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CHRONIQUE DE ROKHAYA DIALLO
EXTRÊME COMPLICITÉ
C’ est une première dans notre histoire. Après l’élection de quatre-vingtneuf députés du Rassemblement national à l’Assemblée nationale française, deux d’entre eux en sont devenus les vice-présidents grâce au vote de deux cents députés appartenant à la majorité présidentielle et à la droite traditionnelle. Si, au début des années 1980, les premiers scores de Jean-Marie Le Pen au-delà de 10% suscitaient – à juste titre – une grande inquiétude, il est désormais évident qu’une large partie de la classe politique a démissionné de la lutte contre l’extrême droite. Pire encore, elle semble tout à fait disposée à favoriser son ascension, et même à envisager d’avancer main dans la main avec elle. Rappelons-le, puisque cela semble nécessaire: le Rassemblement national est issu du Front national fondé au début des années 1970 par d’anciens collaborateurs du nazisme et autres nostalgiques du fascisme. Aujourd’hui, le parti est encore explicitement soutenu par les franges les plus violentes de l’extrême droite, des fascistes déclarés ainsi que des racistes notoires. Le programme présidentiel présenté par Marine Le Pen ne laissait planer aucun doute quant à son positionnement politique. Il comportait notamment des mesures contrevenant directement à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, fondatrice de notre République, ou encore la demande du retrait partiel de la France de la Convention européenne des droits humains. Et si Marine Le Pen joue de sa condition de femme pour émouvoir les foules, rien dans son programme ne fait d’elle une alliée du féminisme. Le mot «femme» n’est mentionné dans aucune des vingtdeux mesures clés de son manifeste, à l’exception d’une ligne générique sur les hommes et les femmes. Il n’est à aucun moment question de combattre les violences sexistes ou l’égalité salariale. En revanche, il y a quelques années, Marine Le Pen n’avait aucun scrupule à qualifier d’«IVG de confort» le recours à l’avortement, comme s’il s’agissait d’un caprice. Plusieurs des députés RN élus ont tenu des propos remettant en question la légitimité même du droit à l’avortement. Et c’est sans complexe que Marine Le Pen affirme que le voile des
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femmes musulmanes marque une idéologie aussi dangereuse que le nazisme (qu’elle devrait pourtant être à même d’identifier…).
QUI EST « EXTRÊME » ? L’application de son programme instaurerait un basculement vers un état policier en créant la présomption de légitime défense en faveur des membres des forces de l’ordre, qui pourraient porter plainte anonymement contre des citoyens dont la défense serait rendue impossible. Et malgré leur volonté d’apparaître comme raisonnables, l’arrivée massive de députés RN à l’Assemblée n’a pas tiédi l’extrémisme de leurs déclarations. Ainsi, José Gonzalez, le doyen des députés issu du RN, a narré avec émotion sa nostalgie de l’Algérie coloniale où il avait grandi, pour ensuite expliquer qu’il doutait du fait que l’armée française ait commis des crimes en Algérie, et qu’il ignorait ce qu’était l’OAS, groupe terroriste pourtant bien connu pour son action funeste. Malgré cette orientation explicite, bien des débatteurs ont douté de l’appartenance du Rassemblent national à l’extrême droite. Pire, il est de plus en plus banal d’entendre l’expression «les extrêmes» désignant indifféremment deux forces politiques dont les projets n’ont pourtant rien à voir. D’un côté, une gauche qui œuvre en faveur de la justice sociale; de l’autre, une droite des plus extrêmes dont le projet réside dans l’exclusion et la discrimination. Le travail cosmétique engagé par Marine Le Pen semble avoir porté ses fruits. D’année en année, les affiches de campagne – qui la montrent de plus en plus souriante – ont effacé son encombrant nom de famille au profit de son prénom. Sur Instagram, la bourgeoise élevée dans le confort de l’élitisme est ainsi devenue la sympathique quinqua célibataire aux goûts simples qui transparaissent dans son amour des chats et de la variété française d’un autre temps. Si, à la veille du premier tour, le président Emmanuel Macron, inquiet de l’ascension du RN, a fini par reconnaître le caractère raciste du parti, la lucidité n’a duré qu’un temps. Au lendemain de l’élection des députés RN, le camp Renaissance (ex-LREM) n’a guère tardé à envisager la possibilité d’avancer de concert avec le parti d’extrême droite. Le RN dispose désormais d’une tribune inédite pour diffuser ses dangereuses idées. Son ancrage dans le paysage politique s’est renforcé sous les yeux d’un environnement politico-médiatique qui ne questionne que trop peu les fondamentaux de la formation extrémiste. Désormais, c’est avec la complicité du parti macroniste que l’opération de «dédiabolisation» se poursuit.
ROKHAYA DIALLO