Thema Pour la science n°15 : extraterrestres

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EXTRATERRESTRES SOMMES-NOUS SEULS DANS L’UNIVERS ?

Civilisations Extraterrestres

Paradoxe de Fermi

Ovnis

SAURIONS-NOUS RECONNAÎTRE LEURS SIGNAUX ?

LES SURSAUTS GAMMA EMPÊCHENT-ILS LA VIE ?

POURQUOI LES SOUCOUPES VOLANTES N’EXISTENT PAS


ÉDITO

MAIS OÙ SONT-ILS DONC ?

S Philippe Ribeau

Responsable éditorial web

ommes-nous seuls dans l’Univers ? Cette question obsède l’humanité depuis des siècles. En témoignent les fantasmes passés de canaux martiens et les histoires toujours actuelles d’ovnis… Aujourd’hui si la recherche de la vie dans le cosmos est devenue une science à part entière, l’exobiologie, nous n’avons toujours pas détecté le moindre signe d’êtres intelligents ailleurs dans l’Univers. Pourquoi ? Le foisonnement de planètes extrasolaires découvertes depuis vingt ans renforce pourtant à première vue la probabilité qu’il existe des civilisations extraterrestres. Mais, rétorquent les pessimistes, les critères nécessaires pour permettre le développement de la vie intelligente sont si nombreux et si contraignants qu’il est probable que nous soyons seuls. Sans compter que les sursauts gamma, des explosions violentes d’étoiles qui « stérilisent » leur environnement, ne laisseraient aucune chance de survie aux éventuels Aliens dont nous ne serions de toute façon pas capables de détecter les signaux… Les optimistes continuent d’espérer. Et laissent libre cours à leur imagination : pourquoi ne pas supposer que des intelligences supérieures contrôleraient les mouvements des étoiles ou la naissance d’univers ? Ou encore supposer qu’une civilisation avancée pourrait capter l’énergie de son étoile à l’aide d’immenses réflecteurs en orbite ? Une telle sphère de Dyson expliquerait ainsi l’étrange comportement de l’étoile dite de Tabby. Reste que dans notre imaginaire collectif, les « petits hommes verts » restent toujours à notre image, quelle que soit leur taille, ou la façon dont ils se reproduisent… In fine, notre capacité de spéculation en matière d’extraterrestres est plus pauvre que l’incroyable diversité offerte par la seule vie que nous connaissons, celle de notre planète !

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Pour la Science 170 bis boulevard du Montparnasse - 75014 Paris

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Directrice des rédactions : Cécile Lestienne Pour la Science Rédacteur en chef : Maurice Mashaal Rédactrice en chef adjointe : Marie-Neige Cordonnier Rédacteur : François Savatier, Sean Bailly Conception graphique : Pauline Bilbault Directrice artistique : Céline Lapert Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy, Assya Monnet Réviseuse : Anne-Rozenn Jouble Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe Marketing & diffusion : Arthur Peys Chef de produit : Charline Buché Presse et communication : Susan Mackie susan.mackie@pourlascience.fr Tél. : 01 55 42 85 05 Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot Publicité France Stéphanie Jullien stephanie.jullien@pourlascience.fr Tél. : 06 19 94 79 25 © Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de représentation réservés pour tous les pays. Certains articles de ce numéro sont publiés en accord avec la revue Spektrum der Wissenschaft (© Spektrum der Wissenschaft Verlagsgesellschaft, mbHD-69126, Heidelberg). En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris). © Couverture : GettyImages/ Chris Clor EAN : 9782842452186 Dépôt légal : août 2019


SOMMAIRE

P/4/SEULS DANS L’UNIVERS ? H. SMITH

P/19/L’ÉTRANGE ÉTOILE DE TABBY K. CARTIER ET J. WRIGHT

P/31/LES SURSAUTS GAMMA EXPLIQUENT-ILS LE PARADOXE DE FERMI ? R. JIMÉNEZ P/45/COMMENT RECONNAÎTRE LES TRACES DE VIE EXTRATERRESTRE ? J.-P. DELAHAYE

