La Revue Dessinée #27

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L’information en bande dessinée

printemps 2020

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FORÊT

ça sent le sapin BURE

village atomique NOTATION

un avis à tout prix

LOBBIES

chers amis du pouvoir



ÉDITORIAL

S

cier la branche sur laquelle on est assis. Enfouir des déchets radioactifs sous les territoires où l’on vit. Dans des forêts devenues plantations et dans des sols choisis pour renfermer des milliers de colis contaminés, de vertigineuses opérations de destruction sont à l’œuvre, soigneusement préparées et méticuleusement planifiées. Loin du bouillonnement des villes, de vastes étendues sont sacrifiées. Déchets à vie longue. Haute radioactivité. Tandis que l’on détraque le climat, les adeptes de l’atome tentent une nouvelle fois de faire passer le nucléaire pour une énergie propre. Ce qui pourrait leur donner tort sera enfoui, en Meuse, pour l’éternité. À la surface règne l’immédiateté. Monoculture. Coupes à blanc. En moins de temps qu’il en faut à un arbre pour pousser, les forêts françaises partent à la découpe. Mais qui tient la scie ? Nous ne portons pas à parts égales la responsabilité des ravages commis. Certains sont passés maîtres dans l’art de précipiter le désastre et d’en tirer parti : industriels de l’énergie, du bois, acteurs de la finance, hommes et femmes politiques se laissant dicter leurs décisions par le doux chant des lobbies au mépris de la santé, du climat, de la vie. Ces richesses-là sont impossibles à mesurer, à quantifier. Elles résistent aux notes sur cinq étoiles qui ont envahi nos vies, à la tyrannie de l’évaluation qui fait que chaque moment appelle son questionnaire de satisfaction. Des notes, des formulaires, des fiches pour trier, classer, juger... Et si l’on déployait nos énergies autrement ? En prenant soin des forêts vivantes, en bataillant pour obtenir justice ou en tournant en dérision les injonctions à la compétition cachées derrière des farandoles d’étoiles dorées.


SOMMAIRE

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AU PIED DE LA LETTRE

SOUS LA BONNE ÉTOILE

Vos messages, nos réponses.

Pour les notes, l’heure de l’évaluation a sonné.

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INCONSCIENCES

PERSONA NON GRATA

De minuscules billes de sucre au cœur d’un immense débat. L’histoire de l’homéopathie.

Comment les régimes autoritaires usent et abusent des fichiers d’Interpol.

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INSTANTANÉ

TAIS-TOI ET CREUSE

Zoom sur Rose Zehner, une icône des luttes ouvrières qui aurait pu rester dans l’ombre.

La France prépare la Meuse à devenir une immense poubelle nucléaire.


LA REVUE DESSINEE  27

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MI-TEMPS

ENTRE DEUX PORTES

Le plus sportif de nos dessinateurs se jette à l’eau pour tester le water-polo.

Pourquoi les lobbies sont-ils si puissants ? Enquête dans les couloirs du pouvoir.

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LA REVUE DES CINÉS

ÇA SENT LE SAPIN

Trois taulards nous invitent à l’évasion dans Down by Law de Jim Jarmusch.

Sur les traces du douglas, l’arbre qui cache une forêt en péril.

21 LA SÉMANTIQUE, C’EST ÉLASTIQUE N’ayons pas peur des mots, décortiquons l’euphémisme !

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C’EST NOTRE RAYON Au rayon bandes dessinées, trois ouvrages interrogent les décisions des dirigeants.

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AU PIED DE LA LETTRE

Le juste prix

Bonjour, je n’ai pas renouvelé mon abonnement à La Revue Dessinée, car, si l’actualité est traitée de façon originale, le prix est beaucoup trop élevé ! C’est au moins 50 % trop cher et je suis persuadé que si votre revue était vendue à un prix plus raisonnable vous vous y retrouveriez sur la quantité en touchant plus de personnes ! Yves Cher Yves, si nous divisons par deux le prix de notre revue, c’est simple : elle n’existe plus. Sur les 16 € que coûte un exemplaire : 7,80 € rémunèrent les diffuseur, distributeur et libraires, 1,66 € paye le papier, l’imprimeur, la Poste et le routage, 1,04 € va aux auteurs, 1,28 € à la TVA et 3,22 € sont consacrés aux coûts fixes : salaires de l’équipe (rédaction, correcteurs,

graphiste, directrice artistique, service abonnements et administratif), loyer et impôts. Une fois ces dépenses soustraites, il ne reste pour chaque revue vendue en librairie que… quelques centimes de bénéfices. Bénéfices qui, depuis notre création, sont réinvestis intégralement pour embaucher et lancer de nouveaux projets (Topo, L’Histoire dessinée…).

du coté obscur de l’actu Chère revue, puis-je vous suggérer quelque chose ? Nous avons peu de raisons de croire en l’avenir : pour le climat, c’est cuit, des multinationales imposent leur politique et des dictatures s’installent. Je sais qu’une pessimiste est une optimiste bien informée. Il importe d’être lucide mais ne pourriez-vous pas proposer, de temps en temps, des reportages ou des actions sur des groupes de personnes qui réussissent à aller dans le bon sens ? Des initiatives qui dévient le courant ? Christine Chère Christine, difficile de dénicher des sujets positifs qui ne soient pas anecdotiques. Nous devons bien l’avouer, nous sommes surtout animés par l’envie d’interroger ce qui va de travers pour faire bouger les lignes. Cela dit, l’idée d’accorder plus d’attention à celles et ceux qui prennent des chemins de traverse nous parle. Au moment de conclure l’enquête de ce numéro consacrée à la forêt, nous vous avons donc prise au mot : quand l’horizon semble trop sombre, on peut toujours tracer des lignes de fuite.

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Tous dans le même sac Bonjour, l’article sur les contrats à impact social du numéro #26 laisse entendre que l’économie sociale et solidaire (ESS) est financée par des subventions publiques. C’est peut-être vrai pour les associations mais pas pour les mutuelles ou les coopératives qui montrent que, même dans le marché, des alternatives aux sociétés de capitaux sont possibles et peuvent produire des richesses et les répartir ! Bravo pour le reste, votre revue est une mine de découvertes et de réflexions. Damien Loin de nous l’envie de mettre les mutuelles et les coopératives dans le même sac que les associations. Le secteur associatif est au cœur de l’enquête, car il subit particulièrement les baisses de subventions et devient donc la cible des produits financiers que nous décrivons. Dans l’ESS, d’autres modes de financement existent, avec leurs avantages et leurs limites, mais il aurait fallu deux fois plus de pages pour nous y aventurer !

montrer les dents Dans la rubrique « Dans la place » du numéro #25, je vous trouve bien complaisants envers le procureur de Paris Rémy Heitz. Vous sous-entendez que sa nomination n’a pas échappé à la mainmise de l’exécutif, donc d’Emmanuel Macron, mais sans donner de profondeur à vos propos… Un peu comme si vous manquiez d’éléments pour adopter une position critique dans un sens ou dans l’autre. Mi-chèvre, mi-chou... Vous employez les mots « fantasme » et « soupçon ». La Revue Dessinée nous a habitués à des enquêtes et des présentations plus critiques. Patrice

DESSINS : AURORE PETIT

Cher Patrice, bien sûr, nous aurions pu être plus mordants et rappeler, en citant l’article « Bien proc sur lui » paru chez nos confrères du Canard enchaîné, qu’à l’hiver 2018 Rémy Heitz a fait placer plus de 3 000 Gilets jaunes en garde à vue. Bien sûr, nous aurions pu ajouter que le procureur de la République de Paris aurait envoyé une consigne écrite à quelque 125 magistrats pour les inciter à faire traîner ces mêmes gardes à vue afin d’éviter que « les intéressés grossissent les rangs des fauteurs de troubles ». Mais le format court de cette chronique, plutôt conçue pour dresser le portrait d’un lieu, ne nous permet pas toujours de sortir nos propres révélations. C’est pourquoi, quand il s’agit de collusion, nous nous contentons de parler de soupçons.

Dans la cage au fauve Au moment où nous écrivons ces lignes, le livre Algues vertes, l’histoire interdite, d’Inès Léraud et de Pierre Van Hove, publié en coédition avec Delcourt, est en lice dans la sélection du Festival d’Angoulême. Que ce travail, né dans nos pages, décroche un Fauve d’or ou non, pour l’enquête en bande dessinée, c’est déjà une consécration !

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NOTATION

sous la bonne étoile


« Covoitureur quatre étoiles, je recommande ! » « Restaurant médiocre, fuyez ! » De la qualité d’un appel téléphonique à la propreté des toilettes de stationsservice, impossible d’y échapper. Pour un oui, pour un non, trois étoiles par-ci, cinq par-là... Les notes sont partout : sur les biens et les services, mais également sur les personnes. Dans tous les domaines, tous les métiers — de la menuiserie à la garde d’enfants —, des millions d’avis fleurissent. Ils se veulent gage d’objectivité et de transparence, or l’évaluation permanente est surtout une économie florissante. Et si cette nouvelle guerre des étoiles nous avait déjà fait basculer du côté obscur de la technologie ? VINCENT COQUAZ ET ISMAËL HALISSAT  JEAN-CHRISTOPHE MAZURIE

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SOURCE «THE WALL STREET JOURNAL».

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Il faudra donc trouver cette mystérieuse batterie directement sur le site d’Amazon. Pour aider, Maeva fournit des mots clés et une capture d’écran.

Une fois le produit déniché…

... il suffit de le commander sur Internet.

Moins de 48 heures plus tard, le produit arrive. Il faut alors attendre quelques jours.

Puis publier un commentaire détaillé avec photos du produit. Et laisser la note maximale : 5 étoiles.

Une fois le message validé par Amazon, il faut envoyer une capture d’écran du commentaire à Maeva.

Quelques heures plus tard :

Au bout de quelques semaines, des centaines de commentaires dithyrambiques ont miraculeusement fleuri sur la page ! 23


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SOURCE : « THE NEW YORK TIMES ».


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SOURCE : JOURNAL CHINOIS « CAIXIN ». (2015)


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EN SAVOIR

il était une fois la note Pourquoi les moyennes scolaires sont-elles sur vingt ? Depuis quand note-t-on ? Et si les notes disparaissaient de l’école comme elles y sont apparues il y a cinq siècles ? Au commencement de la notation était la religion.

TRAVAILLEZ, VOUS ÊTES NOTÉS !

