SOMMAIRE
Un territoire de confins p. 14
— Une zone de frontière et de passage
(vie siècle-milieu du xve siècle) p. 18
— Croissance et développement du territoire
p. 30
— Permanences et restructurations
(milieu du xve siècle-fin du xviiie siècle) (fin du xviiie-xxe siècle) p. 38
— Une terre d’histoires
Patrimoine en images p. 42
— Du château fort à la résidence
p. 78
— L’architecture religieuse et son mobilier
p. 126 — Vivre et construire p. 170 — Exploiter : la mise en valeur du territoire Annexes p. 203 — Glossaire p. 204 — Sources manuscrites p. 205 — Bibliographie sélective p. 206 — Iconographie
En couverture : Le château et le bourg de Lassay.
UN TERRITOIRE DE CONFINS 6
Situé à l’extrémité nord du département de la Mayenne, au contact de la Normandie et non loin de la Bretagne, le territoire de Lassay a longtemps été marqué par son caractère frontalier. Les nombreux châteaux qui s’y dressent sont les témoins d’une histoire mouvementée. Néanmoins, fluctuant au gré des événements et des siècles, la limite entre Maine et Normandie, que matérialise aujourd’hui la rivière Mayenne, n’a jamais été une ligne fixe, ni franche. Le terme même de frontière semble peu approprié pour désigner un espace formant une large zone tampon entre deux entités historiques marquées. De fait, bien que les six communes étudiées – Le Housseau-Brétignolles, Sainte-Marie-du-Bois, Rennes-en-Grenouilles, Thubœuf, Saint-Julien-du-Terroux et Lassay-les-Châteaux, ellemême composée des cinq anciennes communes de Niort-la-Fontaine, Melleray-la-Vallée, La Baroche-Gondouin, Courberie et Lassay – soient aujourd’hui pleinement rattachées au département de la Mayenne, elles ont tantôt été associées à la Normandie, tantôt au
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Détail de la carte des provinces du Maine de Guillaume Delisle,
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1719.
Maine. Les paroisses, puis, après la Révolution, les communes de Sainte-Marie-du-Bois, du Housseau, de Brétignolles-le-Moulin, de Melleray-la-Vallée et de Rennes-en-Grenouilles sont restées mixtes jusqu’en 1832, dépendant de la Normandie pour les affaires civiles et du Maine pour les affaires religieuses, ce qui a fait dire à ses habitants qu’ils étaient « du bon Dieu du Maine et du diable en Normandie ». Ainsi, cette position de confins a forgé un destin singulier à ces communes. Loin de l’idée de « désert » associée aux zones excentrées, Lassay et son territoire ont conservé une population restée importante jusqu’au milieu du xixe siècle. L’exode rural, entamé dans la seconde moitié du siècle, constitue une des raisons de la préservation du bâti des siècles passés, ce qui fait de ce terrain d’étude un véritable conservatoire permettant la compréhension de l’évolution de l’architecture depuis la fin du Moyen Âge jusqu’à nos jours.
SOUS-SOLS ET BOIS : DES RESSOURCES POUR CONSTRUIRE
Culminant à 260 mètres, le plateau de Lassay, à l’est du Massif armoricain, se dresse sur les derniers granites cadomiens avant que le substrat géologique ne devienne calcaire à l’approche du Bassin parisien. Les coteaux septentrionaux et orientaux du territoire, qui descendent en pente douce vers la Mayenne, se composent d’une couche de schistes briovériens. La diversité des matériaux employés dans l’architecture traduit la ligne de fracture géologique. Ainsi, les maisons implantées à Thubœuf, Saint-Julien-du-Terroux, SainteMarie-du-Bois et La Baroche-Gondouin sont construites en schistes ou en grès, localement appelés « pierre d’argelette ». En fonction du banc exploité, les schistes sont plus ou moins fracturés, ce qui fait varier leur texture et leur couleur : les plus plissés sont d’un gris sombre tandis que les grès, plus compacts, disposent d’une palette nuancée allant du blanc au rouge. Ces roches sont majoritairement mises en œuvre sous forme de maçonneries de moellons, la plupart 2
du temps sans chaîne d’angle, sauf quand les édifices intègrent des encadrements de granite exogène. Dans l’ouest et le sud du territoire, les maisons sont édifiées avec le granite, qui affleure çà et là. Sa mise en œuvre varie du petit moellon brut, noyé dans du mortier de terre, à la pierre de taille grossièrement équarrie. Son grain fin et dur est propice à la sculpture. Comme dans les autres régions à substrat granitique, encadrements de baies ou cheminées accueillent fréquemment accolades et figures. Les fronts de taille décelables sur les affleurements granitiques, ainsi que dans les caves de la ville de Lassay, apportent la preuve que les maisons ont été bâties sur ou à proximité des gisements de matériaux. Les carrières de schistes et de grès, aujourd’hui comblées, sont visuellement moins perceptibles. Pour les couvertures, des ardoisières, comme celle du Bourgeray, à Thubœuf, sont exploitées dès le xviie siècle. Des gisements d’argile ont permis la confection de tuiles plates. Des toits en matières végétales, chaume et bardeaux, sont également documentés par les textes pour les périodes anciennes.
Façade d’une étable de la Cosnillère, à La Baroche-Gondouin.
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Façade d’une maison de Montoger, à Thubœuf.
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Détail de la façade d’une grange-étable de la Petite Basse-Cour, à Rennes-enGrenouilles.
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Façade d’une grange-étable du Boulay, à Sainte-Mariedu-Bois.
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Charpente d’un manoir, à Niort-la-Fontaine.
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La région de Lassay possède un faible couvert forestier. Cette situation est établie au moins depuis la première moitié du xviiie siècle, selon la carte de Cassini. Le déboisement a été mené de manière progressive jusqu’au xviiie siècle, pour peu à peu laisser place à de vastes terres cultivées. L’exploitation du fer et l’introduction du haut fourneau pourraient avoir porté un coup important aux bois qui subsistaient à la fin du Moyen Âge. Ainsi, en 1539, le seigneur du Bois-de-Maine met en coupe ses bois marmenteaux pour alimenter la forge de sa seigneurie. Mais cette proto-industrie cesse rapidement, sans doute faute d’arbres en quantité suffisante. Le bois est en revanche systématiquement employé dans la construction. Les pièces des charpentes des édifices les plus prestigieux, souvent de grande taille, proviennent de chênes des hautes futaies seigneuriales, qui font l’objet d’une gestion stricte par leurs propriétaires. Bien que les logis ruraux encore visibles aujourd’hui soient construits en pierre, à une exception près, les linteaux des édifices bâtis en grès ou en schiste sont le plus souvent en bois. De nombreuses remises et étables sont
néanmoins élevées en pan de bois et torchis, plus particulièrement dans la partie nord-ouest du territoire. Les arbres dont le bois est mis en œuvre, noueux et irréguliers, semblent provenir des haies bocagères. Le lattis horizontal, fixé sur les potelets et les traverses intermédiaires, retient le torchis, fait de terre et de paille. Le tout est protégé à l’extérieur par un enduit de chaux. Ce type de torchis est par ailleurs fréquemment employé pour former le sol des greniers.
