Gitai

Page 1

« Le cinéma d’Amos Gitaï entre architecture et histoire »

Cours : Histoire et Cinéma Claudia Polledri Postdoctorante – Chargée de cours


Plan de la séance : • Enjeu :

o étudier le rapport qu’un cinéaste entretien avec l’histoire o comprendre les modalités de construction de cette relation

• Cadre théorique et méthodologie : retour sur le concept de « micro-histoire » Carlo Ginzburg; • Analyse de la trilogie : La Maison (1980); Une maison à Jérusalem (1998); News from Home/News from House (2005). • Conclusions


1) Enjeu : o « étudier le rapport qu’un cinéaste entretien avec l’histoire » :

Territoire concerné : Moyen-Orient - Israël/Palestine

Événements principaux (concernés par la trilogie d’Amos Gitai) o 1948 : création de l’État d’Israël – conflit avec la Ligue arabe (1948/1949) – diaspora palestinienne; o 1967 : Guerre des Six Jours : Israël élargit son contrôle sur la ville (Jérusalem Est - lieux saints); o 1973 Guerre de Kippour o Première intifada : 1987-1988 o Accords d’Oslo : 1993 – 1994, processus de paix (Rabin –Arafat) o Deuxième intifada : 2000 (ensuite en 2008 et en 2015)


2) Enjeu : « comprendre les modalités de construction de cette relation » •

Thèmes principaux de l’œuvre de Gitai (fil rouge) :

Serge Toubiana, Exils et territoires, Paris, Arte éd., 2013; •

« Mythologie de la mémoire »

Constituer le territoire et l’espace en objets imaginaires et enjeux de mémoire;

Décomposition de l’espace afin d’en faire ressortir la mixité, la variété des strates qui le composent (rapport aux villes – aux frontières – zones hybrides);

Architecture et archéologie (manière aussi de penser le cinéma, Amos Gitai » Architecte de la mémoire, Paris, Gallimard, 2013.)

Mosaïque – trilogies.


Carlo Ginzburg, « La micro-histoire », Le Débat,1981/10 n. 17, p. 133-136 :

Tendance nouvelle de la recherche historique (qui se veut « qualitative » en opposition à une démarche « quantitative » ) : o MICRO-HISTOIRE : Analyse à la loupe de phénomènes circonscrits (une communauté villageoise – un groupe de familles – un individu); o Objet d’étude ; thèmes du privé – du personnel – du vécu (rapport histoire – anthropologie); o Finalité : circonscrire le terrain de recherche permet de faire ressortir la complexité des relations qui unissent un individu à une société donnée. o Comment ? o Reconstruction des familles – « le fil d’Ariane c’est la nom », fil conducteur sériel : reconstruire le réseau des rapports sociaux dans lesquels l’individu est pris – remonter aux archives privées;


Ilana Löwy, « Le genre caché de la micro-histoire », Sous les sciences sociales, le genre », 2010, p.177-189. • D’autres indications méthodologiques : • La lecture « lente » (détails) • La lecture à rebrousse-poil (au-delà des textes officiels) • L’art comme ressource • Jeu d’échelle


• Qu’est-ce que l’approche de la micro-histoire permet? 1) Elle autorise une reconstitution du vécu inaccessible aux autres approches historiographiques; 1) Repérer les structures invisibles selon lesquelles ce vécu est articulé;


• Trilogie : La Maison (1980); Une maison à Jérusalem (1998); News from Home/News from House (2005). Histoire généalogique d’une maison à Jérusalem à travers plusieurs générations de propriétaires, Israéliens et Palestiniens. - 1917-1948 : Famille Dajani (premier propriétaire) - 1948 : la maison est confisquée suite à la loi « sur les absents »; - Enchainement de propriétaires jusqu’aux années 1970 – vente.


Amos Gitaï : Bait – La maison (1980)

Film documentaire en noir et blanc – 50 min. – 16 mm.

il représente le point de jonction entre architecture et cinéma : o PÉRIODE DE RÉALISATION : passage de Gitaï de l’architecture au cinéma; o TITRE : Bait – La maison; o SCÉNARIO : le film retrace l’histoire d’une maison à Jérusalem-Ouest à travers une série de témoignages o TOURNAGE : le film est entièrement tourné dans le chantier lors des travaux de rénovation de la maison.

