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rab! n°2.0 perturabtion Lyon, le 1er mars 2018
Êtes-vous perturbé ? Pour le savoir retournez ce précieux journal, et dévorez ses pages les unes après les autres. Vous pourrez observer l’encre s’étaler, se contracter, se répandre, se métamorphoser jusqu’à afficher des dessins, des peintures, des photos, des poèmes... Une bonne dose d’aberrantes perturbations qui se propagent comme des ronds dans une flaque où l’on a jeté une pierre! Vous vous perdrez dans les étrangetés que nous proposent nos dérangés artistes. Tentez de comprendre ou simplement contemplez. Des conditions météorologiques aux combats sociaux, en passant par des corps dégénérés, on a tous une perturbation. On est tous perturbés. Non ? Au cours de votre lecture rien ne sert de le cacher car vous n’êtes pas les seuls! Ce pêle-mêle d’artistes vous rassurera ou vous fera cauchemarder jour et nuit, quitte ou double. Mais une chose est sûre, il ne vous laissera pas indifférent (d’ailleurs toute l’équipe a du mal à s’en remettre)
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Hors perturbations orageuses, le temps qu’il fera dans les pages à suivre sera déterminé par votre taux d’inspiration à 30°C près.
Le Beau des Arts charmerait-il s’il ne dérangeait pas? Aberramment vôtre
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ILS Se sONT perturbés pour CE NUMÉRO Anouk MOUSSET Léa GELINEAU Denis BOYRON Loris PISANU Eva GROSCLAUDE Arthur DAYNES
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sont étudiants à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon et membres du DDA.
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«Le dédé-quoi ?» Comprendre «Département Des Aberrations», jeune association étudiante créée en 2016, dont le but est de diffuser l’art étudiant actuel sous toutes ses formes, sous tous ses angles. Avec aujourd’hui plusieurs expositions, scénographies à son actif et des partenariats lancés avec quelques musées et agences d’architecture de la ville de Lyon, une poignée d’Aberrants se sont lancés dans ce projet de revue qui découle des actions menées en amont. Qui découle aussi du credo initial du DDA : l’art est partout, accessible à tous, parfois sérieux, toujours aberrant.
SOMMAIRE
sommaire
perturbation
Amaury HOTIER Arthur VINCENT Bonbon ● Rémi GALLO Sandra BESSAS Samantha ELISABETH Steven SIBIRIL Victoria VOCANSON
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Inévitable + Maxime MULLER Cavalier noir Remy Joe CREY + Yann DAMEZIN Bonbon ● Envolée cérébrale + Albin TALK «C’était un cauchemar»
MATIÈRES
Tyler Clinton SPANGLER Je suis fassbinder Eugénie FAURIE Je suis un pays Bonbon ● Mikael TAKACS BONENFAN Corentin PRIGENT Chloé ESCOT Charlotte LA GIRAFE
3 5 √36
40 conversation CHUFY Maxime VALCARCE Bonbon ● Maxime MULLER Jean FAUCHEUR
88 13x8
√4+2x10 âmes errantes (10)²+√16+10 Cimetière 28-2 Battle écrivains mort/vivant Guillaume DUMONT MALET 125 Bonbon ● 34 Beaux cadavres
INFLUENCES
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Edito Sommaire
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5x9-1 Horoscope Bibliographie Filmographie 25+13+8+10 Playlist (√136)² On a testé pour VOUS Hopelessness Gregory CTEWDSON 56+12 Jan FABRE 6x24 IL a testé pour VOUS Etre ensemble tout seul Si tu sais pas quoi faire crédits
122+6+18 149
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Amaury HOTIER Arthur VINCENT Rémi GALLO Sandra BESSAS Samantha ELISABETH Steven SIBIRIL Victoria VOCANSON
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bations En juin 2017 le Département des Aberrations présentait sa troisième exposition des œuvres d’étudiants de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon, avec pour thème PERTURBATIONS. Cette exposition fut encore une fois, l’occasion de montrer que ces élèves ont plus à proposer que du projet, plus à produire que des plans, coupes et façades. Le thème de cette exposition a inspiré ce troisième numéro de rab!, et comme il se doit de revenir aux sources, voici pour vous l’opportunité de découvrir ou de retrouver les Embodies à travers cette rétrospective.
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Bonbon (n.m) déf. : Petite confiserie à base de sucre cuit. Populaire : Testicule. Page griffonable, arrachable, gribouillable à la merci de cet exemplaire de rab!
et toi, qu’est-ce qui te perturbe le + ? Pizza à l’ananas Fromage à la confiture
Le mot « Croute » Le mot « Moite » Des nuits sans étoiles Un automne éternel
Le Corbusier sans lunettes Un éléphant jaune
Une vie sans chocolat Une vie sans fromage
Qu’il existe des extra-terrestres Qu’on soit les seuls êtres vivants de l’univers
Être un coton de tige Être un mouchoir
Harry Potter sans cicatrice Voldemort avec un nez Devoir revivre la même journée ternellement Ne vivre que 3 jours
Un monde sans soleil Un monde sans nuit
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Etre enfermé dans un bocal géant Etre perdue dans une fourmilière
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Une couturière nudiste Un médecin hypocondriaque Voir en noir et blanc Ne voir qu’une seule couleur
Perdre le majeur Perdre l’index
De la nourriture qui trempe dans l’évier Des cheveux dans les canalisations Pain en chocolat Chocolatine Un escargot sans coquille Un kinder sans surprise
Etre immortelle Pouvoir voler Manger des cactus Boire de la lave
Les Beatles sans passage piéton Les Stones sans langue
Chaussette-Claquette Sac-Banane
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Rémi GALLO perturbations
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sandra bessas rab!
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de temps à autre un électrochoc
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tu il elle
ÂŤ Âť
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victoria vocanson
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TB & adrien cartier maxime muller remy joe crey yann damezin VINCENT MANZINI albin talik nathan tejerina
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« hum-hum, alors comme ça vous n’êtes pas tout seul dans votre tête … Intéressant … et comment vivez-vous cette euh humm … ‘collocation’ ? ... » Vous ne répondez rien, vous regardez le plafond sans pour autant y voir votre amie l’araignée Gipsy, sans doute partie monter sur la gouttière… Vous l’avez d’ailleurs surnommé « Grizzly », car au fond, vraiment, elle a du poil aux pattes et vous trouvez ça plutôt drôle. Pff décidément, ce divan est inconfortable, et puis le simili, ça colle aux fesses. Le gros mec à côté là, « Doc », ben vous l’aimez pas trop, il regarde trop souvent la montre, et lui non plus vous aime pas trop, depuis que vous avez étranglé le coucou de son coucou suisse. Vous posez les pieds sur la moquette, enfilez vos crocs sur vos chaussettes et regardez par la fenêtre. Le gros Raymond vous fait coucou et se met à vous insulter, alors vous tournez la tête et vous faites de même sur le gros monsieur qui se fait appeler « Doc » pour faire jeune. Il articule un « hum-hum ... » puis vous vous levez, faites un chèque qui finira de creuser votre (tombe) découvert et puis vous sortez, suivi de votre famille de canetons, parce que ces bestioles là, on ne s’en débarrasse pas comme ça … Non mais vraiment, le Doc a vraiment prononcé « collocation » ? Allez, venez les canards, on se casse.
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inévitable ? Qui n’a jamais eu l’envie de frapper quelqu’un ? Personne.
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Vous savez, cet être dont vous ne supportez pas l’existence, celui que vous préféreriez oublier mais qui se manifeste immanquablement. Et le pire dans tout ça, ce n’est même pas cette folle envie meurtrière mais c’est bien la genèse du conflit : Un rien. Un tout petit rien. Un regard insistant Un rire abruti Une allure hautaine Une voix horripilante Un physique qui ne vous revient tout simplement pas. Un tout.
Cette personne, je l’ai croisée d’ailleurs. Devant le café, au travers des nombreuses vitrines qui bordent les commerces. Passage furtif, vision permanente Entre amis, ce sont ses interventions futiles sur des tons exaspérants. Dégoût personnel, tensions sociales Le trop plein. Le vase qui déborde. Le coup qui part
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BAM Seul face à mon reflet, brisé
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3 palmiers 3 crânes Si j’étais un mot, je serais calvaire. Si j’étais une émotion, je serais la colère. Si j’étais un bruit, je serais le vent. Si j’étais une qualité, je serais altruiste. Si j’étais un défaut, je serais narcissique. Si j’étais une langue, je serais la langue des signes. Si j’étais un objet, je serais un flacon de parfum. Si j’étais une odeur, je serais féminine. Si j’étais une fleur, je serais une jonquille. Si j’étais un personnage, je serais Le braqueur de banque. Cavalier Noir est une série photographique interrogeant l’influence familiale sur les relations amoureuses, ici homosexuelles. En effet, les parents de Maxime sont d’origine espagnole et allemande. Avec une mère ayant reçu une forte éducation catholique et un père baignant dans un milieu où l’homosexualité est mal perçue. La série se compose de différentes scènes prisent en France, en Espagne et en Allemagne, Maxime allant à la « poursuite » de ses prédécesseurs. Mêlant divers extraits de sources variées telles que le poème «Ma Bohème» de Rimbaud, ou encore de la pièce «Œdipe Roi» de Sophocle, qui constitue un rappel aux destins tragiques des personnages et au combat de Pasolini, mais aussi des passages de la Bible. A travers cela, Chipolata interroge l’incidence des secrets de familles, des traditions, mais aussi des croyances face à la sexualité.
Il se crée dans la série des complexes résonnants en trio ; le couple et le photographe / le photographe et les parents / le spectateur et les corps. Nous retrouvons d’ailleurs cette trinité dans la composition même : 3 palmiers, 3 crânes, … Par
ailleurs, il se dégage dans ces rapports un trouble donné par l’absence de visage des personnes, et les regards caméras, presque humanisés, des chevaux, des yeux sur le corps, et des orbites vides ou empaillées des trophées de chasse. Cette inversion questionne le voyeurisme, la honte d’éprouver du désir pour un être du même sexe, s’affirmer publiquement et la place du spectateur :
« C’est le regardeur qui fait l’œuvre » (Marcel Duchamp)
L’image, le beau corps s’offre à nous, et pourtant, l’utopie de la chair se transforme en doute, en peur ; le spectateur n’a pas de repères et est confronté avec son expérience à des pulsions. Le nom de la série tient en partie à l’utilisation du noir et blanc, impliquant un sentiment plus fort de nostalgie. Le terme «cavalier» renvoie premièrement à l’image d’un homme chevauchant sa monture ; il y a dans la fusion avec l’animal, cette complicité qu’on retrouve dans l’homosexualité. De plus, le fait de dominer l’animal renvoie aussi à un sentiment de puissance, de virilité qu’on peut retrouver dans la figure du centaure. Le cavalier peut aussi se traduire par un partenaire d’un soir pour une danse ; on retrouve cette fugacité, cette grâce dans des clichés de Robert Mapplethorpe avec un couple de danseurs.
A.D
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remy joe crey
Processus de création ? Transformer une image anodine en une autre méconnaissable _ 4 étapes majeures.
A- prise de vue
Toutes mes images créées sont réalisées à partir de photographies, de préférence, qui offrent plusieurs couleurs et textures différentes. Le cadrage n’est pas réellement important.
B- recadrage et mise en symétrie
Cette étape est très importante. Elle permet non seulement de déformer les sujets et donc de perdre leurs thèmes initiaux, mais aussi de créer une certaine beauté d’équilibre que propose la symétrie. Après plusieurs essais, une fois que le résultat me convient, je choisis de la positionner soit à la verticale soit à l’horizontale.
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C - couleur
Pour maximiser la confusion et la perte du sujet initial, la modification des couleurs est également très importante. Il ne s’agit pas ici de volontairement modifier une seule couleur mais vraiment toutes d’un coup. Par exemple, si le noir de la photo devient blanc, le blanc deviendra noir. Il y a un respect des nuances de couleurs entre elles. Pour cela, j’utilise un peu tous les moyens possibles : Inversion des RBV, inversion des couleurs avec leurs complémentaires, Saturation, Philtres, Négatif… Ce qui rend l’image parfois vive voire psychédélique. Si le sujet de la photographie manque de texture ou de relief, il m’arrive d’ajouter des lignes verticales et horizontales ou bien des motifs.
D- finitions
La dernière étape consiste à ajuster la luminosité, le contraste, la saturation et la netteté de l’image afin d’optimiser au maximum celle ci.
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Rémy est un artiste perturbant dans sa démarche-même : il prend des photos d’objets, ou de paysages qu’il considère comme étant anodins. Son but ensuite ? Les transformer en s’appuyant sur la symétrie et les couleurs. In fine, le spectateur ne doit plus être en capacité de reconnaître le sujet initial. «Du coup on essaie de deviner ce que ça pouvait bien être, on pense reconnaître des choses, on interprète, quoi.» Et en cela, il rapproche son travail des tâches utilisées en psychanalyse. Une pratique perturbante, vous étiez prévenus.
Pour Rémy, son travail, parfois psychédélique, représente l’univers onirique qui l’inspire. Cet artiste fait régulièrement face à une question récurrente posée par ceux qui s’intéressent à ses œuvres : «les gens en retour me demandent souvent si il y a eu un traumatisme ou si j’ai vécu des épisodes dépressifs». Il n’en est rien. Bien que présentant parfois un style assez sombre, Rémy Joe Crey est (je cite) «bien dans ses baskets et plutôt heureux». Une ambiguïté avec son travail qu’il aime entretenir. A.M
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« Je crois que je suis très perturbé de manière générale » Il est 14h28. Nous sommes samedi 6 Janvier, et enfin le soleil est de retour parmi nous. C’est dans l’atelier Vermillon, cours Tolstoï, que je rencontre Yann DAMEZIN après quelques échanges par mail. Il me montre les œuvres qu’il a sélectionnées pour le thème perturbation, m’en parle un petit peu mais reste flou, une pointe de timidité dans la voix. Ce qui est certain, c’est que Yann est loin d’être imbu de sa personne face à son travail. Je lui propose alors quelques questions et il se prête au jeu.
Ton parcours perso. Comment astu cheminé jusqu’à une carrière d’illustrateur ?
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«Enfant, mes parents m’avaient inscrit à des cours de dessin ». Puis il entre dans la préadolescence, le moment idéal pour dire stop à tout ça. Finalement au cours de son adolescence, il revient vers ce milieu et entreprend des cours de dessins tous les jeudis soirs avec un peintre russe. Puis son parcours devient assez vite tracé, après un passage par l’École de dessin Émile Cohl à Lyon, où il développe un intérêt particulier pour le support de la carte à gratter, il devient illustrateur.
Dans tout ça, qu’est-ce qui te perturbe le plus ?
Yann rit avant de me dire « Je crois que je suis très perturbé de manière générale ». Il se met alors à réfléchir un petit instant afin de trouver une perturbation qui lui correspondrait encore plus qu’une autre : la colère. La colère le perturbe particulièrement lorsque quelqu’un est en colère contre lui. Yann a finalement pris l’habitude d’éviter les conflits. On change de sujet pour ramener un peu de gaieté dans notre rencontre.
As-tu un lieu qui t’inspire particulièrement ? L’Iran. L’artiste est spontané et sûr de lui, cette fois pas de place à l’hésitation : c’est l’Iran. Depuis qu’il est gosse, ce pays l’attire, l’inspire, le perturbe aussi peut-être. Alors que je lui demande de m’évoquer un souvenir d’enfance. Il me parle de celui qui pour lui constitue son premier souvenir en tant qu’enfant, un rêve.
