NEON n°4

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N° 4

OCTOBRE-NOVEMBRE 2012

SOYONS SÉRIEUX, RESTONS ALLUMÉS !

OCTOBRE-NOVEMBRE 2012

RETOUR À LA CASE DÉPART Clandestin aux Etats-Unis, il n’aurait jamais dû rentrer au pays PETITES ANGLAISES Virée à Blackpool, la ville où l’on enterre sa vie de jeune fille HISTOIRE DE FAMILLE Nos grands-parents sont-ils des héros ? Il est temps de leur demander GROS BRANLEUR Ditto, étudiant en psychologie, vend son sperme pour arrondir ses fins de mois

U A E V U O N

Jusqu’où aller pour ton job ?

Séduire, déménager, prendre des risques, faire profil bas, tricher… Experts et témoins vous aident à fixer les limites.


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VOIR

RESSENTIR

CONNAÎTRE

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Monde, Politique, Société

Amour, Sexe, Psycho

Job, Etudes, Quotidien

12 JUSTE UNE QUESTION « Quelle est la décision qui a changé ta vie ? » Réponses dans la rue et par mail. 18 SAVOIRS INUTILES 18 millions de tonnes d’eau tombent sur Terre chaque seconde. 20 ON N’A PAS FINI D’EN PARLER

Nos mots choisis : fanute et mondegreen.

22 L’ARBRE À PALABRES Est-il l’heure de se coucher ?

30 DUR RETOUR POUR L’ÉMIGRÉ

Quand Maldonado, clandestin mexicain, rentre chez lui, il n’est pas le bienvenu.

36 APRÈS L’INCENDIE Leur immeuble a brûlé. Dix-huit mois après, les rescapés racontent. 44 DANS QUEL MONDE VIVONS-NOUS ?

Au Brésil, lire ouvre les portes du pénitencier.

46 MAIS DANS QUEL PAYS VIVONS-NOUS ?

62 EVJF À BLACKPOOL La station balnéaire des prolos britanniques est devenue la Mecque des enterrements de vie de jeune fille. 68 NOS GRANDS-PARENTS, CES HÉROS

Mamie a fait de la résistance, il est temps que ça se sache.

74 DANS QUEL CORPS VIVONS-NOUS ?

Pourquoi ça fait si mal quand on s’explose le petit doigt de pied ?

Ayrault fait son jardin à Matignon.

24 LE GROS FLIP Un mouchard dans mon compteur électrique ?

48 « ÇA FINIT TOUJOURS

24 VÉRIFICATION FAITE Blanc sur rouge, rien ne bouge, qu’ils disent…

Aux Etats-Unis, Sarah fouille les poubelles des candidats aux élections.

26 LES TUBES DE MA VIE Le groupe électro qui monte, Little Dragon.

50 VENDEUR DE SPERME Jonas, étudiant, éjacule pour payer la fac.

78 JUSQU’OÙ ALLER POUR TON JOB ?

Coucher, mentir, trahir, et même… bosser. Vous êtes vraiment prêts à tout.

88 VOS STRATÉGIES POUR MIEUX VIVRE LES TOILETTES

Petit précis de psychologie de chiottes. Parce qu’on ne devrait jamais s’emm… avec nos besoins naturels.

92 ENFANTS DE LA BALLE Les street golfeurs arrivent en ville. 96 DRAGUE PAR PROCURATION

Gabriel est un ange. Si vous n’avez pas le temps, il fait la cour à votre place sur internet.

PAR SE SAVOIR »

56 LE CAFÉ DE LA GUERRE Ils vivent la révolution en Syrie depuis une terrasse parisienne.

24 Le diable se cache dans les installations électriques !

36 Comment on refait sa vie quand on a tout perdu.

68 Nos grands-parents ont vécu l’histoire. Il faut leur demander.

92 Raté ? On ne sait pas : il n’y a pas de règles dans le street golf.

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AVOIR

RESPIRER

LE RESTE

NEON SUR LES INTERNETS

100 TU PLANQUES QUOI AU 1ER RENDEZ-VOUS ?

Tout le monde a un objet tue-l’amour. On vous a demandé de nous envoyer sa photo.