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UNE ZONE DE FRONTIÈRE ET DE PASSAGE (VI E SIÈCLE-MILIEU DU XV E SIÈCLE)
La présence de mégalithes à proximité des hameaux de Bignon et de la Guichardière, dans les environs du bourg de Niort-la-Fontaine, ainsi que les quelques artefacts, hache et monnaies, retrouvés sur le territoire, attestent l’ancienneté du peuplement. Mais, à défaut de pouvoir les replacer dans un contexte archéologique, il faut se contenter de considérer la frange occidentale du territoire comme un lieu de passage à l’époque antique. En effet, bien que la cartographie précise et complète des voies romaines de Mayenne demeure sujette à discussions, la route reliant les cités de Jublains et de Vieux, respectivement dans les départements de la Mayenne et du Calvados, semble bien avérée. Elle franchissait la Mayenne au niveau d’un gué, communément appelé le Gué de Loré, situé sur l’ancienne commune de Melleray-la-Vallée.
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À l’époque carolingienne, le Maine conserve une position centrale sur les plans économique, politique et stratégique. Il constitue à la fois un rempart contre les invasions bretonnes, une base arrière pour les expéditions en direction de l’Aquitaine, en perpétuelle dissidence, puis un pôle de résistance face aux Normands. Les textes produits dans l’entourage d’Aldric, évêque du Mans de 832 à 856 et proche du roi Louis le Pieux, relatent la politique de conquête économique du nord du Bas-Maine, par le biais de défrichements et de créations d’établissements à vocation pastorale. C’est à l’initiative d’Aldric que fut créé au ixe siècle le mansolinium, ou établissement agricole, de Melleray, mais la mise en valeur des terres était sans doute déjà entamée. Les analyses de pollens menées par Delphine Barbier-Pain dans une tourbière de la lande de Malingue, située deux kilomètres au sud du bourg de Melleray, révèlent en effet que le paysage des dernières années du xe siècle et du début du xie siècle était en grande partie déboisé et que la chênaie primitive ne demeurait qu’à l’état de vestiges. La présence de céréales en quantité non négligeable, mais également de traces de lin, témoigne d’une anthropisation marquée du secteur dès cette époque. Dès lors, il apparaît que les seuls textes produits par l’Église du Mans ne peuvent suffire à dresser un tableau complet de l’implantation humaine. En effet, ils tendent à minorer le rôle des puissances laïques et passent sous silence les communautés de paysans libres qui ont pu s’épanouir dans cette région. Ainsi, contrairement à ce que laissent penser les rares sources écrites conservées, il semble que Lassay et ses environs aient été densément et précocement occupés et que la mise en valeur des terres était déjà acquise à l’époque mérovingienne.
LASSAY AVANT LASSAY : LE PREMIER MOYEN ÂGE
Les récits de vies d’ermites et les textes médiévaux postérieurs ont brossé du nord de la Mayenne aux premiers temps du Moyen Âge le tableau d’un désert forestier. Or l’examen des sources et des vestiges archéologiques, bien que maigres, nuance fortement cette image. Vers la fin du ive siècle et le début du ve, la limite septentrionale du Maine fut rattachée à la cité épiscopale du Mans, dont elle constituait l’une des zones d’influence les plus éloignées. Cette position de confins lui conféra une place stratégique au sein du royaume des Francs. De fait, au cours de l’époque mérovingienne, la région faisait office de zone tampon face aux Bretons. Le pouvoir royal eut donc intérêt à en stimuler la pénétration, par le biais de concessions faites aux laïcs et à l’Église du Mans. C’est dans ce contexte qu’il faut placer le mouvement érémitique du vie siècle, localement incarné par Fraimbault. Ce dernier, originaire d’une famille noble, aurait quitté la Cour pour mener une vie de pénitence et de contemplation. Après s’être rendu à l’abbaye de Micy, près d’Orléans, où il reçut le sacerdoce, il se serait retiré dans le Passais. Rejoint par des disciples, il y fonda un monastère approuvé par Innocent, évêque du Mans. Le rapprochement effectué par des érudits à la fin du xixe siècle entre la communauté monastique de Fraimbault et le village de Saint-Fraimbault de Lassay doit être traité avec une très grande prudence. Bien que l’existence d’une abbaye à proximité de l’église portant la dédicace de saint Fraimbault soit attestée, au sein de la condita de Javron, au moins du ixe au xiie siècle, le défaut de vestiges bien datés empêche d’affirmer que celle-ci se situait à Lassay. Par ailleurs, la date et le contexte de rédaction de la vie du saint, trois siècles après sa mort dans l’entourage de l’évêque du Mans, ainsi que l’aspect souvent stéréotypé de ce type de récit hagiographique, invitent à interpréter les faits et les lieux avec discernement. Le peuplement des environs de Lassay au premier Moyen Âge reste donc mal connu. L’inscription Lacciaco vi[co], relevée au xixe siècle sur une monnaie mérovingienne, semble une information bien faible au regard des apports récents de l’archéologie. Bien qu’anciennes, les découvertes de sarcophages en calcaire coquillier de forme trapézoïdale à proximité des églises de La Baroche-Gondouin, de Niort-la-Fontaine et Saint-Fraimbault prouvent plus certainement l’implantation précoce de communautés chrétiennes. Des nécropoles se sont constituées autour des édifices de culte et laissent entrevoir l’existence d’habitats associés. 13 Toile marouflée sur le mur du chœur de l’église
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LA STRUCTURATION D’UNE ZONE DE FRONTIÈRE AU MILIEU DU MOYEN ÂGE
À partir du milieu du xie siècle, la région apparaît sous l’autorité de la puissante famille de Mayenne. Centre de pouvoir carolingien dès le ixe siècle, le castrum de Mayenne a été cédé au xe siècle par les comtes du Maine à l’un de leurs fidèles, Hamon, pour s’opposer aux velléités d’expansion des ducs de Normandie. Les premiers seigneurs de Mayenne ont d’abord dû affronter le sire de Bellême, possessionné dans le Perche, aux marches de la Normandie et du Maine, puis le duc de Normandie lui-même, Guillaume le Conquérant. Vers 1050, celui-ci s’empare du Domfrontais et du Passais normand, situés
Mortain
Places fortes rattachées à la seigneurie de Mayenne
de Lassay représentant saint Fraimbault et ses
Places fortes rattachées au duché de Normandie
disciples, réalisée par Arsène Lefeuvre en 1893. 14 Places fortes dépendant
ayenne la M
du duché de Normandie et de la seigneurie de Mayenne à la fin
Couptrain
du xie siècle.