P/4

P/56/L’ART DE SPÉCULER SÉRIEUSEMENT J.-P. DELAHAYE P/67/SUR LA PISTE DES EXTRATERRESTRES F. R. CERCEAU P/79/OVNIS : DES ENQUÊTES SUJETTES À CAUTION D. ROSSONI, E. MAILLOT ET E. DÉGUILLAUME

P/84/POURQUOI LES SOUCOUPES VOLANTES N’EXISTENT PAS G. BRONNER

P/84

P/87/DES EXTRATERRESTRES TROP HUMAINS R. LEHOUCQ ET J.-S. STEYER

P/92/QUELLE EST LA TAILLE MAXIMALE D’UN EXTRATERRESTRE ? R. LEHOUCQ

P/67

P/97

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P/97/LE SEXE CHEZ LES EXTRATERRESTRES J.-S. STEYER ET R. LEHOUCQ


HOWARD SMITH

© Unsplash / Joshua Earle

Seuls dans l’Univers ?


Malgré la découverte de nombreuses planètes extrasolaires, l’existence d’une civilisation extraterrestre dans notre région de la Galaxie est peu probable.

bouleverserait la représentation que l’humanité se fait d’elle-même ». La plupart des gens pensent que nous ne sommes pas seuls dans l’Univers. Certains analystes expliquent que le public veut croire aux extraterrestres car « ils viendraient de sociétés utopiques qui ne connaissent ni la guerre, ni la mort, ni la maladie » et qu’ils « pourraient aider l’humanité à surmonter ses problèmes ».

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Une idée déresponsabilisante

vant la découverte de 51 Pegasi b, en 1995, nous ne connaissions aucune planète en orbite autour d’une autre étoile semblable au Soleil. Près de 25 ans plus tard, selon le catalogue exoplanet. eu, plus de 4 100 planètes ont été confirmées, et plus de 2 500 candidates sont en attente de validation. Le rythme des découvertes d’exoplanètes s’est accéléré depuis le lancement du satellite européen Corot, en 2006, et, surtout, de la mission Kepler de la NASA, en 2009.

Les astrophysiciens ne sont pas les seuls à se passionner pour ces découvertes. Le public s’intéresse beaucoup aux planètes extrasolaires et à la possibilité qu’elles abritent la vie, voire des formes de vie intelligente. En 2010, la Société royale de Londres a parrainé un symposium intitulé « La détection de la vie extraterrestre et ses conséquences pour la science et la société ». Les participants observaient que « s’il se révélait que nous ne sommes pas seuls dans l’Univers, cela

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Les scientifiques eux-mêmes encouragent parfois cette vision sensationnaliste. L’astronome Ray Jayawardhana écrivait ainsi en 2010 dans le New York Times que les gens ne devraient pas s’inquiéter de « la vie extraterrestre, surtout si elle maîtrise une technologie susceptible de nous faire sentir tout petits et insignifiants ». Mais ce scénario de science-fiction pourrait au contraire déresponsabiliser les gens et les rendre désinvoltes à l’égard des autres ou de notre planète ! L’étude des planètes extrasolaires (ou exoplanètes) apporte les premiers éléments concrets pour réévaluer l’hypothèse


KIMBERLY CARTIER ET JASON WRIGHT

© Shutterstock/ Alexander Mozymov

L’étrange étoile de Tabby


La luminosité d’une étoile par ailleurs ordinaire fluctue d’une façon qui échappe à toute explication. De là à supposer qu’une civilisation extraterrestre aurait entouré l’astre d’immenses capteurs pour exploiter son rayonnement…

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ar une calme après-midi d’automne, en 2014, alors que les arbres viraient du vert à l’or, Tabetha Boyajian nous a rendu visite au département d’astronomie pour partager une découverte inhabituelle. Une rencontre qui allait changer le cours de nos carrières. Grâce aux données du télescope spatial Kepler, Tabetha (ou Tabby) Boyajian, alors postdoctorante à l’université Yale, étudiait d’inexplicables fluctuations lumineuses en provenance d’une étoile distante de 1 280 années-lumière. Le télescope Kepler, spécialisé dans la recherche d’exoplanètes

– planètes en orbite autour d’autres étoiles que le Soleil –, mesure les variations de luminosité que l’exoplanète provoque en passant entre l’étoile et le télescope. Or les fluctuations qui intriguaient l’astronome ne ressemblaient à rien de ce qu’une exoplanète est susceptible d’occasionner. Et la chercheuse de Yale avait déjà exclu d’autres explications sans avoir trouvé de solution satisfaisante.

