Usages illustratifs et créatifs des archives audiovisuelles

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Histoire et cinéma CIN-2111 Lundi 16h à 19h Chargé de cours Rémy Besson



Archives et politique Ce sujet est souvent lié à la question de la propagande. Il s’agit de se demander comment des archives visuelles au contenu explicitement politique sont mobilisés dans des films. Il est souvent question d’instrumentalisation des archives, de trucage et de tromperie. Dans tous les cas, l’aspect politique du sujet se situe clairement du côté des phénomènes filmés. Dis autrement, une archive est politique parcequ’elle représente quelque chose qui s’est passé qui est du domaine du politique (guerre, attentat, manifestation, etc.). Dans le cadre de ce cours, je souhaite que l’on s’interroge aussi sur la dimension politique de l’usage des archives. La dimension politique se situe alors dans le traitement même des archives visuelles. Il importe tout autant de se demander si le film porte sur un sujet politique, s’il est lui-même engagé politiquement, que de se demander en quoi les choix esthétiques et éthiques effectués par l’équipe du film lorsqu’ils montent une image d’archives sont politiques. Vous verrez, entre autres, que le fait de soumettre l’usage des images d’archives à vocation illustrative vis-à-vis d’un propos politique ou de refuser cet usage est, en soi, une question politique. Il en va de la manière dont le passé est représenté. Il en va du rapport que nous entretenons avec les traces de ce passé. Il en va de notre capacité à imaginer ce qui s’est passé à partir des images qui nous sont données à voir.


Les archives une question d’imaginaire et/ou d’usages

L’imaginaire se situe plutôt du côté de l’étude de la représentation. Les usages se situent plutôt du côté de l’étude des manières de faire du cinéma. Ces deux aspects sont à considérer ensemble (objectif de l’OCQ!).


Avant de mettre en relation imaginaire et usages, il est utile de se pencher sur le couple usages créatifs et illustration (tout en se souvenant que nous avons déjà vu la question des “images preuves” utilisées dans les procès notamment). L’usage illustratif des images d’archives est certainement le plus courant. Il s’agit de considérer les plans montés dans le film avant tout pour ce qu’ils représentent, ce qu’ils donnent à voir. Les journaux télévisées et les reportages font un grand usage de ce type de contenu. Souvent, la narration verbale est alors première et les images viennent illustrer (littéralement) ce qui est dit par la voix off ou lors d’un entretien filmé (on parle alors de plan de coupe). La Mémoire des anges de L. Bourdon (montage M. Giroux) s’éloigne de ce modèle. Leur usage créatif des archives de l’ONF vise plus à proposer une représentation de la ville de Montréal entre la fin des années 40 et 1967. Les plans montés dans le film sont utilisés pour leur capacité à transmettre quelque chose de l’esprit d’une époque, plus que pour montrer un lieu, une personnalité, un événement devenu depuis historique. Ce n’est pas seulement la ville qu’ils représentent dans leur film, mais aussi les représentations cinématographiques (actualités, documentaires, fictions). Ils travaillent à partir d’un imaginaire qu’ils reconfigurent. Ainsi, les images font partie du sujet!


Une autre manière de poser la question revient à opposer transparence et opacité de l’usage des images d’archives (il est ici important d’insister sur le fait qu’il ne s’agit pas de définir une propriété des images d’archives elles-mêmes, mais de s’interroger sur la façon dont elles sont montées). Est-ce que le film cherche à donner accès, via une image d’archives, à ce qui s’est passé? Est-ce que l’on essaye de nous donner un accès le plus immédiat (au sens de direct et de non médiasé) à ce qui s’est passé? Est-ce que le film porte aussi sur le fait que ce qui s’est passé a été filmé? Est-ce que ce qui s’est passé est montré de manière indéfectiblement liée au fait que ça a été filmé? Est-ce que des traces de l’enregistrement des images sont mises en scène dans le film? Est-ce que le film porte sur l’imaginaire transmis par les images qui sont montées (plus que sur quelque chose qui s’est passé en dehors des images)? Est-ce que le film montre des images dont la matérialité a été altérée de manière à faire ressortir qu’il s’agit d’images (et non d’un accès le plus direct possible au passé)? Toutes ces questions ne doivent pas rester théoriques… il nous faut un cas


Deux films sur deux figures artistiques et politiques québécoises (francophones!) par un même réalisateur - Simon Beaulieu - diffusés à trois ans d’écart. 2011

2014


Quelques pistes Il y a une manière d’utiliser les images d’archives qui est, en soi, politique, c’est-à-dire au-delà du message politique qui est contenu dans les images. Observez, comment les mêmes images d’archives sont montées (dimension explicitement intertextuelle des films de Beaulien)? Mais, surtout, comment les images d’archives sont montées avec des finalités différentes? Observez, dans un cas, les liens effectués avec la biographie de l’acteur de l’histoire, et dans l’autre cas, le travail qui a été proposé sur leur matérialité. Observez, dans un cas, la façon dont les images d’archives s’articulent avec la voix des acteurs de l’histoire filmés par l’équipe du film, et dans l’autre cas, la manière dont elles s’articulent avec des sources sonores contemporaines des images d’archives. Observez, aussi, au-delà de ces oppositions, la manière dont certaines continuités existent entre les deux films (intérêt pour la mise en scène de la parole et une constance dans l’engagement politique). Il ne faut pas caricaturer l’opposition entre les deux films!


