LOBBIES chers amis du pouvoir BURE village atomique L’information en bande
NOTATION un avis à tout prix
ÉDITO RIAL
Scier la branche sur laquelle on est assis. Enfouir des déchets radioactifs sous les territoires où l’on vit. Dans des forêts devenues plantations et dans des sols choisis pour renfermer des milliers de colis contaminés, de vertigineuses opérations de destruction sont à l’œuvre, soigneusement préparées et méticuleusement planifiées. Loin du bouillonnement des villes, de vastes étendues sont sacrifiées.
Déchets à vie longue. Haute radioactivité. Tandis que l’on détraque le climat, les adeptes de l’atome tentent une nouvelle fois de faire passer le nucléaire pour une énergie propre. Ce qui pourrait leur donner tort sera enfoui, en Meuse, pour l’éternité. À la surface règne l’immédiateté. Monoculture. Coupes à blanc. En moins de temps qu’il en faut à un arbre pour pousser, les forêts françaises partent à la découpe. Mais qui tient la scie ? Nous ne portons pas à parts égales la responsabilité des ravages commis. Certains sont passés maîtres dans l’art de précipiter le désastre et d’en tirer parti : industriels de l’énergie, du bois, acteurs de la finance, hommes et femmes politiques se laissant dicter leurs décisions par le doux chant des lobbies au mépris de la santé, du climat, de la vie. Ces richesses-là sont impossibles à mesurer, à quantifier. Elles résistent aux notes sur cinq étoiles qui ont envahi nos vies, à la tyrannie de l’évaluation qui fait que chaque moment appelle son questionnaire de satisfaction. Des notes, des formulaires, des fiches pour trier, classer, juger... Et si l’on déployait nos énergies autrement ? En prenant soin des forêts vivantes, en bataillant pour obtenir justice ou en tournant en dérision les injonctions à la compétition cachées derrière des farandoles d’étoiles dorées.
6 AU PIED DE LA LETTRE
Vos messages,
44
INCONSCIENCES
De minuscules billes de sucre au cœur d’un immense débat. L’histoire de l’homéopathie.
80
INSTANTANÉ
Zoom sur Rose Zehner, une icône des luttes ouvrières qui aurait pu rester dans l’ombre.
8 SOUS LA BONNE ÉTOILE
Pour les notes, l’heure de l’évaluation a sonné.
52
PERSONA NON GRATA
Comment les régimes autoritaires usent et abusent des fichiers d’Interpol.
82
TAIS-TOI ET CREUSE
La France prépare la Meuse à devenir une immense poubelle nucléaire.
ENTRE DEUX PORTES
Pourquoi les lobbies sont-ils si puissants ? Enquête dans les couloirs du pouvoir.
C’EST NOTRE RAYON
Au rayon bandes dessinées, trois ouvrages interrogent les décisions des dirigeants.
Le juste prix
Bonjour, je n’ai pas renouvelé mon abonnement à La Revue Dessinée, car, si l’actualité est traitée de façon originale, le prix est beaucoup trop élevé ! C’est au moins 50 % trop cher et je suis persuadé que si votre revue était vendue à un prix plus raisonnable vous vous y retrouveriez sur la quantité en touchant plus de personnes ! Yves
Cher Yves, si nous divisons par deux le prix de notre revue, c’est simple : elle n’existe plus. Sur les 16 € que coûte un exemplaire : 7,80 € rémunèrent les diffuseur, distributeur et libraires, 1,66 € paye le papier, l’imprimeur, la Poste et le routage, 1,04 € va aux auteurs, 1,28 € à la TVA et 3,22 € sont consacrés aux coûts fixes : salaires de l’équipe (rédaction, correcteurs,
graphiste, directrice artistique, service abonnements et administratif), loyer et impôts. Une fois ces dépenses soustraites, il ne reste pour chaque revue vendue en librairie que… quelques centimes de bénéfices. Bénéfices qui, depuis notre création, sont réinvestis intégralement pour embaucher et lancer de nouveaux projets (Topo, L’Histoire dessinée…).
