La part de l'ombre. Sculptures du sud-ouest du Congo

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Sculptures du sud-ouest du Congo

Riche d’une abondante matière scientifique, le catalogue La part de l’ombre. Sculptures du sud-ouest du Congo met en lumière un territoire artistique et culturel immense. La créativité des artistes s’y révèle autant que l’intensité des circulations matérielles et immatérielles dans la région au fil des xixe et xxe siècles.

Aux propriétés plastiques de statues mbala, teke ou yanzi, de masques tshokwe, yaka ou kwese, de pendentifs pende ou hungaan, s’ajoute la pluralité des fonctions, laquelle dit la fertilité des traditions aussi bien que la force des récits qui les accompagne, individuels comme collectifs. 35 € ISBN 978-2-37074-145-5


Julien Volper

Les cases cheffales pende, qui mêlent architecture et sculpture (Fig. 22), constituent un élément fascinant de la culture matérielle du sud-ouest du Congo. Appelées kibulu chez les Pende orientaux et gisendu chez les Pende centraux comme occidentaux, ces constructions ne peuvent être considérées comme le lieu de résidence des dirigeants pende. Construite au moment de l’investiture d’un nouveau chef, la kibulu / gisendu tenait plutôt lieu de « temple », de lieu rituel assurant le lien avec les ancêtres afin qu’ils garantissent notamment la fécondité des femmes, la fertilité des champs et le succès cynégétique. À certains moments du calendrier rituel et lors des moments de crise, le fumu (chef) dormait dans la kibulu. En ces occasions, le dirigeant pouvait s’étendre

Fig. 21 (ci-contre)

Panneau sculpté d’encadrement de porte de gisendu

Pende centraux Bois, pigments H. 129 cm Collecté par L.-N. Chaltin (officier/directeur de la Compagnie du Kasaï) vers 1911 Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale No inv. EO.0.0.40861


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La part de l’ombre Fig. 28

Le kiamfu Panzu Fumukulu, souverain des Yaka, en tenue d’apparat (vers 1956)

Photographe : C. Lamote (journaliste Inforcongo) Tervuren, archives photographiques du Musée royal de l’Afrique centrale HP.1956.15.10298

La coiffe du kiamfu de Kasongo-Lunda, qui a pour nom misango mayaka, existe en de nombreux exemplaires. Les deux cornes renvoient au pakasa (buffle), animal puissant lié au pouvoir. Si beaucoup de misango mayaka furent réalisés par des Pende, l’origine même de cette « couronne » est à rechercher dans la sphère culturelle lunda. JV

Fig. 29 Enyejo Bakaka

Pouvoir des ancêtres khaaka 28

2021 Acrylique sur toile H. 180 cm ; L. 130 cm Commande du musée du quai Branly – Jacques Chirac pour l’exposition

Enyejo Bakaka Flory (né en 1976) a fréquenté le milieu des étudiants en arts plastiques de l’Académie des beaux-arts de Kinshasa. Il commence sa carrière en illustrant des programmes d’espaces cinématographiques. À partir de 2005, il se perfectionne auprès de l’artiste Claudy Khan. Les sujets traités par Enyejo touchent souvent aux questions environnementales et à la sape. JV

