Le Festin #101 - La vie de châteaux

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PRINTEMP S 2017

n o 101

Bordeaux, l’étoilé du TOUTE LA

NOUVELLE-AQUITAINE EN REVUE

La vie de

châteaux

Roquetaillade Castelnaud Urtubie Castillon Villebois Lalande

&:HIMSKG=]VZUU]:?i@b@q@b@n

R 28068 - 101 - F : 15 €

Laàs

Prince Noir


Le château Malleret, à Cadaujac en Gironde.

Cl. Eugénie Baccot (Divergence)

En couverture : la Chambre Rose du château clémentin de Roquetaillade (33), restaurée par Viollet-le-Duc. Cl. Michel Dubau

Vernis :

Décor de l’escalier du donjon du château de Roquetaillade.

le festin bénéficie du soutien du CONSEIL RÉGIONAL NOUVELLE-AQUITAINE, de la DIRECTION RÉGIONALE DES AFFAIRES CULTURELLES NOUVELLE-AQUITAINE,

et du CONSEIL DÉPARTEMENTAL DE LA GIRONDE, du CONSEIL DÉPARTEMENTAL DES LANDES, du CONSEIL DÉPARTEMENTAL DES PYRÉNÉES-ATLANTIQUES, du CONSEIL DÉPARTEMENTAL DE LOT-ET-GARONNE, de la VILLE DE BORDEAUX, et du CONSEIL DÉPARTEMENTAL DE LA DORDOGNE.

Inclus avec ce numéro pour tous les abonnés livrés par courrier : le programme de l’association Tout Art Faire, une affiche 40 x 60 cm de la couverture et La Lettre des abonnés.

CHÂTEAUX DE L’ÂME

par XAVIER ROSAN

ÉDITO

L’homme d’affaires et ami des arts Norbert Fradin aurait pu être, il y a quelque cent ans, un des personnages de la vertigineuse ronde romanesque Vivastella récemment inventée par l’écrivain Yves Pourcher, et qui vient de paraître chez L’Éveilleur. Georges Dewalter1 des temps modernes – mais un Dewalter dont les illusions ne se seraient pas brisées contre le mur tragique de la fatalité –, il collectionne les châteaux (et les voitures aussi, d’ailleurs…) comme d’autres les dahlias ou les martingales, et se passionne d’histoire. Propriétaire du célèbre Prince Noir, à Lormont, manoir néo-gothique à la Jacques Demy qui accueille les automobilistes au débouché du pont d’Aquitaine, sur la rive droite de Bordeaux, il a dans son escarcelle quelques castels jadis dans le giron du pape Clément V ou celui, également de cachet médiéval, de VilleboisLavalette, au sud d’Angoulême, qu’il s’emploie à restaurer avec brio. Ce n’est donc pas un effet du hasard si Norbert Fradin – au demeurant un amoureux du patrimoine sous toutes ses formes – se trouve être « L’Invité » de ce n° 101 du festin. Visionnaire et mécène, il a fait d’un rêve d’enfant une réalité, redonnant vie à plusieurs de ces édifices prestigieux souvent tombés en déshérence, non pour les habiter lui-même, mais pour les ouvrir au public, en confiant la gestion à des associations qu’il accueille. Lire l’incommensurable histoire des châteaux, c’est, en France et en Europe, parcourir celle des hommes et leur évolution. Du castrum guerrier qui abritait naguère le seigneur et ses séides derrière de hauts murs, à couvert des forces hostiles mais aussi séparés du peuple paysan, le bâtiment est ensuite devenu civil, aristocratique, puis bourgeois, échangeant ses austères défenses pour des atours séduisants, parsemés à l’occasion de « folies » où l’on mène « la vie de château ». Puis la demeure du riche et du puissant, souvent au gré de quelques faillites ou partages, longtemps coupée du monde, s’est ouverte aux visiteurs et fait aujourd’hui volontiers le bonheur des touristes (y compris… le palais de l’Élysée, communément appelé « le Château », sans doute pour son côté parfois un peu… kafkaïen). Le succès de séries télévisées comme Game of Thrones ou The Crown confirme l’ancrage très fort de ces architectures d’un autre temps dans l’imaginaire collectif, à l’heure du tout virtuel. La Nouvelle-Aquitaine, cousine de cœur d’Albion par la grâce de la reine Aliénor, regorge de ces castels, manoirs et autres maisons de maîtres ou de plaisance, sans parler des fameux « châteaux » viticoles du Bordelais où le terme fut habilement repris au xixe siècle dans le cadre d’une « communication » avant l’heure, quasiment thaumaturgique, pour désigner les plus rémunératrices des exploitations viticoles. Nous en avons retenu quelques-uns, de Charentes en Pyrénées, d’Atlantique aux marches du Quercy, pour leur puissance narrative et esthétique propre à enrichir nos connaissances et, partant, à poursuivre le songe (au bois dormant) de « châteaux en Espagne » que chacun porte quelque part en soi.

# 101 PRINTEMPS 2017

1. Le héros de L’Homme à l’Hispano, de Pierre Frondaie, également réédité par L’Éveilleur.

Nos livres et hors-série à retrouver en kiosque, en librairie et sur lefestin.net

Voir notre offre hors série p. 128

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78

SOMMAIRE # 101 PRINTEMPS 2017

40

\\ ÉCHAPPÉES 38

\ FEUILLETAGE

40 CHÂTEAUX CLÉMENTINS LE POUVOIR D’UN PAPE

48

8 EXPOSITIONS

54

14 ŒUVRES EN STOCK

18 QUESTIONNAIRE E Fabien Pédelaborde

60

20 LES CARNETS DE L’INVENTAIRE Cl. Michel Dubau / Cl. Émilie Dubrul / Cl. Jonathan Barbot / Cl. Jérémie Buchholtz / © Elsa Martin / © Futuropolis - Thierry Murat

VILLEBOIS-LAVALETTE 1 000 ANS, 1 000 VIES

92

26 ARCHITECTURES

66

28 TÊTES À TÊTES

72

32

BEAULON DE SEIGNEURS EN VIGNERONS

Enquête 100 CASTELNAUD DU RÊVE MÉDIÉVAL À LA RÉALITÉ MODERNE par Xavier Pagazani Dordogne

\\\ DÉTOURS

CASTILLON HEURS ET MALHEURS DU CAPITAINE FRACASSE

108 L’ESPRIT DU LIEU

par Serge Airoldi Landes

30 L’UNIVERS DU FESTIN 32 L’INVITÉ Norbert Fradin

POUDENAS UN AIR D’ITALIE EN ALBRET

par Yannis Suire Charente-Maritime

22 MONUMENTS D’AQUITAINE 24 L’EXPLORATEUR MÉTROPOLITAIN

URTUBIE ÉLOGE DE LA CONTINUITÉ par Benoît Manauté Pays basque

par Alain Beschi Lot-et-Garonne

16 LIVRES

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par Christophe Salet Béarn

par Serge Sanchez Charente

11 ÉCRAN TOTAL 12 SCÈNES

84 LAÀS LE JOYAU DE LA PRINCIPAUTÉ

par Philippe Durand Gironde

4 TEMPS FORTS 6 CARTE D’IDENTITÉ

100

GLOSSAIRE

111 DANS L’ATELIER Martial Raysse

MALLERET CHÂTELAIN, MODE D’EMPLOI par Ariane Puccini Gironde

Cabinet de curiosités 78 LALANDE LES GOÛTS ET LES COULEURS par Clair Morizet Lot-et-Garonne

116 SECRETS DE CUISINE 120 BULLES DE SALON 123 GRAPHISME 125 HUMOUR

111

120

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/ Feuilletage

TEMPS FORTS

BORDEAUX

Aperçu des salles consacrées au xixe siècle.

30 ANS DU MUSÉE D’AQUITAINE D’ICI ET D’AILLEURS Depuis son installation en 1987 dans l’ancienne faculté des sciences et lettres, l’établissement a enrichi sa vocation patrimoniale et régionale d’une généreuse ouverture sur le monde contemporain.

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de Bordeaux se révèlent au prisme de ses habitants venus du monde entier. Le musée accueille également, le 12 mai, les 6e Rencontres Atlantiques, colloque international biennal inscrit dans le cadre de la commémoration de l’abolition de l’esclavage – il est, cette année, question des rapports de l’art contemporain vis-à-vis des traites transatlantiques –, ainsi que le lancement de journées d’études sur le thème des « Passages et Frontières en Aquitaine : lieux de transit et expériences migratoires » (8 et 9 juin). Depuis 2009, le musée d’Aquitaine met en exergue les relations que Bordeaux a entretenues tant avec son arrière-pays qu’avec le monde. Après les xviiie et xixe siècles, place, au printemps 2018, au rôle de la ville au xxe siècle. En outre, le déploiement d’installations numériques interactives se généralise d’expositions en expositions (casques de réalité virtuelle, bornes tactiles, atlas interactifs…). L’établissement célébrera, comme il se doit, son trentenaire le 20 mai, à l’occasion de la Nuit des musées. • TALINE OUNDJIAN

© Mairie de Bordeaux – Cl. Lysiane Gauthier

Pour son anniversaire, le musée d’Aquitaine s’est offert un cadeau atypique : la rénovation du cénotaphe de Michel de Montaigne. La collecte qui a recueilli 24 000 € provenant de 280 donateurs permettra de réhabiliter ce précieux trésor, et ce dès septembre 2017. À l’heure de fêter 30 ans d’existence, le projet dégage une forte

symbolique, le bâtiment du cours Pasteur se trouvant à l’emplacement où fut enterré le philosophe et ancien maire de Bordeaux, en 1592. Quand il rejoint le site en 1987, près de 25 ans après sa création officielle et un long séjour dans une aile du musée des beaux-arts, l’établissement renforce ses collections dédiées à la découverte des cultures régionales, suivant le projet initial de Georges Henri Rivière qui l’inscrivit en 1960 dans un réseau muséal d’histoire, d’archéologie et d’ethnologie. Désormais défini tant comme un musée de « patrimoine » que de « civilisation », il s’est saisi d’enjeux contemporains, tels que les flux migratoires, la mondialisation et ses questionnements identitaires. La programmation 2017 ne dévie pas de cette ligne. Le 30 avril s’achèvent deux expositions, « Tromelin l’île des esclaves oubliés » – à propos de l’incroyable naufrage de 160 esclaves malgaches, oubliés pendant 15 ans sur une île déserte – et « Vous me voyez ? De Ouaga à New York. Nouveaux regards sur Saint-Michel », où les mutations de ce quartier cosmopolite emblématique

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Feuilletage /

LA ROCHELLE

« Nous avons fait la Delmas  » Jusqu’en octobre, Musée maritime de La Rochelle. museemaritimelarochelle.fr

« Nous avons fait la Delmas »

150 ans après sa création, la compagnie maritime Delmas-Vieljeux, spécialisée dans le transport depuis et vers l’Afrique, représente une aventure commerciale indissociable du développement de La Rochelle. En découle une exposition en forme de récit élaboré grâce à un travail scientifique minutieux, enrichi d’une belle contribution citoyenne où la famille Delmas, les habitants et divers musées de la ville ont apporté leurs témoignages, photos, lettres et objets, conférant au projet une forte empreinte collective.

Le Saut du Lapin, œuvre mobile de l’artiste Anne-Marie Durou.

GIRONDE

NOMADE EN ESTUAIRE Affiche de la société navale DelmasVieljeux, 1950-1960.

