Cinéma et sciences humaines CIN-‐2116 Mercredi 19h à 22h, Local B-‐4245, Pav. Jean Brillant
Chargé de cours: Rémy Besson
Lien avec le cours 4 (méthodologie)
Le monde de l’art
La société
La pensée d’Edgar Morin: IntroducNon à la pensée complexe Connaître comporte « informaNon », c’est-‐à-‐ dire la possibilité de répondre à des incerNtudes. Mais la connaissance a besoin de structures théoriques pour pouvoir donner sens aux informaNons; et alors on se rend compte que si nous avons trop d’informaNons et pas assez de structures mentales, l’excès d’informaNons nous plonge dans un « nuage d’inconnaissance », ce qui nous arrive fréquemment quand nous écoutons la radio ou lisons nos journaux. (…) Nous voyons donc bien que se pose un problème : trop d’informaNons obscurcissent la connaissance. Mais il y a un autre problème : trop de théorie l’obscurcit aussi. (…) Autrement dit : la théorie-‐qui-‐sait-‐ tout déteste la réalité qui la contredit et déteste la connaissance qui la conteste. Edgar Morin, Science avec conscience, Seuil, 1990 (1ère Edt. Fayard, 1982), p. 93
La noNon la plus forte est celle de boucle auto-‐ génératrice ou récursive, c'est-‐à-‐dire où les effets et les produits deviennent nécessaires à la producNon et à la cause de ce qui les cause et de ce qui les produit. Exemple évident de ce type de boucle, nous-‐mêmes, qui sommes les produits d'un cycle de reproducNon biologique dont nous devenons, pour que le cycle conNnue, les producteurs. Nous sommes des produits producteurs. Ainsi, la société est le produit des interacNons entre individus, mais au niveau global, justement, émergent des qualités nouvelles qui, rétroagissant sur les individus -‐ le langage, la culture -‐ leur permet de s'accomplir comme individus. Les individus produisent la société qui produit les individus.
informa2on
théorie
« Comment se répand le cinéma? » -‐ Lien avec le cours 4 (méthodo) Robert Mandrou
Morin, Edgar. Le Cinéma ou l’homme imaginaire. Paris: ÉdiNon de Minuit. 1956.
Plan du cours Cinéma-‐vérité
1
Changement de perspecNve Cinéma direct Changement technique
Cinéma-‐vérité
2
Changement technique
Changement de discours
3
Définir le cinéma direct aujourd’hui L’aventure extraordinaire du cinéma direct commence presque simultanément dans trois pays : les États-‐Unis, la France et le Canada. Ici, c’est à l’ONF qu’elle prend son envol et elle est étroitement liée à l’histoire de l’équipe française. (…) Ces créateurs veulent rompre avec la manière tradiNonnelle de faire du documentaire. Alors que les films sont tournés avec des caméras lourdes et peu mobiles, un matériel sonore imposant et un éclairage sophisNqué, les cinéastes de l’équipe française tournent avec l’éclairage ambiant, des caméras légères qu’on porte à l’épaule et un magnétophone portaNf capable de capter le son en direct et en simultané avec l’image. St-‐Pierre, Marc. Le cinéma direct à l'ONF ou la consolida<on de l'équipe française. Site de l'ONF. URL: hjps://www.onf.ca/selecNons/marc_st-‐pierre/le-‐cinma-‐direct-‐lonf-‐ou-‐la-‐consolidaNon-‐de-‐lquipe/
Ou le cinéma-‐vérité au tournant des années 60 « Cinéma direct », « Cinéma-‐vérité », « Candid Eye », « Living Camera », « Cinéma-‐sincérité », « Cinéma-‐authenNcité », « Ciné ma vérité » : dans le domaine du cinéma non-‐ficNonnel, le début des années 1960 se disNngue par de nombreuses innovaNons techniques (caméra 16mm légère et silencieuse, magnétophone synchrone), mais aussi terminologiques et théoriques.
Graff, Séverine. «"Cinéma-‐vérité" ou "cinéma direct" : hasard terminologique ou paradigme théorique ? » . Décadrages, 18 [en ligne]
Séquence d’ouverture de Chronique d’un été. 1961.
Le rapport au cinéma documentaire militant 1
Changement de perspecNve
Cinéma-‐vérité
2
Changement technique
Changement de discours
3
Lien avec le cours 4 (méthodo) Le cinéma-‐vérité était dans l’impasse. Ce qu’il pouvait saisir, c’était les travaux et les gestes des champs ou de l’usine, c’était le monde des machines et de la technique, c’était les grandes masses humaines en mouvement. C’est dans ceje direcNon que se sont engagé soit Joris Ivens, soit l’école documentariste anglaise de Grierson.