Vers 1540, l’Église catholique a une obsession : bâtir une nouvelle élite intellectuelle, « des soldats de Dieu », pour contrer la Réforme protestante. Ignace de Loyola fonde alors la Compagnie de Jésus. L’objectif des collèges qui essaiment en Europe, c’est « l’émergence d’une jeunesse instruite et disciplinée […]. Il s’agit de privilégier les plus méritants et d’éliminer les autres », raconte Olivier Maulini, professeur à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève. Chez ces jésuites, où règne une discipline semblable à celle de l’armée, la compétition permanente entre les élèves sert à faire le tri. Des points sont attribués ou retranchés en fonction des prestations aux devoirs et de l’attitude générale. Les notes sont nées. « Ces méthodes vont être “récupérées” par l’Éducation nationale française », détaille Olivier Maulini. C’est ainsi qu’au XVIIIe siècle, un système de notation par lettres (A, B, C ou D) voit le jour. À l’examen oral qui fait office de baccalauréat, les examinateurs lui préfèrent des boules rouges, blanches et noires.

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LE TEMPS DU VINGT

Il faut attendre le XIXe siècle et le concours d’entrée à Polytechnique pour que naisse le barème sur 20. Pourquoi des chiffres ? Pour pouvoir calculer une moyenne entre plusieurs notes différentes et ainsi comparer et sélectionner les candidats, devenus trop nombreux pour être jugés par un seul examinateur. Ce barème va ensuite se diffuser. En 1890, le baccalauréat adopte la note sur 20, très vite imité par tout le système scolaire, du primaire au secondaire. Au XXe siècle apparaît la moyenne générale, qui agrège les notes en sport comme en maths. Ce changement révèle la véritable nature de la notation aux yeux de l’historien Claude Lelièvre : « La moyenne prouve que la note ne se préoccupe pas des savoirs mais ne sert qu’à classer. On apprend tout petit qu’on ne peut pas additionner des torchons et des serviettes. Quand on calcule une moyenne générale, c’est exactement ce qu’on fait ! »

DESSINS : RICA

PAS TRÈS CATHOLIQUE

Durant le XXe siècle, la note va se propager au monde du travail. Dans beaucoup d’entreprises, les supérieurs vont attribuer une note et une appréciation à leurs subordonnés à l’issue d’un entretien annuel. Pour la Fonction publique, l’article 38 de la loi de 1946 sur le statut des fonctionnaires prévoit « qu’il est attribué chaque année, à tout fonctionnaire en activité ou en service détaché, une note chiffrée, suivie d’une appréciation générale ».


© JEAN VIGNE / KHARBINE-TAPABOR

MAUVAISE ÉLÈVE

Mais à la fin des années 1990, la notation perd des points. D’abord à l’école primaire, où la note sur 20 est abandonnée au profit d’une évaluation par compétences (« acquis, presque acquis et non acquis ») qui permet de mesurer la progression d’un élève sans recourir au classement. Dans le monde professionnel aussi, les entretiens annuels deviennent plus qualitatifs. En 2010, le gouvernement français annonce la fin de la notation des fonctionnaires.

LA NOTE EST MORTE, VIVE LA NOTE !

C’est pourtant à la même époque qu’un nouveau type de notes se développe. Celles qui ne sont plus attribuées par un chef ou un instituteur, de façon verticale, mais par tout le monde, de façon horizontale et croisée. Celles qui valorisent n’importe quel produit, service ou personne. Celles qui nous transforment tour à tour en noteurs et notés.

À l’école, la note est de plus en plus souvent remplacée par des « évaluations bienveillantes ».

making-of « Quelques semaines après le début de l’enquête que nous menons ensemble, j’appelle Ismaël pour lui raconter ce que je viens de vivre par hasard. Un ticket de caisse d’un magasin Levi’s m’invitait “à noter mon expérience” d’achat en échange d’une réduction. Le questionnaire en ligne me proposait en fait de noter les vendeurs sur 10. Je raccroche. WhatsApp, dans la seconde, me demande “d’évaluer la qualité de mon appel” avec 5 petites étoiles. Notre intuition était la bonne : la note était déjà partout et il restait à comprendre pourquoi et comment. » Vincent Coquaz

À LIRE La Zone du dehors, d’Alain Damasio. Dans ce roman, l’auteur imaginait déjà une société où la place de chacun est déterminée par une note. Éd. Cylibris (1999).

À LIRE La Nouvelle Guerre des étoiles, de Vincent Coquaz et Ismaël Halissat. Enquête au long cours sur notre société de la notation. Éd. Kero (2020).

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DÉCOUVERTES

inconsciences Homéopathie. Vulgaires billes de sucre ou remède miracle ? Médicament ? Placebo ? Depuis des siècles, des médecins recourent à d’infimes extraits de substances diverses pour soigner quand d’autres hurlent au charlatanisme. Retour sur l’histoire de ces minuscules granules au cœur d’un immense débat. CÉCILY DE VILLEPOIX

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SOURCE « SCIENCES ET VIE », N°995.


DÉCOUVERTES

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Interpol

Persona non grata


Un ancien président qui disparaît, de sulfureux financeurs avec qui il a fallu couper les ponts. Ces dernières années, la très opaque Organisation internationale de police criminelle a vu sa réputation écornée par des scandales à répétition. Pour les journalistes, Interpol reste un bunker. Pour les polices du monde entier, elle est une mine d’informations, une base de données qui contient des millions d’enregistrements, d’empreintes digitales, de profils génétiques… Des données souvent consignées sur des notices colorées. Quand Interpol voit rouge, elle peut déclencher une traque mondiale et devenir une arme politique dans les mains de régimes peu soucieux de démocratie. MARINE DUMEURGER

JEAN-PAUL KRASSINSKY

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EN SAVOIR

La tirelire d’interpol La police internationale court après l’argent. Ses financements publics sont bien en deçà de ce que ses missions exigent. Et quand la générosité du privé prend le relais, celle-ci soulève des doutes sur l’indépendance de l’institution.

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En 2018, son budget s’élevait à

MILLIONS D’EUROS

EN TOUTE DISCRÉTION La plupart des fonds privés n’apparaissent pas dans le budget car ils passent par la fondation Interpol pour un monde plus sûr.

C’est peu. En comparaison, le budget global de la police nationale française est d’environ 11 milliards d’euros par an.

DES FINANCEMENTS PUBLICS LIMITÉS Interpol tire ses revenus des contributions obligatoires de ses 194 États membres : États-Unis, Japon et Allemagne en tête. Mais aussi des participations volontaires d’organismes comme l’Union européenne.

À LA RESCOUSSE Entre 2010 et 2015, la contribution des partenaires privés a augmenté de

750 %

TÊTE DE PELOTON Les Émirats arabes unis se sont engagés à verser 50 millions d’euros sur cinq ans à ladite fondation.

LES DONATEURS SE BOUSCULENT

États membres

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Financement volontaire

MÉLANGE DES GENRES Le comité d’honneur de la fondation est présidé par le prince Albert de Monaco. L’industriel Olivier Dassault y siège également. Carlos Ghosn, lui, a été invité à démissionner.

DESSINS : DORIANE TCHEKHOVITCH

En 2019, la plate-forme chinoise Alibaba ou le Comité international olympique ont financé Interpol. Leur intérêt ? La lutte contre la contrefaçon pour l’un et contre le dopage pour l’autre.


© ALAIN MINGAM/GAMMA-RAPHO

SINGAPOUR S’ACHÈTE INTERPOL Le complexe mondial Interpol pour l’innovation, qui devait à l’origine être basé à Lyon, a été inauguré en 2015 à Singapour. Le micro-État a versé 250 millions d’euros pour sa conception.

Les fichiers d’Interpol ont longtemps été sur papier, comme ici à Saint-Cloud (92), en 1981.

DES DÉPENSES CIBLÉES En 2018, la quasi-totalité du budget d’Interpol se répartissait entre cinq branches : 16 M € Gouvernance et surveillance

19 M € Cybercriminalité

20 M € Antiterrorisme

making-of « En 2011, je rencontre pour la première fois les anarchistes du groupe russe Voïna (ou guerre en russe) à Saint-Pétersbourg. Depuis quelques années, ils multiplient les performances provocatrices contre les autorités. Ils squattent des appartements, changent souvent d’adresse, et clament être recherchés par Interpol. Je ne crois pas que c’était réellement le cas. Mais l’information a été reprise et j’ai commencé à me poser des questions. Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier, être fiché par Interpol ? » Marine Dumeurger

22 M € Soutien institutionnel

À lire SOURCES : INTERPOL, ASSEMBLÉE NATIONALE, ARTE.

53 M € Criminalité organisée

EUROPOL VERSUS INTERPOL En 1999, l’Union européenne crée sa propre agence, Europol, pour faciliter les échanges entre les polices nationales en matière de lutte contre le terrorisme, le trafic de drogues, la fraude organisée ou la contrefaçon. Elle est une réponse aux difficultés de coopération au sein d’Interpol.

Interpol, policiers sans frontière, de Laurent Greilsamer. L’histoire passionnante de l’institution depuis sa fondation jusqu’aux années 1990. Éd. Fayard (1997).

À voir Interpol, une police sous influence ?, de Mathieu Martinière, Robert Schmidt et Samuel Lajus. Cette enquête révèle les liens avec Sanofi, la Fifa… Arte. 1 h 30 min (2018).

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Lutte populaire. Paris, mars 1938. Le jeune photographe Willy Ronis couvre les grèves déclenchées par la remise en cause des acquis du Front populaire. Dans l’usine Citroën du quai de Javel, il immortalise une ouvrière qui harangue ses camarades. Trop sombre, son image tombe dans l’oubli avant de resurgir quarante ans plus tard et de devenir le symbole du combat ouvrier. CAMILLE DROUET  ÉLISA GÉHIN

© MINISTÈRE DE LA CULTURE - MÉDIATHÈQUE DE L’ARCHITECTURE ET DU PATRIMOINE, DIST. RMN-GRAND PALAIS / WILLY RONIS

instantané

Willy Ronis, 27 ans, est envoyé en reportage par l’hebdomadaire « Regards », proche, comme lui, du Parti communiste. En tout, il prend 46 clichés, dont cette image d’une syndicaliste en colère.

