LES
TROUS NOIRS
Des objets qui défient l’imagination Information
Physique quantique
Matière noire
L’HORIZON DES TROUS NOIRS BRÛLE-T-IL ?
L’INTRICATION EST-ELLE UN TROU DE VER ?
LA PISTE DES TROUS NOIRS PRIMORDIAUX
ÉDITO
LES TROUS NOIRS DÉFIENT L’IMAGINATION DES THÉORICIENS
E Philippe Ribeau
Responsable éditorial Web
n 1916, un an seulement après l’introduction de la relativité générale, le physicien Karl Schwarzschild trouva une solution aux équations d’Einstein décrivant ce qu’on nommera plus tard un trou noir. Depuis lors, ces objets théoriques n’ont cessé de pousser les physiciens dans leurs retranchements. Les trous noirs comportent en effet une « singularité », un point de densité infinie, masquée derrière une frontière dont rien, même la lumière, ne peut s’échapper : l’horizon des événements. À ce stade, la relativité générale et la physique quantique échouent à décrire correctement ce qu’il se passe dans les conditions extrêmes qui règnent au cœur des trous noirs. Ces deux théories y sont en conflit. Les trous noirs représentent ainsi un terrain d’exploration sans égal pour les physiciens en quête d’une nouvelle physique qui réconcilierait la relativité générale et la physique quantique. Certains imaginent que les trous noirs, et leurs pendants, les trous de vers, pourraient être l’analogue du phénomène d’intrication quantique. D’autres pensent que le Big Bang et notre Univers seraient la conséquence de la formation d’un trou noir dans un espace à quatre dimensions. Et tous se déchirent à propos de ce qu’il advient de l’information portée par la matière engloutie par les trous noirs. Des cosmologistes voient pour leur part dans d’hypothétiques trous noirs nés dans les premiers instants de l’Univers la clé pour dénicher la mystérieuse matière noire, tandis que des chercheurs plus « pragmatiques » imaginent construire un ascenseur spatial géant autour d’un trou noir pour exploiter l’énergie colossale que renferment ces astres. Bref, comme nous vous invitons à le découvrir dans ce Thema, les trous noirs excitent l’imagination des physiciens !
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Thema / Les trous noirs
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SOMMAIRE
P/4/L’HORIZON DES TROUS NOIRS BRÛLE-T-IL ? JOSEPH POLCHINSKI
P/18/UNE NOUVELLE PISTE POUR LE PROBLÈME DE L’INFORMATION SEAN BAILLY
P/23/L’INTRICATION QUANTIQUE EST-ELLE UN TROU DE VER ? JUAN MALDACENA
P/35/LE TROU NOIR À L’ORIGINE DU BIG BANG P/4
NIAYESH AFSHORDI, ROBERT MANN ET RAZIEH POURHASAN
P/45/LES SINGULARITÉS NUES PANKAJ JOSHI
P/35
P/55/EST-IL POSSIBLE D’EXPLOITER UN TROU NOIR ? ADAM BROWN P/65/MATIÈRE NOIRE : LA PISTE DES TROUS NOIRS
JUAN GARCÍA-BELLIDO ET SÉBASTIEN CLESSE
P/18
P/65
Thema / Les trous noirs
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P/76/UN TROU DE VER ÉTUDIÉ EN LABORATOIRE SEAN BAILLY
JOSEPH POLCHINSKI
Shutterstock.com/Vadim Sadovski
L’horizon des trous noirs brûle-t-il ?
Pour concilier la relativité générale et la physique quantique au sujet des trous noirs, des physiciens ont imaginé que l’horizon des événements entourant ces astres est un « mur de feu » de particules énergétiques.
