Cinéma direct

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Cinéma documentaire CIN-2104 Mercredi 16h à 19h Chargé de cours Rémy Besson


Le rôle de la technique : des films à commentaire au cas du cinéma direct

À Saint-Henri le cinq septembre.

Vincent Bouchard, « Transmettre l’expérience d’une rencontre : le cas du cinéma léger synchrone », Intermédialités, 5, 2005, p. 81-97.


Pour comprendre l’avènement du direct, il faut insister sur ce qu’est le cinéma documentaire avant cet avènement. Nous l’avons vu, il y a déjà un cinéma documentaire d’avant-garde et une réflexion menée sur le point de vue, la distance entre l’objet filmé et celui qui le filme. Mais bien souvent le documentaire porte sur un sujet précisément défini dont la narration est portée par une voix off qui est secondée par une musique extra-diégétique. Les images viennent alors illustrer un propos d’abord pensé par l’écrit.

La Pêche aux langoustes. Réalisé par Pierre Briotet et René Fosse. 1952


Pour le dire avec François Niney

[le documentaire est] un film sans fiction, généralement de moyen ou de court métrage, abrégé familièrement en docu (1967) ou docucu (de cucul "ridicule"), ces films n'ayant pas dans le grand public une très haute réputation. (...) La mauvaise réputation du "genre" (...) se trouve confirmé par la fameuse phrase de Raymond Queneau, dans Loin de Rueil (Gallimard: 38): "Les gosses ça les emmerde le docucu, et comment." Preuve, ou du moins témoignage, de l'effet généralement lénifiant produit, dans les années 1950 (et pas que sur les enfants), par ledit "docucu" didactique ou de patronage, façon "Pêche à la sardine à Douarnenez" (...) François Niney, Le Documentaire et ses faux-semblants, Paris, Klincksieck, 2009, p. 14.


L’avènement du direct: Un moment de l’histoire du cinéma

Entre 1956, surtout 1960 et 1964, aux États-Unis, en France et au Québec, quelques réalisateurs vont proposer une nouvelle manière de faire du documentaire. Richard Ricky Leacock et Robert Drew fondent Drew Associates en 1960. Ils tournent plusieurs films dont Primary (1960). L'équipe suit la campagne de Kennedy dans le Wisconsin. Ils filment les discours publics depuis la salle, mais aussi les échanges informels depuis l'arrière-salle. La caméra est dite "embarquée". L'équipe bénéficie d'un accès privilégié. La proximité de point de vue est assez visible à l'écran. Ils travaillent ensuite avec Donn Alan Pennebaker dont les films les plus connus sont Dont Look Back (1967) et Monterey Pop (1968). Ils créent alors Leacock Pennebaker Inc. (1963). Le principe est le même, mais à propos de sujets moins directement politiques.


Filmer l’exercice du pouvoir « en toute intimité »

Crisis: Behind a Presidential Commitment. Réalisé par Robert Drew. 1963


À Paris, Edgar Morin et Jean Rouch tournent Chronique d’un été. Ils utilisent alors l’expression Cinéma vérité sur laquelle nous reviendront la semaine prochaine. Le direct est lié à des réalisateurs comme Mario Ruspoli qui s’intéresse, entre autres, au monde paysan et à la folie dans Les Inconnus de la terre et Regard sur la folie (1961).

Nous reviendrons sur ce film la semaine prochaine


« La défense et l’illustration du cinéma direct comme aventure humaine collective au service du bien commun »*

Méthode 1. Réalisé par Mario Ruspoli. 1963.

*Caroline Zéau, « Mario Ruspoli et Méthode I », Décadrages [En ligne], 18, 2011.


Comme l’explique Caroline Zéau: Au son de ce premier plan, on peut entendre le bruit mécanique du moteur de la caméra ; « Coupons-lui la langue ! », dit la voix et le bruit cesse. Déjà, il nous est permis de penser que ce film à vocation pédagogique sera aussi et surtout un programme et un manifeste. (…) Alors que l’équipe professionnelle prépare son matériel et s’élance dans la ville, un exemple nous est donné de ce que le cinéma direct permettra désormais si souvent : saisir avec empathie et précision les gestes, outils et corps, au travail (…). Là encore la caméra habite l’espace autour des techniciens et le montage renforce la concordance des gestes, la chorégraphie d’ensemble des trois hommes. La démonstration est amorcée avant même qu’ils aient commencé à filmer [!] « Mario Ruspoli et Méthode I », Décadrages [En ligne], 18, 2011.


