Cinéma et sciences humaines CIN-‐2116 Mercredi 19h à 22h, Local B-‐4245, Pav. Jean Brillant
Chargé de cours: Rémy Besson
Cours 9: le spectateur impliqué
Plan du cours 0. Retour sur le cours 8 : De la représentaMon du poliMque à la manière de filmer comme geste poliMque 1. Impliquer le spectateur dans la créaMon des images comme geste fraternel 2. Impliquer le spectateur dans la créaMon des images: les limites de la fraternité.
Retour sur le cours 8: méthodologie De la représentaMon du poliMque à… … la manière de filmer comme geste poliMque SorMr de l’analyse de séquence pour interroger des disposi.fs filmiques/ environnements médiaMques. « Les disposiMfs [filmiques] sont avant tout des manières d’être ensemble où des gestes, des interacMons, des négociaMons, s’inscrivent dans un ici et maintenant dont il est impossible de penser par avance le résultat. »
Boukala, Mouloud. Le Disposi2f cinématographique, un processus pour [re]penser l’anthropologie. Paris: Téraèdre, 2009, p. 104.
Retour sur le cours 8: méthodologie De la représentaMon du poliMque à… … la manière de filmer comme geste poliMque SorMr de l’analyse de séquence pour interroger des disposiMfs filmiques/ environnements média.ques. Cela signifie s’intéresser à la technique et au travail sur le plateau de tournage, c’est-‐à-‐dire à considérer ce qui se passe devant la caméra comme un environnement médiaMque me^ant en relaMon un espace, une durée, des individus (devant et derrière la caméra) et des supports médiaMques (ici la caméra vidéo).
La place du chef op’ comme acteur ou l’impossible rencontre
La Vie d’Adèle (2013), tc: 13:30 à 16:30
La place du chef op’ comme acteur ou la coprésence des actrices à l’écran
La Vie d’Adèle (2013), tc: 44:30 à 51:00
ParMe 2 cours 8: La manière de filmer comme geste poliMque Ce qui est filmé peut être interprété en termes poliMques, mais c’est aussi… Ce^e manière de filmer qui est poliMque, car elle revient à aménager un espace visuel dans lequel les deux jeunes femmes peuvent vivre leur histoire d’amour. Ce principe visuel est d’ailleurs maintenu tout au long du film.
Pour conclure:
Ce qui est commun avec les disposiMfs de l’anthropologie/sociologie visuelle tels qu’on les a étudiés, c’est une caméra à la fois très présente – on est toujours conscient qu’il y a quelqu’un qui filme, le chef op’ qui est un personnage comme le chercheur – et en même temps que la caméra se veut invisible, c’est-‐à-‐dire qu’elle n’est ni subjecMve (on ne voit pas le monde à parMr du point de vue de l’enMté-‐opérateur), ni pensée comme modifiant le réel observé (idée accoutumance à sa présence). La caméra est un ouMl qui permet donner un accès le plus direct possible à ce qui se passe devant la caméra (phénomène social observé). Mais a^enMon, dans ce cas, c’est la ficMon!, donc, il s’agit d’un effet. Plus justement, il s’agit de la manière dont Kechiche s’est approprié (consciemment ou non telle n’est pas la quesMon) une manière de filmer qui vient de l’anthropologie/sociologie visuelle pour me^re en scène ses intrigues.
Par.e 1 cours 9: Impliquer le spectateur dans la créa.on des images comme geste fraternel On a déjà vu dans le cadre des séances précédentes: -‐ De quelles manières les réalisateurs s’approprient les sciences humaines? -‐ De quelles manières ceux qui praMquent les sciences humaines s’approprient la caméra? Il est temps de se demander: -‐ De quelles manières ceux qui sont filmés et/ou qui regardent ces films peuvent être impliqués dans la concepMon des images?
ParMe 1: Que se passe-‐t-‐il quand le spectateur est impliqué dans le processus de réalisaMon?
SorMr de l’analyse de séquence pour interroger des disposiMfs filmiques/ environnements média.ques. Cela signifie s’intéresser à la technique et au travail sur le plateau de tournage, c’est-‐à-‐dire à considérer ce qui se passe devant la caméra comme un environnement médiaMque me^ant en relaMon un espace, une durée, des individus (devant et derrière la caméra) et des supports médiaMques (ici la caméra vidéo).
Reme^re en cause ce^e disMncMon! (même quand aucune image n’est filmée)
Le format Ciné-‐tract Un format qui émerge lors du mouvement social de mai 1968: Une centaine de films 16mm, noir et blanc, muets, de 2-‐3 minutes composés d’images fixes et de textes réalisés (souvent pour des quesMons de coût), de manière collecMve par des amateurs et des réalisateurs expérimentés, parfois ensemble, toujours dans un but militant (agir par l’image).
Ciné-‐tract, numéro 23, 1968, h^ps://www.youtube.com/watch?v=D5KOsBPY1XA
Formes contemporaines: Ciné-‐tracts, par des étudiants de l’Université Paris 8, printemps 2016.
Lien avec cours 3 La cri.que des médias
PraMque du mashup qui est répandue à l’époque du numérique!
Au-‐delà des étudiants : Que se passe-‐t-‐il quand la caméra est partagée et/ou donné à celui qui n’a jusque-‐là été considéré comme un-‐e spectateur/trice? Le cas (très parMculier) du groupe Medvedkine. La manière de filmer comme un geste fraternel Froger, Marion. « De la fraternité. À propos des groupes Medvedkine ». Cinémas, 17/1, 2006, 118-‐143.