Le rapport au cinéma anthropologique 1
Changement de perspecNve?
Cinéma-‐vérité
2
Changement technique
Changement de discours
3
Y a-‐t-‐il quelque chose de changé depuis quelques années? Nous avons eu l’impression, à Florence, qu’il y avait un nouveau mouvement pour réinterroger l’homme par le cinéma, aussi bien dans The Lambeth Boys, document sur ces clubs de jeunes à Londres (primé à Tours). On the Bowery, documents sur les ivrognes d’un quarNer de New York, The Hunters, document sur des chasseurs bushmen, et bien entendu les films déjà bien connus de Jean Rouch.
Dernière séquence de Marshall, John. The Hunters. 1958
hjps://archive.org/details/huntersfilmpart2
« un droit de regard et de parole » Ce qui est inacceptable pour lui [celui qui praNque l’anthropologie visuelle] est le point de vue unique, exclusif et asymétrique porté sur les cultures des autres, lesquels, n’étant plus acteurs mais agis, deviennent de simples supports de projecNons occidentalisantes. Ce point de vue unique, qui recèle une charge d’une extrême violence, doit être qualifié de colonial. C’est du moins ainsi que de nombreux groupes ethnologisés le perçoivent aujourd’hui. Ils acceptent de moins en moins d’être traités en objet (d’étude) et revendiquent – un droit de regard et de parole. LaplanNne, François. « L’expérimentaNon anthropologique ». Dans Francine Saillant (dir.). Réinventer l’anthropologie. Liber: Montréal, 2009, p. 233-‐34.
Éviter l’anachronisme! (lien avec cours 4) Ce qui est inacceptable pour lui [celui qui praNque l’anthropologie visuelle] est le point de vue unique, exclusif et asymétrique porté sur les cultures des autres, lesquels, n’étant plus acteurs mais agis, deviennent de simples supports de projecNons occidentalisantes. Ce point de vue unique, qui recèle une charge d’une extrême violence, doit être qualifié de colonial. C’est du moins ainsi que de nombreux groupes ethnologisés le perçoivent aujourd’hui. Ils acceptent de moins en moins d’être traités en objet (d’étude) et revendiquent – un droit de regard et de parole. LaplanNne, François. « L’expérimentaNon anthropologique ». Dans Francine Saillant (dir.). Réinventer l’anthropologie. Liber: Montréal, 2009, p. 233-‐34.
Principes de l’anthropologie visuelle (aujourd’hui)
Quoi qu’il en soit, une version filmée sera toujours la version synthéNque du réalisateur, quand bien même s’efforcerait-‐il d’adopter le point de vue de ses hôtes (…) Ce qui a changé depuis les années 1970, c’est le renoncement à l’idée du point neutre; c’est l’abandon d’une posiNon en surplomb, qui permejrait de décrire « objecNvement » un évévenement. Colleyn, p. 145.
Du risque d’anachronisme à celui de l’ethnocentrisme Comment s’étonner qu’en conNnuant à poser l’existence de « formes a priori » universelles et anhistoriques et à postuler ce point de départ absolu d’un sujet transcendantal, c’est-‐à-‐dire occidental, on réduit les autres au même et plus précisément à soi-‐même? Comment ne pas percevoir aussi dans ces condiNons le peu d’enjeu de la recherche, son caractère extrêmement prévisible? LaplanNne, p. 224.
P o u r c e r t a i n s a u t e u r s , u n fi l m ethnographique n’est jamais autre chose qu’une construcNon visant à creuser la distance entre un Je-‐voyeur tout puissant et un autre subalterne. Colleyn, p. 143.
Principes de l’anthropologie visuelle (aujourd’hui)
La plupart des chercheurs qui recourent à la caméra savent qu’ils recourent à la caméra ou au caméscope savent que réaliser un film « ethnographique » est un exercice discursif. Colleyn, p. 145.
Principes de l’anthropologie visuelle (aujourd’hui) Il nous est impossible d’avoir accès au réel en lui-‐même indépendamment d’une relaNon et d’une perspecNve et il nous est i m p o s s i b l e d ’ e n r e n d r e c o m p t e i n d é p e n d a m m e n t d ’ u n e m i s e e n perspecNve nécessairement parNelle, limitée et provisoire. (…) L’anthropologie, quant à elle, n’est pas seulement une perspecNve qui s’oppose à la croyance en une supposée objecNvité et neutralité du réel: les situaNons auxquelles nous sommes confrontées se dérouleraient toutes seules sous nos yeux. Il n’y aurait plus qu’à enregistrer. LaplanNne, p. 229.