du coté obscur de l’actu
Chère revue, puis-je vous suggérer quelque chose ? Nous avons peu de raisons de croire en l’avenir : pour le climat, c’est cuit, des multinationales imposent leur politique et des dictatures s’installent. Je sais qu’une pessimiste est une optimiste bien informée. Il importe d’être lucide mais ne pourriez-vous pas proposer, de temps en temps, des reportages ou des actions sur des groupes de personnes qui réussissent à aller dans le bon sens ? Des initiatives qui dévient le courant ? Christine
Chère Christine, difficile de dénicher des sujets positifs qui ne soient pas anecdotiques. Nous devons bien l’avouer, nous sommes surtout animés par l’envie d’interroger ce qui va de travers pour faire bouger les lignes. Cela dit, l’idée d’accorder plus d’attention à celles et ceux qui prennent des chemins de traverse nous parle. Au moment de conclure l’enquête de ce numéro consacrée à la forêt, nous vous avons donc prise au mot : quand l’horizon semble trop sombre, on peut toujours tracer des lignes de fuite.
Tous dans le même sac
Bonjour, l’article sur les contrats à impact social du numéro #26 laisse entendre que l’économie sociale et solidaire (ESS) est financée par des subventions publiques. C’est peut-être vrai pour les associations mais pas pour les mutuelles ou les coopératives qui montrent que, même dans le marché, des alternatives aux sociétés de capitaux sont possibles et peuvent produire des richesses et les répartir ! Bravo pour le reste, votre revue est une mine de découvertes et de réflexions. Damien
Loin de nous l’envie de mettre les mutuelles et les coopératives dans le même sac que les associations. Le secteur associatif est au cœur de l’enquête, car il subit particulièrement les baisses de subventions et devient donc la cible des produits financiers que nous décrivons. Dans l’ESS, d’autres modes de financement existent, avec leurs avantages et leurs limites, mais il aurait fallu deux fois plus de pages pour nous y aventurer !
montrer les dents
Dans la rubrique « Dans la place » du numéro #25, je vous trouve bien complaisants envers le procureur de Paris Rémy Heitz. Vous sous-entendez que sa nomination n’a pas échappé à la mainmise de l’exécutif, donc d’Emmanuel Macron, mais sans donner de profondeur à vos propos… Un peu comme si vous manquiez d’éléments pour adopter une position critique dans un sens ou dans l’autre. Mi-chèvre, mi-chou... Vous employez les mots « fantasme » et « soupçon ». La Revue Dessinée nous a habitués à des enquêtes et des présentations plus critiques. Patrice
Cher Patrice, bien sûr, nous aurions pu être plus mordants et rappeler, en citant l’article « Bien proc sur lui » paru chez nos confrères du Canard enchaîné, qu’à l’hiver 2018 Rémy Heitz a fait placer plus de 3 000 Gilets jaunes en garde à vue. Bien sûr, nous aurions pu ajouter que le procureur de la République de Paris aurait envoyé une consigne écrite à quelque 125 magistrats pour les inciter à faire traîner ces mêmes gardes à vue afin d’éviter que « les intéressés grossissent les rangs des fauteurs de troubles ». Mais le format court de cette chronique, plutôt conçue pour dresser le portrait d’un lieu, ne nous permet pas toujours de sortir nos propres révélations. C’est pourquoi, quand il s’agit de collusion, nous nous contentons de parler de soupçons.
Au moment où nous écrivons ces lignes, le livre Algues vertes, l’histoire interdite, d’Inès Léraud et de Pierre Van Hove, publié en coédition avec Delcourt, est en lice dans la sélection du Festival d’Angoulême. Que ce travail, né dans nos pages, décroche un Fauve d’or ou non, pour l’enquête en bande dessinée, c’est déjà une consécration !
Dans la cage au fauve
sous la bonne étoile
« Covoitureur quatre étoiles, je recommande ! » « Restaurant médiocre, fuyez ! »
De la qualité d’un appel téléphonique à la propreté des toilettes de stationsservice, impossible d’y échapper. Pour un oui, pour un non, trois étoiles par-ci, cinq par-là... Les notes sont partout : sur les biens et les services, mais également sur les personnes. Dans tous les domaines, tous les métiers — de la menuiserie à la garde d’enfants —, des millions d’avis fleurissent. Ils se veulent gage d’objectivité et de transparence, or l’évaluation permanente est surtout une économie florissante. Et si cette nouvelle guerre des étoiles nous avait déjà fait basculer du côté obscur de la technologie ?
VINCENT COQUAZ ET ISMAËL HALISSAT
il était une fois la note
Pourquoi les moyennes scolaires sont-elles sur vingt ? Depuis quand note-t-on ?
Et si les notes disparaissaient de l’école comme elles y sont apparues il y a cinq siècles ? Au commencement de la notation était la religion.
