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Détail d’une épitaphe sur une dalle tombale carolingienne.
Carreaux de terre cuite, fin du xiiie siècle.
Détail du sacraire du chœur, fin du xve siècle.
Détail du décor armorié du transept, vers 1470.
La croisée du transept.
Le bras sud du transept.
Sainte Julie, terre cuite, milieu du xviie siècle, détail.
Sainte Madeleine, bois polychrome, début du xvie siècle, détail.
Vue du chœur.
c A rnets d’A njou
SOMMAIRE
INTRODUCTION 14
VINGT SIÈCLES D’HISTOIRE 16 Le site de Saint-Martin à l’époque antique La première basilique Les transformations mérovingiennes Un lieu d’inhumation La reconstruction carolingienne L’empreinte de Foulques Nerra Le gothique de l’Ouest à Saint-Martin Du xiiie au xve siècle Le « bon roi René » L’Époque moderne De nouvelles inhumations La Révolution et les années d’abandon Du chanoine Pinier au milieu des années quatre-vingt La renaissance du lieu Saint-Martin au présent
CHEFS-D’ŒUVRE DE TERRE CUITE 68 La terre cuite, matériau de prédilection des sculpteurs de l’Ouest de la France (xvie - xviiie siècle) xvie siècle : l’annonce d’un renouveau Trois ateliers majeurs : Gervais Ier et II Delabarre, Charles Hoyau et Pierre Biardeau Les productions d’autres ateliers de terracottistes Quelques œuvres en pierre et en bois
chrono
L’église collégiale Saint-Martin d’Angers
Ve SIÈCLE
IXe SIÈCLE
1020
C’est au ve siècle que remonte la première église. Cet édifice de plan rectangulaire, doté d’une abside légèrement outrepassée, s’appuie sur des ruines datant des premiers siècles de notre ère. Elle fut sans doute élevée pour recevoir une sépulture prestigieuse, tout comme les autres basiliques construites au sein de cette grande nécropole hors les murs afin d’héberger les tombes des premiers évêques.
Après plusieurs agrandissements, une reconstruction complète est entreprise. Le transept, la croisée et le chœur sont réalisés en reprenant exactement le plan de l’édifice antérieur. Cette nouvelle église couverte d’un plafond serait due, selon la légende, à Ermengarde, épouse de Louis le Pieux. Elle constitue l’un des plus importants témoignages de l’architecture carolingienne de l’Ouest de la France.
Foulques Nerra, comte d’Anjou, a restauré l’église dédiée à saint Martin et fondé une collégiale avec treize chanoines pour la desservir. En 1020, la restauration a sans doute déjà commencé car en 1012 des reliques de l’évêque Loup ont été découvertes à l’occasion de travaux dans l’église. Une voûte est insérée dans la croisée, l’étage haut de la tour est refait, la nef prend sa volumétrie actuelle.
ologie 1902
1471
Les murs des deux bras du transept sont rehaussés et reçoivent une nouvelle charpente dont l’intrados est couvert d’un lambris. Ce couvrement est orné d’un décor peint aux armes du roi René, comme celui de la nef. À cette date, Herman de Vienne, doyen du chapitre, mais qui fut aussi son médecin, contribue à l’embellissement de l’église, dont témoigne le sacraire.
Après la Révolution, le chœur et le transept servent à entreposer du vin, du bois et du tabac. L’étage supérieur du clocher est démoli en 1829, après l’effondrement de la nef l’année précédente. Le chanoine Pinier rachète la partie orientale en 1902. Il vend les statues du chœur à l’université de Yale et les fait remplacer par des moulages, ce qui lui permet de réunir des fonds afin de sauver l’édifice et d’en faire la chapelle de l’institution Saint-Maurille.
2006
Cette date marque la restitution au public de l’édifice, qui était masqué aux regards depuis près de deux siècles. La renaissance du site a débuté vingt ans plus tôt avec le rachat, en 1986, de l’ancienne chapelle par le Département et le début des travaux de restauration accompagnés de l’étude archéologique du bâtiment, afin d’en faire un lieu pouvant accueillir de nombreuses manifestations culturelles.