104 INTERVIEW SOMMAIRE D’AURÉLIEN BELLANGER

L’écrivain vedette de la rentrée commente les sujets de ce numéro.

106 TENUES DE CAMOUFLAGE

Nos modèles jouent les caméléons urbains.

112 JEUNES CADRES DYNAMIQUES

Une panoplie pour cyclistes méchamment allurés.

Voyages, Ciné, Musique

116 MES VACANCES SUR UNE AIRE D’AUTOROUTE

En plein chassé-croisé entre juilletistes et aoûtiens, Julien a posé ses valises 5 jours au bord de l’A7.

124 MARSEILLE, MA VILLE Week-end personnalisé autour du Vieux-Port.

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9 ÉDITO

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LA PHOTO DE LECTEUR : CLÉMENT CHAMPY

135 RADIO RÉDAC Qu’est-ce qu’on écoutait en bouclant ce numéro ? 138 WTF Un Irlandais qui range sa famille sur des étagères. 136 ABONNEMENT RECEVEZ VOTRE NEON UN JOUR AVANT TOUT LE MONDE.

126 UN CERTAIN REGARD Tommy Edison ne voit pas les films, mais il les critique.

ENVOYEZ VOS IMAGES À photos@neonmag.fr

POUR RESTER CONNECTÉS

Rejoignez-nous sur notre site www.neonmag.fr Sur notre page Facebook

128 MES SÉRIES

www.facebook.com/neonmag

ME COACHENT

De Mad Men à Girls, on apprend la vie au gré des saisons.

Sur Twitter : @neon_mag

132 MA DOSE DE CULTURE

Envoyez une déclaration d’amour à qui vous voulez, même à nous, sur contact@neonmag.fr

POUR 40 EUROS

Le premier album de C2C, le retour des réalisateurs de Little Miss Sunshine…

UNE DÉCLARATION

Retrouvez NEON sur l’antenne du Mouv’ et sur lemouv.fr

A Merci à @neon_mag de m’avoir

permis de patienter quatorze heures… Jusqu’à la naissance de Maïa, le 22 juillet 2012… Romain A Ça parle de nous, ça nous

laisse parler, ça nous apprend des choses, ça nous fait rêver ! Bref, c’est beau, futile, malin, plaisant… On aime !!! Delphine A Merci @neon_mag, avec

votre « fictionnaire » vous m’avez bien fait pouffasser (action de pouffer en terrasse)… Laurine A Vous êtes des grands malades et je vous aime ! :) Alexandre

PHOTOS : IKON IMAGES / ALAMY/ HEMIS.FR ; CELINE GAILLE ; JÉRÉMY SCHNEIDER ; GILDAS RAFFENEL ; THOMAS VOLLAIRE ; WILLIAMK

Mode, Tendances, Conso

Ce numéro comporte une double page abo, toute diffusion ; une carte jetée abo, kiosques France ; une carte jetée abo, kiosques France.

106 Ça ne se voit pas, mais ils attendent le bus.

116 Pendant cinq jours, Julien a pris l’aire… d’autoroute.

Hugo a été photographié par Niz Denox à Bruxelles.

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JUSTE UNE QUESTION

“ Quelle est la décision qui

Ksenia, 18 ans, Julie, 19 ans, Anastasie, 20 ans, et Anastasia, 21 ans, de Moscou. « Venir en France pour apprendre la langue et la culture afin de devenir professeurs de français dans notre pays. »

Diamonique, 22 ans, de New York. « Aux EtatsUnis, tout le monde a une grosse voiture, c’est dans les mœurs. Depuis que je suis arrivée en France, j’en ai pris une toute petite et c’est bien plus simple pour les créneaux ! »

Sibylle, 33 ans, Annecy « Epouser mon homme, le père de mon petit garçon qui n’a vécu que neuf jours à cause d’une grave maladie cardiaque… Parce que la vie continue et que l’on croit en l’avenir, le mariage aura lieu au mois d’octobre, neuf mois après sa disparition. Cette journée sera pleine d’émotions, et il sera notre petite étoile ! » Pascal, 32 ans, Ecully « Quand j’ai démissionné de mon ancien job. Depuis que je suis parti, je n’ai jamais aussi bien dormi ! »

