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II. LES MECANISMES DE FINANCEMENT DES SECTEURS D’ACTIVITES CULTURELLES
Au regard de l’importance des enjeux culturels, politiques et économiques accordés par certains pouvoirs publics et la société en général aux secteurs d’activités culturelles, leur financement est très fréquemment mixte. La plupart des entreprises et projets culturels sont financés, d’une part, par des sources de financement « marchandes », c’est‐à‐dire répondant à une logique de rentabilité et de marché et, d’autre part, par des sources de financement « non marchandes », c’est‐à‐dire sans contrepartie de rentabilité liée au marché.
En fonction des types d’activités, de l’environnement économique et du pays concerné, la composition du financement entre sources marchandes et non marchandes prend toutes les combinaisons et formes possibles. Certaines activités font appel essentiellement au financement de marché et d’autres s’appuient complètement sur des ressources non marchandes. Même dans ce dernier cas, les activités comporteront toujours une composante marchande, car les entreprises chercheront à développer des sources de revenus propres, faisant appel à des techniques de marché, comme la vente de produits dérivés ou les diverses formes de publicité pour attirer le public.
1. LES FINANCEMENTS MARCHANDS
Afin d’appréhender les sources de financement marchandes des différents secteurs culturels, il est nécessaire de distinguer le « financement de projets » du « financement d’entreprises ».
Le financement de projets
Certaines activités culturelles sont financées essentiellement sur la base de la production d’un projet spécifique, tel que la production d’un film, d’une œuvre audiovisuelle ou d’un spectacle vivant. Il convient de signaler que cette technique de financement par projet a été développée (en particulier dans le secteur cinéma/audiovisuel et des spectacles) en raison de l’importance des ressources nécessaires pour la production des œuvres et du risqué lié aux investissements.
Les sources de financement dans ce cas de figure sont pour l’essentiel générées par le projet lui‐même. Afin de minimiser les risques, l’entreprise de production cherchera des sources de préfinancement certaines et connues à l’avance couvrant une partie substantielle, voire la totalité, du projet. Les financements les plus classiques en matière de projets, notamment la production d’œuvres audiovisuelles ou de spectacles sont : o les apports des distributeurs et des diffuseurs sous forme d’à‐valoir (minima garantis) en contrepartie des droits exclusifs de commercialisation et/ou de diffusion du projet financé sur une période déterminée. Ces minima garantis peuvent également concerner les droits d’exploitation dérivés de l’œuvre (vente de marchandises, de disques…) o les préventes des droits de diffusion de l’œuvre aux chaînes de télévision, aux salles de spectacle… o les apports en fonds propres des coproducteurs o les apports des partenaires en « sponsoring » o les recettes de billetterie identifiées au préalable.
Ces financements sont identifiés, acquis et chiffrés avant le début de la production de l’œuvre. Cependant, bien que chiffré et connu à l’avance, le versement effectif des sommes (préventes, minima garantis…) ne se concrétisera qu’après la fin de la production et de la livraison de l’œuvre financée. L’intervention des banques dans ce type de projets devient indispensable, car les besoins financiers des producteurs de contenu se font sentir en amont de la disponibilité des financements, même quand ceux‐ci sont connus d’avance.
Dans ces conditions, le banquier intervient en préfinancement de l’œuvre et son rôle peut être considéré plus comme un « relais de trésorerie » que comme un « financement » à part entière. Il escompte tout simplement des recettes futures connues qui ne seront versées à l’entreprise qu’en cas de livraison de l’œuvre. Le risque financier du projet est donc partagé entre le banquier, qui avance les fonds et qui prend le risque d’inachèvement et de non‐livraison de l’œuvre, et les pré‐acheteurs du produit (distributeurs, diffuseurs, etc.) qui assument le risque commercial lié à l’exploitation de l’œuvre.