Une sphère de Dyson ? Elle cherchait de nouvelles idées, et l’un d’entre nous (Jason Wright) a suggéré

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quelque chose de très peu orthodoxe : peutêtre les changements de luminosité de l’étoile ne découlent-ils pas de processus naturels, mais d’une technologie extraterrestre ? Dans les années 1960, le physicien Freeman Dyson avait imaginé que des civilisations avancées gourmandes en énergie seraient capables d’envelopper leur étoile mère de collecteurs solaires (et former ce qu’on nomme une sphère de Dyson) pour absorber le maximum d’énergie rayonnée par l’astre. Se pourrait-il que cette étoile pâlissante soit le premier signe que l’existence d’autres cultures cosmiques ne relève pas simplement de la science-fiction ? Cette idée outrancière était une hypothèse proposée comme dernier recours, mais, dans l’immédiat, il ne nous était pas possible de l’écarter. L’étoile qui déconcertait Tabetha Boyajian (désormais nommée étoile de Boyajian et familièrement appelée étoile de Tabby) captive à présent de nombreux astronomes ainsi que le grand public. Comme toutes les grandes énigmes, elle a suscité un nombre important de tentatives de solution, dont aucune n’est parvenue à expliquer


RAÚL JIMÉNEZ

© Shutterstock.com/Lauritta

Les sursauts gamma expliquent-ils le paradoxe de Fermi ?


En dépit de la multitude de planètes dans l’Univers, nous n’avons pas encore détecté de civilisations extraterrestres. Pourquoi, se demandait le physicien Enrico Fermi ? La raison tient peut-être à l’explosion violente de certaines étoiles, les sursauts gamma, qui anéantiraient toute vie dans leur voisinage.

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n 1950, le physicien italien Enrico Fermi s’est posé la question suivante. Si la Voie lactée contient plus de 100 milliards d’étoiles et que le Système solaire n’y constitue pas une exception, le nombre de planètes où la vie se serait développée devrait être gigantesque. Dans ce cas, une vie intelligente aurait dû se développer sur certaines d’entre elles et, tôt ou tard, se serait répandue dans toute la galaxie. Mais alors, pourquoi n’avons-nous détecté aucune

que la vie complexe est peut-être beaucoup moins fréquente qu’on ne le pensait. Ces explosions d’étoiles comptent parmi les phénomènes les plus violents de l’Univers et leurs effets dévastateurs s’exercent à des milliers d’années-lumière de distance. Bien qu’on les observe depuis les années 1960, nous ne commençons qu’aujourd’hui à prendre la mesure de leurs effets « stérilisateurs ». Ces événements, s’ils sont nombreux, pourraient en effet compromettre l’existence même de la vie complexe au sein des galaxies.

Les sursauts gamma, destructeurs de vie civilisation extraterrestre ? Pourquoi les extraterrestres ne nous ont-ils pas contactés ? Où sont-ils tous ? Ce raisonnement est connu sous le nom de paradoxe de Fermi et, bien qu’il ait donné lieu à une foule d’hypothèses, nous ne disposons à l’heure actuelle d’aucune explication vraiment satisfaisante. Pourtant, depuis quelques années, l’étude d’un certain type de catastrophes cosmiques – les sursauts gamma – suggère

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Les sursauts gamma expliqueraient le paradoxe de Fermi, mais leur influence sur l’Univers s’étend bien au-delà. Une analyse détaillée montre que la répartition et le nombre de ces événements dans les galaxies sont intimement liés aux lois les plus fondamentales de l’Univers. Avec des conditions initiales légèrement différentes, le cosmos aurait pu être dénué de galaxies (et donc n’hébergerait pas la vie) ou en aurait produit en grande quantité


Comment reconnaître les traces de vie extraterrestre ? JEAN-PAUL DELAHAYE

© John Kershner/Shutterstock.com

On ne connaît ni les auteurs, ni la signification des dessins de Nazca, au Pérou, des géoglyphes longs de plusieurs kilomètres et visibles seulement du ciel.