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De son doigt, Rose Zehner, 36 ans, désigne « les salauds » qu’elle vient de rencontrer au ministère. Bouche ouverte, bras tendu : son attitude contraste avec son auditoire de femmes silencieuses et attentives. Perchée sur des caisses comme une statue sur son piédestal, sa silhouette vêtue de noir se détache du mur clair de l’atelier. Le cadrage la place au centre d’une croix qui divise l’image en quatre quarts de même taille. Sous la ligne horizontale, les ouvrières. Au-dessus, la froideur de l’usine. pour livrer à temps son reportage à la rédaction du magazine, Willy Ronis choisit les images les plus faciles à tirer. sous-exposée, Celle-ci ne fait pas partie des sélectionnées et tombe dans l’oubli. À l’occasion de la parution du livre rétrospectif Sur le fil du hasard en 1980, Ronis retombe sur l’archive, qui va faire le tour de la presse. Rose Zehner, retraitée dans l’Orne, est reconnue par une cousine dans les pages de L’Humanité . Elle écrit au journal une lettre à transmettre au photographe. « Monsieur, savez-vous que la personne sur la photo vit encore ? Je le sais, puisque c’est moi-même ! » Le photographe et la syndicaliste échangent lettres et coups de fil jusqu’à leur rencontre en 1982 dans l’ancien bistrot que « Rosette » a tenu après son licenciement de chez Citroën.

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tais-toi ET


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CREUSE GASPARD D’ALLENS ET PIERRE BONNEAU

CÉCILE GUILLARD


L

histoire commence par un tintement dans la boîte mail de la rédaction, en novembre 2017. L’objet est explicite « Visite du laboratoire souterrain de l’Andra – gestion des déchets radioactifs ». L’expéditeur est une agence de communication au service de l’Andra, l’Agence nationale de la gestion des déchets radioactifs. Le projet décrit donne le tournis. « Cigéo (Centre industriel de stockage géologique) est le projet français de centre de stockage profond réversible conçu pour stocker les déchets les plus radioactifs et à durée de vie longue produits par le parc nucléaire (…). Depuis 2011, le projet est entré en phase de conception industrielle... » En réalité, le site d’enfouissement qui doit voir le jour près du village de Bure, dans la Meuse, n’en est qu’aux « esquisses », la proposition de visite concerne donc le laboratoire de recherche qui accompagne le projet. « Creusé en 2000, il constitue un atout scientifique exceptionnel pour l’Andra : situé à 500 mètres de profondeur, il permet l’observation des argiles du CallovoOxfordien âgées de 160 millions d’années… »

Bure et son « contexte compliqué » 500 mètres sous terre… Le voyage est tentant. Les interrogations abyssales. Depuis le lancement du nucléaire civil dans les années 1970, la question des déchets est un serpent de mer. Mais La Revue Dessinée vient tout juste de lancer une enquête sur l’EPR de Flamanville et nous décidons de lever le pied sur le nucléaire pour un temps. Le mail est archivé. Près de deux ans plus tard, au détour d’une discussion, l’idée resurgit. Le courrier aussi. « Votre invitation, qui à l’époque ne trouvait malheureusement pas de place dans notre agenda, peut désormais nous intéresser. Est-elle toujours d’actualité ? » L’Andra propose une rencontre préalable à Paris mais refuse qu’elle soit enregistrée. En substance, ses chargées de communication indiquent que le laboratoire reçoit des milliers de visiteurs par an, qu’elles n’ont rien à cacher, qu’elles sont ouvertes à tous les points de vue mais

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que, « dans un contexte compliqué », il est de leur devoir de protéger les salariés. Cette dernière phrase est énigmatique. Ce « contexte compliqué » est détaillé dans un article de Libération : on y apprend qu’« au matin du 21 juin 2017 une poignée de personnes, visages masqués, a pénétré dans le hall d’un hôtel-restaurant, dont l’activité dépend du laboratoire du projet d’enfouissement. À l’étage, une dizaine d’occupants sont réveillés par le bruit. La réception est saccagée, une bouteille contenant des hydrocarbures est jetée au sol et s’enflamme. Un employé éteint rapidement le départ de feu ». L’attaque éclipse tous les autres aspects d’une mobilisation locale qui dure depuis vingtcinq ans, et une répression brutale s’abat alors sur l’ensemble des opposants. Des techniques spéciales d’enquête prévues par les lois antiterroristes sont mises en œuvre. Sept personnes, puis neuf, puis dix sont poursuivies pour association de malfaiteurs, un dossier d’instruction épais de 10 000 pages est constitué, des dizaines


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de téléphones sont placés sur écoute, 2 000 communications sont passées au crible, les procès s’enchaînent et des peines de prison sont prononcées. Voilà pour le « contexte compliqué » pudiquement évoqué.

digne d’un récit de science-fiction Pour ouvrir les portes de son laboratoire à notre dessinatrice, l’Andra veut connaître l’approche journalistique et les auteurs de la future bande dessinée. Nous avons notre petite idée. Dans le livre Bure, la bataille du nucléaire (Éd. Le Seuil), deux journalistes racontent la manière dont ce projet digne d’un récit de science-fiction a été imposé

à un territoire moribond et à sa population. Ils ont passé plus de deux ans sur place « pour mieux comprendre et vivre ce qui s’y trame ». Une balise GPS a été placée sous la voiture de l’un, l’autre a été poursuivi en justice avant d’être relaxé. Tous deux se définissent comme opposants au projet Cigéo et assument un « travail engagé ». Leurs informations n’en sont pas moins fiables et vérifiées, leur récit étayé. Mais l’Andra ne marche pas. Les demandes d’entretiens resteront lettre morte, les portes du laboratoire fermées. Qu’importe puisque l’histoire qui se joue à la surface est celle que nous avons envie de raconter.

Hôtel de Matignon, février 1999.

La gauche est au pouvoir et les écologistes sont entrés au gouvernement. Une délégation d’élus de Lorraine et de Champagne-Ardenne vient rencontrer la conseillère environnement du Premier ministre, Lionel Jospin.

Messieurs !

Parmi eux, Claude Kaiser, membre de l’Eodra, l’association des Élus opposés à l’enfouissement des déchets radioactifs.

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Je vous en prie, Entrez.

Votre gouvernement ne doit pas autoriser la construction de ce laboratoire à Bure.

... pour enfouir les pires déchets radioactifs.

... Ce projet est un scandale écologique.

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Je vous écoute.

C’est un cheval de Troie...

Ces déchets menacent de contaminer les nappes phréatiques, les sols, l’air...

L’enfouissement serait irréversible ! Qui peut croire que ce projet est faisable techniquement ?


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Vous jouez aux apprentis-sorciers.

D’autres options sont sur la table...

... et je les comprends...

Je vous arrête : je connais vos arguments par cœur...

... et je vais vous faire une confidence : le Premier ministre est bien au fait de tout cela.

D’ailleurs, je suis moi-même opposée à l’enfouissement en profondeur des déchets et favorable à l’entreposage en surface.

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Alors on a gagné ? Le projet est abandonné ?

Mais si vous n’y pouvez rien, alors qu’est-ce qu’on peut faire ?

Ah... l y a peut-être quelque chose que vous pouvez tenter...

OUI ?!

Ah, non, messieurs ! Ça serait trop facile ! Ce projet est vital pour l’industrie nucléaire.

Rien. Je vous raccompagne ?

Mettez-nous 10 000 personnes dans la rue et on pourra commencer à discuter...

Mais on ne peut pas mobiliser autant de monde en Meuse !

C’est bien pour ça que ce département a été choisi, bonne journée, messieurs*.

* Cette scène est racontée d’après les souvenirs de Claude Kaiser. Vingt ans plus tard, Bettina Laville nuance : « Je ne me souviens plus précisément, mais je n’aurais jamais dit les choses aussi franchement.  » 88


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Bure, vingt ans plus tard.

Le laboratoire de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a finalement été construit. l ressemble à une citadelle sous vidéosurveillance.

On les a vus venir, se nourrir de notre misère.

Claude Kaiser, ancien élu.

Ce que l’on étudie ici, ce n’est pas le sous-sol, c’est nous, notre capacité à résister.

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Aux confins de la Lorraine, la Meuse est un symbole de l’hyper-ruralité.

C’est l’un des départements les moins peuplés de France. On compte à proximité de Bure 6 habitants au kilomètre carré.

Des champs de céréales à perte de vue, des vaches, quelques clochers.

Des cimetières militaires.

Le front de 1914-1918 était à 80 km, à Verdun.

Le territoire en garde toujours les stigmates.

C’est ici que la filière nucléaire a choisi d’implanter l’un des plus grands projets industriels d’Europe...

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Son ambition : enfouir à 500 mètres sous terre 85 000 m3 de «  déchets ultimes  »...

... Un projet au doux nom de Cigéo ( Centre industriel de stockage géologique).

... dans 270 kilomètres de galeries taillées dans la roche argileuse. L’équivalent ou presque du métro parisien.

La mise en service est prévue pour 2035. Mais le chantier complet durera cent trente ans.

La roche est censée contenir la radioactivité pendant plus de cent mille ans. Comme un sarcophage pour l’éternité.

Le coût est estimé entre 25 et 35 milliards d’euros*.

À la surface, le territoire semble déjà moribond.

Et quand il y aura leur machin là sous terre, est-ce que le laitier passera encore ?

Claudine Lafrogne, 77 ans, agricultrice à la retraite.

À l’entrée du village, le panneau indique sa sortie.

Comme si la commune avait déjà disparu.

* les chiffres transmis par l’Andra au ministère de l’Écologie en 2014 et le montant acté par le même ministère en 2016 présentent un écart de 10 milliards d’euros. 91


Cigéo est essentiel pour l’industrie atomique.

Sans lui, la filière devrait s’arrêter dans son ensemble, faute de gérer la fin du cycle des combustibles*.

Gérard Longuet, sénateur de la Meuse.

la filière nucléaire a bâti un appartement sans toilettes.

Les déchets s’accumulent. Elle a donc imaginé des solutions plus ou moins délirantes pour les traiter.

Les entreposer sur la lune.

Les brûler dans le soleil.

Les poster en satellite autour de la Terre.

Les ensevelir entre deux failles tectoniques sous-marines.

On trouvera bien un moyen. Les problèmes d’ingénieurs ne sont pas insolubles. Boris Pregel, physicien atomiste, sur l’ORTF en 1961.

* Propos tirés d’une lettre adressée au Premier ministre, juin 2017. 92


NUCLÉAIRE

En attendant, faute de solution, dès 1946 les déchets sont coulés dans la mer.

Greenpeace s’y oppose, le commandant Cousteau également.

En 1972, la convention de Londres interdit cette pratique pour les déchets hautement radioactifs.

L’industrie nucléaire se tourne alors vers les entrailles de la Terre.

93


À la fin des années 1980, elle prospecte à plusieurs endroits.

Partout, la population se rebelle contre les projets de «  poubelle nucléaire ». Le mot d’ordre : « On ne négocie pas, nos territoires ne sont pas à vendre. »

En décembre 1989, à Neuvy-Bouin (Deux- Sèvres), où un centre d’enfouissement a été annoncé, des dizaines de tracteurs, aux vitres grillagées — pour résister aux grenades —, défendent un champ face à 250 gardes mobiles.