Développé par l’artiste Anne-Marie Durou en co-construction avec les services de l’Éducation nationale du Département, « De grotte en estuaire : les figures du belvédère » « De grotte en estuaire : les figures est un programme itinérant associant 6 villes de du belvédère » Haute-Gironde. Celles-ci accueillent des œuvres Jusqu’en juin Bourg-sur-Gironde, contemporaines entre figuration et abstraction qui, Tauriac, Mombrier, Samonac, Saintd’un abord complexe, sont à admirer avec ouverture Trojan et Pugnac. d’esprit… comme depuis un belvédère. Supports de lagence-creative.com cette mobilité, les « Tinbox » développées par l’Agence Créative sont des « galeries-œuvres d’art » pensées pour trouver place au sein de territoires peu équipés.

© Delmas-Vieljeux / Cl. Delphine Gouzille / © Jacques Julien / © Successió Miró, Adagp, Paris, Cl. Centre Pompidou, MNAM-CCI, Jacques Faujour, Dist. RMN-GP

NOUVELLE-AQUITAINE

Nuage en herbe, Jacques Julien, 2008, exposition « Le sport est un art ! », Centre d’art contemporain, Meymac (19 mars au 25 juin).

Centre Pompidou pour tous centrepompidou40ans.fr Le Centre Pompidou fête ses 40 ans et la Nouvelle-Aquitaine est sur la liste des invités. Le directeur de l’institution, Serge Lasvignes, a ainsi souhaité que l’événement rayonne dans 40 villes françaises. À voir dans la région :

« Nos identités visuelles ParisBordeaux / Bordeaux-Paris » Un hommage aux designers à l’origine des créations graphiques du CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux et du Centre Pompidou.

CORRÈZE

CULTURE PHYSIQUE Les Printemps de Haute-Corrèze s’emparent d’année en année de thèmes hétéroclites : le Japon, l’eau, le cinéma… Place ici au sport, envisagé selon une déclinaison de points de vue artistiques, littéraires, historiques ou patrimoniaux. Une exploration qui mise sur le ludique via des expositions, des conférences, des ateliers, des spectacles et… des randonnées pensées pour ouvrir l’esprit sur des sujets variés. Le festival, initié par le Centre d’art contemporain de Meymac en 2004, a lieu « Vivre le sport ! » 10 semaines Du 8 avril au 17 juin, a Bugeat, Darnets, Égletons, durant à Lapleau, Marcillac-la-Croisille, Meymac, Neuvic, Ussel. travers tout printemps-hautecorreze.blogspot.fr le territoire.

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« Typoéticatrac – Les mots pour le faire » Entre création typographique, visuelle et sonore, une exposition du designer graphique Pierre di Sciullo produite au Bel Ordinaire, soutenue par le Centre Pompidou.

Du 28 juin au 31 décembre, CAPC musée d’art contemporain, Bordeaux

Les Grands Spectacle de Fanny de Chaillé Trois enfants, trois adolescents et trois adultes jouent trois âges de la vie de trois personnages. 16 et 17 mars, Carré-Colonnes, scène cosmopolitaine, Blanquefort (33)

« Joan Miró – Entre âge de pierre et enfance » Une réflexion libre et audacieuse sur le geste graphique, la forme créée de la main de l’homme, qu’il soit naïf comme celui de l’enfant, ou brut comme celui des premiers hommes.

Du 26 avril au 1er juillet, Le Bel Ordinaire, espace d’art contemporain, Billère (64)

« Claude Closky – Les publications » Un corpus prolifique inscrit dans l’histoire de cette forme d’édition apparue au début des années 1960 et que l’on nomme désormais « livre d’artiste ». Du 24 juin au 16 septembre, centre des livres d’Artistes, SaintYrieix-La-Perche (87) Joan Miró, Personnage et oiseaux, 1969, encre de Chine et gouache sur plusieurs papiers et cartons contrecollés, 53 x 53,5 cm. À voir à la Chapelle du Carmel, à Libourne (13 mai-19 août).

Du 13 mai au 19 août, Chapelle du Carmel, musée des beaux-arts de Libourne (33)

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/ Feuilletage

CARTE D’IDENTITÉ

Présentation graphique et chiffrée d’un événement, d’un lieu, d’un thème ou d’une institution culturelle.

par TALINE OUNDJIAN

CHÂTEAUX

DE NOUVELLE-AQUITAINE

987

châteaux protégés au titre des Monuments historique

Charentes

+

157

en Limousin

235 801 visiteurs

3/4 sont ouverts au public Loi Monuments historiques Les charges de restauration et d’entretien ainsi que les intérêts d’emprunts liés à l’acquisition du foncier et aux travaux sont déductibles à 100 % des revenus fonciers à condition de : > conserver le bien pendant 15 ans > l’ouvrir au public entre 40 et 50 jours/an En France, 5

Castelnaud 140 000 Le château de Beynac a servi de décor à 9 blockbusters, parmi eux Jeanne d’Arc de Luc Besson, Les Visiteurs 2 de Jean-Marie Poiré, Le Chocolat avec Juliette Binoche et Johnny Depp de Lasse Hallström

98 268

visiteurs

visiteurs

Beynac

Les Milandes

193

châteaux en Dordogne

dont les plus visités de la région

000

sur 6 540 châteaux classés sont entre les mains de propriétaires privés.

La route Richard Cœur de Lion Haute-Vienne (87)

Rochebrune

19 sites à visiter dont 12 CHÂTEAUX

Limoges

180 KM DE ROUTE

10 châteaux labellisés Maison des Illustres

Les Salles Lavauguyon

Rochechouart Châlucet

en Nouvelle-Aquitaine Ce label, créé par le ministère de la Culture en 2011, signale au public les lieux où d’illustres personnages ont vécu. Ils abritent diverses manifestations culturelles. Parmi leurs habitants : Joséphine Baker (Les Milandes, 24) Montesquieu (La Brède, 33) La Rochefoucauld (Verteuil, 16) Toulouse-Lautrec (Malromé, 33)

Solignac

Brie

ChâlusChabrol

ChâlusMaulmont Montbrun Le Chalard

Jumilhacle-Grand

Les Cars Lastours Nexon CoussacBonneval

Saint-Yrieix

Ségurle-Château

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Arnac Pompadour

Sources : Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. Base de données Mérimée – culture.gouv.fr / Région Nouvelle-Aquitaine, chiffres clés – nouvelle-aquitaine.fr / culture.fr / tourisme-hautevienne.com / nouvelobs.com, 2011 / Photos : D. R.

+ 330 500 en Aquitaine en Poitou-

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/ Feuilletage

EXPOS

Bawon Samdi et Manman Brigit, L’Esprit des morts et son épouse selon 5 William Adjété Wilson.

1 Constant Duval, Le Pavillon Royal, près de Biarritz.

Jean-Christophe Garcia, 4 Stilleben 02B, impression jet d’encre, 150 x 188 cm.

NONTRON

LIMOGES

1 Cin’espaces

2 Ateliers d’art de France

3 Musées

En Nouvelle-Aquitaine, c’est le Pôle expérimental des métiers d’art qu’a choisi Ateliers d’art de France pour l’exposition en région de son traditionnel concours annuel. Cette vitrine des métiers d’art est composée par un jury de professionnels, qui étudie près de 350 candidatures chaque année. Un vaste panel de créations à découvrir dès le 22 mars, date du vernissage et de la remise du prix régional.

L’alliance entre le FRAC-Arthothèque du Limousin et le FRAC Centre-Val de Loire – reconnu internationalement pour son intérêt en architecture expérimentale – met l’art mobile à l’honneur. La reproduction de l’œuvre et son caractère nomade marquent la réflexion des artistes exposés, qui s’envisagent comme affranchis du dilemme extramuros/intra-muros. Ils proposent des œuvres en déplacement, où l’artiste est un conservateur muséal mobile, à la façon de Marcel Duchamp et sa Boîte en valise.

7e

Pour sa édition, Cin’espaces prend pour thème la villégiature, cette année en deux temps et deux lieux. Après Pau « la climatique » en février, place à Biarritz « la balnéaire ». Créé par le CAUE 64, le festival questionne l’architecture et le paysage au prisme du cinéma et de l’image, proposant films, documentaires, conférences, balades architecturales et expositions. Du 24 au 26 mars Médiathèque, expositions : « Portraits de jardins » « Villas et jardins de la côte basque » 2, rue AmbroiseParé Cinéma Le Royal : Coco avant Chanel ; Louise en hiver ; La Cité du soleil 8, avenue Foch T. 05 59 84 53 66 caue64.fr

8

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Du 25 mars au 29 avril Pôle expérimental des métiers d’art Château, avenue du GénéralLeclerc T. 05 53 60 74 17 metiersdartperigord.fr

2

Fabrice Lebar, L’Apprenti, lauréat NouvelleAquitaine du concours régional Ateliers d’art de France 2016.

sans gravité

Jusqu’au 20 mai FRAC-Arthothèque du Limousin Site Coopérateurs - espace d’exposition Impasse des Charentes T. 05 55 77 08 98 fracartothequelimousin.fr

BORDEAUX

4 La vie

silencieuse (Stilleben)

Jean-Christophe Garcia, artiste photographe, nous propose une relecture du genre de la nature morte. Choisissant des éléments lambdas qu’il trouve dans un appartement, neutres tant dans leur histoire que dans leur forme, saisis dans leur « manifestation anonyme », il les dispose ensuite à l’extrémité d’une table. S’en dégage une présence immédiate et silencieuse de l’un à l’autre. Il en retient une pause, un arrêt à envisager comme une rupture, ayant pour seule fin la réalisation d’une image photographique. Du 4 au 27 mai Galerie Arrêt sur l’Image 45, cours du Médoc T. 05 35 40 11 05 arretsurlimage.com

LA ROCHELLE

5 Haïti

en « drapôs » Au musée du Nouveau Monde, l’artiste francotongolais William Ajété Wilson présente, aux côtés d’« objetsassemblages magiques », une série de 25 tentures, appelées « drapôs », qui renouvellent un artisanat ancien issu de la culture vaudou. Constituées de milliers de paillettes et perles de verre, elles représentent les temps forts du pays, telle la « nuit du Bois Caïman » (1791), révolte des esclaves qui déclencha le mouvement vers l’indépendance du pays (1804). « Haïti, une île sous le vent de l’Histoire » Jusqu’au 29 mai 2017 Musée du Nouveau Monde 10, rue Fleuriau T. 05 46 41 46 50 ville-larochelle.fr

© Département des Pyrénées-Atlantiques – Archives départementales – 7 Fi 488 / © William A. Wilson / © Jean-Christophe Garcia / © Fabrice Lebar

BIARRITZ

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Feuilletage /

Gérard Sendrey, Man and animal, 1993, dessin, mise en couleurs au feutre Posca, papier rigide, 32 x 24 cm.

6

8 Charles Camoin, La petite Lina, 1907, huile sur toile, 66 x 55 cm, Marseille, musée Cantini.

9

© Gérard Sendrey / © ADAGP, Paris 2016 – Cl. Claude Almodovar et Michel Vialle / © Organ Skateboard - Samuël Levy - Lister - Birdeline - Osmoz & Colors

Planches de skate customisées par Samuël Levy, Lister, Birdeline, Osmoz & Colors.

