Source, enregistrement et preuve

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Cinéma documentaire CIN-2104 Mercredi 16h à 19h Chargé de cours Rémy Besson


Quelques informations…


Lecture de la note d’intention Questionnements 1) Est-ce qu’il y a quelque chose dans le contenu des images qui permet de dire qu’elles sont documentaires ? Propriété de l’image 2) Est-ce que le terme « documentaire » est, au contraire, un fait de discours, c’est-à-dire que l’on peut désigner ainsi les films qu’une société est prête à appeler de cette manière ? Étude des discours 3) À la croisée de ces deux axes de questionnement, s’agit-il plutôt d’identifier une expérience particulière vécue par les spectateurs de films désignés comme étant des documentaires ? Expérience du public 4) Est-ce que c’est le travail des chercheurs qui permet d’attribuer à certaines images une valeur documentaire une fois qu’elles ont été documentées (recherche en archives, entretiens avec l’équipe du film, etc.) ? Recherche documentaire


Source, enregistrement et preuve : un modèle interprétatif parmi d’autres

André Bazin, « Montage interdit », dans Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris, Éditions du Cerf, 2002 [14e éd.], p. 49-61.


Documentaire d’animation Valse avec Bachir. Réalisé par Ari Folman. 2008.

Idée directrice est que le documentaire d’animation permet de donner une forme audiovisuelle à la mémoire, aux rêves, aux émotions, aux sentiments d’une manière différente qu’un documentaire en prise de vue réelle. Dans ce cas, la notion de documentaire correspond à un type de rapport à la société qui est particulier (idée importante dans les études actuelles). Dans ce cas, il n’y a rien, ou presque (usage de la rotoscopie) qui est propre aux images elles-mêmes.


Au contraire, aujourd’hui, on va se demander :

Est-ce qu’il y a quelque chose dans le contenu des images qui permet de dire qu’elles sont documentaires ? (question présentée dans le plan de cours)

Qu’est-ce qu’une image « authentique »? Quelle signification accorder à ce terme en fonction du contexte (archivistique, critique cinématographique et juridique)?


Source, enregistrement et preuve : un modèle interprétatif parmi d’autres

La Sortie de l’usine Lumière à Lyon. Réalisé par Louis Lumière. 1895.


Source, enregistrement et preuve : un modèle interprétatif parmi d’autres

L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat. Réalisé par Louis Lumière. 1896.



Les prises de vue sont des documents comme les autes Il s’agit de donner à cette source peut-être privilégiée de l’Histoire la même autorité, la même existence officielle, le même accès qu’aux autres archives déjà connues. On s’en occupe dans les plus hautes sphères de l’Etat, et les voies et moyens ne paraissent du reste pas bien difficile à trouver. Il suffira d’assigner aux épreuves cinématographiques qui auront un caractère historique, une section de Musée, un rayon de Bibliothèque, une armoire en d’Archives. (…) Paris aura son Dépôt de Cinématographie historique.

Boleslas Matuszewski, « Une nouvelle source pour l’histoire », dans Mazaraki, M. Boleslas Matuszewski. Écrits cinématographiques, Paris: AFRHC/ Cinémathèque française, 2006, p. 91-102.


Lien entre film documentaire et documentaire

[1] Un document est la symbiose d’un support et d’une information. L’article 3 de la Loi, propose une définition englobante et épurée de la notion de document, qui se révèle être très inspirée des sciences de la bibliothéconomie et de l’archivistique. On la trouve depuis longtemps dans certains textes de norme (ISO, DP 6760, 1974) qui définissent le document ainsi: « ensemble d'un support d'information et des données enregistrées sur celuici sous une forme en général permanente et lisible par l'Homme ou par une machine ». Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information URL: http://www.lccjti.ca/definitions/document/


Importance de la notion d’authenticité pour définir ce qu’est un document « Un document d’archives est réputé authentique s’il est possible de démontrer qu’il est bien ce qu’il prétend Terminologie de base en archivistique : version du 15 mars 2015 / page 8 être et qu’il a été effectivement produit ou reçu au moment où il prétend l’avoir été. » (ISO 15489-1, 2001) « Caractère d’un document dont on peut prouver qu’il est bien ce qu’il prétend être, qu’il a été effectivement produit ou reçu par la personne qui prétend l’avoir produit ou reçu, et qu’il a été produit ou reçu au moment où il prétend l’avoir été. » (ICA, 2015) Vous pouvez vous reporter à la Terminologie de base en archivistique diffusée par l'EBSI: http://clip.ebsi.umontreal.ca/banque-ressourcespedagogiques/terminologie/TerminologieArchivistique2015.pdf