« Un cambrioleur emportait ma petite sœur sous mes yeux. Je voyais tout mais je ne pouvais pas crier. »
être² Il me dit souvent retrouver l’ambiance de ses créations au cœur de ses voyages nocturnes inconscients, bien qu’il ne s’agisse pas d’une source d’inspiration consciente. En l’entendant parler, j’ai plutôt l’impression que le réel, personnifié par son travail au
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On enchaîne alors sur l’univers du rêve.
jour le jour, pénètre ses rêves.
L’Iran bien sûr, et ses miniatures. Tout l’art traditionnel du monde entier. Il évoque également l’art pop mexicain. Yann me fait part d’un manque d’intérêt pour la représentation du réel de manière réaliste. Il semble avoir développé une facilité à transformer ce que ses yeux perçoivent, consciemment ou non, en image onirique spontanée. Waouh.
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Mais alors, ton inspiration elle vient d’où ?
Ces personnages à l’encre, ils ont une histoire ?
Il s’agit d’une série de personnages, qu’il considère pouvant porter sur un travail de l’anatomie. En fait, Yann, par peur de s’enfermer dans des codes de représentation, se promène avec un petit carnet de taille A5 sur lui. Le principe est simple : un thème, une série de 31 déclinaisons à partir de ce thème. Cette manière de créer des variations à partir d’un mot identique est pour lui une façon de créer comme un catalogue dans lequel son imaginaire pourrait venir piocher en cas de panne sèche. A noter : pour l’instant, ce ne fut jamais le cas. Ainsi Yann possède des séries de 31 dessins portant sur les astres, les tours, les arbres, le corps, les insectes… et en cours, une série sur les costumes. A.M
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Bonbon (n.m) déf. : Petite confiserie à base de sucre cuit. Populaire : Testicule. Page griffonable, arrachable, gribouillable à la merci de cet exemplaire de rab!
B - Je la jette violemment au visage du barman. J’ai confiance en moi et je sais déjà ce que je veux, merci de ne pas en douter.
C - Je lis deux fois la carte entière afin de m’assurer que je ne rate pas un choix potentiel, puis je pèse longuement le pour et le contre entre chaque boisson. D - Je vérifie la liste des ingrédients de chaque cocktail à la recherche d’aliment d’origine animale. Parfois les barmans utilisent du miel et vraiment je pourrais m’amuser en pensant à toutes les abeilles qui meurent dans le monde.
A - J’invite mon pote Didier à nous rejoindre. Il est super cool. Regarde il sait réciter l’alphabet en rotant, des barres de rire.
2/ Dans Desperate Housewives, tu es plus :
A - Eddie Britt, tu viens toujours mettre ton nez dans des affaires qui ne te concernent pas B - Gabrielle Solis, tu es une femme dynamique qui peut avoir l’air un peu arrogante
C - Susan Mayer, tu enchaînes les gaffes et cela en devient assez agaçant
D - Je regarde pas cette série. J’ai vu qu’un des personnages mangeait un gâteau clairement fait avec de la chantilly, c’est intolérable pour moi.
3/ Choisis l’animal qui te représente le mieux.
Quel pertur bateur es-tu ?
C - La tortue
D - Le panda A - La tique
B - Le rhinocéros
4/ À quelle fréquence changes-tu tes draps ? A - Jamais, j’aime bien la saleté.
D - Jamais, car je refuse de tuer les acariens qui vivent dans l’écosystème de mon lit
C - Quand tu t’en souviens. Parfois tu les enlèves et t’oublies d’en remettre.
B - Tous les jours et je fais en sorte que tout le monde m’entende bien le faire.
5/ Si tu devais rencontrer une personnalité morte pour la remercier de ses actions, tu choisirais : D - Lassie, chienne-actrice
C - Michel Drucker, présentateur de télévision
A - Julius Oppenheimer, inventeur de la bombe nucléaire B - Casanova, séducteur en série
6/ En soirée, tu es plutôt :
B - le centre de l’attention, mes pas de danse font des ravages D - l’intellectuel, mes conversations sur la production d’amandes passionnent tout le monde
C - en retard, parfois je ne suis même pas là parce que je ne retrouve plus mes clefs chez moi
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1/ Tu arrives dans un bar avec ton rendez-vous amoureux du soir. Le barman vous tend la carte. Quelle est ta première réaction ?
A - dans un coin, j’ai beau essayer de m’incruster de partout, personne ne veut me parler
7/ Quel est ton avis sur le gluten ? A - Je ne sais pas trop
D - Franchement, je ne me suis pas trop posé la question
B - Je ne suis pas tout à fait sûr de savoir ce que c’est C - Je ne parle pas allemand
8/ Si tu devais te casser un os au choix, lequel choisirais-tu ? D - La mâchoire
C - Le foie (un os ?)
B - La colonne vertébrale A - Le crâne
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ENVOLLÉE CÉRÉBRALE
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Cette vague dans ma tête Ce puits dans mon esprit De quelques rimes obsolètes Vers un au-delà engourdi
Mes méninges qui s’emballent Marée cérébrale Douce vie, à votre merci À votre mépris Ma peau n’est pas étanche La mer est un peu blanche Ma peau n’est plus opaque D’un souffle paranoïaque
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Immense impasse, espace immense Qui se dégage qui envahit Intense murmure, fêlure intense Qui s’invite, qui trahit Je me remplis, je me rends pleine Ou je dévie, ou je me vide Envoutée de ténèbres Je m’enferme, je m’en freine Ma peau n’est pas étanche Elle coule Elle fuit LG
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VINCENT MANZINI
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«J’aime quand l’art nous force à penser, à poser des questions, à réfléchir» Né en Pologne en 1980, Albin Talik vit aujourd’hui à Cracow. Voici une traduction de l’échange que nous avons eu avec lui.
« Pour moi, la discipline est le plus important. Je travaille tous les jours. Sans exception. Je pense que c’est la clé du succès. » « J’ai commencé avec des portraits de mes amis ou de ma famille. Je travaille actuellement sur une série appelée ’Rumination’. La rumination est similaire à l’inquiétude sauf qu’elle se concentre sur des sentiments ou des expériences négatives du passé. J’essaie de montrer un homme qui lutte contre ses faiblesses, sa solitude, l’alcool, un homme qui médite sur le sens de l’existence. Les héros de mes peintures portent souvent des masques. Ce sont des symboles des pensées qui traversent nos vies. Dans mon travail, j’essaie de pousser l’observateur à penser à ce qui est vraiment important dans la vie. » « Chaque image porte un message différent. Parfois, la chose la plus importante est l’atmosphère. » « La technique que j’utilise est appelé la peinture sur papier (‘Paper Painting’). C’est une technique basée sur le collage. J’essaie d’obtenir l’effet de la peinture à huile et de ses coups de pinceaux irréguliers. Mes œuvres sont faites de milliers de bouts de papiers.
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L’achèvement d’une telle image me prend entre une semaine et un mois selon le degré de complexité. » « Au début, c’était difficile et très chronophage. Avec le temps, je me suis amélioré. Pour moi, la discipline est le plus important. Je travaille tous les jours. Sans exception. Je pense que c’est la clé du succès. Pour beaucoup de gens, mes peintures ont l’air de peinture à l’huile au premier regard. C’est parce que j’utilise le papier comme une couleur seulement. En n’utilisant pas d’inscriptions, j’offre l’illusion d’une peinture à l’huile. Au début, je commence par un dessin, et ensuite j’attaque l’arrière plan. Beaucoup de mon attention est dédiée à cet arrière plan. Je coupe le papier en petits morceaux. La forme est aussi très importante. Sur chaque peinture je commence par l’arrière plan. J’essaie de créer une transition colorimétrique parfaite entre le sombre et le clair. Le bulbe est un héros fréquent de mes peintures, comme une marque de fabrique. Créer des «dégradés tonaux» réussis est probablement ma partie préférée dans ces ‘peintures’. » Et quand nous lui demandons de nous parler de perturbation, ça donne ça. «Je pense que la douleur nous donne la force d’avancer. Sans ça, je ne ferais probablement pas de l’art. Je suis de nature dépressive. Je vois le monde dans des couleurs sombres. Mes peintures paraissent tristes pour beaucoup, mais j’essaie de les rendre belles avec des couleurs fortes et vibrantes. J’ai des centaines d’idées en tête. Je mets toutes mes émotions dans mes peintures. Il est plus facile de créer dans le chagrin que dans la joie. Du moins pour moi. Je souffre de névrose anxieuse. Je suis facile nerveux, mon cœur commence à battre fort. C’est ce que j’appelle ‘l’effet domino’, quand l’anxiété me paraît insurmontable. Je pense que certaines de mes œuvres traduisent ce phénomène, mais d’une manière positive, je l’espère. »
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albin talik rab! « Mon autre grande série est appelée ‘Pyramides’. Les héros de ces peintures sont capturés dans les moments ordinaires de la vie. Nous avons un potier, un libraire, un vendeur, un voyageur, un peintre… Les éléments de base de ces peintures sont les têtes pyramidales. Blanches et noires. Chacun de nous a des émotions bonnes ou mauvaises. J’essaie de montrer que nous sommes tous un peu similaires. Nous sommes tous humains. Ce que l’on fait de nos vies dépend de nous, des chemins que l’on choisit. Quand j’étudiais la peinture, mon professeur m’interdisait d’utiliser de la peinture noire ou blanche. Cette série rebondit sur cette interdiction. Les gens me demandent souvent pourquoi les personnages dans mes peintures n’ont pas de tête, portent des masques, ou ont des visages pyramidaux. J’aime quand l’art nous force à penser, à poser des questions, à réfléchir. Bien sûr, ce n’est que mon point de vue. »
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Au figuré, chacune des apparitions de l’Autre était un réel cauchemar ; mais cette fois-ci c’en était un au sens propre. Tout cela n’était pas réel, et j’espère sincèrement que ça ne le deviendra jamais. Mais reprenons le rêve à son commencement. Tout débuta comme dans n’importe quel rêve, avec toutes les incohérences et les bizarreries habituelles. Je me trouvais dans un lieu inconnu que je ne pourrais décrire qu’approximativement. Je me souviens qu’il faisait jour. Cela devait être une après-midi. Il y avait des gradins, où je me trouvais assis avec des amis, dans les rangées arrière, les plus en hauteur. En bas, je voyais plusieurs personnes s’affairer, principalement des filles. Elles semblaient organiser quelque évènement. À ma droite, suspendue en hauteur, se trouvait une sorte de cage noire dont l’armature paraissait légère et fine comme du tissu. Enfin, au-dessus de nous, reliant l’arrière des gradins à une structure en acier qui se trouvait en contrebas, passaient de longues rigoles de métal en demi-cylindre qui laissaient s’échapper régulièrement une fine pluie sur les individus dans les gradins. Moi, je discutais avec mes amis. Nous nous amusions dans l’attente de quelque chose, probablement de l’événement qui semblait s’organiser. Après quelques temps, je décidais, avec l’un de mes amis : un grand type plutôt costaud, d’aller jeter un œil à cette cage suspendue. Il me semble que dans l’idée que l’on s’en faisait, c’était une sorte d’attraction. Nous avons donc logiquement commencé par aller à droite, du côté où se trouvait la cage. Mais je ne sais pourquoi, nous nous sommes ravisés et avons pris la direction opposée, faisant donc un détour. En nous dirigeant ainsi vers la descente qui se trouvait de l’autre côté, nous plaisantions au sujet de l’eau qui coulait sur les spectateurs. C’était amusant de les voir se faire tremper sans qu’aucun d’eux ne réagisse. Une fois arrivés en bas, nous avons traversé sous la structure en métal blanc face aux gradins, exposés à la vue de toutes les personnes qui s’y trouvaient. Mais moi, je ne les voyais plus. Le rêve commençait à changer : le
décor se déformait. Arrivé au bout de la structure, je vis un groupe de personnes. Je ne peux affirmer qu’il s’agissait de celles qui s’affairaient à préparer un évènement, mais je le supposais. Parmi elles, j’en ai distingué une en particulier. Je la connaissais. Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas vue, mais je la connaissais. J’avais vécu une histoire avec elle, une histoire qui s’était terminée trop tôt. Je l’aimais, mais elle m’avait oublié. Je l’ai observé longuement, plusieurs minutes peut-être. Elle était magnifique, comme toujours. Toute vêtue de blanc, et affichant sur son visage un merveilleux sourire. Ce même sourire qui m’avait rendu fou d’elle. Je l’ai observée ainsi jusqu’à ce qu’elle m’aperçoive, après quoi j’ai vite détourné le regard, continuant mon chemin.
Le rêve continuait de changer, les gradins avaient disparu et la lumière du jour se faisait plus faible. Je marchais avec mon ami dans l’herbe en direction d’une cabane en bois. Elle avait une forme organique et asymétrique. Je suis passé devant la porte sans même m’y arrêter et j’ai continué plus loin, sachant pourtant qu’il n’y avait rien dans cette direction. Mais c’est mon instinct qui me poussa à aller voir au-delà. Dans mon dos, j’entendis mon ami m’appeler et me dire de revenir ; de ne pas aller là-bas, comme s’il savait ce que j’y trouverais. Mais j’étais trop curieux pour écouter son conseil. Je continuais donc d’avancer tout droit, longeant la cabane. Après l’avoir dépassée je me suis tourné sur ma gauche. Au même moment, de l’autre côté de la cabane sortait avec frivolité cette femme que j’avais tant aimée. Mais elle n’était pas seule. Elle était avec un autre homme, qu’elle tenait par la main. L’apparence de cet homme est peutêtre ce dont je me souviens le mieux, mais je m’abstiendrais de le décrire. Retenons simplement qu’à mes yeux, il était hideux. À la vue de ce spectacle, tout autour de moi s’écroula. Le rêve avait encore changé. Cette fois, il n’y avait plus de décor. Il faisait nuit, et il n’y avait plus que moi, seul, debout dans l’herbe, complètement figé. Je croyais
Je me suis alors mis à trembler, d’abord doucement, puis de plus en plus fort. Autour de moi la foule se faisait plus nombreuse. Les gens paraissaient effrayés. Je suis tombé à genoux, j’ai mis mes deux mains au sol et j’ai commencé à tousser et à me racler le fond de la gorge. Mon ami, qui m’avait suivi depuis le début, osa s’approcher. Il avait déjà eu affaire à l’Autre. Il le connaissait. Le peu de moi-même qui restait dans mon corps eut le temps de lui crier quelques mots : - Protège les autres, empêche-moi de faire du mal, attache-moi, fais quelque-chose ! Je n’ai pas eu le temps d’en dire plus, l’Autre avait désormais pris le contrôle entier sur mon corps. Je me suis alors relevé. Mon regard, plein de haine cherchait dans la foule celui qui serait ma victime. Sans tarder, mon ami et quelques autres gaillards se sont jetés sur moi. Il ne m’a pas fallu plus que quelques secondes pour leur faire mordre la poussière. De mes yeux, je cherchais toujours ma proie jusqu’à ce
«J’ai dit ‘‘quelque chose’’ ? Non, je voulais dire quelqu’un : l’Autre.» Je suis arrivé face à lui. Elle était là elle aussi. Lui, il affichait sur son visage laid un air déconfit. Elle, elle avait compris ce qu’il se passait, et je pense qu’elle s’attendait à ce qu’un grave incident ait lieu. Je n’ai toutefois pas agi tout de suite, comme si je savourais ce petit moment de calme avant la tempête. Puis soudain, sans prévenir je l’ai frappé de toutes mes forces en plein visage. Elle a crié, mais je n’y ai pas fait attention. Il était au sol, alors je me suis jeté sur lui et j’ai continué à le frapper. Mais avant de pouvoir
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qu’enfin mon regard s’arrête au loin. - Ah ! C’est là que tu te caches, dis-je tout haut. J’ai alors commencé à avancer. En face de moi, des gens ébahis s’écartaient pour me laisser passer. Je les entendais m’appeler : “Arrête !” ou bien : “Qu’est-ce que tu fais ?” ou tout simplement : “Ça va ?” J’entendais leurs voix, mais je ne me contrôlais plus. Alors j’avançais, fixant cet homme horrible au loin, m’en rapprochant de plus en plus.