Simon, 25 ans, d’Arles. « Sortir du ventre de ma mère, le seul jour où je me suis vraiment bougé les fesses ! »

Fiona, 23 ans, de Paris. « Devenir végétarienne, même si j’admets que le saucisson me manque énormément ! »

Elisa et Jen Sen, 38 ans, en couple, de Montpellier. « Avoir des enfants. »

Quentin, 20 ans, Angers « M’abonner à NEON, évidemment ! » Jakob, 19 ans, Berlin « C’était de déménager de la maison parentale à l’âge de 17 ans. L’indépendance, c’est génial ! » Mathieu, 20 ans, Chartres « Essayant de mieux vivre mon homosexualité et de rencontrer quelqu’un, je m’étais mis en tête de traîner avec des mecs “du milieu” rencontrés par internet, sûrs d’eux, séduisants, populaires. Ils sortaient

Benoît, 30 ans, de Toulouse. « Troquer le temps pluvieux de ma Bretagne natale pour le soleil du Sud ! »

tout le week-end en boîte gay… et étaient en réalité d’une superficialité à toute épreuve. Ma meilleure décision a été de prendre le large et de retourner vers ce qui avait de l’importance et que je ne voulais vraiment pas perdre : mes amis et ma famille. » Yann, 30 ans, La Rochelle « Tout lâcher, et mettre mes fesses dans un avion pour réaliser mon rêve de voir un kangourou en vrai. Ce furent six mois de pur bonheur, de rencontres hautes en couleur, de paysages à couper

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a changé ta vie ? ”

Nils, 7 ans, de Carcassonne. « Retourner à l’école parce que je n’aime pas du tout le centre aéré ! »

Jun-Han, 28 ans, de Taipei. « M’habiller dans des friperies pour avoir mon propre style. »

PHOTOS ET TEXTES : MATHILDE VENDRIN

Arnaud, 35 ans, de Paris. « Me faire confiance. »

Jacob, 26 ans, de Bergen. « Après avoir passé mon bachelor en business, j’ai décidé de changer complètement de voie et de me diriger vers des études de médecine. »

le souffle en mode soleil, d’aventures, de gens ouverts d’esprit… » Gwen, 32 ans, Cateri (Corse) « C’est d’avoir changé de vie : chéri, région, etc. Je vis en Balagne, dans un petit village entre Calvi et L’Ile-Rousse… Venant de Nancy, en Lorraine, j’ai tout quitté pour cette île paradisiaque. » Christel, 33 ans, Maisons-Alfort « Au cours d’un séjour professionnel prolongé, mon amoureux vit une passion pendant un mois avec une autre. Il me l’avoue en rentrant. Il est perdu, partagé

Julius, 36 ans, de Vienne. « Retravailler avec un ancien associé. »

Theresa, 20 ans, de Munich. « Bosser mon examen pour accéder à la formation que je désirais. »

entre son amour pour moi et sa passion pour elle. Je suis anéantie. Au final, son choix, c’est moi, c’est nous. Aussi bizarre que cela puisse paraître, nous prenons conscience de l’amour qui nous unit. C’est une épreuve douloureuse, on remet tout à plat. J’entreprends une thérapie pour me retrouver. La meilleure décision de ma vie, c’est de lui avoir pardonné. Deux ans après, notre relation est différente, rééquilibrée, plus profonde. On attend notre premier enfant dans une grande sérénité, on est heureux. »

LA QUESTION DE NEON C’est Mathilde Vendrin, étudiante en photographie de l’école Icart-Photo, à Levallois-Perret, et gagnante de notre concours, qui a réalisé ce microtrottoir. Et c’est toujours à vous, lecteurs, de donner votre avis sur des questions sérieuses, ou farfelues ! La question du prochain numéro : « Vous rencontrez votre futur-moi dans vingt ans : que lui demandez-vous ? » Envoyez vos réponses par mail à contact@neonmag.fr

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VOIR

Vendeur de sperme

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heveux ras, tee-shirt rouge, jean troué et baskets aux pieds, il s’engouffre dans un immeuble anonyme du centre-ville et monte dans l’ascenseur. Cinquième étage, les portes ouvrent directement dans les locaux de l’entreprise. A l’accueil, une standardiste blonde répond à un appel dans un français impeccable. Trois flacons vides sont alignés sur son comptoir. Il se saisit de l’un, contourne la salle d’attente déserte et entre d’un pas assuré dans une