MARMANDE

6 Gérard

Sendrey Rétrospective La Galerie Égrégore explore, pour la première fois, « l’art singulier ». Gérard Sendrey est une figure de proue du mouvement : en témoigne le musée de la Création Franche à Bègles, dont il est le fondateur. Une rétrospective de 300 œuvres lui est ici consacrée, représentative d’une métaphysique de l’humain, réflexion menée à travers des supports et matières éclectiques. À voir en parallèle, le travail de Marie-Laurence de Chauvigny, artiste peintre des sentiments et de l’intensité de la nature. Du 9 avril au 11 juin Galerie Égrégore 92, boulevard Meyniel T. 06 09 05 83 80 galerie-egregore.com

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MONT-DE-MARSAN

PÉRIGUEUX

7 Atelier Kretz

9 Art On Board

Ces dernières années, le Musée Despiau-Wlérick a ouvert sa collection à des artistes phares de la 2e moitié du xxe siècle, dont le fonds d’atelier de Léopold Kretz, en 2008. Membre du « Groupe des Neuf » – sculpteurs des années 1960 défendant fermement la sculpture figurative –, la force de son travail de portraitiste s’affirme à travers une technique variée. En témoignent les 150 pièces mises en lumières et récemment restaurées ainsi que ses dessins qui illustrent la richesse de son travail en atelier. « Léopold Kretz – dessins d’ateliers » Jusqu’au 15 avril « Sculptures restaurées de l’atelier Kretz » Jusqu’au 18 juin Musée Despiau-Wlérick 6, place Marguerite-de-Navarre T. 05 58 75 00 45 montdemarsan.fr

BORDEAUX

8 Bistrot ! La Cité du Vin nous emporte dans les cafés et les bistrots, sous le regard d’artistes de tous bords, du xviiie siècle à nos jours : Charles Baudelaire, Louis Aragon, Robert Doisneau, Pablo Picasso, Otto Dix, Patti Smith, Toulouse-Lautrec et bien d’autres. Une variété de supports et de mouvements artistiques réunis une centaine d’œuvres explorant ces lieux de convivialité, aussi bien réceptacles de solitude que de séduction et d’humanité. « Bistrot ! De Baudelaire à Picasso » Jusqu’au 21 juin Cité du Vin 134, quai de Bacalan T. 05 56 16 20 20 laciteduvin.com

Dans le cadre du festival Urbanoïd organisé par l’association All Board Family, le skateboard remplace la toile. À l’origine, il y eut Organ Skateboard, une petite entreprise qui met le recyclage au centre de ses démarches. De là vint l’idée à son créateur, Maxime Cœur, de réparer des planches à roulettes usées et de les envoyer à des artistes du monde entier. De chacune d’entre elle jaillit une expressivité forte, à travers des textures traditionnelles (gouache, gravure, encre de chine) ou contemporaines (feutres Posca, stylo à bille, impression argentique). Jusqu’au 25 juin L’appArt, galerie associative 10, rue Arago T. 06 88 59 36 60 galerie-appart.org

PAU

10 Trésors princiers La Réunion des musées nationaux-Grand Palais (RMN-GP) ouvre sa cave aux trésors : orfèvrerie, bijoux… de nombreux joyaux nous proviennent de la couronne de Navarre, dont la Maison d’Albret hérita en même temps que du royaume, permettant l’enrichissement notable des collections royales françaises. Pour la première fois depuis 500 ans, le château de Pau et sa cour d’honneur récemment rénovée recueillent ces merveilles en leur sein, dans une cohérence toute princière. Du 7 avril au 9 juillet « Trésors princiers : Richesses de la cour de Navarre au xvie siècle » Musée national et domaine du château 2, rue du Château T. 05 59 82 38 00 chateau-pau.fr

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/ Feuilletage

À VOIR ÉGALEMENT Les quartiers de roture de René Tastet Issu de l’École des beaux-arts, René Tastet (1907-1998) a participé à la fondation de la Société des peintres indépendants bordelais. Des « quatre mousquetaires » qu’il formait avec Boissonnet, Belaubre, Pargade, il était celui qui écoutait et parlait peu. Néanmoins, ses œuvres d’avant-guerre témoignent de son engagement dans la peinture. Comme ses aînés parcourant la banlieue parisienne, René Tastet parcourt les rues de Bordeaux, dans le même abandon et le retrait de lui-même. Il cherche quelque chose de jamais peint, une perspective, un angle découvert, un hangar déserté, autant de moments de la ville jamais sollicités et dont seul le peintre, à l’abri, pouvait témoigner, au cœur d’un espace où une lumière tremblante affleurait la pierre nue. C’est le Bordeaux de Jean Forton, celui des terrains vagues, des rues étroites, des carrefours vides, des silhouettes qui filent. Une œuvre rare, méconnue, qui a parcouru tout un siècle sans jamais rien perdre de son acuité. FG Exposition à la Galerie Guyenne Art Gascogne (32, rue Fondaudège à Bordeaux) du 18 mars au 29 avril. Présentation du catalogue de l’exposition par Françoise Garcia le 1er avril à 17 h. René Tastet, Pissotière à l’angle de la rue Mouneyra et de l’avenue de la Libération à Bordeaux, 1928, 46 x 61 cm.

Do you think it’s alright ?

JOFO, Hey Man, 2017, acrylique/carton, 2 x 2 m.

Vingt ans après sa 1re exposition au centre Raymond Farbos en 1997, JOFO réinvestit les lieux avec une exposition composée d’une sélection d’œuvres réalisées ces 6 dernières années. À travers son éternel héros TOTO, petit personnage rond aux yeux toujours éberlués, JOFO interroge, de son habituel trait « enfantin », l’absurdité d’un monde tournant de moins en moins rond. Dans ses dernières peintures, l’univers malicieux et enchanteur que nous connaissons bien se teinte parfois d’une agitation et d’une gravité nouvelles. Du 12 avril au 28 mai au Centre d’art contemporain Raymond Farbos 1, rue Saint-Vincent-de-Paul, Mont-de-Marsan

DISPARITIONS CLAUDE BELLAN

Son œuvre, ainsi que celle de son épouse, Herta Lebck (1934-2010), est représentée par la galerie Guyenne Art Gascogne. Voir le site : claudeetherta.com

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DANIÈLE MARTINEZ C’était à la fin de l’été 2015. Danièle Martinez envisageait de prendre sa retraite. Cela me semblait tellement incongru ! Comment imaginer la base sous-marine sans sa silhouette omniprésente, des bureaux Danièle Martinez perchés sur le toit aux couloirs labyrinthiques du et Paco Ibañez, lors d’un concert donné à mastodonte édifié par les Allemands pendant la la base sous-marine en 2011. guerre. De cet espace quelque peu relégué, elle a su tirer le meilleur et, sous son impulsion, la « Base » est devenue l’un des pôles culturels majeurs de Bordeaux – qu’elle menait d’ailleurs avec une énergie à la mesure de sa passion pour les artistes et d’une exigence à toute épreuve. J’appréciais sa vaste culture, sa sensibilité, confortées par une longue complicité avec les écrivains, venus en nombre au mythique Salon du Livre qu’elle avait créé puis dirigé, de 1986 à 1999. Je dois à Danièle, au cours des 22 années de notre collaboration, d’avoir pu rencontrer de grands artistes, d’approcher au plus près leur univers, leur regard, leur langage. De Bernard Plossu à Georges Rousse, de Sabine Weiss à Jeannette Leroy… la liste est longue de ceux qui ont pu trouver dans la base sous-marine un écrin exceptionnel à leurs œuvres. Danièle Martinez leur apportait son talent d’orfèvre pour ciseler des mises en scènes audacieuses, inventives, toujours adaptées à la démesure des lieux. Merci chère Danièle. VÉRONIQUE SCHILTZ, graphiste

© JOFO / Cl. Michel Dubau / © René Tastet / D.R.

Claude Bellan s’est lancé à vif dans l’aventure de l’art. Sans formation artistique, il expose dès l’âge de vingt ans, en 1953, aux côtés de ses amis Philippe Conord (décédé l’année dernière), Jacques Cohr ou Henriette Lambert, au sein de l’éphémère groupe Sève. Il se rallie plus tard au collectif Regard, auprès de ses aînés Jac Belaubre, Edmond Boissonnet ou Henriette Bounin, inscrits dans une tendance figurative et plus conforme aux Indépendants bordelais de la première heure. Toute sa vie fidèle à la figuration, il s’engage dans Claude Bellan, Autoportrait. une voie personnelle expressive, souvent violente, qui s’accomplit dans des séries thématiques (autoportraits, couples enlacés, tauromachies, crucifixions) témoignant d’un même combat métaphorique, celui du peintre face à la peinture. Victime, il y a une dizaine d’années, d’un accident vasculaire qui le rendit hémiplégique, il engagea une lutte contre la maladie, recouvrant peu à peu toutes ses facultés, entamant une nouvelle étape de sa création. Il y a trouvé une liberté « qu’il n’avait jamais connue auparavant », note l’écrivain François Garcia : « Les couleurs flamboyantes, parfois, vives, acides, inconnues chez lui, jaillissent souvent des toiles aux thèmes nouveaux, aux interrogations différentes où des formes inusitées viennent s’allier à des teintes nouvelles. » Claude Bellan s’est éteint le 5 février.

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Feuilletage /

ÉCRAN TOTAL

Au fond du Bassin Les hippocampes sont les personnages principaux d’un documentaire de 52 min consacré à la vie aquatique du Bassin d’Arcachon, réalisé par Arnaud Nadau, biologiste et plongeur passionné. Le film est disponible en DVD et en téléchargement sur le site du réalisateur.

Coups d’œil sur la production audiovisuelle en Nouvelle-Aquitaine.

Deux doris cantabriques (sortes de limaces de mer), dont l’un en pleine ponte, saisis au Cap-Ferret vers 10 m de profondeur.

chevaldubassin.fr

Tiers-lieu numérique Entièrement dédié au numérique, Cobalt a ouvert ses portes à Poitiers (87) en décembre. La dénomination désigne tout à la fois un collectif et un lieu, regroupant sur 850 m2 différents espaces dédiés aux professionnels engagés dans l’innovation, mais aussi au public : conférences, ateliers et expositions sont proposés en accès libre.

Cl. Arnaud Nadau / © Mémoire de blues - Coll. Jacques Morgantini / © Polaris Film Production – Cl. Alberto Bocosgil

5, rue Victor-Hugo, Poitiers 27balt.tumblr.com

Tout pour tourner Intrusion à 360° Quand une forme d’intelligence artificielle tente de s’emparer du subsconscient d’un homme enrôlé pour une étude sur les rêves : tourné en Charente en décembre et produit par Arte, le court-métrage d’anticipation à 360° et en relief, Altération, propose une expérience immersive où le trouble est garanti.

Le Studio 400, premier grand studio de cinéma professionnel de la région, a été officiellement inauguré en décembre par TSF Studios à Bègles (33), parachevant l’édification d’un pôle dédié à l’image aux Terres-Neuves. Le site était déjà partiellement utilisé depuis 2013 par la minisérie Vestiaires diffusée sur France 2 ; le plateau de 400 m2 est désormais entièrement équipé pour le cinéma, la télévision, les clips musicaux, la publicité et la photographie. TSF Aquitaine 5-10, rue des Terres-Neuves, Bègles tsf.fr

Diffusion au printemps sites.arte.tv/360/fr

De Dakar à Périgueux Le 19 avril sort sur les écrans Cessez-le-feu d’Emmanuel Courcol, avec Romain Duris dans le rôle principal. L’acteur campe Georges, de retour à Périgueux après avoir vécu en Afrique pour fuir les souvenirs de la guerre de 1914-1918. Il y retrouve son frère Marcel (Grégory Gabedois, de la ComédieFrançaise), un invalide de guerre devenu sourd, et rencontre alors Hélène, une professeure de langue des signes incarnée par l’actrice bordelaise Céline Sallette. Filmé en 2015 entre le Burkina Faso, le Sénégal, la Dordogne et la Charente, le long métrage a été présenté lors du Festival du film de Sarlat et sélectionné pour le Festival du film francophone Céline Sallette et Romain Duris dans Cessez-le-feu. d’Angoulême en 2016.