Identifier des traces de vie ou de civilisations intelligentes n’est pas chose facile. Les erreurs d’interprétation passées mettent en évidence l’importance d’un critère clé : la complexité.

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l semble naturel de distinguer trois catégories de structures sur Terre et dans l’Univers : - les structures physiques (galaxies, rochers, fleuves, molécules d’eau, étoiles, trous noirs, cristaux, planètes, atomes d’hydrogène, glaciers, dunes…) ; - les structures vivantes ou provenant d’organismes vivants (arbres, cellules, alvéoles des ruches d’abeilles, organes, biominéraux, neurones, réseaux sanguins, chromosomes, protéines, squelettes d’hominidés, paramécies, insectes…) ;

- les structures provenant d’êtres doués de raison, que nous qualifierons d’« intelligentes » (livres, ordinateurs, réseaux routiers, sonates de piano, démonstrations de théorèmes, avions, firmes industrielles, molécules de plastique, programmes de jeu d’échecs, gravures anciennes…). Ces trois catégories peuvent être insuffisantes, notamment s’il existe des formes de vie inconnues différentes de la nôtre, ou des êtres superintelligents qui produisent des objets dont nous ignorons la nature, voire dont nous ne percevons

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pas qu’ils sont structurés. Il se peut aussi qu’il y ait continuité entre les trois types de structures envisagées –  p hysiques, vivantes et intelligentes – et que notre distinction soit chimérique. La musique des baleines nous incite à la prudence : qui, en entendant ces sons sans savoir comment ils ont été enregistrés, aurait compris qu’ils venaient d’animaux intelligents en train de communiquer et non d’un phénomène physique ? Nous supposerons dans la suite que les trois niveaux sont distincts, non ambigus et que tout s’y range bien. Vous pouvez tester cette hypothèse en vous demandant si vous changeriez de catégorie certains exemples donnés entre parenthèses où si vous en connaissez qui n’appartiennent à aucune des trois catégories. Se pose alors une question : comment identifier le type d’une structure vue sur Terre ou ailleurs, et est-ce toujours possible ? Le problème est important dans plusieurs domaines et pourtant cette identification des origines n’est l’objet d’aucune discipline cataloguée. Il est intéressant et amusant de voir comment,


JEAN-PAUL DELAHAYE Thema / Extraterrestres

© Unsplash.com/Dino Reichmuth

L’art de spéculer sérieusement


L’énergie de certaines étoiles, la naissance des trous noirs, voire celle d’autres univers, pourraient-ils être contrôlés par des intelligences supérieures ? De la spéculation bien encadrée ne nuit pas...

forme légitime de recherche scientifique. Si c’est votre sensibilité, passez votre chemin, car le livre que nous analyserons conduit aux confins de la physique, du raisonnement et peut-être même du raisonnable.

Le sens cosmologique de la vie

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otre imagination est bien timorée lorsque nous tentons de concevoir le futur ou la structure globale de l’Univers. La science-fiction nous aide un peu, mais elle oublie souvent les contraintes de la physique ou de la logique. La méthode la plus intéressante pour aborder ces « grandes questions » est finalement celle qui s’autorise toute hypothèse, mais en prenant en compte au mieux ce que nous apprend la science et ce qu’elle considère comme possible.