Gorron
Lassay Ambrières Saint-Céneri
Châtillon
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Villaines Mayenne 10 km
« Je suis ici dans un château, au milieu des bois, qui est si vieux, qu’on dit dans le pays que ce sont les fées qui l’ont bâti. Le jour je me promène sous des hêtres pareils à ceux que SaintAmand dépeint dans sa Solitude, et depuis 6 heures du soir, que la nuit vient, jusqu’à minuit, où je me couche, je suis tout seul dans une grosse tour à plus de 200 pas d’aucune créature vivante. Je crois que vous aurez peur des esprits en lisant seulement cette peinture de la vie que je mène… »
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Armand de Madaillan, « Lettres à Mademoiselle de Châteaubriant », 1694-1695, dans Lettres amoureuses et pensées diverses du marquis de Lassay (1652-1738).
UN TERRITOIRE À DÉFENDRE
circulation horizontales dans l’épaisseur du mur de gorge de quatre des tours, depuis le front est, vers le bourg, jusqu’au sud, du côté du Grand Étang, assurant ainsi une circulation continue de la garde sur les courtines —4. Visiblement, aucune communication n’était possible entre ce chemin de ronde et les espaces de vie internes. La seconde phase du chantier consista en l’ajout d’un boulevard d’artillerie au nord du châtelet, entre 1470 et 1480 environ —5. Adapté aux dernières évolutions des armes à feu, celui-ci renforce le dispositif de défense initial et constitue un puissant bastion avancé, protégeant le flanc du château resté faible jusque-là. Avec dix-neuf casemates réparties sur deux niveaux de feux, destinées à accueillir des armes portatives ou semi-portatives, comme des couleuvrines, des hacquebutes et des fauconneaux, il apparaît comme l’un des témoins les plus représentatifs de ce type d’ouvrage et surtout l’un des mieux conservés à l’échelle nationale. Au sein de ce programme, on peine à discerner un logis dont le faste serait à la hauteur du rang des Vendôme. Également possessionnée à Tiffauges et à Pouzauges, en Vendée, la famille n’a sans doute pas fait de Lassay sa résidence principale. La vocation militaire du château ne peut pas, en revanche, être ignorée : en contrôlant les deux chaussées des étangs ainsi que la route venant du nord, celui-ci constituait un verrou efficace contre toute incursion. Dans le cadre des conflits entre le roi de France et le duc de Bretagne, il a accueilli des troupes royales, comme en 1465, et servi de prison pour de nombreux soldats bretons.
Le château de Lassay, architecture et usages La proximité des côtes de la Manche, situées à moins d’une journée de cheval, et le souvenir encore vif de l’occupation anglaise – les soldats ennemis n’ayant quitté définitivement le pays qu’une dizaine d’années auparavant – ont conféré à la reconstruction du château, commencée en 1458, un caractère stratégique. Lassay fut ainsi conçu comme une véritable forteresse. Commencé par les huit hautes tours reliées de courtines —1, le chantier de construction de l’octogone s’acheva avant 1475. Le châtelet d’entrée, au nord, se compose de deux tours en fer à cheval, encadrant un passage charretier et un autre piétonnier avec deux ponts-levis à flèches —2. Toutes les tours de l’octogone présentent le même programme résidentiel et défensif mixte, associant salles basses adaptées aux canons, pouvant aussi servir de communs, et étages habitables, ayant fonction de salle ou de chambre, dotés de fenêtres, cheminées et latrines. Le tout est surmonté de chemins de ronde sur mâchicoulis, dont le parapet est ouvert de petites fenêtres et d’archères canonnières destinées à des armes de petit calibre —3. Les niveaux sont reliés par des escaliers intégrés dans l’épaisseur de la maçonnerie. L’originalité tient à l’ouverture de gaines de
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L’USAGE DES TECHNOLOGIES POUR LA COMPRÉHENSION DU MONUMENT Le château de Lassay présente un exemple particulièrement bien conservé et homogène de l’architecture castrale du milieu du xve siècle. Pourtant, depuis les recherches de René-Adelstan de Beauchêne, publiées en 1876 et 1905, il a été peu étudié. Une opération d’archéologie programmée, visant à en renouveler la connaissance, a donc été lancée par le Service régional de l’Archéologie de la DRAC des Pays de la Loire, en partenariat avec le Service Patrimoine de la Région des Pays de la Loire. Commencée en 2019, elle s’est poursuivie en 2020. Dans ce cadre, des technologies nouvelles ont pu être mises en œuvre au service de la compréhension du monument. L’ensemble de l’édifice a d’abord été relevé à l’aide d’un scanner laser FARO X130. À chaque point capté par le laser ont été associées une couleur, une texture et des coordonnées, qui situent ces informations dans l’espace. Le tout constitue un « nuage de points » virtuel, objet numérique en trois dimensions qu’il est possible de manipuler dans toutes les directions —3. Les relevés en trois dimensions sont complétés par des relevés en plan de certains espaces intérieurs particulièrement intéressants, comme les niveaux de caves ou de rez-de-chaussée où se trouvent les canonnières. Ces plans en deux dimensions ont été couplés au relevé en trois dimensions, pour former un seul et même objet. De cette matière virtuelle ont été tirés des plans à différents niveaux, des coupes et des orthophotographies, autant de documents qui ont permis une
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étude fine de l’édifice. Une modélisation de ce « nuage » a suivi. En passant d’une représentation faite d’un amas de points à des polygones tracés, les conduits, les murs ou les pièces se sont nettement dessinés. C’est à partir de là que l’enchevêtrement particulièrement complexe des escaliers, des gaines de circulation horizontales et des conduits de cheminées et de latrines a pu être appréhendé —1. Une prospection géophysique a également été menée par l’entreprise Analyse Géophysique Conseil dans la cour du château et de son boulevard, sur la place du Boële et dans la prairie située à l’ouest de l’édifice, où se déployait l’étang Barbot. En envoyant des ondes électromagnétiques dans le sol, le radar géologique permet d’en détecter les anomalies, d’origine anthropique ou non, et de mettre en évidence des réseaux, des cavités, des fossés ou des murs. Les coupes de sol ainsi obtenues restent parfois d’une lecture délicate. Ainsi, sans fouilles archéologiques, il paraît impossible d’interpréter fermement l’excavation de 5 mètres de large et de 2,5 mètres de profondeur, taillée en V, révélée dans la cour du château, devant le châtelet, et plus encore de la dater. S’agit-il du fossé d’une motte castrale primitive aujourd’hui disparue ou d’une grande fosse antérieure au château actuel ? La prospection menée à l’emplacement de l’ancien étang Barbot s’est montrée plus concluante. Elle a dévoilé la présence d’une importante structure linéaire, qui barrait l’étendue d’eau de part en part, et dont la morphologie permet d’affirmer qu’il s’agissait d’une digue avec chaussée, similaire à celle du Grand Étang —2. L’étude géophysique a ainsi permis de redéfinir la géométrie du plan d’eau et plus globalement la morphologie du front occidental du château.