Pour une anthropologie performaNve (lien avec Bourdieu)
rescénarisa2on assumée
illusion de transparence
[L’anthropologie praNquée au cinéma] peut procéder à une autre mise en scène, à une remise en scène c’est-‐à-‐dire à une mise en quesNon des scènes qui se présentent comme naturelles et évidentes, mais qui sont presque toujours en fait normalisantes. Or ceje remise en scène (que l’on peut aussi qualifier de r e s c é n a r i s a N o n , v o i r e d e c o n t r e -‐ scénarisaNon procédant à une dé-‐ normalisaNon de ce qui paraissait normal) peut être appelée réalisme (ou plus exactement néoréalisme). LaplanNne, p. 233.
Principes de l’anthropologie visuelle La caméra aussi est performaNve Le cinéma est « performaNf » (…). Jean Rouch a été l’un des premier à souligner ce caractère créaNf du cinéma documentaire. Exemple: la présence de la caméra créé un espace d’expression. Un rituel, ou un organe poliNque, a déjà son mejeur en scène plus ou moins centralisé en la personne d’un prêtre ou d’un groupe de prêtres. (…) Le film est donc une représentaNon de représentaNon, mais la représentaNon première est, plus ou moins selon les cas, ouverte à une série d’improvisaNon. Colleyn, p. 144.
Y a-‐t-‐il quelque chose de changé depuis quelques années? Nous avons eu l’impression, à Florence, qu’il y avait un nouveau mouvement pour réinterroger l’homme par le cinéma, aussi bien dans The Lambeth Boys, document sur ces clubs de jeunes à Londres (primé à Tours). On the Bowery, documents sur les ivrognes d’un quarNer de New York, The Hunters, document sur des chasseurs bushmen, et bien entendu les films déjà bien connus de Jean Rouch.
Séquence d’ouverture de Rogosin, Lionel. On the Bowery. 1957.
The Lambeth Boys tente, ceje fois, de nous montrer ce que sont vraiment des jeunes, dans leurs loisirs. Ceci n’a pu être o b t e n u q u e p a r l ’ o b s e r v a N o n parNcipante, l’intégraNon du cinéaste dans le club des jeunes et au prix de mille imperfecNons, ou plutôt de l’abandon des règles du cadrage. (…) On pressent que le documentaire veut quijer le monde de la producNon pour n o u s m o n t r e r l e m o n d e d e l a consommaNon.
Extrait de Reisz, Karel. The Lambeth Boys. 1958.
Le rapport au cinéma documentaire anthropologique 1
Changement de perspecNve
Cinéma-‐vérité
2
Changement technique
Changement de discours
3
Le nouveau cinéma-‐vérité qui se cherche, possède désormais sa caméra-‐ stylo, qui permet à un auteur de rédiger seul son film (caméra 16mm et magnétophone portaNf). Il a ses pionniers, qui veulent pénétrer au delà des apparences, des défenses, entrer dans l’univers inconnu du quoNdien. (…) Peut-‐on maintenant espérer des films aussi vraiment humains sur les ouvriers, les peNts bourgeois, les peNts bureaucrates, les hommes et les femmes de nos énormes cités? (…) Le cinéma ne peut-‐il être un des moyens de briser ceje membrane qui nous isole chacun les uns des autres dans le métro ou dans la rue, dans l’escalier de l’immeuble?
Franchissement du seuil: Ou l’impossibilité de parler dans la rue
Séquence d’ouverture de Rogosin, Lionel. On the Bowery. 1957.
Séquence d’ouverture de Chronique d’un été. 1961.
Une rupture d’ordre technique: cinéma léger Caméra légère et silencieuse portée à l’épaule et son enregistré en parallèle des images, l’objecNf du cinéma direct était tout à la fois de capter la parole et de rendre visible les corps des individus dans leurs acNvités les plus habituelles. Refusant les équipes trop nombreuses, l’éclairage arNficiel, le commentaire omniscient, le scénario préétabli, le cadre fixe, en somme, « l’esthéNque figée des beaux d o c u m e n t a i r e s » ( p . 7 9 . ) , i l s o n t progressivement choisi d’assumer une certaine forme de subjecNvité, afin de filmer sur le vif une histoire du quoNdien.