Pendant plus d’un siècle et demi, les Angevins ont pu emprunter la rue Saint-Martin d’Angers en ignorant complètement qu’ils passaient à quelques mètres seulement d’un édifice religieux exceptionnel, rare témoin de l’architecture carolingienne. Des immeubles de la fin du xviiie et du milieu du xixe siècle le soustrayaient à la vue et, même en prenant du recul, il n’était pas possible d’apercevoir la tour-clocher établie au-dessus de la croisée du transept, sauf à pénétrer en cœur d’îlot. L’ancienne église collégiale, déclassée à la Révolution, avait rapidement vu son état sanitaire se dégrader. Aux effets du manque d’entretien s’ajoutèrent les dégâts occasionnés par les réaffectations successives. Très tôt, pourtant, les érudits cherchèrent à attirer l’attention des édiles sur la place qu’aurait dû occuper cet édifice de premier plan, étroitement associé aux grands moments de l’histoire angevine. Les premières reconnaissances archéologiques eurent lieu au début du xxe siècle sous la conduite du chanoine Paul-Marie Pinier ; durant l’entre-deux-guerres un universitaire américain, George H. Forsyth, posa les bases de l’étude moderne de la collégiale. Le Département de Maine-et-Loire, devenu progressivement propriétaire du monument à partir de 1986, fit engager de nouvelles recherches. Les fouilles archéologiques menées conjointement avec l’étude des élévations permirent ainsi de remonter aux origines de la ville d’Angers, il y a plus de deux mille ans, et de suivre les transformations de l’église Saint-Martin, depuis le premier édifice de culte chrétien jusqu’aux transformations contemporaines. La collectivité entreprit parallèlement la restauration et la mise en valeur de l’édifice, ouvert au public en 2006. Une exceptionnelle collection de sculptures angevines, classées au titre des monuments historiques, trouva alors dans la collégiale Saint-Martin un cadre à la hauteur de sa qualité.
Immeubles situés devant Saint-Martin, avant les travaux d’aménagement.
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VINGT S I È C LE S D’ H I S TOIRE
L’histoire de la collégiale, étroitement liée à celle de la ville d’Angers, donne à voir l’évolution d’un quartier sur près de deux mille ans, depuis les débuts de l’urbanisation antique et l’introduction du christianisme jusqu’à la redécouverte et la mise en valeur de ce monument exceptionnel qui juxtapose des parties carolingiennes, gothiques et contemporaines.
Le site de Saint-Martin à l’époque antique
Aux premiers siècles de notre ère, la ville de Juliomagus s’étendait sur la rive gauche de la Maine. À l’emplacement du transept de la future collégiale, une voie nord-sud séparait deux ensembles bâtis. Plus à l’est, les fouilles ont livré des traces de construction en pan de bois dont une partie d’habitat possédant un décor d’enduit peint. Vers l’ouest, une galerie s’appuyait sur d’imposantes constructions maçonnées ; plus à l’ouest encore, les vestiges d’autres murs antiques arasés, la trace d’un système de chauffage par hypocauste et des débris d’enduit peint témoignent d’une occupation dense. Au Bas-Empire, l’habitat urbain se rétracta pour l’essentiel à l’abri des murailles de l’enceinte, sur une superficie réduite à neuf hectares. Un semis lâche et irrégulier d’installations subsistait néanmoins hors les murs.
Les indices assurés de la christianisation en Anjou ne remontent pas avant le ive siècle.
La première cathédrale fut alors édifiée à l’intérieur de l’enceinte urbaine, et l’on vit progressivement s’élever dans le faubourg de la ville plusieurs basiliques paléochrétiennes aujourd’hui disparues.
La première basilique
Le premier sanctuaire chrétien, bâti selon un plan grossièrement rectangulaire, fut doté d’une abside en avant de laquelle s’élevait l’autel. Une barrière de chœur séparait les clercs et les fidèles dès ce premier état et un sol de teinte rouge clair, en mortier de tuileau lissé, s’étendait dans tout l’édifice, contrastant avec le badigeon de lait de chaux recouvrant les murs. Dans l’abside, un véritable enduit protégeait le parement intérieur ; des traces de peinture rouge, encore lisibles vers 1930, témoignaient de l’existence d’un décor. Les sépultures à l’intérieur du bâtiment semblent alors exceptionnelles. La nef fut assez rapidement accostée, au nord, de petits espaces dont la fonction reste inconnue. Plus tard, ils seront complétés par d’autres annexes de dimensions inégales, ainsi que, vraisemblablement, par un portique.