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UN MAILLAGE SEIGNEURIAL SERRÉ La Guilbardière Le village de la Guilbardière constitue un ensemble médiéval bien conservé, composé d’un manoir et d’une grange. Il est implanté à la croisée de deux cours d’eau, sur un petit éperon rocheux surplombant une source. Le fief noble existait déjà en 1368, date à laquelle les habitants payent d’importantes rentes au seigneur du Horps. Il est sans doute déclassé dès le milieu du xvie siècle, puisque les recettes de la terre pour l’année 1567 ne font plus état de seigneur, mais de trois foyers se partageant l’impôt. Le logis le plus ancien pourrait dater du xive ou du début du xve siècle. Sa partie basse était divisée en deux salles, dont une dotée d’une grande cheminée et d’une baie à coussièges —1, —2. Une salle haute, également chauffée par une cheminée, occupait l’ensemble du volume de l’étage et montait probablement sous la charpente —3. Au début du xvie siècle, un logis carré, pourvu d’un étage et d’une croisée surmontée de deux accolades, lui est accolé à l’ouest —4. Une pièce de vie supplémentaire est sans doute ajoutée à l’est en 1619, comme le suggère la date portée
sur l’intérieur du linteau de porte en bois. Au xviiie siècle, un cellier vient prolonger l’ensemble et la pièce froide du manoir primitif est pourvue d’une cheminée, ce qui permet d’accueillir un foyer supplémentaire. Cet alignement de bâtiments témoigne ainsi de l’habitude d’agrandir les édifices par adjonctions et réaménagements successifs. À l’est se dresse une maison à haute toiture, dont la charpente repose sur des poteaux —5. Tout porte à croire qu’elle constituait l’ancienne grange seigneuriale. La première structure, en bois, date de l’automne-hiver 1480-1481. Un logis est aménagé dans la partie sud de l’édifice, sans doute au début du xvie siècle, comme le prouvent la cheminée dont le linteau de pierre est porté par de puissants corbeaux chanfreinés et la baie du pignon sud, ornée d’un cordon. Peut-être accueillait-il le fermier du domaine.
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Cuisine
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Cellier puis logis
Logis
Logis
Étable
XIVe
- XVe siècle
XVIe
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Postérieur au XVIe siècle
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DE LA SEIGNEURIE AU CHÂTEAU DE PLAISANCE : SÉJOURNER NOBLEMENT La maison de maître de la Guette Élevée sur une butte faisant face à la Normandie, la Guette tire probablement son nom d’un ancien site fortifié au Moyen Âge. La maison de maître étonne par sa taille imposante. L’histoire du site avant la Révolution demeure inconnue. Au début du xixe siècle, la maison appartient à la famille Foubert et est alors partiellement édifiée, comme l’atteste l’inscription « I. FOUBERT 1806 », gravée sur le linteau de la porte principale. En 1865, François-Daniel Foubert, alors curé de Bourg-Saint-Léonard dans l’Orne, fait construire une chapelle de goût néogothique dans le parc de sa maison familiale —3. Dans la niche centrale du retable de la chapelle trône une statue en pierre de la Vierge à l’Enfant du début du xve siècle —2. La Vierge maintient l’Enfant de sa main gauche. Représenté dans une posture traditionnelle, vêtu d’une longue robe, il joue avec une colombe. Il s’agrippe au manteau qui recouvre l’épaule dextre de sa mère et souligne avec simplicité la relation
mère-enfant. L’inclinaison du visage de la Vierge lui confère la douceur maternelle que les imagiers médiévaux ont répandue au xive siècle. Le modelé des mains et du visage est délicat. La chevelure est soigneusement ondée. La qualité de l’exécution s’exprime aussi dans la facture des drapés. De sa main droite, la Vierge relève son manteau, marquant un léger déhanchement. Le pli profond ainsi créé s’équilibre habilement avec les plis en V du centre. Le prêtre François-Daniel Foubert, probablement fasciné par cette statue, en fit faire une copie en plâtre pour son église de Fougy à Bourg-Saint-Léonard, dans l’Orne, avec la mention « Qui aymera la copie en voira l’original ». C’est au début du xxe siècle que la maison de la Guette connaît les modifications les plus importantes. En 1913, Louis Chambeau, directeur des grands magasins Au Bon Marché de Paris, agrandit et rehausse la maison, qui domine de ses deux étages les dépendances. Ces dernières, composées d’une maison de garde, d’une buanderie, d’une remise, d’une écurie et d’une étable-grange, sont construites simultanément et régulièrement disposées autour de la cour —1. L’individualisation des édifices agricoles témoigne des préoccupations hygiénistes des propriétaires. Tandis que les encadrements de brique ancrent la Guette dans la modernité architecturale du début du xxe siècle, sa situation géographique lui offre une vue imprenable sur la ligne de chemin de fer de Couterne, mise en activité en 1881.
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L’ARCHITECTURE RELIGIEUSE ET SON MOBILIER 79
« Dans un pays de landes sauvages […] dociles à la voix des druides […] les populations des campagnes se montraient moins accessibles que celles des villes à la lumière de l’Évangile. » Victor-Joseph Lefebvre, Notice historique sur la vie, les reliques, les processions de saint Fraimbault, solitaire et apôtre dans le Maine au vie siècle, 1874.