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pourtant m’être fait une raison. J’avais accepté le fait qu’elle m’ait oublié. Mais voir cet homme disgracieux, affreux, malsain et pervers, la serrer dans ses bras, passer ses mains sous ses vêtements et l’embrasser dans le cou ; cela déclencha en moi quelque chose. Quelque chose qui n’était pas apparu depuis longtemps. Quelque chose qui aurait dû rester à jamais enfoui au fond de moi. J’ai dit ‘‘quelque chose’’ ? Non, je voulais dire ‘‘quelqu’un’’ : L’Autre. - Salut gamin, ça faisait longtemps. Ces mots me firent l’effet d’un coup de poing en pleine figure. Pendant ce temps j’étais resté immobile, et autour de moi commençaient à venir quelques personnes : des amis et des gens que je ne connaissais pas. Certains essayaient de me parler, sans toutefois oser me toucher. Moi j’écoutais l’Autre me parler, et de temps à autres j’avais des visions de cet homme ignoble. Je le voyais toucher à ce que j’avais le plus aimé de toute ma vie. À ce moment-là, je me souviens avoir souhaité mourir, mais l’Autre m’a dit : - Non, c’est lui qui va mourir.
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finir mon ouvrage, plusieurs personnes qui m’avaient suivi sont apparues, dont mon robuste ami. Immédiatement, ils se sont jetés sur moi. Cette fois, pris par surprise et excédé par le nombre, je ne réussis pas à me dégager de leur étreinte. C’est alors que le noir se fit. Dans cette obscurité totale, je ne voyais plus rien, j’entendais uniquement les sanglots de celle que j’aimais.
Lorsque j’ai ouvert les yeux, j’étais attaché à un arbre, les deux bras liés dans mon dos. Mon premier réflexe fut d’essayer de me débattre. J’ai tiré de toutes mes forces sur mes liens en hurlant à la mort. Mais je ne suis parvenu qu’à me scier les poignets. L’Autre semblait contrarié : - Putain, ils ont bien serré ces connards. Cependant, mes hurlements ont dû se faire entendre car au bout de quelques minutes je vis arriver au loin une femme en robe blanche. C’était elle. Que venait-elle faire ici ? Avait-elle l’intention de me pardonner ? Ou alors allais-je devoir affronter sa déception ? Plus elle s’approchait et plus je sentais un sentiment d’espoir grandir. L’Autre l’a senti aussi. Il a alors puisé, dans son réservoir infini de fourberies, une idée pour nous sortir de là. Je le savais car ce qu’il pensait, je le pensais aussi. Son idée était de l’apitoyer et de lui faire croire que je ne représentais plus aucun danger. En se cachant, et en me laissant parler, tout en veillant à ce que je dirais, il allait prétendre que cette crise était finie. Il laissa donc ce sentiment d’espoir m’envahir, au risque de me laisser une chance de reprendre le contrôle. Il avait besoin d’être convaincant alors il me laissa parler un peu, s’assurant que je ne dise rien qui puisse contrarier son plan. J’ai donc eu une conversation avec elle. Je n’ai pas pu dire tout ce que je voulais, car l’Autre veillait au grain. Et surtout, je n’ai pas pu l’alerter sur ses intentions. Je n’ai fait que l’apitoyer, lui jurer que je regrettais, que c’était l’Autre qui avait fait ça, que ce n’était pas moi. Je lui ai juré qu’il était parti, qu’elle ne risquait rien et je l’ai imploré de me détacher. De son côté, elle s’est montrée compréhensive et d’une extrême gentillesse. C’est aussi pour ça que je l’avais tant aimée. Elle m’avait toujours
témoigné une grande compassion. Mais au fond de moi, quelque chose avait compris qu’elle éprouvait non seulement une grande déception mais surtout une immense peur. Je la terrifiais, et pour cette raison, j’étais en train de la perdre définitivement. Le plan de manipulation de l’Autre avait toutefois été efficace. Il avait réussi, à travers moi, à lui inspirer de la pitié. Elle accepta donc de me détacher. Mais les liens étant trop bien serrés elle n’y parvint pas. L’Autre, comme s’il avait anticipé le problème, me força à lui dire : - Dans ma voiture, portière conducteur, il y a un couteau, il fera l’affaire. Les clefs sont dans ma poche gauche. Elle prit les clefs dans ma poche, et se dépêcha d’aller chercher le couteau. Pendant sa courte absence, l’Autre me dit :
On lui ferait gober n’importe quoi à ta gonzesse, gamin ! Heureusement, dans un sens, parce que ça va bien nous aider sur ce coup-là. «
»
Je n’appréciais guère la manière dont il parlait d’elle, et il le savait. Il devait probablement le faire exprès pour me contrarier. Elle est finalement revenue assez vite avec le couteau et s’empressa de sectionner mes liens. Immédiatement après qu’elle m’ait détaché, l’Autre reprit un contrôle entier sur moi, et, riant aux éclats, il la remercia de lui avoir donné l’occasion d’aller achever son ouvrage. Sans plus tarder, je me mis en chasse tel un
«Lorsque je me suis enfin arrêté, je l’ai regardé, il était complètement défiguré. Son visage n’était plus
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Cette fois, je ne perdis pas de temps à savourer quelque instant de calme. Je lui sautais à la gorge dès que je le vis. En quelques secondes, il s’est retrouvé au sol. Moi, j’étais au-dessus de lui. Ma main gauche serrait sa trachée, la droite était levée au-dessus de sa tête, poing fermé. Je l’abattis alors de toutes mes forces sur son visage, lui brisant le crâne sur le coup. Mais comme si cela ne suffisait pas, j’ai frappé, frappé, encore et encore. J’avais l’impression que chaque coup me faisait du bien. En le frappant, je revoyais ses lèvres tordues se poser sur celles que j’embrassais quelques mois plus tôt. Un autre coup et je voyais ses sales mains caresser ce si beau visage que je désirais tant. Et chaque coup était comme une vendetta qui me soulageait au plus haut point. Je le haïssais tellement. À ce momentlà, l’Autre a dit : - De toutes façons, ça pourra que le rendre plus beau. Et j’ai alors continué. Cela a duré longtemps, mais c’était une bénédiction.
qu’un tas de chair informe.» J’avais enfin achevé ma morbide vengeance.
Je me suis alors levé en sueur. J’avais l’impression d’être un zombie, ou un pantin. J’étais juste un corps vide qui ne pouvait se mouvoir que par l’action d’une force surnaturelle. Mon esprit était totalement éteint. Je ne ressentais plus rien, ni douleur, ni émotion. Mes yeux fixaient ce charnier devant moi sans que j’en éprouve le moindre dégoût. Comme si une telle abomination était une chose tout à fait habituelle. Mon corps s’est ensuite traîné sans raison vers cet arbre auquel j’avais été ligoté. Assise à son pied se trouvait ma bien-aimée, dans sa robe blanche. Elle était en sanglots, tenant toujours dans ses mains cette lame qui m’avait libéré.
Lorsque je me suis approché d’elle, ma conscience a commencé à revenir. L’Autre semblait m’avoir finalement quitté. Il avait achevé son funeste ouvrage, alors il était parti. Je commençais à réaliser l’ampleur du désastre. J’avais tué un homme, et ce de l’une des manières les plus sordides qui soient. Et j’avais déçu et affligé celle que j’aimais plus que toute autre. Elle me vit revenir mais ne dit rien, elle continuait simplement de sangloter, serrant fermement le couteau dans sa main. Sans rien dire, j’en saisis la lame, tentant de lui prendre des mains. Elle ne me le céda pas, alors j’ai forcé, m’entaillant la paume. Je ne sentis aucune douleur, mais je saignais abondamment, tachant de rouge sa robe blanche. Quand elle a vu le sang s’écouler, elle a lâché prise. J’ai alors saisi la poignée. Il fallait que je fasse disparaître l’Autre à tout prix. Et pour cela, je n’avais plus qu’une solution. Je savais ce qu’il me restait à faire. Elle a levé ses yeux
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prédateur traquant une proie. Je n’ai pas mis longtemps à retrouver cet être immonde, il empestait à plusieurs mètres alentour.
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humides vers moi, j’ai fixé son visage d’ange une dernière fois. Elle était tellement belle. Qu’une telle beauté puisse exister dans ce cauchemar me paraissait impossible. Ce moment aurait pu durer des heures. Je ne m’en serais jamais lassé. Mais je devais agir, et chasser mon double maléfique à tout jamais. Alors j’ai levé le poignard, j’ai fixé sa lame, puis j’ai regardé une dernière fois ce beau visage me fixant de son regard implorant et empreint de tristesse. Je n’ai prononcé que quelques mots : - Pardonne-moi. Puis j’ai marqué une pause avant de souffler
Si je n’étais plus dans mon corps, alors qui donc le contrôlait ? « Je t’aime.»
Ce furent mes derniers mots. Car, en les prononçant, j’ai plongé ma lame dans mon œil gauche jusqu’à la poignée. En même temps, j’ai entendu un cri perçant et j’ai senti une atroce douleur. Puis plus rien. Un noir absolu.
Mais le cauchemar n’était pas terminé. J’étais mort. J’avais chassé l’Autre. Mais une nouvelle scène m’apparut. Cette fois-ci, j’en étais le spectateur. Je voyais mon corps mort étendu dans l’herbe humide, à côté de mon amour en pleurs. Elle posa ses mains sur mon visage meurtri, ôta le poignard de mon œil, et déposa sur mes lèvres froides un baiser, mêlant les larmes au sang. Mon corps s’est alors mis à bouger. Quelle pouvait être cette diablerie ? J’étais censé être mort. Et je l’étais d’ailleurs. Je n’étais même plus dans mon corps. Alors comment avait-il pu se mouvoir ? Je vis effectivement ce corps qui était le mien se lever. À grand peine, il parvint à se hisser sur ses pieds. Je ne
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comprenais pas. Comment pouvait-il faire cela ?
C’est avec horreur que j’ai réalisé ce qu’il se passait. Mon visage s’est levé, regardant le vide comme s’il me voyait hors de la scène. Il me fixait de son œil unique. L’autre œil était un trou sanglant. Ce visage était effroyable. Il affichait une haine qui n’attendait que de se déchaîner. Puis ses lèvres ont bougé, et il a craché du sang. Enfin, il a parlé. J’ai immédiatement reconnu cette voix : - Merci gamin, je vais enfin pouvoir m’amuser. Puis de nouveau, le noir. - C’était un cauchemar Je n’ai cessé de me répéter ces mots en émergeant de mon sommeil. Cela ne doit jamais arriver. Mais comment l’éviter ? L’Autre est toujours là, caché au fond de moi, pouvant faire surface à tout moment. Alors comment le dominer ? Je n’en savais rien mais je devais éviter à tout prix que cette vision d’horreur ne se réalise. - C’était un cauchemar, continuais-je à me répéter. C’était un cauchemar.
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Tyler clinton spangler «je suis fassbinder» Eugénie Faurie «je suis un pays» MICKAEL TAKACS BONENFAN CORENTIN PRIGENT chloé charlotte la girafe
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« ‘c’est spécial !’ quand on dit ‘c’est spécial’ c’est qu’on a pas l’intelligence de comprendre la différence ou de l’apprécier, ou d’avoir le courage de dire qu’on haït ça. Ma mère me dit souvent que je suis ‘spécial’ ... »* … Ben voui mais que voulez-vous c’est pas toujours facile ! Quand on a vécu toute sa vie avec un vieux poster de Bambi punaisé au dessus du lit, que voulez vous ! Z’ètes spécial vous ? Nan hein, un peu normal, beh ouais faut bien … Tenez, j’vous mets un p’tit blanc sec ! … Comment ça il est que 10h, ça regarde qui ? Alors bon, là vous vous dites qu’en fait, non, il n’est même pas encore 10h… Mais bon, vous (gobez) sirotez votre blanc sec, et le patron est sympa, parce qu’il a même mis un peu de sirop de pêche au fond, pour que le blanc vous râpe pas trop la gorge … Puis vous faites signe de la main à Roger et rentrez chez vous peindre, dessiner, sculpter ou faire des trucs que font les gens qui ont une grande et belle sensibilité. Mais vous, bizarrement, tout ce que vous arrivez à faire, c’est des Bambis égorgés. *Extrait du film « j’ai tué ma mère », Xavier Dolan, 2009
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« La question la plus importante reste de savoir comment détruire cette société ?»
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A la fin de la pièce les cinq acteurs sont assis sur un vieux canapé en skaï, nous faisant face sans rien dire, ou plutôt, nous laissant face à tout ce qui vient d’être dit. Cette scène nous renvoie alors aux propres paroles du cinéaste Rainer Werner Fassbinder “Ce qu’on est incapable de changer, il faut au moins le décrire.” Le théâtre, loin d’avoir comme objectif d’apporter des réponses, apparaît comme un incubateur de questions : des propos argumentés, contradictoires, repoussants et perturbants, dans lesquels nous nous retrouvons (ou pas). Falk RICHTER écrit et cosigne la mise en scène de cette pièce avec Stanislas NORDEY.
De quoi ça cause, au juste ? Au départ, il
était question du cinéaste Rainer Werner Fassbinder (1945-1982), auquel le dramaturge allemand Falk Richter et le metteur en scène français Stanislas Nordey voulaient consacrer un spectacle. La pièce traite de ce qu’il se passe aujourd’hui en Europe, avec en fond une comparaison aux années 1970 en Allemagne. Il est alors question de la montée des nationalistes, des poussées de l’extrême droite, des attentats de Paris, de la manifestation contre le mariage pour tous, des viols de Cologne, de la crise des réfugiés… Dans tout les cas, les faits ne sont pas enrobés, le spectateur n’est pas là pour être protégé et tout y est abordé de manière frontale. D’ailleurs, le titre lui-même est manifeste : Je suis Fassbinder. La pièce se consacre au cinéaste Rainer WERNER FASSBINDER, mort en 1982 à 37ans, laissant derrière lui autant de films que d’années passées sur Terre, des œuvres qui dérangent tout autant qu’elles fascinent.
Comment ça en parle ? Le plateau, divisé en plusieurs espaces scéniques, présente de nombreux éléments faisant référence aux années 70 : canapé en skaï, tapis blanc à longs poils, un bon vieux petit écran sans télécommande et muni d’une antenne, les tapisseries à motifs énormes et souvent psychédéliques, les pochettes de trente trois tours jonchant l’avant-scène. Les costumes des comédiens aussi. Tout est là pour rappeler l’œuvre de Fassbinder. Les scènes jouées sur le plateau sont parfois filmées et retransmises en direct telle une mise en abîme théâtrale, ou scénique. Et lorsque ce n’est pas le cas, des extraits de films de Fassbinder sont projetés sur ces écrans faisant office de fond de scène.