La façade de SaintMartin après restauration.
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LE CAROLINGIEN EN ANJOU Cette grande église compte parmi les très rares monuments carolingiens encore conservés en élévation dans l’Ouest de la France. La nef de l’église Saint-Pierre-etSaint-Romain de Savennières, qui présente un bel appareil décoratif alternant la pierre et la brique, pourrait appartenir au même horizon chronologique ; toutefois, les éléments de datation objectifs font encore défaut. Un édifice plus modeste, l’église Saint-Symphorien d’Andard, remonte vraisemblablement au viiie siècle. Mais
Saint-Martin de Genneteil.
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d’une façon générale, il faut attendre le
xe siècle pour trouver d’autres témoins de
l’architecture religieuse, comme la priorale Saint-Martin de Genneteil dans le Baugeois, Saint-Martin de Vertou du Lion d’Angers, la tour-porche de l’église de Saint-Rémyla-Varenne en bord de Loire ou encore la tour-clocher de Saint-Florent du château à Saumur. Le constat est à peu près le même en ce qui concerne les édifices civils. Seul le palais carolingien de Doué-la-Fontaine pourrait avoir été édifié antérieurement aux années 900. Au château d’Angers se voient encore les restes de la première grande salle des comtes d’Anjou, datée du xe siècle. Cette pièce d’apparat mesurait environ 25 m de long. Ses dimensions furent étendues à 40 m au début du siècle suivant ; elle offrait alors une surface de 480 m². Daniel Prigent
Le palais carolingien de Doué-la-Fontaine.
La nef de Saint-Pierreet-Saint-Romain de Savennières (xe siècle ?) conserve un bel appareil à imbrications.
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Du xiiie au xve siècle
Vers 1230, Louis IX fit enclore la ville d’une grande enceinte dont le tracé vint englober la collégiale ainsi que les principaux bâtiments canoniaux. La construction des fortifications entraîna la scission du domaine avec la perte de terres et des vignes, ce qui donna lieu au versement d’une indemnisation de 40 livres tournois.
Un peu plus tard, l’Anjou revint en apanage à Charles d’Anjou, frère du roi.
Retenu en Italie, il confia l’administration du comté à Guillaume, doyen du chapitre de Saint-Martin. Les rapports avec l’évêché deviennent conflictuels. Saint-Martin et Saint-Laud sont réputés de fondation royale et les chanoines se prétendent exempts de la juridiction épiscopale. Un différend entre l’évêque d’Angers, Michel Villoiseau, et le chapitre de SaintMartin se solde en novembre 1250 par une transaction qui apaisera leurs relations jusqu’au xviie siècle. La densification du tissu urbain va progressivement entraîner une structuration du quartier canonial, lequel tendit à se resserrer sur l’îlot actuel. Les chanoines, dont le nombre resta stable, se virent attribuer au fil du temps des maisons individuelles qui, pour la plupart,
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Exemple de pavement décoré datant de la fin du xiiie siècle.
Double page suivante Couvrement lambrissé et peint du transept sud, vers 1470.
se répartissaient de part et d’autre d’une longue cour appelée « le grand cloître ». Les bâtiments communs regroupés près de la collégiale, autour du « petit cloître », se réduisaient à la salle du chapitre, un grenier, une prison et un réfectoire, la maison « des fêtages », dans laquelle les
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chanoines pouvaient partager des repas à l’occasion de certaines fêtes religieuses. D’autres maisons donnant principalement sur les rues Saint-Julien et Saint-Aubin servaient à loger les membres du baschœur ainsi que les nombreux chapelains (ils étaient vingt-six au xvie siècle).