Mouvement qui a lieu au Québec, en France et aux États-‐Unis
Un cinéma léger, mais pas si « direct »
Bucher, François. Chronique d'un film. 2013.
Mais est-‐ce que le cinéma-‐vérité est seulement une rupture technique?
Le rapport au cinéma documentaire anthropologique 1
Changement de perspecNve
Cinéma-‐vérité
2
Changement technique
Changement de discours
3
Une autre piste: la commensalité
Morin, Edgar. Propos recueillis par Monique Peyriere. 19 octobre 2012
Qu’on ne se trompe pas. Il ne s’agit pas seulement de donner à la caméra ceje légèreté du stylo qui permet au cinéaste de se mêler à la vie des hommes. Il s’agit en même temps de tenter un effort pour que celui qui est filmé se reconnaisse dans son propre rôle. (…) Il est donc possible à la manière du sociodrame*, de permejre à chacun de jouer sa vie devant la caméra. Et comme dans un sociodrame, ce jeu a valeur de vérité psychanalyNque, c’est-‐à-‐dire qu’effleure à l a s u r f a c e d e s r ô l e s c e q u i , précisément, est caché ou refoulé, la sève même de la vie que nous cherchons partout et qui, pourtant, est en nous. *Méthode psychothérapeuNque par laquelle un groupe choisit et met en scène une situaNon qui est commune à ses membres (wiki).
Séquence du « sociodrame » de Rogosin, Lionel. Come Back Africa. 1959.
Séquence de « sociodrame » issue de Chronique d’un été. 1961.
Séquence métadiscurive issue de Chronique d’un été. 1961.
Le rapport au « cinéma direct » 1
Changement de perspecNve
Cinéma-‐vérité
2
Changement technique
Changement de discours
3
Le rapport au « cinéma direct » L’hypothèse de départ de Le Cinéma-‐vérité est que si ceje expression désigne aujourd’hui un moment d’innovaNon technologique, ceje définiNon n’a rien de naturel ou d’objecNf. Elle résulte, en fait, d’une construcNon d’ordre cinéphilique, social et poliNque (souvent rétrospecNve), dont il est possible de faire l’histoire depuis 1960 jusqu’à aujourd’hui. Sans concession, l’auteure note, « ce mythe a une histoire et une existence propres et [il] ne doit être confondu avec le matériel effecNvement disponible durant la première moiNé des années 1960 » (p. 241).
Le rapport au « cinéma direct »
Dès le début de l’année 1962, il y a un véritable écart, entre la manière dont les films sont réalisés (souvent avec des techniques ni synchrones, ni légères) et le récit criNque qui est produit à parNr d’eux (justement axé sur la combinaison du son synchrone et de la caméra légère). Au tournant de l’année 1963, le cinéma-‐vérité devient alors synonyme d’un « effacement du cinéaste devant la réalité » (p. 188) et d’une croyance dans la transparence du média. L’idée selon laquelle la vérité consNtue quelque chose vers quoi la mise en place de divers disposiNfs filmiques permet de tendre est rendue incompréhensible. Les principes de Morin sont donc détournés, ou plus justement remplacés, par l’idée qu’une nouvelle technologie – la possibilité de synchroniser le son et l’image via un Nagra et une caméra portable à l’épaule – permet un accès renouvelé à la réalité.
Le rapport au « cinéma direct »
Ce changement de perspecNve conduit à l’avènement progressif de la noNon, plus consensuelle, de « cinéma direct » (…) Durant la seconde moiNé des années 1960, il n’est plus quesNon d’adopter un nouveau point de vue pour appréhender le monde, ce qui correspond à l’enjeu de départ (1960), mais d’uNliser un nouveau matériel pour capter sur le vif ce qui se passe dans l’espace public. Les noNons de fidélité et d’authenNcité prennent alors une importance centrale.
Cinéma-‐vérité
Cinéma direct
rescénarisa2on assumée
illusion de transparence
Pour une anthropologie performaNve (lien avec Bourdieu) [L’anthropologie praNquée au cinéma] peut procéder à une autre mise en scène, à une remise en scène c’est-‐à-‐dire à une mise en quesNon des scènes qui se présentent comme naturelles et évidentes, mais qui sont presque toujours en fait normalisantes. Or ceje remise en scène (que l’on peut aussi qualifier de r e s c é n a r i s a N o n , v o i r e d e c o n t r e -‐ scénarisaNon procédant à une dé-‐ normalisaNon de ce qui paraissait normal) peut être appelée réalisme (ou plus exactement néoréalisme). LaplanNne, p. 233.