The Red Bulletin FR 06/22

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FRANCE JUIN 2022

HORS DU COMMUN

L’élite du plongeon de haut vol à Paris

Red Bull

CLIFF DIVING LES 17 ET 18 JUIN

GARY EST MAGIQUE

Au sommet de sa discipline, GARY HUNT veut faire frissonner la capitale lors d’une incroyable compétition de plongeon

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Éditorial

27 MÈTRES ET 3 SECONDES Distance de la chute. Et durée de la chute. Une chute devenue art, performance d’élite, pour quelques hommes et femmes qui voient la terre de très haut – vêtus simplement de maillots. Les 27 mètres (dans le cas des hommes, lors des Red Bull Cliff Diving, 20 pour les femmes) qui vous mènent à « plus bas », et les 3 secondes que cela dure. C’est dans cette zone-là qu’ils s’éclatent, les pros du plongeon de haut vol : quelques ­saltos et vrilles démentiels exécutés à la perfection, puis une entrée dans l’eau, millimétrée, pour garder l’envie d’y rentrer de nouveau, lors du prochain saut. S’y ajoute une autre donnée : 85 km/h, leur « vitesse de pointe ». Et voilà résumé la discipline du high-diving. Sans oublier les années d’entraînement, et les talents forcément hors-normes qui y dédient leur vie. Vous découvrez le plus original d’entre eux, Gary Hunt, sur notre couverture, quelque peu... psychédélique. Un perso tellement copieux qu’on préfère ne rien vous en dire ici et vous laisser le découvrir en page 26. Et notez bien, le Red Bull Cliff Diving en France, c’est à Paris, le 18 juin. Même si vous n’avez que 3 secondes pour passer.

CONTRIBUTEURS NOS ÉQUIPIERS

RICK GUEST

Connu pour ses photos d’athlètes olympiques, de voitures de F1, ou de stars de la musique (il raconte sa rencontre avec les Daft Punk à Londres, il y a fort longtemps), Rick Guest adore le mouvement. Au point d’avoir réalisé pour The Red Bulletin une série folle avec les danseurs du ballet de Londres. Il devait évidemment shooter Gary Hunt avec cette vision qui lui est propre, et n’a pas hésité à venir à Paris pour rencontrer le boss du Red Bull Cliff Diving. Page 26

Bonne lecture ! Votre Rédaction

Afin de saisir la pétillance de la superstar de YouTube et rider VTT Fabio Wibmer, il fallait au moins deux photographes, from Francfort. De leur journée de shooting avec l’Autrichien, Nada Lottermann et Vanessa Fuentes (qui ont photographié de la mode ou des icônes comme Sofiane Pamart, Dave Grohl, Beth Ditto, ou Keanu Reeves) nous ont livré une version au naturel et pêchue de l’athlète. Tous à Monaco p. 50 !

Sur le zinc de Paris : le photographe anglais Rick Guest prend de la hauteur avec un ancien Anglais (mais toujours plongeur de haut vol), Gary Hunt. Page 26

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THE RED BULLETIN

RICK GUEST (COUVERTURE)

LOTTERMANN & FUENTES


THE ONLY TH IN G M O R E R EWAR D I N G THAN CHASING YO UR D R E AM , I S CATC HI N G IT.

Co py ri ght © 2022 MNA , I nc . Al l ri ght s re s e rv e d.

bfg o o dr icht i re s .c o m

WHAT AR E YOU BU I L DIN G F O R ?


CONTENUS juin 2022

8 Galerie : votre dose m ­ ensuelle

de folie photographique

14 Le vélo qui remet les personnes

atteintes de nanisme en selle

15 Un hôtel parmi les oiseaux 16 Ekow Nimako et ses briques

noires reconstructrices

18 Les sons qui comptent pour les

jumelles Ibeyi 20 Sama’ Abdulhadi fait danser la Palestine, et le monde ! 22 Comment le MC Kojey Radical a atteint le bout de son tunnel 24 Esport : rien ne stoppe Naskino !

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26 G ary est magique

Le seul, l’unique : découvrez Gary Hunt, plongeur de haut vol doublé d’un artiste.

Quand la course vous appelle.

38 P ortfolio UCI

Dans le dur, avec les forçats du mountain-bike cross-country.

50 L e tempo de Fabio 60 S aray l’engagée

Elle grimpe des sommets pour les gosses d’Afrique du Sud.

68 C ours, Florian !

Pour cet Allemand runneur, sourire est mieux que souffrir.

76 R étro-futurisme

Et si le passé inspirait le plus cool des futurs ? Ils y croient !

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NORMAN KONRAD, LOTTERMAN AND FUENTES, PHILLIP MUELLER, ROSS GARRETT

Le boss du VTT trial nous reçoit sur son terrain, à Monaco.

76 Rétro : semelles like teen spirit.

THE RED BULLETIN


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Sur le Rocher, avec Fabio Wibmer.

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Pour elle, élever les autres, c’est s’élever soi-même.

THE RED BULLETIN

87 Voyage : préparez-vous pour un

trip unique en kayak à Zanzibar

92 Comme le conseille l’aventurier

Hazen Audel, pour survivre dans la nature, fondez-vous en elle ! 93 La montre Longines dédiée aux pilotes d’avions au long cours 94 Gaming : les conseils de Mira, la pilote indienne qui déboîte sur circuit et sur Gran Turismo 7 96 Ils et elles font The Red Bulletin 98 Photo finale : quand Nouria chute

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LE CAP, AFRIQUE DU SUD

Tuyauté

WAYNE REICHE/RED BULL CONTENT POOL

DAVYDD CHONG

En voyant un gros tube, un type de base se dirait : « Oh, un gros tuyau. » Pas un rider BMX. Comme l’explique le photographe Wayne Reiche : « Le BMXer Murray Loubser et moi avons repéré cet énorme élément de chantier et on s’est chauffés. Nous avons appris par un ouvrier qu’il allait être découpé (le tuyau, ndlr) et qu’on ­pouvait le rider. C’était serré, mais Murray a envoyé du gros. » Cette photo a valu à Reiche une place en demi-finale du concours photo Red Bull Illume. waynereiche.com

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CIEL DE LA CLUSAZ, FRANCE

Jamais vu Dans sa vidéo Sky Skiing, le Soul Flyer Fred Fugen repousse une fois de plus les limites du possible. L’idée du Français ? Sauter à 6 500 m d’altitude, skis aux pieds, enchaîner des figures en chute libre et atterrir sur une pente en speedriding. Première mondiale assortie d’une spécificité : un départ depuis un télésiège accroché à une montgolfière. « J’ai volé pendant une demi-heure sur un télésiège, raconte Fred. J’étais hyper bien assis (rires). C’était très marrant, et surtout, c’est du jamais vu à ma connaissance ! » À voir sur redbull.com


ÎLE DE SIARGAO, PHILIPPINES

Éternelle

DOM DAHER/RED BULL CONTENT POOL, MATT POWER/RED BULL ILLUME

DAVYDD CHONG

Pour un photographe, la patience est un outil vital. Sans elle, cette photo de Matt Power, prise aux Philippines, n’existerait pas. « J’attendais que tous les éléments s’alignent : le coucher du soleil, une houle propre, une eau claire et un surfeur talentueux, explique-t-il à propos de cette image, qui atteint la finale du concours photo Red Bull Illume. Le spot était très fréquenté ce soir-là, et le surfeur m’est inconnu, ce qui rend ce cliché mystique. Je le chérirai à jamais. » mattpowerphoto.com

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INDIAN CREEK, UTAH, USA

Héroïque Mais que fait le grimpeur américain Jake Talley ? Une chute héroïque. « J’ai demandé à Jake de modeler son corps dans un mouvement plus puissant que la position de chute classique, explique Will Saunders. Avec grâce et style, il a sorti cette forme de l’air, me permettant de capturer une image unique par rapport à la plupart des images de grimpe. Il m’a fait penser à un super­héros, mais en vrai, mes potes dans le monde des sports d’action sont mes héros. » En parlant d’exploits surhumains, le photographe de l’Utah a réussi le sien : cette photo a battu plus de 41 000 autres entrées pour remporter le premier prix du concours photo Red Bull Illume Image Quest 2021. willsaundersphoto.com


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WILL SAUNDERS/RED BULL ILLUME

DAVYDD CHONG


Tout le monde en selle ! Imaginez un monde où les vélos seraient tous inadaptés. Pour les personnes atteintes de ­nanisme, ce monde est réalité. Enfin, plus ­maintenant. Voilà seize ans que les vélos haut de gamme pour enfants font la réputation de Islabikes. Basée en Angleterre, l’entreprise fondée par la triple championne de cyclocross britannique Isla Rowntree est née du constat de cette dernière que les enfants étaient les grands oubliés du marché des cadres stylés et ergonomiques. Le succès de Islabikes a depuis suscité l’intérêt d’un autre groupe de cyclistes : les adultes de petite taille, qui souhaitaient bénéficier des modèles-enfants. « Cet intérêt nous a enthousiasmés, confie le directeur général Tim Goodall, mais très vite nous avons compris que sans l’adapter, cette solution ne serait pas viable pour ces usagers. » 14

Armée de son savoir-faire en matière de conception, la firme Islabikes entreprend de créer un cadre destiné spécifiquement aux personnes atteintes de nanisme ou d’achondroplasie. « L’industrie du vélo a œuvré de concert pour satisfaire une toute petite niche de la société, après tout, elle est la première bénéficiaire de cette manne, explique Goodall. Si vous mesurez entre 1,67 et 1,85 m, vous trouverez dans n’importe quel cycle ou sur internet, un vélo pour route, VTT, cyclocross, etc. Mais si vous ne rentrez pas dans cette catégorie, que vous soyez petit, très grand ou trop lourd, le choix sera très limité.

THE RED BULLETIN

LOU BOYD

ISLABIKES

Et inexistant si vous êtes atteint de nanisme. » Islabikes a contacté l’organisation sportive des personnes de petite taille (DSAuk) et sollicité avis et conseils de ses membres, dont leur ambassadeur Steve Scott (photo) afin de remédier à la situation. « Ils souhaitaient une implication active, sur le terrain, explique ce dernier qui collabore étroitement avec Islabikes lors de la phase de conception. Je ne suis pas ingénieur, mais j’adore le vélo et je sais qu’en cas de mouvement latéral les genoux d’une personne disproportionnée se plient d’une manière légèrement différente. Le freinage constitue un autre problème lié à nos mains plus courtes. Là encore, un ajustement était nécessaire. » Le Joni (ci-dessous) est le fruit de ce travail. Un vélo hybride doté d’un guidon en retrait, de pédaliers plus courts et de freins adaptés aux petits doigts. La forme du cadre constitue le changement majeur auquel Scott contribue : un cadre ultra bas, en forme de U, facilitant le passage des pieds pour monter et descendre du vélo. « Je ne m’habitue toujours pas à la facilité avec laquelle nous pouvons désormais monter sur le vélo, confie Scott. Avec un cadre traditionnel à barre transversale, mes enfants et moi devions sauter. Ce n’est plus le cas. C’est génial. » Disponible en deux versions (roues de 20 ou 24 pouces), le Joni est le premier vélo au monde produit en série pour les personnes atteintes d’achondroplasie. Une évolution qui, d’après Scott, va améliorer la vie de nombreuses personnes. « Je pense que le vélo révolutionne la mobilité des personnes de petite taille. Si vous et moi étions partenaires de footing, je serais vite essoufflé et mes articulations en pâtiraient. Par contre, une sortie à vélo ensemble, ce serait ­possible. » islabikes.com


Une structure comme un abat-jour autour duquel gravitent des oiseaux en perpétuelle villégiature.

BIOSPHÈRE

Haut perché

BIG BJARKE INGELS GROUP

LOU BOYD

Si vous aimez vous réveiller à l’aube au son des oiseaux, cet hôtel va vous combler, et vous sensibiliser à la préservation de la nature.

La chambre Biosphère du Treehotel, en Suède, offre à ses hôtes une vue à vol d’oiseau au sens propre comme au figuré. Située au cœur d’une forêt de pins près de Harads, en Laponie suédoise, cette chambre d’hôtel aux murs de verre et entourée de 340 abris à oiseaux vous plonge dans l’intimité de ces habitants ailés. Conçue par le cabinet d’architecture danois Bjarke Ingels Group, avec le concours de l’Association ornithologique de Norrbotten (NOA), la Biosphère donne aux visiteurs un aperçu rare du comportement des vertébrés bipèdes tout en stimulant leur population en déclin. « Avec la déforestation, le nombre de cavités naturelles dans les arbres où nichent les THE RED BULLETIN

Paradis pour ornitho­philes.

oiseaux est en forte chute. De ce fait, l’installation d’abris fabriqués par l’homme joue un rôle clé, explique Ulf Öhman, président de la NOA. De plus, le réchauffement climatique rend la période de prolifération des insectes, qui constituent la nourriture vitale des oisillons, plus précoce. Au moment de l’éclosion des œufs, le stock d’insectes a sensiblement diminué. Nourrir les oiseaux qui hivernent au nord de la Suède devient alors vital. » Construite avec des matériaux organiques choisis pour

se fondre dans la forêt et attirer la faune, la Biosphère, dont l’accès se fait par un pont suspendu, est perchée dans les arbres. Son agencement sur deux niveaux comprend un espace de vie et une mezzanine pour dormir et observer les oiseaux. Les nichoirs de différentes tailles entourent les murs transparents de la chambre telle une constellation. Lorsque les clients désirent un instant échapper au battement d’ailes, la terrasse dégagée sur le toit offre une vue paisible au-dessus de la forêt. Les créateurs de ce lieu de villégiature insolite espèrent que l’expérience incitera les visiteurs à se rapprocher de la nature et à prendre soin de l’habitat naturel autour de leur propre maison. « Démontrer l’utilité de la nidification et de l’alimentation des oiseaux, pas seulement dans les arbres, mais aussi près des habitations est essentiel, insiste Ulf Öhman. L’initiative proposée par le Treehotel peut appeler les ­visiteurs à faire de même. » treehotel.se 15


Cet artiste utilise des Lego pour bâtir avec force détails un univers noir appelé à prendre dans l’art de demain la place qui lui revient.

Les tortues sont grandeur nature, à défaut d’être fidèles à la réalité. Les enfants qui les chevauchent semblent affran­ chis de la gravité. Leurs ailes et coiffes mythologiques évoquent des héros d’un film fantastique. En vérité, il s’agit d’une réelle sculpture afro­ futuriste de l’artiste ghanéo16

canadien Ekow Nimako dont la majorité des œuvres est entièrement composée de ­milliers de briques de Lego. « The Great Turtle Race représente deux enfants che­ vauchant des tortues de mer mythologiques, explique Nimako, 43 ans. Préserver ­l’innocence de l’enfance est ­primordial. C’est encore plus vrai pour les enfants noirs dont les expériences culturelles se déroulent dans un espace aux prises avec un racisme systé­ mique. » Nimako a grandi à Montréal dans les années 80 et 90. Au départ, il est un artiste multidisciplinaire : écri­ ture, dessin, musique et sculp­ ture. Puis il trouve en 2012 son médium : les petites briques

en plastique de son enfance. « Le Lego est pour moi, le maté­ riau le plus polyvalent au monde, explique-t-il au sujet des briques made in Danemark. J’entretiens une relation intime avec cet objet. C’est le matériau avec lequel j’ai le plus d’expé­ riences et d’habileté. » En utilisant les Lego, Ekow Nimako espère inciter le spec­ tateur à reconsidérer cet objet familier. Mais alors pourquoi les briques noires uniquement ? Pour trois raisons explique Nimako : le noir est l’une des couleurs les plus courantes chez Lego et offre à ce titre le plus large choix de pièces. Ensuite, parce qu’il aime cette couleur. Et enfin parce que le noir symbolise la négritude. THE RED BULLETIN

JANIK LAURENT, SAM ENGELKING

Reconstruire la négritude

TOM WARD

EKOW NIMAKO


Ci-dessus : Ekow Nimako avec son The Great Turtle Race. À gauche, de haut en bas : Kadeesa (Griffyx Cub) ; Anansi ; S ­ imis. En haut à droite : Kumbi Saleh 3020 CE. THE RED BULLETIN

« Enfant, les biens de consommation qui reflétaient mon image étaient rares, explique Nimako dans une vidéo. Cela fausse l’identité d’une personne. » S’attaquer à ce déséquilibre, et à ce qu’il appelle une vision « eurocentrée » de l’art, lui tient depuis à cœur. Sa série d’œuvres, Building Black: Civilisations s’inspire de l’Afrique de l’Ouest subsaharienne médiévale. Il y ajoute des éléments mythologiques afin de « mystifier et démystifier cette région et cet espace particulier dans le temps », poursuit l’artiste. La pièce maîtresse, Kumbi Saleh 3020 CE, est un minutieux paysage urbain de neuf mètres carrés composé de plus de 100 000 pièces. Chaque

sculpture nécessite entre 50 et 800 heures de travail, une tendance à la hausse au gré d’une ambition toujours plus grande. Mais est-ce de l’art ou un simple jeu ? Nimako tient à lever toute ambiguïté : « Je partage avec tous les amateurs de Lego le besoin de construire. Mais l’art se définit aussi par de nombreux facteurs, comme le processus de réflexion qui soustend l’œuvre et sa présentation dans un contexte artistique. Mon travail véhicule une idée dont la construction amateure est en général dépourvue. Lorsque mon travail bénéficiera d’une plus large diffusion, la communauté artistique ne restera pas longtemps indifférente. » ekownimako.com 17


IBEYI

Un duo inspiré Les deux sœurs évoquent quatre titres qui motivent leur style musical unique. En 2015, les jumelles afro-cubaines françaises Naomi et Lisa-Kaindé Diaz, 27 ans, alias Ibeyi, sortent leur premier album éponyme. La presse musicale en salue le son électronique dépouillé mêlant chants yoruba, jazz cubain et performances vocales björkiennes. Hommage à leur père décédé, le mythique percussionniste Angá Diaz, l’album Ibeyi leur vaut aussi des fans tels que Beyoncé qui invite les sœurs à participer au clip de son album Lemonade. Leur troisième opus, Spell 31, est un hymne à l’empathie et à la tolérance qui se nourrissent de la force de la nature. facebook.com/Ibeyi

Rosalía

Meshell Ndegeocello

Kendrick Lamar

Rezos (2006)

Saoko (2022)

H.O.C. (2010)

Lisa-Kaindé : « Notre père est l’auteur de cette chanson géniale. Il y égraine les noms de tous les musiciens disparus qui ont été ses compagnons de route. Nous avons samplé sa voix pour le morceau Los Muertos. Une manière à nous de chanter avec lui. Nous citons son nom, celui de ses parents, de notre sœur, et de musiciens comme Prince, qui ont été nos fidèles inspirateurs et soutiens. »

Naomi : « Rosalía a écrit cette chanson il y a longtemps, mais ne l’a sortie qu’au début de l’année. C’est l’une de ses meilleures, elle est incroyable, très expérimentale. Le texte parle de métamorphose et de transformation. Nous suivons Rosalía depuis le début de sa carrière. Sa façon de mêler flamenco et pop est sublime. Et dans ce morceau, j’adore l’alliance qu’elle a réussi à faire entre reggaeton et jazz. »

Please Don’t Let Me Be ­Misunderstood (2012)

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Lisa-Kaindé : « Ce titre me tient particulièrement à cœur. Je suis une grande fan de Meshell depuis mon adolescence. J’ai beaucoup appris à son écoute. De plus, j’ai découvert cette chanson en écoutant ma déesse Nina Simone, la première à l’avoir enregistrée. Alors quand Meshell chante Nina Simone, ce sont mes deux déesses qui ne font plus qu’une pour mon plus grand plaisir. »

Naomi : « Ce morceau (qui est extrait de Overly Dedicated, la quatrième mixtape solo du rappeur, en 2010, ndlr) est grandiose, comme à peu près tout ce que fait Kendrick Lamar. Je suis une fan absolue de cet artiste. Il y a eu un avant et un après Kendrick Lamar en musique. Je lui voue une profonde admiration. Naomi aussi d’ailleurs. Et nous adorerions travailler avec lui. Alors à bon entendeur… (rires) » THE RED BULLETIN

SULEIKA MULLER

Angá Diaz

MARCEL ANDERS

Scannez ce QR code pour accéder au podcast musical de Ibeyi sur Spotify.



