une question importante. Comment les cosmologistes parviennent-ils à décrire l’évolution du cosmos de façon univoque ? La relativité nous enseigne que le temps est relatif : deux observateurs en mouvement l’un par rapport à l’autre ne constatent pas les mêmes durées pour les mêmes phénomènes. Si les durées mesurées dépendent de l’état de mouvement de l’observateur et si, comme on l’a observé, tous les corps de l’Univers sont en mouvement, quel sens peut avoir la datation des événements


ANNA IJJAS, PAUL STEINHARDT ET ABRAHAM LOEB

© Photographs by The Voorhes

L’inflation va-t-elle faire pschitt ?


Les dernières mesures du satellite Planck, ainsi que des problèmes théoriques, mettent à mal l’idée d’inflation, pourtant défendue par de nombreux cosmologistes. Le temps des nouvelles idées est venu !

L

e 21 mars 2013, l’Agence spatiale européenne annonçait lors d’une conférence de presse les derniers résultats obtenus par Planck. Le satellite avait cartographié avec une précision inégalée le fond diffus cosmologique, un rayonnement, aujourd’hui sous la forme de micro-ondes, émis quelque 380 000 ans après le Big Bang, c’est-à-dire il y a plus de 13 milliards d’années. Selon les orateurs, la carte confirmait une théorie que les cosmologistes défendaient depuis 35 ans : le « Bang » originel de l’Univers avait été suivi d’une brève et intense période d’expansion

hyperaccélérée : l’inflation. Ce phénomène aurait « lissé » l’Univers au point qu’aujourd’hui, des milliards d’années plus tard, il apparaît, d’une part, uniforme où que l’on regarde et, d’autre part, « plat », au sens géométrique. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des Univers. Le principal message à retenir était que les résultats de Planck coïncidaient parfaitement avec les prédictions des plus simples modèles d’inflation et confortaient donc la théorie. Les manuels de cosmologie pouvaient désormais être gravés dans le marbre. Point final, vraiment ?

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Réunis par le hasard des affectations et des choix de carrière, nous avons tous les trois discuté de ce que signifie vraiment cette annonce. Notons que l’un de nous (Paul Steinhardt) est l’un des architectes de la théorie de l’inflation. Nous avons bien sûr apprécié la précision des observations de Planck, mais nous sommes en désaccord avec leur interprétation. En premier lieu, nous pensons que les données de Planck ne plaident pas en faveur des plus simples des modèles d’inflation. Ensuite, elles soulignent davantage encore les problèmes fondamentaux de la théorie. Dans les années qui ont suivi, les données plus fines recueillies par Planck et d’autres instruments n’ont fait qu’exacerber nos désaccords. C’est une motivation suffisante pour regarder de plus près les théories concurrentes sur l’origine et l’évolution de l’Univers.

Suivez l’oracle Pour mettre en évidence les problèmes que soulève l’inflation, adhérons sans se poser de questions à ce que clament ses partisans : elle a bien eu lieu. Imaginons maintenant qu’un oracle nous affirme


CLARA MOSKOWITZ

© Shutterstock.com/inter reality

L’essence quantique de l’espace-temps


La gravité et l’espace-temps ne seraient que le produit final, en trois dimensions, de la manifestation la plus étonnante de la physique – l’intrication quantique – dans un espace n’ayant que deux dimensions.

D

ébut 2009, Mark Van Raamsdonk, est bien décidé à profiter pleinement son année sabbatique. Voyages ? Jardinage ? Musique ? Non. Le physicien de l’université de Colombie-Britannique, à Vancouver, au Canada, s’attaque simplement à l’un des plus insondables mystères de la physique, les liens entre la physique quantique et la gravitation. Rien de moins ! L’année suivante, il soumet un article sur le fruit de ses réflexions au Journal of High Energy Physics. La réponse ne se fait pas attendre. Le referee à qui le texte a été confié écrit dans son rapport que l’auteur est…

cinglé ! Mark Van Raamsdonk n’aura pas plus de succès avec une autre publication General Relativity and Gravitation, malgré un avis plus nuancé : l’article devait être complètement réécrit. Nullement découragé, le physicien propose une version courte de son texte à un prestigieux concours d’essais organisé par la Gravity Research Foundation. L’article gagne le premier prix qui inclut notamment une publication dans… General Relativity and Gravitation. Ce fut bien le cas en juin 2010. Pourquoi tant de scepticisme de la part de la communauté des physiciens ?

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Parce que les propositions de Mark Van Raamsdonk pour résoudre un problème sur lequel planchent les plus grands physiciens depuis un siècle sont iconoclastes : elles sont fondées sur l’intrication, le plus déroutant des phénomènes quantiques. L’idée a néanmoins fait son chemin et de nombreux adeptes. Parmi eux, la centaine de physiciens réunis autour du projet It from Qubit initié en 2015 par la fondation Simons pour l’avancement de la recherche en sciences élémentaires et mathématiques. Parmi les hypothèses que ces spécialistes venus d’horizons différents explorent, l’un stipule que l’espace (ou plutôt l’espace-temps dans le contexte de la théorie de la relativité générale) serait constitué de minuscules bouts d’information. Selon cette approche, ces petits éléments, en interagissant, créent l’espace-temps et font émerger ses propriétés, telles que la courbure, dont découle la gravité. Cette idée, si elle est correcte, expliquerait l’origine de l’espace-temps et mettrait les physiciens sur la piste de la théorie quantique de la gravitation qui se fait tant attendre. Le nom du projet It from Qubit résume


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