Quelques moments forts : les discussions
récurrentes entre Fassbinder et sa mère où celle-ci avoue son souhait de voir arriver au pouvoir ce qu’elle appelle « un bon dictateur ». Mais également les rapports sado-maso qu’entretient Fassbinder avec
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son amant, et ceux non moins ambigus avec le reste de sa troupe, en témoigne une des dernières scènes, pour le moins perturbante : un acteur se trimballe nu, se plaisant à faire le zizicoptère, alors que ses collègues s’embrassent mutuellement. J’avoue ne pas encore avoir saisi la portée de ce moment, si ce n’est le côté revendicateur qu’il peut incarner. Encore une fois cette pièce interroge : jusqu’où l’artiste peut-il aller ?
Ce qui est [vraiment] perturbant ? L’espèce
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de schizophrénie due à l’improvisation présente sur scène (bien que contrôlée). Les acteurs s’appelant tantôt par leur nom d’individu, tantôt par le nom du personnage qu’ils incarnent. Quoi qu’il en soit, ils finissent toujours par se faire reprendre : sur scène ils sont Fassbinder. Le spectateur s’en trouve alors perdu, comme une dualité entre conscient et subconscient. Comme si le personnage incarné pouvait tenir des propos que l’artiste en tant qu’individu ne peut imaginer, ne serait-ce que penser.
Jusqu’où ? « La question la plus importante
est de savoir comment détruire cette société ? » L’Allemagne en automne (1977). Cette réplique tirée du film de Fassbinder questionne : une telle phrase est-elle prononçable aujourd’hui, un vendredi soir de Décembre 2017 ? Ou le théâtre doit-il se contenter de montrer Les Trois Sœurs de Tchekhov, « comme si de rien n’était » ? Critique, ou plutôt analyse de notre société, cette pièce interroge en réalité ce que nous avons encore le droit de dire, de faire au théâtre, et plus largement ce que nous avons encore le droit de transmettre sous la couverture de l’art. En utilisant l’expression « je suis Fassbinder », les metteurs en scène interrogent la notion de censure : dès lors que l’artiste peut être tué pour ses opinions, doit-on dire tout haut ce que l’on pense ? Pour Stanislas NORDEY la réponse semble claire :
« L’artiste n’a plus
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le droit de dire ce qu’il pense. Fassbinder était totalement libre. » (interview dans Madame le figaro).
Et pourtant ! Sur scène, c’est lui qui a le dernier mot : l’art doit parvenir à changer les choses, l’art doit être engagé. A l’image de l’Europe et du monde, qui pour lui, sont à réinventer. Alors qu’ils étaient aux prémices de la pièce quand a eu lieu la fusillade de Charlie Hebdo, en janvier 2015, ils se sont posés cette question : un artiste peut-il tout dire ? Au final : oui, répond Je suis Fassbinder. Un oui renforcé par une écriture mûre : en tenant compte de ses cinq interprètes et de l’actualité, Falk RICHTER livre un texte sensible, par lequel spectateurs et acteurs se retrouvent liés : une communion autour d’une émotion pure, qui nous permet d’affirmer que non, ce n’est pas un théâtre d’idées. Du coup ? Cette pièce de théâtre trouve naturellement sa place au cœur de la perturbation venant mettre à nu ce que nous avons dans la tête, ce que nous n’osons pas nous avouer, ce à quoi nous n’osons penser, ce sur quoi nous avons peur de nous interroger. Il faut aussi dire qu’aller voir Je suis Fassbinder, ce n’est pas trouver des réponses : à défaut, les questions ne seront que plus nombreuses, vivent et perturbantes.
A.M.
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Si j’étais un mot, je serais kitsch. Si j’étais un verbe, je serais rêver. Si j’étais une musique, je serais «Vanité» de VII. Si j’étais une invention, je serais la baguette de Voldemort. Si j’étais une perturbation, je serais une gastro-entérite. Si j’étais une citation, je serais «on dira rien à ton papa» le curé. Si j’étais un poème, je serais «Tout a été dit cent fois» de Boris Vian. Si j’étais une heure de la journée, je serais 16h30 l’heure du goûter. Si j’étais le temps qu’il fait dehors, je serais la première neige de l’année.
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je suis un pays
«Ta gueule, ta gueule, ta gueule ! crie la Petite Fille [...] Le spectacle est fini allons faire la Fête»
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Tu sais, mais si, tu sais, ces micro-bouts de vie, ces hasards momentanés et moments hasardeux qui bousculent, t’arrachent parfois et rapidement à un quotidien un peu gluant et te poussent à hurler, renverser les tables, foncer dans le tas, chambouler tout, n’accepter rien, refaire, reconstruire, recommencer, distordre le monde, tout ? Un vendredi soir au théâtre des Amandiers. Paris, Latitude 48°53’34.357» Nord, Longitude 2°12’48.261» Est. Terre. Froid dehors. Bouillant dedans.
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Théâtre Je suis un pays, Vincent MACAIGNE
a - Le siège. Sans importance. 4e rang, milieu, mais le Chemin Jusqu’au Siège : en courant presque, poursuivi par un comédien qui jure au mégaphone que nous sommes les derniers survivants d’une catastrophe nucléaire b - Shine bright like a d- Rihanna dans les enceintes. Et PSY. c - J’ai beuglé sur Rihanna et dansé sur Gangnam Style dans une salle de théâtre d - Entraîné par une présentatrice de télé-réalité québécoise.
e - A la fin la scène, débordante de mousse, de sang, de vapeur d’eau, de sueur, de bière f - Au début la scène : bustes de cerf, cabinet présidentiel, couleurs patriotiques, fin du monde. g - Mes oreilles sont aveugles et mes yeux sourds, bien avant l’entracte. h - Tarés. Il sont complètement tarés. Tous. i - Applaudissez ! Riez ! j - Régulièrement nos têtes émergent, hébétées, d’un nuage de vapeur opaque k - Les cœurs battent, rient, s’arrêtent totalement, n’hésitent pas assez. l - Des mots et des phrases et des cris sur nous, le futur, l’espoir, la rage L’Entracte. Une petite bière... m - Je remonte une dernière fois sur la scène et redescends n - Vide. Le Siège du Voisin qui a préféré fuir. o - Trump, Superman, et toutes les bonnes personnes en carton au garde à vous. p - Applaudissez ! Arrachons-lui les yeux. Applaudissez ! q - Tout est spectacle, ici et aujourd’hui r - Les comédiens un prétexte, les spectateurs jouent et sont les cibles s - J’ai plongé tête la première dans les délices du Divertissement, les délires de la foule, le désir du metteur en scène. t - J’ai obéi aux ordres des comédiens, horriblement amusé. Et alors, à rebours, l’amusement, Superman, le Voisin, son siège, les cœurs, la vapeur, le cerf, les couleurs, le sang, le québécois, Rihanna, tout remonte, tout s’efface ou plutôt tout devient clair et tellement sombre. u - Nous avons compris si tard que nous n’avions rien compris v - Et ça n’est pas grave, non ça n’était pas grave
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C’était quand même un peu grave, et beau. Tu dois comprendre, tu connais l’effet d’un film dont la fin surprenante, le twist, te retourne un petit peu le cerveau; alors imagine, avec tout ce qui est palpable dans le théâtre, les sons, les tonalités, les vibrations, les odeurs, imagine l’état de nos entrailles. Si vite passer du rire à l’effroi, au dégoût, à l’admiration, à la conscience et la réalité des propos, comment alors ne pas ressortir d’un tel spectacle sans esprit de révolte, de désobéissance, sans désir d’ouvertures, de convictions, d’espérances ? Choisir : rester sur son siège ou monter sur scène. Tout foutre en l’air ou aller faire la fête, rester cynique ou bien perturber.
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ceci est un
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Bonbon (n.m) déf. : Petite confiserie à base de sucre cuit. Populaire : Testicule. Page griffonable, arrachable, gribouillable à la merci de cet exemplaire de rab!
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Dessine dans le TROU, et tourne la page !
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MICKAEL TAKACS rab!
Matériels - un modèle (vivant ou non) - une toile - peinture acrylique - une pipette - divers outils loufoques ou non (une fourchette, un peigne, un bâton, etc) - de la patience et de la passion Réalisation 1- Former le portrait en distribuant la peinture acrylique à l’aide d’une pipette
2- Déformer en faisant glisser la peinture avec divers outils, comme des bâtons ou des peignes
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Considérant la subjectivité d’un mot si abstrait et philosophique que l’Art, chaque vision en est contestable et sujette à discussions. Peut-être n’avons nous seulement pas assez de mots subtilement nuancés pour décrire ce genre de concepts. Nous nous retrouvons alors à regrouper sous une même bannière des significations bien différentes.
En temps qu’homo sapiens, chaque chose que nous façonnons découle d’une certaine créativité, d’un savoir-faire. Certaines sont considérées comme belles, d’autres font appel à notre réflexion et nos propres souvenirs. Nous pouvons alors nous demander ce qu’est pour nous l’Art dans tout cela. Je pense que l’Art est ce qui n’est ni fonctionnel, ni forcément beau, une chose libre qui se contente d’Être. Une chose qui n’a pas de maître, mais qui exerce autant de pouvoir sur celui qui l’a façonnée que sur ceux qui la découvrent pour la première fois. Et ce, car c’est un témoin qui porte en lui le regard de l’humanité. L’art est avant tout une perturbation, le désir de questionner le sens de notre présence en ce monde qui nous dépasse. Une œuvre qui a besoin de trois pages de textes pour transmettre du sens est selon moi plutôt faible. Elle peut être complexe, là n’est pas la question, tant qu’elle portera en elle son essence en ce qu’elle aura de sensible et d’humain.
Un artiste, c’est une âme qui durant toute sa vie ne pourra s’empêcher d’en venir à se torturer pour son œuvre, car il lui faudra pour cela interroger le sens de sa propre existence. Et ce sens l’artiste le trouve dans la quête de la beauté, qu’elle soit faite de ténèbres ou de lumière, harmonieuse ou horrible. Il y a une muse, une force invisible, cachée au fond des eaux troubles et sombres de ses pensées, qui l’appelle, et murmure à ses oreilles des airs insensés. Mais, pareille à un horizon qui s’échappe toujours plus loin à nos yeux, cette quête lui paraîtra à jamais inachevée. Elle sera vouée à l’échec car l’artiste demeure triste
devant la pâleur des objets réalisés face à l’éclat et la splendeur éphémère de ce qu’il avait imaginé derrière ses paupières, ses tympans, et sous la peau de ses mains. Paradoxalement il se trouvera aussi surpris des choses qu’il aura su façonner et capables de l’émouvoir, comme si ce n’était pas lui qui les avait fait apparaître.
Être un artiste c’est être toujours à deux pas de la folie, se rendre à moitié absent par sa méditation rêveuse.
L’artiste n’est pas quelqu’un qui réussit, mais quelqu’un qui n’en finira pas de chercher ce qu’il ne pourra jamais qu’effleurer. Ce n’est pas le talent qui le guide mais la passion et la hantise, comme une addiction à laquelle il ne peut échapper. Ce n’est ni quelqu’un qui rêve sa vie, ni quelqu’un qui vit ses rêves, mais un Être étrange qui vit dans ses rêves comme dans le monde qu’il s’est lui-même construit. C’est quelqu’un qui crée sans réfléchir, et vit sa création dans un rapport instantané et parfois très difficile. Il s’exprime comme un transmetteur sismique de ce monde intérieur, tentant de se frayer un chemin vers la perception d’autrui, une sauvegarde émotionnelle dans un élan déraisonné qui semble vouloir crier : Encore aujourd’hui, j’existe.
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Mardi 26 Décembre 2017. Je rentre dans une petite boutique clermontoise, derrière une façade de sa fameuse cathédrale en pierre de volvic. Parmi les objets vendus, de petites cartes postales illustrées par Charlotte la Girafe. Intrigant comme nom d’artiste. Au premier regard, ces illustrations réalisées dans des tons pastel sont apaisantes. Et puis le regard s’accommode et elles deviennent perturbantes. Je rentre, je lui envoie un mail.
Vendredi 29 Décembre 2017. Charlotte répond avec enthousiasme « je suis très emballée et touchée par votre proposition. C’est d’accord pour moi, je peux vous proposer quelques travaux inédits que je ferai sur le thème perturbation (très inspirant) ». Nous sommes ravis.
Et puis vient le temps de l’échange, au-
delà des formalités administratives et des questions basiques, Charlotte nous fait part de son amour pour les cartes postales atypiques et pour la poésie. D’ailleurs, petit secret (chut), notre Girafe écrivait des poèmes au dos de ses cartes postales à ses amoureux réels ou rêvés, qu’elle envoyait par la suite. Et puis peu à peu, elle en vient à illustrer elle-même ses cartes postales, une manière pour elle d’ajouter du sens à ses écrits. Le dessin laissant transparaître autant d’ambiguïté et de puissance que ses poèmes. «Je déteste les choses dites de manière trop réelle ou explicite, je préfère suggérer» Depuis ? Elle n’a jamais cessé.
«C’est comme une caresse.» Il est tout autant légitime de s’interroger sur le pourquoi du comment des couleurs pastel. Et là encore, le parallèle à la poésie semble évident : « Les couleurs pastel me plaisent parce qu’elles sont douces et légères, discrètes comme les mots en poésie justement. Elles ne s’imposent pas à l’œil. J’aime cet effet un peu nébuleux et planant du pastel. C’est comme une caresse.» Les dessins publiés dans ce numéro 2.0 de rab ! sont des créations originales, spécialement conçues pour vous. Et comme toutes ses productions, elles ont été faites de manière automatique, sans brouillon ni retravail. Charlotte dessine très très vite. Tellement vite qu’elle nous a fait parvenir un premier envoi, rempli de précieux papiers. Et puis finalement quelques jours plus tard, un mail nous indiquait que nous n’allions pas tarder à recevoir une seconde enveloppe « J’ai posté la dernière enveloppe ce matin (et que je préfère je crois aux premiers envoyés!) J’ai répondu au portrait chinois sur l’enveloppe numéro 1, j’espère que ce sera lisible! Je vous souhaite un bon dimanche. Au plaisir de vous lire. Charlotte.» A.M
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charlotte la girafe rab! Si j’étais un poème, je serais un haïku. Si j’étais un mot, je serais illusion. Si j’étais une heure de la journée, je serais le matin noir et froid. Si j’étais un verbe, je serais vibrer. Si j’étais une citation, je serais cachée un fortune cookie. Si j’étais une invention, je serais une batterie d’ordinateur increvable. Si j’étais une musique, je serais la reprise de «sweet dreams» par Marilyn Manson. Si j’étais le temps qu’il fait dehors, je serais un temps banal qui n’inspire aucun commentaire au café du commerce. Si j’étais une perturbation, je serais un coup de foudre.
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On se croirait sur France Inter : « Bonjour et bienvenue dans Boomerang ! » prononce Augustin Trapenard en abordant la mise à nu avec Vincent Dedienne. Bon, la mise à nu, finalement, c’est un peu le jeu, chacun y va, se laisse voir, se dévoile, tombe la cape et le string, le chapeau à plumes et les Louboutins. Car au final il est bien usé ce divan, un vieux cuir craquelé, des petits gâteaux et des grandes tasses de thé, il nous manque seulement un gros chat sur les genoux et on se croirait loin de tous. Alors parlons, bande de chtarbés, et voyons ce qui se cache derrière tant de majesté et d’étrangeté ! Je te raconte ma vie et pourquoi je parais dérangé. Figure-toi que je ne trouve pas le sommeil. J’ai plus de batterie, alors, non n’insiste pas, je ne vais pas ranger ma chambre. Dégage de là, je ne peux pas ouvrir le lavevaisselle, alors du coup bon, je me suis dit que si je devais saigner du nez autant que ça serve. Puis finalement il m’a dit « j’ai envie d’écouter du Johnny » et ensuite elle s’est mise à peindre et rien ne fut plus pareil. Merde, mon thé est froid.