Sama’ Abdulhadi

La « reine de la techno » palestinienne a pour mission d’exporter la beauté de sa patrie dans le monde entier. Et de rassembler, malgré les trouble-fête. Texte LOU BOYD

Lorsque Sama’ Abdulhadi a pris les platines dans la ville palestinienne de Ramallah en 2018 pour ses débuts lors d’une Boiler Room (fête streamée en live sur Internet), elle ne se doutait pas qu’elle était sur le point de jouer un set qui allait changer sa vie. À la fin de ces 58 minutes, Abdulhadi s’était transformée d’une petite DJane respectée en une sensation techno. Attirant près de dix millions de vues, la vidéo est devenue l’une des plus regardées de l’histoire de Boiler Room, et sa musique s’est répandue dans le monde entier. Abdulhadi, l’une des principales voix de la scène underground palestinienne de la musique de danse, est la première DJane/productrice de l’État à bénéficier d’une reconnaissance internationale. Elle s’est d’abord mise au DJing sur les encouragements de son père, avant de quitter Ramallah – la capitale de facto de la Palestine – pour Beyrouth. De là, elle s’est installée à Londres, puis au Caire, et enfin à ­Paris, tout en faisant évoluer sa techno berlinoise, très rythmée, grâce à des influences glanées au cours de ses voyages. Un autre des sets en ligne ­d’Abdulhadi a attiré l’attention internationale en 2020, mais pour des raisons moins artistiques. Lors d’un événement privé diffusé en streaming pour la plateforme de musique électronique Beatport au Maqam Nabi Musa, un complexe culturel de Cisjordanie, des conservateurs

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r­ eligieux sont entrés et lui ont ordonné de cesser de jouer sur le lieu saint. La vie d’Abdulhadi a été menacée et, bien qu’elle ait eu tous les permis nécessaires pour se produire, elle a été arrêtée par des responsables palestiniens et emprisonnée. Ce n’est qu’après la présentation d’une pétition portant 100 000 signatures qu’Abdulhadi a été libérée, huit jours plus tard. « Les gens étaient vraiment en colère », dit-elle. Elle nous raconte comment elle a trouvé une communauté dans le milieu festif de Ramallah et comment elle utilise la techno pour faire connaître la Palestine au monde entier. the red bulletin : En tant que première DJane de renommée mondiale originaire de Palestine, ressentez-vous une certaine pression pour représenter votre pays ? sama’ abdulhadi : Il y a tellement de facettes différentes dans le fait d’être Palestinien, et beaucoup de pression sur moi pour représenter toutes ces histoires. Je peux parler pour moi et pour une petite partie des Palestiniens, mais je ne peux pas parler pour les gens de Gaza ou de Jérusalem. C’est un honneur d’être l’une des rares personnes à pouvoir être écoutée, car nous n’avons jamais eu personne dans l’industrie musicale pour parler en notre nom. On a dit de vous que vous étiez « la DJane qui a apporté la techno en Palestine ». C’est exact ? J’ai apporté le genre ici – et les morceaux – mais je n’ai pas organisé la première fête réussie. J’ai essayé de faire fonctionner les soirées techno ici et j’ai échoué ! D’autres personnes ont permis à la scène de se dévelop-

Vous avez formé un collectif de fêtes, Union. Parlez-nous de cela... Je voulais créer un espace sûr, un foyer et un centre, alors j’ai contacté mes amis DJ à travers la Palestine et j’ai dit : « Faisons un collectif. » C’est ouvert à tous ceux qui veulent en faire partie, même s’ils ne sont pas DJ. Les membres peuvent être des scénographes, des personnes qui font des graffitis, qui aiment construire des systèmes d’éclairage… Ils peuvent même venir pour aider à la mise en place. Lors d’une fête, tout le monde travaille à tous les postes. Je peux être DJ pendant deux heures, puis à la porte pour vendre des billets, puis je gère les toilettes pendant une autre heure. Où avez-vous l’habitude d’organiser vos fêtes ? Nous investissons différents lieux. Nous apportons des objets de chez nous pour meubler l’endroit : canapé, lampes, tapis, etc. pour contribuer à la conception d’une fête, puis on remballe le tout et on le ramène. Il y a un vrai esprit de famille, et tout le monde a son mot à dire sur ce que nous faisons. Vous avez décrit la techno comme un rituel sain pour vous. Est-ce ­encore un espace sûr ? Oui, c’est mon thérapeute, et je suis très heureuse de le faire plus souvent maintenant. Je peux me sentir assez sérieuse avant un grand set, mais je change de mode lorsque je monte sur scène et appuie sur Play. Tout disparaît et je suis juste là, avec la foule et la sono. J’adore cette sensation.

Interview intégrale sur redbull.com ; Instagram : @samaabdulhadiofficial ; Soundcloud : @sama_saad

THE RED BULLETIN

JACOB KHRIST/HANSLUCAS

Elle fait danser la Palestine

per. C’était un effort collectif – elle a été construite par ces personnes et par tous ceux qui étaient prêts à prendre un bus de Haïfa (dans le nord d’Israël, ndlr) à Ramallah, pour venir danser sur cette musique. Maintenant, les fêtes rassemblent des gens de toutes les villes et je ­reviendrai toujours jouer.


« J’appuie sur Play, et tout disparaît. » THE RED BULLETIN

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Kojey Radical

Un bonheur Radical Ce poète et rappeur a fait la paix avec ses démons intérieurs et vient de sortir son album le plus abouti. Comment Kojey Radical a rejoint la lumière. Texte WILL LAVIN

Photos DANNY KASIRYE

Kwadwo Adu Genfi Amponsah, alias Kojey Radical (du nom du héros d’une BD qu’il dessinait à l’université) a longtemps cherché la lumière au bout du tunnel. Dans l’univers de la musique, ce poète, rappeur et artiste multimédia est connu autant pour sa bonne humeur que pour son rap ­socialement engagé. Mais sous cette surface charismatique, Amponsah a passé sa vie à lutter en silence contre les traumatismes et l’angoisse. « On n’en parle pas assez, mais être ado et apprendre que des gens de votre entourage ont été poignar­ dés ou se sont fait tirer dessus et de­ voir aller leur enterrement provoque des syndromes post-traumatiques, raconte-t-il. J’ai été confronté à la mort très tôt dans ma jeunesse ». Né à Londres en 1993, ce fils d’immigrés ghanéens monte son premier projet musical, Dear Daisy: Opium, en 2014, juste après l’obten­ tion de son diplôme d’illustrateur de mode au London College of Fashion. Il sort ensuite trois autres EP, 23Winters (2016), In Gods Body (2017) et Cashmere Tears (2019), et reçoit trois nominations aux MOBO Awards (pour Music of Black Origin). Sa musique introspective et pleine d’esprit aborde aussi bien les questions de classes que de race et de justice sociales. Mais ce succès n’a pas suffi à faire taire ses an­ goisses. Jamais synchrone avec les standards de la scène grime britan­ nique de son époque, l’artiste a

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t­ raversé une période de remise en question touchant autant son iden­ tité que son avenir dans l’industrie. Amponsah a désormais 29 ans et après la naissance de son fils en 2020, il a su s’épanouir et trouver la paix intérieure, un état d’esprit qui irradie son premier album, Reason to Smile. Arrivé au bout du tunnel, il s’est réconcilié avec les épreuves du passé. the red bulletin : Comment vous a influencé ce que vous avez vécu dans votre jeunesse ? kojey radical : Cela m’a rempli d’une foi aveugle, parce qu’au final, personne ne sait combien de temps il nous reste à vivre. « Quand c’est ton heure, c’est ton heure. » Autant faire ce que je veux, penser ce que je veux et aller où bon me semble puisque si quelque chose doit m’arri­ ver, ça arrivera. J’ai toujours eu ce raisonnement en tête. Vos succès musicaux ont-ils changé votre vision des choses ? Quand ma carrière a décollé, j’ai touché le fond sur le plan personnel. J’ai commencé à gagner de l’argent, à signer des contrats, à voyager aux quatre coins de la planète, mais j’étais malheureux. Je me sentais plus chez moi dans n’importe quel hôtel du fin fond de la Bulgarie que dans ma propre maison.

la musique noire, il faut parler de sexe, de drogue et de violence. Pour tout le reste, il faut s’imposer petit à petit. Comment avez-vous surmonté tout cela ? J’ai compris que je souffrais d’une forme de dépression et que ma santé mentale était fragilisée. De là, j’ai ­réalisé que je pouvais me battre et prendre ma vie en mains. Je me sou­ viens qu’un jour, j’ai remarqué que beaucoup de mes projets musicaux se concluaient sur une note amère, mes protagonistes se retrouvaient toujours au fond du trou. Mais en­ suite, je me suis dit qu’il fallait célé­ brer cette prise de conscience. Est-ce le message de Reason to Smile ? Absolument. Je voulais rendre hom­ mage à tous ceux que j’ai vus traver­ ser des moments difficiles et qui sont s’en sont sortis, comme ma mère ou la mère de mon fils. C’est pour cela que ma mère sourit quand elle re­ garde ses petits-enfants : elle a sur­ vécu toutes ces années et travaillé dur pour le bien-être de ses enfants, afin qu’ils puissent devenir parents à leur tour. La paternité vous fait sourire. Quels enseignements en tirez-­ vous ? Beaucoup de patience. Au début, j’ai eu du mal. Je ne crois pas que l’ins­ tinct maternel soit quelque chose de naturel pour les hommes. Mais petit à petit, on commence à saisir la vraie valeur de ce que l’on a vécu : nos ex­ périences nous aident à préparer celles qu’auront nos enfants. C’est un rôle que, désormais, j’assume.

L’album de Kojey Radical, Reason to Smile, est paru chez Atlantic ­Records ; kojeyradical.online

Ces angoisses sont-elles encore présentes ? Malheureusement ! J’ai l’impression que toutes les choses pour lesquelles on m’acclamait au départ com­ mencent à être obsolètes. Il faut voir la vérité en face : pour que les radios et l’industrie du disque soutiennent THE RED BULLETIN


« Quand c’est ton heure, c’est ton heure. Autant faire ce que je veux. »

THE RED BULLETIN

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Naskino

Étudiant en audioprothèse, Lucas, ou « Naskino », est un talent à suivre de l’esport. Atteint de surdité partielle, il dédie sa vie au jeu et aux solutions contre son handicap. Texte EVA MARTINELLO

Photo GO

Tous les combats ne se font pas dans un ring. Naskino, lui, les dispute devant son écran, manette à la main. Le joueur de 21 ans est passionné de la licence Super Smash Bros. ­depuis près de quinze ans, un jeu sur Nintendo Switch où deux joueurs s’affrontent dans une arène qui mêle combos de techniques, coups rapides, esquives et stratégie. Lucas est devenu l’une des étoiles montantes de la scène esportive (le jeu vidéo en compétition) lyonnaise et vise les sommets avec l’aide du club GO et de son coach. Le joueur se démarque par sa force stratégique et ses mécaniques sur le personnage Zelda. Son prochain défi : faire ses preuves à l’étranger en participant à un tournoi aux USA, la terre promise de l’élite sur Smash Bros. the red bulletin : Qu’est-ce qui vous anime dans l’esport sur Smash Bros. ? lucas/naskino : L’engouement et l’inattendu, clairement ! La communauté sait s’enflammer, que ce soit en tant que public ou joueur, ce qui donne lieu à des rebondissements et des upsets sans cesse. On ne peut pas se lasser de ce jeu, d’après moi. Que faut-il pour être un bon joueur d’esport ? Selon moi, le bon joueur est celui qui assimile vite tous les outils de son personnage et sait les utiliser à bon escient à tout moment. Le bon joueur a aussi une capacité d’adaptation rapide et sait se mettre dans la tête de son adversaire afin d’anticiper ses mouvements, ce qui n’est pas le cas du joueur moyen. La capacité d’adaptation est très importante dans Smash Bros. La différence se

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fait sentir en best-of-five en fin de tournoi (victoire à trois points, ndlr), car la capacité d’adaptation prime énormément. C’est celle-ci qui permet de remporter des tournois. Quelle place votre passion, le jeu, occupe-t-elle dans votre quotidien ? En dehors des tournois, je joue très peu à Smash Bros. Il y a eu une période où je jouais énormément pour m’entraîner, mais je jouais souvent contre les mêmes joueurs, ce qui me faisait prendre des mauvaises habitudes face aux nouveaux que j’affrontais après. J’ai compris que je n’avais pas besoin de jouer beaucoup pour conserver un bon niveau, et même progresser. De plus, peu jouer réduit mon stress en tournoi et me fait prendre plus de plaisir, ce qui me permet de jouer à mon maximum sans frustration. Quelles forces tirez-vous de la compétition ? Le soutien et la hype des participants sont magiques et donnent envie d’aller encore plus loin. Ayant un certain ego, j’aime particulièrement dominer mon adversaire lorsque les spectateurs le demandent. C’est ce qu’on peut appeler un coup de boost ! Considérez-vous la communauté Smash Bros. comme élitiste ? Quelle est l’ambiance en tournoi ? La communauté est agréable tout en ayant soif de progrès. La plupart des joueurs sont timides, ce qu’il faut comprendre, car beaucoup se sont réfugiés dans les jeux et les réseaux sociaux. Certains ont peur de déranger les joueurs de haut niveau car ils ne se sentent pas à leur hauteur, mais heureusement, les bons joueurs prennent le temps de les conseiller et les traitent d’égal à égal.

L’esport peut-il avoir ce rôle inclusif pour les personnes en situation de handicap ? Oui, car il s’agit généralement d’une échappatoire pour les jeunes, un bon moyen d’oublier leurs tracas. Ils peuvent profiter pleinement des moments esportifs et de l’engouement qu’ils n’ont pas forcément dans leur vie de tous les jours. Cela leur permet en plus de créer des contacts. Vous êtes aussi étudiant en audioprothèse. C’est important d’agir pour ceux qui sont atteints de troubles auditifs comme vous ? Oui. Ils ont surtout besoin d’interactions et de ne pas se sentir mis à l’écart. Ce sentiment arrive facilement, car le malentendant s’isole lors des conversations étant donné qu’il a du mal à suivre, se retrouve mal à l’aise et petit à petit, il s’isole de ses proches de manière générale. Dans beaucoup de jeux compétitifs, les sons du jeu et la communication avec les coéquipiers sont importants pour obtenir la victoire. Comment peut-on imaginer les rendre plus accessibles ? Un système Bluetooth. Les appareils d’aujourd’hui peuvent se connecter à la console, dont la Nintendo ­Switch depuis peu, pour intégrer le son directement aux aides auditives. Ça demande juste un peu plus de temps d’installation et connexion. Peut-on imaginer des tournois de « handi esport » ? Non. Les personnes en situation de handicap n’ont pas envie d’être mises à part vis-à-vis des personnes bien portantes.

teamgo.gg ; #gowin

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AURELIEN MIGNERAT

D’égal à égal

Vous êtes-vous déjà dit que le jeu en compétition n’était pas fait pour vous du fait de votre surdité ? Jamais, au contraire, car je me suis réfugié dans les jeux à cause de ça. De plus, les discussions sont faciles et avec beaucoup de personnes différentes à chaque tournoi, ce qui rend les rencontres et découvertes toujours agréables.


« Dans l’esport, la hype et le soutien sont magiques. » THE RED BULLETIN

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L’homme de là-haut Icône d’une performance extrême, GARY HUNT sera le local de la compétition de plongeon de haut vol Red Bull Cliff Diving à Paris, les 17 et 18 juin. L’Anglais devenu Français ‒ qui s’est perdu puis retrouvé ‒ explique comment souffler un bon coup et se savoir soutenu peut aider à se dépasser. Texte PH CAMY

Photos RICK GUEST


Un plongeur au top : Gary Hunt, 37 ans, spécialiste du haut vol, savoure une vue d’exception sur Paris.

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Gary Hunt

L

assé. Dans l’eau de cette piscine de Leeds, en Angleterre, Gary Hunt n’est pas à sa place. Enchaîner les longueurs, non-stop, durant ses cours de natation, n’est pas un plaisir pour ce gamin de 9 ans. Il voudrait s’arrêter de temps en temps, se poser avec un copain, discuter un peu avant de repartir. Mais ça n’est pas possible. Il doit nager. Là où il voudrait vraiment être, c’est là-haut : dans cet escalier qui mène aux plongeoirs. Parce que là-haut, les gars se parlent, rigolent. Et font des trucs incroyables.

Haut vol et point de croix

La besogne dénuée de plaisir ? Une vie professionnelle stressante ? Tel ne sera pas le schéma d’existence de Gary Hunt. Il a vu son père (qu’il perdra à l’âge de 18 ans) passer trop de temps sous la pression de son job chez British Telecom, son bureau à la maison débordant de dossiers, et son paternel trouvant visiblement peu d’épanouissement dans cette situation. La famille (Gary a deux sœurs aînées, Carolyn et Jeannette – comme cette dernière, il fera de la gym, du ballet et des claquettes) déménage dans le Nord, à Leeds, pour permettre à son père d’évoluer dans son job. Pour le bien de sa famille. Sa mère s’occupe des enfants. Elle a eu plusieurs emplois par le passé : secrétaire, mais aussi infirmière pour l’armée anglaise. Elle a même servi au Yémen, et failli y laisser sa peau. Gary explique qu’une grenade a explosé à l’endroit même où elle se trouvait quelques secondes avant de se réfugier dans un restaurant d’Aden, alors qu’une attaque éclatait. Gary, né à Londres le 11 juin 1984, n’est pas d’un tempérament explosif, mais l’un des gars les plus posés que vous pourriez rencontrer. « Je ne recherche pas du tout les sensations extrêmes ni à me faire peur… J’aime bien faire des 28

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« Le plongeon est comme un puzzle que ton corps doit réaliser. » Une vision : connu pour son approche unique du sport, le photographe Rick Guest a fait du mouvement de Gary Hunt une œuvre d’art.

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« Gary, c’est un mental de malade. » Clémence Monnery, coach de l’équipe de France de plongeon

Iconique : Gary Hunt en studio le 25 mars 2022 pour un photo shooting exclusif avec The Red Bulletin.