De nombreux scientifiques se sont adonnés à ce jeu de la spéculation savante – Nikolaï Kardashev, Freeman Dyson, Carl Sagan, Lee Smolin, Roger Penrose, etc. –, et il en est résulté une assez volumineuse littérature, parfois technique, mais sidérante et enivrante à bien des égards. Ces explorations et extrapolations font hurler certains esprits peu enclins à la fantaisie : ils n’y voient rien de pertinent et s’emportent si l’on prétend que de tels exercices sont une

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Clément Vidal est philosophe des sciences et chercheur à la Vrije Universiteit de Bruxelles. Il vient de publier un livre dont le titre est tout un programme : The Beginning and the End : The Meaning of Life in a Cosmological Perspective (Le commencement et la fin : le sens de la vie dans une perspective cosmologique). Connaissant et maîtrisant la littérature sur les questions de l’origine, du devenir ultime de l’Univers et les conceptions générales du monde formulées par la cosmologie et les philosophes, il présente un panorama organisé des réponses envisageables aux grandes questions que l’humanité se pose depuis toujours. Bien sûr, ces grandes questions ont été abordées par les religions, mais ici l’approche est non dogmatique et consiste comme il se doit à échanger des arguments rationnels et contradictoires.


FLORENCE RAULIN CERCEAU

©Shutterstock.com/Gorodenkoff

Sur la piste des extraterrestres


Au cours des derniers siècles, la recherche de la vie extraterrestre s’est peu à peu épurée de ses fantasmes pour aboutir à une discipline véritablement scientifique : l’exobiologie.

« J

e n’ai rien voulu imaginer sur les habitants des mondes, qui fût entièrement impossible et chimérique. J’ai tâché de dire tout ce qu’on en pouvait penser raisonnablement, et les visions même que j’ai ajoutées à cela ont quelque fondement réel. Le vrai et le faux sont mêlés ici, mais ils y sont toujours aisés à distinguer. » Ainsi s’exprime en 1686 le philosophe et écrivain Bernard le Bovier de Fontenelle (1657-1757) dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes, qu’il a voulus comme une fiction divertissante, construite autour de données astronomiques bien connues de

l’époque. La notion de vie dans l’Univers se présente alors comme un mélange issu d’interprétations scientifiques (la Terre est une planète comme les autres) et de concepts d’imagination (toutes les planètes de notre Système solaire sont habitées). Cependant, la recherche de vie extraterrestre du temps de Fontenelle, « c’est beaucoup d’ignorance sur bien peu de science », comme le soulève la marquise des Entretiens, déçue par le manque de détails fournis par son interlocuteur sur les habitants de la Lune… L’exobiologie d’aujourd’hui (ou ses « sœurs » l’astrobiologie et la bioastro­nomie)

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est née dans les années 1960, conjointement à l’essor de l’exploration spatiale. Elle est aussi contemporaine du développement de la chimie prébiotique en laboratoire ainsi que des avancées spectaculaires de la biologie moléculaire avec l’identification des éléments « clé » du vivant terrestre. Elle couvre aujourd’hui un vaste champ disciplinaire, qui comprend non seulement la recherche de vie et de systèmes prébiotiques dans d’autres environnements planétaires (avec ses prolongements comme la détection d’exoplanètes habitables), mais aussi les recherches sur l’origine de la vie terrestre, son évolution et son éventuel déploiement dans l’espace.

Des arguments plus philosophiques que scientifiques Pourtant, l’idée d’une vie ailleurs dans l’Univers est débattue de longue date, plus souvent appuyée par des arguments philosophiques que scientifiques. Jusqu’au xviie siècle, les autres mondes habités font figure d’hérésie ; Giordano Bruno fut ainsi brûlé sur le bûcher en 1600, pour (entre autres) avoir osé les défendre. Avec


DAVID ROSSONI, ÉRIC MAILLOT ET ÉRIC DÉGUILLAUME

©Unsplash/ Bruce Warrington

Ovnis : des enquêtes sujettes à caution


Un service du Centre national d’études spatial, le Geipan, est dédié à l’étude des phénomènes aérospatiaux non identifiés. Mais ses investigations manquent de rigueur, ce qui sème le doute sur l’ensemble des études sur ce sujet.

présents, des centaines d’autres restent inexpliqués. Faut-il en conclure que des objets d’une nature inconnue sillonnent notre atmosphère ?