À Montréal, Hubert Aquin, Michel Brault, Bernard Gosselin, Gilles Groulx, Pierre Perrault et Marcel Carrière entre autres, participent, au sein de l’équipe francophone de l’Office National du Film, au développement du direct. C’est l’institution, qui sans toujours les soutenir, leur permet d’exister. Ils font groupe, sans pour autant partager la même vision du cinéma. 4 axes seraient possibles pour aborder le direct au Québec: - Sujets politiques (identité francophone québécoise) - Définition d’une esthétique ? - Pratique de la technique - Politique de la représentation (on abordera aussi cette question).


La séquence du couronnement de la reine

Les Raquetteurs. Réalisé par Michel Brault et Gilles Groulx. 1958.

https://www.onf.ca/film/les_raquetteurs/


Entrée au domicile des ouvriers francophones

À Saint-Henri le cinq septembre. Réalisé par Hubert Aquin. 1962.

https://www.onf.ca/film/a_saint-henri_le_cinq_septembre/


Le cinéma direct: Un moment de l’histoire du cinéma… et une esthétique? - absence de voix off (disparition progressive de la voix off) - refus de suivre des scénarios établis avant le tournage (contestation de ce modèle). Volonté de travailler avec un temps de repérage, de coconstruction des enjeux avec ceux qui sont filmés, puis d’improvisation lors du tournage. - peu de musique extra-diégétique (retrait progressif des effets lénifiants liés à ce type de musique) - sortir dans la rue (voire dans les champs) pour donner la parole aux membres d'une communauté/groupe: synchroniser le son et l’image. - caméra portée à l'épaule (tremblée, mouvement, etc.) « devient une partie du corps du caméraman » comme l’explique Ruspoli (cité par Zéau). - montrer l’action de filmer comme une activité collective. Mise en scène de l’enquête - assumer une forme de subjectivité (vs. discours descriptif) Différences et continuité avec Vertov et Flaherty.

L’Homme à la caméra Time code: 17:53

Nanook Séquence de la chasse


Faire partie de l’action Faire quelque chose ensemble pour donner à voir un groupe social Le film ne porte pas sur la chasse [cas Nanook], mais sur la reconstitution je me suis aperçu que Pour la suite du monde avait été possible (...) parce qu'il y avait le marsouin. Il y avait quelque chose d'extérieur qui attirait tout le monde. De cet enseignement, j'ai tiré la conclusion qu'il fallait, pour faire cette sorte de cinéma, placer les gens dans leur vie. (...) Il y a des marsouins dans toutes les vies.

Pierre Perrault, l'action parlée. Réalisé par Jean-Louis Comolli dans le cadre de l'émission Cinéastes de notre temps. 1968.


Reconstitution plus qu’enregistrement

Nous nous proposons de provoquer artificiellement la reprise de la pêche aux marsouins et de profiter de l’occasion pour faire un film qui tachera de capter le plus honnêtement possible la saveur de ces gens. Pierre Perrault, Document 3.2: Projet de film à l’île aux Coudres, p. 4, cité par Vincent Bouchard, 2012, p. 199. En ligne: http://books.openedition.org/septentrion/9492


Donner à voir une société à travers les légendes, la mémoire et les pratiques éculées liées à la chasse au marsouin.


Le cinéma direct: Un moment de l’histoire du cinéma… et une esthétique… et/ou une pratique La thèse de Vincent Bouchard, c’est qu’il n’y a pas véritablement d’unité formelle entre les films qui sont produits par l’équipe de l’ONF. Il y a, par contre, des préoccupations communes et des manières de faire qui s’élaborent ensemble. Il y a une façon de travailler en particulier. Les techniciens et les réalisateurs échangent et élaborent ensemble des projets. « les réalisateurs deviennent techniciens ; ensuite, les preneurs de son et les cadreurs sont de plus en plus concernés par la réalisation » (2012, p. 85) Bien souvent, c’est le fait de dépasser une limite technique qui guide la réalisation d’un film. Il faut filmer dans les habitations sombres de Saint-Henri, s’approcher au plus près des visages, dans le mouvement des corps, dans le froid de l’hiver québécois, dans l’humidité du Saint-Laurent, etc. Cela signifie notamment que la caméra doit être silencieuse. Surtout, il faut être capable de synchroniser le son et l’image avec une équipe légère. Cela signifie à l’époque un opérateur, un preneur de son et un réalisateur. L’équipe doit s’intégrer dans le groupe/ la société qui est filmée.


Il faut filmer dans les habitations sombres de Saint-Henri, s’approcher au plus près des visages, dans le mouvement des corps, dans le froid de l’hiver québécois, dans l’humidité du Saint-Laurent, etc. Filmer les corps, mais aussi les relations interpersonnels et les imaginaires propres aux groupes.

Bûcherons de la Manouane. Réalisé par Arthur Lamothe. 1962. Golden Gloves. Réalisé par Gilles Groulx. 1961. La Lutte. Réalisé par Michel Brault et al. 1961.