Gary Hunt

choses calmes, où tu ne penses à rien d’autre, nous dit-il en terrasse d’un café de Montreuil, par un frais et ensoleillé matin. Chez moi, je bricole, je fais du jardinage, et même du point de croix ! », révèle Hunt en souriant. Ce mec est unique. Les passants qui s’élancent vers leurs activités quotidiennes ce jour-là sont loin de s’imaginer le sien, de quotidien. En effet, Gary n’est pas dans la tenue pour laquelle il est connu à travers la planète : son mythique slip de bain. De rares professions (nageur, stripteaseur, sauveteur côtier...) autorisent le port de cet accessoire qui va à peu de monde. Gary est l’un des spécialistes du plongeon de haut vol, ou « high diving ». Ils sont une poignée dans le monde, capables de s’élancer d’une plateforme à plus de 20 mètres de hauteur, effectuer des vrilles et saltos insensées, à près de 85 km/h, et pénétrer dans une eau dure comme le béton, d’infimes secondes après avoir sauté. Ce format alliant performance extrême et spectacle intense, ce sont les Red Bull Cliff Diving World Series qui l’ont rendu populaire, avec leur compétition annuelle d’une dizaine d’étapes internationales, en bord de mer ou de fleuve. Depuis treize ans que Gary y participe, il s’y est imposé comme l’un des plongeurs les plus créatifs et appréciés, notamment pour son approche détendue (il lui est arrivé de faire des saltos sur la plateforme, à 27 mètres, là où vous n’oseriez pas juste vous tenir allongé). « Durant les épreuves du Red Bull Cliff Diving, certains plongeurs sont hyper concentrés, analyse-t-il, mais j’ai toujours joué le détendu, comme on dit : “Fake it until you make it!”. »

de 10 mètres. Il s’est élaboré une « liste de plongeons » qu’il veut maîtriser, pour atteindre le plus haut niveau. Ce qu’il fera, à 18 ans : l’équipe nationale anglaise de plongeon, parmi les athlètes concourants aux Championnats d’Europe et en Grands Prix. « À l’école, j’ai toujours aimé résoudre des problèmes, et à la maison j’aimais faire des casse-

« Je suis arrivé aux championnats du monde de plongeon de haut vol avec un t-shirt sur lequel j’avais écrit England. »

têtes, je demandais même à mes sœurs de me passer leurs devoirs de maths. Pour moi, le plongeon c’est comme un puzzle que tu demandes à ton corps de réaliser », explique Hunt à propos de sa passion pour ce sport. Un jour, entré dans sa vingtaine, ce « là-haut » l’appelle une nouvelle fois quand il est contacté pour remplacer un plongeur mythique blessé, Steve Black, au sein d’une compagnie de spectacles qui intègre des plongeons de haut vol. Gary étant vu comme « un peu fou » au sein des plongeurs anglais, et réputé pour ses évolutions audacieuses et créatives, son nom est naturellement évoqué pour assurer l’intérim de cet Australien, icône du plongeon de haut vol qui deviendra le mentor de Gary. Il rejoint d’abord Steve Black à Jesolo, en Italie, en 2006, qui l’initie au « high diving » dans le cadre d’un spectacle ayant pour thème les pirates. Et ça monte, 3, 8, 14, 20 mètres !

DEAN TREML/RED BULL CONTENT POOL

L’appel du là-haut

Avant de parcourir la planète pour l’observer de 27 mètres, il a fallu essayer à 1 mètre, dans cette piscine de Leeds où il s’est d’abord ennuyé. Définitivement lassé par les longueurs, le gamin demande à essayer le plongeon. Ses parents l’y autorisent, mais il pratiquera toujours la natation dans un premier temps, qu’il abandonnera finalement pour se dédier uniquement au plongeon. Ses aptitudes en gymnastique seront un atout. Quelques années plus tard, la famille se sépare, le père reste à Leeds, Gary (16 ans à l’époque), sa mère et ses sœurs s’installant dans le Sud, à Southampton, et le plongeur en ascension progresse dans son sport, jusqu’aux plateformes THE RED BULLETIN

Plongeoir avec vue : Hunt émerveille le public du Cap Dramont, à Saint-Raphaël, lors du Red Bull Cliff Diving organisé le 11 juin 2021.

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Gary Hunt

Sur le toit de sa discipline : devenu la référence du plongeon de haut vol, Gary pourrait vivre une consécration ultime à Paris.

­ auteur où peu de monde s’aventurerait H – quasi à poil… « Au début, ce qui est flippant, dit Gary, ça n’est pas vraiment la hauteur quand tu es sur la plateforme de plongeon, mais la montée pour y arriver, sur une minuscule échelle. En plongeon en piscine, pour monter au 10 mètres, c’est sur un large escalier. Là, c’était autre chose. » Et puis, il faut se lancer. La piscine en dessous, tout en bas, semble minuscule. La plateforme, 30 × 40 cm environ, également. « Grimper sur ce truc, où tu as juste la place pour mettre tes pieds, la première fois, c’est horrible, rembobine Gary. La plateforme bougeait… Mon cerveau se disait : “Qu’est-ce qui se passe ?!” Tu penses au pire. Et puis finalement, c’est bon, tu y vas. »

Gary s’est perdu

L’ambiance au sein de cette troupe, qu’il côtoie à une autre occasion, séduit Gary immédiatement : on jongle, joue de la musique, on boit des coups autour d’un 32

« Sur mon dernier saut, je me suis perdu, j’ai fait une vrille de trop. » BBQ ; il y a des Français, des Bulgares, des Russes. Toujours un pratiquant de plongeon « classique », il rejoint une autre compagnie, les Sokol, pour une série de représentations en France, à Maizières-lès-Metz, au parc d’attractions Walygator. Pas que pour plonger : pour ces shows en hommage au cinéma, Gary y donne un spectacle de marionnettes et de danse, un western show. Il fait aussi l’acteur. À Leeds, au théâtre de l’école, il a tenu un rôle dans le Petit chaperon rouge, celui d’une grand-mère karatéka (sic!), mais cette-fois, il sera T ­ arzan ! D’abord dissimulé dans la foule, sous

un costard, il est victime d’une tarte à la crème… et le voilà en mode poursuite, grimpant sur la fameuse minuscule échelle, pour redevenir un plongeur, avant d’effectuer le saut extrême qui clôturera le spectacle en laissant le public sans voix. Qui dit Tarzan, dit Jane... Sabine, une Française membre de la troupe. Ils sympathisent, et alors qu’ils se voient à Paris quelques mois plus tard, Sabine « loupe son train ». Ils ne se lâcheront plus. Gary s’installe en France en 2010, et se trouve un spot d’entraînement : les plongeoirs du stade nautique Maurice Thorez, à Montreuil, en banlieue parisienne. Le haut vol, ce pourquoi il participe aux Red Bull Cliff Diving depuis l’année précédente. Le « high diving » l’a accroché. À 27 mètres, au-dessus des flots et des foules, c’est chez lui. Hunt monte en puissance : il remporte la série internationale en 2010, 2011 et 2012, puis en 2014, 2015 et 2016. Gary Hunt est devenu un nom indissociable du plongeon de haut vol, une figure médiatique de la discipline. Et puis, Gary se perd… Un plongeon vient sérieusement remettre en question sa capacité à plonger. « C’était en 2017, sur la dernière étape du Red Bull Cliff Diving, au Chili. Sur mon dernier saut, je me suis perdu, j’ai fait une vrille de trop. » Se perdre, en langage de plongeur, c’est ne plus savoir où l’on en est de son combo de mouvements, en pleine action. Au cœur du risque. Il s’en sort bien, mais les jours à venir seront délicats. « L’hiver suivant a été horrible, explique Gary. À l’entraînement, je me perdais tout le temps. J’en étais arrivé au point de me demander si ça valait le coup de continuer le haut vol. » Dans un mix de doute et de détermination à se « retrouver », Gary repart quasi de zéro, reprend des plongeons sans vrilles, à des hauteurs de 5 ou 10 mètres, ne lâche rien (il évoque un travail « énorme »), pour retrouver les sommets du haut vol. Et le fait : il remporte à nouveau la série internationale du Red Bull Cliff Diving en 2018. Et remet ça en 2019 et 2021. Le boss du haut vol ne s’était finalement pas perdu trop loin.

Arrêter de compter

Ne pas « se perdre » en vol, c’est une chose, mais comment, avant même de se retrouver dans la situation où l’on ferait une vrille de trop, surmonter THE RED BULLETIN


« Respire, et vas-y ! »

C’est dans l’action, le plongeon lui-même, que Gary Hunt trouve de la plénitude : une zone de bien-être inconfortable, en quelque sorte.


« Quand tu ne peux plus reculer, c’est là que tes doutes partent. » La Seine pour témoin : Gary Hunt montera-t-il sur la plus haute marche du podium lors du Red Bull Cliff Diving à Paris le 18 juin ?

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Gary Hunt

toujours l’appréhension potentielle de plonger de plus de 20 mètres. Cela ne semble humainement pas possible. Pas pour Gary, qui durant de longues années, évolue sans coach, et applique une méthode : « Avant de plonger, je levais les bras, je comptais jusqu’à trois, et puis je me lançais. Mais bien souvent, je comptais jusqu’à 2, et puis je recomptais, une ou deux fois, et là, je me lançais vraiment. En fait, je n’arrivais pas à juste compter jusqu’à 3 et plonger », explique-t-il. En 2017, Thomas Pesquet racontait à The Red Bulletin comment, lors d’une première sortie dans l’espace (ou sortie extravéhiculaire), quelques minutes durant, le cerveau de l’astronaute lui interdit absolument de faire le moindre mouvement. Se jeter dans l’infini spatial, juste sécurisé par un simple harnais, c’est non ! C’est un peu le même cas pour un plongeur de haut vol. « Avant un plongeon, il peut arriver que tes jambes tremblent, car ton corps ne veut pas… C’est là que tu comptes dans ta tête, et que tu y vas. » Après quelques années, Gary a arrêté de compter. Pour souffler. Déroulé : il se positionne au bord de la plateforme, lève les bras, respire, souffle (une fois !) et se jette. « À ce moment-là, quand tu ne peux plus reculer, tu es beaucoup plus en confiance, tous tes doutes partent, et ton corps sait ce qu’il doit faire. » Dans les 27 mètres et 3 secondes qui le séparent de l’eau, Gary est dans sa plénitude. « Un moment agréable, très zen, un point de non-retour » : il agit, effectue ses vrilles comme instinctivement (il évoque une muscle memory, une mémoire musculaire) et assure ses réceptions. La position des mains bien collées au corps est cruciale au moment où le corps percute l’eau, sinon, vos parties intimes peuvent prendre cher… « C’est comme si on te donnait des coups de cutter sur les coui**es », explique Gary en se marrant (certains « mettent deux maillots », nous glisse-t-il).

Go with the flow

Dans tout ce qu’il entreprend – le piano auquel il s’est mis à l’âge de 30 ans, ou l’apprentissage du russe et de l’espagnol, plus récemment – l’athlète d’1,75 mètre sait qu’il faut du temps, de la régularité. « Mieux vaut en faire un peu chaque jour, régulièrement, dans la bonne direction, plutôt que d’en faire trop d’un coup. » Pour lui le but, THE RED BULLETIN

Son passé de gymnaste explique la capacité de Hunt à solliciter son corps d’une manière peu commune.

le résultat, n’est pas forcément l’essentiel : « Ton point final est moins important que le chemin parcouru, et il peut être décevant. Ne te concentre pas sur le résultat, mais amuse-toi sur le chemin qui t’y mène. Respire, et vas-y ! » Souffler un bon coup, et se lancer, telle pourrait être la méthode Hunt, à appliquer quand notre vie devient challenge, que l’appréhension d’une situation ou d’une opportunité nous pousse à rebrousser chemin plutôt que d’avancer. “Go with the flow”, dit-il. Une fois lancé, il faudra bien agir. Gary n’a jamais reculé ? « Peut-être,

« Être meilleur que moi-même, c’est ça, de la compétition. »

une fois… » Le coup du souffle, c’est un Chinois, Hui Tong, qui le lui a enseigné. Un coach qui a évolué avec l’équipe de France de plongeon, que Gary a officiellement intégrée en 2018 après qu’il a été naturalisé français. Il s’est d’abord approché des institutions du plongeon français vers 2014. Officieusement, en invité, il pouvait accéder aux installations de l’INSEP (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) pour s’entraîner avec les plongeurs hexagonaux, toujours bienveillants. Devenu français, son intégration à l’équipe a été officialisée. Et les coaches se succèdent ; mais l’un d’eux n’est pas des plus encourageants. Gary, qui évoque avec lui son envie de participer aux JO 2024 de Paris en plongeon de 10 mètres, ne se sent pas soutenu. « Il disait que j’étais trop vieux. Aux entraînements, je savais qu’il me regardait sauter, mais une fois que je remontais à la surface, il faisait comme s’il était occupé à autre chose, à regarder 35


Du jamais vu à Paris, mais le touriste qui passera par hasard aux abords du port Debilly devra se demander si cet impressionnant « plongeoir », face à la Tour Eiffel, a toujours été là. C’est là l’idée derrière le Red Bull Cliff Diving à Paris (première étape européenne de la World Series, qui en comptera huit cette saison) : offrir à l’élite internationale du plongeon de haut vol, féminine et masculine, un espace de performance hors du commun, au cœur de la capitale, en communion avec son architecture. Carte postale Pour ajouter au caractère unique de l’événement, il fallait proposer un set-up incroyable aux 24 plongeurs engagés, 12 hommes et 12 femmes, qui s’élanceront

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de deux plateformes (20 m pour les femmes, 27 pour les hommes) dotées d’une vue exceptionnelle sur la ville. Et pour ce Red Bull Cliff Diving à Paris, il ne s’agissait pas « juste » d’installer un plongeoir, mais aussi de trouver un endroit où la Seine fait au moins 5,5 m de profondeur, et y créer une infra­structure qui se fondrait dans ce quartier de carte postale, aux abords du Palais de Tokyo. Le montage de la structure (jusqu’à 90 tonnes, avec ses lests) prendra une semaine. Le matériel sera livré par voie fluviale, à même le port faisant face à la plateforme. Une approche écologique qui préfigure les activités aquatiques attendues lors de JO de Paris en 2024. Le projet du Red Bull Cliff Diving a débuté par une discussion avec la ville de Paris dès 2020, puis s’est

concrétisé grâce à une collaboration régulière avec elle, et les autres institutions et infrastructures (multiples) impliquées dans la gestion de l’activité commerciale et touristique du port Debilly. Tout prévoir Le caractère extrême de la discipline exigeant un niveau

de sécurité optimum, un directeur sportif se tiendra sur la plateforme lors de chaque plongeon, et au bas du plongeoir, on trouvera un directeur de la sécurité positionné sur un paddle à même la Seine. Dans l’eau, trois hommes grenouilles (les plongeurs doivent leur faire un signal OK après chaque saut). Aussi, deux zodiacs se tiendront prêts à l’action : dans chaque embarcation, on trouvera un médecin, prêt à prendre en charge le plongeur ou la plongeuse en cas de problème. À La Rochelle, en 2015, le plongeur américain Steven LoBue avait touché la plateforme avec sa tête en faisant un salto, scène impressionnante, mais sans gravité. Il faut aussi anticiper de potentiels mauvais « amerrissages » (ou bad landing).

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ROMINA AMATO/RED BULL CONTENT POOL

PARIS PLONGE DANS LE HIGH DIVING


Gary Hunt

ses ongles… » Motivé par sa nouvelle nationalité, son entrée en équipe de France et son projet olympique dans son pays d’adoption, Gary est pourtant face à un mur.

Mental de malade

Le haut vol arrive en ville : Gary Hunt à toute vitesse lors du Red Bull Cliff Diving à Boston, en 2013. Quand il percutera l’eau, sa vitesse sera de 85 km/h.

Familial et gratuit Des milliers de personnes sont attendus au port Debilly pour cette première historique, un show jamais proposé au cœur même d’une capitale européenne, dont les phases d’entraînement débuteront le jeudi 16 juin. Les qualifications auront lieu le vendredi et la finale (le grand événement) le samedi 18 juin. Pour les absents, une retransmission en direct sera proposée sur Red Bull TV, le samedi, grâce à un dispositif conséquent, composé, entre autre, de sept caméras sur site. Cette étape du Championnat du monde de plongeon de haut vol (avec un prize money identique pour les hommes et femmes), sera ouverte à tous, familiale et gratuite. Red Bull Cliff Diving à Paris, les 17 et 18 juin, Port Debilly ; infos sur redbull.com

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Il en a vu d’autres, qui ne l’ont pas stoppé : en 2013, alors sous les couleurs anglaises, il se voit offrir l’opportunité de participer aux Championnats du monde FINA de plongeon de haut vol à Barcelone, (dans le cadre des Championnats du monde de sports aquatiques) mais sa fédération montre peu de considération envers cette discipline qui n’est pas présente aux JO. Aucun moyen ne lui est alloué pour cette compétition. « Je suis arrivé aux Championnats du monde de plongeon de haut vol avec un simple tee-shirt sur lequel j’avais écrit England. » Il en repart avec une médaille d’argent, et sera champion du monde en 2015 et 2019. Après les JO de Tokyo en 2021, le staff du plongeon français évolue : une alliée entre en jeu . Clémence Monnery devient la coach de l’équipe de France de plongeon. Ancienne pratiquante de haut niveau, la Française a gravi les plateformes de l’encadrement fédéral des équipes de plongeon nationales. Cadre technique au sein de la fédération française de natation, elle accompagne aujourd’hui sept plongeurs et plongeuses, dont six ont le potentiel pour atteindre les JO en 2024. Gary la connaît déjà. Jusqu’alors coach des Juniors à l’INSEP, Clémence prenait sur ton temps perso pour venir le coacher à Montreuil. Et continue à faire preuve de bienveillance et de soutien à son égard. Alors qu’en Angleterre, son staff se fichait éperdument du plongeon de haut vol, et que ses entraîneurs français ne lui avaient jusque-là montré que peu d’intérêt, ­Clémence, curieuse, accompagne Gary sur une compétition de « high diving » à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, en décembre 2021. « Le haut vol est en plein essor, de plus en plus de pros s’y impliquent », explique-t-elle. En phase avec la spécialité de Gary, elle peut l’accompagner au mieux dans son projet olympique à 10 mètres. Les atouts de Gary ? « Ses multiples titres de champion du monde de high diving, et un mental de malade. C’est un plongeur atypique, qui ne s’entraîne pas comme tout le monde, du fait de son

âge. ­L’entraînement conventionnel, pour lui, c’est non. Il sait ce qu’il veut. » Elle insiste sur un point : « Quand Gary réussit quelque chose une première fois à l’entraînement, il n’a pas besoin de le reproduire à plusieurs reprises pour l’assimiler, il pourra le refaire en compétition. » La présence de Hunt au sein de son effectif est vue par Monnery comme une « plus-value ». « C’est une force dans l’équipe, et il est respecté. Notamment pour son parcours dans les séries Red Bull Cliff Diving. Il est hors norme. » Au-delà d’un soutien technique, c’est le support mental de Clémence que Gary apprécie. Elle n’a jamais pratiqué le plongeon de haut vol, mais croit en ses capacités pour les JO, où Gary pourrait représenter la France en plongeon solo, ou en synchro homme. « La route est longue, dit Clémence. Il y a beaucoup d’étapes à valider pour Gary d’ici là. » Mais à ses yeux, le projet du Montreuillois est viable, il en est capable, « encore dans le coup ». « Clémence a envie que je réussisse, explique Hunt. Il y a dix ans, je n’aurai pas eu besoin de cette motivation. Avec elle, j’ai envie de plonger. »

Meilleur que lui-même

Fort du soutien reçu, Gary en donne à son tour. « J’épaule les jeunes plongeurs de l’équipe de France et je pense qu’ils apprécient mon expérience. Je leur explique que certaines chosent qui peuvent leur sembler inutiles, ­pourraient les aider à progresser s’ils les maîtrisaient. Comme je l’ai fait avec ma liste de plongeons. » Ces athlètes, plus jeunes, poussent Gary Hunt à se « dépasser physiquement ». Et c’est parce qu’il plongera devant tous ceux qui l’accompagnent en France, que l’étape du Red Bull Cliff Diving, au cœur même de la capitale, en juin prochain, sera historique pour Gary. « Je vais venir comme je le fais toujours : pour être meilleur que moimême ; pas pour battre les autres, car c’est comme ça que je vois la compétition. Et pour offrir le plus beau des spectacles aux Parisiens, à ma famille et à mes amis », dit-il avant de retourner s’entraîner. Dans l’eau de la Seine, à Paris, entouré de la tour Eiffel et de dizaines de milliers de spectateurs abasourdis par ses plongeons hallucinants, Gary Hunt sera à sa place. Heureux. 37


En mode baston

La crème mondiale du cross-country revient ce printemps avec le coup d’envoi de la Coupe du monde UCI 2022. En attendant l’événement — ­entièrement retransmis sur Red Bull TV — voici une sélection d’instantanés de la saison 2021 en guise d’avant-goût. Une célébration du talent, de la performance et de la ténacité. Texte PETER FLAX Photos BARTEK WOLIŃKI/RED BULL CONTENT POOL

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Du cran, du vrai

Dans des conditions qualifiées par plusieurs médias de « bain de boue », l’Américaine Kate Courtney, championne du monde 2018, force le passage lors de la difficile étape de la Coupe du monde aux Gets, en France, le 4 juillet 2021.