DES ÉDIFICES RELIGIEUX ANCIENS, MODIFIÉS AU FIL DU TEMPS Les peintures murales de Notre-Dame du Rocher de Lassay L’aménagement de l’ancienne chapelle seigneuriale Notre-Dame du Rocher en salle des fêtes a permis la mise au jour en 1963 de vestiges de peintures murales. L’abbé Angot avait signalé dans son Dictionnaire de la Mayenne l’existence, selon lui, d’un saint Fraimbault bénissant les oiseaux, aujourd’hui disparu. Les dégagements furent effectués par l’érudit mayennais René Diehl et poursuivis par l’atelier Garnier d’Évreux. La restauratrice de décors peints Madeleine Pré en réalisa aussitôt l’étude. Un premier décor découvert sur le mur sud de la nef représente la Mise au tombeau —1. Le Christ gisant sur une dalle de pierre est allongé sur un linceul. Il est porté par Joseph d’Arimathie, à gauche, et Nicodème à droite. Agenouillée au premier plan, Marie Madeleine baise la main droite de Jésus. Au centre, la Vierge prise de douleur saisit la main gauche de son fils tandis que trois saintes femmes et des vieillards se lamentent. En face, un fragment d’un vaste Jugement dernier est encore visible. Un vestige réduit montre quatre damnés emmenés par un
évêque s’avançant vers les supplices de l’enfer —2. À proximité se déploient différents supplices —3. Les luxurieux hurlant mijotent dans une grande marmite alors que deux grands diables s’apprêtent à y précipiter d’autres damnés. À proximité, d’autres personnages sont pendus aux branches d’un arbre. Un supplicié sur le dos d’un animal tente de mordre un fruit inaccessible tandis que trois autres pécheurs marchent à quatre pattes, la tête collée au sol. Au Moyen Âge, l’imaginaire lié à l’enfer et à ses supplices est nourri des textes apocryphes que sont « les sept visions » d’Esdras et l’Apocalypse de saint Pierre et celle de saint Paul. Leur diffusion inspira jusqu’à Dante Alighieri et plus localement les Annalles et chronicques du pais de Laval et parties circonvoisines de 1480 à 1537 de Guillaume Le Doyen. Malgré une différence de conservation faussant notre vision de l’état originel, les peintures murales des deux murs opposés de la nef ont été réalisées à une date identique, dans le premier quart du xve siècle. Christian Davy et Christine Leduc expliquent l’absence de carnations, les grands aplats d’ocre jaune et rouge des silhouettes par la disparition des rehauts réalisés à sec. Seules les couleurs appliquées sur l’enduit humide ont été préservées. Même lacunaires, les fresques en place permettent de comprendre la vocation d’une commande confrontant la mort du Christ et son sacrifice à l’instant crucial du jugement pour l’homme et son accès à la vie éternelle : soutenir l’éducation des fidèles autant que nourrir leur foi et moraliser leur vie terrestre.
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VIVRE ET CONSTRUIRE 127
« Murs bordés de purin, de cabilles à lapins et derrière les bâtiments la porte grise qu’ils avaient refermée sur la cave en appentis où le sol de terre moisissait : les fermes étaient cachées déjà. Ils riaient un peu en partant. Le silence maintenant leur laissait entendre l’herbe mouillée qui grinçait sous leurs bottes. » Jean-Loup Trassard, « Les patiences au bord de l’eau », dans L’Ancolie, 1975.
LA VILLE DE LASSAY La rue du Champ de Foire, un nouvel axe majeur du xixe siècle Le percement des rues du Champ de Foire, en 1837, et d’Ambrières, en 1845, modifie profondément la forme de la ville. La clôture est rompue selon un axe nord-sud. Du côté nord, trois champs sont successivement découpés – le champ des fossés, une partie du champ de foire et le champ du calvaire – pour permettre la formation de la rue du Champ de Foire qui devient, vers le nord, rue de Couterne. Le parcellaire, plus lâche que dans le cœur du bourg, attire les notables de la ville, qui se font construire de grandes demeures entourées de jardins. Malgré leur retrait par rapport à la voie, celles-ci restent visibles pour ceux qui empruntent ce nouvel axe, qui devient la route principale pour se rendre vers la Normandie, tout en desservant le champ de foire et le cimetière. La maison du 22, rue du Champ de Foire est ainsi construite vers 1858, par Louis Godin, à l’emplacement du champ des fossés, au milieu d’un parc arboré —1. Son étage et ses cinq travées de fenêtres manifestent l’aisance du commanditaire. Sa travée centrale, soulignée d’un ressaut et d’un balcon en ferronnerie à l’étage, est surmontée d’une lucarne. Une pièce, couverte d’un toit surplombant porté par des aisseliers moulurés, est ajoutée au sud vers 1900. La rue de Couterne se densifie dans les décennies 1870 et 1880. Tandis que des maisons mitoyennes sont édifiées sur son côté occidental, la maison du numéro 7 est bâtie sur son côté oriental —2. Elle se distingue par son emplacement au milieu d’un jardin et l’adjonction d’un corps de bâtiment couronné d’un garde-corps, où brique et ornements en terre cuite alternent —3. La maison du 2, chemin de la Loge, est édifiée dans les années 1930 —4. Son étage en faux pan de bois lui confère un style néonormand peu répandu dans Lassay et ses environs. Son balcon arrondi s’ouvre en direction du centre de la ville, théâtralisant l’angle de la rue de Couterne et du chemin de la Loge. La maison du 7, place du Champ de Foire, bâtie autour de 1900, présente un décor singulier —5. L’alternance du granite gris et des briques qui harpent ses chaînes et encadrent ses baies crée un jeu de polychromie. Deux bandeaux de briques rythment sa façade. Ses larges fenêtres sont encadrées par des piédroits se rétrécissant vers la base, leur donnant ainsi une forme élancée.
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BOURGS ET HAMEAUX : HABITER UNE AGGLOMÉRATION Écoles et mairies
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La loi Guizot, promulguée en 1833, rend obligatoire l’entretien d’une école élémentaire. Mais bien souvent, les communes se contentaient de louer un bâtiment. Au cours de la décennie 1840, les municipalités de Sainte-Marie-du-Bois, Rennes-enGrenouilles et Courberie sont les premières à édifier des maisons d’école. Celle de Rennes-en-Grenouilles est ainsi bâtie à neuf, en 1844, à 500 mètres du centre du bourg —1. Les constructions se multiplient à mesure que les bourgs attirent plus d’habitants. Dans les années 1860, cinq sont réalisées : l’école de garçons de Niort-la-Fontaine en 1861, celle des filles en 1863, l’école de garçons de La Baroche-Gondouin en 1863 —2, l’école de garçons de Thubœuf en 1864 et l’école mixte du Housseau en 1869. Toutes ont pour maître d’œuvre François Godin, qui contribue à la généralisation d’un modèle commun. Leurs salles de classe, dotées d’une hauteur sous plafond d’environ 4 mètres, correspondant aux normes hygiénistes alors en vigueur, se trouvaient soit au rez-de-chaussée du logement, soit dans son prolongement, constituant alors un corps de bâtiment plus bas. Le décor, sobre, n’est composé que par les encadrements en granite des baies et des chaînes, et d’un bandeau matérialisant les niveaux. Le dispositif financier mis en place par le gouvernement en 1878 pour aider les communes à se doter d’écoles est décisif pour le projet de groupe scolaire de Saint-Julien-du-Terroux —3. Alors que les écoles de filles et de garçons étaient dans deux maisons en mauvais état séparées, elles sont réunies au sein d’un même édifice dont le plan est imaginé entre 1879 et 1881 par l’architecte Dromer de Javron. La salle de la mairie, qui se distingue par le fronton qui la surmonte, se trouve au centre de l’ensemble. De part et d’autre se déploient les deux salles de classe et des logements. Par la suite, près d’un tiers des communes ont besoin de se doter de mairies plus grandes et engagent des travaux en ce sens dans leurs écoles. À SainteMarie-du-Bois, une nouvelle salle de classe est édifiée en 1888 au sud de l’école précédente, laissant libre le rez-de-chaussée pour l’installation de la maison commune —4. La mairie de Lassay se distingue par sa séparation des écoles et sa monumentalité —5. Édifiée à partir de 1903 sur les plans de Jules Tessier, architecte à Mayenne, elle est dotée d’un portique percé de trois arcades en avant de l’entrée —6. Son premier niveau est occupé par une vaste salle des fêtes, servant aujourd’hui de salle du conseil, qui ouvre sur une loggia faisant face à la place. Le décor de colonnes ioniques de cette dernière et la couverture en pavillon évoquent l’architecture de la Renaissance, souvent invoquée dans l’architecture publique de cette époque.