Source, enregistrement et preuve : un modèle interprétatif parmi d’autres Il y a là, très tôt dans l’histoire du cinéma et jusqu’à présent, un modèle interprétatif qui fait reposer la notion de documentaire, sur la capacité du cinéma à capter quelque chose du réel. Il y aura là un critère de la médiativité du cinéma. Comme André Gaudreault et Philippe Marion l'explique, c’est: « [une] capacité propre de représenter – et de communiquer cette représentation – qu’un média donné possède par définition. Cette capacité est régie par les possibilités techniques de ce média, par les configurations sémiotiques internes qu’il sollicite et par les dispositifs communicationnels et relationnels qu’il est capable de mettre en place. » Dans « Transécriture et médiatique narrative. L’enjeu de l’intermédialité », dans André Gaudreault et Thierry Groensteen (dir.), La Transécriture. Pour une théorie de l’adaptation, Québec/Angoulême, Nota Bene/Centre national de la bande dessinée et de l’image, 1998, p. 48.


Ce modèle interprétatif est intégré et réinterprété par le très reconnu critique de cinéma André Bazin dans son texte « Montage interdit ». Cependant Bazin passe de l’authenticité du document cinématographique à la question de l’authenticité du contenu des images (nous y reviendrons). Il y a chez lui une tentative de définir une ontologie du cinéma. En particulier dans ce texte: « Le montage ne peut y être utilisé que dans les limites précises, sous peine d’attenter à l’ontologie même de la fable cinématographique. Par exemple, il n’est pas permis au réalisateur d’escamoter par le champ, contre-champ, la difficulté de faire voir deux aspects simultanés d’une action. » (p. 56). Cette phrase est mise en exergue car elle rend bien compte du projet de Bazin et car elle permet tout de suite de situer ce projet dans le cadre de l’écriture critique (par différence vis-à-vis d’une enquête en études cinématographiques). André Bazin, « Montage interdit », dans Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris, Éditions du Cerf, 2002 [14e éd.], p. 49-61.


Quel est le sujet du texte: « Lois du montage dans leur rapport avec l’expression cinématographique et, plus essentiellement même, son ontologie esthétique » (p. 51). Quelle est la « loi » dont il est question: « (…) poser en loi esthétique le principe suivant: « Quand l’essentiel d’un événement est dépendant d’une présence simultanée de deux ou plusieurs facteurs de l’action, le montage est interdit » (p. 59). Quel est le cadre de la discussion: « Ces présentes remarques ne portent pas sur la forme mais sur la nature du récit ou plus exactement sur certaines interdépendances de la nature et de la forme » (p. 59).

André Bazin, « Montage interdit », dans Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris, Éditions du Cerf, 2002 [14e éd.], p. 49-61.


Quelques cas issus du texte: La scène de pêche au phoque dans Nanook.

Il faut seulement que l’unité spatiale de l’événement soit respectée au moment où sa rupture transformerait la réalité en sa simple représentation imaginaire (p. 59).


Quelques cas issus du texte: La scène de pêche au crocodile dans Louisiana Story.

La pêche au crocodile visiblement réalisée « au montage » dans Louisiana Story est une faiblesse (p. 59).


Quelques cas issus du texte: La scène d’attaque du crocodile dans Louisiana Story.


Quelques cas en plus du texte: La scène d’ouverture de Nanook.


À quels films la loi s’applique: « Ceci est vrai naturellement de tous les films documentaires dont l’objet est de rapporter des faits qui perdent tout intérêt si l’événement n’a pas eu lieu réellement devant la caméra, c’est-à-dire le documentaire apparenté au reportage » (p. 60). Les actualités, fictions, « documentaire à peine romancé, comme Nanouk. (…) fictions qui ne prennent tout leur sens ou, à la limite, n’ont de valeur que par la réalité intégrée à l’imaginaire. » (p. 61). L’espace (profilmique) contre le montage: Le montage, dont on nous répète si souvent qu’il est l’essence du cinéma, est dans cette conjoncture le procédé littéraire et anti-cinématographique par excellence. La spécificité cinématographique, saisie pour une fois à l’état pur, réside, au contraire dans le simple respect photographique de l’unité de l’espace. André Bazin, « Montage interdit », dans Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris, Éditions du Cerf, 2002 [14e éd.], p. 49-61.