La première époque de sa vie, c’est une période d’apprentissage, alors le journalisme…

Exemple d’usage illustratif des images d’archives (tc: 4:17).


C’est l’époque où il invente la forme, qu’il appellera Cantouques…

Exemple d’usage illustratif des “images” d’archives (tc: 4:36).


Lorsqu’il est question du jouale…

les images d’archives sont celle d’un micro-trottoir où des jeunes gens sont interrogés sur cette question

Exemple d’usage illustratif des images d’archives (tc: 5:25).


Un film sur la condition ouvrière et plus spécifiquement sur les ouvriers du textile…

Exemple d’usage illustratif des images d’archives (tc: 8:2).


La narration est principalement portée par les entretiens menés par l’équipe du film avec les contemporains de Godin

Entretiens montés dans le film (Tc: 3:40, 4:42, 6:15, 8:28)


Il ne faut pas être caricatural… certaines séquences, notamment celles autour de la poésie dite par Godin s’éloignent de cet usage illustratif.

par la quotidienne jambette
 faite à ma langue à mon esprit
 par les chnolles que chaque jour coupe par l’oppression et la chaux vive
 des serviles nonos qu’un matin d’hiver
 la guerre a fait de nous
 par les gesteux les au coton les travailleurs et les bilingues par les petits crisses que le mélange d’un homme et d’une femme ajoute
 à cette anglicisante colonie je me jette en toi comme une pierre
 désespéré souriant encore
 au plafond démoli qui nous tombera dessus un jour
 dans un blasphème anglais Kraèsse de Tabeurnakeul de Saint-Ciboire
 de Saint-Chrème Tc: 7:00 à 7:45

Extrait de Cantouques et cie, de Gerald Godin.


La séquence d’ouverture: Décalage constant entre la parole (archivée) et les images d’archives.

Six mois dans les chantiers…

Exemple d’opacification des images d’archives tc 2:10


Le temps long de la mise en scène de la parole

Le spectacle filmé comme archive

Exemple d’opacification des images d’archives Tc 5:15 à 9:00


Un procédé pour donner à voir la matérialité des images d’archives … et leur donner une forme qui entre en écho avec le travail mené sur la langue … les images d’archives utilisées pour donner à voir le caractère éphémère de la mémoire sociale et de l’identité collective

Exemple d’opacification des images d’archives Tc: 9:01 à 12:30


Miron est l’artiste qui me touche le plus, toutes disciplines confondues, dans le monde. Je me suis demandé ce que cela pourrait donner si je faisais un film avec sa seule parole pour incarner le peuple québécois. Une fois cette prémisse en tête, j’ai eu l’idée de mettre en parallèle tout le patrimoine des artisans de l’ONF [81 films cités au générique], les contemporains de Miron, qui faisaient dans leurs films ce que lui faisait dans sa poésie. Et, pour compléter mon idée, j’ai pensé ajouter le travail de Karl Lemieux, une touche de cinéma expérimental, pour actualiser ce discours.

Une manière rendre l’archive opaque Karl Lemieux nous a remis toute une série d’effets et notre choix s’est porté sur des flashes et des gens en négatif, qui laissaient croire qu’ils avaient disparu. C’est comme si l’archive se faisait attaquer, comme si la mémoire se faisait bombarder.

Extraits d’un entretien avec le réalisateur publié dans Ciné-bulles, 332, 2014, p. 4-9.


Conclusion Ces deux usages – illustratif et créatif – sont à considérer comme deux pôles qui se trouvent bien souvent présents dans un même film. Il ne s’agit pas de présupposer que l’un est toujours plus pertinent que l’autre. Il faut observer les formes qui sont proposées. Pour revenir sur la notion de film politique: il ne faut pas voir dans l’un uniquement une soumission des images d’archives à la transmission d’un message pensé par l’écrit et dans l’autre un jeu formel détaché de toute capacité à faire passer des idées qui pourraient menées à une transformation de la société. Les choses sont plus complexes. Il faut aussi considérer que la dimension politique d’un film ne porte pas uniquement dans le sujet abordé, ni dans le traitement scénaristique de ce sujet, mais aussi dans la manière dont les images d’archives mobilisées sont utilisées. Il y a là quelque chose qui relève d’une politique visuelle, d’une politique de la représentation, d’une réflexion engagée portant sur notre imaginaire audiovisuel, qui est à considérer. Ce dernier point sera approfondi lors des prochaines séances.


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