Le Train en marche comme mode de présentaMon du groupe Medvedkine
Séquence d’ouverture de A bientôt j’espère, Chris Marker et Mario Marret, 1967-‐68
Ce geste fraternel est un geste d’accueil — donc déjà de retrait — qui se manifeste dans la finesse du montage de la première séquence du film : il est vrai qu’accueillir quelqu’un dans un film n’est pas une mince affaire. (…) Le travail d’accueil repose précisément sur ce^e mise en situaMon qui part d’une observaMon lointaine pour finir en accompagnement.
Froger, Marion, p. 122. Une forme que nous avons d’ailleurs déjà étudiée chez Kechiche, à Mtre d’effet, dans la séquence d’ouverture de L’Esquive (cf. cours 8).
A bientôt j’espère, Chris Marker et Mario Marret, 1967-‐68
« Mais [le 27 avril 1968] À bientôt j’espère est mal reçu par les ouvriers, qui s’en ouvrent à Chris Marker, présent dans la salle. Ils se rebiffent devant l’image et la façon de s’exprimer des leurs ; ils regre^ent que les discours soient plus plainMfs que vindicaMfs. Ils ne comprennent pas les choix de Chris Marker, qui semble avoir écarté délibérément la dureté de l’oppression, le travail de lu^e des ouvriers, leurs revendicaMons. Mais Chris Marker ne se démonte pas, accepte la criMque. Vous avez raison, leur dit-‐il en substance, je ne pou vais faire le film que vous auriez fait. » Froger, Marion, p. 121.
La fraternité se situe donc au moins à deux niveaux, d’abord dans la manière dont Marker crée un espace dans lequel présenter les corps, les voix et les gestes des ouvriers, puis aussi dans la manière dont il les accompagne dans leur appropriaMon de la caméra. Ce geste fraternel donne lieu à au moins deux types de films: -‐ Ceux dans lesquels c’est moins le sujet filmé, que le geste de filmer ensemble qui devient poliMque (c’est là encore souvent le fait de gens de cinéma conduisant à des films sans réalisateur). -‐ Ceux dans lesquels les deux aspects sont menés de front: sujet poliMque et nouvelle manière de filmer elle-‐même en soi poliMque.
LeHre à mon ami Pol Cèbe, réalisé par Michel Desrois, Antoine BonfanM et José Thé, 1971.
Classe de luHe, coord. par Pol Cèbe, 1969
« La leHre à Pol Cèbe travaille le « plein » qui caractérise à la fois le geste de filmer et l’émoMon jubilatoire qui l’accompagne. Cela se traduit par un long plan séquence cisaillé de jump cuts, pris de l’intérieur d’une voiture lancée sur l’autoroute et dans laquelle se trouvent nos trois professionnels et la caméra. Celle-‐ci circule entre leurs mains, effectue un mouvement de rotaMon complet qui vise à supprimer toute disMncMon entre le cadre et le hors-‐cadre, donc à fondre l’espace filmique (lié aux champs et aux hors-‐champs du film) et l’espace cinématographique de la producMon. » Froger, Marion, p. 126
Le mouvement de libéraMon des femmes, ici rendu par la prise de parole en public
« Suzanne joue son propre rôle et sa maladresse d’actrice improvisée, filmée par un apprenM cinéaste, est non seulement visible mais vécue comme maladresse, ce que montre un peMt sourire de connivence qu’elle adresse au caméraman. Lorsqu’elle monte dans sa voiture, sa « pause » transforme un geste banal en problème de posiMonnement du corps devant la caméra : elle ne sait plus de quel côté regarder, et même la porte du véhicule joue maladroitement son rôle en se rouvrant à la fin du plan ! Le spectateur qui accepte ce^e maladresse comme signe relaMonnel comprend, à travers ce^e applicaMon à bien faire, qu’une invitaMon lui est faite de partager le plaisir du tournage ; il comprend que ce^e maladresse est le signe d’un désir de faire ensemble, si elle ne peut être celui d’une maîtrise de la situaMon. » Froger, Marion, p. 128
Par.e 2: Impliquer le spectateur dans la créa.on des images: les limites de la fraternité.
Un film fraternel, qui montre de l’intérieur la libéraMon des femmes au moment de 1968…
… mais aussi un film de propagande, qui
représente une passionaria très poliMsée
… mais aussi un film de propagande, qui
représente une passionaria très poli.sée
« Peu importe finalement que Classe de luHe procède au montage panégyrique d’une vie et soit un discours édifiant sur la valeur de l’engagement. » Froger, Marion, p. 129 Est-‐ce bien certain?
Reprenons en intégrant ce^e fois les plans montés quelques secondes avant la prise de parole
Revoir la présentaMon de Le Train en marche de Medvedkine ce^e fois comme un extrait du film de Pierre Beuchot, De l’icône au kino, 1987.
Pour conclure
Sans caricaturer les choses, il s’agit de remarquer que le fait de donner la caméra à un groupe de personnes donné n’induit en rien le fait que la représentaMon qu’ils vont proposer d’eux-‐mêmes soit moins emprunte d’une esthéMque classique (choix d’un récit centré sur une héroïne) et d’un point de vue poliMque clairement idenMfiable (perspecMve communiste ici). Au final, on peut se demander (sans apporter de réponse) si le film de Chris Marker et Mario Marret, A Bientôt j’espère, donc réalisé par des auteurs, n’était pas sur certains points plus proche de ce que les ouvriers ont vécu que le film que les ouvriers eux-‐mêmes ont réalisés. Ainsi, on serait ici tenter de conclure sur une forme de tension entre fraternité et propagande. Dans tous les cas, le fait de donner accès aux moyens de producMon (ou de s’approprier la caméra) n’induit pas, comme par magie, le retrait des codes du cinéma et des quesMons liées à l’expression d’un point de vue poliMsé. La dimension poliMque du geste de filmer ensemble conduit, en effet, dans le cas étudié à une forme de retour d’une représentaMon très classique du poliMque à l’écran.