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LA DENDROCHRONOLOGIE À L’APPUI DE L’ÉTUDE DU BÂTI
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La maison paysanne est rarement documentée avec précision par les archives. Pour comprendre son évolution, l’analyse du bâti, fondée sur l’observation de la mise en œuvre, l’étude des phases de construction et les comparaisons stylistiques, reste donc la méthode la plus fréquemment employée. Mais les formes demeurant relativement stables dans ce type d’architecture, l’exercice atteint ses limites dès que l’on cherche des datations absolues. La technique de la dendrochronologie peut donc venir en appui. Elle permet en effet de dater de manière précise l’abattage des arbres employés dans les constructions, à partir de l’analyse de leurs cernes de croissance. Pour ce faire, des édifices possédant des ensembles de bois appartenant à des phases de construction clairement identifiables sont sélectionnés. Il peut s’agir de charpentes, de planchers ou de structures poteaux homogènes, dont la cohérence s’évalue à l’aune d’un marquage ou de la logique des assemblages —1. Des carottes de 3 millimètres de diamètre, pouvant mesurer jusqu’à 20 centimètres de long, sont prélevées dans les poutres avant d’être analysées en laboratoire. Les cernes de croissance annuelle des arbres, dont la largeur varie en fonction des conditions climatiques, sont mesurés et décomptés. Les courbes de pousse des arbres dont elles proviennent sont ainsi élaborées et comparées à des courbes de référence, établies de manière régressive à partir d’arbres vivants. Le rapprochement de ces différents cycles de croissance permet d’obtenir une datation absolue —3. Plus les prélèvements comprennent de cernes d’aubier, c’est-à-dire la partie extérieure de l’arbre, plus la datation est précise. Quand tous les cernes de l’aubier sont présents, la date d’abattage de l’arbre peut être connue à l’année, voire à la saison près. L’emploi de la dendrochronologie dans l’étude du bâti de l’ancien canton de Lassay a permis de dater différents types de structures et de charpentes. Ainsi, les ossatures à poteaux porteurs, dont les sablières sont encastrées sur la partie extérieure de la tête du poteau et assemblées en queue d’aronde avec les entraits, sont documentées de 1444 à 1486. Le type de charpente le plus fréquemment employé dans l’architecture rurale est constitué de fermes dont le poinçon descend jusqu’à l’entrait ou le faux-entrait et dont les pannes reposent sur des embrèvements ménagés dans les arbalétriers. Il est employé de la fin du Moyen Âge à la fin du xviiie siècle. Seuls l’angle des arbalétriers, et donc la pente du toit, varient en fonction des époques. Dans d’autres endroits de la Mayenne, à l’instar de Sainte-Suzanne et des communes qui l’environnent, les embrèvements des arbalétriers sont remplacés par des cales chevillées aux arbalétriers à partir de la seconde moitié du xviie siècle. Celles-ci n’apparaissent autour de Lassay qu’au xviiie siècle. Les études dendrochronologiques ont également permis de mettre en évidence plusieurs phases de construction au sein d’un même édifice. Ainsi, dans les maisons de Launay et du Bas-Boulay, elles ont révélé que la structure à poteaux porteurs était antérieure aux poutres et aux solives du plafond correspondant à la phase de maçonnerie —2.
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1486 Troisième quart du XVIe siècle XIXe
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Bâtiment conventuel fin XVIIIe s. Ferme milieu XVIIe s.
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Logis rural début XXe s.
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Arbres sur pied début XXIe s.
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5, rue Saint-Sauveur (Lassay-les-Châteaux) fin XVIe s. 1364
6, rue du Bignon, Niort (Lassay-les-Châteaux) milieu XVIe s.
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Launay (Le Housseau-Brétignolles) 1486
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Logis castral début XIVe s.
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Chronologie de référence région des Pays de la Loire
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FORMES ET ÉVOLUTION DE LA MAISON RURALE Le décor de l’architecture
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L’usage de la pierre dans la construction rurale à partir du xvie siècle a favorisé le développement d’un décor riche. Blasons, feuillages, accolades et visages sont sculptés dans le granite. Son grain dur ne rend pas la sculpture aisée mais facilite la conservation des motifs. Si ce type de décor apparaît plus fréquemment là où le sous-sol est granitique, des linteaux à accolade sont visibles sur des maisons de Sainte-Marie-du-Bois, Thubœuf ou Saint-Julien-du-Terroux, dont le sous-sol est pourtant composé de grès et de schistes, preuve que l’envie d’orner sa maison a conduit à aller chercher plus loin la pierre idoine. Deux linteaux rectangulaires, entourés d’un tore, datent du troisième quart du xvie siècle. Celui de l’Aubergement porte le millésime de 1575 —1, tandis que celui de Launay est associé
à une phase de maçonnerie bâtie entre 1551 et 1578 —3. L’accolade, dans laquelle est presque systématiquement inclus un écu, est employée sur une longue période, vraisemblablement du xve siècle à la fin du xviie siècle. Les motifs qui y sont représentés peuvent néanmoins varier. À la Bouchardière, le blason est orné d’une couronne et encadré d’une lance et d’un singe —2. Dans la ferme des Varies, le linteau, utilisé en remploi, comprend un écu entouré de deux fleurs de lys et de deux palmes —4. À la Beslinière, l’accolade comprenant un écu fruste est soulignée d’une moulure torique qui se prolonge sur les piédroits de la porte —6. Ces décors se raréfient à partir de la fin du xviie siècle. Les cheminées constituent également un support privilégié pour les sculpteurs. Certains congés situés dans le haut des piédroits accueillent des visages —7. Plus rarement, une tête humaine peut être représentée sur la face avant du corbeau —5. Une vingtaine de cheminées possédant un tel ornement a été repérée. Elles appartiennent à des édifices antérieurs au milieu du xviie siècle, dont la plupart se situent dans les communes de Niort-la-Fontaine et Sainte-Marie-du-Bois. Cette ornementation est répandue dans les terres granitiques, de la Bretagne au Massif central.