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Cross-country

Plaisir féroce

Une solide neuvième place et un bain de boue complet, le Suisse Lars Forster, tout ­sourire à l’arrivée de la Coupe du monde aux Gets, en juillet dernier. Un mois plus tard, Forster s’adjuge les championnats européens en Serbie.

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La puissance en action

Poussé par un public bouillant, Vlad Dascalu marque les esprits lors des Championnats du monde UCI à Val di Sole, en Italie, le 28 août 2021 où il termine au pied du podium. Le Roumain ­décroche ensuite une deuxième place à Snowshoe, en Virginie-­ Occidentale lors de l’ultime étape de la saison. THE RED BULLETIN

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Retour gagnant

Tom Pidcock s’envole aux mondiaux des Gets en juillet, sa première participation à une course depuis sa fracture à la clavicule en mai. Le Britannique termine à la seizième place en short-track, un résultat de bon ­augure puisqu’il finit médaille d’or aux Jeux de Tokyo le même mois.

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Cross-country

Comme figée dans le temps

L’Espagnole Rocío del Alba García Martínez bataille seule lors de la manche UCI à Leogang, en Autriche, le 13 juin 2021. Elle se classe neuvième, mais se rassure en septembre en ­remportant le championnat ­national d’Espagne.

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Cross-country

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À bout de force

Evie Richards est exténuée après un week-end idéal à Snowshoe, en Virginie occidentale, en septembre 2021. L’Anglaise signe une double première place : short-track et cross-country, et boucle une année riche en victoires, ainsi qu’une deuxième place au classement général de la Coupe du monde.

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Contrôle total

Pauline Ferrand-Prévot sur une descente délicate lors des Championnats du monde UCI de Val di Sole, en Italie, en août 2021. La Française — la seule à avoir raflé dans une même saison le titre mondial en VTT, cyclo-cross et sur route — termine sixième ce jour-là, mais avec deux victoires au compteur depuis le début de la saison 2021.

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Cross-country

Shotgun !

Henrique Avancini, deux ­participations aux Jeux, ici en première ligne au départ de la Coupe du monde UCI à ­Albstadt, en Allemagne, le 7 mai 2021 où il termine dixième. En septembre, le ­Brésilien est premier à Lenzerheide, en Suisse.

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Cross-country

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Solide comme un roc

L’Autrichienne Laura Stigger ne ­ménage pas ses efforts lors de cette descente technique et rocailleuse pour décrocher l’argent aux Championnats du monde UCI de Val di Sole, en catégorie U23. En juin, Laura ­Stigger brille parmi l’élite à domicile à Leogang, où elle s’offre une impressionnante troisième place. THE RED BULLETIN

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Derrière l’écran : Fabio Wibmer, une superstar du VTT sur YouTube.


FABIO SUR UN ROCHER

« Ton premier million de vues, il n’y a rien de plus énorme ! »

L’art de transformer l’ambition en insouciante légèreté : « J’ai toujours voulu être meilleur que moi-même. » Rencontre avec l’Autrichien FABIO WIBMER à Monaco. Texte WOLFGANG WIESER

Photos LOTTERMANN AND FUENTES 51


Fabio Wibmer

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es rideaux des fenêtres grandes ouvertes sont agités par une brise tiède, des vêtements sèchent sur les balcons aux rambardes en fer forgé, des vagues bleu émeraude s’écrasent mollement sur la plage où deux jeunes naïades en bikini rient aux éclats. C’est le retour du printemps sur la Côte d’Azur. La lumière est éblouissante : il pleuvait lorsque j’ai quitté Vienne, en Autriche, et je n’ai pas pensé à prendre mes lunettes de soleil. Tout brille et rayonne, le soleil radieux rend heureux. Les étals du marché débordent de savons à la violette et à la lavande, la vie revient dans les ruelles étroites qui se remplissent du bruit des bavardages, les terrasses de bistrots débordent de moules frites et de poulpes à la plancha. Fabio sauce frenchy, me dis-je, ou presque : le virtuose du deux-roues de 26 ans vit en fait à Monaco depuis l’automne dernier. « Par chance, j’ai trouvé un appart super cool avec vue sur la mer, par chance. » Oui, il répète « par chance » deux fois, et ça fait tellement de bien qu’on va le laisser tel quel. « La première fois que je me suis réveillé et que j’ai vu la mer par la fenêtre, c’était plutôt sympa. » Lorsque je rencontre Fabio, il sort de douze heures de shooting avec le duo de photographes allemandes ­Lottermann & Fuentes à Monaco. Habituées à travailler avec des acteurs et des musiciens du monde entier, les deux femmes l’adorent. « Ce mec est trop sympa et trop chou. On sent qu’il s’investit. Il est très réservé mais très concentré. Et au moment du photo-shooting, il est là à cent pour cent. » 52

Fabio et moi nous entretenons longuement dans un hôtel de Nice. Fidèle à son habitude, il est vif, poli, attentif et pétillant de bonne humeur. Il raconte ses débuts, ses accidents et comment il a toujours essayé d’être le meilleur. Et au terme de notre interview, j’ai enfin compris comment Fabio a réussi à transformer son ambition en insouciante légèreté. Mais commençons par le commencement. C’est à toi, Fabio ! Je viens d’Oberpeischlach. C’est un tout petit village de 100 habitants à dix kilomètres de Kals am Großglockner (une commune du Tyrol oriental célèbre pour sa station de ski, ndlr). Quand on était gosses, on allait chercher des saucisses dans un snack à vingt minutes de là. Il fallait se farcir une longue côte, un vrai calvaire, mais au retour, on filait comme des fusées. Un jour, l’un de nous a fait un wheelie (roue avant en l’air, ndlr) sur deux, trois mètres. J’ai fait un ­premier record de sept mètres, et puis je suis passé à treize.

Quinze ans plus tard, ce gamin du Tyrol est devenu l’idole de toute une génération, avec des vidéos vues plus d’un milliard de fois et deux marques de vêtements florissantes à son actif, Sick, et Nineyard. Ce grand blond d’1,88 mètre est rarement à court d’idées, il note tout ce qui lui passe par la tête sur son téléphone (« un nombre de pages insensé »). Et quoi d’autre ? Fabio a remplacé les saucisses par les pâtes à l’arrabiata, aime les lions et les pissenlits et écoute Numb/Encore, de Linkin Park et Jay-Z en boucle. Et son film préféré ? La réponse fuse : « The Fast and the Furious 2 ! C’est un peu old school, mais très centré sur les courses de bagnole. » Retour au Tyrol. Mon village natal est un vrai village de montagne, avec des pentes partout. On passait notre temps à creuser comme des malades pour construire des tremplins, puis à faire des vidéos sur nos téléphones. C’était mon gros trip : enregistrer un truc et le montrer à tout le monde, du style hey, regarde ce qu’on a fait ! La vidéo de Danny MacAskill sortie en 2009 m’a

« Je voulais être meilleur que le jour d’avant, mais jamais je n’avais pensé pouvoir vivre du vélo. »

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Une incarnation de la détente : ­Wibmer porte un tee-shirt de sa collection Sick.


Fabio Wibmer

En route : Fabio dans le tunnel au port de plaisance.

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­ normément inspiré, elle s’intitule é Inspired Bicycles et comptabilise près de 40 millions de vues. Danny, c’est un vététiste écossais qui a tout révolutionné. On n’avait jamais vu ce genre de trucs, j’étais tellement scotché que je me suis dit : « C’est ça que je veux faire ! » Et à partir de là, j’ai passé mes journées sur le vélo. Fabio tourne Street Trial 2012, et envoie la vidéo à son idole Danny MacAskill sur facebook. Emballé, celui-ci partage la vidéo sur les réseaux sociaux. Le succès est énorme. Fabio s’en rappelle comme de son premier triomphe. Le second, c’est lorsqu’il remporte un concours organisé par les mythiques caméras GoPro. Il y participe en se disant que c’est l’occasion rêvée de « montrer aux gens ce que je peux faire sur un vélo ». FabiolousEscape le met en scène échappant à la police (avec notamment un stunt à couper le souffle où il roule en équilibre sur une mince planche en bois posée entre deux toits). L’idée, ou plutôt l’épiphanie, lui vient dans l’église près de chez ses parents, son endroit de prédilection pour méditer et réfléchir dans le calme. Il ne s’attend pas à ce que sa vidéo (à laquelle la moitié du village a participé) remporte le premier prix. Résultat : elle totalise actuellement plus de 94 millions de vues. J’ai toujours été très, très ambitieux. Toujours voulu être le meilleur. Et surtout meilleur que moi-même, ­meilleur que le jour d’avant. Mais vivre de mon vélo, non, je n’y avais jamais pensé… Jusqu’au premier sponsor, puis au premier manager, Rasoulution. Tarek m’a énormément aidé : c’est lui qui m’a découvert à l’époque. Sur la scène du bike, Tarek Rasouli est le plus grand manager d’Europe. Une étape décisive pour l’artiste en herbe (qui est, depuis, devenu son propre patron) : Fabio comprend qu’il peut transformer sa passion en business. Le succès endémique de ses vidéos entraîne un intérêt croissant pour le merchandising. Fabio développe des THE RED BULLETIN

concepts de casquettes. Il reconnaît volontiers n’avoir « aucun plan précis » au départ, mais finit là aussi par faire preuve d’une énorme ambition. Sa vie se résume alors au vélo, au montage vidéo et au design, triptyque idéal qui forme une seule et même image. Il réalise qu’il vient de trouver sa vocation autant que son métier. C’est alors qu’il est victime d’un grave accident en sautant d’un hélicoptère lors d’un tournage. Je suis longtemps passé entre les gouttes mais ça a fini par arriver en filmant FabiolousEscape II dans une station de ski. Le plan était de sauter d’un hélico avec le vélo à la main, de monter dessus pendant la chute et d’atterrir sur la neige. C’est passé crème jusqu’au moment où on a décidé de filmer la scène sous un autre angle. J’ai atterri sur la clavicule qui a cassé net. C’était la première fois que j’étais hors circuit

si longtemps. Ensuite, j’ai passé deux ou trois ans sans accidents, avec des petits bobos, bien entendu, mais rien de sérieux. Et puis on est allés en France, j’ai recommencé à faire du moto-cross pour m’habituer aux grands sauts. J’ai réalisé un saut où je mettais le bike en travers, trente, quarante fois de suite, sans problème, jusqu’au moment où je me suis pris dans le frein avant. Je ne sais toujours pas comment. Du coup, j’ai sauté et j’ai touché le sol d’abord avec mon pied (j’ai juste eu le temps de penser « Ça va faire mal ! »), puis avec ma tête, et puis plus rien. Conséquence : une grave fracture de la cheville. Pause vélo, rien d’insurmontable pour cet éternel optimiste qui se concentre sur d’autres projets et travaille sur des idées qu’il avait notées avant son accident. Petit à petit, tout se remet en place. Un jour, il a envie de « faire une petite sortie en bike » avec son ami et manager Alex, derrière chez lui, à Innsbruck. Sur le trail, il faut sauter entre deux arbres, ce que Fabio fait habituellement les yeux fermés, mais ce jour là, il atterrit contre un arbre. « Je me suis relevé et j’ai pensé : “C’est pas possible.” »

« Le plan ? Sauter d’un hélicoptère, vélo à la main, monter dessus durant la chute, puis atterrir sur la neige. » 55


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Montez avec Fabio : soleil, mer, ville… vivre à Monaco est pour lui un pur plaisir.

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Fabio Wibmer


Fracture de la clavicule, et nouvelle fracture de la cheville. Les médecins lui imposent le repos absolu. La bonne nouvelle, c’est qu’entre-temps, les vidéos de Fabio totalisent plus d’un milliard de clics sur YouTube. Il ne sait pas exactement quand il a atteint ce premier milliard. Ce dont il se souvient, c’est du premier million : il était alors à l’hôpital à cause de sa clavicule après la chute de l’hélico. Au lendemain de l’opération, il regarde son compte et constate qu’il a atteint le chiffre magique : « Rien n’est plus énorme que ton premier million de vues. » Ceux qui regardent ses vidéos admirent son insouciante légèreté. En réalité, elle est le fruit d’un travail acharné. Dans Home Office, il réalise vingt-et-un tricks différents. Le plus facile, un saut dans une piscine depuis le toit de sa maison, a marché du ­premier coup. Par contre, il lui a fallu lancer 430 fois une fléchette en direction de la cible avec la roue avant de son vélo pour qu’elle finisse par se planter dans le numéro 17. Il a essayé 600 fois de mettre une balle dans un panier de ­basket avec sa roue arrière. Ce n’est qu’au 601e essai qu’elle a atterri dans le panier. Pas trop démoralisant ? Non, ça va. Bien sûr que c’est relou quand t’essaies deux ou trois cents fois le même truc et que ça ne vient pas. Mais à un moment, ça passe presque et l’espoir renaît : « Ahah, si j’essaie assez longtemps, ça va le faire. » Et c’est évident que plus on se force à essayer quelque chose, plus le plaisir est grand quand on y arrive. Il s’agit donc de ce moment précis où il devient clair qu’un objectif est réalisable, de la gratification qu’on touche du doigt, de la certitude de s’être encore amélioré. Ou comme le dit Fabio : « D’être meilleur que moi-même. »

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« Plus on s’acharne à essayer un truc, plus le plaisir est grand quand on y parvient. »

Sur ses traces Trois vidéos qui révèlent une évolution étonnante de cet artiste du vélo. Pour vous émerveiller, scannez le QR code.

Street Trial 2012

A Day in My Life

Fabiolous Escape II

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Fabio Wibmer

HANNES BERGER

Prise d’air : Fabio gère une vingtaine de marches d ­ evant un mall de Nice.

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Un état qui nécessite un calme et une concentration absolus. Il en a bien conscience, et cela a motivé son déménagement à Monaco (sans compter sa chambre avec vue sur la mer). Quand il habitait encore en Autriche, les fans se succédaient devant sa porte. Impossible de sortir à vélo sans se sentir constamment observé : « J’avais du mal à en faire abstraction, ce qui a un peu freiné mon développement. Ici, je peux me recentrer plus facilement. » Il peut faire des figures sur la promenade ou un post Instagram dans le fameux virage de Loews (“was able to pop some wheelies again”, a-t-il écrit en légende). Ici, il peut essayer encore et encore et s’acharner à réinventer un Fabio toujours meilleur. C’est sur son bike qu’il

a appris que c’était possible, et que ces étincelles se répercutent aussi dans sa vie. Des évidences qui lui transmettent cette insouciante légèreté. Dans l’une des premières vidéos postées après son récent accident, on voit Fabio tout de blanc vêtu (vêtements ­Nineyard, évidemment) lancé sur un VTT Canyon de la même couleur, le pied droit serré dans une attelle, détendu, roue avant en l’air, wheeeeelie ! Ce n’est plus une question de sept ou treize mètres. Fabio peut désormais rouler aussi longtemps et aussi loin qu’il le souhaite.

Instagram : @wibmerfabio

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Le cran, c’est ne rien lâcher SARAY KHUMALO est la première femme noire africaine à avoir escaladé l’Everest. Son objectif n’a jamais été d’atteindre le sommet mais plutôt de transformer la vie des enfants d’Afrique du Sud. Texte MARK JENKINS

COURTESY OF SARAY KHUMALO

Photos ROSS GARRETT

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along the route, at airfields in the Faroe Islands, Greenland, Canada, the USA, Russia, Japan, Taiwan,


Sur le sommet du monde : Saray Khumalo célèbre la conquête de ­l’Elbrouz en 2014.


Hautes ambitions : ­Saray Khumalo veut ­devenir la première femme noire africaine à escalader les Sept sommets et à atteindre les deux pôles.