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omber dans un trou noir n’est certainement pas une partie de plaisir. Dès que les physiciens ont compris que les trous noirs existaient, ils ont su que s’en approcher trop exposait à une disparition certaine. En revanche, dans le cas d’un grand trou noir, ils pensaient qu’un astronaute ne ressentirait rien de spécial lorsqu’il franchit le point de non-retour, nommé l’horizon des événements. D’après la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein, cette région ne revêt aucun caractère particulier. Tout voyageur qui traverserait l’horizon aurait juste la sensation de tomber indéfiniment dans un puits d’une
indicible noirceur, sans se rendre compte qu’il n’a plus aucune chance d’en sortir. Récemment, mes collègues et moi avons brossé un tableau bien différent de l’horizon des événements. À la lumière des derniers développements en matière de physique quantique à proximité d’un trou noir, il semble désormais que notre astronaute aurait une tout autre expérience que celle prévue par la théorie d’Einstein. Au lieu d’une traversée de l’horizon des événements sans phénomène particulier, l’astronaute rencontrerait un mur de particules de haute énergie, ou « mur de feu » (le terme utilisé en anglais est firewall, qui correspond aussi à « pare-feu »),
Thema / Les trous noirs
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qui lui serait instantanément fatal. Ce mur pourrait même marquer la fin de l’espace. Il y a trois ans, notre groupe de l’université de Californie à Santa Barbara – Donald Marolf, Ahmed Almheiri, James Sully et moi-même (aujourd’hui connus sous l’acronyme AMPS) – est parvenu à cette conclusion après avoir étudié certaines idées de la théorie des cordes appliquées à la physique des trous noirs, en particulier en considérant un débat ouvert dès les années 1970 par Stephen Hawking. Ce physicien britannique avait identifié un conflit profond entre les prévisions de la théorie quantique et celles de la relativité générale dans ces environnements extrêmes. Selon son raisonnement, il existe une faille soit dans la physique quantique, soit dans la représentation de l’espace-temps donnée par la relativité générale d’Einstein. Depuis, le débat oscille entre l’une et l’autre hypothèse. Si notre proposition de mur de feu a été accueillie avec un certain scepticisme, comme ce fut aussi le cas pour le résultat de Stephen Hawking, aucune alternative satisfaisante n’a encore émergé. En supposant que la physique quantique est correcte, le mur de feu en est une conséquence directe, bien que son
SEAN BAILLY
Shutterstock.com/Anuchit kamsongmueang
Une nouvelle piste pour le problème de l’information
Les trous noirs détruisent-ils irrémédiablement l’information portée par la matière qu’ils engloutissent, en contradiction avec les principes de la physique quantique ? Ce paradoxe défie les physiciens depuis plus de quatrante ans. Stephen Hawking, Andrew Strominger et Malcolm Perry proposent une nouvelle piste pour le résoudre.
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ue devient une lettre que vous jetez dans un trou noir ? Selon la théorie de la relativité générale, lorsque votre texte franchit une certaine limite, l’horizon des événements du trou noir, il ne pourra jamais ressortir, même s’il se déplaçait à la vitesse de la lumière. Il semble définitivement perdu... Mais dans les années 1970, Stephen Hawking s’est intéressé aux effets quantiques qui se manifestent près de l’horizon des événements et a démontré que, malgré les principes de la relativité générale, un faible rayonnement s’échappe quand même du trou noir. En d’autres termes, il
« s’évapore », et toute la matière à l’origine du trou noir ou tombée dedans par la suite finit par en sortir sous la forme de rayonnement. Alors, peut-on récupérer notre message ? Hélas, le rayonnement prédit par Stephen Hawking est un rayonnement de corps noir (semblable thermique émis par un métal chauffé), qui ne porte aucune information sur l’objet émetteur autre que sa température. En particulier, le rayonnement de Hawking ne porte aucune information sur la matière tombée dans le trou noir. En fin de compte, notre message semble irrémédiablement perdu.