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cette contrée migrèrent en masse sur la rive droite du Kwango. Les causes de cet exode ne sont pas certaines, mais il est probable que ce mouvement de population soit en partie lié avec la multiplication de razzias visant à la capture d’esclaves 1 auxquelles voulaient échapper les Suku. Dans la région de la Nganga, les rapports entre les Suku et leurs nouveaux voisins lunda furent conflictuels. Les traditions orales évoquent de nombreux incidents diplomatiques survenus sur plusieurs générations qui évoluèrent en autant de casus belli. Vers le dernier quart du xviiie siècle, un dénommé Yinda devint kiamfu (chef) des Lunda. Il appartenait à la dynastie/clan des Muteba, l’une des plus redoutées pour sa dureté à l’égard même des chefferies vassales. Avec ses troupes, composées notamment de soldats provenant de peuples alliés et soumis, Muteba Yinda réussit à conquérir le territoire de la Nganga. La majorité des Suku refusant de se soumettre se résolurent à partir vers l’Est et furent alors traqués par l’armée du kiamfu. À un moment donné, les Suku et leur meni kongo (souverain) Tona di Lukeni arrivèrent en la plaine de Zumbu A Vumvu à proximité de territoires mbala et ngongo, deux peuples avec lesquels les Suku parvinrent à faire alliance militaire. Une bataille décisive s’engagea à Zumvu A Vumvu et dura, dit-on, plusieurs jours. Elle se solda par la défaite des Lunda et la mort du kiamfu tué de la main même du meni kongo d’une flèche en pleine gorge. Après cet événement, plusieurs traités de paix furent conclus entre les deux parties. Par la suite, les kiamfu successifs renforcèrent leur autorité à l’ouest de la rivière Bakali et à l’est de la rivière Kwango. Avec le temps, les populations sur lesquelles ils avaient conservé autorité formèrent l’ensemble culturel yaka tel qu’on le connaîtra à partir de la fin du xixe siècle (Fig. 28). Existe-t-il des témoignages matériels de ces événements lointains que consignèrent de consciencieux auteurs de l’époque coloniale comme les pères jésuites Michel Plancquaert et François Lamal ? En fait, l’un des objets les plus emblématiques attestant de la bataille de Zumbu A Vumvu était conservé dans la chefferie suku de Mutangu. Il s’agissait d’une statue en bois à laquelle était accrochée une mâchoire humaine qui n’était autre que celle du kiamfu Muteba Yinda. Ce macabre trophée avait été pris par le chef Mutangu de la chefferie éponyme qui combattait au côté du meni kongo Tona di Lukeni 2. Il l’adjoignit à une figure sculptée dans le bois de l’arbre contre lequel s’affaissa le kiamfu agonisant. Connue sous le nom de lubanga malwanza Muteba, cette pièce tenait lieu de principal bwene de la chefferie de Mutangu (Fig. 27). À la différence d’autres catégories de charmes d’usage plus individuel (Fig. 30 pour exemple), les bwene étaient des fétiches cheffaux et protecteurs du clan. Certaines statues de grande taille et de belle finition relevaient probablement à l’origine de cette catégorie des bwene (Fig. 33). Malgré son importance et son grand pouvoir, le lubanga malwanza Muteba ne pouvait que peu de chose contre le redoutable ennemi qu’est le temps. Ainsi, dans les années 1940, la pièce avait déjà perdu sa tête qui s’était vermoulue au fil des ans. 1. Ces pratiques visaient notamment à approvisionner en marchandise humaine les navires négriers de la côte atlantique.

2. Le crâne du kiamfu fut pris par le meni kongo. Cette relique, symbole de la défaite lunda, ne sera jamais rendue aux vaincus.

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Fig. 32

Statue khaaka

Suku Bois (Vitex congolensis) H. 59 cm Collectée par J. Verbist (administrateur territorial) ? Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale No inv. EO.1948.40.51

Cette statue relevait des bwene de la chefferie de Mutangu. Son nom de khaaka, «  grand-mère de clan », évoque un ancêtre féminin fondateur. Les informations rapportées par la tradition orale rattachent cette pièce à l’une des anciennes migrations suku, ce qui amène à la dater du xviiie siècle. JV

Fig. 33

Statue (bwene ?) Suku Bois H. 50 cm Collection privée

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Fig. 52

Fig. 53

Masque nganga ngombo (le devin)

Masque bwalabwala

Pende occidentaux Bois, pigments H. 27 cm Collecté par P. Hoet (missionnaire jésuite) vers 1932 Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale Dépôt Jésuite-Heverlee No inv. SJ.1794