Saray Khumalo

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n est aussi loin de la civilisation qu’il est possible de l’être en Afrique du Sud, au fin fond des montagnes sinistres et ruisselantes du Drakensberg et pourtant, Saray Khumalo est toujours à pied d’œuvre. Quand son téléphone portable capte un signal, elle l’utilise. Quand il pleut à verse, elle ouvre son parapluie et passe à travers les flaques d’eau. Le soir, je l’entends travailler dans sa tente. Khumalo, 49 ans, est une ancienne cadre du monde de la finance et de l’assurance, et vit à Johannesburg. Elle est également la ­première femme noire d’Afrique à avoir atteint le sommet de l’Everest. Khumalo a gravi l’Everest par la voie traditionnelle de l’arête sud-est en 2019, après trois tentatives difficiles et échouées en 2014, 2015 et 2017. Étant donné que l’Afrique est un continent comptant 54 pays et 1,4 milliard de personnes, il est sidérant qu’il ait fallu autant de temps pour qu’une Africaine réalise cette ascension. Mais il est logique que Khumalo soit justement celle qui l’ait fait : sa détermination est aussi discrète qu’indéfectible. Bien qu’elle soit brillante, élégante, cosmopolite et un exemple de réussite, une fois en montagne, elle souffre comme tout bon alpiniste. Saray Khumalo sait aussi se débrouiller dans une salle de réunion et connaît la valeur des relations publiques. Elle sait mieux que quiconque comment tirer parti de son succès en montagne pour atteindre un objectif plus large. Après tout, elle n’est pas là pour la gloire mais

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plutôt pour offrir des bibliothèques et des possibilités aux enfants noirs pauvres d’Afrique du Sud. Elle grimpe pour eux. Nos débuts dans le Drakensberg sont plutôt modestes. Au cours des cinq derniers mois, Saray (prononcez « Sarah », en roulant le « r ») a organisé des randonnées le week-end, dans l’espoir de préparer une équipe de débutants à un trek dans le Drakensberg. Tous les participants sont des Sud-Africains noirs ou des Indiens qui ont réussi – consultants en informatique, cadres d’entreprise, PDG. Ils ont un bon équipement et la possibilité de prendre une semaine de vacances. Les listes de colisage et les conseils ont été envoyés par courriel des semaines à l’avance. Le voyage est dirigé par ­Khumalo et Sibusiso Vilane, 51 ans, le premier Noir africain à avoir escaladé l’Everest et les autres montagnes des Sept sommets (les plus hautes de chacun des sept continents) : l’Aconcagua, le Denali, le Kilimandjaro, l’Elbrouz, le mont V ­ inson et le Puncak Jaya (aussi appelé la pyramide Carstensz). Un jeune guide local nommé Lungela et deux porteurs complètent l’équipe. Le premier jour est un désastre. Notre objectif était de marcher jusqu’au bord de l’escarpement du Drakensberg, mais en fin d’après-midi, nous sommes loin du compte. Nous sommes pris au piège dans un ravin étroit et escarpé sous une pluie froide qui tombe latéralement et il fait de plus en plus noir. Nous aurions dû nous arrêter il y a des heures, mais il est maintenant trop tard. Khumalo et moi décidons de partir immédiatement à la recherche d’un emplacement pour le campement, mais il n’y en a pas – les flancs de la montagne sont trop abrupts. Vilane répète que le sommet de l’escarpement n’est pas loin. « C’est juste là », crie-t-il en montrant une entaille dans la ligne d’horizon brumeuse. Mais c’est trop loin pour ces novices. J’apprendrai plus tard que nous sommes arrivés à la mauvaise saison dans le Drakensberg (les « montagnes du ­dragon » en afrikaans), la chaîne de

La détermination de Khumalo est aussi discrète qu’indéfectible.

­ ontagnes la plus élevée d’Afrique du m Sud, avec une muraille de montagnes de plus de 1 000 km de long semblables à des châteaux et avec des gorges profondes. Nous sommes en novembre, au début de l’été, à la période où il pleut sans discontinuer. Et quand on grimpe au-dessus de 3 000 m, le plus souvent, cela signifie de la neige. À la tombée de la nuit, nous sommes dangereusement coincés dans le ravin abrupt. En regardant vers le bas, nos lampes frontales, semblables à des étoiles à peine visibles, révèlent que certains membres de notre équipe sont encore en train de trébucher sur les éboulis glissants, tandis que d’autres se sont simplement arrêtés comme des bêtes de somme épuisées, écrasés par le poids de leurs lourds sacs à dos. Je dépose mon sac au bord de la gorge et redescends. Je récupère d’abord le sac de Metsi et le remonte, puis celui de ­Kholiwe, puis je découvre Beaula assise dans l’obscurité dans une crevasse. Sa lampe frontale ne fonctionne plus. Les piles sont mouillées. Une fois séchées, elles fonctionnent à nouveau, et Beaula poursuit vers le haut pendant que je ­descends récupérer un autre sac. Il est minuit lorsque nous établissons enfin notre camp au sommet de l’escarpement. La plupart des membres de l’équipe n’ont pas la moindre idée de la façon de monter leurs tentes. Le vent et le grésil n’aident pas non plus. Finalement, tout le monde est installé dans son abri en nylon, grelottant dans son sac de couchage humide, trop épuisé pour bouger. Les deux cuisiniers et les porteurs sont trop fatigués pour faire bouillir de l’eau et préparer le dîner.

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e lendemain matin, nous avons un cruel besoin de soleil, mais il bruine. Les porteurs parviennent à préparer une marmite de pâtes immangeables et je leur apporte de l’eau des flaques des rochers pour préparer du thé pour tout le monde. Vilane est de bonne humeur et Khumalo est impassible, comme il sied à leurs caractères, mais tous les autres sont aussi moroses que le temps. Nous plions bagages et partons le long de la crête du Drakensberg, découragés et au ralenti. C’est un début comiquement misérable pour notre équipe de néophytes. La dernière fois que je suis venu dans le Drakensberg, c’était en 1987, quand l’apartheid déchirait le pays. Mon père, 63


« Je ne grimpe pas pour moi, mais pour chaque enfant noir d’Afrique du Sud. » un professeur de mathématiques, enseignait à des professeurs de mathématiques noirs à Soweto, le ghetto de ­homelands le plus dangereux au monde. Les homelands, comme les réserves indiennes aux États-Unis, avaient été créés pour forcer les Noirs à quitter l’Afrique du Sud blanche. La police blanche tuait sans discernement les jeunes Noirs et, en représailles, les jeunes Noirs tuaient des Blancs au hasard. Tout le monde voyait une guerre civile se profiler à l’horizon. Les Blancs craignaient que les Noirs sortent vainqueurs du conflit pour ensuite les traiter avec la même brutalité dont ils avaient fait preuve dans leur traitement des Noirs. Un homme, cependant, pensait que son pays valait mieux que cela et envisageait un avenir plus prometteur : Nelson Mandela, bien qu’en 1987 il avait déjà passé vingt-quatre ans en prison et qu’il allait encore y rester jusqu’en 1990. Ignorant les dangers manifestes, mes frères et moi avons traversé à vélo l’est de l’Afrique du Sud, de la côte de Durban à Johannesburg, en passant par le cœur de l’ancien Zululand, et nous avons été reçus avec la plus grande gentillesse. Nous avons mangé ce que les habitants locaux mangeaient : du biltong (de la viande séchée), de la meilie pap (une bouillie de maïs) et des tripes, et dormi dans les rondavelles de boue séchée et de chaume des villageois. Nous avons entendu les voix de Ladysmith Black Mambazo sur des radios à piles et respiré les gaz d’échappement bleus des bakkies (petites camionnettes) surchargés avec des fermiers entassés dans leurs lits. Quelques semaines plus tard, je me suis rendu dans le Drakensberg avec le futur président du Mountain Club of South Africa (MCSA), Paul Fatti, et j’ai escaladé l’arête nord de l’Eastern ­Injisuthi Triplet, une voie difficile de huit longueurs de corde que Fatti avait créée dix ans plus tôt. C’était une escalade alpine typique du Drakensberg : basalte vertical glissant, longues coulées, mouvements délicats en s’agrippant aux 64

Leader : Khumalo s’est engagée à créer une communauté pour les athlètes outdoor noirs.

herbes, et j’ai adoré. Je me suis juré de retourner dans le Drakensberg l’année suivante.

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élas, le travail et la vie m’ont conduit ailleurs, mais l’Afrique du Sud – un pays qui pourrait apprendre à ma propre nation tant de choses sur la vérité et la réconciliation – est restée dans mon cœur. Aujourd’hui, près de 35 ans plus tard, j’y suis de retour. Depuis, l’apartheid a été vaincu, Mandela a ouvert une voie pacifique et Saray Khumalo, la première femme noire africaine à atteindre le sommet de l’Everest, a essayé de donner un élan à une nouvelle génération d’athlètes outdoor noirs . « Nous devons construire notre communauté de plein air à partir de zéro », me dit Khumalo, grande, forte et impressionnante, le deuxième jour de notre randonnée dans le Drakensberg. Il pleut toute la journée. Je marche d’abord avec Metsi Makhetha, 55 ans, qui, contrairement aux autres, est une randonneuse accomplie et en pleine forme. Elle a travaillé pour les Nations unies pendant vingt-cinq ans et a vécu

dans le monde entier. Elle a récemment été affectée au Burkina Faso en tant que coordinatrice résidente de l’ONU. Makhetha a grandi à Soweto où ses deux parents, actifs sur le plan politique, ont été emprisonnés par le gouvernement de l’apartheid. Lorsqu’elle avait onze ans, la police est venue chez elle au milieu de la nuit. Makhetha a dit à sa mère de se cacher et s’est tenue dans l’embrasure de la porte, mais les policiers sont passés devant elle, l’ont attrapée et l’ont traînée hors de la maison. « J’essayais d’arrêter cet énorme policier afrikaner, raconte-t-elle. Et puis j’ai regardé dans ses yeux, et vous savez ce que j’y ai vu ? De la peur. Il savait qu’il commettait une injustice. Je n’ai jamais oublié cela. » Makhetha a passé sa carrière à l’ONU à œuvrer pour l’égalité et la justice, des lois sur le logement équitable en Afrique du Sud aux politiques énergétiques pour l’ensemble du continent. « Ce pays compte des femmes fortes et déterminées, dit-elle. Et Saray est l’une d’entre elles. » Des heures plus tard, nous sommes toujours en train de patauger dans la boue et j’essaie d’amener THE RED BULLETIN


Saray Khumalo

­ humalo à parler de son ascension de K l’Everest. Elle marche avec détermination et ne discute guère avec qui que ce soit. « L’Everest est une métaphore », dit-elle, admettant qu’elle n’est pas vraiment une grimpeuse de rochers ou de glace : elle escalade des montagnes, des grandes montagnes. Khumalo préfère parler des organisations caritatives qu’elle finance grâce à ses ascensions. « L’éducation a toujours été et reste ma priorité – l’éducation et la représentation », déclare-telle en soulevant son parapluie pour me regarder droit dans les yeux. Dès le début de sa carrière d’alpiniste, Khumalo a grimpé dans un but précis. D’ailleurs, sa fondation s’appelle Summits With a Purpose (trad. des Sommets avec un but). En 2012, elle a escaladé le Kilimandjaro afin de récolter des fonds pour la construction d’une bibliothèque pour Kids Haven, un foyer pour les enfants des rues de Benoni, une ville pauvre juste à côté de Johannesburg. Après son ascension, elle s’est rendue à Kids Haven pour y donner un programme et, une fois celui-ci complété, une jeune fille noire lui a dit : « Les gens THE RED BULLETIN

comme vous ne font pas ce genre de choses. » Khumalo était stupéfaite. « Elle voulait dire que les Noirs ne font pas ce genre de choses. Et elle avait raison. Elle n’avait jamais vu quelqu’un comme moi. » Cet enfant a changé la vie de ­Khumalo. « J’ai décidé que je ne pouvais plus vivre dans un monde où nous étions limité(e)s, pire : où nous nous limitions nous-mêmes à cause de la couleur de notre peau. J’ai deux fils. J’avais besoin de leur léguer un monde meilleur. » En 2014, Khumalo a tenté l’Everest pour la première fois, afin de récolter des fonds pour le Lunchbox Fund, un programme qui fournit des repas scolaires. « Quand on a faim, on ne peut pas apprendre », dit Khumalo. Elle se trouvait au Base Camp le 18 avril 2014, lorsque la cascade de glace du Khumbu s’est effondrée, tuant seize sherpas. C’était la fin de cette expédition, mais Khumalo a tout de même réussi à collecter des fonds pour fournir 60 000 repas scolaires grâce au Lunchbox Fund. Elle est retournée sur l’Everest l’année suivante pour recueillir des fonds pour le projet de bibliothèque scolaire Nelson Mandela qui dessert plus de 200 000 enfants. Le 25 avril 2015, le Népal a été frappé par un séisme de 7,8, et vingt-deux personnes sont mortes dans des avalanches sur l’Everest. Là encore, elle n’a pas approché le sommet, mais elle a récolté suffisamment d’argent pour construire sa première bibliothèque. « Saray était profondément engagée, nous dit Robert Coutts, directeur général du projet Mandela. Elle a donné sa parole et n’a jamais abandonné. C’est devenu un partenariat assez important pour nous. » L’Afrique du Sud compte 48 millions de citoyens noirs et quatre millions de Blancs. Seuls 14 % des élèves noirs terminent leurs études secondaires, contre 65 % des élèves blancs. Près de 80 % des étudiants sud-africains n’ont pas accès à une bibliothèque. Et plus de 14 % des Sud-Africains noirs sont analphabètes, un taux 45 fois supérieur à celui de la

« L’Everest est une métaphore. Mon objectif reste l’éducation. »

population blanche. « Mon objectif est de faire en sorte que la prochaine génération d’enfants noirs puisse atteindre ses propres objectifs, déclare Coutts. Et ils ne peuvent pas le faire sans éducation. » Nous avons passé toute la journée à marcher sous une pluie froide et battante sur une piste boueuse. L’humeur des membres de l’équipe est tout aussi sombre qu’elle l’était lorsque nous avons entamé notre journée à cinq heures ce matin. Personne n’a envie de rester sous la pluie à discuter – nous sommes déjà trempés jusqu’aux os – alors nous nous retirons tous dans nos tentes et prions pour que le soleil brille.

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e lendemain matin, aussi incroyable que cela puisse sembler, le soleil apparaît et les sourires aussi. Tout à coup, tout le monde devient volubile. Je vois certains de nos débutants se dire que porter un sac à dos n’est finalement pas si mal. Vilane réunit l’équipe en cercle et veut parler de la signification d’un seul mot : le cran. Nous sommes tous invités à donner notre définition du mot. Quand c’est le tour de Khumalo, elle s’avance, regarde tout le monde, marque une pause, puis dit seulement : « Ne rien lâcher. » À ce moment, comme sur commande, de gros nuages apparaissent à l’horizon et des gouttes se mettent à tomber. Après le récent déluge, nous sommes tous méfiants, mais la situation ne s’envenime pas. Nous avons même droit à quelques rayons de soleil au cours du déjeuner. Myeza Sabelo, un ingénieur et le seul à garder toujours le sourire, coupe des bandes de biltong pour tout le monde. Nous prévoyons de traverser le Thabana Ntlenyana qui, avec ses 3 482 mètres, est le plus haut sommet d’Afrique australe. Sabelo mène la charge en criant : « On prend le taureau par les cornes ! » Au sommet, il se réjouit, malgré la grêle qui nous pique le visage, et je réalise que Khumalo a une fois de plus réussi. Myeza est un converti. Il reviendra ici à la prochaine occasion. En me frayant un chemin dans la neige, je m’entretiens avec Khumalo et sa saga de l’Everest. Nullement découragée par les échecs de 2014 et 2015, elle y est retournée en 2017. Cette fois, son plan était de recueillir suffisamment de fonds pour construire trois bibliothèques pour le projet Mandela. « Je ne grimpe pas pour moi, explique-t-elle. Je grimpe pour chaque enfant noir d’Afrique du Sud. » 65


« Je ne pouvais plus vivre dans un monde où nous étions limité(e)s à cause de la couleur de notre peau. »


Saray Khumalo

Survivante : Khumalo (à gauche) sur l’Everest après l’avalanche de 2015.

En 2017, elle est parvenue au Sommet Sud, tout près du sommet absolu, avant que des vents violents ne lui fassent rebrousser chemin. Quelque part en dessous du « Balcon », à environ 8 200 mètres, elle s’est effondrée et a perdu connaissance. Son sherpa a mobilisé d’autres personnes au camp IV et ils ont pu la redescendre et l’installer dans une tente, mais ils l’ont ensuite tout simplement laissée là. Inerte, elle a passé la nuit sur la neige gelée, sans sac de couchage. Le lendemain matin, un sherpa nommé Lakpa l’a trouvée dans la tente, l’a touchée et elle a bougé. « Oh, tu es vivante ! » lui a-t-il dit, surpris. « Bien sûr que je suis en vie », a répondu Khumalo.

COURTESY OF SARAY KHUMALO

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vec l’aide de sherpas, elle est redescendue au camp II, mais elle avait perdu les coquilles de ses mitaines et s’était gelé les doigts. Deux doigts de la main droite et le bout de deux doigts de la main gauche durent être amputés dans un hôpital de Katmandou. « C’est à ce moment-là que l’Everest est devenu un enjeu personnel, poursuit Khumalo. J’avais un compte à régler. » Elle a néanmoins récolté l’argent nécessaire à la construction de trois bibliothèques pour le projet Mandela. « Il est rare de rencontrer une personne aussi exceptionnelle, dit Coutts. Saray ­Khumalo y croit, et elle agit. » Des bergers locaux du Lesotho se ­présentent à notre camp lors de notre

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« À un moment, l’Everest est ­devenu un enjeu personnel. » troisième nuit et, prenant pitié de nous, font un feu. Seuls quelques randonneurs quittent leur tente pour se tenir sous la pluie près du feu, mais Kholiwe Makhohliso, 46 ans, est l’une d’entre eux. Elle chante doucement autour du feu de camp. « C’est Empini, de Kelly Khumalo », me dit Makhohliso. Kelly Khumalo est une célèbre chanteuse pop zouloue et les paroles du refrain d’Empini sont : “Ng’yathemb’ uyabona [j’espère que tu vois], sofela khon’ empini [nous mourrons au combat], ngeke baskhona [ils ne nous vaincront pas].” » La journée est une lente randonnée dans un épais brouillard pour atteindre une auberge en pierre qui abrite « le plus haut bar d’Afrique ». Je marche à nouveau avec Khumalo, et elle me parle enfin de sa quatrième et dernière tentative sur l’Everest. Encore une fois, au lieu de parler de l’ascension elle-même, elle veut d’abord parler d’éducation. « Cette fois, j’ai décidé de recueillir des fonds pour iSchoolAfrica, développet-elle. Je veux changer le discours au

sujet de l’éducation en Afrique du Sud. » iSchoolAfrica a été fondée pour combler le fossé numérique entre les étudiants blancs et noirs en fournissant des iPads aux écoles défavorisées. Après ses trois tentatives sur l’Everest, Khumalo était mieux préparée, physiquement et mentalement. Elle avait retenu la leçon et connaissait la stratégie nécessaire pour réussir sur une montagne fortement surpeuplée. « Nous avons devancé la foule et atteint le sommet en 11 heures depuis le camp IV le 16 mai », se souvient-elle. Au cours de la descente, son masque à oxygène a gelé et elle est devenue gravement hypoxique, mais elle a réussi à descendre vivante, contrairement à l’un de ses coéquipiers, Seamus Lawless. ­Personne ne sait exactement ce qui s’est passé, mais Lawless, un professeur adjoint travaillant dans le domaine de l’intelligence artificielle au Trinity College de Dublin, s’est à un moment donné détaché des lignes fixes sous le Balcon et a été emporté par le vent. « Nous avons cherché son corps, mais ne l’avons jamais trouvé », dit Khumalo.