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L’Époque moderne
Contrairement à d’autres édifices d’Angers, dont la cathédrale Saint-Maurice, la collégiale ne paraît pas avoir subi de désordres pendant les guerres de Religion. Les différentes sources documentaires nous livrent une image assez précise de la façon dont le monument se présentait à la veille de la Révolution. Depuis la rue, si le porche, reconstruit vers 1780 entre deux maisons canoniales, masquait la façade du vaisseau principal, les trois baies et la plaque romane sculptée visibles au-dessus témoignaient encore de la grande ancienneté de l’église. Le bras sud du transept et la nef étaient dédiés au service paroissial. À la fin de l’Époque moderne, la paroisse Saint-Martin s’étendait en partie hors des murs de l’enceinte du xiiie siècle, dans le faubourg Bressigny ; elle comptait 1 414 personnes en 1769. Dans une tribune à l’entrée de la nef, l’orgue à trente-deux jeux et trois claviers avait été restauré depuis peu ; des fleurs de lys dorées se détachant sur fond bleu en ornaient le buffet. Le sol, irrégulier, pavé de petits carreaux de terre cuite dans les bas-côtés de la nef et les bras du transept, de dalles de plus grande taille dans le vaisseau central, était percé par quelques pierres tombales. Sur les piliers de la nef, plaques de cuivre, peintures murales et tableaux rappelaient le souvenir d’une partie des défunts inhumés dans la collégiale.
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En 1776, l’église, déjà entièrement blanchie en 1715, fut à nouveau repeinte par des « artistes italiens ». À la même époque, le grand autel est reconstruit au fond du chœur. Une statue de la Vierge (vers 1360-1370), enfouie sous l’Ancien Régime et mise au jour lors des fouilles de George H. Forsyth, témoigne encore des transformations de la décoration de cette église. Au second pilier nord, le petit bénitier surmonté de l’inscription « VN CHAC-QV’VN QUI PAR CY PASSEZ / POVR REMÈDE DES VIEVX PECHEZ / POVR ICEVX EFFACEZ / DE LEAV BENOISTE POVR LE MIEVX PRENDREZ » avait été déplacé dans les dernières années de l’Ancien Régime, quand de nouveaux bénitiers et des fonts baptismaux furent offerts « par une personne inconnue ». Vers le haut de la nef, un « ancien bréviaire », destiné jadis aux « pauvres chapelains », attaché à une chaîne, était de plus protégé par une grille. Sur les murs de la première travée du chœur, réservé au chapitre, se détachaient les stalles des chanoines. Des pièces de tapisserie représentant l’histoire de saint Martin étaient tendues en certaines circonstances dans le chœur. Six autres tentures paraient le sanctuaire où trônait le maître-autel, récemment redoré. Flanquant le chœur, au nord, la petite chapelle des Anges renfermait plusieurs autels ; au sud, une nouvelle sacristie à l’usage du chapitre fut édifiée en 1783, à l’emplacement de l’ancienne chapelle.
Le Miracle du pin, tapisserie du xviie siècle représentant un épisode de la vie de saint Martin.
Comme toute église, Saint-Martin abritait plusieurs reliques, dont certaines particulièrement insignes : un morceau de la Vraie Croix, enfermé dans un grand reliquaire plat et carré en argent, une petite boîte de cristal réputée contenir un fragment de corporal teint du sang du Christ, un pouce de saint Martin dans un reliquaire en argent – exposé tous les vendredis matin – le représentant à cheval, partageant son manteau. On y honorait également une relique de saint Martin de Vertou,
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autre personnage fort vénéré en Anjou. Plusieurs reliques (chef, bras, coupes, calice et patène) attribuées à saint Loup étaient exposées sur l’autel majeur, accompagnées des châsses de saint Laurien et saint Lazare ; le chef de Loup était porté lors des processions implorant l’interruption des pluies. Ajoutons à cette liste déjà fournie une dent de saint Georges ainsi que des reliques attribuées à sainte Anne, sainte Marguerite, sainte Opportune, saint André, saint Antoine et saint Eusèbe.