Réception du film – censure


• Comment raconter l’histoire d’une maison? • Comment construire ce récit ? o Principe d’alternance entre : • LES TÉMOIGNAGES DES DIFFÉRENTS OCCUPANTS DE LA MAISON, DES OUVRIERS ET DU CONSTRUCTEUR (acteurs de l’histoire); • LES IMAGES DU CHANTIER ( la maison comme « témoin » de l’histoire )


• Structure du film - ordre des témoignages : o Carrière de marbre à Hébron o Chantier de la maison – Ier entretien avec un ouvrier palestinien • Entretien avec le propriétaire actuel – Chaim Barkai (professeur d’économie); o Chantier de la maison – 2e entretien avec un ouvrier palestinien • Entretien avec Ben Menashe – constructeur • Entretien avec le couple de juifs algériens (habitant de la maison dans les années 60) o Entretien avec le fils du propriétaire o Chantier de la maison – 3e entretien avec un ouvrier palestinien • Entretien avec Mahmoud Dajani - habitant et propriétaire de la maison jusqu’en 1948.


o APPROCHE « ARCHÉOLOGIQUE » : • faire émerger les couches plus profondes de l’histoire de la maison, et ce non sans les mettre en relation constante avec le « présent » dans lequel le récit se construit; o PLAN FORMEL : • pas de voix off • Usage du plan-séquence fixe • Approche minimaliste A. Schweitezer : « la dimension politique de la réalité s’exprime à travers la confrontation de l’image au son, d’un discours à l’autre » dans « Une maison déconstruite à Jérusalem », Vertigo, 2003/2, p. 43-46.


Ariel Schweitzer : « le centre de tension du film relève de la relation que Gitaï instaure entre architecture et cinéma », p. 44. o Architecture : nous apprenons que la nouvelle maison est en train de se construire sur les ruines des constructions précédentes; o Cinéma : par l’enchainement des témoignages Gitaï vise au contraire à déconstruire l’histoire de la maison, et à en déplier les différentes strates historiques nous ramenant, symboliquement, aux ruines produites par la situation de conflit.


Une maison à Jérusalem (1998) • Film documentaire en couleur – 60 min. Gitai retourne sur les lieux 18 ans après afin d’observer les changements concernant la maison (rénovations, changement du propriétaire, nouveaux voisins) mais aussi le pays lui-même.


• Principales « variations sur le thème » de Bait : •

1. Élargissement de l’enquête : o la maison est observée dans son quartier; du microcosme de la « maison » on passe à un regard plus global sur la région ainsi que sur les relations entre Juifs et Arabes;

2. Complexification de la forme : o Gitaï intervient sur la dimension « verticale » et minimaliste de Bait, en lui apportant un regard aussi « horizontal » à travers le travelling latéral - signature esthétique du cinéma de Gitaï.


3. La référence à l’archéologie se développe sur plusieurs niveaux : o

Par les témoignages (toujours dans une perspective élargie);

o

Par la référence explicite, mais aussi symbolique à un site historique à Jérusalem où travaillent des ouvriers palestiniens;

o

Par le montage du film, et notamment par l’insertion d’extraits du film précédent.


News from Home/News from House (2005) • - Élargissement ultérieur du propos : o Géographique o Familial o Temporel

• Réflexions sur le cinéma : o Voix off de Gitai o retour sur les films précédents o construction d’une narration – prise de conscience du propos « historique » du film o Cinéma permet de complexifier le réel.

• Ouverture vers la fiction : Ana Arabia (2013)


CONCLUSIONS – THÈMES PRINCIPAUX : o La MÉMOIRE : • Le propre de la mémoire consiste à rendre présent quelque chose qui n’est plus, mais qui a été présent auparavant. En ce sens, « se souvenir » de quelque chose signifie rendre présent ce qui a été. (Pensons notamment à la scène de la révocation de la maison de la part de M. Dajani). o Une fois portée par le langage, la mémoire devient RÉCIT: • Se souvenir de quelque chose – de façon privée ou publique – c’est déclarer « j’étais là ». En se ces, le témoin rend présent ce qui a été et la met en œuvre par le discours.


Les LIEUX : o Toute histoire de vie se déroule dans un espace de vie. Les LIEUX sont les endroits où se passe quelque chose, où quelque chose arrive. L’espace est une composante essentielle du discours historique.

L’ARCHITECTURE : o Est du temps condensé. Le bâti, donc, garde en lui-même la trace de toutes les histoires de vie qui on scandé l’acte d’habiter ces lieux.


• L’architecture constitue la figure à partir de laquelle Gitaï construit un discours historique : • o Les traces de la maison: représentent des témoignages réactualisés du passé dans l’intention de « préserver » et de « diffuser » sa réalité et de donner forme à cette mémoire; o Les mémoires d’époques différentes conservées dans les lieux sont réactivés par les différents témoignages afin de faire ressortir ce qui a été.


o 3. D’un

point de vue MÉTHODOLOGIQUE : l’approche de Gitaï s’apparente au courant historique de la « MICROHISTOIRE » (Carlo Ginzburg, 1980) : • A. Objet d’étude : Thèmes du privé – du vécu o Gitaï : met en scène des histoires familiales; la tragédie collective entrainée par le conflit israélo-arabe est donc exprimée au prisme des habitants de la maison et de leur quotidien. • B. Reconstruis la complexité des rapports sociaux : o Gitai: vise à illustrer le conflit à travers la multiplicité des perspectives (« ils regardent la même maison, mais ils voient des choses différentes). • C. Le fil d’Ariane, c’est le nom : o Gitaï mène ses recherches à partir du nom du propriétaire : Mahmoud Dajani.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.