M

algré cette tragédie, elle a une nouvelle fois rempli son engagement envers iSchoolAfrica, en aidant l’organisation à acheter des iPads pour un certain nombre d’écoles. « Je pense qu’il n’arrive rien que nous ne puissions gérer, déclare ­Khumalo. Tout est là pour nous apprendre quelque chose. Nous pouvons choisir de regarder les aspects négatifs et ne pas grandir, ou regarder tous les aspects positifs qui font de nous de meilleures personnes. Si je ne faisais pas cela, je ne serais pas saine d’esprit. » C’est essentiellement le discours qu’elle a tenu à notre équipe deux jours plus tard, à la fin de notre trekking laborieux et humide à travers le Drakensberg. L’Everest n’est qu’un début pour Saray Khumalo. Elle a maintenant pour objectif de devenir la première femme noire ­africaine à escalader les Sept sommets. Elle a fait l’Everest, l’Aconcagua, le Kilimandjaro et l’Elbrouz, et il lui reste le Denali, le mont Vinson et le Carstensz. Elle veut les faire tous en 2022. Après cela, elle prévoit de devenir la première femme noire africaine à réaliser le Grand Chelem de l’aventurier : les Sept sommets, plus les pôles Nord et Sud. D’ici là, elle pourrait bien avoir formé la moitié des enfants d’Afrique du Sud. Instagram : @saraykhumalo 67


COURS, FLO, COURS !


FLORIAN NEUSCHWANDER raffole des distances de 100 kilomètres et plus. Le coureur d’ultramarathon sait relever les défis les plus difficiles avec une méthode : s’amuser. Texte ALEXANDER NEUMANN-DELBARRE Photos NORMAN KONRAD

Flo, 40 ans, détient le record du monde des 100 km sur tapis et a remporté l’argent aux championnats du monde de trail.

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Florian Neuschwander

« Des plans d’entraînement élaborés ? Non merci ! »

L

a plus grande course de sa vie n’est pas celle qui l’a vu traverser les Rocheuses pour franchir la ligne d’arrivée en vainqueur après 6 jours et 192 kilomètres d’une course folle. Ni celle où, au bout de vingt heures dans la Sierra Nevada, il a cru apercevoir des yeux de puma l’observer dans l’ombre (rassurez-vous, c’était juste des coyotes). Encore moins celle qui l’a consacré vice-champion du monde d’ultra-trail au Pays de Galles en 2013. La plus grande course de Florian Neuschwander s’est déroulée en Allemagne, et l’a mené de Trèves à sa ville natale de Neunkirchen, un lundi matin. Trois jours plus tôt, son blog avait dépassé les 99 000 clics. « À 100 000, je tenterai ma première course de 100 kilomètres ! », écrit-il à ses followers. Le samedi, c’était chose faite. Le dimanche, l’itinéraire planifié à l’improviste était prêt. Et le lundi, il s’élançait depuis son domicile de l’époque à Trèves jusque chez sa mère à Neunkirchen : 100 kilomètres. Liberté, aventure, communauté (et un chrono de dingue) : cet ultramarathon réalisé en février 2014 réunissait tous les ingrédients que Flo aime dans la course à pied. « C’était une course vers l’inconnu, se souvient-il. Beaucoup d’amis m’ont rejoint sur ce parcours que j’ai avalé en 7 heures et 59 minutes. Un pur bonheur ! »

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C’est la formule Neuschwander : du fun, de la créativité et le succès au bout du chemin. Vous ­voulez savoir comment atteindre vos objectifs ? Allez lire un livre de ou sur Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon. Vous voulez atteindre ces mêmes objectifs en vous éclatant ? Allez voir Flo !

Diviser le chemin vers l’objectif final en petites étapes

Ces dernières années, on n’a pas hésité à qualifier ce coureur tatoué à la moustache eighties de « rock star de la course à pied ». Foutaise. Les tatouages ne font pas le rockeur. Avec son bandeau, ses lunettes et son sourire décontracté, Flo, 40 ans, n’est pas le showman survolté décrit par certains médias, au contraire. Certes, il est l’un des coureurs les plus connus d’Allemagne, mais lorsque nous le retrouvons près de Chiemsee, la « mer bavaroise », c’est un homme détendu, paisible et joyeux qui se présente à nous. Depuis que sa victoire à la Wings for Life World Run en 2015 (course pour la recherche sur les lésions de la moelle épinière, où la ligne d’arrivée vous rattrape) l’a propulsé sur le devant de la scène, il est devenu pour ses fans une sorte d’allégorie du « courir en s’amusant ». Au diable les conventions archaïques et les programmes d’entraînement millimétrés. Loin de se spécialiser dans une discipline, Flo participe aussi bien à des courses de 10 kilomètres qu’à des ultra-marathons, parcourt routes et sentiers, court dans les parcs avec ses followers ou dans les montagnes avec le gratin de l’ultra-trail. Il se fie davantage à son instinct qu’à un programme d’entraînement. Sur les médias sociaux, sa bonne humeur est tellement contagieuse qu’il a plus de 100 000 followers rien que sur Instagram, soit quatre fois plus que le marathonien allemand le plus titré. THE RED BULLETIN


La moustache années 80 de Flo fait partie de son identité.


Florian Neuschwander

Comment devient-on le coureur le mieux luné ­d’Allemagne ? « En fait, quand j’étais petit, je voulais devenir archéologue », dit-il en riant. Il adorait Indiana Jones et les activités à l’air libre, tennis, BMX ou pêche. À seize ans, Flo assiste à une course en forêt quand on lui propose d’y participer. Spontanément, en jeans, Flo s’exécute et s’amuse comme un fou. Très vite, il participe à sa première course officielle de 2 kilomètres qu’il remporte haut la main. Adieu, l’archéologie ! « J’ai très vite rêvé d’en vivre, mais plutôt que de me fixer sur cet objectif final, j’ai continué à mon rythme, petit à petit, en regardant où cela me menait. » Instinctivement, Flo adopte déjà une tactique qu’il recommande aujourd’hui à tous ceux qui veulent atteindre un objectif important, au travail comme dans le sport : diviser le chemin en petites étapes pour rendre la distance plus supportable. Une technique qu’il applique désormais de manière délibérée, comme lors de son record du monde des 100 kilomètres sur tapis roulant en 2021. « Je savais que les 60 premiers kilomètres seraient faciles : je parcours souvent cette distance à l’entraînement. La deuxième étape, du kilomètre 60 au kilomètre 85, allait faire mal, c’était clair. Mais je visualisais déjà la troisième étape, soit les 15 derniers kilomètres. Là, ça va toujours parce qu’on touche au but et qu’avec un peu de chance, on rentre dans le flow. »

Trouver son propre rythme

Lorsqu’il débute sur des distances de 800 ou 5 000 mètres, le niveau de la compétition est élevé. Beaucoup courent plus vite que lui. Mais ces jeunes prodiges finissent par perdre l’envie de se torturer pour la compétition, tandis que Flo continue de courir et de s’améliorer. « Je me suis toujours débrouillé pour courir en me faisant plaisir, et c’est encore le cas aujourd’hui. » Cela lui permet de persévérer pour faire partie des meilleurs. Suivre aveuglément les programmes d’entraînement de ses coachs ? Non merci. Flo fait le nécessaire, mais s’autorise certaines libertés. Plutôt que de répéter des intervalles à l’infini sur la piste, il ­préfère courir en forêt, suivre son rythme et ce qu’il a en tête. Cette attitude passe mal auprès de ses

« On discutait avec les jambes, en avalant les kilomètres sans s’en rendre compte. » 72

« Ressasser ne sert à rien, c’est perdre de l’énergie. » coachs, Flo décide alors de faire cavalier seul. « Ce besoin de faire ce que je veux est venu très tôt, je n’ai jamais essayé de le brider. » Une décision parfois synonyme d’infortune. Blessé au cours d’une séance de trampoline, Flo abandonne ses études de sport et s’oriente vers un stage de vendeur dans un magasin de sport. Rebelote pour les Jeux olympiques. Ses titres de vice-­champion d’Allemagne junior du 10 000 mètres et du semi-marathon ne suffiront pas pour se qualifier dans l’équipe olympique masculine. Comment gère-t-il cela ? « Je tire rapidement un trait sur les échecs. Ressasser ne sert à rien, c’est de l’énergie perdue. » Une énergie qu’il préfère consacrer au sport. Après les moyennes et longues distances, Flo se lance bientôt dans les courses d’ultra (ces distances qu’on parcourt normalement en train) et n’hésite pas, même en dehors du sport, à sortir de sa zone de confort : il déménage à Munich, Londres, Trèves, puis Francfort, travaille plusieurs années dans des magasins de sport et passe le reste de son temps à courir. Il fait souvent le trajet boulot-maison en courant. « Intégrer plus de séances d’entraînement dans son quotidien n’est pas très compliqué. Il suffit d’être un peu créatif », explique-t-il. On lui demande souvent s’il ne devrait pas mieux se consacrer à son travail plutôt qu’à la course à pied. Il n’est plus tout jeune, après tout. Mais Flo aime cette vie et ce rythme. Lorsqu’il remporte l’édition allemande du Wings for Life World Run en 2015, les sponsors affluent. Il peut vivre de plus en plus de sa passion désormais, et finit par tracer certains parallèles entre la course à pied et la vie : 1. Sur la route qui mène à ton objectif, ne fonce pas trop au début, il vaut mieux garder l’envie. 2. N’oublie pas de faire preuve de régularité et de persévérance. 3. Écoute-toi, tu obtiendras ainsi le meilleur de toi-même. Et cela vaut aussi (et surtout) pour l’entraînement.

Élaborer un plan pour mieux le rejeter

Si Flo a choisi de vivre à Inzell, près du lac Chiemsee, avec sa femme et sa fille de quatre ans, c’est surtout pour les montagnes. Car pour lui, s’entraîner signifie avant tout vivre quelque chose. « On ne peut faire THE RED BULLETIN


Après un ultramarathon, rien de tel qu’une couverture chauffante pour protéger le corps et récupérer.

l’impasse ni sur les fondamentaux ni sur le plan ­d’ensemble. C’est évident. Mais avoir un programme d’entraînement ou un capteur de fréquence cardiaque ne sert à rien si l’on n’écoute pas son corps. Si je sens que je peux tout donner, j’y vais à fond. Dans le cas contraire, je ne fais rien. Et surtout, je fais ce dont j’ai envie. Ce qui m’intéresse dans la course à pied, c’est la liberté, les expériences, les découvertes. S’il fait super beau et que j’ai envie ­d’aller en montagne, j’y vais. Tant pis pour le programme d’entraînement. Je change d’itinéraire et je me fais un sommet. » Et pour garder le plaisir intact, Flo a encore une astuce en réserve : relever sans cesse des défis, peu importe la taille. Il peut décider d’atteindre 3 000 mètres de dénivelé en une journée, puis de gravir trois fois de suite la même montagne au pas de course. Ou demander l’avis de sa communauté et participer spontanément à un « duathlon » proposé par l’un de ses followers : 10 kilomètres de course, 50 kilomètres de vélo, puis encore 5 kilomètres à pied. Des défis inédits, c’est ce que Flo recherche aussi lors des compétitions : en août 2015, il participe à la TransRockies Run dans le Colorado. Six jours de course sur d’étroits sentiers à plus de 2 500 mètres d’altitude à travers les Rocheuses nord-américaines. À sa propre surprise, il franchit la ligne d’arrivée à Beaver Creek en tête des 300 participants après 192 kilomètres de course. Trois ans plus tard, il se qualifie pour la légendaire Western States Endurance Run en Californie. Les coureurs doivent parcourir 100 miles (soit environ 161 km) à travers les montagnes de la Sierra Nevada. Neige aux sommets, chaleur écrasante dans les vallées, 5 000 mètres de dénivelé et une distance inédite pour Flo. Au fil des années, il en a appris pas mal sur la douleur. On peut parfois la fuir, par exemple. Et dans les moments les plus durs, ça aide de penser à sa famille et aux amis qui vous soutiennent de chez eux. « Mais je n’avais encore jamais connu de telles douleurs », concède-t-il. Il pense plusieurs fois à jeter l’éponge et rampe vers l’arrivée plus qu’il ne court. Mais au bout de 22 heures et 20 minutes, il parvient à franchir la ligne d’arrivée, plus léger de quelques kilos, mort de fatigue mais absolument ravi d’avoir vécu une nouvelle expérience et surmonté un nouveau défi. Il a grandi.

Trouver des alliés

« Ce qui m’a beaucoup aidé dans la Sierra Nevada, c’est d’avoir un ami à mes côtés sur les 60 derniers kilomètres, raconte Flo. Il m’a motivé. Et quand on courait dans le noir avec nos lampes frontales et que je croyais voir des yeux d’ours ou de puma, il était là pour me rassurer et m’expliquer que c’était juste des coyotes. » THE RED BULLETIN

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Florian Neuschwander

« Je veux courir au moins dix ans de plus. » Flo se fait également des amis en 2020 lorsqu’il parcourt en sept jours les 550 kilomètres séparant Laufen près de Bâle (Suisse), à Laufen près de Salzbourg (Autriche). Sur ses deux marathons quotidiens en moyenne, nombreux sont les amis et athlètes (comme le spécialiste du combiné nordique Vinzenz Geiger) qui l’accompagnent le temps d’un secteur. « C’était un soutien formidable et ça rendait la course plus agréable, se souvient-il. On discutait avec les jambes en mode automatique, on avalait les kilomètres sans s’en rendre compte. »

La course est le but

Sur son bras, le coureur de fond américain Steve « Pre » Prefontaine (1951-1975) accompagne Flo à chaque foulée.

Pour Flo, on ne peut pas se passer du soutien de ses amis et de sa communauté, autant dans les situations extrêmes que dans la poursuite de ses objectifs. Il s’entraîne souvent avec ses potes. « Quand on sonne chez toi à huit heures du mat’, il faut y aller, peu importe la fatigue ou la météo. » Et quand les amis habitent trop loin, il reste internet : « Les applications comme Zwift permettent de rencontrer d’autres sportifs dans un espace virtuel. On court sur le home trainer, on participe à une épreuve et on est tous ensemble. On se pousse mutuellement. »

« Je me suis toujours débrouillé pour courir en me faisant plaisir. » 74

Avec les kilomètres que Flo a parcourus dans sa vie, on pourrait faire trois fois le tour du monde. Et il n’a pas l’intention de s’arrêter là. « Je veux courir au moins dix ans de plus et participer à un Ironman », commente Flo sur ses objectifs à long terme. Et cette année, avant de participer à l’ultra-trail du MontBlanc en août, il donnera le meilleur de lui-même lors de la Wings for Life World Run le 8 mai. « Plus de 100 000 personnes qui courent en même temps dans le monde entier pour la bonne cause, plus le super concept du Catcher Car : j’adore cette course. » Il a remporté le Flagship Run allemand à Munich en 2016, et a presque toujours fini dans le Top 10. « C’est clair que je rêve de décrocher la première place mondiale », dit Flo, toujours aussi jovial et motivé. Sur son bras droit rempli de tatouages, le portrait de son idole Steve Prefontaine sort du lot. Ce légendaire coureur américain des années 1970 n’a pas laissé que des records derrière lui, mais aussi une certaine philosophie : « Le succès ne se mesure pas à ce que tu as accompli mais à la distance parcourue depuis le départ. » C’est vrai ? « Bien sûr, répond Flo. Pour moi, les expériences vécues comptent plus que les médailles. Courir me permet d’explorer le monde et de me découvrir moi-même. » Autrement dit : le but, c’est la course. Instagram : @runwiththeflow THE RED BULLETIN


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Hier c’était demain Et si nous avions besoin de nous replonger dans notre passé pour inventer notre futur ? La NOSTALGIE d’une époque révolue, loin d’être un frein, peut être une formidable source d’innovations : pour ces néo-nostalgiques, le ­passé est un secteur d’avenir. Texte MARK BAILEY Photos PHILIPP MUELLER Stylisme KELLY-ANNE WILLS

Clic clac, merci Kaps ! Le célèbre Polaroid a bien failli disparaître en 2008 avec la fermeture des dernières usines de production de films instantanés. Sa survie est due à des passionnés de photo argentique, dont l’Autrichien Florian Kaps (voir p. 82).

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Rétro-futurisme

Tim Wildschut est un obsédé du passé. Ou plutôt, il est obsédé par le sentiment que l’on éprouve quand on est obsédé par le passé : la nostalgie. Ce terme, formé des mots grecs nóstos (retour) et álgos (douleur) a été utilisé pour la première fois au XVIIe siècle pour décrire la mélancolie des mercenaires suisses stationnés loin de chez eux. Avec le temps, la nostalgie est devenue cet état de langueur et de regret que l’on ressent quand on se remémore une époque révolue et fantasmée. Or, pour cet enseignant-chercheur en psychologie à l’université de Southampton (Angleterre), la nostalgie est tout sauf un sentiment négatif qui nous empêche de ­regarder vers l’avenir. Au contraire : il a ainsi découvert que les plus nostalgiques d’entre nous sont souvent les plus créatifs, et (bizarrement) les plus confiants en l’avenir. Cela fait presque vingt ans que Tim Wildschut s’intéresse à cet état émotionnel, selon lui largement incompris et mal interprété. « J’ai souvent déménagé dans ma vie, c’est donc un sentiment qui m’est familier. » En voulant s’éloigner des théories classiques, Wildschut a préféré étudier de manière empirique des personnes normales en prise à un état nostalgique, ce qui est d’ailleurs « relativement facile à déclencher, tant l’être humain est enclin à ressentir de la nostalgie ». En interrogeant les participants sur leurs bons souvenirs, en les confrontant aux odeurs de leur enfance ou à des photos d’anciennes marques de bonbons, on les a placés dans un état nostalgique pour ensuite étudier l’intensité de l’émotion ressentie et ses effets psychologiques. Les résultats des tests ont été surprenants : loin de sombrer dans la mélancolie ou la tristesse, il s’est avéré que les personnes les plus nostalgiques étaient au contraire les plus heureuses, les plus sociables et les plus ancrées dans la vie. Conclusion du professeur Wildschut (photo) : « La plupart des gens pensent qu’il est agréable, positif et même utile d’être nostalgique. » Autre découverte de taille : ce n’est pas une question de génération. « Tout le monde est enclin à la nostalgie, mais plus particulièrement les jeunes générations parce que cela les aide à surmonter les moments charnières de leur vie, comme le premier boulot ou le premier appart. » La nostalgie nous aiderait donc à anticiper ce qui nous attend et dont nous ne savons strictement rien. « Face à un avenir flou et imprévisible, le passé peut me servir de modèle et m’aider à définir ce que je veux. La nostalgie, c’est un peu comme ce fil rouge réconfortant qui nous guide vers l’avenir. » Et qui nous pousse justement, une fois sortis de nos rêveries douces-amères sur ces temps anciens si heureux mais définitivement révolus, à agir pour inventer un futur qui nous fasse envie. Et ce n’est pas tout : la nostalgie permet également de créer du lien social. « Ça fait partie de ce qu’on appelle la nomothétique, ce sentiment d’appartenance que peut avoir un groupe ou une génération qui partage les mêmes souvenirs. » Lorsque Billie Eilish utilise dans ses chansons et au début de ses concerts le générique de la série The Office, qu’elle regardait quand elle était petite, elle parle de cette habitude comme d’une « thérapie » ; ce que confirment d’ailleurs certains experts, pour qui la nostalgie est un moyen que nous utilisons sciemment quand nous avons besoin de réconfort et d’apaisement. Et c’est aussi pour cette raison qu’elle est omniprésente dans la culture populaire. Wildschut affirme même qu’elle « favorise la création », en citant une étude réalisée sur des participants auxquels on avait demandé d’écrire des récits créatifs, qui seraient ensuite notés par un jury pour leur originalité et leur créativité. Verdict : les histoires les mieux notées avaient été écrites par les personnes les plus nostalgiques. En nous incitant à réfléchir en même temps sur le présent, le futur et le passé, la nostalgie nous ouvre d’autres terrains de réflexion, d’autres perspectives. Comme le résume le professeur Wildschut, « elle élargit notre ­perception, c’est un tremplin qui nous pousse à aller explorer le monde ». 78

MODE

Fans des ­années 80 Quand une série devient un véritable phénomène de mode, au-delà de la notion de nostalgie. Lancée sur Netflix en 2016, Stranger Things a connu un succès aussi inattendu que retentissant. La série, dont le décor est planté en 1983, est un véritable hommage aux années 80, à son univers musical et culturel, mais aussi à ses codes vestimentaires. Pour autant, les fans inconditionnels de la série sont beaucoup trop jeunes pour avoir connu cette époque et en ­saisir toutes les références : un paradoxe que Kimberly Adams-Galligan, la responsable des costumes de la ­première saison, a constaté dès le début. « Quand on a commencé à tourner en 2015, les jeans taille haute n’étaient pas du tout à la mode comme aujourd’hui. Alors au moment de les enfiler, beaucoup de jeunes acteurs ont trouvé ça vraiment bizarre, parce qu’ils étaient habitués aux tailles basses. Puis la mode du #momjeans est apparue et maintenant, les gamins raffolent de ces jeans. » Ce qui est également paradoxal, c’est le fait que les jeunes stars de la série, THE RED BULLETIN


« Les années 80, c’est l’époque de la démesure. S’y replonger, c’est retrouver la liberté d’alors. » Fawnia Soo Hoo, spécialiste de la mode, sur le succès de la série volontairement rétro Stranger Things.


