Le village sans utérus – XXI 51

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Les villages sans utérus

DANS LES PLANTATIONS DE CANNE À SUCRE, DES CENTAINES DE MILLIERS D’INDIENNES SE SONT FAIT RETIRER LEUR UTÉRUS SOUS LA PRESSION DES MÉDECINS. POUR ESPÉRER ÊTRE AUSSI RENTABLES QUE LES HOMMES. Par Camille Le Pomellec

l’aube, le tracteur fend la brume et manque de percuter un camion. Un coup de klaxon arrache Daivshala à son sommeil. Agglutinées dans la remorque, ses voisines tanguent comme elle entre de gros sacs de jute. Le tracteur a roulé toute la nuit, précédé et suivi de milliers d’autres. Ils transportent lentement les saisonniers vers les champs de canne de la « Sugar

Belt », un ruban vert de plus de 1 000 kilomètres à l’ouest de l’Inde. La main-d’œuvre approche de sa destination. À chaque à-coup, Daivshala s’agrippe au garde-corps métallique. Dos, poignets, genoux, bassin, ventre, tout son corps crie. « Je suis comme une vieille dame, souffle l’ouvrière agricole de 34 ans à la peau sombre. Je pense que c’est à cause de l’opération. » Il y a quelques mois, Daivshala a subi une hystérectomie, une ablation de l’utérus. La jeune femme a payé le gynécologue de sa poche dans l’espoir d’une meilleure productivité. Une mutilation médicale pour transformer son corps en machine. Un organe disparu, pour ne pas ralentir le rythme pendant ses règles et couper plus de cannes. Mais personne ne l’avait prévenue des effets secondaires de cet acte chirurgical normalement prescrit en cas de maladie grave, en dernier recours, ou à un âge plus tardif :


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