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Saint-Martin au présent
À l’issue de près de deux décennies d’études, de restaurations et d’aménagements, le site offre au visiteur un monument témoin de quinze siècles d’architecture religieuse. Saint-Martin, fort de sa spécificité dans le domaine de la construction du haut Moyen Âge, s’inscrit aujourd’hui en miroir d’un remarquable ensemble de monuments religieux conservés dans la ville d’Angers, qui permet de découvrir les différentes phases d’évolution de l’architecture médiévale angevine : le xie siècle avec Notre-Dame du Ronceray, le gothique de l’Ouest avec Saint-Maurice, La Trinité, Saint-Éloi, Saint-Jean, Saint-Serge et Toussaint, le gothique tardif avec la chapelle du château et la nef de Saint-Serge. Les aménagements réalisés permettent en outre d’accueillir de multiples animations pédagogiques ainsi qu’une programmation annuelle riche et diversifiée, faisant aujourd’hui de la collégiale un équipement touristique et culturel majeur de l’Anjou. Daniel Prigent, Jean-Yves Hunot avec la collaboration d’Emmanuel Litoux
Vue de l’exposition « Mécaniques poétiques », 2016.
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CH E FS D ’ ŒU V R E D E TER R E C U IT E
La collégiale Saint-Martin accueille un ensemble exceptionnel de sculptures angevines classées au titre des monuments historiques, qui ont contribué jusqu’à la fin du xixe siècle au décor de nombreuses églises du territoire.
La terre cuite, matériau de prédilection des sculpteurs de l’Ouest de la France (xvie - xviiie siècle)
La Contre-Réforme, avec en particulier le concile de Trente (1545-1563), marque un renouveau dans l’expression artistique religieuse. De nouvelles dévotions s’ajoutent au culte de nombreux saints très populaires, et les sculpteurs de l’Ouest de la France mettent leur talent au service des architectes et des maçons pour garnir les niches des retables d’œuvres souvent réalisées en terre cuite. La théâtralité des œuvres s’adapte aux retables dans lesquels elles prenaient place : les visages expressifs, les lourds drapés tournoyants, les poses souvent dynamiques, dites en contrapposto, contribuaient à animer l’architecture. Leur matière issue du sol seyait bien à l’ornementation d’églises rurales, mais les artistes ont su lui donner ses lettres de noblesse et élever leur production au plus haut niveau : les plus célèbres d’entre eux restent Pierre Biardeau, Charles Hoyau, Gervais Ier et Gervais II Delabarre. Le premier a quitté Le Mans pour s’établir à Angers, les trois autres sont restés dans la capitale du Maine ; quelques ateliers étaient disséminés dans l’Anjou et le Maine. Utilisant l’argile blanche ou rouge que recèle le sous-sol de ces deux provinces, ils la façonnent puis découpent la statue en hauts tronçons, l’évident et ménagent
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à l’arrière des trous d’évent qui éviteront les fissurations lors de la cuisson. Les peintres appelés à donner vie à ces personnages utilisent des tons de blanc, de bleu, d’orange et des ors brillants pour mettre en valeur les amples reliefs des drapés et renforcer l’expressivité des visages. Souvent, un simple trait suit le bord d’un vêtement, soulignant les volumes.
La lumière s’accroche sur les surfaces lisses et claires, laissant l’ombre s’emparer des plis profonds et serrés des vêtements. À la virtuosité des sculpteurs s’ajoute la maîtrise exceptionnelle des peintres. Le regroupement de ces sculptures est né de la volonté d’un homme particulièrement sensible à l’art et qui avait compris avant l’heure tout l’intérêt qu’elles présentent : à une époque où bien des prêtres et des fidèles s’en détournaient au profit de l’art saint-sulpicien, Mgr Pasquier recueillait des œuvres mal aimées et pas entretenues.
Vierge à l’Enfant, dite de Nozé, détail.