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chufy
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« tu prends un objet, tu enlèves ce qui montre, ce qui renvoie. Et là tu peux suggérer autre chose. » Rendez vous dans un bar place Sathonay, Chufy arrive. Je lui propose de répondre à quelques questions. Pour commencer, parle-nous de ta perturbation ? Après plusieurs minutes d’hésitation il me dit : « les mecs qui mettent des chaussettes avec des tongs »
Si tu devais choisir un lieu qui t’inspire, ce serait quoi ?
«Je suis quelqu’un de plutôt solitaire, j’ai besoin d’être seul pour travailler. Mais l’endroit qui m’inspire c’est la rue, voir l’architecture. C’est là que je trouve l’inspiration, quand tu regardes un bâtiment tu te dis que personne ne le voit de la même manière et si tu te décales de quelques mètres tu en auras encore une perception différente. C’est fascinant de te dire que chacun perçoit les choses de manière différente c’est ce qui me pousse à traiter ce sujet. Quand tu te balades tu te rends compte que chaque objet est en réalité un volume. (tu vois la table, c’est 1 cube avec 4 petits cubes). Et comme ça tu peux créer tout un monde, un monde où chacun peut se perdre.»
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La base de son travail c’est de perturber le spectateur, chacun à sa propre perception des choses, des volumes, des espaces. Grâce à ses constructions géométriques, ses perspectives, il perturbe le regard des gens. C’est une sorte de détournement, chacun perçoit les volumes d’une manière différente. En détournant des objets, on force les spectateurs à voir d’une autre manière, et cela stimule l’imaginaire.
Tu peux nous en dire plus sur tes influences/inspirations ?
«J’ai toujours été influencé par l’architecture industrielle, la géométrie, ce qui m’a amené à m’intéresser au travail sur le futurisme, ou le constructivisme je dirais.» La dernière fois tu nous as dit que ton travail était un mélange entre abstraction et figuration. Tu penses que la frontière entre les deux est à abolir ? «J’ai d’abord commencé par faire de la figuration puis petit à petit j’ai réussi à lier les deux, pour basculer dans l’abstrait je pense. J’ai cette envie de laisser les gens imaginer, ressentir ce qu’ils voient alors qu’avec un travail plus figuratif, on l’impose.» E.G
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chufy rab! «Je peignais à Manille, à l’étage au-dessus quelqu’un soudait, des éclaboussures sont tombées sur ma toile, ce qui mit le feu a certains bouts de stock de mon tableau, la toile a donc été brûlée à certains endroits. Cela donne un côté flou à l’œuvre. Suite à cet accident j’ai eu l’idée de brûler une autre toile.»
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Une question, un dessin
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Si tu étais une ligne ? «Quand tu traces une ligne tu pars sur quelque chose de droit puis d’un coup elle se casse, on sort de la monotonie du quotidien. On laisse place à la spontanéité. Au final on retrouve un angle, pour certains ce peut-être quelque chose de strict, mais pour moi ce peut être plein de choses. Encore une fois tout dépend de la perception des gens.» La forme que tu préfères ? «Si je reprends ma première ligne il suffit de la mettre en 3D, et voilà on a différents plans et donc de la profondeur. Ensuite il suffit d’une ombre et tu as ton volume. Je cherche à mettre en valeur la mise en perspective de mon support.»
Le dessin que tu fais quand tu t’ennuies? «Alors le dessin de l’ennui c’est ça, une page de signature, une page de graff quoi.»
Parle nous d’un de tes premiers dessins? «C’était assez marrant, je prenais des feuilles A4 et je les remplissais de petits ronds, c’était long et minutieux mais ça me plaisait.»
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chufy rab! Ce tableau est tiré d’une expo nommée joyaux, on parle ici de la recherche d’une pierre précieuse. Sous cet amas de formes géométriques, une d’entre elles ressort, cette forme rouge vif qui saute aux yeux. On cherche au milieu de ces formes un sens de lecture, un ordre, et c’est ce moment que je cherche à mettre en valeur.
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MAXIME VALCARCE
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«Ce qui fait que tu deviens fou» « Y en a beaucoup qui disent, ouais ‘‘ouais c’est pas de la photo d’archi ce que tu fais’’. Mais ce qui est important pour moi, c’est plutôt l’expérience de l’espace par le corps, par notre corps». Et pour Maxime, la nuit possède la capacité particulière de révéler ces espaces. Et Maxime sait rester humble : conscient que ses photos sont subjectives et que chacun de nous y lira un espace différent, il a tendance à comparer ses photographies à un journal intime, évoquant pour lui des ambiances et des moments particuliers.
La série que l’artiste propose à rab! fut capturée à New-York au cours de l’été 2017, après deux mois passés au Togo. Marqué par la place du piéton dans la ville, ses photos témoignent de l’immensité dans laquelle il fut plongé pendant ce voyage : pour lui la trame régulière qui caractérise la ville de New York représente à l’échelle de l’homme un horizon impossible à atteindre. Cela en devient perturbant puisque l’individu qui se promène dans les rues aperçoit au loin un paysage qui l’attire mais qu’il ne pourra rejoindre, la distance à parcourir étant infinie. Le quartier de Wall Street a tout particulièrement touché Maxime : il s’agit d’un lieu où la verticalité symbolise un renouveau après une catastrophe saisissante.
Un autre lieu qui fut source de perturbation fut la gare de l’architecte Santiago Calatrava, présentant une relation intérieur / extérieur bouleversée par rapport au raisonnement qui prend place dans la ville : il s’agit d’un des seuls bâtiments de New York où l’intérieur est baigné de lumière naturelle, alors que tout ce qui se trouve autour n’est qu’artifice. «Dans cette gare tu rentres pour respirer. Illogique...» Perturbant aussi
de par la fluctuation de son occupation : alors que le jour ce lieu est saturé, la nuit seules quelques âmes errent en quête d’un imaginaire.
Mais pour comprendre les œuvres de Maxime Valcarce, il faut prendre le temps de découvrir qui se cache derrière cette coupe de cheveux à la Manny (référence à l’Âge de Glace, illustrant une âme d’enfant toujours très présente). Quand je demande à Maxime de me définir le phénomène de perturbation c’est presque naturellement qu’il me dit
«Tu vois le fait de rêver, c’est trop bizarre. Tu sais pas d’où ça vient. Les liens que tu tisses dans tes rêves c’est complètement ouf. Tu maîtrises rien, c’est marrant.»
De fil en aiguille on s’égare, et Maxime me dit que pour lui la perturbation est bleue, une couleur qui lui rappelle la nuit et par association, un monde qui vibre. D’ailleurs, cela nous mène au synonyme de perturbation que l’artiste a choisi : vibration. Et puis là, ça dérive vraiment. «Le son de la perturbation ? C’est un son ultra long, qui monte tout le temps, qui ne s’arrête jamais. Un son qui donne de l’adrénaline. Un déclic qui fait que tu deviens fou.» Pour résumer, la perturbation chez Maxime c’est ce qui le fait passer d’un état normal à son «+».
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Décris-toi en cinq photos.
Décembre 2017. Je programme une conversation rab! avec Maxime. Une seule consigne lui est laissée : venir avec cinq photos qui le représentent, qui le décrivent. Il n’a pas failli à sa mission, et la remplit même merveilleusement bien, fidèle à lui même. Ces cinq photos, il a eu d’abord du mal à les choisir, ne sachant comment se présenter à vous. Et puis le déclic : elles représenteront ses cinq personnalités. Il s’agit de photos qu’il a prises et dans lesquelles il se retrouve, décrivant sa personnalité comme hétérogène «j’ai plein d’humeurs différentes quoi».
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Cette première photo représente le calme et presque même la sérénité avec l’association du lac et des montagnes en arrière plan. C’est pour Maxime, la façon d’illustrer son besoin de prendre du recul sur les choses. Cette seconde photo, c’est une des premières que Maxime a prises représentant son travail artistique. C’était en 2015. Elle incarne le mouvement, l’impulsion. Autrement dit, ces sentiments qu’il a en lui depuis qu’il est gamin. Islande. Voyage. Cette image illustre pour Maxime la curiosité, qu’il définit comme étant une fenêtre ouverte sur le monde. Regarder toujours plus loin, au delà de l’horizon. Une image dans laquelle il aimerait revenir avec plaisir.
«Même délire des lumières en soi» Oui, mais pas que. Cette photo est aussi là pour exprimer la précision et le besoin de maîtrise dont l’artiste a besoin au quotidien. C’est en quelques sortes une manière d’illustrer une recherche de sens perpétuelle.
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Cette cinquième photo que Maxime a sélectionnée rejoint facilement l’idée du rêve. Parallèle fait avec «Le voyageur contemplant une mer de nuages» de FRIEDRICH, cette photo représente la partie contemplative du caractère de Maxime. Vagabonder. S’imprégner de tout, partout.
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« Entrons dans le noir pour mieux voir » J’affectionne cette citation de Michel Serres dans Yeux, puisqu’elle me rappelle la nuit. Source d’inspiration, la nuit réduit notre perception visuelle en contrepartie ce phénomène permet d’ouvrir notre sensibilité.
Je photographie majoritairement la nuit pour cette raison. Marcher seul la nuit permet de m’ouvrir à ce qui m’entoure, je ne cherche pas seulement à représenter ce qui est, mais à le questionner. Marcel Deschamps estimait la photographie comme un art visuel. Pourtant je pense que les images résultent d’une expérience spatiale vécue du photographe. Je crois au lieu. Je ne veux pas m’arrêter à une description du lieu comme un volume, des matérialités, des lumières, etc mais interpréter ce que cet espace a à offrir. L’espace est un caractère, il renferme ses phénomènes, ses perturbations, sa lumière. La pratique de ma photographie est issue de cette pensée.
Je crois à l’expérience vécue et au genius loci.
Son révélateur? Le mouvement. L’homme en mouvement dans l’espace, c’est par ce biais que j’interprète ce qui m’entoure. Comme quelques mots pris dans un journal, ces vibrations viennent se déposer sur mon
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capteur. Elles sont le résultat introspectif des phénomènes que je ressens dans chacun des lieux. Ma pratique relève beaucoup d’intuitions, ou de sensations. Effectivement je crois que pour saisir l’identité du lieu il ne suffit pas de le représenter mais de l’interpréter. Cette subtile nuance entre voir et percevoir. Par là je cherche à percevoir le lieu, non pas par sa contemplation distanciée mais en perçant son essence par mon regard. Au delà de représenter le visible, je veux rendre visible. Je m’accroche à la lumière, au double sens du mot. La lumière permet à un espace de se définir, surtout elle est le caractère qui donne à un espace la force de devenir lieu. J’aime cette idée qu’on ne peut pas la toucher, elle est immatérielle, on peut seulement la ressentir. Cette sensation que seule la photographie me permet de projeter. Chaque geste est en adéquation avec un ressenti. Le geste traduit ma perception de l’espace, rendue possible par le mouvement. Avoir une approche dynamique de la photographie d’espace -qui représente quelque chose de statique- me permet de me rappeler que le lieu n’est pas figé. Un lieu contient un ensemble de phénomènes, d’ambiances, à partir desquels je me crée mon propre imaginaire. Chacun expérimente l’environnement construit par rapport à son histoire, sa sensibilité aux choses, c’est pourquoi le lieu ne nous renvoie pas à un imaginaire homogène. Mon regard photographique témoigne d’une subjectivité assumée. Mes photographies frôlent beaucoup avec la notion de flou, puisque je ne peux pas affirmer avoir percé l’énigme de ces lieux.
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Bonbon (n.m) déf. : Petite confiserie à base de sucre cuit. Populaire : Testicule. Page griffonable, arrachable, gribouillable à la merci de cet exemplaire de rab!
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«la seule chose qui ne change pas est le changement!» Premier contact avec Jean Faucheur. Je lui demande de me parler de son travail de manière générale pour commencer.
Il me répond, « Travail? intentions? je ne sais par quoi commencer (ou finir).Comment s’y prendre? Changements certainement... Artistiquement? Je n’en suis pas sûr. Je ne suis plus trop identifié à «l’artiste», enfin je le suis pour des besoins ponctuels (intérêt de l’autre, nécessité de se situer sociologiquement, pour ne pas gêner ceux que cette posture rassure, etc.). Qu’en dites-vous? » La conversation s’engage…
Vous voulez donc dire que aujourd’hui la notion d’artiste est là pour rassurer ?
« Pas pour rassurer mais plutôt pour se situer, quand vous vous présentez vous dites que vous êtes ceci ou cela, cela me permet de vous situer (et de me situer) mais cela n’est pas une expérience de qui vous êtes, mais plutôt de ce que mon mental va en penser. Cela devient une idée, bien loin de ce qu’est la rencontre dans la réalité… »
Ce mot, le «changement», est-ce un des messages que vous voulez faire passer à travers votre travail ?
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« Le changement est une constante universelle (c’est d’ailleurs la seule chose qui ne change pas!...), toute expression, expérience, ne parle que de cela (dans l’évitement, l’adhésion, le déni)… » D’un point de vue technique travaillez vous avec du photocollage ou du montage ? Le doute plane quant à la technique de vos œuvres ce qui les rend d’autant plus
intéressantes. Quand nous voyons certains de vos travaux, la frontière entre réalité et abstrait reste incertaine? Que pouvez-vous nous en dire ?
« Cela me donne envie de vous laisser dans cet espace d’incertitude. C’est là qu’une «transmission» agit le plus profondément: dans un espace spacieux… » Doit-on voir le reflet d’une personne, du portrait que vous utilisez? « L’émotion, le désir, la sensualité d’un visage…. »
Je lance naïvement « J’ai du mal à être claire ».
Il me répond « voilà qui est intéressant quand nous pouvons conscientiser nos absences, les mettre en lumière, merci de cet aveu…. »
Si vous deviez me parler d’une chose qui vous perturbe se serait quoi ?
«perturbation, présuppose une fixité il me semble, la perturbation c’est la vie qui reprend ses droits: ‘la seule chose qui ne change pas c’est le changement!’ Ce qui me perturberait aujourd’hui ce serait d’être sourd à cet appel de la vie… » Ces mots marquent la fin d’une rencontre, perturbante sans aucun doute, mais qui laisse à réfléchir sur la notion de changement, cette constante qui nous suit.
E.G
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«Amélie, nue» 1998 24X18 cm découpage
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Sans titre 2014 130X90cm aérosol sur tirage numérique sur toile
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jean faucheur rab! "La yougoslave" 2003 13X18cm tressage:
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CHAMBRE 112 (Autoportrait au polaroid) Roman-photo, né d’une rage interne, entre réalité et fantasme. Cette autofiction met en scène des personnages que l’on pourrait qualifier «d’antihéros». Le Polaroid permet de cristalliser, à la manière d’un policier, les extravagances, ces «freaks». Le damier est là, en opposant infiniment le noir et le blanc (symbole d’opposition entre le Bien et le Mal), toujours mouvant, toujours imprévisible. Comme les personnages. La série remet en cause un certain déterminisme lié à cette figure binaire. L’artiste trouve son inspiration dans des faits d’actualité, mais aussi dans ses blessures personnelles, intimes. Il me confie d’ailleurs que ce protocole lui permet de se panser, se guérir de ses démons, en les emprisonnant dans le Polaroid.