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Or, une telle conclusion est en contradiction directe avec les principes de la physique quantique : l’information peut être transformée, mais elle n’est jamais perdue. Il est toujours théoriquement possible de reconstituer le message initial. Comment résoudre cette contradiction ? Les physiciens qui se sont attaqué à ce problème depuis 40 ans ont exploré les aspects les plus étonnants de la physique théorique, faisant appel à des concepts exotiques comme le « principe holographique » ou le « mur de feu ». Stephen Hawking, avec Malcolm Perry, de l’université de Cambridge, au Royaume-Uni, et Andrew Strominger, de l’université Harvard, aux États-Unis, proposent aujourd’hui une nouvelle solution. Les trous noirs sont une sorte de laboratoire virtuel pour les physiciens, qui peuvent y mettre à l’épreuve leurs théories. En effet, comme ils concentrent une grande masse dans une région très petite, ces astres sont le point de rencontre de la relativité générale et de la mécanique quantique, deux théories jusqu’ici irréconciliables. L’étude des trous noirs pourrait être la clé pour construire une théorie quantique de
L’intrication quantique est-elle un trou de ver ? Malcolm Godwin, Moonrunner Design
JUAN MALDACENA
Réconcilier enfin relativité générale et physique quantique ? Un rêve de physiciens qui prendrait corps avec une nouvelle théorie : l’intrication quantique de deux trous noirs correspondrait à la formation d’un trou de ver reliant les deux astres.
L
a physique théorique regorge de notions étonnantes, mais deux des plus étranges sont certainement l’intrication quantique et les trous de ver. La première est un phénomène purement quantique, dans lequel deux objets (en général des particules subatomiques) ont des propriétés directement corrélées même si de grandes distances les séparent et qu’aucun lien physique ne semble exister entre eux. Quant aux trous de ver, prédits par la théorie de la relativité générale, ce sont des raccourcis qui connecteraient des régions éloignées de l’espace-temps, par exemple deux trous
noirs distants. Ces dernières années, avec plusieurs autres physiciens, j’ai suggéré que ces deux concepts a priori si différents sont peut-être liés. À partir de calculs portant sur des trous noirs, nous nous sommes rendu compte que l’intrication de la physique quantique et les trous de ver de la relativité générale pourraient constituer deux facettes d’un même phénomène. Et nous pensons que cette similitude s’étend à des situations qui ne se limitent pas aux trous noirs. Nous n’en sommes qu’aux prémices de cette idée, mais si elle se confirme, elle aura
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des conséquences profondes sur notre compréhension du monde. En effet, elle suggère par exemple que l’espace-temps lui-même émergerait de l’intrication de constituants microscopiques plus fondamentaux. Elle laisse aussi penser que la relation entre objets intriqués (et qui ont longtemps été considérés comme n’ayant pas de lien physique entre eux) serait moins « magique » qu’elle n’apparaît. Une compréhension approfondie de cette relation entre intrication et trous de ver aboutira peut-être à une piste pour unifier la physique quantique et la relativité générale et ainsi pour développer une théorie quantique de la gravitation. En effet, à ce jour, la physique quantique, qui décrit notamment les interactions subatomiques, et la relativité générale, qui rend compte de la dynamique de l’espace-temps et de la gravitation, sont incompatibles. Or une théorie quantique de la gravitation est nécessaire pour explorer les instants les plus reculés de l’histoire de l’Univers et l’intérieur des trous noirs. De façon étonnante, les idées d’intrication quantique et de trous de ver remontent
NIAYESH AFSHORDI, ROBERT MANN ET RAZIEH POURHASAN
© Getty Images/Mark Garlick (artist’s conception)
Le trou noir à l’origine du Big Bang
Le Big Bang et l’Univers qui en est issu pourraient être la conséquence de la formation d’un trou noir dans un espace à quatre dimensions. Ce scénario résoudrait certaines difficultés de la cosmologie.