Il est plutôt rare, du fait du risque commercial très élevé, de trouver des ressources bancaires dans le domaine du financement de projets qui ne soient pas appuyées sur des créances acquises. Le banquier va alors couvrir son préfinancement par le nantissement des créances (préventes, minima garantis) et le nantissement des éléments corporels et incorporels de l’œuvre à produire.
Le financement d’entreprises
En dehors des activités de production de contenu analysées ci‐dessus, le financement de la plupart des entreprises des secteurs culturels se rapproche du financement classique des autres secteurs de l’économie, quoique les risques inhérents à ce type d’entreprises et le manque de connaissances des banquiers sur le modèle économique de ces secteurs génèrent une méfiance de la part du système financier traditionnel. Les sources et les techniques de financement dépendent des secteurs d’activités et du type d’entreprises concernées, qu’il convient d’évoquer de façon séparée.
Industries techniques du cinéma et de l’audiovisuel, de la musique, du livre et radio (prestataire de matériel technique : laboratoires, auditorium, studio…). Ce secteur est extrêmement important et demande un financement conséquent. Il s’agit ici pour l’essentiel de financement d’équipements et du matériel technique. Leur financement prend la forme de crédits d’investissement matériels classiques, de crédits‐bails, de locations financières. Ce type de financement est possible en raison de l’existence de garanties réelles sous la forme du matériel financé, pour lesquels il existe des marchés secondaires relativement développés. Le financement ici est donc assuré essentiellement par des banques et des sociétés de crédit‐bail. Le problème particulier que rencontrent les entreprises et les banquiers dans ce secteur est la rapidité de l’obsolescence du matériel financé face à l’importance des investissements nécessaires. Ceci suppose l’existence d’un marché (national et/ou international) de taille suffisamment grand pour assurer l’amortissement des investissements dans les délais requis.
Salles de cinéma, salles de spectacles, théâtre, galeries d’art. Le financement de ces activités prend généralement la forme de financements immobiliers, pour la construction, l’acquisition, la réhabilitation ou l’aménagement de locaux. Le financement bancaire dans ce cas se matérialise par des crédits immobiliers classiques, systématiquement appuyés sur l’hypothèque des locaux financés. Des formes de financement du type crédit‐bail immobilier ou même de location financière sont possibles et même courantes dans ce secteur. Naturellement, ici le risque de perte pour le financier est réduit en raison de l’existence de garanties immobilières, rares dans d’autres types d’entreprises culturelles. Néanmoins, l’importance des investissements requis et la faible visibilité commerciale des projets inhibent tant les promoteurs culturels que les investisseurs du secteur, en particulier dans les pays en voie de développement.
Edition de livres, de disques, etc. Les besoins de financement les plus typiques sont liés à l’accroissement des besoins de fonds de roulement associés à la production des œuvres, le cycle de production étant plus court que les délais d’écoulement des produits (livres, disques…). Quand il s’agit d’entreprises possédant déjà un catalogue ou un fonds éditorial significatif, une partie des besoins peut être financée par des ressources propres générées par l’exploitation de ceux‐ci, mais tout développement significatif du fonds éditorial ou du catalogue passe par un financement externe. Le recours au système financier est nécessaire et difficilement substituable par d’autres sources de financement marchandes. Or, le risque commercial et la fragilité des entreprises opérant dans ce créneau raréfient les ressources disponibles pour leur développement.
Librairies. Ici, deux types de besoin de financement peuvent être distingués : ceux liés aux aménagements des locaux (achat, achalandage, etc.) et ceux liés au financement du stock. En l’absence de sources de financement autres que les fonds propres, les ressources bancaires sont indispensables pour le développement des librairies. L’analyse des plans d’affaires dans ce secteur est proche de toute entreprise commerciale, avec quelques nuances propres au marché du livre. Les garanties réelles sont rares.