L’année précédente, des blocs de granite ont été déposés devant des locaux de l’Andra dans la commune voisine de la Chapelle-Saint-Laurent.

Des affrontements éclatent. Des véhicules sont incendiés...

C’est l’opération Obélix.

... des convois de chantier attaqués.

94

Des pavés sont lancés sur la sous-préfecture.


NUCLÉAIRE

Le 20 janvier 1990, 15 000 personnes défilent à Angers. C’est la plus grande manifestation dans cette ville depuis Mai 68.

En février, le Premier ministre, Michel Rocard, annonce un moratoire d’un an.

Le climat de révolte ne lui a pas laissé le choix.

«   l apparaît de plus en plus que la contrainte principale est la capacité de la population locale à accepter le principe de stockage beaucoup plus que les avantages techniques relatifs aux différents types de sol. » Philippe Rouvillois, administrateur général du CEA*.

C’est le début de la fabrique de « l’acceptabilité sociale ». En 1991, la loi Bataille** stipule que des « laboratoires » seront construits pour tester chaque type de sous-sol et promet d’étudier les alternatives. Elle annonce surtout des « actions d’accompagnement économique ». * Commissariat à l’énergie atomique. ** Relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs. 95


L’industrie nucléaire s’est implantée dans l’Est en employant les grands moyens.

Depuis vingt-cinq ans, plus d’un milliard d’euros ont été déversés sur le territoire par la filière. Du jamais-vu pour un site en projet.

Sur la même période, des  groupements d’intérêt public  (GIP), abondés par les acteurs de l’atome – EDF, CEA, Areva –, ont distribué 30 millions d’euros par an et par département.

« Cet argent sert à financer tout et n’importe quoi...

Jean-Marc Fleury, ancien maire de Varney (Meuse).

Pour les communes dans un rayon de 10 km, c’est le jackpot : l’argent du nucléaire est versé au budget municipal au prorata du nombre d’habitants.

480 € par an et par résident.

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Certaines années, 70 % du budget de Bar-le-Duc venait du GIP.  »

Ou l’art de se rendre indispensable...

SOURCES : GIP MEUSE ET GIP HAUTE-MARNE, RAPPORTS D’ACTIVITÉ DE 2007 À 2019, BASTAMAG.

... la restauration d’une église, un minigolf, des trottoirs, une unité Alzheimer ou le Festival du beignet de la choucroute.


NUCLÉAIRE

Pour asseoir son influence, l’Andra invite aussi des notables locaux à profiter de parties de chasse VIP. En Meuse, le domaine du Baudray, acquis par l’agence en 2013 pour 1,6 million d’euros*, est un terrain idéal pour la traque au sanglier.

l’Andra indiquait sobrement y accueillir des « réunions et séminaires ».

Dans l’Aube, un département qui accueille déjà des déchets radioactifs, elle ne fait aucun mystère de ses invitations ciblées.

«  C’est un outil de relations publiques qui permet de toucher une large partie des acteurs du territoire », reconnaissait en 2015 Patrice Torres, le directeur de l’Andra dans l’Aube**.

* l’Andra a revendu le site en 2017. ** Propos tirés d’une interview dans «  l’Est Éclair  », en janvier 2015. 97


Malgré l’argent déversé, le territoire continue de se dépeupler.

À quoi bon financer des trottoirs si personne ne marche dessus  ?

Daniel Ruhland, maire de Montiers-sur-Saulx (Meuse).

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« En vingt ans, on a perdu une épicerie, une boulangerie, une école, un collège, un docteur, une fabrique de meubles, un coiffeur... »


NUCLÉAIRE

À Velaines, à 24 km de Bure, une fabrique de fils métalliques, la Sodetal, a fermé en 2016. À quelques mètres, EDF a créé une plate-forme pour stocker des pièces de rechange des centrales nucléaires.

J’ai travaillé pendant vingt-trois ans à la Sodetal. Après plusieurs plans sociaux, on a tenté de la reprendre en coopérative.

l nous manquait 5 millions. Le GIP* ne nous a pas aidés...

... mais a donné 3  millions à EDF.

Patrick, 53 ans, ancien ouvrier de la Sodetal.

SOURCE : RAPPORTS D’ACTIVITÉ DU GIP MEUSE ET HAUTE-MARNE DE 2007-2008, ENTRETIENS TÉLÉPHONIQUES.

Autour de Bure, EDF et Orano ont construit leurs archives.

Sur les ruines de l’industrie locale, une trentaine de projets liés au nucléaire voient le jour.

Une blanchisserie dédiée au linge radioactif est prévue à Joinville.

113 000 euros de subventions du GIP.

À Saint-Dizier, une filiale d’EDF construit une plateforme pour les pièces usagées des centrales.

4,7 millions d’euros de subventions du GIP.

En 2014, au premier Salon mondial du nucléaire au Bourget (Seine-Saint-Denis), une carte invitait les investisseurs à s’implanter dans ce « pôle territorial de compétence nucléaire ». * Groupement d’intéret public.

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La région pourrait se spécialiser dans les déchets radioactifs et le vieillissement des centrales.

Cette reconversion est promue depuis vingt ans par Gérard Longuet, l’homme fort de la Lorraine.

Chaque territoire doit trouver sa place. Pour certains, c’est le tourisme, l’agroalimentaire, l’aéronautique, l’automobile...

Notre bonheur, c’est le jour où la filière électronucléaire, hors Cigéo, représentera 1 000 à 2 000 emplois Une fois que les lignes sur les deux départeennemies ont été percées, ments. Là, on sera il faut envahir et tout rafler. les rois du pétrole. J’aimerais qu’il y ait demain une génération nucléaire.

Notre devoir, c’est de remplir les sections des lycées professionnels pour qu’il y ait des candidats. Cela veut dire absorber toute la population locale. Pourrons-nous faire en sorte que ce projet soit approprié par les populations ? C’est une bataille à gagner dans les trois ans.

* L’Office parlementaire d’évaluation de choix scientifiques et technologiques au Parlement. 100

SOURCE : LESJOURS.FR, «  ATOMIC LORRAINE » ÉPISODE 6, PAR SÉBASTIEN DAYCARD-HEID, JUIN 2019.

Pour la Lorraine, c’est le nucléaire.


NUCLÉAIRE

L’Andra organise des expositions sur le nucléaire, les forêts, l’archéologie.

Julie Legrand, institutrice à Houdelaincourt.

Cette « génération nucléaire », il faut l’éduquer.

Elle invite toutes les écoles à s’y rendre. Elle paie le transport et la restauration sur place.

De la primaire au lycée, les élèves font leurs classes à l’Andra. Parfois jusqu’à cinq fois dans leur scolarité. On n’a pas beaucoup de choix. C’est soit ça, soit le mémorial de la guerre à Verdun !

L’Andra nous distribue aussi des ordinateurs, des imprimantes, des vidéos, des clés USB.

Bonjour, je m’appelle Tom l’atome !

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C’est moi qui suis à l’origine de la radioactivité !

Viens jouer au tri sélectif !

Suismoi !

Auprès des écoles, l’Andra se présente comme un « organisme culturel ».

Budget de sa communication : plus d’un million d’euros par an. Combien tu rayonnes ?

Un magazine en papier glacé est distribué gratuitement dans les deux départements. 200 000 exemplaires chaque trimestre.

L’Andra s’achète aussi les services de youtubeurs. Simon Puech, Anonimal, Dave Sheik totalisent près de 700 000 abonnés. ls ont sorti durant l’été 2018 des vidéos pour le moins élogieuses autour de Cigéo.

Encore eux ?

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« Ça fait totalement stratégie de communication, je ne suis pas aveugle », concède Dave Sheik.

SOURCE : ANDRA

le projet y est décrit comme « ultrasécurisé », « ultraimpressionnant » et « ultracontrôlé ». ls ont touché environ 4 000 euros.


NUCLÉAIRE

l’Andra occupe l’espace. Depuis 2007, elle a bâti un empire foncier. Pour près de 13 millions d’euros, elle a racheté, via les Safer*, environ 2 688 hectares de forêts et de terres agricoles.

Son domaine est cinq fois plus grand que ses besoins de construction estimés à environ 600 hectares.

Pour éviter les expropriations, l’Andra incite les agriculteurs de la zone à échanger leurs terres contre de meilleures parcelles, plus éloignées. Jean-Pierre Simon, 58 ans, agriculteur.

Plusieurs agriculteurs se souviennent du message qui leur a été adressé par la chambre d’agriculture de Meuse en 2013.

Le prix à l’hectare a doublé. Tout est fait pour décourager les structures de petite taille.

Si vos enfants ne peuvent pas travailler dans l’agriculture, ils n’auront qu’à travailler à l’Andra.

* Société d’aménagement foncier et d’établissement rural.

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En vingt-cinq ans, l’Andra a tout mis en œuvre pour faire partie du paysage et habituer la population à sa présence.

C’était sans compter le réveil de l’opposition.

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NUCLÉAIRE

Été 2016, une nouvelle bataille s’engage.

Sur la commune de Mandres-en-Barrois.

Sans autorisation, l’Andra entame des « travaux préparatoires » dans le bois Lejuc.

L’emplacement est stratégique : cette forêt de 220 hectares serait située juste au-dessus des 270 kilomètres de galeries.

En lieu et place du bois, cinq puits seraient creusés pour ventiler les rejets d’hydrogène et de gaz radioactifs et acheminer le matériel.

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Des habitants du coin, jusque-là silencieux, vont relever la tête.

Jacques, 45 ans, habite le village de Mandres-en-Barrois depuis toujours.

Avant, je voyais leur laboratoire comme un truc pour la recherche, sans grand danger. Mais quand ils ont touché à notre forêt, j’ai compris qu’ils allaient tout détruire.

Cette forêt appartient à tous et toutes. On y flâne, on y chasse, on va aux champignons. On fait notre bois de chauffe.

Je vais y marcher tous les jours. Ça nous a rendus fous.

C’est notre oxygène.

Xavier*, la trentaine, travaille dans le bâtiment. * Certains prénoms ont été changés à la demande des habitants.

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Michel Labat, 72 ans, ancien conseiller municipal.


NUCLÉAIRE

L’Andra s’est battue pour obtenir ce bois communal. En 2013, elle propose de l’échanger contre trois autres massifs. Une consultation des habitants est organisée.

L’ANDRA s’engage sur la durée des travaux (environ 100-150 ans) à embaucher toutes les personnes désireuses d’y travailler.

Quelques jours avant le vote, un étrange document circule.

Malgré ces promesses, la majorité des habitants refusent par 50 voix contre 35.