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Aux sources du Blues

Le Béarnais Jacques Morgantini (à gauche) avec Big Bill Broonzy en 1951, à Gan. Image extraite du documentaire Mémoire de blues.

Fondateur de la section de Pau du Hot Club de France en 1945, Jacques Morgantini, passionné de « musique du diable », va attirer en Béarn le gratin du blues américain, de Muddy Waters à John Lee Hooker en passant par T-Bone Walker ou Buddy Guy. Le documentaire Mémoire de blues de Jacques Gasser réunit, sur deux DVD, photos et films d’archive rares et musiques inédites, captés entre Gan (64) – où les époux Morgantini recevaient les plus grands du genre –, Bayonne, Biarritz et Chicago. memoiredeblues.org

Vingt ans de courts Le Festival européen du court-métrage de Bordeaux fête sa 20e édition les 29, 30 et 31 mars à l’UGC Ciné Cité. Organisé depuis 1997 par l’association étudiante « Extérieur Nuit » (Kedge Business School), il est désormais le 2e événement de référence en France, après Clermont-Ferrand. Parmi plus de 1 200 films venus de toute l’Europe, 25 ont été sélectionnés pour concourir dans 3 catégories : « officielle », « animation » et « talent aquitain ». Les délibérations sont menées par un jury de professionnels – Fabrice Luchini était le parrain de l’édition 2016 – et d’étudiants. Angoulême met également le genre à l’honneur avec son 14e Festival du film court, du 6 au 8 avril et ses 3 compétitions : films d’école, films indépendants et films de la région Nouvelle-Aquitaine. festivalcourtmetragebordeaux.com filmcourtangouleme.com

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/ Feuilletage

SCÈNES 10

En partenariat avec l’Office artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine. Nous tenons à rendre hommage à Serge Trouillet, fondateur de l’OARA, décédé le 3 janvier 2017.

BOULAZAC

MONT-DE-MARSAN

3 Natanaël

1  Que Vola ? Fidel Fourneyron est jeune et talentueux. Originaire des Landes où il a fait ses premières gammes au trombone, il est rapidement devenu incontournable de la scène jazz européenne. Il revient au « pays » avec trois étoiles montantes de la rumba cubaine qui occupent la scène avec 6 musiciens de sa génération… et lui-même en guest star. Percussions, cuivres, batterie, une rumba assurément endiablée ! 18 mars Théâtre Le Molière marsancultures.fr À voir également à Simorre (32) le 19/03, Pantin le 23/03 (dans le cadre du festival Banlieues Bleues), Romans-sur-Isère (26) le 1/04, Vanves (92) le 20/05

LIBOURNE

2 Éther Dans ce solo chorégraphique immersif à la jonction entre la danse et les arts visuels qu’elle interprète magistralement, Carole Vergne ouvre un espace où le dessin du corps dialogue avec les projections vidéographiques, la lumière et le son. Magnétique, cette expérience prend la forme d’un western moderne. Les errances lumineuses de ce corps en mouvement ont la force éprouvante des chemins tortueux qu’empruntent aujourd’hui des milliers de migrants. 21 mars Théâtre Liburnia ville-libourne.fr

Reconnus pour leurs remarquables interventions artistiques dans l’espace public, les ingénieux créateurs du collectif Opéra Pagaï savent aussi s’adresser spécifiquement au jeune public. Après avoir initié au rock des milliers d’enfants avec High Dolls, ils ont confié à Diego Sinibaldi, âgé de 9 ans, l’écriture d’une histoire pour marionnettes et autres objets issus du bric-à-brac de l’enfance. Chevaliers, pirates, dinosaures et vaisseaux sont les héros de cette épopée ludique et onirique qui s’illumine des perles philosophiques et autres bourdes syntaxiques du jeune auteur. 30 et 31 mars L’Agora agora-boulazac.fr À voir aussi à Terrasson-Lavilledieu (24) les 2 & 3/04, Bègles (33) les 7 & 8/04

À voir aussi à Cognac (16) le 23/03 (dans le cadre de Mars Planète Danse), Limoges (87) le 4/05, Bergerac (24) le 11/05, Brive (19) le 23/05 (dans le cadre de Danse en Mai)

Les membres du Collectif La Grosse Situation interrogent notre rapport à la terre.

Le tromboniste Fidel Fourneyron dans les Landes pour un show de rumba.

BLANQUEFORT

5 France Profonde RENNES

Arrivée de la LGV à Bordeaux oblige, Cécile Léna a décidé de créer un spectacle qui permet à des voyageursspectateurs de s’installer dans un compartiment d’antan reconstitué et de vivre une singulière expérience en voyageant virtuellement. Par la fenêtre le paysage défile, un téléphone sonne, l’histoire commence. Pas besoin d’aller vite, d’aller loin, pour activer l’imaginaire ! Avant Bordeaux, c’est Rennes qui fêtera sa LGV avec cette singulière création. 2 avril au 3 septembre Les Champs Libres leschampslibres.fr À voir dans la métropole bordelaise à l’automne 2017

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Infatigables baroudeuses, les Indiana Jones au féminin du collectif La Grosse Situation deviennent laboureuses avec cette nouvelle création qui interroge nos liens à la terre. Après avoir « carotté » au Salon de l’Agriculture à Paris, à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, en Creuse et dans les hauts de l’île de La Réunion, ces aventurières du quotidien nous invitent à creuser ensemble le sillon des origines d’une terre qu’on cultive, qu’on habite, qu’on quitte, qu’on pollue, qu’on aime, qu’on rêve… 10 au 14 avril La Vacherie carrecolonnes.fr À voir en amont à Octon (34) les 18 & 19 mars (création), Cdc Lodévois-et-Larzac (34) le 31/03, Saint-Martin-deLondres (34) le 2/04

1 Cl. Simon Lambert / 4 Cl. Cécile Léna / 5 © La Grosse Situation

4 Free Ticket, kilomètre Zéro

À l’occasion de la venue de la LGV, un spectacle… dans un ancien compartiment de train. Première halte à Rennes (pour les voyageurs invétérés) avant de parvenir en Gironde, à l’automne.

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Feuilletage / MARMANDE

8 The Elephant in the Room

NÉRAC

6 Allez, Ollie… à l’eau ! Avec son premier spectacle jeune public, la Rochelaise Odile Grosset-Grange a séduit les spectateurs en culotte courte et leurs grands-parents. Ancienne championne de natation, Mamie Olive va aider son petit-fils Ollie à affronter sa peur de l’eau, mais aussi celle des autres et de la nouveauté. Grâce à une mise en scène astucieuse de ce texte de l’auteur britannique Mike Kenny, elle livre un spectacle joyeux, profond, qui rappelle que dans la vie, comme aux J.O., le plus important n’est pas de gagner mais de participer. 12 avril Espace d’Albret nerac.fr

BOULAZAC

7 Vanavara Le collectif circassien néo-aquitain AOC a été choisi pour mettre en piste le spectacle de fin d’études de la 28e promotion du Centre national des arts du cirque. Diplômés de la 11e promotion, Gaëtan Levêque, Marlène Rubinelli-Giordano et Chloé Duvauchel ont relevé le défi avec brio. Ils ont révélé au mieux l’énergie sauvage, la grâce juvénile et la virtuosité des 15 interprètes qui excellent dans toutes les disciplines. Après une série de représentations remarquées à Paris, le spectacle est assuré d’un accueil chaleureux à Boulazac où est implanté le collectif AOC.

Après avoir joué pour de nombreuses compagnies dans le monde, 4 circassiens talentueux ont élu domicile dans les Landes et ont décidé de créer leur propre spectacle. Coup d’essai, coup de maître pour le cirque Le Roux qui vous entraîne dans un salon fumoir des années 1930 où intrigues, performances physiques et ambiance des films noirs hollywoodiens se taillent la part belle. Une comédie circassienne déjantée ! Le 14 avril Théâtre Comoedia mairie-marmande.fr À voir aussi à Angoulême (16) du 16 au 18/05

Une comédie qui mêle cirque et polar… dans un salon fumoir des années 1930.

12 au 14 avril Plaine de Lamoura agora-boulazac.fr

BORDEAUX

10 La Boîte à Jouer

Le festival La Tête à l’envers s’empare du théâtre Ducourneau et des rues d’Agen.

AGEN

7 © CNAC / 8 D. R. / 9 © Moglia

9 La Tête à l’envers Pour finir sa saison, le théâtre Ducourneau offre une programmation turbulente dans et hors les murs pour mieux bousculer les habitudes. Théâtre, voix, art du cirque, musique, images et performances… durant 4 jours, la fête s’annonce jubilatoire, avec notamment une « Happy Manif » sous la forme d’une déambulation chorégraphique ! Au programme également, la virtuose trapéziste Chloé Moglia et de nombreuses surprises pour fêter l’ambition renouvelée de la scène conventionnée.

AOC, collectif de Boulazac, a été choisi pour mettre en scène le spectacle de fin d’études du Centre national des arts du cirque.

Solidarité avec ce théâtre bordelais petit par la taille mais grand par l’engagement. Depuis plus de 30 ans, ses fondateurs Laurent Guyot et Jean-Pierre Pacheco redoublent de générosité pour offrir aux jeunes compagnies et à celles qui sont peu soutenues, un espace de visibilité indispensable pour leur développement. De nombreux artistes sur le devant de la scène aujourd’hui doivent beaucoup à leur investissement. Fermée par décision d’une commission de sécurité, La Boîte à Jouer finira sa saison hors les murs. Souhaitons qu’elle puisse rouvrir rapidement. laboiteajouer.com

Du 18 au 21 mai agen.fr

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/ Feuilletage É

ŒUVRES EN STOCK ÈRES

ENCH

ACQUISITIONS Donations, acquisitions ou restaurations récentes dans les collections publiques*. GUÉTHARY (64)

Sculpture d’Iñigo Arregi Musée de Guéthary Le musée de Guéthary, dont la collection est essentiellement constituée de sculptures, invite chaque année un sculpteur : en mai et juin 2016, l’artiste basque Iñigo Arregi investissait les lieux. À l’issue de cette exposition qui a connu un vif succès, il a tenu à offrir au musée une œuvre de son choix, El Árbol Imaginado. Travaillant le métal, Iñigo Arregi s’inscrit dans la grande tradition de la sculpture basque d’Oteiza et de Chillida. Ses œuvres, puissantes et comme ancrées dans le sol, traduisent équilibre et harmonie.

Andrea del Sarto, Étude de tête d’homme (recto), pierre noire et sanguine. H. 23 cm ; L. 18 cm.

PAU (64)

Portrait d’Andrea del Sarto ---------------

Meuble Componibili de l’éditeur Kartel, don du magasin Dock Design au MADD.

BORDEAUX (33)

Meuble Componibili Musée des arts décoratifs et du design Le meuble cylindrique Componibili est un don au musée de la boutique Docks Design (quai Richelieu, Bordeaux). Plus qu’un meuble, il s’agit d’une collection d’éléments modulables : chaque composant permet, une fois superposé, de distinguer le chiffonnier de la table de chevet et du tabouret. Ce meuble amusant, polyvalent et coloré se présente comme l’héritier des tables servantes du xviiie siècle et permet au musée d’exposer une déclinaison de solutions proposées à travers les âges afin d’organiser le quotidien.

Iñigo Arregi, El Árbol Imaginado, sculpture acier.

* Avec le soutien financier du Fonds régional d’acquisition des musées, abondé par l’État et la Région Nouvelle-Aquitaine.