Pour terminer, il convient de souligner que chaque secteur culturel est composé de différents acteurs allant du producteur de contenu jusqu’au distributeur final. La performance d’un secteur dépend de la possibilité de chaque chaînon d’activité d’assurer son rôle de manière convenable. Le financement d’une entreprise de la chaîne de production va ainsi se traduire par des ressources accrues pour tout le secteur, car les recettes
provenant des « ventes » d’une œuvre culturelle seront reparties parmi tous les ayants droit des œuvres : le producteur de contenu, l’auteur, le distributeur, etc. Chaque composante du secteur recevra une partie des recettes de ventes en fonction des contrats existants entre les parties. A titre d’exemple, le financement de salles de cinéma permet aux films produits d’être mieux exposés et de générer des retombés financiers pour les producteurs, les distributeurs... (Ce phénomène a été une des raisons fondamentales de l’amélioration de la situation du cinéma dans de nombreux pays européens).
2 LES FINANCEMENTS NON MARCHANDS
La particularité du financement des secteurs culturels par rapport à d’autres secteurs de l’économie est illustrée et mise en exergue par les vifs débats et négociations qui ont été menés dans les instances multilatérales, notamment à l’OMC et à l’UNESCO, en vue de l’adoption d’un cadre normatif international dit « de défense de la diversité culturelle » autorisant chaque pays à élaborer et à établir des politiques spécifiques d’appui et d’aide aux différents secteurs de la culture. La convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles a, parmi ses objectifs, celui de permettre et/ou de pérenniser des formes d’aide et de soutien qui sont peu à peu proscrites pour les autres secteurs de l’économie.
Les sources de financement non marchandes sont spécifiques à chaque pays et dépendent des politiques de soutien culturel mises en place ; mais il est évident qu’elles ne sont pas nombreuses dans les pays en voie de développement. Dans la plupart des pays développés, pratiquement tous les secteurs culturels sont l’objet de politiques de soutien spécifiques. Ces politiques se déclinent sous plusieurs formes.
Des appuis et des financements directs des pouvoirs publics sous forme de :
o aides financières (subventions, avances remboursables, etc.) o investissements et achats publics (livres pour les bibliothèques et écoles, œuvres d’art destinées aux musées ou à l’espace public, spectacles, etc.) o politiques de prix unique pour certains biens culturels, o traitements fiscaux préférentiels (crédits d’impôt, taux de TVA réduit, etc.)
Ces types d’aides sont généralement assurés par les gouvernements. Cependant, depuis plusieurs décennies, un nombre de plus en plus croissant de collectivités territoriales (provinces, régions, municipalités) mettent en œuvre des dispositifs propres d’aides aux secteurs culturels en complément de ceux des gouvernements. Dans certains pays, les financements publics passent par des entités non directement liées à l’Etat mais qui remplissent le même rôle. C’est le cas, par exemple, de la British Lottery qui finance largement les activités culturelles au Royaume Uni.
Le financement du secteur privé
o en contrepartie d’avantages fiscaux accordés par les pouvoirs publics, les entreprises du secteur privé interviennent dans le financement non marchand des secteurs d’activités culturelles sous différentes formes : mécénat, fondations, bourses, etc. Ces formes de financement sont fréquentes pour certaines filières, en particulier dans les pays anglo‐saxons.
Ces différentes formes de financement, qu’elles soient directement accordées par les pouvoirs publics ou le secteur privé, sont souvent mises à la disposition des entreprises avec un certain décalage entre le moment où le besoin de financement se fait pressant et le moment où les fonds sont versés. L’intervention du système bancaire est nécessaire ici afin d’assurer le relais de trésorerie indispensable au fonctionnement des activités. Cette intervention sera essentiellement couverte par les financements non marchands à recevoir.
Naturellement et dans tous les cas, le banquier et l’entreprise culturelle élaborent leur plan de financement en tenant compte de l’ensemble de sources de financement connues, celles provenant des sources marchandes ainsi que celles apportées à but non lucratif. Des sources de financement non marchandes confortent la viabilité d’un projet, car elles ne génèrent pas, d’une façon générale, de charges financières importantes ou d’obligations de remboursement.