PAS TRÈS CATHOLIQUE
Vers 1540, l’Église catholique a une obsession : bâtir une nouvelle élite intellectuelle, « des soldats de Dieu », pour contrer la Réforme protestante. Ignace de Loyola fonde alors la Compagnie de Jésus. L’objectif des collèges qui essaiment en Europe, c’est « l’émergence d’une jeunesse instruite et disciplinée […]. Il s’agit de privilégier les plus méritants et d’éliminer les autres », raconte Olivier Maulini, professeur à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève. Chez ces jésuites, où règne une discipline semblable à celle de l’armée, la compétition permanente entre les élèves sert à faire le tri. Des points sont attribués ou retranchés en fonction des prestations aux devoirs et de l’attitude générale. Les notes sont nées. « Ces méthodes vont être “récupérées” par l’Éducation nationale française », détaille Olivier Maulini. C’est ainsi qu’au XVIII e siècle, un système de notation par lettres (A, B, C ou D) voit le jour. À l’examen oral qui fait office de baccalauréat, les examinateurs lui préfèrent des boules rouges, blanches et noires.
LE TEMPS DU VINGT
Il faut attendre le XIXe siècle et le concours d’entrée à Polytechnique pour que naisse le barème sur 20. Pourquoi des chiffres ? Pour pouvoir calculer une moyenne entre plusieurs notes différentes et ainsi comparer et sélectionner les candidats, devenus trop nombreux pour être jugés par un seul examinateur. Ce barème va ensuite se diffuser. En 1890, le baccalauréat adopte la note sur 20, très vite imité par tout le système scolaire, du primaire au secondaire. Au XXe siècle apparaît la moyenne générale, qui agrège les notes en sport comme en maths. Ce changement révèle la véritable nature de la notation aux yeux de l’historien Claude Lelièvre : « La moyenne prouve que la note ne se préoccupe pas des savoirs mais ne sert qu’à classer. On apprend tout petit qu’on ne peut pas additionner des torchons et des serviettes. Quand on calcule une moyenne générale, c’est exactement ce qu’on fait ! »
TRAVAILLEZ, VOUS ÊTES NOTÉS !
Durant le XXe siècle, la note va se propager au monde du travail. Dans beaucoup d’entreprises, les supérieurs vont attribuer une note et une appréciation à leurs subordonnés à l’issue d’un entretien annuel. Pour la Fonction publique, l’article 38 de la loi de 1946 sur le statut des fonctionnaires prévoit « qu’il est attribué chaque année, à tout fonctionnaire en activité ou en service détaché, une note chiffrée, suivie d’une appréciation générale »
MAUVAISE ÉLÈVE
Mais à la fin des années 1990, la notation perd des points. D’abord à l’école primaire, où la note sur 20 est abandonnée au profit d’une évaluation par compétences (« acquis, presque acquis et non acquis ») qui permet de mesurer la progression d’un élève sans recourir au classement. Dans le monde professionnel aussi, les entretiens annuels deviennent plus qualitatifs. En 2010, le gouvernement français annonce la fin de la notation des fonctionnaires.
LA NOTE EST MORTE, VIVE LA NOTE !
C’est pourtant à la même époque qu’un nouveau type de notes se développe. Celles qui ne sont plus attribuées par un chef ou un instituteur, de façon verticale, mais par tout le monde, de façon horizontale et croisée. Celles qui valorisent n’importe quel produit, service ou personne. Celles qui nous transforment tour à tour en noteurs et notés.
À l’école, la note est de plus en plus souvent remplacée par des « évaluations bienveillantes ».
making-of
« Quelques semaines après le début de l’enquête que nous menons ensemble, j’appelle Ismaël pour lui raconter ce que je viens de vivre par hasard. Un ticket de caisse d’un magasin Levi’s m’invitait “à noter mon expérience” d’achat en échange d’une réduction. Le questionnaire en ligne me proposait en fait de noter les vendeurs sur 10. Je raccroche. WhatsApp, dans la seconde, me demande “d’évaluer la qualité de mon appel” avec 5 petites étoiles. Notre intuition était la bonne : la note était déjà partout et il restait à comprendre pourquoi et comment. » Vincent Coquaz
À LIRE
La Zone du dehors, d’Alain Damasio. Dans ce roman, l’auteur imaginait déjà une société où la place de chacun est déterminée par une note. Éd. Cylibris (1999).