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HENRI PASQUIER, ECCLÉSIASTIQUE ÉRUDIT ET COLLECTIONNEUR Prêtre et docteur ès lettres, Mgr Henri Pasquier (1844-1927) dirigea l’École des Hautes Études Saint-Aubin à Angers, fondée en 1871 par l’évêque d’Angers, Mgr Freppel, en préfiguration de l’Université catholique. D’abord professeur de littératures française et grecque, doyen en 1885 puis recteur de cet établissement de 1895 à 1921, il choisit de continuer à résider dans la maison qui abritait l’École des Hautes Études SaintAubin. Dans ses salons prirent place les nombreuses œuvres d’art qu’il collectionna au cours de sa vie, dont ces incomparables sculptures qui lui firent écrire : « Je prends plaisir à m’entourer de tableaux, de statues, de gravures et de sculptures. Ma chapelle est ornée comme peu d’églises. Mes salons regorgent de livres et d’objets d’art, le tout donné par des amis ou par des bienfaiteurs. Quant aux terres cuites de l’École angevine d’avant la Révolution, elles sont le plus bel ornement de ma chapelle et de mes salons : deux plus grandes que nature. Elles sont presque toutes du xviie siècle : les unes du temps de Henri IV ou de Louis XIII, les autres du règne de Louis XIV. » (Henri Pasquier, Souvenirs de mes noces d’or de sacerdoce, Angers, Lecoq, 1919.) Regroupés en un improbable cortège se succédaient les saints les plus populaires – Sébastien, Paul, Marie Madeleine –, entourés de saints aux dévotions plus locales ou illustrant des vocables plus rares comme Venant ou les deux frères Gervais et Protais. Mais cette litanie ne saurait cacher la représentation quasi systématique, dans les lieux de culte
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catholiques, de la Vierge à l’Enfant. À la mort de Mgr Pasquier, ses sculptures restent en place dans sa maison de la rue Donadieu de Puycharic, continuant de témoigner de son amour de l’art. À la fin du xxe siècle, certaines sont encore présentées dans la galerie d’entrée, le salon et la bibliothèque, mais beaucoup sont tristement remisées dans un réduit attenant à ces pièces. Afin de les sortir de l’oubli et de les restaurer, l’association des Amis de l’École des Hautes Études Saint-Aubin, propriétaire des œuvres, a conclu une convention avec le Département de Maine-et-Loire, et l’État a reconnu la qualité exceptionnelle de ces sculptures en les classant au titre des monuments historiques. Anna Leicher
Sainte Julie, terre cuite polychrome attribuée à Pierre Biardeau, milieu du xviie siècle.
Mgr Pasquier au milieu des œuvres d’art qu’il collectionnait. On reconnaît certaines des sculptures exposées à la collégiale Saint-Martin.
Portrait de Mgr Pasquier sur la terrasse de sa maison, rue Donadieu de Puycharic, pastel sur papier par Chanteau, 1918 (Université catholique de l’Ouest, Angers).
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Quelques œuvres en pierre et en bois
Son étonnant cadre architecturé, composé d’une niche ouverte par un arc en accolade à choux rampants et surmontée d’un réseau flamboyant, donne au haut-relief en pierre représentant une Vierge de pitié un caractère gothique très affirmé. Ce thème, totalement absent des Évangiles, n’apparaît qu’au début du xive siècle et s’épanouit aux xve et xvie siècles. La Vierge tient son fils mort sur ses genoux, tandis qu’à l’arrièreplan se détachent les instruments de son supplice.
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Le groupe de Sainte Anne enseignant à la Vierge, en calcaire tendre, présente des formes animées. Les deux personnages semblent avancer, mais un geste de sainte Anne arrête Marie qui se retourne pour lire le livre que lui présente sa mère. Un peintre a donné à ce groupe une polychromie qui témoigne de la riche ornementation des vêtements au xviie siècle. Utilisant, comme c’est souvent le cas sur les terres cuites, un blanc mat ourlé d’or, l’artiste s’est attaché à reproduire l’effet des tissus du xviie siècle, fréquemment enrichis de fils d’or. La très belle Vierge de calvaire, en bois sculpté et peint, avait été donnée par un prêtre angevin à Mgr Pasquier. Elle faisait naturellement pendant à une statue de saint Jean aux pieds du Christ en croix, tous deux disparus. Le costume à large encolure ronde, ajusté sous la poitrine et tombant en plis serrés, les manches ajustées et fermées aux avant-bras par de nombreux petits boutons, et enfin le dessin encore très gothique des pans du voile se retournant en volutes soulignées par deux traits noirs permettent de la dater du xive siècle. Statuette en bois peint du début du xvie siècle, Sainte Marie Madeleine tient de la main gauche son attribut habituel, une boîte à onguents. Les longs cheveux qui la caractérisent également lui tombent en ondulant jusqu’au milieu du dos. Son culte se répand en France, en Bourgogne et en Provence où, selon la légende, elle est arrivée en bateau avec Marthe,
Vierge de pitié, haut-relief de pierre polychrome, fin du xve ou début du xvie siècle.