A.D
Chapitre 3 La sirène édentée Sa dernière conversation découlait de la rencontre fortuite d’un dauphin. Le numéro 14 039 plus précisément. C’est bien connu, toutes les espèces et les êtres ont des référencements, sinon comment la personne qui s’occupe de ça pourrait les différencier ? Il s’avère que ce cétacé était féru de musique classique, et il lui conseilla un artiste en particulier. Attisée par sa curiosité naturelle, elle se rendit au supermarché afin d’acheter l’album en question. La beauté de la composition la submergea. Difficile à réaliser, pour quelqu’un qui vit déjà sous l’eau. Bercée par la mélodie de ce compositeur, elle se mit pour objectif de le retrouver. Pour vivre avec lui ; elle serait sa nouvelle muse, c’était évident. Les gens ne comprennent pas la qualité immatérielle de l’inspiration. « - As-tu déjà couché avec la référence 107 281 987 235 de l’espèce 32 ? - Non. – Alors aimons-nous. » Sélène était la plus belle femme d’ici. Elle faisait un 3 coquillages, ce qui équivaut à un beau 95 B. Elle avait les cheveux longs, et un sourire parfait, qui charmait même les mollusques les plus fermés sur leur manteau. Une fois ses affaires réunies, elle prit son élan et se jeta de son rocher pour retrouver son bien-aimé. Sa chute émit un bruit fracassant, et elle heurta la côte tête la première. Elle perdit une dent de la suite de cette mésaventure, et décida de ne plus se montrer. On l’entend parfois dans les eaux profondes, à fredonner des douces notes de violon.
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Chapitre 11 Le violoniste À qui envoie-t-on des bouteilles à la mer ? À ceux qui peuvent les recevoir.
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Un murmure collectif souleva la salle. Le musicien venait de saccager la fin de son récital.
J’étais assis au premier rang de la représentation, et je l’admirai avec fascination. On aurait dit que ses mains, son visage et son instrument réagissaient simultanément à la même commande. C’est peut être ce qu’on appelle communément la musique. Ce soir là, le soliste avait pleuré.
Lors d’une de ses flâneries, il avait trouvé une bouteille à la mer. Elle lui était adressée, et signée d’un majestueux « S ». Cette découverte l’avait profondément ému et son contenu le déstabilisait car il savait maintenant que quelqu’un l’écoutait. Que quelqu’un le comprenait. Que quelqu’un l’idolâtrait. Il espérait tous les soirs découvrir cette mystérieuse créature qui l’avait envouté avec ses écrits ; mais personne ne venait. Alors, sous l’emprise de la peur, de la rage et de la mélancolie, il sautait des notes. Comme si instinctivement ces sauts là venaient corréler un autre saut. À quoi pensent les violonistes ?
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Aux sirènes.
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«Cimetière» «mort-vivant» «interview» «dead list»
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Il fut un temps ou celui qui avait mis un WC en porcelaine signée sous cloche devait faire preuve de véhémence pour résister … Prouver qu’il existait … Bien sûr, personne ne restait indifférent, et tous y allaient de leurs commentaires. Certains d’entre eux ont changé le monde. Tandis que, peut-être, bon nombre d’entre eux étaient dans l’indifférence de leurs prochains. Mono-sourcil assumé, chanteur à la peau violacée, nous ne sommes aujourd’hui pas certains que tous se connaissaient. On a eu la chanteuse un peu camée qui a décidé de faire un sprint avec la mort, quand Dumbledore, Johnny et Jean Rochefort s’accrochaient encore. Ceci est une ode à leur temps forts, car nous y pensons encore, et quand le désert avance, c’est la vie qui s’enfuit. Ils picolent tous au paradis.
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cim+etière
Au cimetière des âmes errantes célèbres on y trouve . .
Prince (la pluie violette)
Frida Kahlo
(monosourcil)
Mark Rothko
(l’âme du monde en peinture)
Giorgio de Chicoro (sorte de Dalì)
Gino de Dominicis (gravures sur bois)
Salvator Dali
(sorte de Chicoro)
Marcel Duchamp (WC sous cloche)
Georges Mathieu rab!
(éclabousseur de peinture)
Jean Rochefort
(“Pour moi, me raser la moustache, revient à enlever mon slip !”)
France Gall (résiste ! )
Françoic Morellet (néon stylé façon James Turell)
Jean Michel Basquiat
(Un des tontons flingueurs)
Gisèle Casadsus (mamie)
Johnny
(lui même)
(parceque on a tous qq chose en nous de euh … )
(Kozmic Blues)
(James, James Bond)
(un art à part entière)
(Louis la Brocante)
(on l’aime)
(Peintre de pixels)
Janis Joplin Simone Veil Dumbledor
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Claud Rich
Roger Moore
Victor Lanoux
Ellsworth Kelly
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âmes errantes
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Adaptation des Cent Vingt Journées de Sodome du Marquis de Sade, Salò est le dernier film que Pier Paolo Pasolini ait réalisé, en 1976, année de son assassinat. Il s’installe comme une apogée dans sa carrière marquée par des œuvres engagées et polémiques.
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Le film s’installe dans l’Italie de Mussolini et parle du pouvoir, de l’abus de pouvoir. On y voit de la soumission, des corps dominés, de la perversité. De part les sujets abordés et les images montrées, nous pouvons facilement dire que ce film est l’un des plus perturbants de la carrière de Pasolini, si ce n’est de l’histoire du cinéma.
Pendant de nombreuses années après sa sortie, il est censuré dans de nombreux pays et il est, aujourd’hui, toujours interdit de diffusion à la télévision. Il faudra attendre près de 40 ans pour qu’il reçoive sa première récompense (Prix Venezia Classici du meilleur film restauré à la Mostra de Venise 2015). Le film se divise en quatre parties :
Antinferno Girone delle manie Girone della merda Girone del sangue
Chacun de ces tableaux décrit des horreurs toujours plus fortes et le film est vécu comme une descente aux enfers. Et après toutes ces horreurs, une valse. Une valse durant laquelle je me demande pourquoi j’ai regardé ce film. Il me laisse un sentiment de dégoût, d’impuissance, de révolte même. Contrairement à la majorité des films d’horreur, il ne vient pas satisfaire notre voyeurisme.
La violence n’y est pas
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choquante, elle est insoutenable, ce qui fait de Salò le meilleur film sur le sujet. Antinferno Le Vestibule de l’enfer Pasolini pose le déco 4 hommes puissants 8 soldats 22 jeunes torturés
Girone delle manie Le Cercle des passions
Tortures sexuelles Nudité forcée Viol. Sodomie. Masturbation Animaisation
Girone della merda Le Cercle de la merde Matricide Excitation sadique Baignade d’excrément Banquet scatophile.
Girone del sangue Le Cercle du sang
Mariage Trahison Peine de mort Marquage au fer. Scalpation. Pendaison
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Entretien post-mortem
Ziggy, France et Frida
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entretien post-mortem rab!
Confortablement assis sur un petit sofa au cœur d’une forêt du Jutland, Danemark, je patiente en sirotant un thé tiède, triturant nerveusement mes notes. Trois agents aux visages déformés par la caféine m’observent et scrutent mes intentions, crispés sur le chronomètre qu’ils tiennent tous dans leur main gauche. Le 1er mars dernier, l’agence franco-danoise VIDP [Very Important Dead People] lance son programme de Contact avec les plus célèbres d’entre nous décédé.e.s dans les 72 dernières années, afin de prolonger les interviews de nos artistes préférés pendant leur transition. Victime de son succès, la prestigieuse agence affiche des délais administratifs exorbitants, et nous avons du patienter près de sept mois avant de pouvoir décrocher le visa Touriste et le certificat d’Etat de Vie nécessaires pour cette entrevue exclusive. De l’autre côté de la pièce, trois sièges vides en tissu vegan, ce dernier étant plus fiable que le bois pour les Retours. Soudain, un bruit sourd, un craquement, et ils arrivent. Bam. Devant moi, en presque-chair et en os, se trouvent David Bowie, grimé en Ziggy Stardust, Frida Kahlo -légèrement trouble- et une étonnante France Gall de dix huit ans. Le ‘clic’ d’un chronomètre se fait entendre, suivi de deux autres simultanés. C’est parti.
RAB : France, David, Frida, bonjour et un grand merci pour cette entrevue. Je ne sais pas si vous vous connaissez entre vous trois, mais c’est l’occasion de mélanger un peu les genres ! Pour commencer, on a une question pour vous, France Gall, pourquoi donc cette apparence de jeune fille ?
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FRANCE GALL (DcD.) : Ridicule, n’est-ce pas ? (Rires) Vous trimez toute votre vie pour revenir au point de départ.. Notre apparence là-bas ® est celle qui ressemble le plus au souvenir de nos fans ici. Pour tous les français et françaises, je suis encore une tête blonde vainqueure de l’Eurovision 1965.
Ça lui fait une belle jambe, à la poupée de cire, poupée de son, au milieu de tous les autres vieux schnocks. DAVID BOWIE (DcD.) : Je compatis, je suis incapable de me débarrasser de cette perruque rouge et de ces épaulettes à paillettes, qui sont plus qu’inconfortables, surtout depuis que l’air climatisé est en panne.
RAB : David, vous retournez ici en Ziggy Stardust, c’est cela ? L’alter ego que vous créez en 1972 à la sortie de votre cinquième album. Pourquoi pensez-vous qu’on se souvient de vous comme d’une star de glam rock extraterrestre ?
D.B. : Symboliquement il n’a pas plus
d’importance que les autres. Après celui-ci, il y a eu Alladin Sane, dans la continuité de Ziggy Stardust, puis Le Maigre Duc Blanc (The Thin White Duke), aussi troublé mais plus calme et très mélancolique. J’ai toujours pris soin de mettre en scène mes états émotionnels et psychologiques, dans l’idée d’un personnage total. Mon image changeait tout le temps, elle n’était jamais fixe, ça a sûrement troublé beaucoup de personnes... .
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entretien post-mortem
RAB : Frida Kahlo, vous êtes ici la plus
ancienne - pardonnez l’expression - car vous êtes morte en 1954. Pourquoi êtesvous toujours en transition ?
FRIDA KAHLO : Oh, vous savez, le système
patriarcal est toujours présent, même làbas ®, et être une femme n’arrange rien, pour s’ajouter à tous les délais légaux et administratifs. Avec Joséphine Baker, Mère Thérésa et Dalida, j’ai fondé une association qui permet d’accélérer les transitions pour toutes les femmes décédées. Comme vous le voyez, je reste toujours une femme de combat.
RAB : Gardez-vous un souvenir troublant de votre vivant ?
rab!
F.K. : Ça serait certainement l’accident de
bus en 1925, qui m’a suivie toute ma vie, psychologiquement et physiquement bien sûr, qui m’a valu de rester couchée au lit pour des mois. À peindre, un miroir audessus de moi, avec mon reflet pour seule inspiration ! Une sorte de perturbation fertile...
Vous savez, après avoir joué un roi gobelin, un alien, incarné deux ou trois alter-egos, il est difficile de s’étonner soimême. Mais certainement, le moment où je me suis déshabillé sur D.B. :
122
scène pour me retrouver en slip de sumo a été perturbant pour moi et le public. Écrire une chanson pour une comédie musicale sur Bob l’Éponge avait son côté délirant aussi. J’en garde un souvenir... intéressant. F.G. : L’élection de Donald Trump... Et sans doute le moment où j’ai failli jouer Alice dans Alice aux pays des Merveilles en comédie musicale, dans les années 50 ! Sinon, avez-vous écouté la version japonaise de Poupée de cire, poupée de son ? RAB : France, Frida, vous avez toutes
les deux été incarnées au cinéma. Des retours ?
F.K. : La performance de Salma Hayek est
un vrai hommage, mais je pense que je préfère ma version animée (quelle belle invention !) dans Coco (2018). J’y ai l’air très excentrique et très sage...en metteuse en scène d’une pièce qui implique des doubles de moi dansant autour d’une papaye et buvant les larmes de lait d’un palmier. Dommage que les films soient diffusés en noir et blanc là-bas ®. L’idée que je
RAB : David Bowie, vous avez clairement
été un touche-à-tout musical, on vous a attribué des influences rock, glam rock, art rock, industrial, DnB, plastic soul. La mort vous a-t-elle inspiré un nouveau style ?
D.B. : Je n’ai jamais fait de rap ! C’est assez
difficile de prendre le micro ici, on manque d’espace et si vous saviez le nombre de stars mortes prématurément qui se précipitent sur la première occasion pour chanter. Je crois qu’ils espèrent un revival (Rires)...
RAB : Chacun et chacune d’entre vous est devenu(e) une légende dans l’esprit des vivants, pensez vous que vous avez représenté une force perturbatrice de votre époque ?
F.K. : Essayez d’être une femme artiste
bisexuelle au début du XXème siècle ! Je ne sais pas si j’ai perturbé les gens, mais j’ai toujours dit ce que je voulais et essayé de m’exprimer avec une voix forte. Mon art n’était pas bien reçu partout, ça a posé problème en France d’ailleurs, j’étais fière d’une phrase que j’avais dite à l’époque : « j’aimerais mieux m’asseoir par terre dans le marché de Toluca pour vendre des tortillas que d’avoir quoi que ce soit à voir avec ces connards artistiques de Paris « !
F.G. : J’ai peur de ne pas avoir assez perturbé, moi...
RAB : Artistiquement, qu’est-ce que vous n’avez pas fait, exploré, vivants ? Avezvous des regrets ?
F.K. : J’ai toujours rêvé de faire de la
chute libre et du ski dans les Alpes... Artistiquement ? Jouer dans des films, ou les réaliser, peut-être.
âmes errantes
F.G. : Comparé aux deux autres, c’est vrai que j’ai l’impression de ne pas avoir assez exploré, tenté, osé, d’être restée trop timide. D’avoir seulement frôlé l’univers du cinéma, par exemple. Je suis vraiment admirative de Bowie, de toutes ses facettes d’expressions, et Frida a pour moi été une femme d’une force extraordinaire.
entretien post-mortem
F.G. : C’est vrai que ça a un côté flatteur, même si c’est un peu étrange de voir son propre rôle au cinéma quand tu es encore vivante. Ca te fait te sentir vieille, et fière.
D.B. : Non !
RAB : Pour finir, entre nous, pouvez-vous nous en dire plus sur là-bas ® ? Estce qu’on est traité différemment si on meurt célèbre ?
F.K. : Malheureusement, notre contrat nous interdit d’en parler. Désolée !
D.B. : Allons, Frida je pense qu’ils peuvent avoir un petit aperçu non ? Eh bien déjà c’est très étroit, et il y a bien plus de couleurs qu’ici, étant donné que...
rab!
poursuive et fasse évoluer mon art après ma mort est grisante, bien qu’éloignée de la réalité !
Boum ! David Bowie disparaît brusquement de son siège, ne laissant flotter derrière lui qu’un long cheveu rouge flamboyant. On lui souhaite une bonne continuation...
F.G. : Je raconterai juste ceci : j’ai accès à un service (payant bien sûr) qui me permet de visualiser les vivants à chaque fois qu’ils interprètent une de mes chansons. Imagine les fous-rire quand je tombe sur la version Karaoké de Résiste ! interprétée par un groupe d’ados bourrés...
Paf, France Gall disparaît à son tour. Ne restent autour de moi que Frida et le son des chronomètres qui arrivent à leur fin. Juste le temps pour la mexicaine de 111 ans de me lancer un clin d’œil et une insulte affectueuse en espagnol. Elle éclate de rire, et s’efface à son tour. G.D-M
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rab!
ceci est un
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Bonbon (n.m) déf. : Petite confiserie à base de sucre cuit. Populaire : Testicule. Page griffonable, arrachable, gribouillable à la merci de cet exemplaire de rab!
rab!
Relie les points et dĂŠcouvre ce dessin perturbant.