À LIRE
La Nouvelle Guerre des étoiles, de Vincent Coquaz et Ismaël Halissat. Enquête au long cours sur notre société de la notation. Éd. Kero (2020).
Persona non grata
Un ancien président qui disparaît, de sulfureux financeurs avec qui il a fallu couper les ponts. Ces dernières années, la très opaque Organisation internationale de police criminelle a vu sa réputation écornée par des scandales à répétition. Pour les journalistes, Interpol reste un bunker. Pour les polices du monde entier, elle est une mine d’informations, une base de données qui contient des millions d’enregistrements, d’empreintes digitales, de profils génétiques… Des données souvent consignées sur des notices colorées. Quand Interpol voit rouge, elle peut déclencher une traque mondiale et devenir une arme politique dans les mains de régimes peu soucieux de démocratie.
MARINE DUMEURGER
JEAN-PAUL KRASSINSKY
La tirelire d’interpol
La police internationale court après l’argent. Ses financements publics sont bien en deçà de ce que ses missions exigent. Et quand la générosité du privé prend le relais, celle-ci soulève des doutes sur l’indépendance de l’institution.
134 MILLIONS D’EUROS
C’est peu. En comparaison, le budget global de la police nationale française est d’environ 11 milliards d’euros par an.
DES FINANCEMENTS PUBLICS LIMITÉS
Interpol tire ses revenus des contributions obligatoires de ses 194 États membres : États-Unis, Japon et Allemagne en tête. Mais aussi des participations volontaires d’organismes comme l’Union européenne.
En 2018, son budget s’élevait à 750 %
À LA RESCOUSSE
Entre 2010 et 2015, la contribution des partenaires privés a augmenté de
EN TOUTE DISCRÉTION
La plupart des fonds privés n’apparaissent pas dans le budget car ils passent par la fondation Interpol pour un monde plus sûr.
États membres
Financement volontaire
LES DONATEURS SE BOUSCULENT
En 2019, la plate-forme chinoise Alibaba ou le Comité international olympique ont financé Interpol. Leur intérêt ?
La lutte contre la contrefaçon pour l’un et contre le dopage pour l’autre.
TÊTE DE PELOTON
Les Émirats arabes unis se sont engagés à verser 50 millions d’euros sur cinq ans à ladite fondation.
MÉLANGE DES GENRES
Le comité d’honneur de la fondation est présidé par le prince Albert de Monaco. L’industriel Olivier Dassault y siège également. Carlos Ghosn, lui, a été invité à démissionner.
Lutte populaire. Paris, mars 1938.
Le jeune photographe
Willy Ronis couvre les grèves déclenchées par la remise en cause des acquis du Front populaire. Dans l’usine Citroën du quai de Javel, il immortalise une ouvrière qui harangue ses camarades. Trop sombre, son image tombe dans l’oubli avant de resurgir quarante ans plus tard et de devenir le symbole du combat ouvrier.
CAMILLE DROUET
ÉLISA GÉHIN
instantané
Willy Ronis, 27 ans, est envoyé en reportage par l’hebdomadaire « Regards », proche, comme lui, du Parti communiste. En tout, il prend 46 clichés, dont cette image d’une syndicaliste en colère.