Rétro-futurisme

­ otamment Millie Bobby Brown n (18 ans) et Finn Wolfhard (19 ans), soient devenues des icônes de mode pour les jeunes d’aujourd’hui en étant en décalage stylistique total avec leurs pairs. Pour Fawnia Soo Hoo, spécialiste de mode sur le blog Fashionista, « l’esthétique des années 80 est plein d’humour et de couleurs, mais c’est aussi l’époque de la démesure, de tous les excès. Les jeunes sont aujourd’hui davantage attirés par une mode écologiquement propre, mais l’exubérance des années 80 séduit encore par le sentiment de liberté qu’elle représente ». Pour définir les looks que devaient porter les acteurs de la série, Kimberly AdamsGalligan a préféré s’inspirer de sources authentiques : « J’ai écumé les albums scolaires des écoles de l’Indiana et je me suis inspirée de gamins qui avaient vraiment existé pour façonner les personnages et les rendre plus crédibles. Parce qu’ils ne sont pas parfaits et parce que les jeunes spectateurs peuvent s’identifier à eux. » Pour autant, les looks rétro de la série n’ont pas été repris tels quels, ils ont dû être adaptés à la mode contemporaine. Fawnia Soo Hoo : « La robe rose avec col Claudine que porte Eleven dans la première saison avec des baskets et un vieux blouson, c’est une idée de ­Kimberly. Et aujourd’hui, c’est un look qu’on pourrait copier sans complexe. » Profitant de l’engouement suscité par la série, les collaborations dans le monde de la mode se sont multipliées, avec notamment Nike (et ses sneakers Air Tailwind 79 Hawkins High School) et Louis Vuitton, dont le styliste Nicolas Ghesquière a habillé un mannequin en total look Stranger Things pour la Fashion Week de Paris en 2017. La saison 4 de Stranger Things sur Netflix le 27 mai ; netflix.com 80

SNEAKERS

Baskets fétiches Hier à la benne, aujourd’hui une aubaine : les vieilles baskets ont le vent en poupe. C’est la nostalgie qui a conduit Nohman Ahmed et ses frères Imran et Rizwan à ouvrir en 2017, à Londres, Presentedby – une boutique exclusivement dédiée aux sneakers. Avec

quelques particularités : dans la boutique des trois frangins, on trouve, en plus de sneakers classiques, des séries limitées, des collectors et ce que Ahmed appelle la « revalorisation THE RED BULLETIN


« Une paire de chaussures, c’est toute une histoire cachée derrière. » Ridwane Ettoubi directeur du magasin londonien Presentedby, lieu de pèlerinage pour tous les fans de sneakers.

a­ ffinée » des sneakers, à savoir des modèles vintage présentés comme des œuvres d’art, juchés sur un piédestal où l’on peut lire le prix de ces pièces rares. Un concept qui a déjà ­séduit une clientèle tout aussi premium que ses modèles, comme Neymar, Steve Aoki ou le chanteur britannique Liam Payne. Selon Nohman Ahmed, « c’est la rareté d’un objet qui le rend spécial. On se dit qu’on THE RED BULLETIN

est le seul à avoir ce style. C’est comme si l’on possédait une œuvre d’art ». Et certaines pièces uniques sont vendues à prix d’or : si une paire de Nike Air Max 90 en édition limitée ne vous coûtera que 240 euros, il vous faudra raquer un peu plus pour une paire de Air Jordan 4 Undefeated de 2005 (48 000 euros) ou pour des Jordan 4 Eminem x Carhartt (42 000 euros).

Le streetwear, avec son c­ réneau de luxe, ses légendes, ses héros et ses pièces cultes, suscite aujourd’hui un engouement quasi religieux : « Une paire de chaussures, c’est toute une histoire qui se cache derrière, » rappelle Ridwane ­Ettoubi, DG de Presentedby. « Les Yeezy 2 Red October de Nike, qui sont apparues à la fin de la collab entre Nike et Kanye West, sont certes vendues à

presque 12 000 euros, mais il s’agit d’une pièce d’anthologie. » Être un nostalgique de la vieille basket serait-il devenu le comble du luxe ? Pour Ahmed, ce n’est pas une question d’argent : « On croit qu’on a besoin d’avoir un millier de paires ou de posséder la plus chère, alors qu’il te suffit juste d’être un passionné. » presentedby.com 81


Rétro-futurisme

Le passé au bout des doigts Un passionné autrichien du pré-numérique fait revivre la photographie à l’ancienne. Le jour où Florian Kaps (photo) a découvert, en 2003, dans un vide-grenier, un vieux Polaroid, ce fut le déclic – littéralement. « J’ai appuyé sur le déclencheur, et j’ai tout de suite été séduit par le son et l’image que cela produisait », se souvient Kaps, patron de Supersense, un magasin viennois ouvert en 2014 et spécialisé dans la technologie analogue, où l’on trouve notamment de vieux Polaroid et des platines vintage. Le nom de son shop honore la dimension tactile de l’analogique : « Le numérique se limite à deux dimensions, la vue et l’ouïe, mais il y a toujours le barrage de l’écran. L’analogique est tangible, on peut le sentir, le toucher. » Pour cet homme de 53 ans qui a connu le monde d’avant, ouvrir une boutique dédiée à l’ère du pré-numérique fut vécu comme un retour aux sources : la surprise, en revanche, fut de constater à quel point sa clientèle était jeune. « Les jeunes

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­ énérations sont d’autant plus g fascinées par l’analogique qu’elles ressentent le besoin d’avoir des choses à toucher et à garder auprès de soi. Le numérique est trop volatile, alors qu’une collection de disques, de K7 ou de photos, reste pour toujours. » Quand Florian Kaps apprend en 2008 que Polaroid est sur le point de disparaître, il décide de tout faire pour sauver la dernière usine de production aux Pays-Bas. Baptisée The Impossible Project, son entreprise, qui est lancée en plein boom du numérique, est un succès et assure la survie du mythe Polaroid. Après s’être retiré du projet en 2013, Kaps continue de vivre de sa passion en ouvrant sa boutique Supersense, en se concentrant sur les appareils hybrides qui assurent la transition analogique/numérique : « Dans notre Instant Lab, on peut transférer des photos de son iPhone sur papier Polaroid ou faire graver sa musique sur des ­vinyles. » Florian Kaps en est convaincu : ce sont les jeunes qui vont continuer à faire vivre la flamme de l’analogique. « Ce que j’adore, c’est discuter avec les artistes, les fous et les visionnaires de la jeune génération pour voir comment associer l’analogique et le numérique dans de nouvelles ­approches. » the.supersense.com

FOOD

Le goût de l’enfance Quand une nostalgique de Taïwan ravive les plats de sa jeunesse au cœur de Londres. De son enfance taïwanaise, Erchen Chang (photo ci-dessus) se souvient surtout de la cuisine de sa grand-mère et des délicieux baos (des ­petits pains farcis cuits à la vapeur) qu’elle dégustait sur les marchés de nuit, à la lumière des enseignes. Arrivée à Londres à l’âge de 14 ans, Erchen Chang n’a pas oublié ces souvenirs : ce sont eux qui l’ont inspirée à ouvrir en 2012 son premier stand de baos sur le Netil Market à Londres. Pour elle, « toutes les idées nous viennent de souvenirs. Il n’y a rien de nouveau, on est tous à la recherche de notre passé : la différence, c’est comment on l’interprète. Dans les souvenirs, il n’y a pas seulement le goût des choses, il y a aussi les odeurs, les bruits et l’environnement. Après mes études à la Slade School of Fine Art de Londres, je suis retournée à Taïwan, sur les marchés de nuit. Ça m’a inspirée à ramener le bao à Londres. » Son premier stand de baos fut un tel succès que Chang possède désormais cinq restaurants à Londres, dont les univers très différents respirent pourtant la même nostalgie du passé : « Le bao est le plat nostalgique par excellence, mais il y a ici une vraie culture de la cuisine nostalgique », dit-elle en parlant de l’amour des ­Britanniques pour les bons petits plats de l’enfance, du curry indien au plus traditionnel rôti du dimanche. « On vient de deux mondes opposés mais on se retrouve à mi-chemin. » Les univers esthétiques de ses restaurants, à travers le mobilier, l’espace restreint et la décoration aux murs, évoquent également cette recherche du temps perdu, même si chaque endroit a sa propre inspiration. Dans l’un d’entre eux, le Café Bao, on trouve le Burger Bao, une fusion des cultures et des époques : « Nos cafés donnent l’impression d’être dans une version cartoon de l’Occident, tel qu’on l’imagine en Asie. On navigue constamment entre l’est et l’ouest, et c’est génial. » baolondon.com THE RED BULLETIN

ÁKOS BURG

PHOTO


« Toutes les idées nous viennent de souvenirs. Il n’y a rien de nouveau, on est tous à la recherche de notre passé. » Erchen Chang, propriétaire des restaurants Bao, met à l’honneur la nostalgie de la street food asiatique.


« Ces jeux étaient plus simples, loin de l’hyperréalisme des jeux d’aujourd’hui. » Pippin Barr, expert en gaming, sur l’engouement pour les anciens jeux vidéo.


Rétro-futurisme

GAMING

Le pixel originel

DAN WINTERS

STYLING ASSISTANT: LOTTIE HORNER

Pour ces rétrogamers ­visionnaires, l’avenir du gaming se cache dans sa genèse. Cela s’est passé l’année dernière : une copie non ouverte du jeu The Legend of Zelda (Nintendo) datant de 1986 s’est vendue aux enchères pour 870 000 dollars (780 000 euros), soit la somme la plus élevée jamais payée pour un jeu vidéo. Un événement qui aurait pu rentrer dans l’histoire du ­gaming si le record n’avait pas été battu… deux jours plus tard, avec une c­ opie neuve de Super Mario 64 ­datant de 1996 et vendue à 1,56 million de dollars (1,40 million d’euros). Alors que 2021 voyait la sortie de consoles Sony et Microsoft ultra perfectionnées, les jeux les plus demandés cette année-là furent de vieilles cartouches de jeux du siècle dernier. Pour Pippin Barr, professeur et directeur associé du Centre de recherche Technoculture, Art & Games (TAG), à Montréal (Canada), ce retour aux sources est une évidence : « Ce qui fait la beauté de ces anciens jeux, c’est leur simplicité. On n’a pas ce rendu hyperréaliste des jeux actuels, on ne voit pas des cervelles exploser contre un mur. On voit juste Mario en train de sauter sur la tête de quelqu’un, c’est drôle, ça change de ce que l’on a maintenant. Et les gens ne sont pas très friands de notre monde actuel. » La nostalgie des anciens jeux a fait émerger toute une culture autour du rétrogaming : ses adeptes collectionnent les ROM (copies numériques des vieilles THE RED BULLETIN

c­ artouches de jeux) et utilisent des logiciels d’imitation pour simuler les anciennes consoles, mais tout cela se déroule dans un flou juridique autour du copyright. En même temps, on assiste à l’émergence d’une industrie rétro avec des mini-­consoles – légales – qui reprennent à échelle ­réduite les anciennes Sega, Sony ou Nintendo, qui sont vendues avec les cartouches des jeux les plus classiques. Petit bémol pour les puristes : ces mini-répliques utilisent elles aussi des logiciels d’imitation. C’est justement sur ce point qu’intervient Analogue Inc. – une entreprise fondée en 2011 à New York. Pour Christopher Taber, son fondateur et directeur, Analogue s’est fixé une mission : reproduire le plus fidèlement possible l’expérience du gaming des années 80 et 90. Pour cela, Analogue fabrique des consoles en utilisant des puces spéciales qui imitent les circuits originaux. Ce qui n’est pas une mince affaire : en 2019, Taber raconte qu’il leur a fallu trois mois entiers pour faire marcher le jeu ­Sonic sur sa Mega Sg (le clone Analogue de la Sega Mega Drive). Et pas moins de cinq mille heures de ­travail pour mettre au point l’unité centrale de leur ­Super Nt (la réplique de la Super Nintendo, en photo). Si l’idée initiale de la boîte est de préserver les sensations des premiers temps du gaming, Analogue s’inscrit bien dans la modernité, avec son esthétique contemporaine, sa qualité vidéo et sono haute-déf et ses manettes qui peuvent se connecter via Bluetooth. Pippin Barr approuve le concept : « Sans toucher à l’esprit du gaming, on le met en valeur dans une approche plus sophistiquée. » analogue.co

POP CULTURE

Retour vers le futur Des romans de science-fiction comme une ­déclaration d’amour au passé. Si les nostalgiques ont tendance à idéaliser le passé, certains auteurs de SF attirés par un futur tout aussi fantasmé peuvent être qualifiés de postalgiques. L’auteur américain Ernest Cline (en photo) pourrait bien être les deux à la fois : son best-seller Player One (aux éditions Michel Lafon, 2011) a séduit des millions de lecteurs dans le monde (Steven Spielberg l’a adapté en film en 2018) avec son univers dystopique truffé de références pop. L’histoire se passe en 2045 : la Terre est ravagée par une crise économique et climatique, par la surpopulation et le manque de ressources. Pour échapper à un quotidien devenu insupportable, les humains se réfugient dans le virtuel, dans un jeu où tout le monde se connecte aux quatre coins du monde. Une histoire truffée de références à la culture pop des décennies ­passées, qui séduisent pourtant de jeunes lecteurs : Star Wars, Donjons & Dragons, Pac-Man ou Blade Runner. Pour Allen Stroud, directeur de la British Science ­Fiction Association, rien de plus normal : « On pense toujours que la littérature fantasy est un moyen de s’évader dans une autre réalité, mais c’est faux : on se réfugie toujours dans ce que l’on connaît. Vers ce que l’on aime, ce qui nous parle, nous touche. Dans nos souvenirs. » Pour autant, ce roman parle de gaming en ligne, de ­réseaux sociaux, de télé-réalité – bref, de tout ce qui constitue notre référentiel commun actuel. « Il faut qu’il y ait un pont entre les deux, insiste Allen Stroud. On a besoin d’éléments qui nous parlent aujourd’hui, mais Cline nous pousse en même temps à la nostalgie. » Se réfugier dans une simulation du monde d’hier n’est pas si irréaliste que ça… D’après William Gibson, dont le classique de 1984, Neuromancer, est considéré comme le livre fondateur du courant cyberpunk, nous souffrons d’une « lassitude du Futur » : « Tout au long du XXe siècle, le XXIe siècle était omniprésent dans les têtes et les discours. Et maintenant ? Vous entendez souvent les gens évoquer le XXIIe siècle ? Le Futur avec un grand F, qu’on l’imagine comme une jolie ville perchée sur une colline ou un désert radioactif post-nucléaire, ce ­Futur-là, c’est du passé. » ernestcline.com 85


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PERSPECTIVES Expériences et équipements pour une vie améliorée

CAP SUR LES ÎLES DÉSERTES

MATT STERNE

MATT STERNE

L’aventure en kayak à Zanzibar


PERSPECTIVES voyage

« Éblouis par la lumière, nous pagayons inlassablement avec l’impression par moment d’être seuls avec la mer et le ciel. » Matt Sterne, écrivain voyageur

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­ estination qui n’est encore qu’un point d à l’horizon. Nous nous encourageons en criant : « Accepte ton lot, fais le dos rond et avance ! » Bienvenue dans notre excursion en kayak. Un circuit d’îles de trois jours avec camping sauvage. Nick Haan a imaginé ce voyage. Ce Californien, installé en Afrique de l’Est depuis trente ans, s’adonne aux plaisirs du kayak sur les Grands Lacs quand il ne travaille pas avec des communautés rurales. Le swahili n’a plus de secrets pour lui ni la guitare, surtout après quelques whiskies près d’un feu de camp. Il y a quinze ans, Haan se rend à Zanzibar en quête du site idéal pour des excursions en kayak, muni d’une liste de critères précis : être éloigné des zones touristiques (comme

MATT STERNE

U

n boutre a le don d’être ­dangereusement discret. Rapides, gracieux et silencieux, ces traditionnels ­voiliers arabes ont le don de vous surprendre – surtout si vous êtes dans un petit kayak pagayant à plein régime entre deux îles au large de la pointe sud de Zanzibar. Ils vous effleurent de manière si soudaine qu’ils provoquent un frisson comparable à celui que provoque l’apparition d’une bête sauvage. Figés par cette apparition, mon partenaire de kayak et moi tentons de reprendre nos esprits. Pas facile avec le soleil matinal dans le dos, nos genoux noyés dans une eau chaude, le goût de la crème solaire sur les lèvres et une

THE RED BULLETIN


Dans le sens des aiguilles d’une montre, en partant du haut : pagayer jusqu’à l’île d’Uzi en tutoyant les boutres ; l’une des cinq tentes doubles du Hideout ; l’experte en poulpe locale ; l’étoile de mer à nez rouge typique de l’île de Niamembe ; vue depuis le camp du jour 2. THE RED BULLETIN