Pendant 100 ans, la rentrée fiscale annuelle pourrait s’élever entre 500 000 € et 1 million d’euros.

Deux ans plus tard, nouvelle proposition d’échange. Le conseil municipal se réunit encadré par les vigiles de l’Andra.

Le vote aura lieu à 6 heures du matin, à bulletins secrets. Le bois est échangé par 7 voix pour, 3 contre, 1 blanc.

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L’année suivante, la fille du maire, Xavier Levet, est embauchée à l’Andra*. Un conseiller municipal bénéficie de baux de chasse de l’Agence.

les opposants dénoncent des conflits d’intérêts. Les habitants déposent des recours juridiques. Ceux-ci ne suspendent pas les travaux.

Alors, les opposants vont bloquer physiquement les machines.

Et la forêt, elle est à qui ? Elle es t à nous.

* Sollicité par téléphone, Xavier Levet n’a voulu répondre à aucune question relative à Cigéo indiquant être « trop en porte-à-faux » sur ce dossier.

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NUCLÉAIRE

Le 19 juin 2016, sous couvert d’un « pique-nique familial », une manifestation se transforme en occupation.

C’est la première fois en vingt-cinq ans que les opposants occupent le terrain.

Le bois Lejuc devient le point de ralliement du mouvement.

Chaque soir, une cinquantaine de personnes se réunissent pour préparer la suite.

Le 7 juillet, à l’aube, 150 gendarmes expulsent les occupants.

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Le 16 juillet, plus de 500 personnes tentent de réoccuper le bois. Mais les forces de l’ordre tiennent la position.

Andra dégage.

Résistance et sabotage.

Les opposants articulent actions de terrain, recours juridiques et présence médiatique.

En réponse, l’Andra construit un mur « anti-occupation » de plus d’un kilomètre de long, en béton, pour empêcher toute intrusion.

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NUCLÉAIRE

1, 2, 3, allez !

Le 1er août, l’Andra est condamnée pour défrichement illégal. Pour la première fois, les opposants gagnent au tribunal. Une guérilla juridique s’enclenche.

Le 14 août marque l’apothéose de cet été de contestation. 400 manifestants abattent le mur en béton.

Retranchée dans son laboratoire, l’Andra panique.

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L’occupation de la forêt se poursuit.

Regardemoi ça !

C’est quand même meilleur que des champignons atomiques ! Des cabanes sont construites, des barricades érigées pour bloquer l’avancée des travaux. L’opposition se veut plus radicale.

Nous refusons de cogérer la catastrophe.

Ces déchets ne sont pas les nôtres. On nous a imposé le nucléaire et, maintenant, on nous rend responsables de ses déchets.

Le nucléaire, ce n’est pas seulement une énergie, c’est un ordre social.

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NUCLÉAIRE

Autour du bois, des maisons ont été achetées et des appartements loués pour soutenir l’occupation.

En un an, plusieurs dizaines de personnes se sont installées.

La Maison de Résistance acquise en 2004 par des opposants sert de QG...

... de lieu de rencontre et d’organisation pour l’opposition.

Les nouveaux habitants y cultivent des légumes. Le 18 février 2017, 500 personnes marchent vers le laboratoire, depuis la forêt, et assument un conflit ouvert.

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Si on avait fait ça il y a vingt ans, ils ne se seraient jamais installés !

Jean Robert, doyen de Mandres-en-Barrois.

« l n’y a pas de bons et de mauvais résistants. Ces nouveaux arrivants ont ranimé l’espoir qui s’éteignait. S’il faut aller en prison pour s’opposer au projet, alors j’irai. » Jean-Marc Fleury, opposant membre de l’Eodra et ancien élu municipal.

«  La situation est dégradée et prend un caractère quasi insurrectionnel. Les opposants s’efforcent de créer un climat de terreur. »

À l’échelle nationale, le discours politique sur l’opposition a changé de ton. Gérard Longuet, juin 2017.

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NUCLÉAIRE

Après la carotte, la stratégie du bâton se met en place à l’été 2017. Emmanuel Macron vient d’arriver au pouvoir, le contexte politique se durcit.

Mi-août, une manifestation est violemment réprimée. Attention ! Cours !

Pour la première fois, j’ai eu peur pour ma vie.

Sébastien Bonetti, journaliste.

On comptera de nombreux blessés.

Parmi eux, Robin Pagès, 27 ans, paysagiste et père de famille, voit son pied déchiqueté par une grenade assourdissante. l risque d’être handicapé à vie.

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En janvier 2018, le gouvernement abandonne le projet d’aéroport à Notre-Dame-desLandes (Loire-Atlantique).

« Je ne veux plus voir ce genre de ZAD en France », déclare Emmanuel Macron en Conseil des ministres.

Le 22 février 2018, à 6 heures du matin, le bois Lejuc est évacué par 500 gendarmes. Des militants sont arrêtés. Deux partent directement en détention provisoire.

Nous avons aujourd’hui des occupations de terrain, de véritables abcès qui peuvent être plus forts que la démocratie.

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« Nous ne voulons plus de lieux de non-droit en France », déclare Gérard Collomb, alors ministre de l’ ntérieur.


NUCLÉAIRE

Au même moment, dans le village de Bure, Sébastien Lecornu, secrétaire d’État à la Transition écologique et solidaire, supervise les opérations.

On a expulsé des délinquants. Le temps est à la consultation avec les opposants légaux. Nicolas Hulot, son ministre de tutelle, fait volte-face. En 2016, il posait contre Cigéo. En 2018, à l’Assemblée, il affirme que c’est la «  moins mauvaise des solutions ».

Au quotidien, les habitants vivent « sous occupation militaire ».

À l’été 2017, une centaine de gendarmes mobiles ont pris leurs quartiers près du laboratoire de l’Andra.

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Avant chaque mobilisation, des arrêtés préfectoraux permettent aux forces de l’ordre de fouiller tous les véhicules.

Les habitants n’y échappent pas et de drôles de records s’installent. Vous m’ avez contrôlée 33 fois ce mois-ci !

En mars 2018, un arrêté interdit même toute manifestation, circulation, stationnement et survol des villages alentour. Les contrôles d’identité deviennent une routine. L’autre jour, ils n’ont pas voulu me laisser accéder à mon champ près du bois !

Contrôlée jusqu’à 4 fois par jour, Claudine bénéficiera d’une sorte de « sauf-conduit » du maire.

Une stratégie de tension se met en place.

Dégagez, les pue-la-pisse !

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Sale opposant !


NUCLÉAIRE

Le tribunal de Bar-le-Duc devient l’épicentre de la lutte.

Des poursuites systématiques sont menées contre les opposants.

Outrage et rébellion, refus de relevé d’empreintes génétiques, dégradations, violence contre personne dépositaire de l’autorité publique, attroupement non armé… Je reste dans ce que permet le Code pénal ...

... pas plus mais pas moins.

En un an, une cinquantaine de procès se tiennent. les militants de Bure sont jugés lors de journées spéciales, où ils défilent à la chaîne. Le procureur leur reproche la détention de canifs, de pelles à tarte, de tournevis.

Olivier Glady, procureur du tribunal de Bar-le-Duc.

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De l’été 2017 à début 2019, plus de 27 interdictions de territoire, des dizaines de mois de prison avec sursis et quatre peines de prison ferme ont été prononcés.

Les plaintes contre les forces de l’ordre pour violence ont toutes, elles, été classées sans suite.

La Ligue des droits de l’homme a mené une enquête sur la répression des opposants à Cigéo. Dans son rapport, paru en juin 2019, elle écrit : Les autorités publiques se livrent à un harcèlement contre les opposants au site d’enfouissement destiné à criminaliser leur position et leur manifestation et qui a pour effet de porter atteinte aux libertés individuelles.

Elle demande à ce que « le tribunal de Bar-le-Duc soit dessaisi de l’ensemble de ces procédures ».

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NUCLÉAIRE

Bure devient un laboratoire répressif. Pour la première fois en France, les outils de l’antiterrorisme sont utilisés sur tous les acteurs d’une lutte écologiste.

Une « cellule Bure » est créée au sein de la police judiciaire de Nancy. Elle emploie près de dix personnes à temps plein.

Une information judiciaire pour association de malfaiteurs  est ouverte à l’été 2017 à la suite d’un départ de feu, dans un hôtelrestaurant situé à côté de l’Andra.

Plus de 20 perquisitions sont menées en un an. En Meuse, à Paris, en sère... Elles ciblent tous les lieux de la lutte et des domiciles privés.

À la Maison de Résistance, les policiers saisissent la photocopieuse, une quarantaine d’ordinateurs et de téléphones portables. 121


POLICE ! À TERRE !

Le 20 juin 2018, 11 personnes sont placées en garde à vue. Toutes les facettes du mouvement sont touchées : anciens occupants du bois Lejuc, équipe juridique, associations, etc.

Même l’avocat des opposants, Étienne Ambroselli, est ciblé.

Kevin le Fur, juge d’instruction !

Driing

D’abord « témoin assisté », Étienne Ambroselli est mis en examen en août 2019.

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NUCLÉAIRE

Comme d’autres, Angélique Huguin, administratrice du réseau Sortir du nucléaire, fait soixante heures de garde à vue. Plus de vingt-cinq heures d’interrogatoire.

Je n’ai rien à déclarer.

Je suis contente de vous rencontrer. Depuis le temps que j’écoute votre téléphone !

SOURCE : LIBÉRATION, « BURE, LE ZÈLE NUCLÉAIRE DE LA JUSTICE ». NOVEMBRE 2018.

Parmi les moyens utilisés : 30 à 100 téléphones sur écoute. 2 000 échanges décryptés. Des balises sous des voitures. Des IMSI Catchers*. « La Vie des autres », version meusienne.

Vous savez, moi aussi je sais ce que c’est...

J’ai cru comprendre que ça n’était pas toujours facile avec votre ado, non ?

L’usage de ces  techniques spéciales d’enquête, réservées à la traque antiterroriste, a été étendu par la loi du 3 juin 2016 sur le crime organisé, le terrorisme et leur financement . L’enquête est colossale. Le dossier d’instruction fait plus de 10 000 pages. La répression à Bure devient un symbole du durcissement autoritaire du pouvoir. * Des dispositifs de renseignement autorisés depuis 2016 pour capter toutes les communications. 123


7 personnes sont placées sous contrôle judiciaire et interdites de rentrer en contact entre elles*.

Certaines sont amies depuis des années. « Nous dénonçons une atteinte intolérable aux libertés d’association, d’opinion et aux libertés fondamentales » Attac, Greenpeace, Sortir du nucléaire, Bure Stop, France Nature Environnement... Communiqué commun, 22 novembre 2018.