tais-toi ET
CREUSE
GASPARD D’ALLENS ET PIERRE BONNEAU CÉCILE GUILLARD
Lhistoire commence par un tintement dans la boîte mail de la rédaction, en novembre 2017. L’objet est explicite « Visite du laboratoire souterrain de l’Andra – gestion des déchets radioactifs ». L’expéditeur est une agence de communication au service de l’Andra, l’Agence nationale de la gestion des déchets radioactifs. Le projet décrit donne le tournis. « Cigéo (Centre industriel de stockage géologique) est le projet français de centre de stockage profond réversible conçu pour stocker les déchets les plus radioactifs et à durée de vie longue produits par le parc nucléaire (…). Depuis 2011, le projet est entré en phase de conception industrielle... » En réalité, le site d’enfouissement qui doit voir le jour près du village de Bure, dans la Meuse, n’en est qu’aux « esquisses », la proposition de visite concerne donc le laboratoire de recherche qui accompagne le projet. « Creusé en 2000, il constitue un atout scientifique exceptionnel pour l’Andra : situé à 500 mètres de profondeur, il permet l’observation des argiles du CallovoOxfordien âgées de 160 millions d’années… »
Bure et son « contexte compliqué »
500 mètres sous terre… Le voyage est tentant. Les interrogations abyssales. Depuis le lancement du nucléaire civil dans les années 1970, la question des déchets est un serpent de mer. Mais La Revue Dessinée vient tout juste de lancer une enquête sur l’EPR de Flamanville et nous décidons de lever le pied sur le nucléaire pour un temps. Le mail est archivé. Près de deux ans plus tard, au détour d’une discussion, l’idée resurgit. Le courrier aussi. « Votre invitation, qui à l’époque ne trouvait malheureusement pas de place dans notre agenda, peut désormais nous intéresser. Est-elle toujours d’actualité ? » L’Andra propose une rencontre préalable à Paris mais refuse qu’elle soit enregistrée. En substance, ses chargées de communication indiquent que le laboratoire reçoit des milliers de visiteurs par an, qu’elles n’ont rien à cacher, qu’elles sont ouvertes à tous les points de vue mais
que, « dans un contexte compliqué », il est de leur devoir de protéger les salariés. Cette dernière phrase est énigmatique. Ce « contexte compliqué » est détaillé dans un article de Libération : on y apprend qu’« au matin du 21 juin 2017 une poignée de personnes, visages masqués, a pénétré dans le hall d’un hôtel-restaurant, dont l’activité dépend du laboratoire du projet d’enfouissement. À l’étage, une dizaine d’occupants sont réveillés par le bruit. La réception est saccagée, une bouteille contenant des hydrocarbures est jetée au sol et s’enflamme. Un employé éteint rapidement le départ de feu ». L’attaque éclipse tous les autres aspects d’une mobilisation locale qui dure depuis vingtcinq ans, et une répression brutale s’abat alors sur l’ensemble des opposants. Des techniques spéciales d’enquête prévues par les lois antiterroristes sont mises en œuvre. Sept personnes, puis neuf, puis dix sont poursuivies pour association de malfaiteurs, un dossier d’instruction épais de 10 000 pages est constitué, des dizaines
de téléphones sont placés sur écoute, 2 000 communications sont passées au crible, les procès s’enchaînent et des peines de prison sont prononcées. Voilà pour le « contexte compliqué » pudiquement évoqué.
digne d’un récit de science-fiction
Pour ouvrir les portes de son laboratoire à notre dessinatrice, l’Andra veut connaître l’approche journalistique et les auteurs de la future bande dessinée. Nous avons notre petite idée. Dans le livre Bure, la bataille du nucléaire (Éd. Le Seuil), deux journalistes racontent la manière dont ce projet digne d’un récit de science-fiction a été imposé
à un territoire moribond et à sa population. Ils ont passé plus de deux ans sur place « pour mieux comprendre et vivre ce qui s’y trame ». Une balise GPS a été placée sous la voiture de l’un, l’autre a été poursuivi en justice avant d’être relaxé. Tous deux se définissent comme opposants au projet Cigéo et assument un « travail engagé ». Leurs informations n’en sont pas moins fiables et vérifiées, leur récit étayé. Mais l’Andra ne marche pas. Les demandes d’entretiens resteront lettre morte, les portes du laboratoire fermées. Qu’importe puisque l’histoire qui se joue à la surface est celle que nous avons envie de raconter.
Hôtel de févrierMatignon, 1999.
La gauche est au pouvoir et les écologistes sont entrés au gouvernement. Une délégation d’élus de Lorraine et de Champagne-Ardenne vient rencontrer la conseillère environnement du Premier ministre, Lionel Jospin.
Messieurs
!
Parmi eux, Claude Kaiser, membre de l’Eodra, l’association des Élus opposés à l’enfouissement des déchets radioactifs.
... pour enfouir les pires radioactifs.déchets
... Ce projet est un scandale écologique.
Je vous en Entrez.prie,
Votre gouvernement ne doit pas autoriser la construction de ce laboratoire à Bure.
Je vous écoute.
C’est un cheval de Troie...
Ces déchets menacent de contaminer les nappes phréatiques, les sols, l’air...
seraitL’enfouissement irréversible ! Qui peut croire que ce projet est techniquementfaisable ?
Vous jouez aux apprentis-sorciers.
D’autres options sont sur la table...
Je vous arrête : je connais vos arguments par cœur...
D’ailleurs, je suis moi-même opposée àenl’enfouissement desprofondeur déchets et favorable à l’entreposage en surface.
... et je les comprends...