Dans les fictions le montage est nécessaire Une fée pas comme les autres. Réalisé par Jean Tourane. 1956. Bazin écrit qu’ « Il n’était pas seulement, en l’occurrence, suffisant, mais nécessaire de faire ce film « au montage » » (p. 52). Le montage est dans le cadre de l’analyse clairement situé du côté de la fiction. On ne s’intéresse alors pas à ce dont les animaux sont capables (prouesses). Il vaut d’ailleurs mieux qu’ils ne soient pas trop doués (« sans que le protagoniste ait presque jamais fait autre chose que se tenir tranquilles devant la caméra », p. 52). C’est l’histoire racontée qui est plus importante que ce qui se passe devant la caméra. Si on s’intéresse à des prouesses ce sont celles de la mise en récit. « Le décor alentour, le déguisement, le commentaire suffisent déjà à conférer à l’allure de la bête un sens humain que l’illusion* du montage vient alors préciser et amplifier de façon si considérable qu’elle le créé parfois presque totalement » (p. 52). * Le terme illusion n’est pas péjoratif. Il est, par contre, symptomatique du fait que tout ce qui a trait au montage est renvoyé au vocabulaire de l’intrigue, de l’imaginaire et de la fiction.


Face à la fiction, l’importance de la présence dans le documentaire (et l’art du récit) (voire de la coprésence) Quand les Vautours ne voleront plus. Réalisé par Harry Watt. 1952. Dans une séquence opposant un enfant à un fauve… « Voici qu’à notre stupeur, le metteur en scène abandonne les plans rapprochés, isolant les protagonistes du drame pour nous offrir simultanément, dans le même plan général, les parents, l’enfant et le fauve. (…) Il est bien évident qu’à ne la considérer qu’en tant que récit, cette séquence aurait rigoureusement la même signification apparente si elle avait été tournée entièrement en usant des facilités matérielles du montage, ou encore de la « transparence ». Mais dans l’un et l’autre cas, la scène ne se serait jamais déroulée dans sa réalité physique et spatiale devant la caméra. En sorte qu’en dépit du caractère concret de chaque image, elle n’aurait qu’une valeur de récit non de réalité » (en note, p. 58).


Quelques cas en plus du texte: La scène du loup dans Grizzly. Réalisé par Alastair Fothergill et Keith Scholey. 2014.


Bazin insiste sur le fait que tous les plans n’ont pas à être en coprésence. Il insiste aussi sur le fait que bien souvent c’est le plan final de la séquence qui vient rendre authentique les autres de manière rétrospective. À propos d’une séquence de Crin-Blanc (Albert Lamorisse, 1952), il écrit « cette simple précaution eut authentifié rétrospectivement tous les plans antérieurs, tandis que les deux plans successifs (…) viennent rompre la belle fluidité spatiale de l’action. » (p. 58). L’authenticité ne concerne ici plus le document cinématographique, mais la conformité de la représentation cinématographique avec la réalité (ce qui s’est passé devant la caméra). C’est cette définition qui conduit à dire que l’on est pas certain que les documentaires d’animation soient authentiques.


Source, enregistrement et preuve : un modèle interprétatif parmi d’autres De cette valeur documentaire (source et enregistrement) peut-on aller jusqu’à parler de preuve et, si oui, avec quelle signification? Il faut être précis sur ce point car c’est un sujet qui a donné lieu à de nombreux débats. Nous entendons ici considérer la notion de preuve par l’image dans son acception la plus stricte, c’est-à-dire de l’usage des images dans le cadre d’un procès. Le cas régulièrement mobilisé est celui du procès de Nuremberg, mais il faut donner quelques précisions liminaires.




Cela Cela revient à dire que ce n’est l’image seule qui fait preuve.


Nuremberg, les nazis face à leurs crimes. Réalisé par Christian Delage. 2006.

Diffusion d’un extrait concernant l’usage d’images comme preuves.


Je conclus donc sur l’idée qu’en plus d’une authenticité liée au document cinématographique (définie par l’archivistique) et d’une authenticité de l’image documentaire (qui est liée à la critique bazinienne), il y a une « authenticité judiciaire » de l’image. Celle-ci ne correspond cependant ni à une conservation du document dans un cadre normé, ni à des critères esthétique et éthique, mais à une attestation qui est le fait de ceux qui sont les auteurs de l’image et/ou les témoins de sa réalisation. Il est donc plus question d’un processus d’authentification. Cela nous conduit à une autre question énoncée dans le plan de cours et que nous discuterons la semaine prochaine: Est-ce que c’est le travail des chercheurs qui permet d’attribuer à certaines images une valeur documentaire une fois qu’elles ont été documentées (recherche en archives, entretiens avec l’équipe du film, etc.)?


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