En France, le don de sperme est anonyme, bénévole et contrôlé par l’Etat. Au Danemark, c’est un business et un job étudiant pour des garçons comme Jonas. TEXTE LAURÈNE CHAMPALLE. PHOTOS RUMLE SKAFTE

pièce de trois mètres carrés, aveugle et insonorisée. Sur la porte, un écriteau : « Donorskabin ». Il s’enferme à clé. Un voyant rouge s’allume à l’extérieur pour signaler sa présence. Défense d’entrer. Le mobilier est sommaire : une banquette, un petit lavabo et un écran télé accroché au mur. Des numéros de Sextase et d’Amatør Sex, des revues porno, attendent sur la banquette. Aux murs, des posters de filles plantureuses et un calendrier de lingerie. A côté du lavabo, des mouchoirs ; en dessous, une poubelle.

Dix minutes s’écoulent. Il ressort de la pièce, flacon à la main. Il le dépose sur le comptoir, s’identifie à l’ordinateur en scannant son empreinte digitale. Une jeune femme en blouse blanche vient à sa rencontre. Ils échangent quelques politesses. Elle colle un code-barres sur le flacon. Il tourne les talons. L’ascenseur se referme sur lui. Jonas – son prénom a été modifié –, 26 ans, vient d’apporter sa modeste contribution à l’humanité : 3,3 millilitres de liquide séminal frais. Etudiant en psychologie, il fait

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partie des quelque 518 géniteurs référencés chez Cryos, la plus grande banque de sperme au monde, 30 000 naissances à son actif depuis son lancement en 1991 d’après Ole Schou, PDG et fondateur. Installée à Aarhus, la deuxième ville du pays, la PME danoise exporte des gamètes dans le monde entier et en grande majorité en Europe. Blond aux yeux bleu gris, 1 m 93, 98 kilos de muscles, Jonas incarne le parfait Viking, spécialité de Cryos. Comme Jonas, 80 % des donneurs sont étudiants. Moyenne d’âge : 25 ans. Les 40 000 inscrits à l’université locale représentent un vivier inépuisable. Ils passent en toute discrétion entre deux cours, quand d’autres font une pause à la cafèt’. Jonas, lui, vient en général le matin. Ensuite, il part courir au jardin botanique, à côté. Jonas donne son sperme pour payer ses études depuis un an et demi. Il y a neuf mois, le médecin l’a averti que la qualité de sa production avait chuté en dessous de 5 millions de spermatozoïdes par millilitre : la limite. Jonas a dû mettre ses dons entre parenthèses pendant six mois, le temps de retrouver une bonne hygiène de vie. « Je faisais trop la fête. Je rentrais chez moi bourré deux ou trois

soirs par semaine », confesse-t-il. Il a arrêté l’alcool et le tabac : le nombre de spermatozoïdes est remonté en flèche.

« Je mange équilibré et j’évite la surchauffe au niveau des testicules » Jonas fait désormais le maximum pour produire un sperme de compétition. « Je m’efforce d’avoir une alimentation variée, riche en fruits et légumes. Je limite les féculents. Je ne bois pas de café. J’ai complètement arrêté la junk food : pizzas, hamburgers, frites, sodas… » énumère-t-il. Et ce n’est pas tout. « J’évite la surchauffe au niveau des testicules : je ne vais plus au sauna, je ne prends jamais de bain au-dessus de 37 degrés, poursuit-il. Je ne porte pas de pantalons serrés et je fais attention à ne pas mettre mon ordinateur sur les genoux ou mon portable dans les poches. Je ne fais pas de vélo pour ne pas les écraser et je ne me déplace qu’à pied.