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ans l’allégorie de la caverne, Platon imagine la perception du monde de prisonniers qui ont passé toute leur vie enchaînés face à un mur au fond d’une sombre caverne. Derrière eux, une flamme projette l’ombre de différents objets sur le mur. Ces ombres bidimensionnelles sont les seules choses que les prisonniers ont jamais vues – elles sont leur seule réalité. Leurs chaînes les ont empêchés de voir le monde réel, qui a une dimension de plus que le monde qu’ils connaissent, une dimension riche de complexité dont la connaissance leur permettrait de
comprendre ce qu’ils voient. Et si l’allégorie de Platon s’appliquait à la cosmologie ? Il se peut que nous vivions dans une gigantesque caverne cosmique, créée aux tout premiers instants de l’Univers. Dans le scénario classique, l’Univers émerge d’un Big Bang issu d’un état infiniment dense. Ce scénario explique de nombreuses observations et offre une vision cohérente du monde que nous voyons, mais il n’est pas exempt de difficultés. Il est crucial de comprendre les limites de ce modèle et de chercher à les résoudre tout en en préservant ses succès.
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Nous nous sommes intéressés à la question du commencement du Big Bang, qui recèle une partie de ces difficultés, et nous avons élaboré un scénario alternatif. Dans ce dernier, l’Univers remonterait à une époque antérieure au Big Bang, où il existait une dimension spatiale supplémentaire. Ce proto-univers pourrait avoir laissé des traces visibles que de prochaines observations astronomiques permettront peut-être de découvrir. L’Univers nous paraît occuper trois dimensions d’espace et une de temps, une géométrie que nous qualifierons d’« univers tridimensionnel ». Dans notre scénario, cet univers tridimensionnel ne serait que l’ombre d’un monde à quatre dimensions spatiales. Plus précisément, l’Univers serait né par l’effondrement d’une étoile en fin de vie quelque part dans ce proto-univers. L’implosion aurait créé un trou noir quadridimensionnel, dont l’enveloppe tridimensionnelle serait notre Univers. Ce modèle semble particulièrement tiré par les cheveux. Pourtant, il ne s’agit pas uniquement de spéculations gratuites. Ce scénario est solidement ancré
PANKAJ JOSHI
Shutterstock.com/IgorZh
Les singularitĂŠs nues
Les trous noirs ont des petites sœurs problématiques, les singularités nues. Leur existence a longtemps été jugée impossible, mais il se pourrait que ces objets étranges existent bel et bien.
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a science moderne a introduit quantité d’idées étranges, et le sort d’une étoile massive en fin de vie est certainement l’une des plus curieuses. Après avoir épuisé le combustible qui l’a alimentée pendant des millions d’années, une étoile massive ne peut plus contrecarrer son propre poids et connaît alors un effondrement inéluctable. Des étoilesmodestes, comme le Soleil, s’effondrent aussi en fin de vie, mais elles retrouventune stabilité à une taille plus petite, formant une « naine blanche ». Pour une étoile suffisamment massive, en revanche, la gravité
finit parfois par l’emporter sur toutes les forces qui s’opposent à l’effondrement. Partant d’une taille de plusieurs million de kilomètres de diamètre, l’étoile – du moins, son coeur – est alors compriméeen un point de densité quasi infinie. La plupart des astrophysiciens pensent que le résultat est un trou noir, un objet possédant une gravité si intense que rien ne peut s’échapper de son voisinage immédiat. Un trou noir comporte deux parties. Au centre se trouve la singularité, c’est-àdire le point infinitésimal où est concentrée toute la matière de l’étoile.
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Autour de la singularité se trouve une région de l’espace où rien ne peut échapper à sa gravité, pas même la lumière. La frontière de cette région est ce qu’on appelle l’horizon des événements. Un objet qui franchit l’horizon des événements n’en ressort jamais. Toute lumière émise par le corps happé est également piégée, si bien que l’objet disparaît à jamais aux yeux d’un observateur extérieur. À terme, l’objet tombe sur la singularité. Mais ce tableau dépeint-il vraiment la réalité ? Les lois actuelles de la physique impliquent de façon claire la formation d’une singularité, mais elles sont plus vagues en ce qui concerne l’horizon des événements. La plupart des physiciens pensent qu’il doit se former un horizon, ne serait-ce que parce que celui-ci fait office de cache-sexe opportun de nos lacunes théoriques. Car les physiciens ne comprennent pas exactement aujourd’hui ce qui se passe dans une singularité : la matière est comprimée, certes, mais que devient-elle ? L’horizon des événements, en soustrayant la singularité à toute investigation, isole ce défaut dans
ADAM BROWN
Shutterstock.com/Dotted Yeti
Est-il possible d’exploiter un trou noir ?
