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Une odeur de gaz lacrymogène, un air d’insurrection et d’émeute. Cet hiver, à Bourges, Nantes, Toulon, Paris et un peu partout dans le pays, des vitrines ont explosé, des barricades se sont enflammées, des affrontements ont éclaté, faisant des blessés des deux côtés. « Du Moyen Âge au xxe siècle, c’est une constante : la violence accompagne les luttes sociales », rappelle l’historien Gérard Noiriel. Cette fois encore, elle fut décrite comme éruptive, aveugle, gratuite. Cette fois encore, il fut question de « fauteurs de troubles » et de « débordements ». C’est oublier un peu vite que, depuis les années 1980, de Berlin-Ouest à Seattle, le recours à la violence est une tactique politique. THIERRY VINCENT  IVAN BRUN

Juillet 2017, bois de Vincennes. Cyril, Azur et Jonathan s’apprêtent à partir en voyage à bord d’une camionnette. Cap sur Hambourg.

Azur s’est équipée pour brouiller les pistes en cas d’éventuels contrôles de police : un Guide du routard et un scénario bien huilé. Nous nous rendons ici, à Bergen. Je connais déjà et j’ai quelques notions de norvégien.

Leur but réel, c’est d’aller en Allemagne, perturber le G20.

Un sommet de riches défendant des politiques libérales qui augmentent la pauvreté et détruisent la planète.

Des milliers de camarades de tous les pays seront là-bas.

Azur, Cyril et Jonathan sont en route pour rejoindre le black bloc.

Ce mode d’action contestataire est apparu pour la première fois sur les radars médiatiques en 1999 avec la “Bataille de Seattle”, lors d’un sommet de l’OMC. 33

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Deux cent personnes s’attaquent alors aux multinationales, le sommet est interrompu.

Depuis, des black blocs se sont formés de manière sporadique à travers le monde.

D’abord au gré des sommets internationaux puis, de plus en plus, des mouvements sociaux.

En 2003, à San Francisco contre la guerre en Irak.

En 2010, à Vancouver contre les Jeux olympiques.

Depuis 2008, à Athènes, des “koukouloforis”* participent à la plupart des manifestations.

* Encapuchonnés

On parle aussi de “bloque negro” au Mexique et d’“encapuchados” en Amérique latine…

en grec.

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Tous sont des descendants du “schwarzer Block”. Car le bastion historique du black bloc, ce n’est pas Seattle, mais l’Allemagne.

C’est là, à Brême, à Berlin-Ouest ou à Francfort, que les premiers black blocs sont apparus pour s’opposer à l’évacuation de squats.

En décembre 1986, à Hambourg déjà, ils étaient 1 500 à défendre celui de Hafenstrasse. Des résidences de politiciens, magasins et bâtiments publics avaient alors été incendiés. À cette époque, Azur, Cyril et Jonathan n’étaient pas nés. Mais, en route vers Hambourg, ils se sentent les héritiers de ces mouvements.

Le capitalisme est un système violent. Nous nous en prenons à ses symboles, les banques, les assurances, les grandes multinationales.

Et aux flics, dont la fonction est de protéger le capital. 35

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Pour le black bloc, “la cible est le message” 1. En principe, aucune cible n’est choisie au hasard.

À Oakland en 2011, le black bloc vise la Bank of America pour dénoncer sa responsabilité dans la crise des subprimes.

SOURCES : 1. SELON FRANCIS DUPUIS-DÉRI. 2. ENTRETIENS MENÉS PAR CLÉMENT BARETTE, AUTEUR D’UNE ÉTUDE SUR LA PRATIQUE POLITIQUE DE L’ÉMEUTE.

À Strasbourg en 2009, un hôtel Ibis est incendié. Il servait de poste de surveillance pour les policiers.

Nike et Levi’s paient par des vitrines brisées les conditions de travail dans leurs ateliers.

Mais, parfois, le message se brouille. En 2014 à Nantes, une station de tram a été détruite. Le 1er mai 2018 à Paris, un fleuriste a vu ses pots utilisés comme projectiles.

Violence aveugle ou dérapages ? “Tous affirment choisir leurs cibles selon la charge symbolique qu’ils leur imputent. Presque tous insistent sur une éthique de la destruction2."

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“Il y a une gigantesque différence entre la violence envers des objets et celle envers des êtres humains”, expliquent des anarchistes québécois1.

“Nous attaquons des objets (…) mais nous considérons qu’un individu armuré, prêt à frapper car il en a reçu l’ordre, perd momentanément cette exception.” En Allemagne, Jonathan et ses acolytes n’ont pas apporté de “matériel offensif”:

Trop dangereux, mais des camarades làbas auront tout ce qu’il faut.

S’ils se veulent internationalistes, les black blocs ne forment pas pour autant un groupe structuré.

Un black bloc est d’abord un drapeau noir tissé de corps qui flotte au cœur d’une manifestation. L’objectif est d’indiquer la présence d’une critique radicale. Francis Dupuis-Déri, politologue.

SOURCES : 1. LE MANIFESTE DU CARRÉ NOIR. 2. AFP.

Pierre-Henry Brandet, alors porteparole du ministère de l’Intérieur, expliquait en 2014 avoir affaire à :

des groupes éphémères, dont l’objectif est de commettre des actions illégales, en formant une foule anonyme non identifiable. Ils s’habillent au dernier moment et changent de tenue une fois les exactions terminées2.

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