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EXPLOITER LA MISE EN VALEUR DU TERRITOIRE 171
« L’air des jours est au souffle et au meuglement des bovins comme toute la nuit est habitée par les hulottes. » Jean-Loup Trassard, « Nos murs hourdés de terre », dans L’Ancolie, 1975.
L’ARCHITECTURE AGRICOLE Les granges-étables, de la période moderne au xixe siècle La grange à dîme de Saint-Fraimbault de Lassay, à fonction de stockage, est le seul édifice de ce type conservé sur le territoire —1. Son statut est mis en avant à travers la clôture de sa parcelle par des murs de pierre et l’encadrement de son entrée par deux piliers maçonnés. Détruite par une tempête en 1702, elle est réédifiée en 1731 grâce au remploi de moellons de l’édifice préexistant. À l’instar des quelques rares granges datant de la période moderne et possédant une taille comparable, ses cinq fermes de charpente reposent directement sur les mursgouttereaux, mesurant environ 4 mètres de haut. Les étables alignées de Remieu, qui datent vraisemblablement du xviie ou du xviiie siècle, sont représentatives des édifices agricoles antérieurs au xixe siècle —3. Des portes couvertes de linteaux de bois ouvrent sur de petites pièces accueillant veaux, ovins ou laiterie. Une porcherie en appentis termine la rangée. Des fenils, accessibles par des portes hautes passantes dans le murgouttereau, sont aménagés dans les combles.
À partir du milieu du xixe siècle, l’introduction du chaulage dans les cultures permet d’augmenter les rendements et a pour conséquence la construction de dépendances plus imposantes. La grange-étable à haute porte charretière, indépendante des logis, marque l’architecture agricole de cette époque. Construite lors de la réédification complète de fermes, comme au Temple —2, ou ajoutée dans certains villages, elle témoigne de changements dans les pratiques agraires. Sa porte charretière, dans la plupart des cas couverte d’un linteau de bois, donne accès à un fond de grange, espace non planchéié communiquant avec les étages de stockage, situés de part et d’autre, au-dessus d’étables. Celles-ci sont accessibles par des portes plus basses et aérées par de petites ouvertures qui prennent le plus souvent la forme de demi-cercles de briques. D’autres types d’édifices agricoles, à l’instar des porcheries ou des loges à pressoir, peuvent être construits en appentis contre les pignons de ces granges-étables, comme à la Chesnaie —4. Les façades de ces granges-étables sont bien souvent ordonnancées, à l’instar de celle de la ferme de la Croix au Bal —5. Les exemples les plus soignés présentent même une façade principale en pierres de taille, comme celle de la grangeétable des Loges, qui arbore du grès provenant de la région d’Andaine, soigneusement mis en œuvre —6.
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LUDOVIC PIETTE, IMPRESSIONNISTE MAYENNAIS, PEINTRE DE LA VIE RURALE La reconnaissance de l’œuvre de Ludovic Piette (1826-1878) est relativement récente. La publication de sa correspondance avec son ami Camille Pissarro en 1985 et l’exposition qui lui est consacrée en 1997 aux musées de Laval et de Pontoise ont permis de redécouvrir l’artiste et sa peinture. Ludovic Piette —1 naît à Niort, dans les Deux-Sèvres, où son père était receveur de l’enregistrement avant de se retirer dans sa propriété de Montfoucault à Melleray. Vers l’âge de 25 ans, à Paris, le jeune notable fréquente l’atelier d’Isidore Pils puis de Thomas Couture, où il fait la connaissance d’Édouard Manet qu’il ne cessera jamais d’admirer. En 1857, il participe pour la première fois au Salon et rencontre Camille Pissarro en 1860. Ses passages à l’académie du père Suisse lui permettent de faire la connaissance de Paul Cézanne. C’est peut-être là que Piette est présenté à Pissarro, à moins que ce ne soit par l’intermédiaire du paysagiste Antoine Chintreuil, élève de Camille Corot comme Pissarro. Une amitié indéfectible se noue alors entre les deux compagnons d’atelier. En 1862, Piette quitte la capitale, vraisemblablement pour raisons de santé, et revient s’établir définitivement à la ferme de Montfoucault. Il commence 1 à écrire de façon régulière à Pissarro, espérant la visite de son ami. Pissarro entreprend le voyage à l’automne 1864 avant d’y trouver refuge avec sa famille en 1870, fuyant l’avancée des troupes prussiennes. Montfoucault et ses environs offrent un cadre idéal pour peindre sur le motif —2, —3. Observateur attentif, Piette saisit l’intimité de la campagne et des gestes paysans —4, qu’il préfère aux œuvres symboliques ou d’inspiration littéraire de ses débuts. Nul doute qu’il subit l’influence de l’impressionnisme et des conseils de Pissarro. Comme lui, influencé un temps par Corot, Piette s’éloigne de la mouvance de l’école de Barbizon, aspirant à peindre un monde rural qui s’oppose au pittoresque romantique des scènes de genre qui dominent son époque. Se définissant comme aquarelliste, Piette pratique pourtant la gouache avec talent. Ses envois au Salon, où il expose régulièrement entre 1857 et 1876, ainsi que les ventes organisées à l’Hôtel Drouot entre 1872 et 1877, montrent une palette riche et des œuvres toujours plus lumineuses. Derrière la brume ou sous la neige —5, inondés de soleil ou après la pluie, les instants saisis dans les environs de Montfoucault —6 côtoient ceux de ses voyages et son goût pour les vieilles villes, leurs marchés et leurs rues animées (Vitré, Lassay —7, Le Mans, Pontoise…). À la fin de sa vie, toujours plus influencé par l’impressionnisme, Piette restitue dans ses peintures la lumière homogène propre au mouvement pictural naissant. D’ailleurs, en 1877, il rejoint la troisième exposition du groupe impressionniste, à l’invitation de son grand ami Pissarro.