L’environnement immédiat d’un trou noir renferme une grande quantité d’énergie. Mais pour l’extraire, une civilisation future devrait construire un ascenseur spatial qui défie les lois de la physique.
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maginons le pire scénario de science-fiction possible. Le Soleil s’est arrêté de briller, le combustible qui alimentait la fusion nucléaire s’étant épuisé. La Terre – si elle survit à la mort de l’étoile – est alors plongée dans un hiver perpétuel. Et s’il encore là, l’homme doit trouver des sources d’énergie ailleurs, dans d’autres étoiles pour commencer. Néanmoins, une fois que toutes les étoiles se seront éteintes, que restera-t-il comme source d’énergie ? Les trous noirs. Mais sera-t-il possible de récupérer cette énergie et de sauver la civilisation ?
Certes, ce scénario est « tiré par les cheveux ». Mais nous pouvons tout de même nous demander s’il est possible d’exploiter l’énergie d’un trou noir. Ces questions sont un bon prétexte pour se pencher sur la physique d’un trou noir, en particulier celle de son horizon des événements, et d’étudier la possibilité de construire une structure gigantesque et popularisée par la science-fiction : l’ascenseur spatial. À première vue, extraire de l’énergie (ou quoi que ce soit) d’un trou noir semble impossible. En effet, on définit l’horizon des événements d’un trou noir comme la
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frontière qui délimite la région sphérique où le champ gravitationnel du trou noir devient si intense que tout ce qui y pénètre ne peut plus s’en échapper : ni les météorites, ni les fusées, ni même la lumière. Tout ce qui s’aventure à l’intérieur de cette sphère est voué à disparaître. De la même façon, une bombe larguée sur le trou noir, loin de le détruire, ne servirait qu’à le faire grossir d’une quantité égale à la masse de la bombe. C’est en tout cas ce que l’on pensait. Mais dans un article publié en 1974, Stephen Hawking montrait que nous nous trompions. En développant des idées de Jacob Bekenstein, maintenant à l’Université hébraïque de Jérusalem, Stephen Hawking expliquait que les trous noirs laissent fuir de petites quantités de rayonnement. Vous mourrez quand même si vous tombez dedans, mais, bien que vous ne puissiez jamais refaire surface en tant que personne, votre énergie finira par ressortir. Et c’est une bonne nouvelle pour ceux qui voudraient exploiter les trous noirs : de l’énergie s’en échappe. La raison pour laquelle cette énergie s’échappe est liée aux lois de la mécanique
JUAN GARCÍA-BELLIDO ET SÉBASTIEN CLESSE
© Ligo/Caltech/MIT/Sonoma State (Aurore Simonnet)
Matière noire : la piste des trous noirs
De quoi est faite la masse manquante de l’Univers ? Des observations récentes appuient l’hypothèse des trous noirs primordiaux, des objets nés moins d’une seconde après le Big Bang, bien avant les étoiles.
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l y a plus d’un milliard d’années, dans l’Univers lointain, deux trous noirs tournaient l’un autour de l’autre. Ils se sont rapprochés progressivement jusqu’à fusionner. Cette spirale mortelle s’est soldée par une collision d’une extrême violence. Le choc a secoué la trame de l’espace-temps, émettant des perturbations – des ondes gravitationnelles – qui se sont propagées à la vitesse de la lumière dans toutes les directions. En septembre 2015, après avoir parcouru plus d’un milliard d’années-lumière, ces ondes ont atteint la Terre et fait vibrer les interféromètres laser
géants du complexe de détection Ligo, aux États-Unis. C’était la première fois que les physiciens détectaient directement des ondes gravitationnelles. Cette observation a confirmé de façon définitive leur existence, prédite un siècle auparavant par Albert Einstein.