Stone Town l’île principale de Zanzibar, Unguja, ou Paje, haut lieu du kitesurf), une vue sur le coucher du soleil et sur une plage et à une distance raisonnable de l’aéroport. Plus d’une décennie plus tard, il met sur pied The Hideout, un camp situé à proximité de Unguja Ukuu, première colonie de Zanzibar, comprenant des tentes pour dix hôtes, une salle à manger commune au toit de chaume et une petite plage privée. Le port naturel de la baie en fait un lieu idéal. Les premiers colons s’y sont installés pour la même raison : « Le vent et les vagues sont modérés et la topographie variée. Îles, mangroves, récifs coralliens et bancs de sable, m’explique Nick. Le parfait terrain de jeu du kayakiste. » C’est aussi la plus grande réserve marine de Zanzibar. L’installation de grands hôtels est interdite, nul 89


Bonne planque Votre camp de base bien caché, et millénaire Située au sud d’Unguja, la plus grande île de Zanzibar, Unguja Ukuu fut un comptoir commercial du VIe au Xe siècle, bien avant que les commerçants arabes n’établissent Stone Town (aujourd’hui le vieux quartier de Zanzibar City). Les poteries trouvées sur le site provenaient du monde entier, de l’Extrême-Orient au sud de la Méditerranée. Cet authentique village de pêcheurs swahili où vivent 4 000 âmes a peu changé depuis. Seuls une école, quelques mosquées et un terrain de foot ont trouvé place parmi les plantations de cocotiers et les zones humides de mangrove.

risque donc d’y croiser les hordes de touristes d’autant plus que boutiques de souvenirs et bars à cocktail y sont absents. « Nous visitons trois des dix îles de la baie, explique Nick la veille de l’expédition, en tenant compte du vent et des marées, qui ont la particularité d’être fortes. » Nous le constatons un peu plus tôt dans la journée. Après la marée haute, l’eau se retire à une vitesse folle, comme une nappe que l’on retirerait d’un geste vif. Le premier jour, nous mettons le cap sur l’île de Niamembe. Durant les deux premières heures, nous nous habituons à maintenir le kayak en équilibre. Pour déjeuner, nous faisons halte sur une plage où une autochtone retourne une pieuvre comme une vieille chaussette. Puis, nous voilà repartis pour deux autres heures de pagaie, direction la petite île densément boisée de Pungume, où un pêcheur solitaire assis sous deux baobabs au bout de la plage nourrit un feu 90

Le train de Zanzibar Votre circuit océanique Les hôtes sont pris en charge à Stone Town pour un circuit tout compris incluant nourriture et ­boissons (dont cinq boissons alcoolisées par personne et par nuit). Selon Matt Sterne, la ­distance parcourue le premier jour est de 13 kilomètres, 16 kilomètres le deuxième jour et 9 kilomètres le troisième jour. L’excursion est sportive, mais n’exige pas d’expérience préalable. Information et réservation sur kayakzanzibar.com

tout en suivant un match de football à la radio. Nous passons la nuit dans une petite clairière à l’orée de la plage, éclairés à la bougie et bercés par les clapotis de la marée. Le matin suivant, le vent se lève. La houle transforme nos trois heures de pagaie en quatre, puis en cinq heures. Curieux, des boutres flirtent régulièrement avec nos kayaks. Les marins ont à leurs bords sillonné l’océan Indien depuis des millénaires, de la péninsule arabique, le long de la côte est-africaine et jusqu’en Inde – et même, affirment certains, jusqu’en Chine. Les étrangers vêtus de gilets de sauvetage pagayant furieusement dans leurs kayaks rouges sont pour eux un spectacle relativement nouveau. Aveuglés par la lumière et nos épaules raides comme des pinces de crabe, nous pagayons inlassablement. Une lutte où nous avons par moment l’impression d’être seuls avec la mer et le ciel. Pourtant, l’expérience procure un profond sentiment de paix. Nous atteignons enfin l’île d’Uzi. Nous titubons hors de nos kayaks tels des marins ivres. Cette nuit-là, nous savourons du rhum dans des noix de coco autour d’un feu sur la plage, tandis que les crabes rampent dans l’ombre pour grimper aux arbres. Au loin, les lumières du port tanzanien de Dar es Salaam brillent sur l’océan. Le troisième jour, ultime étape, nous longeons le type de côte que j’avais ­imaginé avant de venir : des palmiers se déhanchant sur le rivage, des formations rocheuses parsemées de grottes, une mer turquoise où méduses et oursins abondent sur le corail. Nous traversons une forêt vierge de mangroves et retrouvons de l’autre côté le Hideout. C’est l’heure du bilan. Le ponton face au coucher du soleil et une bonne bière y incitent. L’excursion fut par moments rude, mais les nuits étoilées et le plaisir de l’exploration en atténuent largement les effets. C’est un véritable paradis pour kayakistes. Mais Nick souhaite aller plus loin. « Le bien-être des gens est important, mais profiter de la nature l’est tout autant, tout comme créer la possibilité d’une transformation personnelle. Le kayak permet une connexion à la nature que j’aime. Je veux partager cette expérience à laquelle je crois, tout le monde aspire. »

Matt Sterne est un photographe et reporter de voyage basé au Cap, en Afrique du Sud. Instagram : @sternejourneys THE RED BULLETIN

MATT STERNE, SIMON WATSON

PERSPECTIVES voyage


HORS DU COMMUN Retrouvez votre prochain numéro en mai en abonnement avec et avec dans une sélection de points de distribution et sur abonnement. RICARDO NASCIMENTO / RED BULL CONTENT POOL

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PERSPECTIVES le b.a.-ba

À

« Pendant la saison des pluies, marcher dans la boue omniprésente avec vos chaussures vous ralentira, et vous aurez les pieds mouillés en permanence. » Sa solution ? Laisser tomber les chaussures tout simplement. « Au début, vous aurez mal aux pieds, mais assez vite votre plante des pieds se renforcera et vous aurez plaisir à vous déplacer pieds nus. » 92

Devenez la nature Pour survivre dans un environnement sauvage, il ne s’agit pas de le dompter, mais d’en respecter les règles, comme l’a appris l’aventurier Hazen Audel.

La s­ ynergie, c’est la survie

Pour ne faire qu’un avec la nature, il faut la comprendre. Audel l’a appris en observant les tribus amazoniennes. « Pour le poison qu’ils mettent sur la pointe de leur flèche, ils doivent trouver une certaine plante aquatique, lors d’une saison donnée, et quand les insectes viennent la butiner. Car c’est à ce moment-là qu’elle va sécréter cette

« Les chaises n’existent pas dans certains endroits que je visite. »

fameuse toxine poison tant convoitée. Cette complexité des connaissances me sidère. »

Nous ne sommes pas des sédentaires

« Nous sommes censés être actifs, et pas juste faire de l’exercice de temps en temps. Les chaises n’existent pas dans certains endroits que je visite. Les êtres humains ont évolué et sont devenus des chasseurs : nous pouvons transpirer pour dissiper la chaleur grâce à l’absence de fourrure sur notre peau. Au Mexique, j’ai rencontré les Tarahumaras, un peuple indigène connu pour pouvoir courir 320 km d’une traite… »

Jamais sans elle

Le seul outil moderne qu’il considère comme essentiel pour la survie ? « Une lampe de poche ! Vous pouvez naviguer, repérer les animaux la nuit ; c’est ce dont vous avez besoin pour être secouru. »

Faire preuve de ­respect

« Les endroits sauvages sont en péril, déclare Audel. Les gens qui s’y trouvent vivent dans des environnements difficiles, mais ils coexistent avec la nature et sont un exemple pour le reste du monde. Nous devrions avoir une meilleure relation avec la nature, et choisir de la protéger. »

Instagram : @hazenaudel THE RED BULLETIN

MATT RAY

Laissez tomber vos chaussures

S’ADAPTER

TESS BENJAMIN/NATIONAL GEOGRAPHIC

l’âge de 19 ans, Hazen Audel a dépensé tout ce qu’il avait en sa possession pour acheter un billet pour l’Équateur, quittant son domicile de Spokane, dans l’État de Washington (USA), pour se rendre dans la jungle amazonienne. Brièvement après avoir installé son campement près d’une rivière, il est pris sous l’aile des indigènes Quechua locaux et passe huit mois à se familiariser avec leur connaissance innée de la nature, qui leur permet de s’épanouir, plutôt que de survivre, dans la nature. Cette expérience l’a incité à explorer les environnements les plus extrêmes au monde, d’abord en tant que biologiste de terrain, puis comme chef d’expédition et instructeur de survie. Il démontre ses compétences en milieu sauvage dans son émission Primal Survivor sur National Geographic, qui en est à sa sixième saison. « Nous évoluons en extérieur pendant des mois, explique l’aventurier de 48 ans. Nous devenons intimes avec notre environnement et apprenons à très bien le connaître. » Dans la dernière saison de ­ rimal Survivor, Audel fait un P voyage de 800 km à travers l’Amazonie, affrontant des inondations, des forêts de bambous impénétrables, des araignées fouisseuses d’excréments et des mangroves remplies de serpents. Voici ce qu’il a appris en cours de route...


PERSPECTIVES montres

LONGINES SPIRIT ZULU TIME

Le temps de l’aventure

Une montre en hommage aux pionniers qui ont traversé les fuseaux horaires sans jamais perdre la notion du temps. Le « zoulou » dans la Longines Spirit Zulu Time ne désigne pas le peuple sud-africain, mais la lettre Z. Celle-ci désigne à son tour, dans l’aviation, le temps universel (la même heure sur tout le globe), et est en quelque sorte un symbole pour tous les aventuriers du monde. Prix : 2 880 € longines.com

LE BRACELET ... est en acier, mais il existe une ­alternative en cuir.

LA LUNETTE ... est bidirectionnelle, l’échelle de ­ 24 heures permet de lire un fuseau ­horaire additionnel.

11 000 MILES EN SOLO LA COURAGEUSE AMY JOHNSON

WOLFGANG WIESER

LE MOUVEMENT ... est un nouveau ­calibre Longines exclusif in-house, doté d’un spiral en silicium, qui permet l’affichage des fuseaux horaires.

Posant fièrement devant son avion à moteur, Amy Johnson (1903-1941) est à ce jour la pilote la plus célèbre de Grande-Bretagne. Elle fut la première femme à voler en solitaire de l’Angleterre vers l’Australie, avec l’appui de Longines. Le 5 mai 1930, elle atterrit à Darwin dix-neuf jours après avoir décollé de Croydon (près de Londres), ayant parcouru plus de 11 000 miles (env. 18 000 km) et bravé des tempêtes de sable et une pluie battante.

« Cette montre souligne notre relation de longue date avec l’aviation. » Matthias Breschan, PDG de Longines Amy Johnson et son avion, lequel est exposé au Science Museum (Londres). THE RED BULLETIN

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PERSPECTIVES gaming

M

GT7 propose plus de 400 voitures, maîtrisez d’abord les voitures classiques avant de vous lancer dans des voitures plus performantes. Cela ne peut qu’être bénéfique, assure Erda. « Dans une course réelle, la voiture dont vous disposez ne correspond pas toujours à vos attentes. Sur simulateur, j’opte pour un réglage basique et adapte mon style de conduite à la voiture. » 94

Formule gagnante

La pilote de course Mira Erda connaît la victoire en course dès l’âge de 12 ans. Sans surprise, elle se la donne aussi sur Gran Turismo 7… Ses conseils pour piloter en virtuel et IRL.

Merci l’assistance

Pour ses débuts en course réelle, Erda n’a bénéficié que de 25 jours d’entraînement. Mais pour GT7, elle conseille une approche moins intense. « Servez-vous des fonctions d’aide à la conduite comme l’ABS et les vitesses automatiques, cela renforce l’assurance, préconise-t-elle. Et respectez les marquages au sol jusqu’à ce que le circuit vous soit familier. Il s’agit avant tout de maîtriser les bases. »

déporter, mais avec un bon timing, vous l’augmenterez de 10 %. »

Conduite sportive

L’un des plus grands défis qu’Erda a dû relever a été d’acquérir la puissance pour rivaliser avec les hommes. « J’ignorais que la conduite à grande vitesse exigeait une bonne condition physique. Cela change tout et permet de pousser la voiture et d’améliorer les résultats. » Quotidien-

Jeu de pédales

« Maîtrisez la pression exercée sur vos pédales, insiste Erda, dans la réalité comme dans le simulateur. Vous parviendrez à mieux maintenir la vitesse dans les virages. Le simulateur donne l’impression de se

« Pour changer les choses, j’étais condamnée à gagner. » Mira Erda

nement, Erda s’impose au moins 45 minutes d’entraînement avec au menu : musculation, réflexes et endurance.

Tenue de route

Erda raconte une anecdote liée à sa première victoire malgré un départ en dernière position dû à un problème technique pendant les essais : « C’est à ce moment-là qu’il faut se surpasser et se battre. J’ai dépassé quatorze concurrents en trois tours et terminé avec une énorme avance. Les gens n’en revenaient pas de voir une fille faire ça. J’ai alors compris que pour changer les choses, j’étais condamnée à gagner. » Gran Turismo 7 est déjà disponible sur PS4 et PS5 ; gran-turismo.com ; suivez Mira Erda sur Instagram : @mira_erda THE RED BULLETIN

STU KENNY

Ouvert à l’inconnu

DRIVE

VRAJESH ERDA

ira Erda a passé sa vie à dépasser les clichés, à 240 km/h. À 21 ans, Erda cumule déjà plus de dix ans d’expérience en courses. Elle a neuf ans lorsque son père ouvre une piste de karting dans sa ville natale de Vadodara. La même année, elle assiste à sa première course de karting d’élite. « Je réalise à ce moment-là qu’il n’y a pas une seule fille parmi les pilotes, se souvient-elle. Ni en Inde ni dans le reste du monde. Ça a été un déclencheur. » Erda signe sa première victoire à l’âge de 12 ans et gravit rapidement les échelons, malgré les préjugés des concurrents masculins et ceux des sponsors. Ses résultats parlent pour elle : Erda devient la plus jeune femme à courir en F4, championne de l’année des recrues de Formule 4 en 2016. La Fédération des clubs de sport auto en Inde la désigne deux ans plus tard femme d’exception dans le sport automobile, et en 2019, elle devient la première femme en Inde à monter sur un podium international de F4. Elle œuvre désormais pour plus de présence féminine dans ce sport. « J’ai ouvert une académie dans laquelle nous formons chaque année des centaines de jeunes. » Son talent de pilote s’exprime aussi dans le jeu Gran Turismo 7. La pandémie limitant l’accès aux circuits, elle a installé un simulateur chez elle. « Il fallait entretenir mes réflexes de pilotage. » Elle délivre ici des conseils valables sur circuit réel et virtuel…


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MENTIONS LÉGALES

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The Red B ­ ulletin est distribué chaque mois dans six pays. Vous ­découvrez ici la couverture de l’édition allemande, qui est dédiée aux stars du Red Bull SoundClash. Le plein d’histoires hors du commun sur redbulletin.com

Les journalistes de SO PRESS n’ont pas pris part à la réalisation de The Red Bulletin. SO PRESS n’est pas r­ esponsable des textes, photos, ­illustrations et dessins qui engagent la seule responsabilité des auteurs.

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Direction générale Alexander Müller-Macheck, Sara Car-Varming (adj.) Rédacteurs en chef Andreas Rottenschlager, Andreas Wollinger (adj.) Direction créative Erik Turek, Kasimir Reimann (adj.) Direction artistique Marion Bernert-Thomann, Miles English, Tara Thompson Maquette Martina de Carvalho-Hutter, Kevin Faustmann-Goll, Cornelia Gleichweit Rédaction photo Eva Kerschbaum (dir.), Marion Batty (adj.), Susie Forman, Tahira Mirza, Rudi Übelhör Rédaction web Christian Eberle-Abasolo (dir.), Marie-Maxime Dricot, Melissa Gordon, Lisa Hechenberger, Elena Rodriguez Angelina, Julian Vater Responsable des contenus audios Florian Obkircher Gestion de la rédaction Ulrich Corazza, Marion Lukas-Wildmann Gestion de l’édition Ivona Glibusic, Bernhard Schmied, Melissa Stutz Directeur exécutif Stefan Ebner Directeur Ventes médias & Partenariat Lukas Scharmbacher Directrice de Co-édition Susanne Degn-Pfleger Gestion de projet Co-édition, Marketing & Communication B2B Katrin Sigl (dir.), Katrin Dollenz, Thomas Hammerschmied, Sophia Wahl, Teresa Kronreif (B2B), Eva Pech, Valentina Pierer, Stefan Portenkirchner (communication), Jennifer Silberschneider Solutions créatives Verena Schörkhuber-Zöhrer (dir.), Sara Wonka, Julia Bianca Zmek, Edith ZöchlingMarchart, Tanja Zimmermann Gestion commerciale Co-édition Alexandra Ita Rédaction Co-édition Raffael Fritz (dir.), Gundi Bittermann, Mariella Reithoffer, Wolfgang Wieser Directeur exécutif de la création Markus Kietreiber Gestion de projet création Elisabeth Kopanz Direction artistique Co-édition Peter Knehtl (dir.), Erwin Edtmaier, Andreea Parvu, Carina Schaittenberger, Dominik Uhl Design commercial Simone Fischer, Martina Maier, Alexandra Schendl, Julia Schinzel, Florian Solly, ­S tephan Zenz Direct to Consumer Business Peter Schiffer (dir.), Marija Althajm, ­Victoria Schwärzler, Yoldaş Yarar (abonnements) Manager Vente et projets spécifiques Klaus Pleninger Service de publicité Manuela Brandstätter, Monika Spitaler Fabrication & Production Veronika Felder (dir.), Martin Brandhofer, Walter O. Sádaba, Sabine Wessig Lithographie Clemens Ragotzky (dir.), Claudia Heis, Nenad Isailović, Sandra Maiko Krutz, Josef Mühlbacher Finances Mariia Gerutska (dir.), Simone Kratochwill, Elisabeth Maier MIT Christoph Kocsisek, Michael Thaler IT Service Maximilian Auerbach Opérations Alice Gafitanu, Melanie Grasserbauer, Alexander Peham, Thomas Platzer Gestion de projet Dominik Debriacher Assistante du Management général Sandra Artacker Éditeur et directeur général Andreas Kornhofer Adresse Am Grünen Prater 3, 1020 Vienne, Autriche Téléphone +43 1 90221-0 Fax +43 1 90221-28809 Web redbulletin.com Propriétaire, éditeur et rédaction Médias Red Bull Media House GmbH, Oberst-Lepperdinger-Straße 11–15, 5071 Wals bei Salzburg, Autriche, FN 297115i, Landesgericht Salzburg, ATU63611700 Directeurs généraux Dietrich Mateschitz, Dietmar Otti, Christopher Reindl, Marcus Weber

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Pour finir en beauté

Chez la kayakiste française Nouria Newman, ici photographiée par Carl Zoch aux Sahalie Falls, sur la McKenzie River (dans l’Oregon), l’incroyable, ce ne sont pas seulement les spots d’exception qu’elle ride, mais aussi les sentiers épiques qui l’y mènent. Déjà disponible sur redbull.com, le documentaire Wild Waters nous explique comment, pour cette athlète hyper ­déterminée, chaque nouvel exploit et trip à sensations n’est que le début du prochain, sur les eaux en mouvement, perpétuel dépassement de soi.

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Le prochain THE RED BULLETIN sortira le 23 juin 2022.

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La chute n’est pas la fin




HORS DU COMMUN

THE RED BULLETIN N° 119 – 06/2022


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