Pende centraux Bois, pigments, textiles, poils, clous de tapissier H. 36 cm Acquis de Mme Blondeau Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale No inv. EO.1950.24.43

Appelé également gibolabola (le « très laid »), le bwalabwala peut être considéré comme un mélange de deux masques pende : - le tundu, un personnage bouffon sans vergogne aux yeux exorbités, adepte de la grivoiserie et des moqueries ; - Le mbangu, la « tête de Turc » du précédent, représente l’homme malheureux victime des attaques de sorcellerie et se caractérise par sa bouche tordue symbolisant une crise d’épilepsie ou autre attaque nerveuse. JV

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Manuel Jordán Pérez

Dans le sud-ouest du Congo vivent différents groupes partageant historiquement un rite d’initiation masculine : le mukanda ou khanda/kanda (Fig. 41). Ce mukanda est le contexte principal d’emploi des masques, souvent perçus comme des incarnations/« personnifications » d’esprits réputées posséder en propre des attributs de pouvoir et assumer divers rôles et fonctions initiatiques 1. Les mascarades sont publiques et expriment, dans différentes cultures, des préceptes cosmologiques. Elles consolident aussi la hiérarchie sociale, évoquent 1. S’agissant des peuples apparentés aux Tshokwe et aux Lunda que j’ai étudiés, les masques d’initiation sont considérés comme incarnant des morts mémorables

(áfu, sing. múfu) et des ancêtres protecteurs (hamba). Ils sont appelés akishi, du terme kishi (ou kisi) qui désigne la manifestation ou la représentation d’une entité

spirituelle. Les masques peuvent également évoquer d’autres types d’esprits et être assimilés à des objets de pouvoir et d’influence.

Fig. 40 (ci-contre)

Groupe de masques du mukanda (mingangi) des Pende occidentaux Photographe : A. Scohy 1950 Tervuren, archives photographiques du Musée royal de l’Afrique centrale EP.0.0.11531


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Fig. 59

Masque pwo

Masque mayamba

Masque ndeemba

Selon certaines sources, l’acquisition d’un pwo par un danseur nécessitait de payer une dot symbolique au sculpteur. Il n’était pas rare que, pour la création d’un pwo, un sculpteur s’inspire des traits, de la coiffure et des scarifications d’une belle femme de son village. Le style doux de ce masque rappelle certaines sculptures produites au sein de l’atelier artistique missionnaire de Kahemba. JV

Ces masques-heaumes à visage rouge et à la collerette de fibres bien taillées sont typiques de la région de Panzi. Mayamba représente un personnage féminin portant sur sa tête des zumbi (paniers à denrées). C’est un masque « mendiant » du mukanda de cette région qui réclame de la nourriture à ceux qu’il rencontre. Mayamba n’était pas détruit à la fin du mukanda mais conservé pour des usages futurs. JV

Les masques ndeemba se caractérisent par une superstructure en « chandelier » qui dérive de couvre-chefs autrefois portés par des notables. Un duo de ndeemba intervenait lors du nkiindzi mukanda (danse de sortie du mukanda) et du bubeedi mutsekyaan mukanda, c’est-à-dire la tournée des masques dans des villages de la région durant laquelle une « cagnotte » destinée à rémunérer les officiels du mukanda était levée. JV

Tshokwe Bois ( Vitex sp.), pigments, fibres végétales, textile H. 38 cm (ensemble) Collecté par G. Le Paige (missionnaire jésuite) avant 1948 Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale No inv. EO.1948.20.165

Yaka de Panzi Bois ( Ricinodendron heudelotii), pigments, fibres végétales H. 41 cm (ensemble) Acquis d’E. Beer (antiquaire) Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale No inv. EO.1956.5.1

Yaka Bois (Alstonia sp.), pigments, fibres végétales, textile H. 55 cm (ensemble) Acquis de M. Mohonval en 1911 Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale No inv. EO.0.0.2911