J’évite le stress, j’essaie de dormir au moins sept heures par nuit ». Très sportif, Jonas court tous les jours, pratique le karaté et le full-contact à haute dose et fait un peu de musculation, de stretching et de yoga au centre de fitness du coin. Jonas passe à Cryos en général une ou deux fois par semaine, comme la plupart des donneurs. Il gagne en moyenne 300 couronnes (40 euros) à chaque fois, soit au minimum 1 200 couronnes (160 euros) par mois : de l’argent qui complète la bourse mensuelle de 5 500 couronnes (740 euros) que perçoivent tous les étudiants danois, quelles que soient leurs ressources. Cryos contourne une directive européenne qui interdit la rémunération des donneurs en leur versant une « compensation financière » pour la pénibilité et le transport. « Cela nous garantit un approvisionnement régulier tandis que la plupart des pays souffrent de

80 % des donneurs sont étudiants. Moyenne d’âge : 25 ans. Ils passent entre deux cours, quand d’autres font une pause à la cafétéria. NEON _ 51

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RESSENTIR

Nos grands-parents, ces héros On devrait sans plus attendre demander à nos anciens de nous raconter leur vie, leur passé. Leurs petites histoires forment parfois la trame de la grande Histoire. Ce qui fait d’eux… des héros. TEXTE ÉLODIE BARAKAT. ILLUSTRATIONS JÉRÉMY SCHNEIDER

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ar solidarité avec une amie juive, ma grand-mère, qui ne l’est pas, a porté l’étoile jaune pendant la Seconde Guerre mondiale. Moi, c’est un truc qui m’a toujours impressionnée, mais je n’en ai jamais beaucoup parlé avec elle. » Au détour d’une conversation sur l’amitié, cette confidence de mon amie Julia a éveillé ma curiosité. Pourquoi connaissons-nous si mal la vie de nos grands-parents ? Je voulais en savoir plus. « Je pourrais lui demander si elle veut bien t’en parler », a acquiescé Julia. Deux jours plus tard, je me rends chez la grand-mère en question, Geneviève, 89 ans (qui a préféré que son prénom soit changé). Mon hôte a peur de me « décevoir » : « Je ne sais pas ce que je vais pouvoir vous raconter », commence-t-elle. Son petit-fils Paul m’avait prévenue : « Elle a une personnalité humble, donc il faut lui consacrer du temps pour qu’elle accepte de parler. » C’était autour de ses 15 ans, pense-t-elle – mais elle avoue ne pas être très bonne en dates. En réalité, elle en avait 17 lorsque le port de l’étoile jaune a été imposé en France, en juin 1942. Dès lors, les juifs de plus de 6 ans vivant en zone occupée devaient porter l’insigne bien visible. A cette époque, Geneviève allait au lycée avec son amie Justine (dont le prénom a aussi été modifié), une jeune fille juive qui vivait dans l’appartement au-dessus, dans le 11e arrondissement de Paris. « Ils devaient porter l’étoile en permanence, sur leur manteau, leur veste et même leur blouse à l’école.

Dans le métro, les juifs devaient aller dans le dernier wagon. Une fois, avec des amis, on était montés en milieu de rame. Le contrôleur a obligé Justine à descendre. On l’a tous suivie. C’est alors que j’ai décidé de porter l’étoile par solidarité. J’étais plus grande qu’elle, je me suis dit “on va me regarder, pas elle”, elle sera moins gênée. Je n’avais pas peur des conséquences et je voulais lui éviter l’humiliation d’être seule dans ce cas. »

Quand les gens disent “je n’ai rien vécu”, ce n’est pas vrai Geneviève se souvient aussi qu’un matin, sa prof de philosophie lui a demandé d’ôter son étoile. « Vous, vous n’êtes pas obligée de la porter, faites attention ! » Et pour cause, ce geste de solidarité aurait pu lui valoir, à elle ou à ses parents, de sérieux ennuis. « Les enseignants étaient de vraies peaux de vaches. Mais on ne connaissait pas les dessous, beaucoup faisaient partie de la Résistance. Toute une aile du lycée était occupée par les Allemands, donc il valait mieux se tenir à carreau. Cette professeure-là, à la sortie du lycée, arborait une grosse fleur jaune – un souci – à la boutonnière de sa veste. C’était sa manière à elle de se montrer solidaire sans prendre le risque de se faire arrêter. Mais ça, on ne l’a compris que plus tard. » Les premières rafles à Paris ont lieu au mois de mai 1941. L’année suivante, c’est la rafle du Vel’d’Hiv, et les déportations commencent. Sous la menace croissante, le père de Justine part clandestinement en zone