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Étude Gestas et Carrère / © madd Bordeaux - cl. B. Régnier / © Musée de Guéthary

Quatre millions d’euros, c’est la somme folle dépensée en décembre dernier à l’Hôtel des ventes de Pau pour l’acquisition de ce dessin du maître italien Andrea del Sarto (1486-1530). Il s’agit de la plus importante enchère mondiale pour un dessin ancien depuis 2012 et d’un record absolu en France pour un dessin ancien. Artiste de la Renaissance du début du xvie siècle, Andrea del Sarto fut considéré de son vivant comme un peintre exceptionnel, à l’égal de Raphaël ou MichelAnge. Pourtant, ses feuilles sont d’une infinie rareté – moins de 200, presque toutes conservées dans les grands musées. La tête d’homme représentée sur ce dessin se retrouve dans trois autres œuvres majeures de l’artiste : ainsi, selon certains historiens de l’art, il pourrait s’agir d’un autoportrait du maître…

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Feuilletage /

COLLECTIONS Zoom sur des œuvres rares, extraites des fonds de nos musées. Claude Monet, Falaise de Fécamp, 1897, huile sur toile. H. 0,65 m ; L. 1 m.

PAU (64)

Fauteuil Ninfea par Gio Ponti Galerie Muscari

AGEN (47)

La Normandie de Monet Musée des beaux-arts Depuis un an déjà, le musée d’Agen a la chance de conserver dans ses murs une toile de Claude Monet, Falaise de Fécamp. Cette toile impressionniste, dépôt du musée d’Orsay, fait partie des nombreuses séries que le peintre réalise à partir des années 1890. Elle dialogue depuis avec les œuvres d’autres peintres impressionnistes du musée d’Agen comme Alfred Sisley ou Eugène Boudin, lequel initia le jeune Monet à la peinture de plein air le long des côtes normandes. Le tableau a la particularité d’être inscrit dans le répertoire MNR (« Musées Nationaux Récupération »), qui inventorie les œuvres d’art issues de la spoliation nazie confiées aux musées de France.

POITIERS (86)

Cl. Didier Veysset / © A. Raffray / D. R. / © Musée Sainte-Croix - Cl. Christian Vignaud / © Sonia Laudet

Trinité retrouvée Musée Sainte-Croix Deux dons exceptionnels, une Vierge et l’Enfant de la fin du Moyen Âge et un Saint Joseph de la période moderne, entrent au musée après un siècle passé dans un jardin privé des bords du Clain. La restauration de la Vierge et l’Enfant a permis d’abord de redécouvrir une magnifique qualité d’exécution, sans comparaison dans la région pour la fin du xve siècle. Le front bombé, les yeux en amande et le délicat travail des drapés permettent de rapprocher l’œuvre de l’école de Tours et du grand Michel Colombe, ou encore du style de Jean Hey, peintre d’origine nordique à la cour de Moulins.

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DESIGN

André Raffray, Gouache pour le trucage vidéo « Le luxe » d’Henri Matisse, 1996, gouache sur papier, H. 36 cm ; L. 27 cm. Collection FRAC Limousin.

Ce prototype de fauteuil Ninfea, dessiné vers 1958 par Gio Ponti – architecte, dessinateur industriel, designer, peintre, éditeur et journaliste – pour Fratelli Reguitti, étonne avec sa structure pliante en bois en forme d’arcs de cercles assemblés en X et ses deux poignées formant des accotoirs. Le dossier et l’assise sont tressés en osier. Une pièce très rare à venir voir, entre autres objets d’exception, à la Galerie Muscari, spécialisée dans les arts décoratifs du xxe siècle et fraîchement inaugurée cet hiver à Pau. galeriemuscari.com

GUÉRET (23) /  LIMOGES (87)

Les gouaches d’André Raffray Musée de Guéret / FRAC Limousin Des gouaches pour le générique des Brigades du Tigre aux 12 peintures illustrant la vie de Marcel Duchamp au Centre Pompidou, les œuvres d’André Raffray (1925-2010) – peintre et directeur du service animation chez Gaumont – associent cinéma, peinture et photographie. Véritable metteur en scène, il joue de la copie pour mieux interpréter, « terminer » ou « recommencer » les œuvres de ses inspirateurs comme Monet, Renoir, Picasso ou encore Matisse – comme ici dans sa Gouache pour le trucage vidéo « Le Luxe » d’Henri Matisse. Cette œuvre est un prêt du FRAC Limousin au musée de Guéret, effectué dans le cadre de l’opération « L’Artothèque et le FRAC au musée ». Musée d’Art et d’Archéologie de Guéret Jusqu’au 10 avril Puis dans les collections du FRAC Limousin

Gio Ponti, Prototype de fauteuils Ninfea, Fratelli Reguitti, vers 1958.

BIDARD (64)

Chaises Eldorado Sonia Laudet Selon Sonia Laudet, diplômée en design de mode et en tapisserie d’ameublement, « notre intérieur nous raconte et nous ressemble ». Sa série de fauteuils Landscapes est née au retour d’un voyage. Chaque pièce, unique, évoque un pays de cocagne, un ailleurs envoûtant : une plage, des sommets verdoyants ou enneigés, des sables mouvants, des soleils couchants… Baptisé Eldorado, ce duo de chaises des années 1950, revisitées à l’aide de simples chutes de tissus Kvadrat, est une invitation au voyage vers un univers poétique, coloré et intemporel. Sonia Laudet travaille essentiellement sur commande. sonialaudet.com

Paire Eldorado, série Landscapes, par Sonia Laudet.

Saint Joseph et Vierge et l’Enfant, sculptures en granit.

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LIVRES

«Trente ans d’une vie dans le même endroit : il s’en accumule des choses ! » Jean-Marie Planes

Rose Hanoï Serge Airoldi Arléa, 304 p., 20 €

« Allons voir si la rose… » soufflait Ronsard dans un de ses plus fameux poèmes, inspiré d’Ausone. Serge Airoldi nourrit, avec ce dernier, plusieurs points communs, à commencer par le goût des voyages, géographiques ou mentaux, de même que les fragments qui composent le volume Rose Hanoï peuvent s’apparenter aux épîtres et aux épigrammes chères à l’auteur des Parentales ou… des Roses. Tout part d’une fleur, celle du titre, dont le mystère de la teinte déploie le parfum de l’inspiration. Serge Airoldi, en amoureux des mots, distille un étonnant voyage au pays des couleurs qui, dense en citations, souvenirs, anecdotes, hauts faits, loin d’imposer quelque sentencieuse opinion sur l’état du monde ou des choses, incite le lecteur à l’abandon, au « lâcher prise » des psychanalystes, pour approcher un sentiment de liberté que seule, peut-être, la création permet. De fait, Rose Hanoï se pose aussi comme une méditation sur l’écriture : « Écrire, c’est savoir la couleur absente, le rien de rien. Et l’oser murmurer. » XR

Bordeaux Patrimoine mondial t. 3, La ville monumentale Chantal Callais, Thierry Jeanmonod, préface de Robert Coustet

Le Chemin de Macau Jean-Marie Planes Arléa, 113 p., 17 €

Le Guide Grand Poitiers Éd. du Patrimoine, 152 p., 12 €

Parmi les bienfaits du label Ville et Pays d’Art et d’Histoire, figure la collection de guides des éditions du Patrimoine, dont on ne vantera jamais assez la qualité de l’iconographie et de la mise en page. Les itinéraires proposés engagent le lecteur en des cheminements cohérents, l’insolite ne faisant jamais défaut. Poitiers, qui a bénéficié ces dernières années d’un puissant renouvellement urbain et d’une « politique » patrimoniale exigeante et dynamique, méritait certainement un tel vade-mecum (préfacé par Henri Loyrette). À l’heure de la NouvelleAquitaine, il est en effet bienvenu de souligner que la « ville aux cent clochers », forte de son riche passé médiéval et de ses trésors Renaissance, dispose d’un patrimoine xixe et début xxe non négligeable et sait s’ouvrir aux langages architecturaux contemporains. [À signaler, le très éclairant dossier Bordeaux dans la revue Monumental de janvier 2017, éd. du Patrimoine, 132 p., 30 €]

Un écrivain existe parfois par ses silences et ses renoncements. Il peut aussi avoir l’élégance d’être rare, la politesse d’être discret. Jean-Marie Planes réunit ces qualités, et cela donne une saveur particulière au mince livre qu’il vient de publier et dans lequel il demande à sa mémoire de réinventer les maisons qui furent les siennes, de la propriété des grands-parents en Médoc à l’immeuble de la rue Dufour-Dubergier où il fut précédé par un autre garçonnet dont le nom accompagna son enfance, François Mauriac. Vider des lieux a un côté violent que l’auteur d’Une ville bâtie en l’air, invité sans ménagement à quitter l’appartement qu’il avait rempli durant trente ans d’une histoire personnelle, a sublimé par l’écriture, faisant le ménage dans sa bibliothèque et son désordre intime pour mettre à jour ce qui restait dans l’ombre. En est née une œuvre magnifique et mélancolique qui nous rappelle ce que l’on doit attendre de la littérature : donner une voix aux silences. DV

Geste éd., 520 p., 49,90 €

Des âmes simples Pierre Adrian Équateurs, 192 p., 18 €

On ne manquera pas de renvoyer au jeune Pierre Adrian des références glorieuses et encombrantes comme Georges Bernanos pour évoquer son premier roman, Des âmes simples, qui suit les traces d’un vieux curé de montagne dans la vallée d’Aspe à la rencontre de ses ouailles plus ou moins perdues. Parler simplement d’âme a tellement de quoi surprendre dans la littérature d’aujourd’hui qu’on ne peut que se réjouir de ce livre au phrasé simple et au ton rugueux dont les personnages rappellent ceux d’un autre jeune homme de naguère, Silvio d’Arzo et sa Casa d’altri. Quiconque aura séjourné au monastère de Sarrance sera sensible à ces pages baignées par la lumière ombreuse d’une vallée où le temps passe différemment. DV

Avec cet opus s’achève un riche travail consacré à l’architecture et à l’urbanisme de Bordeaux. Après la fabrication de la ville et les manières d’habiter le patrimoine, place à la ville et ses monuments, de l’antiquité à nos jours. Le travail accompli par ces deux architectes, dont l’un est historien de l’art, est lui-même un monument d’érudition éclairé par des centaines d’illustrations au service d’un texte brillant et accessible à tous. Comme auparavant, les auteurs œuvrent avec finesse, mêlant chronologie et étude des programmes, modernité et contemporanéité, monuments prestigieux et petit patrimoine, sacralisation patrimoniale et vie quotidienne. Rien n’est laissé au hasard, rien n’est oublié. La ville entière dans ses histoires et ses qualités se déroule au fil des 500 pages de l’ouvrage dont un des mérites tient au fait d’avoir tenté d’intégrer dans cet immense panorama les productions les plus contemporaines et les projets en cours. MS

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Feuilletage /

La Nature silencieuse. Paysages d’Odilon Redon Sophie Barthélémy, Guillaume Ambroise (ss la dir.) Snoeck Publishers, 264 p., 29 €

Accompagnant la très belle exposition du musée des beaux-arts de Bordeaux (jusqu’au 27 mars, puis à Quimper) consacrée aux paysages d’Odilon Redon (1840-1916), ce catalogue, superbement illustré, rappelle qu’ils furent l’une des sources essentielles de l’inspiration onirique de l’artiste, dont l’enfance rêveuse et solitaire dans la propriété familiale de Peyrelebade, en Médoc, marqua profondément et durablement son œuvre.