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126 rab!
denis boyron âmes errantes
rab!
tous CES ARTISTES toqués qui nous observent de là haut - marcel duchamp - roger moore - dali - prince - france gall - jean michel basquiat - janis joplin - mark rothko frida kahlo - jean rochefort - voldemort - simone veil - François morellet - giorgio de chirico - victor lanoux - ellsworth kelly - johnny - jean dormesson - georges mathieu - gisèle casadesus - claud rich - Carrie Fisher - Kim Jong-Hyun - l’acteur du Télétubbies violet - Néron - Ed Victor - Johann Johannsson - Dolores O’Riordan - Amy Winehouse - Nicéphore Niepce Paul Deschanel - Pocahontas - Hachikō - Ousmane Sow - Azzedine Allaïa - Compay Segundo - Donna Summer - le respect - Joséphine Baker - Elizabeth Taylor Queenie McKenzie - Fan Kuan - Aaliyah Tavon Kaiseen Alleyne - George Sand - Bette Davis - Virginia Woolf - Mathilde de Morny -
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rab!
influen 128
horoscope lectures films musiques anohni Gregory Crewdson jan fabre poetisé
influences
rab!
nces
On vous a volé votre tapis, vous ne savez plus trop pourquoi. Un tapis persan, pourtant de toute beauté, c’est une histoire de dingue. Puis vous vous retrouvez de manière incompréhensible à chanter « le temps est beau, le ciel est bleu, j’ai deux amis qui sont aussi mes amoureux » et il vous prend une envie irrésistible de vous taper le frère homophobe de votre conjoint mort. D’ailleurs, vous n’avez pas pu résister à vous faire une magnifique coloration (jaune) blonde par dessus vos cheveux filasseux et graisseux de vieil ado dépressif en deuil. Youpi, développons notre complexe de Stockholm. Puis vous vous retrouvez impliqué dans une histoire de vol de voiture et de rançon pour faire plaisir à beau papa, et votre femme se retrouve décapitée dans un broyeur à bois, sans avoir eu le temps de dire « ouf ». Suite à quoi, votre fils, plein de bonne volonté et afin d’améliorer ses performances sportives, décide de buter tout un gymnase à l’aide de son arc et de ses flèches. Vous avez quand même arrêté d’écouter ce titre d’Amanda Lear, parce que quand même, elle est mieux faisant la voix d’Edna Love dans les Indestructibles qu’en chantant un tube un peu moche s’appelant « I don’t like disco ». Et puis, un rayon de soleil apparaît, alors vous vous sentez d’humeur joyeuse et entamez la lecture de « L’élégance du hérisson » de Muriel Barbery, parce que bon, vous n’avez jamais le temps de lire, surtout depuis la disparition de votre tapis. Et vous souriez. Pourquoi ? Parce-que vous vous souvenez de cette phrase de Jean Rochefort : “Pour moi, me raser la moustache, revient à enlever mon slip!»
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HOROSCOPE
influences
horoscope
lion
Bélier Bélier Bélier bélier
Toutes les femmes de ta vie en toi réunies. Ton âme sœur, ton égérie, parfois ta meilleure ennemie.
Horoscope Taureau Gémeaux Taureau Taureau Signes astrologiques GémeauxGémeaux Horoscope Signes astrologiques
Jupiter a pu donner du relief à votre vie affective. Ainsi un long voyage initiatique vous mènera à Perrache, mais pas pour y prendre le train….
Cancer Cancer
Méfiez vous de l’influence de Mars, Pluton et de votre mère. Vous êtes un GIF dans une story Instagram. Visuellement agressif.
Lion Lion
Vierge Vierge
Taureau Taureau Lion
Gémeaux Gémeaux
Vie
rab!
Bélier Bélier Cancer
Gém
Taureau
Balance Balance Cancer Cancer Cancer Vous avez la même attitudeBalance qu’une loutre sous Prozac. Continuez comme ça. Neptune s’alignera avec Saturne etCapricorne ça ne changera rien.
Capricorne Balance Bélier Balance
Denis BOYRON Denis BOYRON
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Votre lourdeur n’a d’égale que votre lenteur légendaire. L’aspect intellectuel et abstrait Scorpion Scorpion des choses vous dépasse. Signes astrologiques
Horoscope Lion Lion
Sagittaire Sagittaire Vierge Vierge Vierge Tout vous sourit, sauf
Scorpion votre entourage. Tout Verseau Verseau Scorpion Taureau Scorpion
comme Marie, vous restez impénétrable et intouchable. Il est temps Poisson de faire le deuil de votre Poisson vie sexuelle.
Sagittaire Gémeaux Sagittaire
Sag
Cancer
Balance balanceBalance
Cancer Rien que ce mot doit Cancer vous faire regretter d’être né sousBélier ce signe. Votre frivolité, votre désir impérial de plaire et de séduire provoqueront de violentes ruptures. Capricorne
Capricorne Balance
Denis BOYRON Denis BOYRON
Balance Balance
Signes astrologiques
Lion Scorpion Scorpion
scorpion
Lion
VousLion maltraiterez des pandas roux Taureau pour évacuer votre stress. Attention à leur vengeance. De plus vous oublierez votre trousse à l’école. Vous vous ferez Verseau gronder. Verseau
Scorpion
Scorpion Scorpion
Cancer
Lion
Capricorne Capricorne
Verseau Verseau Verseau
Capricorne Denis BOYRON capricorne
verseau
Vous êtes du genre Balance élitiste et dominateur. Grâce à l’alignement de Jupiter avec la lune, vous commencerez à méditer 18h par semaine. Vous n’arriverez cependant pas à faire la position du lotus à cause de vos grosses cuisses.
Une pharmacie utilisera Scorpion une photo de vous, glanée sur les réseaux sociaux, pour vendre sa crème hémorroïdaire. Réveillé par le beau sextile de Vénus à Uranus, vos pulsions zoophiles seront à l’affut.
Denis BOYRON Denis BOYRON
Capricorne
Verseau
Gémeaux Gémeaux
sagittaire
Félicitations, 2018 marquera votre ascension. Vous allez atteindre la quintessence du kéké qui se la pète.
influences
Taureau Horoscope Taureau
Gémeaux Vierge Vierge
horoscope
Bélier Bélier
Taureau Lion Lion
Vierge Sagittaire Sagittaire Vierge Vierge
Gémeaux
Poisson Poisson Sagittaire Sagittaire Sagittaire
rab!
Bélier Cancer Cancer
Vierge
poisson
2018 est l’année marquant d’heureux évènements: Votre Poisson disparition (surtout pour les natifs du Poisson premiers décan). Poisson Essayer de prendre de bonnes résolutions. Exemple: trouver un Sagittaire sens a votre vie.
Poisson
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lectures
influences
lectures rab!
Quelques idées lectures pour habiller votre ennuie
David Vann
Chaque jour est un arbre qui tombe Le nécrophile Wittkop
FUGITIVES Munroe
Blessures symboliques
22/11/63
Bruno Bettelheim
Stephen King
Danielewski
EVE DE SES Décombres Les jours vivants Ananda Devi
LE SEIGNEUR DES PORCHERIES Tristan Egolf
L’INSOUTENABLE Légèreté de l’être Kundera
LES BELLES ENDORMIES Kawabata
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SUKKWAN ISLAND
LA MAISON DES FEUILLES Réparer les vivants Maylis Kérangal
ESPOIR ET VICTOIRE Marie Crédoz
La fête de l’insignifiance Kundera
THE GOLDFINCH Donna Tart
L’élégance du hérisson
L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine
Muriel Brabery
S’abandonner à vivre
Ruwen Ogien
Sylvain Tesson
Ananda Devi
Manger l’autre
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rab!
eva grosclaude
influences TITRE
films
influences
films rab!
si vous êtes arrivés jusqu’ici, vous pouvez regarder ces films Tom à la ferme de Xavier Dolan
(un bon petit complexe de stockholm + Xavier Dolan = <3 )
We need to talk about Kevin de Lynne Ramsay (n’offrez pas d’arc à vos enfants)
La piel que habito de Pedro Almadovar (ne euh … courrez)
The big Lebowsky des frères Cohen (tapis)
Trainspotting de Danny Boyle
(drogue)
99F de Jan Kounen (1€)
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Shutter Island de Martin Scorsese
(lobotomie)
Fargo des frères Cohen
(histoire vraie mais pas trop)
Utopia (série) (JAUNE)
Black Mirror (série) (dépression)
The neon demon de Nicolas Winding
Refn (fantasmagorie)
j’ai tué ma mère de Xavier Dolan Orange mécanique de Kubrick human centipede de tom six
Stoker de Park Chan-Wook
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rab!
denis boyron
influences
qui nous a bousculée
la playsist
TITRE influences
musiques
CRAPENTER BRUT le perv ambiance Stranger things
GEORGE CRUMB compositeur contemporain
MOBY are you lost this system are failing en gros : mort à Trump FRANZ FERDINAND evil eye le clip YODELICE insanity
DATA don’t sing le clip
rab!
AMANDA LEAR i don’t like disco brrr je frissonne d’horreur
ROLPHE KENT dexter soundtrack comme son nom l’indique JUSTICE stress
BRONSKY beat smalltown boy
MUSE hysteria vous aurez envie de tout casser
DIVINE SHADE love of angels NYAN CAT
GLASS ANIMALS toes jungle sauvage, ou pays lointain
SALTILLO a necessary end violoncelle
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rab!
eva grosclaude
influences TITRE
on a testé pour vous Hopelessness
influences
anohni rab!
Avant de faire une carrière solo, ANOHNI était connue comme la chanteuse du groupe Antony and the Johnsons, dont le nom est inspiré notamment de Marsha P. Johnsons, une femme activiste transgenre et noire. Ce choix n’est pas anodin puisque Anohni est elle-même une femme transgenre activiste, et elle aborde dans ses chansons des thèmes parfois très intimes et d’autre fois très politiques.
À travers sa voix, ses textes et ses mélodies, elle est capable de retransmettre avec une puissance rarement égalée la complexité des émotions humaines. Elle arrive à traduire la fragilité et la souffrance que le monde extérieur lui a fait subir depuis sa naissance, tout en faisant preuve d’une force douce qui rassure et d’une ironie qui nous permet de mieux nous identifier à ses textes. Son engagement politique est fort et elle n’hésite pas à aborder des sujets sensibles. Dans son dernier album Hopelessness, elle parle du réchauffement climatique, des espionnages par la NSA, des bombardements perpétrés par l’armée américaine, etc. Elle observe le monde qui l’entoure et fait un constat : l’espoir d’un monde meilleur disparaît de plus en plus.
Pour augmenter l’impact de ses textes, elle adopte des points de vue qui peuvent perturber au premier abord. En témoignent les trois extraits ci après. ________________________ DRONE BOMBE ME
« Drone Bomb Me Blow me from the mountains, and into the sea Blow me from the side of the mountain Blow my head off, explode my cristal guts » [Bombardez moi Explosez-moi de cette montagne, et dans la mer Explosez-moi des flans des montagnes Explosez moi le crâne, explosez mes entrailles de cristal] Trad_
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Anohni : « c’est une chanson d’amour chantée du point de vue d’une fille afghane,
une fille de 9 ans dont la famille a été tuée par les bombardements. Elle regarde le ciel et elle est arrivée à un stade où elle veut juste être tuée elle aussi » ________________________ 4 DEGREES
« I wanna hear the dogs crying for water I wanna see the fish go belly-up in the sea And all those lemurs and all those tiny creatures I wanna see them burn, it’s only 4 degrees » [Je veux entendre les chiens pleurer pour de l’eau Je veux voir les poissons flotter à la surface Et tous les lémuriens, toutes les petites créatures Je veux les voir brûler, ce ne sont que 4 degrés.] Trad_
Anohni : « je commence à être fatiguée de m’apitoyer sur le sort de l’humanité, et je pense aussi que je ne suis pas totalement honnête en prétendant que je ne fais pas partie du problème. ‘4 Degrees’ est une tentative brutale de me tenir responsable. Je ne veux pas uniquement valoriser mes intentions, mais aussi penser au véritable impact de mon comportement » ________________________ Watch me
« I know you love me (Daddy!) ‘Cause you’re always watching me (Daddy!) Protecting me from evil Protecting me from terrorism Protecting me from child molesters » [Je sais que tu m’aimes (Daddy!*) Parce que tu me regardes tout le temps (Daddy!*) Tu me protèges du mal Tu me protèges du terrorisme Tu me protèges des pédophiles] Trad_
Cette chanson parle de la surveillance permanente de la NSA aux États-Unis. Anohni utilise l’image du voyeurisme et chante langoureusement pour l’agent qui a été assigné à sa surveillance, tout en mettant en évidence l’absurdité de cette situation. L.P
influences
eva grosclaude rab! * difficilement traduisible en français, Daddy! est une expression utilisée pour désigner son partenaire sexuel
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on a testé pour vous gregory ctewdson
influences
Gregory Crewdson rab!
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Vous n’êtes plus dans la galerie. Terriblement glauque, mais aussi totalement fascinant, absorbant. Il est très difficile de détacher les yeux de ces immenses photographies réalisées par Gregory Crewdson. Photographe américain de renom, il s’illustre dernièrement par une série de photographies, Cathedral of the Pines, récemment exposée au FRAC d’Auvergne. En gros, visualisez les tableaux d’Edward Hopper. Et n’ajoutez rien, si ce n’est un brin de folie humaine, dans ce qu’elle peut avoir de plus troublant, de suggestif. Le décor est figé dans le temps, le plus souvent dans les campagnes Nord américaines où rien ne semble avoir bougé depuis 40 ans et pour les 40 ans à venir. Oh, il serait aisé de se dire « ce ne sont que des photos un peu glauques, des compositions, des photoshops assez basiques ». Or là, notre photographe a du génie. Ces photos ne sont nullement retouchées, et sont construites telles des scènes de film, avec des effets spéciaux physiques et non virtuels. Tout cette description, je l’avoue, doit sembler sans doute un peu plan-plan, et je vous vois venir : vous doutez encore. Seulement lorsque vous êtes face à une photo mesurant 2m par 3, vous relativisez. Au premier coup d’œil, déjà la photo vous fait taire. On la contemple quelques secondes avant d’en saisir les aspects perturbants, car souvent les compositions sont à la fois d’une beauté et d’une banalité incroyables. Puis le besoin de s’approcher, et de s’approcher encore se fait sentir. Et là, le nez à 50 cm de la photographie, la seconde vague de perturbation vous heurte. Pas une seule partie de la photo n’est floue, la focale n’est faite nulle part, toute la photo est nette et tout est détaillé et défini incroyablement… Croyez-moi, vous n’avez jamais vu cela… On peut presque compter les aspérités de la peau des personnages… Et de la courte
distance qui sépare votre nez de l’œuvre (rappelez-vous, vous êtes à 50cm de la photo), avec les effets de perspective, ce que vous avez devant vous est à l’échelle 1, et prend la totalité de votre champ visuel. Vous n’êtes plus dans la galerie d’art, vous êtes debout sur la moquette passée, à regarder en silence dans la même direction que cette femme debout dans son salon. Sauf que la vision qu’elle a de l’extérieur, avec une scène que l’on suppose tragique, vous la vivez avec elle. Car vous êtes littéralement derrière elle.