Phénomènes extraordinaires, preuves extraordinaires

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e 12 novembre 2007, à Washington, 19 personnalités – anciens pilotes, scientifiques et responsables politiques  – lançaient un appel pour réclamer la réouverture d’une enquête officielle sur les ovnis. Depuis le début de la médiatisation du phénomène aux États-Unis en 1947, des dizaines de milliers d’observations d’objets volants non identifiés ont été rapportées à travers le monde. De multiples commissions ont été constituées pour étudier et tenter d’expliquer ces cas, sans parvenir à

des conclusions totalement convaincantes. En France, c’est la mission d’un service du Centre national d’études spatiales (CNES), le groupe d’étude et d’information sur les phénomènes spatiaux non identifiés, ou Geipan. Créé en 1977 sous le nom de gepan, puis rebaptisé sepra, celui-ci est revenu en 2005 à son acronyme précédent, auquel a été ajouté le « i » de « information ». Les enquêtes menées par le Geipan ont permis d’élucider un certain nombre de cas, mais selon ses dirigeants passés et

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On peut d’abord se demander si les travaux du Geipan sont solides. Des phénomènes extraordinaires requièrent des preuves extraordinaires. Or, entre l’absence de recherche exhaustive des sources de méprise possibles, le « syndrome du témoin parfait » ou les délais d’intervention importants, l’analyse des rapports d’enquête du Geipan laisse entrevoir des lacunes méthodologiques récurrentes. Revenons à l’appel de novembre 2007. Dans le groupe de personnalités figurait un ancien pilote de ligne d’Air France, témoin d’un étrange phénomène. Le 28 janvier 1994, l’équipage du vol AF-3532 observe au-dessus de Paris ce qui lui paraît être un objet gigantesque. Or, au moment de l’observation, un radar enregistre un écho non identifié. Le Geipan conclut à la présence d’un engin d’une technologie


GÉRALD BRONNER Thema / Extraterrestres

© Shutterstock.com/ Fer Gregory

Pourquoi les soucoupes volantes n’existent pas


Le nombre d’« observations » d’Ovnis devrait suivre la courbe exponentielle du nombre des photographies prises depuis les années 1950, ce qui n’est pas le cas.

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n 2013, le ministère britannique de la Défense a fermé le bureau de renseignement qui était chargé des recherches concernant le phénomène ovni. Une partie des réseaux sociaux a ricané, une autre s’en est émue en criant parfois au complot. Qu’en penser ? Si l’histoire de la littérature n’a pas attendu le xxe siècle pour évoquer la possibilité d’une intelligence extraterrestre, c’est en 1947 que, pour la première fois, le terme « soucoupe volante » est évoqué par Kenneth Arnold.

Ce riche industriel américain s’envola le 24 juin 1947, avec son avion personnel. Il survolait les monts Cascade de l’État de Washington lorsqu’il aperçut neuf appareils volants. Ils avaient une forme discoïdale à l’avant et triangulaire à l’arrière. Il ne put les suivre dans la mesure où ils lui paraissaient voler à quelque 2 000 kilomètres par heure ! Arnold eut le sentiment qu’ils rebondissaient dans l’atmosphère comme des « soucoupes » le feraient sur un lac. Son témoignage fit le tour du monde.

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Et ce sont bien des soucoupes volantes que des milliers de personnes prétendirent voir peu après, plutôt que des engins ressemblant à la description d’Arnold ! Ces observations affluent souvent par vagues. Après le témoignage d’Arnold, une première vague de phénomènes fut déclarée aux États-Unis, puis, quelques années plus tard, l’épidémie toucha la France. Si l’intérêt pour le phénomène ovni précède généralement les vagues d’observations, c’est que plus grand est le nombre de regards tournés vers le ciel, plus grandes sont les chances de prendre des vessies pour des lanternes. Cette interprétation paraît attestée par le fait que les statistiques effectuées entre 1947 et 1995 montrent que le mois de l’année où les témoignages sont les plus abondants est juillet, tout simplement parce que nous passons plus de temps dehors à cette saison et que cela augmente la proportion d’observateurs sincères de nuages aux formes bizarres, de satellites ou de ballons-sondes qui seront pris par certains pour ce qu’ils ne sont pas. Mais, répondraient ceux qui « veulent y croire », pourquoi ne pas supposer que