libre avec son frère et sa sœur. Justine et sa mère restent à Paris, le temps de réunir leurs affaires et de prendre leurs dispositions. C’est à ce moment-là que la concierge les a dénoncés. « Justine était partie faire des courses quand les Allemands sont entrés dans l’immeuble, » se souvient Geneviève. « Ma mère, alertée par le bruit, s’est mise au balcon et a fait signe à Justine de ne pas rentrer. » Cachée au coin de la rue, celle-ci voit sa mère pour la dernière fois, embarquée par les Allemands. « Ils l’ont d’abord conduite à Drancy. Je sais que maman et des voisines lui faisaient parvenir de la nourriture et des tricots. Quand elle est partie avec les trains de déportation, on n’a plus jamais eu de nouvelles. » Le lendemain de l’arrestation, Justine partait rejoindre son père à Lyon. « En prévision », la mère de Justine avait confié à celle de Geneviève leurs draps et sa bague de fiançailles. « Maman avait coupé les broderies car ils avaient des noms d’origine polonaise, et leurs initiales n’étaient pas communes, avec des W, des Z… Elle avait caché la bague dans un pot de graisse dans le garde-manger. C’était en cas de perquisition, si on était dénoncés comme ayant aidé des juifs. » Après l’arrestation, Geneviève part en mission de nuit pour récupérer des effets personnels dans l’appartement, « des choses qui n’avaient pas grande valeur marchande. Des livres de classe dont j’arrachais la page où figurait leur nom, la machine à écrire… J’avais aussi descendu les patins à roulettes, ça me paraissait très important

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« J’ai porté l’étoile par solidarité. J’étais plus grande que mon amie juive, c’est moi qu’on regarderait. » NEON _ 69

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CONNAÎTRE

Jusqu’où aller pour ton job ?

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Se travestir, se dépasser ou rester soi-même… 16 expériences vécues dans le monde du travail, commentées par des spécialistes inattendus, vous aident à trouver vos limites. TEXTES LAURÈNE CHAMPALLE, JULIEN CHAVANES, NICOLAS FRANÇOIS, JULIA ZIMMERLICH

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AVOIR

Cyrille, 24 ans. Son appareil dentaire

Zoé, 20 ans. Une boîte Diddle contenant ses dents de lait

Tu planques quoi er au 1 rendez-vous ? On garde tous un objet pas trop sexy qu’on préfère dissimuler à ses conquêtes. Des lecteurs ont photographié leur tue-l’amour préféré. TEXTE JEAN-PHILIPPE LOUIS

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24 ans, la belle Cyrille porte encore un appareil dentaire. Pas des bagues en fer soudées aux quenottes, mais une sorte de plaque qu’elle colle toutes les nuits à son palais. Bref, un tue-l’amour. D’autant que, la journée, l’objet barbote dans un verre d’eau sur sa table de nuit comme un dentier. Inutile de dire que ce n’est pas l’attribut que cette

Bordelaise brandit lors d’un premier rendezvous galant : « Il y a des moments de séduction qu’il ne faut pas gâcher, résume-t-elle pudiquement. Hors de question de mettre ça devant un mec. » Alors, quand un joli cœur croise dans les parages, Cyrille planque l’appareil. Avec succès : « J’ai eu un amoureux qui ne l’a jamais su », confesse-t-elle. Cyrille n’a pas choisi de porter un appareil, elle le subit le temps de

se refaire une dentition de rêve. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Personne n’a forcé Laure, 26 ans, à vouer un culte aux crèmes antirides. « J’aime tellement les voir trôner sur la tablette comme de petites médailles et elles sentent si bon. » Mais, malgré sa dévotion, elle se rend bien compte que pour un garçon cette débauche d’antioxydants n’est pas forcément sexy. « En général, je m’arrange pour cacher les pots avant l’arrivée