Elles sont également interdites de certaines parties du territoire.

À quelques centaines de mètres de la sortie du village de Cirfontaines-en-Ornois (Haute-Marne)… Pivoine**, trentenaire mis en examen, vit une situation absurde.

Je suis interdit de toute la Meuse... alors que j’habite à 1 km et que j’y ai beaucoup d’amis !

* Dans le cadre de l’enquête pour association de malfaiteurs . ** Le prénom a été changé. 124

Dans mon village, il y a cinq routes, dont trois que je ne peux pas emprunter.


NUCLÉAIRE

Cette enquête pour association de malfaiteurs est un moyen de paralyser la lutte.

On a été forts, donc ils ont voulu nous affaiblir. 2020 va être une année décisive pour l’Andra, qui souhaite accélérer ses travaux.

Angélique Huguin

Mais rien n’est joué. Nous sommes toujours là. l y a des dizaines de comités de soutien, des articles dans les médias.

Petit à petit, Bure se fait une place sur la carte.

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EN SAVOIR

le choix du tombeau Des déchets nucléaires existent et l’industrie n’a pas de baguette magique. C’est l’un des arguments pour justifier le choix du stockage géologique au risque de plonger des générations dans des abîmes d’interrogations.

UN TCHERNOBYL SOUTERRAIN ?

L’un des risques majeurs de Cigéo est l’incendie en profondeur. Chaque colis dégage en permanence de la chaleur et de l’hydrogène : il faut donc ventiler en continu les galeries pour faire baisser la température. Si une panne se produit, le taux d’hydrogène pourrait augmenter jusqu’à provoquer des explosions. Le risque est accentué par les déchets bitumineux, des boues radioactives enrobées dans un revêtement particulièrement inflammable. En 2018, l’Autorité de sûreté nucléaire préconisait de « modifier la conception » de Cigéo « pour exclure le risque d’emballement » thermique. Les opposants craignent un futur « Tchernobyl souterrain ».

ALERTER PENDANT CENT MILLE ANS ?

UN ALLER SANS RETOUR ?

Après plusieurs centaines d’années, pourra-t-on récupérer les colis en cas d’incendie ou d’infiltrations ? Selon la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, Cigéo doit respecter le principe de réversibilité. C’est-à-dire, « la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction [...], soit de réévaluer les choix [antérieurs] ». La réversibilité concerne surtout la capacité de revenir sur le choix du stockage. Elle ne doit pas être confondue avec la récupérabilité qui est temporaire : après cent trente ans, impossible de récupérer les déchets.

Certains déchets resteront radioactifs pendant des centaines de milliers d’années. Comment les générations futures pourrontelles garder en mémoire le lieu et l’objet du site de stockage ? Pour l’Andra, les moyens à utiliser relèvent du casse-tête : papier permanent ? Disque de saphir ? Stèles et artefacts ? « Rite sociétal » annuel ? Pour l’instant, l’agence organise des « appels à projets artistiques ». Elle a même donné un prix à une chanteuse qui a réalisé une comptine à transmettre de génération en génération.


© THOMAS CHAUZY

DES FONDS INSUFFISANTS ?

Il est prévu que Cigéo soit financé par les exploitants du nucléaire. Mais l’évaluation de son coût global est floue et dépend des interlocuteurs. En 2014, l’Andra l’a estimé à 34,5 milliards d’euros. De son côté, EDF, en difficulté financière, l’a évalué à 19,2 milliards. En 2016, un décret du gouvernement a coupé la poire en deux à 25 milliards d’euros. En 2019, la Cour des comptes a recommandé une méthode d’évaluation « prenant en compte les risques […] de manière plus réaliste ». Le cabinet d’analyse financière AlphaValue a estimé qu’EDF « sousprovisionnait drastiquement » les coûts de gestion des déchets.

MAIS COMMENT FONT-ILS AILLEURS ?

Depuis les années 1980, l’enfouissement a été adopté comme « solution de référence » dans plusieurs pays. En Suède, au Canada, en Allemagne, en Finlande, des projets sont en préparation ou en chantier. Du côté des sites déjà en service, de graves accidents ont eu lieu. Aux États-Unis, le WIPP (Waste Isolation Pilot Plant), qui accueille des déchets nucléaires militaires depuis 1999, a fermé pendant trois ans en 2014 à la suite d’un incendie. Au moins 21 ouvriers ont été exposés. En Allemagne, dans l’ancienne mine de sel d’Asse, 126 000 fûts sont inondés et menacent les nappes phréatiques. Leur « désenfouissement » est incertain et coûterait entre 2,5 et 10 milliards d’euros.

LES ALTERNATIVES ENTERRÉES ?

Dans la loi Bataille de 1991, deux autres options techniques étaient envisagées. « L’entreposage de longue durée » en subsurface : stocker directement les combustibles usés à faible profondeur, à flanc de colline granitique et les surveiller pendant des siècles. Et la « séparation-transmutation » — pour réduire la radioactivité et/ou sa durée — qui en est aujourd’hui à l’étape de la recherche. Mais la volonté politique s’est concentrée avant tout sur le stockage géologique.

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SPORT

mi-temps Water-polo. Quels sont les ingrédients d’une chronique sport réussie ? Prenez un dessinateur sportif accompli, coiffez-le d’un bonnet de bain et plongez-le dans l’eau froide pour tester un des cinq sports les plus difficiles au monde. Agrémentez le tout d’une bonne dose d’autodérision. Laissez mariner. BENJAMIN ADAM

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SPORT

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SPORT

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LobbIES

ENTRE DEUX PORTEs


Campés devant le ministère de l’Économie et des Finances, en plein mouvement social contre la réforme des retraites, des grévistes se livrent à un étrange lancer de chaussons. Ils dénoncent ainsi le pantouflage, ces allers-retours entre haute fonction publique et secteur privé. Axa, Amundi, BlackRock : redécoré par les manifestants, le bâtiment arbore, le temps d’une journée, les logos des géants de l’épargne retraite soupçonnés d’avoir mis leur grain de sel dans le projet de loi contesté. Bercy est même rebaptisé « ministère des Lobbies et de la Finance ». Économie, environnement, santé… dès que la puissance publique doit trancher, ces professionnels de l’influence se démènent pour piper les dés. AURORE GORIUS  VINCENT SOREL

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LOBBIES

il n’est élu par personne et ne représente que ceux et celles qui le paient.

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Son parcours est révélateur des dérives d’un secteur dont les activités, pendant longtemps, n’ont pas ou très peu été encadrées.

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LOBBIES

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LOBBIES

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Ce groupe ne s’est jamais saisi des scandales qui ont fait des milliers de victimes.

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LOBBIES

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LOBBIES

il s’est défendu de tout lobbying, tout en reconnaissant quand même que…

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LOBBIES

Aucune règle n’encadre ces contributions, dont la provenance et le contenu restent souvent confidentiels.

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Seule certitude, elles ciblent les textes Ă forts enjeux ĂŠconomiques.


LOBBIES

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Au gouvernement, sa collègue ministre de l’Environnement a qualifié ce vote de

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On se souvient des paroles du candidat Hollande Pendant la campagne, un soir de janvier 2012 au Bourget.

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Corinne Lepage, ex-ministre de l’Environnement du gouvernement JuppÊ

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Après-guerre, Hill+Knowlton implante des filiales partout dans le monde.

notamment dans les pays de la Communauté économique européenne, tout juste naissante.

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EN SAVOIR

les belles paroles des lobbies

DESSIN : SOULCIÉ

L’acronyme est un peu barbare mais commence à être connu. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, ou HATVP, créée en 2013, s’est vu confier en 2016 la création d’un répertoire des représentants d’intérêts. Depuis, plusieurs affaires l’ont placée au centre du débat public.

O

n se souvient du haut-commissaire aux Retraites Jean-Paul Delevoye évoquant un « oubli par omission » (qui restera célèbre) lorsque la presse a révélé qu’il n’avait pas déclaré treize de ses mandats dans des conseils d’administration ou fondations, lors de de son entrée au gouvernement. L’un d’entre eux le liait à un institut de formation émanant du lobby des assureurs, en plein débat autour du projet de réforme des retraites. Après ces révélations, la HATVP a mis à jour la déclaration de l’an-

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cien ministre et a transmis le dossier à la justice. Depuis la promulgation de la loi Sapin II en décembre 2016, la Haute Autorité gère les déclarations d’intérêts et de patrimoine des ministres et parlementaires, pour vérifier l’absence de conflit d’intérêts avec leurs anciennes responsabilités. Elle tient également le répertoire des représentants d’intérêts, auquel doivent s’inscrire les personnes morales exerçant une activité de lobbying de façon « principale et régulière ». Accessible en ligne et rempli progressivement depuis le


lobby, le contrat de confiance Autre limite du système actuel, l’influence sur l’Assemblée nationale et le Sénat a été largement mise en avant, alors que les lobbies ciblent massivement le pouvoir exécutif, afin de peser sur les projets de loi lors de leur phase préparatoire, en amont des débats parlementaires. On se souvient d’un certain François de Rugy, alors ministre de la Transition écologique, organisant des rendezvous discrets à son ministère avec des lobbies tels qu’Engie, Nexity ou Enedis. À son départ de la présidence de la HATVP, Jean-Louis Nadal, ex-procureur général près la Cour de cassation, a les lobbies ciblent surtout transmis à son successeur, l’exécutif pour Didier Migaud, venu de la peser sur les Cour des comptes, une projets de loi avant les débats mission selon lui prioritaire : renforcer le contrôle du lobbying. « C’est un défi majeur, une idée centrale pour restaurer le lien de confiance sérieusement altéré dans notre société. Les citoyens ont le droit de savoir comment se fabrique la loi et quelles interactions il y a entre les lobbyistes et les responsables publics », déclarait-il au Monde le 8 décembre 2019. Et de citer trois secteurs particulièrement sous influence : l’agriculture, l’environnement et la finance.

© NICOLAS TAVERNIER/RÉA

1er juillet 2017, il comptait 1 975 inscrits fin 2019. Le manquement à cette inscription est passible depuis le 1er janvier 2018 d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Mais les informations fournies sont déclaratives et difficiles à vérifier. Elles demeurent parcellaires. Les lobbies doivent déclarer une fourchette de dépenses annuelles en matière d’influence et une liste d’actions de lobbying, mais sans avoir à préciser ni les montants alloués ni les personnes rencontrées. Les lobbies ne sont pas davantage tenus de rendre publics les écrits ou « contributions » produits pour orienter la décision publique et transmis aux divers décideurs (parlementaires, conseillers ministériels, administration...).