Sainte Anne enseignant à la Vierge et détail du manteau de la Vierge, pierre peinte, xviie siècle.
Sainte Marie Madeleine, bois polychrome, début du xvie siècle.
Double page suivante Détail du manteau d'une Vierge de calvaire ; la statue de face, bois polychrome, xive siècle.
Lazare et les Saintes Maries, et s’est retirée pénitente à la Sainte Baume. Le roi René participa à l’essor de son culte en faisant édifier en son souvenir le couvent de la Baumette, près d’Angers. Marie Madeleine a été confondue avec plusieurs femmes dont Marie de Magdala et Marie, sœur de Lazare, mais sa popularité a persisté après la Contre-Réforme avec toutefois un changement de son iconographie : au Moyen Âge, la Madeleine myrrhophore (avec le vase d’onguents) était préférée à la Madeleine pénitente, beaucoup plus appréciée à partir du xviie siècle. Anna Leicher
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Époque moderne Structures gothiques Structures du XIe siècle Église carolingienne (IXe siècle) Église cruciforme (attribuée au VIIe siècle) Église à chevet plat (attribuée au VIe siècle) Annexes venant s'adosser à la première église Première église (fin du IVe siècle-début du Ve siècle) Époque antique
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Proposée par le Département de Maineet-Loire, la collection Carnets d’Anjou est une invitation à découvrir la richesse du patrimoine à travers la diversité des lieux, des œuvres et des mémoires de notre territoire. La Collégiale Saint-Martin d’Angers a été réalisé par la Conservation départementale du patrimoine. Infos pratiques — Collégiale Saint-Martin 23, rue Saint Martin 49000 Angers www.collegiale-saint-martin.fr
Carnets d’Anjou — Direction éditoriale Thierry Pelloquet conservateur en chef du patrimoine Textes Daniel Prigent conservateur en chef honoraire du patrimoine Jean-Yves Hunot archéologue (CDP) Anna Leicher conservatrice des antiquités et objets d’art (CDP) avec la collaboration d’Emmanuel Litoux responsable du pôle Archéologie (CDP)
Éditions 303 — contact@editions303.com www.editions303.com Direction Aurélie Guitton Coordination éditoriale Alexandra Spahn Édition Carine Sellin Diffusion Élise Gruselle Conception graphique BURO-GDS
Horaires De mai à janvier, de 13 h à 19 h, tous les jours sauf le lundi. De février à avril, de 14 h à 18 h, tous les jours sauf le lundi.
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Correction Philippe Rollet
Plans et relevés Conservation départementale du patrimoine, pôle Archéologie
Photogravure Pascal Jollivet
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Suivi du projet éditorial Anne Lespargot directrice de la communication Frédéric Couturier directeur de la culture et du patrimoine
Remerciements — Collégiale Saint-Martin, Isabelle Leygue, responsable du site, ainsi que toute l’équipe de médiation. Association des Amis de l’École des Hautes Études Saint-Aubin, Olivier Le Berre. Archives départementales de Maine-et-Loire, Élisabeth Verry, directrice. Université catholique de l’Ouest, Guillaume Le Vern. Ensemble scolaire Saint-Jean de La Barre, Angers. Ensemble scolaire Saint-Benoît, Angers.
Impression Edicolor, Bain-de-Bretagne Papier Arcoprint ExtraWhite Typographies Alegreya Sans & Mina light — Les Éditions 303 bénéficient du soutien de la Région Pays de la Loire. Dépôt légal : septembre 2021 ISBN : 979-10-93572-65-9 © Département de Maine-et-Loire et les Éditions 303, 2021. Tous droits réservés.