Du canon artistique à la norme industrielle : une forme sculpturale au cœur du quotidien Alban Denuit Presses universitaires de Bordeaux, 188 p., 30 €

À travers cette réflexion sur les normes industrielles qui régissent la vie des consommateurs via la standardisation des espaces du quotidien, le plasticien et doctorant en esthétique Alban Denuit étudie ces rapports de proportion d’un point de vue théorique, à la croisée des sciences humaines et de l’histoire de l’art, en les comparant à certaines règles canoniques. Alban Denuit, originaire de Lot-et-Garonne, est décédé le 13 novembre 2016 lors de l’attentat du Bataclan.

La Destinée, la Mort et moi, comment j’ai conjuré le sort S.G. Browne traduit de l’anglais par Morgane Saysana, Agullo éd., 2016, 416 p., 22 €

« [Les humains] sont accros aux produits. Consommateurs invétérés. Toxicos du péché mignon. Automates carburant à la gratification. [...] Distraits par leurs désirs, submergés par leurs besoins et leurs envies, ils dévieront forcément du chemin qui leur a été attribué. Passeront à côté de leur futur optimal, de leur sort le plus heureux. Je me présente : je suis le Sort (S majuscule, o-r-t). Mais tout le monde m’appelle Sergio. Je place mes humains sur leur voie dès la naissance. [...] Mais j’ai beau m’évertuer à programmer des sorts prometteurs à chacun, ils s’arrangent inlassablement pour tout faire foirer. » le festin { PRINTEMPS 2017 } 17

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Le questionnaire E est un questionnaire surréaliste « sur certaines possibilités d’embellissement irrationnel d’une ville », inventé par Paul Éluard en 1933 et adressé à des personnalités de l’époque. Transposé à la Nouvelle-Aquitaine d’aujourd’hui, il permet un regard décalé et subjectif sur les lieux et monuments de notre région par un témoin privilégié, choisi pour son actualité.

QUESTIONNAIRE

Il s’agit donc de répondre aux questions :

DOIT-ON CONSERVER, DÉPLACER, MODIFIER, TRANSFORMER OU SUPPRIMER…

en les appliquant à la liste de monuments ci-dessous : 1. Hôtel Splendid, Dax 2. Bourse maritime, Bordeaux 3. Bourse du travail, Bordeaux 4. Ruines du château de Bidache 5. Château Margaux 6. Château d’Ilbarritz 7. École d’architecture de Bordeaux 8. La côte basque l’été 9. Villa Leihorra, Ciboure

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En souvenir des extravagances de Jean Patou, imposer pour des raisons de particules fines et d’élégance la circulation alternée – voitures blanches les jours de soleil, voitures noires les jours de pluie…

par

Fabien Pédelaborde Fabien Pédelaborde

en quelques mots

1. Référence à Paul Valéry : « Ceux des édifices qui ne parlent ni ne chantent, ne méritent que le dédain », Eupalinos ou l’Architecte, Paul Valéry, 1921. Le château Marquis d’Alesme à Margaux.

2 Graver une fois pour toutes sur son frontispice : « Ceci est un faux ! » (en souvenir du regard incrédule de Le Corbusier partant, en 1926, des quais de Bordeaux pour l’Argentine alors qu’il édifiait la Cité Frugès à Pessac).

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Demander à Anne Hidalgo de rendre l’Orgue Cavaillé-Coll et le réinstaller pour faire revivre le rêve fou du baron Albert de l’Espée.

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3 La transformer en un espace de co-working, une pépinière de start-up, en un lieu optimiste…

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Les mythes sont intouchables, excellentes références et silhouette parfaite… à en faire oublier les chais de Sir Norman Foster.

Retrouver le sens premier de ce Lego géant, véritable terrain de jeu pour apprentissage de l’espace et du déplacement d’architectes en herbe rêvant de béton.

Depuis qu’elles ont été consolidées, les ruines ont perdu de leur force évocatrice. Les laisser à nouveau s’éroder inexorablement… 18 { PRINTEMPS 2017 } le festin

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Ne rien changer, ou quand le Pays basque prend des airs de Riviera. Luxe du lieu et des détails, juste parfait !

D. R. / Cl. Antoine Guilhem-Ducléon / © atelier d’architecture fabien pédelaborde / Cl. Michel Dubau / Cl. Gaizka Iroz / Cl. Éloïse Vene / D. R.

Fabien Pédelaborde veut « réaliser des bâtiments qui chantent1 » et se dit partisan d’une architecture contextuelle épousant les formes et l’esprit d’un lieu. Né à Bayonne, celui qui grandit à Bidache, tout près des ruines du château des ducs de Gramont, rêvait de devenir ébéniste ou décorateur. Finalement, il passe par l’École d’architecture de Bordeaux puis par celle de Chaillot à Paris. À partir de 2000, il commence à répondre à des commandes publiques : le parvis du Palais Gallien, le pôle d’échange des Quinconces, le pavillon des pêcheurs d’Arcachon, le réaménagement du parc Majolan à Blanquefort… Mais le chantier qui lui ouvrira les portes des grands châteaux viticoles est celui de Soutard : changement de cap, qui l’amène à créer, rénover ou décorer les dépendances agricoles, chambres d’hôtes, chais ou parcs des châteaux Grand Faurie La Rose, Ferrière, Gruaud Larose ou encore Durfort-Vivens. Le dernier en date, celui du château Marquis d’Alesme à Margaux, livré en 2016, a nécessité 6 ans de travail.

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Le transformer en gare fluviale, ou quand l’Adour nous transportera vers les rives d’Ispahan ou du Caire, comme le laissent à rêver les bas-reliefs du hall d’entrée…

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LES CARNETS DE L’INVENTAIRE par LINDA FASCIANELLA chargée d’une étude consacrée au mobilier de l’abbatiale de Saint-Sever, réalisée lors d’un stage au service du patrimoine et de l’Inventaire d’Aquitaine en 2015.

{ Landes } Panneaux sculptés de la clôture de la chapelle des fonts.

MEUBLER L’ABSENCE LOUIS-CLAUDE DE LA CHÂTRE EN SON ABBAYE L’abbaye de Saint-Sever, sévèrement affectée par les guerres de Religion, est saccagée par les huguenots en 1569-1570. Le déclin spirituel qui s’ensuit est à l’image de la ruine du monastère. Un siècle plus tard, l’abbatiat de Louis-Claude de La Châtre est une période faste pour son mobilier. Mais était-ce pour les bonnes raisons ?

« PERDU DE MŒURS » Il est probable que cette clôture, datée de la fin du xviie siècle, ait été acquise par Louis-Claude de 20 { PRINTEMPS 2017 } le festin

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La Châtre, abbé commendataire (clerc ou laïc percevant à titre personnel une grande partie des revenus de l’abbaye) de 1685 à 1699. Souvent non résidant, l’abbé déléguait son pouvoir juridique et spirituel à un prieur. Ce système, condamné par le concile de Trente, donna lieu à des abus. Nombreux sont les témoignages du mécontentement des moines vis-à-vis de ces abbés nommés par le pouvoir royal et non élus par eux. Louis-Claude de La Châtre ne déroge pas à la règle. Dans ses Mémoires, SaintSimon en brosse un portrait peu flatteur : « Il était aumônier du roi depuis longtemps, et il enrageait de n’être point évêque […]. C’était un homme qui ne manquait pas d’esprit, mais pointu, désagréable, pointilleux, fort ignorant parce qu’il n’avait jamais voulu rien faire, et si

MEUBLER, EXPIER Le mobilier offert par La Châtre était-il donc destiné à racheter ses longues absences et ses mœurs dissolues ? En effet, selon Dom Du Buisson, moine à Saint-Sever dans la seconde moitié du xviie siècle, l’abbé commanda aussi la chaire à prêcher toujours visible dans l’abbaye, œuvre du sculpteur montpelliérain Simon Boisson, installé à Vic-en-Bigorre en 1677. Très actif dans le SudOuest, Boisson est également l’auteur des stalles de SaintSever qui servirent de modèle à celles de Sainte-Croix de Bordeaux en 1682. Il en subsiste aujourd’hui quelques éléments, dont trois sièges et leurs miséricordes. Deux statues de la Vierge à l’Enfant et de sainte Anne, datées de la même époque, présentent en outre d’étroites ressemblances avec

les œuvres de Boisson. Seraientelles aussi des dons de l’abbé ? Hélas, cette générosité devait s’interrompre prématurément avec sa disparition brutale dans un accident de carrosse près de Versailles en 1699, comme le conte Saint-Simon avec force détails : « L’abbé se brisa contre les pierres, et les roues lui passèrent sur le corps. Il vécut encore vingt-quatre heures et mourut sans avoir eu un instant de connaissance. » La mémoire de notre abbé de cour, éclipsée par la renommée de son successeur, l’illustre Antoine Anselme (« le petit prophète »), ne survit plus à Saint-Sever que grâce aux bois cirés de Simon Boisson. En fin de compte, un bon placement à long terme… • À voir « Saint-Sever Cap de Gascogne » Regard sur 2 ans de recherches du Service du patrimoine et de l’Inventaire autour des richesses patrimoniales de Saint-Sever Exposition du 11 mars au 2 avril Église des Jacobins Rue du Général-Lamarque 40500 Saint-Sever À lire Marie Ferey, Saint-Sever, Cap de Gascogne. Inventaire général/ Confluences (coll. Visages du patrimoine), 2017. inventaire.aquitaine.fr

© Région Nouvelle-Aquitaine - Inventaire général, M. Dubau, 2015.

En 1645, l’abbaye adhère à la congrégation de Saint-Maur qui essaime en France depuis sa fondation en 1618 et prône une plus grande discipline et un retour à la règle bénédictine. L’abbaye se dote un peu plus tard d’un mobilier spécialement commandé pour l’église, comme en témoigne la clôture en bois des fonts baptismaux, décorée des insignes mauristes : la devise « PAX » surmontant les clous de la Passion dans une couronne d’épines et une main ouverte dans une couronne végétale ; le tout, entouré de rinceaux finement sculptés, où se décèle l’influence des recueils d’ornements de Jean Lepautre.

perdu de mœurs, que je lui vis dire la messe à la chapelle un mercredi des cendres, après avoir passé la nuit masqué au bal, faisant et disant les dernières ordures […]. D’autres aventures l’avaient déjà perdu auprès du roi pour être évêque. Il était fort connu et fort méprisé. »

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PROTECTIONS

MONUMENTS D’AQUITAINE Protections au titre des Monuments historiques intervenues au cours du 4e trimestre 2016. Drac Nouvelle Aquitaine www.culturecommunication.gouv.fr

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Il existait à SAINT-PRIEST-LIGOURE (87) un château en 1573, incendié pendant les guerres de Religion. Le nouveau château Lavergne fut reconstruit vers 1785. Il présente un plan en U avec un corps de logis principal rectangulaire et deux ailes en retour d’équerre ; les façades sont rigoureusement ordonnancées. À l’intérieur, le grand salon d’apparat, la « chambre rose » et la « chambre bleue » sont ornés de décors caractéristiques de la fin du règne de Louis XVI (boiseries, marqueterie). L’ensemble du bâtiment, ainsi que les communs du xviie siècle et le jardin à la française ont fait l’objet d’une protection en 1987, laquelle vient d’être étendue au canal maçonné contournant le château, au pont (1635), et au moulin, lequel fut reconverti en centrale électrique au début du xxe siècle.

© Patrick Despoix - Sous licence Creative Commons 3.0 / © DRAC Nouvelle-Aquitaine / D. R .