Les membres de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), à Paris, en 2014.

making-of « En travaillant une nouvelle fois avec Vincent Sorel (après “À l’oreille des politiques” dans le numéro #09), j’ai constaté combien le dessin peut raconter les coulisses du pouvoir. Il permet des touches d’humour — comme la « Loi », devenue un personnage contrarié de subir autant de pressions — mais aussi des métaphores. Pour désigner les “portes tournantes”, Vincent a symbolisé l’imbrication des intérêts entre sphères publiques et privées par un ruban de Möbius. Celui-ci dit bien comment, au gré de leur parcours, des conseillers servent les mêmes intérêts en circuit fermé. » Aurore Gorius

À LIRE

Les Lobbyistes, d’Aurore Gorius. Après sa série sur « Les conseillers », la journaliste se penche sur les professionnels de l’influence. Lesjours.fr

À lire

Lobbytomie, de Stéphane Horel. Pesticides, tabac, chimie, amiante, sucre ou soda : la journaliste explore les univers méconnus des lobbies. Éd. La Découverte (2018).

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CINÉMA

la revue des cinés Down by Law de Jim Jarmusch. C’est l’histoire banale et un peu triste de compagnons de galère tombés « sous le coup de la loi », d’un trio de taulards rongés par l’ennui. C’était sans compter le talent du cinéastemusicien et la sensibilité de ses acteurs qui transforment l’enfermement en comédie rock et poétique. Une ode à l’évasion. JÉRÉMY CAPANNA

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FOrÊT

ÇA SENT LE SAPIN


Elle est synonyme de balade bucolique et de bol d’air. Du moins tant que le bruit d’une abatteuse ne vient pas couvrir le chant des oiseaux. Car la symbiose et la contemplation ne sont pas les seuls liens qui unissent les humains et la forêt. Couper, planter, abattre, exporter ou brûler du bois pour produire de l’électricité, et puis recommencer. Le tout à un rythme effréné. En 1971, un ministre de l’Agriculture appelait à gérer la forêt comme « un champ de tomates ou de petits pois ». Un demi-siècle plus tard, son vœu est exaucé : les arbres sont devenus des récoltes que l’on moissonne. Même cachés sous la canopée, les forestiers n’échappent pas aux lois du marché. DÉBORAH JACQUOT

FLORENT GROUAZEL

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« il faut DEs circuits courts et éthiques »

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Pour vous, à quoi ressemble la forêt idéale ? C’est une forêt mélangée, avec plusieurs essences, des feuillus, des résineux mais aussi des arbres de tailles et d’âges différents, avec du bois mort indispensable à la richesse des écosystèmes. C’est une forêt où l’on passe plus souvent mais où l’on prélève moins. Dans une forêt gérée durablement, les coupes ne se voient pas et le sol n’est jamais à nu. Ce type de forêt, plus résistant, n’a pas besoin des engrais ou des pesticides de plus en plus utilisés du fait des monocultures, des coupes rases et de l’appauvrissement des sols. Comment contrer l’industrialisation ? En relocalisant. Le consommateur doit s’interroger sur la provenance de son bois, mais aussi sur la manière dont il a été exploité.

PHOTO : FABRICE MORIN / NATURIMAGES

Nathalie Naulet est salariée du Réseau pour les alternatives forestières. Depuis 2008, l’association promeut une gestion durable de la forêt en mettant en relation des consommateurs de bois, des propriétaires forestiers, des bûcherons, des scieurs, etc.

es forêts ne sont pas condamnées à n’être que des usines à bois. Et si leur avenir dépendait aussi des menuisiers, des architectes, des charpentiers ? Pour favoriser l’usage d’essences locales et éviter les coupes à blanc, des associations incitent toute la filière à s’emparer du sujet. Du bûcheronnage à la transformation du bois, ce sont les savoir-faire qui sauveront la forêt… à condition que ces alternatives ne restent pas à la marge.

En France, la filière bois représente 400 000 emplois, notamment dans les scieries, comme ici en Seine-Maritime.

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* Association pour le maintien d’une agriculture paysanne.

© PATRICK BATARD /ABC/ANDIA.FR

Pour le savoir, il aura intérêt à se rendre directement en scierie plutôt que dans une grande enseigne de bricolage. On peut aussi passer par le système des Amap* Bois-Bûches. Nous prônons la mise en place de circuits courts et éthiques. Cette démarche, proche de ce qui se passe aujourd’hui dans l’alimentation, suppose de créer plus d’emplois et de payer les choses à leur juste valeur. Tout repose donc sur le consommateur ? Cela doit se jouer à tous les niveaux, par exemple en revalorisant le salaire des bûcherons. On ne s’en sortira pas s’ils continuent à être payés au volume et au lance-pierre. Il faut moins de machines et plus d’humains en forêt, non seulement pour couper des arbres, mais aussi pour observer, pour prévenir les maladies… Tous les acteurs doivent se réapproprier la connaissance des écosystèmes forestiers et de la « matière bois » : propriétaires forestiers, Les forêts menuisiers, architectes… publiques Par quels moyens ? manquent Nous misons sur la formacruellement tion. Pour arrêter de gérer la de moyens forêt comme un champ de financiers et humains maïs et tendre vers une approche plus jardinière. Des formations à la sylviculture irrégulière existent, mais elles restent marginales. On rêverait que dans les écoles forestières il y ait une place pour les alternatives. Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ? Ils devraient réorienter leurs aides vers la gestion forestière plutôt que d’investir massivement dans la mécanisation et des plantations à l’avenir plus qu’incertain. Les forêts publiques manquent cruellement de moyens financiers et humains. L’argent pourrait aller à des postes d’animation, de conseil et à des filières locales respectueuses des forêts en place. Il faudrait aussi investir plus dans la recherche pour mieux comprendre les conséquences du changement climatique.

En 2018, des forestiers ont marché à travers tout le pays.

making-of « Pour dessiner ce sujet, je me suis perdu dans les méandres de la filière bois, j’ai consulté des dizaines de pages sur l’impact des différents pneus de transporteur sur la vie du sol. Je me suis perdu sur des forums sur le débardage ou dans des catalogues de machines. J’ai appris à dessiner une tête d’abattage sous tous les angles. Je me suis mis à voir le sujet partout, à en parler à tous ceux qui avaient trois arbres sur un bout de terrain. Il me touche parce que les décisions prises aujourd’hui auront un impact sur les paysages toute ma vie. » Florent Grouazel

À VOIR

Le Temps des forêts, de François-Xavier Drouet. Ce documentaire offre un aperçu de l’état des forêts, côté partisans et détracteurs de la mécanisation. 1 h 43 (2018).

À voir Mal-Hêtre, de Samuel Ruffier et Paul-Aurélien Combre. Une enquête édifiante sur la production de bois en France et son industrialisation. 52 min (2017).

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la sémantique, c’est élastique Euphémisme. Que faire quand la réalité gêne, qu’elle est trop crue ou douloureuse ? Appeler à la rescousse ces figures de style qui transforment les morts en disparus et épargnent les moches en saluant les « physiques de radio ». JAMES

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LIVRES

c’est notre rayon Des milliers de soldats japonais sacrifiés au nom de la patrie, des populations autochtones anéanties au nom du progrès et du profit : la bande dessinée de reportage jette une lumière crue sur les décisions des puissants. Elle nous rappelle aussi qu’ils sont prêts à tout au nom de leurs obscures raisons d’État.

Payer la Terre

Benalla & moi

Un trait qui se reconnaît entre mille. Des petites lunettes aux verres opaques. Joe Sacco est de retour. Cela faisait bientôt dix ans que ce pionnier de la bande dessinée de reportage n’était pas revenu au genre qui l’a fait connaître. Après des séjours extrêmement documentés au Moyen-Orient et en ex-Yougoslavie dont il a tiré, entre autres, Palestine ou Gorazde, l’Américano-Maltais nous entraîne dans ses pérégrinations, débutées en 2015, au nord-ouest du Canada. L’histoire qu’il livre dans Payer la terre est dramatiquement classique : c’est celle d’un génocide culturel, celui des Denes, population autochtone qui a vu son mode d’organisation bouleversé par la colonisation puis par l’industrie pétrolière avide de gaz de schiste. Mais sous le crayon du reporteurdessinateur, cette histoire prend chair. On embarque à ses côtés dans un pickup avalant des kilomètres de routes glacées, on croise ces motos-neige qui ont remplacé les chiens de traîneau. On rencontre, on écoute, on s’immerge. Avec humour et sensibilité, Joe Sacco met des images et des visages sur l’histoire de ces terres sacrifiées.

1er mai 2018. Place de la Contrescarpe, Paris. Un homme coiffé d’un casque et muni d’un brassard de police frappe un manifestant à terre. « Regardez bien sa tête ! » hurle un homme qui capte la scène avec son téléphone portable. Ce visage dissimulé par une visière est sur le point de devenir célèbre. Cette vidéo plongera la présidence Macron dans la tourmente. Au cœur de l’été, l’affaire Benalla éclate dans les colonnes du Monde. L’inconnu de la vidéo n’est pas de la police, il travaille pour l’Élysée et il a désormais un nom : Alexandre Benalla. C’est un proche du président. Le visage poupon du protégé du chef de l’État s’affiche vite partout, jusqu’au plateau du 20 Heures de TF1 où il tente un mea culpa. Qu’est-ce qui a mené ce jeune homme d’origine modeste, au verbe haut et aux méthodes douteuses, au cœur de l’Élysée ? Comment les plus hautes personnalités du pouvoir ont-elles essayé de sauver sa peau et la leur ? Les journalistes Ariane Chemin et François Krug, à l’origine des premières révélations, nous racontent les dessous de ce scandale d’État. Des auditions grandiloquentes devant le Sénat aux secrets feutrés des couloirs du palais présidentiel, Julien Solé, au dessin, retrace ce qui aurait pu rester une vidéo de violences policières parmi d’autres.

Payer la terre, de Joe Sacco, Éd. Futuropolis/XXI (2020), 272 p., 26 euros.

Benalla & moi, d’Ariane Chemin, François Krug et Julien Solé, Éd. Le Seuil (2020), 80 p., 18,90 euros.