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du mec, mais il y a des ratés, ce qui m’a un jour valu cette remarque : “Mais elle a 40 ans ta coloc ?” » Pourquoi la coloc ? Parce que Laura a adopté une méthode malicieuse : si elle omet de dissimuler sa collection quand elle reçoit, elle l’attribue à sa coloc. « On a tous des tue-l’amour », enchaîne Guillaume. Cet animateur radio de 26 ans avoue sans difficulté détenir « une panoplie de jonglage et des maillots de foot fort peu séduisants ». Notre homme s’est soigneusement fabriqué un style d’intello élégant, à coups de barbe foisonnante et de vestes « casual chic ». Lorsqu’il invite une fille chez lui – enfin, chez son père où il habite –, elle est d’abord bluffée par la déco classe et design du lieu, assez proche de l’image que Guillaume veut se donner. Mais quand la conquête se retrouve dans la cave qui lui sert de chambre, elle risque de tomber sur les « jouets » du garçon : un amas de balles, quilles, diabolos, bâtons du diable, maladroitement camouflés en haut d’un placard. « Il y en a une en particulier qui a froncé les sourcils, m’a regardé dans les yeux. J’ai bien senti qu’elle tiquait. » Pour elle, Guillaume passe de classieux à saltimbanque, limite punk à chien. « Franchement, je n’avais pas idée que les filles pouvaient trouver le jonglage débile. Pourtant

PHOTOS : DOCUMENTS PERSONNELS X8

Valériane, 21 ans. Son pull bleu tricoté par sa grand-mère

Julie, 29 ans. Son nounours bleu

ça nécessite de la concentration, de la coordination… Au début, quand elle s’est foutue de moi, je m’en fichais, surtout qu’elle est tombée sur la panoplie après avoir couché avec moi, pas avant. Ouf. » Mais, bien que l’affaire eût été pliée, Guillaume ressentit le besoin de se défendre. « Je devais me justifier au cas où la relation durerait avec cette fille, afin qu’elle ne m’empêche jamais de garder mes diabolos. Surtout que j’avais un petit niveau à l’époque. »

Quelle stratégie séduction : assumer ou cacher sa mascotte ? Plutôt que de nier sur le mode « tout ce gourbi appartient à mon petit frère », Guillaume opte pour la technique du storytelling : « Je lui explique que je jongle depuis que je suis petit, que c’est une passion que je partage avec des potes, et surtout que j’en fais toutes les semaines dans une association. Bref, j’en parle avec enthousiasme. Là, deux cas de figure : soit j’aggrave mon cas, soit je deviens encore plus séduisant. » Le tue-l’amour de Camille, 27 ans, est virtuel. Il se cache dans son ordinateur. Ou plutôt, dans son historique de navigation : « Tu tapes S, dans la barre de recherche, tu tombes automatiquement sur “Secret Story Replay”. Pareil avec la lettre C pour “Ch’tis

à Ibiza”. Car, depuis cinq ans, Camille n’a loupé aucune saison de téléréalité. Même les plus nulles. « Aucun programme ne me vide autant la tête », justifie-t-elle timidement. Il y a un an, elle rencontre Antoine. Entre la comptable et l’ingénieur, c’est le coup de foudre. Et le début de l’embarras. « Un jour, on est tombés par hasard sur un épisode de Secret Story. La réaction de mon copain a été sans appel : il a zappé en râlant contre ce programme qui ne pouvait plaire qu’aux débiles. » Rouge écarlate, Camille acquiesce, fustigeant l’émission et les « abrutis » qui la regardent. « Deux minutes après, discrètement, j’effaçais tout l’historique de mon ordi. » Camille, l’intello, la cultivée, n’assume pas. Mais pour autant, elle n’est pas prête à se priver de ses émissions fétiches. Alors, elle se cache : « J’attends que mon mec soit parti de l’appart pour me jeter sur le Replay. Puis j’efface l’historique, systématiquement. » Lui avouer ? « Peut-être un jour. Mais j’ai très peur qu’il soit déçu. Et que le charme se casse », craint-elle. Sélim est coach en séduction, fondateur d’un site au titre évocateur, lepiegeafilles.com. Lui ne confesse qu’une faute de goût : « On peut trouver que ma collection de livres sur le sexe fait partie de ces trucs qui brisent le charme, mais généralement les filles que

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RESPIRER

Mes vacances sur une aire d’autoroute Les touristes ne s’y arrêtent en général que quelques minutes. Julien a passé 5 jours au bord de l’autoroute du Soleil, à Montélimar. Sur l’une des plus grandes aires de repos en Europe. TEXTE JULIEN CHAVANES. PHOTOS WILLIAMK

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