MICHAEL BEUTLER
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PLONGER ET PUISER
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FR
JOURNAL DE BORD
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La Loire. Sombre et épaisse, fleuve au grand marnage qui vient claquer de ses vagues les estacades en béton du quai des Antilles. Brunâtre, douce et salée, elle laisse son empreinte ondulée sur la vase qui glisse sur les cales de lancement. Courant tourbillonnant étrangement vers l’amont alors que l’air chargé d’embruns repousse les nuages et joue des éclaircies. Le ciel évolue au fil des marées comme guidé par la plongée du fleuve sauvage vers la mer, dans son lit aux berges naturelles et industrielles, et dont les îles ont, au fil des siècles, disparu. Le quai des Antilles. La pointe de l’île résistante. L’Île de Nantes. L’entrée de la ville, l’entrée du port. Quai de 500 mètres de long, cette ancienne infrastructure du début du XXe siècle accueille pendant plus de quatre-vingts ans un trafic fluvio-maritime de marchandises. Plates-formes supportées par de larges pieux en béton armé sur trames carrées et contreventées par des croix de Saint-André, le quai permet l’accostage et le déchargement à hauteur de bateaux. Jalonné de bittes d’amarrage et de rails de chemin de fer sinueux entre ses pavés qui ne sont que quelques traces d’une ancienne activité maritime, il est dominé par les 350 tonnes d’acier de la lourde flèche de la grue-marteau, dite la grue grise, laissée en girouette au gré du vent. L’arrivée dans le port de Nantes par la voie fluviale. Le Hangar à bananes. Bâtiment construit en 1949 pour entreposer les bananes transportées outre-Atlantique depuis la Guadeloupe, la Guinée et la Côte d’Ivoire. Bâtiment emblématique qui marque de
son large volume parallélépipédique et de sa façade avec un fronton portant le nom de Maurice Bertin, président de la Chambre de commerce et d’industrie au moment de l’édification du bâtiment, il est caractéristique de l’architecture de la reconstruction de l’aprèsguerre et de la renaissance du port de Nantes à cette époque. Ce hangar long de plus de 150 mètres, large de 50 mètres et haut de 6,5 mètres, totalise une surface d’environ 8 000 mètres carrés d’entrepôts. Entièrement climatisé avec une température dirigée conçue spécialement pour le mûrissement des fruits. Alors, plus d’un millier de dockers travaillent sur les quais pour décharger les bananiers, emballer les régimes dans de la paille et du papier kraft, emplir les norias, sortes de tapis roulants à godets qui descendent vides et remontent pleins jusqu’au hangar, transporter les lots dans des chariots aussi appelés baladeuses, pour être enfin chargés selon une cadence soutenue dans les wagons du chemin de fer. Le trafic de bananes prend fin dans les années 1970, le hangar sera utilisé comme annexe de stockage de la raffinerie de sucre Béghin-Say située non loin de là, puis pour des activités liées à la mer avant que les activités du port ne cessent complètement et que le hangar ne soit désaffecté. Symbole du patrimoine portuaire nantais, conservé et réhabilité a minima en 2007, son flanc nord se transforme en façade ouverte et vitrée sur le quai pour accueillir différentes activités de loisirs dans des alcôves scandant le volume. Il est le témoin des chantiers navals, de l’évolution des techniques, et le souvenir silencieux des milliers d’ouvriers qui dans le brouhaha des chantiers et l’agitation des grues construisaient des bateaux. 55
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ENG
LOGBOOK
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The Loire. The river, dark and dense, with its big tidal range, sends waves slapping up against the concrete pilings of the Antilles wharf. Brown and brackish, it leaves its wavy pattern in the mud that slides down the slipways. The current churns, running strangely upstream, while the spray-filled air pushes back the clouds and hints at clearing. The sky changes with the tides as if guided by the wild river, in its bed of natural and industrial banks, whose islands have disappeared over the centuries, as it plunges into the sea. The wharf of the Antilles. The point of the surviving island. The Ile de Nantes, the entrance to the city, to the port. A wharf 500 meters long, this former infrastructure, dating from the early 20th century, has accommodated a flow of rivermarine traffic of merchandise for over 80 years. With its platforms supported by wide reinforced concrete piles on a square framework braced with crossbucks, the wharf enables boats to berth and unload at deck level. Lined with bollards and railroad tracks winding through cobblestones, just a few traces of a former maritime activity, it is dominated by the 350-ton steel arrow of a hammerhead crane, left to spin like a weathervane in the wind. Arriving in the port of Nantes by river. The Banana Hangar. Built in 1949, the building, used as a warehouse for bananas transported across the Atlantic from Guadeloupe, Guinea and the Ivory Coast, was conceived as a place for the fruit to ripen. This emblematic edifice, remarkable for its large parallelepiped volume
and its facade with a pediment bearing the name of Maurice Bertin, President of the Chamber of commerce and industry at the time of its construction, is characteristic of post-war reconstruction architecture and the revival of the port of Nantes at the time. The hangar is more than 150 meters long, 50 meters wide and 6.5 meters tall, totaling a surface of about 8000 m2 of warehouses. With air-conditioning throughout the building, the temperature was specially conceived to favor the ripening of the fruit. At the time, more than a thousand dockers worked on the wharf unloading the bananas, wrapping the bunches in straw and brown paper, filling the norias, a kind of conveyer belt with buckets that descended empty and came back up full to the hangar, transporting the lots in carts known as “baladeuses,” before finally loading them at a rapid pace into train wagons. The banana trade ended in the 1970s and the building was subsequently used as a storage annex for the Beghin-Say sugar refinery, located close to the hangar, then for various maritime activities, before the complete cessation of port activities and the hangar becoming abandoned. A symbol of the historical port of Nantes, preserved and rehabilitated at a strict minimum in 2007, its northern flank has been transformed into an open glass facade looking onto the wharf, to host different leisure activities in its alcoves, marking the volume at intervals. It has witnessed the shipyards, the technical evolution and the silent memory of the thousands of workers who, in the hubbub of the shipbuilding sites and the bustling activity of the cranes, built boats. 59
À la mesure de l’architecture de béton et en réaction à l’histoire fluviale et portuaire du Hangar à bananes, l’inédite fabrique à papier conçue in situ de Michael Beutler se déploie dans l’espace de la HAB Galerie. Aux côtés de la ligne de production ingénieuse et sculpturale qui a permis une fabrication hors norme, des feuilles de papier aux surfaces ondulées et aux subtiles variations colorées se dressent fragilement du sol aux puits de lumière
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In keeping with the concrete architecture and in response to the Banana Hangar’s fluvial and harbor history, the paper factory conceived in situ by Michael Beutler is installed in the space of the HAB Gallery. Standing next to the ingenious, sculptural production line which renders this unusual manufacturing process possible, sheets of paper with wavy surfaces and subtle color variations rise delicately from the floor in shafts of light
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ISBN 979-10-93572-80-2 — 12 € TTC
9791093572802