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incontournable

© SHIGERU MIZUKI / MIZUKI PRODUCTIONS / CORNÉLIUS 2008

opération mort « Je dis juste que la vie humaine est précieuse ! » s’emporte un médecin de l’armée impériale japonaise. « Quel sentimentalisme !  » rétorque un officier ulcéré. La scène se passe à Rabaul, île de Papouasie-Nouvelle-Guinée, en pleine guerre du Pacifique. En cette fin 1943, quelque 500 soldats nippons envoyés au front sont en très mauvaise posture face à l’armée américaine. Pour « sauver dignement l’honneur de l’armée et de la patrie », les gradés envisagent une offensive dont pas un homme ne doit revenir vivant. C’est l’opération Mort, une mission suicidaire qui donne son titre au chef-d’œuvre de Shigeru Mizuki. Né en 1922, le mangaka avait vingt ans lors de la guerre du Pacifique, l’âge d’être enrôlé de force. Trente ans plus tard, il livre un récit largement autobiographique et «  à 90 % véridique ». « Les morts n’ont jamais pu raconter leur expérience de la guerre. Moi, je le peux  », écrit le survivant. Loin des envolées patriotiques, l’histoire qu’il narre n’a rien d’héroïque. Case après case, avec humour et simplicité, il dépeint la guerre dans sa trivialité. Les soldats qui sillonnent la jungle de Nouvelle-Guinée n’ont qu’une idée en tête : manger. Du riz, des bananes, des papayes… Qu’importe, tant qu’ils font taire la faim et n’attrapent pas la malaria. Dans ce décor paradisiaque, leur quotidien est fait d’humiliations, de brutalité et d’autodérision face aux corvées. À longueur de planches magistralement dessinées, la guerre se dévoile dans toute son absurdité. Une

Manger, tromper la maladie : loin des récits héroïques, Shigeru Mizuki raconte sa guerre du Pacifique.

guerre sans moments de bravoure, où les maladies font autant de victimes que l’adversaire. Mais pour le Japon la défaite est exclue. Son état-major met donc au point une « stratégie » de sacrifice absolu : être fait prisonnier est perçu comme un déshonneur, survivre devient une preuve de lâcheté. « J’ai besoin de comprendre », martèle l’un des personnages. Mais y a-t-il vraiment quelque chose à comprendre ? À Rabaul, le sens de l’honneur et la fidélité à l’empereur ne suffisent pas à convaincre les soldats de la nécessité de l’opération Mort. Celle-ci est un fiasco. À travers elle, Shigeru Mizuki relate sans complaisance une guerre totalement vide de sens. Opération Mort, de Shigeru Mizuki, Éd. Cornélius (2008), 368 p., 31,50 euros.

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AUTEURS & AUTRICES

icinori

cécily de Villepoix

● couverture

◆ découvertes - p. 44

Auteurs et dessinateurs, passionnés d’estampes, d’imagerie populaire et de dessin contemporain, ils travaillent pour la presse et l’édition.   icinori.com

S’intéresse aux sciences, occultes ou pas. De l’archéologie à l’ésotérisme en passant par la médecine. Elle a été scénographe, plasticienne et patronne de bar avant d’arriver à la bande dessinée.   cecilydevil.wixsite.com/site

Aurore Petit

● Au pied de la lettre - p. 6

Marine Dumeurger

Diplômée des Arts déco de Strasbourg, elle a publié une vingtaine de livres illustrés, chez Les Fourmis rouges et Actes Sud Junior.   aurorepetit.com

▼ interpol - p. 52

Vincent Coquaz

jean-paul krassinsky

▼ notation - p. 8  Journaliste à Libération (rubrique CheckNews). Il a aussi travaillé pour Arrêt sur images et participe au podcast Critique Média 2000. Il anime des ateliers d’éducation aux médias dans les collèges et lycées, à Creil.

Pigiste pour la presse écrite, après avoir vécu à Moscou, elle s’intéresse en particulier à l’espace post-soviétique, de Vladivostok à Mourmansk, en passant par Tbilissi.

▼ interpol - p. 52 Il aime explorer continuellement de nouvelles voies créatives, passer du coq à l’âne, travailler seul, en binôme ou en équipe, pour les jeunes et les moins jeunes. Il a publié une quinzaine d’albums chez différents éditeurs. Il vit et travaille à Paris, face à la plus belle gare du monde.

IsmaËl halissat ▼ notation - p. 8 Journaliste au pôle enquêtes de Libération. Il a notamment travaillé sur plusieurs affaires de violences policières, les coulisses de la campagne d’Emmanuel Macron ou encore les activités de Lafarge en Syrie. Il suit aujourd’hui l’actualité police/justice.

Jean-christophe mazurie

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Camille Drouet ◆ photo - p. 80 Ch’timi à l’allure andalouse, abonnée au LilleParis, traductrice devenue journaliste, elle a usé les claviers de Courrier international. Elle aime décortiquer tous les clichés.   @CamilleDrouet1

▼ notation - p. 8, Abonnement et ex-libris

Élisa Géhin

Commence à écrire et dessiner des histoires pour la jeunesse tardivement et des bandes dessinées encore plus tardivement. Dernier livre ? Torrents d’amour chez Delcourt.   jeanchristophemazurie

Originaire des « très Hautes-Vosges », passée par l’école Estienne et les Arts déco de Strasbourg, elle vit à Paris et travaille pour l’édition et la presse jeunesse.   elisagehin.fr

◆ photo - p. 80


LA REVUE DESSINEE  27

GASPARD D’ALLENS

Vincent Sorel

▼ nucléaire - p. 82

▼ Lobbies - p. 134

Journaliste pour le site Reporterre, il est l’auteur de plusieurs livres traitant d’écologie, parmi lesquels Bure, la bataille du nucléaire et Les Nouveaux Paysans. Le dernier en date, Main basse sur nos forêts est sorti en 2019 aux éditions du Seuil.

Auteur de bandes dessinées, pour la presse et l’édition jeunesse. Il a publié Chevaliers, moines et paysans, avec Florian Mazel, dans la collection L’Histoire dessinée de la France (éd. La Découverte/La Revue Dessinée).   vincentsouel

Pierre Bonneau ▼ nucléaire - p. 82

Jérémy Capanna

Journaliste indépendant. Il travaille sur les mouvements sociaux et la criminalisation des luttes. Il contribue notamment à Reporterre, Bastamag ou l’Humanité. Il a cosigné Bure, la bataille du nucléaire publié aux éditions du Seuil.

◆ cinéma - p. 174

cécile guillard

déborah jacquot

▼ nucléaire - p. 82

▼ forêt - p. 180

Marseillaise formée à Estienne et aux Gobelins, elle rêve de concilier ses passions pour le dessin et les grands espaces. Elle a publié Une vie de moche chez Marabulles.   cecileguillard.tumblr.com

Journaliste en rédaction Web, Déborah vit à Paris et enseigne en école de journalisme à Lille. Ses sujets de prédilection concernent l’environnement et les handicaps.   @DebbieJacquot

Benjamin Adam

Il dessine et écrit des histoires. Il a prêté son trait au sujet Comme neige au soleil dans le numéro #26 de La Revue Dessinée.   jeremycapanna

◆ sport - p. 128

Florent Grouazel

Navigue entre illustration, bande dessinée et projets avec Radar et Oasis 4000. Initié au reportage avec Les Désobéisseurs chez Vide Cocagne, il vient de publier Soon avec Thomas Cadène chez Dargaud.   cargocollective.com/benjamin-adam

▼ forêt - p. 180

Aurore Gorius

Né en 1987 à Lorient, où il est retourné vivre après avoir parcouru le vaste monde. Il est le coauteur, avec son double, Younn Locard, de Révolution (éd. Actes Sud-L’An 2).   cargocollective.com/florentgrouazel

▼ Lobbies - p. 134

james

Journaliste pour le site Les Jours avec une prédilection pour la politique et l’économie, mais aussi les médias et la culture. Elle aime réaliser des enquêtes et quand elles sont dessinées, c’est encore mieux.   @AuroreGorius

◆ langage - p. 214 Âge : trop. Poids : secret. Yeux : presbytie. Cheveux : de plus en plus épars. Arrivé sur le tard à la bande dessinée, il publie beaucoup depuis pour compenser.   james_van_ottoprod

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numer 27 Mars, avril, mai 2020

VOUS AVEZ LOUPÉ UN NUMÉRO ?

Date de parution 4 mars 2020 Directeur de la publication Franck Bourgeron Directeur de la rédaction Sylvain Ricard Rédactrice en chef Amélie Mougey Conception graphique Elhadi Yazi Direction artistique Cat Gabillon Maquette graphique Léa Larrieu Édition Camille Drouet et Amélie Mougey Correction Anne-Sophie Arnould et Guillaume Goutte Responsable communication Anne Vacca Chargée des abonnements Vanessa Schmierer Responsable événementiel Agnès Arnaut Secrétaire général Emmanuel Gilbert Responsable administrative Murielle Canta Ont collaboré à ce numéro : Thomas Chauzy, Rica, Thibaut Soulcié, Doriane Tchekhovitch, Hervé Bourhis et Pierre-Lou Quillard contact@larevuedessinee.fr larevuedessinee.fr La Revue Dessinée est éditée par LRD SAS, SAS au capital de 4 668 € Rédaction : 15, rue de la Fontaine-au-Roi, 75011 Paris 01 58 30 52 05 (abo et rédaction) Fondateurs actionnaires : Franck Bourgeron (président), Sylvain Ricard (directeur général) et David Servenay Actionnaires : F&S, Jean-Hubert Gallouet, Patrick Goux, Nicolas Gouju, Arnaud Bertin et Emmanuel Hurault Impression et façonnage : STIGE s.p.a. Via Pescarito, 110, 10099 San Mauro (TO), Italie Fabrication : CPE conseil Photogravure : Apex Graphic Diffusion : Delsol Distribution : Hachette Commission paritaire : 0924 D 91934 ISSN : 0753-3454 ISBN : 979-10-9253084-1 Hachette : 4149676 Dépôt légal : mars 2020

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À L’ORDRE DE « LRD SAS ». À ENVOYER À LA REVUE DESSINÉE - 15, RUE DE LA FONTAINE-AU-ROI, 75011 PARIS - FRANCE

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Papiers 100 % PEFC Papier intérieur : Allemagne Papier couverture : Italie

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LA REVUE DESSINÉE CONTIENT UN ENCART ABONNEMENT ET UN EX-LIBRIS (TIRAGE ABONNÉS) SIGNÉS JEAN-CHRISTOPHE MAZURIE.

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l’uppercut de thibaut soulcié

Chaque semaine, retrouvez les dessins de la rédaction sur nos réseaux sociaux.

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EN JUIN 2020, VOUS TROUVEREZ DANS LE

numer 28 SYRIE

SUR LA TRACE DES BOURREAUX PAR CÉCILE DEBARGE ET FABIEN TOULMÉ

cannabis

tribunaux d’arbitrage

LA RUÉE VERS L’OR VERT

LES MULTINATIONALES FONT LA LOI

PAR NICOLAS MOOG

PAR CLAIRE ALET ET PIERRE LECRENIER


isbn 979-10-92530-84-1 4149676

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