La surprise des ondes gravitationnelles À partir de la forme du signal capté par Ligo, les physiciens ont calculé que chacun des deux trous noirs impliqués dans la fusion était environ trente fois plus massif
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que le Soleil. En d’autres termes, leur masse était le double ou le triple de celle des trous noirs ordinaires, qui naissent au cœur de l’explosion en supernova d’étoiles massives. Ces trous noirs étaient si lourds qu’il est difficile d’expliquer comment ils ont pu se former à partir d’étoiles. De plus, même en admettant qu’ils sont nés de façon indépendante lors de la mort d’étoiles massives, il reste à expliquer comment ils ont pu se rencontrer dans l’immensité du cosmos et former un système binaire : un scénario qui semble très improbable. Il est donc raisonnable de supposer que ces trous noirs massifs se sont formés par un autre mécanisme, plus exotique, ne faisant intervenir aucune étoile. Au-delà de la détection des ondes gravitationnelles, Ligo pourrait bien avoir mis au jour quelque chose d’encore plus extraordinaire : des trous noirs antérieurs à la formation des étoiles elles-mêmes. Bien que ces hypothétiques trous noirs « primordiaux » n’aient jamais été observés, certains modèles théoriques suggèrent qu’ils se seraient formés en grand nombre
SEAN BAILLY
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Un trou de ver étudié en laboratoire
Est-il possible de voyager d’un point de l’Univers à un autre en passant par un trou de ver ? Une façon de répondre à cette question est d’étudier un système hydrodynamique analogue.
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uel est le lien entre une chute d’eau et un trou noir ? Dans les deux cas, il existe une frontière invisible qui, une fois franchie, vous condamne à un voyage sans retour. En amont d’une cascade, le courant s’accélère et, à partir d’un certain point, il n’est plus possible de nager assez vite à contre-courant pour ne pas être emporté. Un trou noir, pour sa part, déforme l’espace-temps à tel point qu’aucun objet, même se déplaçant à la vitesse de la lumière, ne peut s’échapper du piège gravitationnel une fois franchie une limite qualifiée d’horizon des événements.
d’un trou noir dans un courant d’eau. Les deux chercheurs ont aujourd’hui étudié par la même approche le concept de trou de ver, une structure hypothétique de l’espace-temps qui relierait deux régions distantes de l’Univers.
Un rayonnement de Hawking hydrodynamique
Cette comparaison entre une chute d’eau et un trou noir est bien plus qu’une simple analogie : les équations mathématiques qui décrivent ces deux phénomènes, pourtant de natures très différentes, sont réellement similaires. De fait, des chercheurs ont entrepris d’étudier les propriétés des trous noirs à partir de dispositifs hydrodynamiques analogues, les « trous noirs acoustiques ». En 2016, Germain Rousseaux et Léo-Paul Euvé, du laboratoire Pprime à Poitiers, et d’autres collègues, avaient par exemple mis en évidence l’équivalent du rayonnement de Hawking
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L’idée des trous noirs acoustiques a été formulée pour la première fois en 1981 par William Unruh, de l’université de Colombie-Britannique à Vancouver, au Canada. Il existe différentes façons de les construire et les physiciens les utilisent pour étudier certaines propriétés des trous noirs astrophysiques, inaccessibles autrement. Un des objectifs était d’étudier l’analogue du rayonnement de Hawking, imaginé par Stephen Hawking en 1974. En effet, les trous noirs ne sont pas aussi noirs qu’on le pense. Juste à l’extérieur de l’horizon des événements, des processus quantiques conduisent à l’émission de photons qui s’éloignent du trou noir. Ainsi, pour un observateur à bonne distance du trou noir, ce dernier semble émettre un