... et je vais vous faire uneconfidence : le Premier ministre est bien au fait de tout cela.
Alors on a gagné ? Le projet est abandonné ?
Mais si vous n’y pouvez rien, alorsqu’onqu’est-ce fairepeut ?
Ah... l y a peut-être quelque chose que vous pouvez tenter...
Mettez-nous 10 000 personnes dans la rue et on commencerpourra à discuter...
Ah, non, messieurs ! Ça serait trop facile ! Ce projet est vital pour nucléaire.l’industrie
Rien. Je vous raccompagne ?
Mais on ne peut pas mobiliser autant de monde en Meuse !
OUI ?!
C’est bien pour ça que ce département a été choisi, bonne journée, messieurs*.
* Cette scène est racontée d’après les souvenirs de Claude Kaiser. Vingt ans plus tard, Bettina Laville nuance : « Je ne me souviens plus précisément, mais je n’aurais jamais dit les choses aussi franchement. »
mi-temps
Water-polo. Quels sont les ingrédients d’une chronique sport réussie ? Prenez un dessinateur sportif accompli, coiffez-le d’un bonnet de bain et plongez-le dans l’eau froide pour tester un des cinq sports les plus difficiles au monde. Agrémentez le tout d’une bonne dose d’autodérision. Laissez mariner.
BENJAMIN ADAM
ENTRE DEUX PORTEs
Campés devant le ministère de l’Économie et des Finances, en plein mouvement social contre la réforme des retraites, des grévistes se livrent à un étrange lancer de chaussons. Ils dénoncent ainsi le pantouflage, ces allers-retours entre haute fonction publique et secteur privé. Axa, Amundi, BlackRock : redécoré par les manifestants, le bâtiment arbore, le temps d’une journée, les logos des géants de l’épargne retraite soupçonnés d’avoir mis leur grain de sel dans le projet de loi contesté. Bercy est même rebaptisé « ministère des Lobbies et de la Finance ». Économie, environnement, santé… dès que la puissance publique doit trancher, ces professionnels de l’influence se démènent pour piper les dés.
AURORE GORIUS
VINCENT SOREL
ÇA SENT LE SAPIN
Elle est synonyme de balade bucolique et de bol d’air. Du moins tant que le bruit d’une abatteuse ne vient pas couvrir le chant des oiseaux. Car la symbiose et la contemplation ne sont pas les seuls liens qui unissent les humains et la forêt. Couper, planter, abattre, exporter ou brûler du bois pour produire de l’électricité, et puis recommencer. Le tout à un rythme effréné.
En 1971, un ministre de l’Agriculture appelait à gérer la forêt comme « un champ de tomates ou de petits pois ». Un demi-siècle plus tard, son vœu est exaucé : les arbres sont devenus des récoltes que l’on moissonne. Même cachés sous la canopée, les forestiers n’échappent pas aux lois du marché.
DÉBORAH JACQUOT FLORENT GROUAZEL
la c’estsémantique, élastique
Euphémisme. Que faire quand la réalité gêne, qu’elle est trop crue ou douloureuse ? Appeler à la rescousse ces figures de style qui transforment les morts en disparus et épargnent les moches en saluant les « physiques de radio ».
JAMES
icinori
● couverture
Auteurs et dessinateurs, passionnés d’estampes, d’imagerie populaire et de dessin contemporain, ils travaillent pour la presse et l’édition.
icinori.com
Aurore Petit
● Au pied de la lettre - p. 6
Diplômée des Arts déco de Strasbourg, elle a publié une vingtaine de livres illustrés, chez Les Fourmis rouges et Actes Sud Junior.
aurorepetit.com
Vincent Coquaz
▼ notation - p. 8
Journaliste à Libération (rubrique CheckNews). Il a aussi travaillé pour Arrêt sur images et participe au podcast Critique Média 2000. Il anime des ateliers d’éducation aux médias dans les collèges et lycées, à Creil.
IsmaËl halissat
▼ notation - p. 8
Journaliste au pôle enquêtes de Libération Il a notamment travaillé sur plusieurs affaires de violences policières, les coulisses de la campagne d’Emmanuel Macron ou encore les activités de Lafarge en Syrie. Il suit aujourd’hui l’actualité police/justice.