ROLAND LEHOUCQ ET JEAN-SÉBASTIEN STEYER Thema / Extraterrestres

© Shutterstock.com/ Design Projects

Des extraterrestres trop humains


Deux bras, deux jambes, une symétrie gauche-droite, etc. : dans les films ou les livres, les extraterrestres sont le plus souvent des humanoïdes. Pourtant, sur notre planète, la vie présente une diversité morphologique bien plus grande !

F

ace à la diversité croissante d’espèces extraterrestres dans les films et la littérature de science-fiction, il était temps d’y mettre de l’ordre. En 2006, le cinéaste français Denis Van Waerebeke a donc réalisé un court-métrage intitulé Classification systématique du vivant extraterrestre. Dans ce documentaire humoristique, il classe d’après leur morphologie les extraterrestres rencontrés dans les œuvres de fiction. Cette analyse révèle que la forme humanoïde est surreprésentée. Cela se comprend si l’on considère qu’il fut un temps où l’acteur jouant le rôle d’extraterrestre devait

pouvoir enfiler son costume sans que ses mouvements soient trop limités. Autre avantage cinématographique, nous déchiffrons mieux les émotions d’un alien anthropomorphe. Imaginez un extraterrestre sphérique avec une surface quasi lisse : pas facile de savoir s’il est content ou agressif !

Des représentations peu variées Cette contrainte de forme aurait pu disparaître grâce aux effets spéciaux numériques ou aux acteurs virtuels. Il n’en est rien. Dans le film Les gardiens de la Galaxie (James Gunn, 2014), tous les héros sont humanoïdes,

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même Groot, une sorte d’arbre qui exhibe malgré tout des caractères humains. Notre anthropocentrisme est si tenace que les réalisateurs et les écrivains ne s’inspirent guère de la biodiversité terrestre. Cette dernière réserve pourtant bien des surprises, et la forme humanoïde est loin d’y dominer. Par exemple, les spongiaires, des organismes pluricellulaires apparus dans les océans il y a au moins 580 millions d’années, n’ont pas de forme précise. Dénués d’organes ou de tissus réellement différenciés, ils adoptent des morphologies variées en fonction des courants marins. Leur forme s’organise autour d’une unique ouverture qui capte la nourriture. Les éponges présentent tout de même une polarité haut-bas, et certaines sont symétriques autour d’un axe central : on parle alors de symétrie axiale. Reste que peu d’œuvres de science-fiction contiennent des aliens en forme d’éponges. Citons toutefois le film The Blob (de Irvin Yeaworth Jr. en 1958 et repris par Chuck Russell en 1988), bien que cet envahisseur ressemble plus à un gel bactérien géant qu’à une éponge.


ROLAND LEHOUCQ Thema / Extraterrestres

© Unsplash/ William Warby

Quelle est la taille maximale d’un extraterrestre ?


La taille maximale d’un extraterrestre bipède dépend de la taille de sa planète, elle-même contrainte par le jeu des interactions électromagnétique et gravitationnelle.

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i nous rencontrions des êtres extraterrestres, il y a fort à parier qu’ils ne ressembleraient à rien de ce que nous connaissons. En effet, la diversité du vivant terrestre est grande à notre époque. Elle l’est encore plus en tenant compte des fossiles. Considérons, par exemple, les fossiles vieux de 500 millions d’années découverts en 1909 dans les schistes de Burgess, en Colombie-Britannique, au Canada. Certains d’entre eux sont si étranges que l’on peine à distinguer leurs parties supérieure et inférieure. Pourtant ces créatures

type, ET l’extraterrestre, X files, Men in black et bien d’autres films et séries télévisées nous présentent quasi exclusivement des extraterrestres humanoïdes. À la décharge des réalisateurs, reconnaissons qu’il est plus facile de faire vivre un extraterrestre à travers un acteur portant un masque. Néanmoins, même en se restreignant aux humanoïdes, on s’aperçoit que ces extraterrestres d’opérette doivent respecter certaines lois, de physique et de biomécanique notamment.

