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ANALYSE
LES PARTIS POLITIQUES AU DÉFI DES VIOLENCES SEXUELLES
Le mouvement de refus des violences sexuelles et sexistes s’institutionnalise et se propage au cœur des organisations politiques. Comment faire entrer celles-ci dans un nouvel âge des rapports femmes-hommes ?
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texte catherine tricot
Sandrine Rousseau le rappelle souvent: son engagement dans la primaire des écologistes était lié à la lutte contre le viol et les violences faites aux femmes. Sa décision de revenir en politique résultait de son combat contre les agressions de Denis Baupin dont elle fut victime, et contre l’humiliation que constitue le maintien de Gérald Darmanin au gouvernement. Sandrine Rousseau a été la première femme à le dire: les violences sexuelles et sexistes (VSS), ce n’est pas seulement ailleurs, dans la famille, le travail, la rue. C’est aussi dans le monde politique. Ce monde-là restait un des derniers bastions. L’église tremble sur ses bases et doit regarder en face son indulgence, son soutien parfois aux prêtres pédophiles qui ont abusé des centaines de milliers d’enfants et adolescents. Le monde des entraîneurs et éducateurs sportifs est sur la sellette. Même la famille la plus avenante, par exemple celle d’Olivier Duhamel, influent intellectuel de gauche, est passée au papier de verre de la souffrance et des relations sexuelles intrafamiliales. Féminicide. Un nouveau terme s’impose et, avec lui, une réalité: chaque année, plus d’une centaine de femmes meurent sous les coups de leur compagnon ou ex-compagnon. Des dizaines de milliers d’autres souffrent et cherchent une issue à cette violence. Mais, en cette intense année électorale, c’est le monde du pouvoir politique qui prend la lumière. Il y avait déjà eu de retentissants précédents. Dominique Strauss-Kahn ne sera jamais président de la République. Nicolas Hulot n’a pas seulement quitté le gouvernement de l’inaction climatique, il a perdu toute légitimité dans le monde public. Un grand journaliste politique du tournant du XXe siècle, Patrick Poivre d’Arvor, est mis en cause pour ses agissements de prédateur par de nombreuses femmes…
UN CHEMIN ESCARPÉ Désormais, la vague déborde les cas spectaculaires et isolés. Après s’être imposée chez les Verts, on la retrouve au PCF et à la France insoumise. Philippe Martinez a révélé avoir agi au sein de la direction de la confédération CGT. Bref, la question fait irruption dans les organisations de la gauche, acquises au nouveau féminisme de la vague #MeToo. Le chemin aura été escarpé. À l’été 2011, l’incrédulité dominait parmi les socialistes et les soutiens de DSK, encore patron du FMI. Au printemps 2018, mal en prit au nouvel hebdomadaire qui pensait faire son trou dans le milieu de la presse en révélant des agissements de Nicolas Hulot. Ebdo ne dura que quelques semaines. Macron voulut
tirer au clair l’affaire dans un entretien «d’homme à homme». La présomption d’innocence des hommes a longtemps prévalu sur la parole des femmes. Les Colleuses entrent alors en scène. Les noms des femmes mortes sous les coups de leurs conjoints s’affichent sur les murs des villes: une lettre noire par feuille A4. Efficace. Désormais, le mur du silence est enfoncé. Le problème est massif, il est partout. Il faut agir. Un milliard d’euros pour faire face, demandent les féministes. Et la justice? Et la responsabilité des partis? Tout se complique.
UNE PRÉSOMPTION DE SINCÉRITÉ Aux femmes qui disent, parfois sous couvert d’anonymat, avoir été victimes d’agression sexuelle ou de viol, injonction est faite d’aller porter plainte. Ainsi, Pour Élisabeth Borne, sans plainte déposée et sans mise en examen, pas d’éviction du gouvernement. Pourtant, chacun sait que 94% des plaintes pour harcèlement et 70% des plaintes pour viol sont classées sans suite. Constatant cette défaillance systémique, la militante féministe Caroline De Haas rétorque à la première ministre, sur Twitter, que ce qu’elle demande aux femmes, c’est: «Allez-vous faire classer sans suite.» Avant elle, Adèle Haenel, qui avait révélé en 2019 à Mediapart les attouchements et le harcèlement sexuels subis de la part du réalisateur Christophe Ruggia lorsqu’elle était adolescente, a dans un premier temps refusé de porter plainte. Elle faisait acte de défiance contre cette justice injuste avec les femmes. Gros problème: qui peut dire le droit et le juste en dehors de la justice? Face à l’ampleur des classements sans suite, les mouvements féministes, dans le sillage des luttes espagnoles, imposent en France un nouveau slogan: «On te croit.» Cette proposition va-t-elle faire tomber le socle sur lequel notre démocratie repose? La magistrate et membre du bureau de la Ligue des droits de l’homme Évelyne Sire-Marin l’a dit sans détour à la Midinale de regards.fr: «Une victime peut mentir. Sans présomption d’innocence, sans existence de preuve pour condamner et sans contradictoire, on est en dictature. » Une autre proposition émerge, reprise notamment par le PS et la CGT:
la présomption de sincérité. Cette approche permet de «prendre en compte deux vérités contradictoires», comme le défend la féministe de #NousToutes Fatima Benomar. Elle ne laisse pas les femmes dans la présomption de mensonge tant que la personne accusée n’est pas désignée coupable. Ce faisant, elle facilite la prise de parole. Reste, bien sûr, la question des moyens et du rythme de la justice…
LES CHOIX DES PARTIS La justice est-elle seule à devoir agir? Oui, répond sans détour Évelyne Sire-Marin. «Il ne peut y avoir de justice privée habilitée à prononcer des sanctions. Retirer un mandat, ne pas investir un candidat c’est une sanction très lourde qui peut entraîner la mort sociale.» Alors, que doivent faire les partis? Ils ont la responsabilité du choix de leurs dirigeants et des candidats qu’ils investissent. Ils ne peuvent non plus se défausser de la vie de l’organisation. Comment doivent-ils agir face aux violences sexuelles et sexistes en leur sein? Les premières révélations ont concerné les mouvements de jeunesse (Unef, Jeunesse communiste), mais la vague s’est élargie. La parole s’est libérée, l’omerta ne pouvait continuer. Dans un premier temps, la gestion au cas par cas a été la règle. Elle le demeure à droite. Pour les autres partis, des cellules d’écoute et d’accompagnement des femmes ont été mises en place. La difficulté réside dans les décisions que ces cellules sont amenées à prendre tout en respectant la présomption de sincérité des femmes qui s’ouvrent à elles, ainsi que la promesse d’anonymat, s’il est demandé. Assumant la décision de la France insoumise, qui décida de ne pas présenter à la députation Taha Bouhafs à la suite de témoignages anonymes l’accusant de viol, Clémentine Autain écrit: «Un parti ne rend pas la justice, mais il a le droit de faire des choix.» Elle rejoint sur ce point la militante féministe Caroline De Haas: «Le boulot de dirigeant d’organisation ou d’entreprise, c’est de mener une enquête interne dans le cadre de l’action ou du travail. Et, à partir des éléments récoltés, s’il y a un faisceau d’indices révoltants, vous pouvez licencier pour harcèlement moral.» Sauf qu’il existe un recours pour les salariés, le tribunal des prud’hommes. Très inquiète, Évelyne Sire-Marin n’hésite pas à faire le parallèle avec Le Procès de Franz Kafka: «Josef K est accusé il ne sait de quoi, il ne sait par qui et ne connaît pas ses juges. Finalement, il est condamné et exécuté. Ça me fait très peur. Ça peut arriver à tous et porter sur tous sujets, au-delà des VSS.» Dans un entretien au journal Libération, Jean-Luc Mélenchon le reconnaît: «On pensait avoir trouvé la
solution en mettant en place ce comité [Comité de suivi des violences sexistes et sexuelles de la France insoumise]. Mais, dans la pratique, on voit bien que ce n’est pas encore satisfaisant. Décider de croire la parole des femmes est un choix arbitraire, mais nous l’assumons. Je n’accepte ni que l’on mette en doute la parole des femmes, ni l’impunité. Je me heurte à une contradiction. Je suis donc en recherche.»
LE PARTAGE DU POUVOIR Retour à la case départ? Il faudra sûrement distinguer les crimes (viols, agressions, harcèlement) des mises en cause pour comportements inappropriés. Les féministes ont raison de relever que, dans leur ensemble, ces manifestations sont de gravités différentes, mais relèvent du même continuum de domination masculine. Bien sûr, peu d’entre nous échappent à cette ancestrale organisation des relations femmes-hommes; évidemment, tous les hommes ne sont pas des agresseurs, ni même des agresseurs en puissance. Mais la possibilité du viol, de la possession par force ne peut se combattre sans radicale déconstruction de cette histoire. Clémentine Autain, toute première femme politique à avoir révélé son viol, partage sûrement cette approche commune aux féministes. Elle vient de publier le roman Assemblées qui, sous une forme grand public, autour d’une intrigue qui exprime un vécu, interroge les voies de la domination masculine. Harcèlement, viol et petites vilenies forment la toile de fond de ce roman qui se joue à l’Assemblée nationale. Avec une interrogation inquiète: «Pourquoi les femmes sont-elles attirées par les hommes de pouvoir» et, ainsi, donnent de la force à ces hommes? Au fond, cette histoire dramatique, douloureuse, n’est possible que parce qu’elle nous prend tous dans ses rets. Dès lors, l’issue est sûrement une suite de résistances, de refus, de tâtonnements, mais aussi de transformations plus profondes. Le partage du pouvoir, la culture féministe des organisations seront deux des clés pour faire descendre de leur piédestal ces hommes au pouvoir encore trop inaccessible aux femmes. La nouvelle génération de femmes qui veulent tout – le choix, la liberté et le pouvoir – nourrit cet espoir.
Assemblées, Clémentine Autain (éd. Grasset 2022)
catherine tricot