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L’ARCHITECTURE AGRICOLE Les fermes de la famille Salles, à Melleray-la-Vallée Le domaine mayennais de la famille Salles, situé entre son château de Torcé (Cigné) et le bourg de Melleray, constitue l’un des exemples les plus significatifs de transformation de l’architecture agricole sous l’impulsion de grands propriétaires à la fin du xixe siècle. La famille, détentrice d’une manufacture de toiles à La Ferté-Macé, doit sa fortune à l’investissement dans l’industrie du tissage à main dans les années 1820 et à sa mécanisation autour de 1860. À partir de 1850, elle acquiert dans le bocage normand des fermes qui lui assurent des revenus importants et stables. À la suite du rachat en 1895 du château de Torcé, et au moment où l’industrie de la toile se fait moins rentable, Clovis Salles poursuit cette stratégie de placement de capitaux industriels dans la terre. Les fermes de la Rajellerie, de la Verdonnière —4 et du Petit Bois-Pichard, situées à Melleray-la-Vallée, appartiennent au domaine dès l’achat du château. Entre 1895 et 1900, toutes font l’objet d’importants travaux, commandés par Francis Salles, visant à optimiser leur rendement. À ces propriétés sont ajoutées la ferme de la Durtière et des terres à l’ouest du bourg, sur
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lesquelles sont construites ex nihilo en 1899 les fermes du Clos et du Grand Clos, aujourd’hui renommée des Longchamps. Les fermes de la famille Salles possèdent des points communs architecturaux. Leur plan, rationalisé et hygiéniste, présente trois corps de bâtiment répartis autour d’une cour. Le logis occupe l’emplacement central tandis que les dépendances se répartissent de part et d’autre. À la ferme des Longchamps, l’édifice consacré à l’habitation comprend trois logements, qui disposent d’un étage carré —3. Le fronton qui surmonte sa partie centrale confère un caractère monumental à l’ensemble. Les ouvertures sont, dans la majorité des cas, encadrées de briques polychromes. À l’étage des maisons, une niche accueille une statue de saint personnage : Joseph à la Verdonnière — 5, Jean-Baptiste aux Longchamps — 6 et le Christ au Sacré-Cœur à la Rajellerie — 7. Au sein des exploitations de la Rajellerie —1 et de la Verdonnière —2, réédifiées sur la base de fermes plus anciennes, une portion de l’édifice antérieur a été conservée, traduisant ainsi l’ancienneté du domaine. La ferme de la Verdonnière permet de nuancer l’hégémonie des plans à trois corps de bâtiment séparant les fonctions. La conservation de l’édifice ancien antérieur et la topographie du site ont prévalu sur l’application d’un modèle hygiéniste.
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LA MEUNERIE, UNE INDUSTRIE RURALE Du Moyen Âge à l’époque contemporaine, la force hydraulique des cours d’eau a été exploitée pour alimenter diverses industries, des forges du Boulay aux tanneries qui se situaient sous le Grand Étang de Lassay. Mais toutes ont périclité sans laisser de traces, à l’exception de la meunerie. En raison du caractère éminemment agricole du territoire, les moulins à blé ont perduré et se sont modernisés au cours du xixe siècle et au début du xxe siècle.
Les moulins, du Moyen Âge à nos jours Les quatre moulins encore conservés en élévation sont une maigre survivance de la quinzaine dont l’existence passée a été relevée. De fait, presque tous les cours d’eau ont été aménagés dans le but de capter l’énergie hydraulique. La rivière Mayenne ayant le débit le plus élevé, la création de canaux de dérivation plus ou moins longs a suffi pour faire tourner les roues. À Chantepie subsiste de cet aménagement un barrage maçonné qui permettait de diriger vers le canal le flux d’eau nécessaire à la rotation de la roue —2. En revanche, le Lassay a nécessité des installations de plus grande ampleur. Quatre moulins y étaient établis au débouché de digues insubmersibles, de façon que les chutes d’eau qui en procédaient puissent mettre en mouvement les roues. Par exemple, les plus de 250 mètres de long de l’étang
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du Boulay devaient permettre à la roue de tourner la plus grande partie de l’année —3. Une bonde de dévidement, permettant de réguler le flux, a été aménagée à l’extrémité nord de la digue —4. La dizaine de moulins mentionnée dans les textes de la fin du Moyen Âge témoigne d’une pluralité d’activités qui disparaît progressivement au cours de la période moderne. À la fin du xve siècle, ceux du seigneur de Lassay – les deux moulins du Grand Étang —1, celui d’Anglaine et celui de Béhart – moulaient blé, tan et fibres de drap. Inscrits dans l’économie seigneuriale, ils se situaient dans la plupart des cas à proximité des manoirs ou châteaux dont ils dépendaient, leur taille étant proportionnelle à l’importance de leur propriétaire et des possibilités hydrauliques des cours d’eau qui les alimentaient. Ainsi, la chute d’eau de la chaussée du Bois-Frou, qui se trouvait à côté de la ferme de Bel-Éclair, alimentait en 1756 trois roues. Comme dans la plupart des seigneuries, les sujets étaient tenus d’y moudre leur grain et devaient à leur seigneur la corvée de « traînage » des meules. Tous les mécanismes antérieurs à la Révolution ont disparu, remplacés à la fin du xixe siècle par des systèmes de transmission en fonte, dits à l’anglaise, permettant de meilleurs rendements. Les établissements qui n’ont pas su se moderniser se sont progressivement éteints, en raison de la concurrence des minoteries de plus grande taille, comme celle de Couterne, érigée en 1919 entre la gare et la Mayenne. D’autres, comme le moulin de Chantepie, ont transformé leur activité : en 1910, loué aux concessionnaires de l’éclairage et de l’énergie électrique de Couterne, il est transformé en usine hydroélectrique.
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LE CIDRE, UN PATRIMOINE VIVANT De la transformation à la consommation Pour la fabrication du cidre, le jus est soutiré deux semaines après sa mise en tonneaux : quand la lie est montée, il est extrait et mis en cuves. L’opération est répétée deux à trois fois, à environ trois semaines d’écart. Après trois mois, le cidre est filtré puis mis en bouteilles, à l’aide d’une tireuse à quatre becs —3. Il faut ensuite attendre deux ou trois mois pour que les sucres fermentent et que le cidre devienne pétillant : c’est la bouillaison. Pour la réalisation du calvados, le jus extrait de la presse est conservé dans des tonneaux de chêne pendant six mois, pour qu’il fermente —1. Il est ensuite distillé à l’aide d’un alambic dont les tuyaux et les chaudrons sont en cuivre, selon un procédé de distillation à jus continu —4. Le chaudron est chauffé au feu de bois, ce qui confère une chaleur homogène —2. Dans un
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premier temps, le jus fermenté tombe en chicane dans le chaudron, où il monte en température. Les vapeurs d’alcool s’élèvent à travers dix plateaux de distillation. Le jus bouilli resté en fond de chaudron, également appelé gorgotte ou débouillé, privé de son alcool, est rejeté. La vapeur d’alcool est réfrigérée dans un tuyau appelé cygne et condensée dans la deuxième colonne. La vapeur remonte et revient à la colonne de départ, en contribuant à chauffer le jus fermenté par son passage. L’alcool qui en est extrait sort à 70°. Ce procédé à simple distillation correspond à l’Appellation d’Origine Contrôlée Calvados. À ces deux productions s’ajoute celle du pommeau. La fabrication de cet apéritif, panachage de cidre et d’eau-devie, était courante dans les fermes et relevait d’une pratique domestique jusqu’au milieu du xxe siècle. Il est obtenu à partir de l’élevage en fûts du produit du mutage d’un moût frais de pommes à cidre avec du calvados. Sa commercialisation est autorisée depuis 1981 ; il est reconnu AOC pommeau de Normandie en 1991.
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