Garder l’équilibre du Cambrien résultent de l’évolution biologique terrestre qui a aussi abouti à notre apparition. Les espèces vivantes terrestres ayant une origine commune, leur diversité ne représente qu’une faible fraction des possibles. Ainsi, il est probable qu’un éventuel visiteur extraterrestre nous ressemble moins qu’un ornithorynque ou un concombre de mer. Les cinéastes de science-fiction font preuve d’une créativité bien inférieure à celle de la nature : Star Wars, Star Trek, Independance Day, Rencontre du troisième

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Pour pouvoir se déplacer à la surface de sa planète, notre extraterrestre doit avoir des membres articulés. Combien ? Le nombre des membres locomoteurs n’influe quasiment pas sur sa vitesse de déplacement : le mille-pattes ne se déplacerait pas plus vite s’il n’avait que dix pattes. En revanche, il influe sur son équilibre. En effet, l’équilibre d’un animal à n pattes n’est assuré que si la projection au sol de son centre de gravité, où s’applique le poids, tombe à l’intérieur d’une surface délimitée par ses n points d’appuis au sol. Dans le


JEAN-SÉBASTIEN STEYER ET ROLAND LEHOUCQ

© Assya Paloma

Le sexe chez les extraterrestres


Comment les extraterrestres de la science-fiction se reproduisent-ils ? On peut essayer de le déduire des mécanismes sélectionnés par l’évolution… sur Terre.

L

es histoires de science-fiction ne s’attardent pas souvent sur le sexe ou la reproduction des extraterrestres. Certaines œuvres évoquent pourtant des coups de foudre intergalactiques ou des kidnappings et des reproductions forcées. Comme souvent, les extraterrestres sont le reflet de nos peurs et de nos fantasmes. D’ailleurs, les hybrides entre humains et extraterrestres posent d’intéressantes questions sur la classification et l’évolution des espèces. Si la reproduction de certains extraterrestres a été décrite en détail – par exemple, les cycles biologiques et les différents

stades de croissance d’Alien –, ce n’est pas le cas de la plupart des autres personnages de science-fiction : même lorsque le troisième type est de forme humanoïde, très peu de détails concernent sa reproduction, qu’elle soit sexuée ou non. Rappelons que sur Terre, le sexe n’est pas obligatoire pour perpétuer l’espèce : la plupart des organismes (les bactéries, des plantes, des champignons, mais aussi des vers plats ou annelés, etc.) se reproduisent par multiplication « végétative », c’est-à-dire par simple division cellulaire entraînant une duplication du patrimoine

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génétique porté par les chromosomes. Par rapport à la reproduction sexuée, ce type de reproduction paraît plus simple : il suffit d’un petit bourgeon ou d’un greffon. La multiplication végétative serait aussi plus efficace en termes de nombre de rejetons. En revanche, le brassage génétique est plus limité, car les descendants ne sont que des clones de l’organisme initial. C’est aussi le cas de la parthénogenèse, où une unique femelle non fécondée – souvent nommée reine – donne naissance à des descendants (mâles ou femelles) tous identiques. Ce type de reproduction adopté par certaines plantes, insectes, ou lézards, est souvent à l’origine de sociétés matriarcales complexes.

Homme et femme à la fois Qu’il s’agisse de parthénogenèse et de multiplication végétative, les clones sont souvent obtenus par voie naturelle. Lorsque le clonage devient artificiel, apparaissent les craintes que la méthode ne soit un jour appliquée aux humains à des fins eugéniques : dans l’épisode II de Star Wars (L’Attaque des Clones, George Lucas, 2002),


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