Le site du prieuré double de TUSSON (16), seul prieuré Fontevriste fondé en Charente, constitue un ensemble monastique majeur du département datant du xiie siècle. Il est composé de deux ensembles, le prieuré masculin Saint-Jean-de-l’Habit (dit le Clos des hommes, propriété communale depuis 1999) et le prieuré féminin Sainte-Marie (dit l’abbaye des dames, propriété privée, MH 1952). Le plus ancien plan date de 1831 : les deux prieurés sont en ruines, les églises ont disparu mais les bâtiments d’habitation y sont visibles. L’église Saint-Jean (xiie siècle) présente une orientation particulière, selon un axe nord-ouest/sud-est, s’expliquant par la volonté des constructeurs de limiter les travaux d’excavation. La « maison du prieur », attenante à l’église, remonterait au xive siècle ; la façade occidentale est agrémentée d’une galerie datant de la fin du xviiie siècle. Un deuxième corps de logis – dit l’« appartement Belle game » – est construit au sud-est, probablement à la fin du xve siècle.

L’église Notre-Dame de FONTAINE-CHALENDRAY (17) était à l’origine la chapelle du château de Fontaine, aujourd’hui disparu. La façade romane est ornée de nombreux sujets, malheureusement mutilés vers 1832, probablement le Christ en gloire dans une mandorle, les quatre évangélistes et les douze apôtres. Le portail à trois voussures comporte de beaux motifs géométriques. Le pignon arcade porte deux cloches, dont l’une d’elles, datant de 1583, provient de l’église SaintMaixent. Entièrement restaurée ces dernières années, l’église présente des vestiges importants de peintures murales : litre funéraire avec blasons seigneuriaux – de la famille Montbron notamment, à Fontaine jusqu’à la fin du xviie siècle –, motifs décoratifs et Christ en Gloire du xiiie siècle (combles du chœur). Si la façade ouest de l’église est inscrite au titre des Monuments historiques depuis 1925, c’est dorénavant la totalité de l’église et de ses peintures murales qui est protégée.

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L’EXPLORATEUR MÉTROPOLITAIN par MARC SABOYA

{ Bordeaux }

HÉTÉROTOPIE Le bâtiment des archives de Bordeaux Métropole, construit en 2015 par les architectes Robbrecht et Daem, pourrait illustrer cette idée chère à Michel Foucault.

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AFFRONTER LE TERRITOIRE Cela tient d’abord à la situation du bâtiment dans un territoire, en devenir certes, mais qui pour l’instant et au moment de la création du projet, n’est pas un lieu mais un site autre, à l’écart des parcours, dans un monde d’à côté mais dans Bordeaux tout de même. Le rite (de purification ?) qui permet généralement de pénétrer dans l’hétérotopie commence ici par la décision d’affronter cet environnement plus neutre qu’hostile. Dans cet espace vide et plat se dresse alors un gigantesque cénotaphe. L’immense toiture, une signature de l’équipe Robbrecht et Deam (marché de Gand, salle de concert de Bruges), boîte sombre et aveugle qui pèse sur des vestiges de pierre en offrant un contraste volumétrique et formel et une puissante rupture d’équilibre, vient, tel un imposant mastaba, couvrir ce qui pourrait encore rappeler ou situer le monument

Vue de la salle de lecture du nouveau site des archives de Bordeaux Métropole, inauguré en 2016.

dans un reste d’histoire2. Ce couronnement intemporel qui parcourt tout l’édifice et protège les précieuses archives coiffe aussi la salle dite de lecture ou de consultation, le lieu de l’hétérochronie, l’endroit où chacun, déjà coupé du monde, s’emploie à donner vie à des découpages temporels singuliers, à construire des récits en choisissant des objets parmi la multitude de ceux qui l’entoure, qu’il ne voit pas mais dont il sent la forte présence, le poids puissant. HORS DU TEMPS Ce poids, les architectes l’ont parfaitement représenté par l’immense et long mur de béton gris développé en un dégradé d’encorbellements qui ferme un côté de la salle et exprime, en négatif, l’emplacement des espaces de conservation. Les porte-à-faux de cette disposition en tas-de-charge rappellent le couvrement de la grande galerie de la pyramide de Khéops, une citation convoquée ici (est-ce un choix volontaire ?) non comme une réinscription dans l’histoire mais comme la figuration de

La grande galerie de Khéops, représentée vers 1799.

l’installation de ce lieu, où tous les temps se construisent, dans le cœur du symbole même de l’éternité, la pyramide, le monument définitivement hors du temps. Et ce ne sont pas les grandes baies vitrées ouvrant la salle sur l’extérieur qui pourront assurer une inscription du sanctuaire dans le territoire puisque, pour l’instant, il n’y a pas de territoire. • 1. Michel Foucault, Le corps utopique, les hétérotopies, avec une postace de Daniel Defert, Lignes, 2009. 2. L’ancienne halle aux farines, bâtiment du xixe siècle.

© Bordeaux Métropole / Domaine public © Wikipedia

Lors d’une conférence radiophonique prononcée le 21 décembre 1966 sur France Culture, Michel Foucault proposait et définissait le concept d’hétérotopie. Il faudra attendre 1984 pour que l’intervention soit publiée à Berlin dans le cadre d’une exposition au Martin Gropius Bau. Dès lors, le mot sera abondamment commenté et ne devait plus quitter la sphère de l’architecture à laquelle Foucault le rattachait en le définissant : les hétérotopies, ou lieux (topos) autres (heteros) sont des « utopies situées, ces lieux réels hors de tous les lieux [...] contestations mythiques et réelles de l’espace où nous vivons1 », espaces concrets qui hébergent l’imaginaire, qui peuvent être utilisés pour la mise à l’écart (prison, lazaret, cimetière, etc.) ou qui ont le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces incompatibles (le théâtre par exemple). Le philosophe ajoutait aussi que les hétérotopies sont souvent des hétérotopies du temps, (hétérochronies), des lieux où l’accumulation infinie d’objets

mêle tous les repères spatiotemporels afin d’inviter à des reconstructions infinies d’histoires. On pense bien sûr ici aux bibliothèques mais on peut aussi qualifier d’hétérotopies les espaces dévolus à la conservation et la consultation des archives, ces réceptacles qui vont rendre possible la fabrication d’histoires fondatrices de récits, de discours, d’identités. Pourtant, aucun de ces lieux n’a jamais été autant conçu comme une hétérotopie que ne le fut le nouveau bâtiment des archives de Bordeaux Métropole par les architectes belges Robbrecht et Daem (2015).

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ARCHI

TECTURES

Hôtel d’entreprises Arkinova, Anglet (64) AGENCE GUIRAUD-MANENC

Inclus dans un pôle naissant destiné aux entreprises innovantes du secteur de la construction, le bâtiment tire parti des contraintes propres au programme tout en s’insérant au cœur d’une forêt protégée. Ses architectes sont lauréats de la première œuvre au prix national de l’Équerre d’Argent 2016. « Il existe aujourd’hui d’autres formes de travail, qui appellent d’autres formes de relations spatiales. Nous aimons créer des espaces apportant de la générosité à leurs usagers », explique Antoine Guiraud, co-fondateur avec Étienne Manenc de l’agence qui porte leur nom1. Commanditaire du projet, l’Agglomération Côte basque-Adour souhaitait réaliser dans la ville d’Anglet le premier bâtiment d’un futur pôle dédié à la construction innovante. Aujourd’hui baptisée Arkinova, cette pépinière d’entreprises voisine des acteurs locaux dans

1. Basée à Bayonne, Bordeaux et Paris. Maîtrise d’ouvrage : Agglomération Côte basque-Adour Livraison : 2016

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Cl. Vincent Monthiers

les mêmes domaines : lycée Cantau formant aux métiers du BTP et des énergies, fédération des Compagnons, école d’ingénieurs ESTIA, centre technologique Nobatek… Le cahier des charges comportait l’obtention de plusieurs certifications énergétiques, des synergies métiers à créer, le tout sur une ancienne friche bordée d’une forêt protégée ! Pour les architectes, il s’agissait du premier équipement de cette envergure (1 800 m2, 3 M d’€ de budget). Épousant la topographie du terrain, leur bâtiment est conçu par étagements, avec des interactions spatiales permanentes. Bureaux traversants orientés vers la forêt, open space surplombant un vaste atrium central, halle de prototypage pour des tests grandeur nature, Fab Lab avec imprimante 3D, cafétéria et coursives pour buller ou travailler à l’extérieur… À deux pas de la côte basque, on vit aussi beaucoup dehors ! Le bâtiment est ventilé naturellement et réussit le challenge d’une isolation performante, tout en restant ouvert visuellement. Chaque façade a un traitement spécifique en fonction de son orientation, ce qui donne aussi du rythme à l’ensemble. La minéralité du béton dialogue avec la légèreté du verre et du bois. La qualité des assemblages, finement ouvragés grâce aux partenariats avec les bureaux d’études et les entreprises, ainsi que la maîtrise du programme ont été légitimement salués par le jury de l’Équerre d’Argent. • BENOÎT HERMET

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Feuilletage / Merci au 308 et à la Maison de l’Architecture (MA) pour leurs ressources qui nous ont permis de composer les brèves présentées dans cette page. Plus d’informations sur palmaresaquitain.archi

Maison C2, Pau (64) 2:PM ARCHITECTURES Basée entre Bordeaux et Paris, l’agence 2 :pmA apprécie l’éclectisme : urbanisme, architecture, installations éphémères… Pour ce projet situé à Pau, les architectes revisitent la longère, clin d’œil aux maisons béarnaises voisines. La construction s’étire sur 25 m et se coiffe de 7 toitures, tels des sommets pyrénéens. Sa composition en longueur libère un grand jardin vers lequel s’ouvrent les pièces à vivre. L’alliance du zinc, d’une base maçonnée, d’un étage en ossature bois et de multiples ouvertures donne à cette maison familiale un vocabulaire contemporain. BH Maîtrise d’ouvrage : privée Livraison : 2016

Maison D, Vielle-Saint-Girons (40) ÉQUI LIBRE ARCHITECTES Ici, le charme de la discrétion opère. En lisière de la forêt landaise, cette maison affirme son caractère moderne, tout en s’inspirant des fermes et granges locales. Une référence soulignée par le bardage noir qui enveloppe sa silhouette. Monolithe sculpté, elle alterne pleins et vides, claires-voies… Les combles sont aménageables librement et une annexe anticipe sur de futures extensions, d’ores et déjà intégrées à l’ensemble. Une belle réalisation de l’agence landaise Equi Libre (Lionel Voinson et Marc Tollis). BH

© 2 :pmA / © Equi Libre Architectes / Cl. Julien Fernandez / Cl. Kristof Guez

Maîtrise d’ouvrage : privée Livraison : 2016

Logements étudiants, Bordeaux (33) ATELIER FERRET ARCHITECTURES Reconnu pour ses grands stades, l’Atelier Ferret Architectures s’illustre également à travers des programmes plus modestes. Ces 20 logements étudiants ont été réalisés pour le CROUS de Bordeaux. Un bâtiment neuf doté d’une façade en verre relie deux immeubles du xviiie réhabilités. À l’intérieur des studios, les fonctions du quotidien sont réunies dans un seul meuble design. Chaque appartement dispose d’un petit balcon et profite d’un jardin commun. Cette restructuration subtile a été distinguée au Palmarès régional aquitain d’Architecture. BH Maîtrise d’ouvrage : CROUS de Bordeaux Livraison : 2015 Voir palmaresaquitain.archi

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Caserne d’incendie et de secours, Nontron (24) BERNARD CHINOURS Installé en Dordogne, Bernard Chinours compte parmi les architectes de référence de la région. Pour le centre d’incendie et de secours de Nontron, la difficulté principale était de démolir l’ancienne caserne et de construire la nouvelle, tout en maintenant le site en activité. Un principe de trame modulaire et la préfabrication d’éléments en béton ont permis d’optimiser le chantier. La rationnalité du programme, imposée par les protocoles d’interventions des pompiers, est réhaussée d’un travail graphique sur la ligne et le noir et blanc, évocations de l’univers routier. BH Maîtrise d’ouvrage : Commune de Nontron Livraison : 2016