Tournage de Pour la suite du monde.

Photographie de tournage de Pour la suite du monde (Michel Brault, Marcel Carrière, Pierre Perrault, 1962), Marcel Carrière et Michel Brault filmant en extérieur (tournage synchrone).

Photographie de tournage de Pour la suite du monde (Michel Brault, Marcel Carrière, Pierre Perrault, 1962), Pierre Perrault tient le micro devant Alexis Tremblay et Abel Harvey.


Pour résumer:

Vincent Bouchard montre comment entre 1956 et 1960, de petits bricolages, incorporés par la suite à d’autres appareils, ont permis de réduire les dimensions et d’alléger des caméras et des magnétophones, comme de les rendre autosilencieux. Il rend aussi compte de la manière dont entre 1960 (année de l’arrivée du Nagra III au Québec) et 1964, il a progressivement été plus facile de filmer en son synchrone à l’extérieur


La notion de Direct Un fait de langage La notion de « direct » correspond donc à cette capacité de filmer « en direct » quelque chose qui se passe devant la caméra (en lien avec le sport ou la captation des événements à la TV). Il y a aussi l’idée que la légèreté du dispositif conduirait à ce qu’il ne soit plus visible. Le direct c’est aussi l’idée d’avoir accès directement à un son et une image qui soit synchronisés sans avoir besoin de postproduction. C’est quelque chose qui est permis par la technique. L’idée de direct rejoint donc les notions d’enregistrement, de proximité, d’immédiateté, de transparence, de mise en contact, etc. que nous avons déjà étudiées. La notion de Cinéma vérité nous conduit, elle, plus du côté de l’opacité, de réflexivité et/ou d’une volonté d’utiliser un ensemble d’innovations techniques pour porter un regard différent sur la société. Nous verrons cela la semaine prochaine.


La notion de Direct Un fait de langage… qui éloigne parfois de la pratique Nous nous proposons de provoquer artificiellement la reprise de la pêche aux marsouins et de profiter de l’occasion pour faire un film qui tachera de capter le plus honnêtement possible la saveur de ces gens. Pierre Perrault, Document 3.2: Projet de film à l’île aux Coudres, p. 4, cité par Vincent Bouchard, 2012, p. 199.

Il y a une tension entre une pratique assumée de la reconstitution et l’idée que cette reconstitution peut conduire à l’enregistrement le plus direct possible d’une interaction sociale/ vie d’un groupe. Cependant, il faut ici considérer le rôle du montage du son!


La notion de Direct Un fait de langage… qui éloigne parfois de la pratique Dans le direct, il n’y a pas de voix off, un minimum de bruit d’ambiance (son libre), mais beaucoup de montage!

il faut faire ici une distinction entre le son direct et le son synchrone (…) [car] le monteur déplace de nombreux sons afin de créer un contexte sonore (Bouchard, 2012, p. 175-76).


La technique pour un son strictement synchrone existait Le single system, a été développé pour répondre aux besoins de reportage des télévisions. Le son et l’image sont enregistrés sur la même bande. L’image est fixée sur une partie de la pellicule, généralement dans un format 16mm. Une bande est réservée au son, sur piste optique ou magnétique (…). Ce système peut sembler parfaitement adapté au cinéma léger et synchrone. Or, le single system n’est retenu par les cinéastes dans aucun des pôles de développement (…). En fait, le single system ne s’adapte pas aux besoins des cinéastes du direct. Le gros défaut de ce type de synchronisation est la difficulté de réaliser des montages complexes avec un son et une image fixés sur le même support (Bouchard, 2012, p. 130).

En fait, ce qui intéresse les réalisateurs et les techniciens du direct, c’est la possibilité de synchroniser l’image et le son tout en les conservant sur deux supports distincts. L’image est filmée par la caméra. Le son est enregistré par un magnétophone (souvent un Nagra). Cela permet a posteriori de travailler le son au montage. Ainsi, le cinéma direct est il bien léger, mais il est bien souvent non synchrone!


Quelle est l’actualité du direct? Une esthétique ou une pratique?

Reproduire les critères définitoires d’un style (une pratique encore courante à l’ONF notamment) ou poursuivre une expérimentation sur la technique. Cette seconde option conduit à se demander quels sont les lieux qui reprennent l’esprit du direct aujourd’hui. Une proposition pourrait être de les retrouver du côté des images produites avec des téléphones portables ou avec des caméras d’action, comme c’est le cas dans le film Leviathan (2012). Concernant l’ONF, ce serait alors les « projets spéciaux » (projections sur dôme comme Kyma, dans l’espace public comme Expo67Live, usage de caméras thermiques comme Ora) et le webdocumentaire (ONF/Interactive) qui seraient concernés. Le questionnement doit rester ouvert.


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