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Fig. 65

Statue khosi

Yaka Bois, pigments H. 74 cm Collecté par A. Pauwels (missionnaire jésuite) vers 1934 Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale Dépôt Jésuite-Heverlee No inv. SJ.2337

Fig. 66 (ci-contre)

Charme mbuumba

Yaka Mâchoires d’animaux, bois, matériaux divers H. 46 cm Collecté par L. De Beir (missionnaire jésuite) dans les années 1930 Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale Dépôt Jésuite-Heverlee No inv. SJ.4228


Steve-Régis « Kovo » N’Sondé

La civilisation teke : un ethos dont la statuaire révèle une histoire de contacts culturels anciens

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La plupart des œuvres, productions artistiques et culturelles émanant de la civilisation teke présentes dans les musées, proviennent de collections constituées entre la seconde moitié du xixe siècle et la première du xxe siècle. Les collecteurs, sauf exceptions, correspondent à ceux que l’historiographie africaine contemporaine nomme parfois « les 3M » : marchands, missionnaires et militaires, plus ou moins associés à la conquête et à l’administration coloniale française ou belge en Afrique centrale. Il s’agit ici d’invoquer un quatrième « M », celui de la mémoire, pour contextualiser ces œuvres considérées tels des legs et des témoignages de cette civilisation. La mémoire est parcellaire et fragmentée, comme ces œuvres exposées hors contexte. Ainsi, l’herméneutique philo­sophique est une méthode devant permettre d’interpréter ces témoignages, ces supports


Fig. 130

Masque

Pende occidentaux ou Mbuun Fibres végétales, bois, pigments H. 56 cm Collecté par un missionnaire jésuite avant 1927 Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale Dépôt Jésuite-Heverlee No inv. SJ.347

Ce masque, qui arbore la coiffe gipu gia mbudi, constitue une variante assez atypique d’un masque fumu ou pumbu des Pende centraux. Fumu comme pumbu évoquent des aspects complémentaires de l’autorité cheffale. Ils portent tous les deux la coiffe quadricorne caractéristique. JV

Fig. 131

Coiffe à triple crête

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Mbala ou Hungaan Fibres végétales tressées, pigment rouge H. 18 cm Collection privée

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Fig. 132 (ci-contre)

« Coiffe-perruque » mukhot

Pende Fibres végétales, cuir, pigments, clous de tapissier H. 24 cm Collectée par un missionnaire jésuite (années 1930 ?) Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale Dépôt Jésuite-Heverlee No inv. SJ.3037


Julien Volper

L’art éburnéen du Sud-Ouest congolais concernait par le passé différentes catégories d’objets telles que les trompes traversières, les sifflets, les manches de sceptres « chasse-mouche » et d’épées, les tabatières, les pendentifs… Dans le cadre de ce chapitre, nous allons nous concentrer sur les pendentifs figuratifs. Les plus fameux d’entre eux sont les ikhoko (sing. gikhoko) des Pende. Ces objets (Fig. 144 à 146) qui sont les reproductions miniatures de certains types de masques mbuya furent mentionnés pour la première fois en 1911 dans la littérature ethnographique par Melville William Hilton-Simpson. L’acquisition d’un gikhoko en ivoire se faisait à la fin du mukanda. La réception d’un gikhoko par un jeune initié évoquait également la réception du givule d’un ancêtre. Ce terme de givule désigne dans les croyances religieuses pende une part de l’âme/principe vital qui n’est autre que l’ombre du corps appelé mwila. Âme nomade, le givule pouvait effectuer des voyages oniriques pendant la nuit. Il pouvait également être capturé par certains sorciers. À plus ou moins

Fig. 141 (ci-contre)

Le sculpteur Kalenga réalisant un gikhoko. Il arbore également au cou un pendentif de ce type (entre 1935 et 1945) Photographe inconnu Archives privées Marc Leo Felix


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