Jean-christophe mazurie
▼ notation - p. 8, Abonnement et ex-libris
Commence à écrire et dessiner des histoires pour la jeunesse tardivement et des bandes dessinées encore plus tardivement. Dernier livre ? Torrents d’amour chez Delcourt. jeanchristophemazurie
cécily de Villepoix
◆ découvertes - p. 44
S’intéresse aux sciences, occultes ou pas. De l’archéologie à l’ésotérisme en passant par la médecine. Elle a été scénographe, plasticienne et patronne de bar avant d’arriver à la bande dessinée. cecilydevil.wixsite.com/site
Marine Dumeurger
▼ interpol - p. 52
Pigiste pour la presse écrite, après avoir vécu à Moscou, elle s’intéresse en particulier à l’espace post-soviétique, de Vladivostok à Mourmansk, en passant par Tbilissi.
jean-paul krassinsky
▼ interpol - p. 52
Il aime explorer continuellement de nouvelles voies créatives, passer du coq à l’âne, travailler seul, en binôme ou en équipe, pour les jeunes et les moins jeunes. Il a publié une quinzaine d’albums chez différents éditeurs. Il vit et travaille à Paris, face à la plus belle gare du monde.
Camille Drouet
◆ photo - p. 80
Ch’timi à l’allure andalouse, abonnée au LilleParis, traductrice devenue journaliste, elle a usé les claviers de Courrier international
Elle aime décortiquer tous les clichés. @CamilleDrouet1
Élisa Géhin
◆ photo - p. 80
Originaire des « très Hautes-Vosges », passée par l’école Estienne et les Arts déco de Strasbourg, elle vit à Paris et travaille pour l’édition et la presse jeunesse. elisagehin.fr
GASPARD D’ALLENS
▼ nucléaire - p. 82
Journaliste pour le site Reporterre, il est l’auteur de plusieurs livres traitant d’écologie, parmi lesquels Bure, la bataille du nucléaire et Les Nouveaux Paysans. Le dernier en date, Main basse sur nos forêts est sorti en 2019 aux éditions du Seuil.
Pierre Bonneau
▼ nucléaire - p. 82
Journaliste indépendant. Il travaille sur les mouvements sociaux et la criminalisation des luttes. Il contribue notamment à Reporterre, Bastamag ou l’Humanité. Il a cosigné Bure, la bataille du nucléaire publié aux éditions du Seuil.
cécile guillard
▼ nucléaire - p. 82
Marseillaise formée à Estienne et aux Gobelins, elle rêve de concilier ses passions pour le dessin et les grands espaces. Elle a publié Une vie de moche chez Marabulles. cecileguillard.tumblr.com
Vincent Sorel
▼ Lobbies - p. 134
Auteur de bandes dessinées, pour la presse et l’édition jeunesse. Il a publié Chevaliers, moines et paysans, avec Florian Mazel, dans la collection L’Histoire dessinée de la France (éd. La Découverte/La Revue Dessinée).
vincentsouel
Benjamin Adam
◆ sport - p. 128
Navigue entre illustration, bande dessinée et projets avec Radar et Oasis 4000. Initié au reportage avec Les Désobéisseurs chez Vide Cocagne, il vient de publier Soon avec Thomas Cadène chez Dargaud. cargocollective.com/benjamin-adam
Aurore Gorius
▼ Lobbies - p. 134
Journaliste pour le site Les Jours avec une prédilection pour la politique et l’économie, mais aussi les médias et la culture. Elle aime réaliser des enquêtes et quand elles sont dessinées, c’est encore mieux.
@AuroreGorius
Jérémy Capanna
◆ cinéma - p. 174
Il dessine et écrit des histoires. Il a prêté son trait au sujet Comme neige au soleil dans le numéro #26 de La Revue Dessinée.
jeremycapanna
déborah jacquot
▼ forêt - p. 180
Journaliste en rédaction Web, Déborah vit à Paris et enseigne en école de journalisme à Lille. Ses sujets de prédilection concernent l’environnement et les handicaps. @DebbieJacquot
Florent Grouazel
▼ forêt - p. 180
Né en 1987 à Lorient, où il est retourné vivre après avoir parcouru le vaste monde. Il est le coauteur, avec son double, Younn Locard, de Révolution (éd. Actes Sud-L’An 2). cargocollective.com/florentgrouazel
james
◆ langage - p. 214
Âge : trop. Poids : secret. Yeux : presbytie. Cheveux : de plus en plus épars.
Arrivé sur le tard à la bande dessinée, il publie beaucoup depuis pour compenser. james_van_ottoprod