Seulement les photos ne montrent rien, ne disent rien. On soupçonne quelque chose, on sent que quelque chose est fracturé, lourd de sens mais il est impossible de le saisir, ce sens ! Le titre de l’œuvre n’aide pas, on cherche à comprendre comment des Hommes arrivent à de telles situations tragiques ou laides, on s’imagine des scénarios, qui grandissent dans notre esprit sans pouvoir être chassés ! La curiosité morbide absorbe alors toute notre attention, et la seule chose que nous trouvons à faire, car incapables de donner une vérité aux histoires que figent les photos, c’est de lister les détails … Ils sont alors les seuls éléments qui donnent de la matière à ces œuvres, et plus on observe, plus les infimes et parfaits détails nous aspirent dans une ambiance glauque et parfois morbide, donnant corps au scénario que le spectateur seul se fabrique. On sent presque l’odeur d’un cendrier plein, on se sent presque immergé dans l’humidité étouffante et terreuse des forêts du photographe. Gregory Crewdson ne dévoile rien, et là est toute la puissance de ses œuvres. Il mobilise l’affect, un brin de curiosité malsaine, le tout dans un décor terriblement banal et Nord Américain, et il n’en faut pas plus pour que celui qui observe la photographie soit totalement bouleversé, perturbé et avalé dans l’univers du photographe. Et vous êtes toujours là, debout sur la moquette passée, regardant dans la même direction que la femme photographiée, vous retenez votre souffle. Et dès lors, vous n’êtes plus dans la galerie.
D.B
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rab!
Gregory Crewdson
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on a testé pour janvous fabre
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jan fabre rab!
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Faire un numéro sur la perturbation sans vous parler de Jan Fabre me semblait impossible! En effet, la première fois que je l’ai découvert il ne m’a pas laissée indifférente, il m’a fascinée, dérangée, troublée, et effrayée à la fois. Un artiste belge aux mille ressources, entre rêve et cauchemar, mystérieux et mystique, qui s’amuse à dévier les normes, politiquement et artistiquement par les arts plastiques et les arts du spectacle. Un véritable artiste de l’avant garde. L’aviez vous, vous aussi, découvert il y a deux ans au Musée d’art contemporain de Lyon ? Si oui vous comprendrez immédiatement le pourquoi de cet article, pour les autres, accrochez-vous! Il travaille sans cesse la plasticité de l’Homme, il le déforme, tente de l’améliorer ou de le métamorphoser. Dans une innovante forme poétique, il se fie à son intuition pour donner jour à de nouveaux horizons. Un corps envisagé en tant qu’organe obstacle, en tant qu’enveloppe charnelle, résultant d’une fascination pour les scarabées, son matériau de prédilection. Ses œuvres plastiques donnent à voir un monde où pullulent les insectes, où les corps grouillent dans la nudité et la provocation. Il parle de la beauté comme quelque chose de brute et d’oublié. Le corps est beau s’il n’est pas irréprochable, parfait, le corps est beau par ses fluides, son fonctionnement, par ses aspects qui repoussent le plus souvent, du sperme à l’urine en passant par le sang. Sur scène ou en public il crée des révolutions, son travail peut être perçu comme une véritable création artistique aussi bien qu’une vulgaire provocation visant à déranger autrui.
«J’éprouve un amour indomptable pour la dimension physique de l’existence. (Tout ce qui vit, je vais le chérir et le collectionner, entre autres, les mouches et les femmes.)» Journal de nuit
Il utilise notamment la performance et l’expérimentation pour faire naître son art. «L’art est une protestation». Son rôle de «guerrier de la beauté» lui amène à mettre son corps en épreuve lors de ses performances extrêmes et uniques, celles-ci lui vaudront d’ailleurs quelques séjours en prison. En 1977, par exemple, il réalise la Window Performance, il s’enferme nu pendant 7 heures dans la vitrine d’une boutique d’Anvers, en compagnie d’escargots dont il a peint la coquille aux couleurs de la Belgique noir, jaune, rouge, car il a le sentiment que son pays hiberne culturellement. En 2012, il a aussi scandalisé la Belgique en procédant à un lancer de chat sur le parvis de la mairie d’Anvers, une métaphore des vanités. Entre ses multiples performances de rue, il intervient aussi dans le monde du
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jan fabre rab!
ÂŤIs the brain the most sexy part of the body?Âť
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jan fabre rab!
théâtre et de la danse, pour à nouveau choquer, et exposer le corps vulnérable et beau. L’une de ses plus célèbre pièce Mount olympus dure 24h, un véritable marathon. C’est avec son sang (ou celui de ses proches) ou un simple stylo bic qu’il aime dessiner (non non ce n’est pas une blague). Comment rendre une écriture vivante ? Monsieur Fabre a trouvé la solution, mais ne prenez pas peur il ne s’agit que de petites perfusions.
Monde animal, insectes scarabées, fil conducteur de nombreuses séries. Avez-vous déjà entendu parler par exemple du palais royal de Bruxelles où il a recouvert le plafond de la salle des glaces avec 1,4 millions de carapaces de scarabées? Des reflets irisés, des jeux de couleurs, une parure grandeur nature. Révolutionnaire et perturbé, il étudie, et se cultive sur les sciences en tout genre, chacun de ses actes est réfléchi. Il conduit son propre cerveau “I drive my own brain” et le met en scène et en relief plastiquement.
Difficile de comprendre la noirceur de cet artiste non? Malgré tout, nous ne pouvons pas le nier, elle découle d’un vrai questionnement et raisonnement sur la liberté, le dépassement de ses propres limites autant que celles de notre société. L.G
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lĂŠa gelineau
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Il a testé pour vous Être ensemble tout seul
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poetisé rab!
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Histoire d’une longue attente à Part-Dieu. Être ensemble tout seul. Être tout seul ensemble. 11h27. J’entre dans la gare au pas de course en sachant que je n’aurai jamais ce train… Le panneau d’affichage me le confirme. Tant pis pour moi, je prendrai le prochain... dans 5 heures et 14 minutes comme me l’indique l’agent sncf de l’accueil avec une nonchalance caractéristique du poste qu’il occupe. Je me dirige vers le parvis légèrement énervé contre lui, en fait contre moi : j’aurais pu sortir de mon lit 10 minutes plus tôt ! Je franchis les portes vitrées automatiques. Il fait beau. Je roule une cigarette. Et marche en direction d’un arbre. Je m’assois sur une bordure en béton.
Être ensemble tout seul. Être tout seul ensemble. C’est le sentiment que chacun peut avoir lorsqu’il attend son train sur le parvis de la Gare Part Dieu. Téléphone à la main. Écouteurs vissés dans les oreilles. Avec pour seule expression un air blasé. Une jeune fille qui ne sait, ni pourquoi, ni pour qui elle mendie, approche. Je la dévisage avant de lui adresser un « désolé je n’ai pas de monnaie ». Je me sens impuissant. Quelle tristesse de voir une si jeune fille réduite à cette situation.
Être ensemble tout seul. Être tout seul ensemble. C’est finalement une belle métaphore de la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Ce parvis est à l’image de la vie qui anime chaque jour ses usagers. Je me pose une question : son dessin est-il lui aussi à l’image de cette vie ? Mes yeux font un tour rapide de cette place qui n’en est pas une. Quelques cafés peu attrayants. Un Quick. Quelques plots en béton sur lesquels des inconnus attendent. Une bouche de métro. Je crois que oui.. Cette place qui n’en est pas une est pour moi vide de sens et pleine d’individualité ! Un passant dira qu’il ne s’y passe rien. Un individu curieux qui y passe plusieurs heures y voit tout. C’est ce que je m’apprête donc à faire. Il est déjà 12h38. Être ensemble tout seul. Être tout seul ensemble. Un jeune homme, subissant une attente un peu trop longue, fume encore une cigarette. Un mari overbooké attend avec
impatience sa femme et son fils. Un couple de personnes âgées raccompagne petite fille et petit fils au train en pensant bien à leur donner leur goûter. Un jeune cadre un peu trop pressé bouscule une jeune fille pour gagner 3 secondes sur son trajet jusqu’au métro. Voilà ce que je vois depuis cette bordure d’arbre qui me sert d’assise. Je fume une nouvelle cigarette. Je serai sans doute mieux installé sur ces marches un peu excentrées de l’entrée de la gare. Être ensemble tout seul. Être tout seul ensemble. Depuis ces marches, c’est une autre ambiance. Plus de communication mais pas plus de convivialité. « T’aurais pas un feu ? », « Excusez moi monsieur, vous auriez pas une cigarette ? », « Tu cherches à fumer ? ». Ces questions auraient pu engager une discussion.
Je m’aperçois que j’y réponds avec la même nonchalance que l’agent sncf rencontré plus tôt. La même solitude triste et pesante est toujours présente... Cette cigarette terminée je marche en direction de la gare.
Être ensemble tout seul. Être tout seul ensemble. Je suis là depuis plus de deux heures et c’est toujours le même spectacle. Ce sentiment profond de solitude me fascine. Toutes ces personnes réunies dans un même lieu, autour de la même activité, dans l’attente. Ils pourraient échanger, discuter pour faire passer le temps et peut être faire une rencontre qui changerait à jamais le reste de leur vie. Ils ne le font pas. L’individualité de chacun doit être respectée. Et pourtant certains évènements viennent déranger
Être ensemble tout seul. Être tout seul ensemble. 14h16. Je reprends ma place sur la bordure du même arbre que tout à l’heure. Et j’observe. J’observe ces flux incessants d’inconnus. Je m’imagine leurs vies. Leurs situations. Puis je m’arrête sur le nombre important de personnes qui attendent debout. Pourquoi y-a-t-il autant de personnes debout ? La réponse est dans la question : parce qu’il n’y a nulle part ou s’asseoir. Je me mets à rêver d’un aménagement fou de ce parvis.
Être ensemble tout seul. Être tout seul ensemble. 15h37. Une scène de Fight Club me revient à la manière d’un flashback. Une réplique pour être précis. « À chaque nouveau voyage, toute une vie en miniature : sachet de sucre à usage unique, gobelet de crème à usage unique, noix de beurre à usage unique, kit plateau repas cordon bleu micro-ondé, shampooing deux en un, échantillon gratuit de bain de bouche, savonnette miniature. Les gens que je rencontre sur chaque vol sont mes amis à usage unique. » C’est exactement ça. Être ensemble tout seul. Être tout seul ensemble. 16h15. Je rentre dans la gare.
Et sur ce quai, le même dégoût me vient vis-à-vis de cette ignorance permanente des autres. Personne ne se parle. Personne ne fait de pas vers l’inconnu. Je me sens très critique vis-àvis de ces gens, des autres. Être ensemble tout seul. Être tout seul ensemble. 16h22. Le train arrive. Les portes s’ouvrent. J’attends que les plus pressés entrent dans le wagon en terminant ma cigarette. Je repense au parvis de la gare. Je crois que c’est un projet que j’aimerais mener. Créer quelque chose : un aménagement, un évènement, du mobilier. Faire quelque chose pour rendre cette attente moins triste.
influences
poetisé
Être ensemble tout seul. Être tout seul ensemble. J’entre dans la gare pour acheter un sandwich. « Bonjour ! ». Pas de réponse. Le vendeur me fait comprendre en un simple regard qu’il n’a pas le temps. « Je vais vous prendre un sandwich rosette et un grand café s’il vous plait ». « 5,70 ». Je paye et lance un « Merci, bonne journée » en partant. Toute communication est en fait prise comme une agression. Chacun se protège dans son individualité, derrière ses écouteurs, son téléphone, un magazine. Un groupe de scouts attend bruyamment son train. Ils dérangent. Je prends conscience de la tristesse de la situation.
Mon train est annoncé voie A. Je monte l’escalator et roule une dernière cigarette. J’ai trop fumé.
rab!
ce schéma... Ce chien qui court dans tous les sens. Cette jeune fille qui essaie désespérément de récupérer quelques centimes. Cette patrouille de vigipirate qui vient rappeler à certains qu’ils se sentent en danger et qui en rassure d’autres.
Être ensemble tout seul. Être tout seul ensemble. 16h40. J’entre dans le wagon. Une idée me vient. Et si toutes les personnes autour de moi avaient eu une fois dans leur vie la même observation que moi ? Et si eux aussi étaient aussi critiques que moi visà-vis de cette situation ? … Mais personne ne fait rien. Personne ne crée l’accident. Moi le premier. Voilà plus de 5 heures que je m’étonne de cette situation d’ignorance commune de cet « être ensemble tout seul » alors que j’en suis l’un des acteurs. Je participe à ça. À 100 %. Est-ce que j’essaierai de connaitre mon voisin une fois le train démarré ? Ou plongerai-je mon regard dans un livre pour n’en sortir qu’à l’entente d’un « Saint Pierre des Corps. Ici Saint Pierre des Corps » ?
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à Lyon, perturbations à venir
si tu sais pas quoi faire
rab!
DANSE JOHAN INGER / JIŘÍ KYLIÁN
Amateur de danse contemporaine ou non, venez assister à trois pièces de ses deux chorégraphes décalés. La richesse de ces mouvements vous envoutera et vous fera perdre pied pour quelques heures. Du 19 au 25 mars 2018, Lyon
Conférence Les couleurs structurelles
Ou l’risation et la brillance dans les objets d’art. Amina Bensalah-Ledoux et Claire Beyssace explore les phénomènes physiques qui font briller les objets d’art. 25 Avril à 18h30, Musée des Beaux-Arts - Lyon
THéatre Cannibale
« Au coeur de la forêt, deux hommes, deux amants, dans une maison isolée. L’un va mourir, l’autre va survivre. Ensemble, ils vont tenter de circonvenir la mort qui vient. » 25 Avril à 20h, Théâtre de la renaissance de Oullins
Musique Visual Exformation
Lyon va être le cadre d’une véritable œuvre d’art totale mêlant design, musique et lumière. Le quatuor de corde Diotima te propose une expérience sonore et visuelle nouvelle, en utilisant leurs instruments et des algorithmes.
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8 Mars à 20h, Les Subsistances - Lyon
expositions Adel Abdessemed : L’Antidote
Du 9/03 au 8/07, Musée d’Art Contemporain de Lyon Inauguration le 8 Mars 2018
Le Génie de la Fabrique
Sauvé in extremis de la fermeture en Octobre 2017, le Musée des Tissus accueille encore jusqu’à la fin de cette année cette exposition qui rend hommage à la ville de Lyon et aux artistes lyonnais de l’étoffe. Alors, on va y faire un tour pour célébrer notre savoir-faire local ! Jusqu’au 31 Décembre 2018, Musée des Tissus et des Arts Décoratifs de Lyon
Maria Thereza Alves et Jimmi Durham :THE MIDDLE EARTH
Poésie, Ethnologie, Architecture, Histoire, etc. The Middle Earth est consacrée à la Méditerranée, à la migration, au déracinement. 2 Mars au 27 Mai, Institut d’Art Contemporain - Villeurbanne
NOCTURNE ETUDIANTE 2018 #4 Pour cette quatrième édition de la nocturne étudiante, le DDA s’associe une seconde fois au musée des Beaux Arts en proposant un projet de signalétique tout en élégance et lumière. L’occasion de venir (re)découvrir la collection du musée au fil des médiations proposées par les étudiants de nombreuses universités de Lyon. Une autre manière de comprendre les oeuvres par la musique, la danse ou encore le théâtre.
24 mars 2018, 18h-23h, Musée des Beaux Arts de Lyon
Toute l’équipe de rab! remercie Les 30 artistes ayant participé à ce numéro, ainsi que,
Sylvie MALET Odile GELINEAU Elisabeth et Patrick MOUSSET Magali GROSCLAUDE Pour leurs relectures.
Guillaume DUMONT-MALET pour ses précieux conseils.
L’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon avec notamment, Véronique Peguy pour sa disponibilité Frédéric GILET pour sa patience.
Toutes les photos des œuvres ont été prises par les artistes eux-mêmes. Couverture, 2ÈME et 3ÈME de couverture imaginées et réalisées par la rédac de rab!.
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