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TÊTES À TÊTES Portraits de ceux qui font vivre la culture en Nouvelle-Aquitaine. Des talents à suivre…

Pierre Mazet Président de l’association L’Escale du Livre Rendez-vous incontournable de la scène culturelle bordelaise, la 15e édition de L’Escale du livre – festival des créations littéraires a lieu du 31 mars au 4 avril. Le succès enregistré par l’événement résulte d’un audacieux modèle initié par l’association et son président Pierre Mazet, où les codes

d’un salon littéraire s’allient à la formule d’un festival, s’appuyant sur un équilibre entre littérature et

Thibault Cauvin Guitariste

thibaultcauvin.com

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escaledulivre.com

© arsmagna – SonyMusic / Cl. Pierre Planchenault

Né à Bordeaux, ce prodige de la guitare classique est, depuis près de 13 ans, en « tournée sans fin » à travers 120 pays. Il est encore à ce jour l’unique musicien ayant remporté 32 prix internationaux à l’âge de 20 ans ! Brièvement de retour sur sa terre natale, voici l’occasion pour le public de s’imprégner du talent de Thibault Cauvin. Sa virtuosité découle entre autre d’une immersion musicale complète dès la prime enfance, quand son père, guitariste passionné, l’initie tout naturellement. Il suit un parcours Musique-Études, entre le conservatoire de Bordeaux et le lycée Camille-Jullian ; âgé de 16 ans, il quitte l’Aquitaine pour le Conservatoire national supérieur de Paris. S’ensuit un florilège de concours internationaux, où il remporte 13 premiers prix. Un succès qui, selon lui, est dû à « l’amour du jeu naïf et léger » qui lui est propre. Entre deux chambres d’hôtel, il réussit à sortir 9 albums, dont 4 chez Sony Music. L’artiste reste, malgré ses aventures internationales, très attaché à sa région – il est d’ailleurs nommé ambassadeur de Bordeaux Métropole en 2013. C’est avec bonheur qu’il s’est produit à La Rochelle, Arcachon, au Pin Galant à Mérignac, ainsi que lors de l’inauguration de la Station Ausone, le lieu culturel de la librairie Mollat, en janvier et février, entre deux matinées de surf, son autre grande passion. En 2017, sa tournée « Magic Tour » lancée à la Tour Eiffel le 28 janvier, lui fait arpenter des lieux hors du commun (maison de Rembrandt aux Pays-Bas, jardin botanique de Singapour…). Il revient néanmoins dans la région le 16 avril, au Fronton Plazza Berri de Biarritz, lieu emblématique de la pelote basque, accompagné par l’Orchestre régional Bayonne Côte basque. TALINE OUNDJIAN

autres champs artistiques. Des dialogues avec la bande dessinée, le théâtre, la musique, le dessin, la danse permettent une ouverture originale des horizons de la création littéraire. Titulaire d’une thèse en sciences politiques soutenue à Bordeaux, Pierre Mazet est nommé maître de conférences à l’université de La Rochelle où il enseigne pendant plus de vingt ans. Depuis 2016, il exerce en tant que responsable pédagogique au sein du collège des sciences de l’Homme de l’université de Bordeaux. De l’ancêtre de L’Escale, prosaïquement dénommé Salon du Livre et créé par Jean-Marie Planes et Danièle Martinez (voir hommage p. 10), il a connu la 1re édition tenue en 1987 dans la galerie Tatry, au nord de Bordeaux, où il travaillait. À son interruption en 2001, il est membre du conseil d’administration de la structure organisatrice. Hors de question de s’arrêter là : L’Escale prend le relais en 2003 et s’établit en 2009 quai Sainte-Croix. Ce 15e anniversaire apporte à l’association une grande satisfaction, le festival s’ancrant durablement, s’enrichissant de propositions toujours plus diverses. Ces trois jours s’articulent en particulier autour des personnalités engagées des auteurs invités. À l’heure où la critique sociale imprègne la fiction, des défis environnementaux à la prétendue crise identitaire, de grands débats et conférences nous éclairent par la sagesse que prodiguent les belleslettres. TO

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Feuilletage /

Anaïz Aguirre Olhagaray Distributrice de cinéma Anaïz Aguirre Olhagaray participe avec ferveur à la médiation des créations artistiques basques. Après avoir exercé de 2012 à 2015 au sein des Archives du film du Centre national du cinéma (CNC), elle intègre l’équipe du cinéma L’Atalante de Bayonne, en 2016. Son rôle : le développement de la distribution transfrontalière du cinéma euskarien, dont elle organise la promotion et la diffusion. Ce projet, lancé il y a trois ans par Simon Blondeau en partenariat avec l’Institut culturel basque, a donné naissance à Gabarra Films, la section distribution de L’Atalante. Au-delà de ces dispositifs, l’agence ouvre les regards sur le cinéma de patrimoine, en lien avec la Cinémathèque basque (Euskadiko Filmategia) de Saint-Sébastien. Amama, distribué en 2016 par L’Atalante, a valu à ce dernier le prix du jury de la salle innovante décerné par le CNC. Fin mars paraît Kalebegiak, qui réunit 12 courts-métrages, soit autant de regards portés sur Saint-Sébastien. TO atalante-cinema.org/distribution

Philippe Sanchez

D. R. / D. R. / © Muriel Rodolosse

Président de l’IDDAC, agence culturelle de la Gironde L’Institut départemental de développement artistique et culturel (IDDAC), c’est ce formidable outil de mise en œuvre de projets culturels dont le nouveau président, Philippe Sanchez, a la charge de renforcer la mission de coopération territoriale au service des émergences artistiques. Après une formation en gestion d’action culturelle en 1996 à l’IUT Bordeaux-Montaigne et une première expérience dans l’Entre-deux-Mers, il devient en 2003 directeur des affaires culturelles de la Ville de Bègles. Il est notamment à l’initiative de la citéCirque, qui installe artistes et chapiteau à travers la ville, en des lieux inattendus, au plus près des publics. Car agir pour la culture, c’est produire davantage de solidarité et de cohésion sociale, deux finalités que l’IDDAC, qui se dirige vers un redéploiement de ses missions, souhaite accentuer : co-productions de spectacles, aides à la résidence, commandes aux artistes, prêt de ressources numériques et accompagnement technique des territoires constituent la feuille de route d’une culture qui se partage. TO

Muriel Rodolosse travaille entre Bordeaux et Paris. Native du Lot, elle étudie dans un premier temps à l’école d’art de Tarbes, puis à l’université Bordeaux-Montaigne. Dès 1996, elle est retenue pour diverses résidences artistiques, où elle s’affirme et s’émancipe. En 2004, elle obtient le grand prix du Salon d’art contemporain de Montrouge, puis le prix de la Biennale d’Issy-les-Moulineaux l’année suivante. L’exposition monographique « x degrés de déplacement » qui lui est consacrée au FRAC Aquitaine en 2011 est très remarquée et incarne l’aboutissement de son geste de peintre. Rejetant « l’autorité physique et historique » de la toile, elle se dirige vers des surfaces rigides, d’abord le bois, puis son support de prédilection, le Plexiglas, dont la transparence lui permet de peindre au revers du support, de l’avant vers l’arrière et par strates successives (premier plan, paysage puis fond). Alors, des figures en mouvement apparaissent, hybrides et ambiguës, dans des paysages délicats et insaisissables. Du 29 mars au 21 mai, le château Lescombes d’Eysines retrace les différentes étapes de son parcours artistique de 1991 à 2017. TO

iddac.net

murielrodolosse.com

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Muriel Rodolosse Peintre

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L’UNIVERS DU festin Revue, livres, hors-série : à chaque saison ses nouveautés, ses rencontres et ses événements, à domicile ou hors les murs.

Le Festin, 176 rue Achard, Bordeaux-Bacalan Tram B Station New-York T. 05 56 69 72 46

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LE FESTIN REÇOIT… #6 Pour la sortie du livre Bordeaux Jardins de Philippe Prévôt, lequel inaugure une toute nouvelle collection de guides, Le Festin vous invite en mai dans ses locaux bacalanais à assister à une rencontre autour des jardins bordelais connus et méconnus. Date et horaire à suivre sur notre site internet Réservation (nombre de places limité) : communication@mail.lefestin.net

FAITES ESCALE En route pour la 15e édition de l’Escale du Livre (les 31 mars, 1er et 2 avril), le festival des créations littéraires et salon du livre de Bordeaux qui réunit tout ce que la région compte comme maisons d’édition et librairies indépendantes. En arpentant les ruelles du quartier Sainte-Croix, venez faire une halte au stand du Festin où toute l’équipe sera ravie de vous faire découvrir les nombreuses nouveautés de la maison.

CROISIÈRE LITTÉRAIRE Le Festin vogue sur les eaux de la Gironde dans Le Fleuve impassible de Pierre Siré et Le Sentiment de l’estuaire de Chantal Detcherry. À cette occasion, embarquez le dimanche 23 avril, le temps d’une journée, pour une traversée littéraire en bateau et un pique-nique au cœur d’un site redécouvert : l’île Nouvelle. Horaire à suivre sur notre site internet.

Le jardin du château Labottière.

Rencontres Le 27 mars à 18 heures Chantal Detcherry à La Machine à Lire (Bordeaux) À l’occasion de la parution du Sentiment de l’estuaire (coll. Les Paysages), Chantal Detcherry présente son livre en compagnie de l’écrivain Marc Petit. Un va-et-vient poétique entre passé et présent qui révèle une Gironde onirique et un estuaire éblouissant. Le 30 mars à 17 h 30 Les rendez-vous du Festin à la Bibliothèque de Bordeaux La seconde édition des RDV du Festin est consacré à « la vie de châteaux » : tout en vous présentant les sujets et les coulisses du dernier numéro de la revue, nous vous convions à échanger autour de la vie d’une maison d’édition, de son actualité, en présence de son équipe.

PARUTIONS PRINTANIÈRES Un printemps voyageur pour L’Éveilleur, la maison d’édition chaperonnée par Le Festin : Retour à Venise sur les traces d’Henri de Régnier et ses Histoires incertaines au cœur d’une Sérénissime fantastique ; détours dans la France des Années Folles puis de la folie avec Vivastella d’Yves Pourcher et L’Homme à l’Hispano de Pierre Frondaie qui nous entraîne sur la Côte d’Argent ; Les Mauvais lieux de Paris achèvent le voyage dans une atmosphère de soufre et de mystère en compagnie de l’infréquentable Ange Bastiani.

Enfin, la revue de l’a-urba, Cambo, sort son 11e numéro qui traite de la relation entre les deux grandes métropoles du Sud-Ouest, Bordeaux et Toulouse. 30 { PRINTEMPS 2017 } le festin

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D. R. / Cl. Michel Dubau

À paraître également au Festin, une édition augmentée d’inédits de La Maison au bord du fleuve de Jean Balde (coll. Les Merveilles) ; Bordeaux, les clefs du trésor. 800 ans d’Histoire des archives de la ville, une immersion dans la mémoire de la ville à travers l’histoire tumultueuse de ses Archives ; le hors-série du festin sur Lascaux, centre de l’art pariétal ; et le récit du parcours politique d’une des figures majeures de la côte basque, Didier Borotra (coll. Les Confidences).

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L’INVITÉ

{ Nouvelle-Aquitaine } Propos recueillis par DOMINIQUE GODFREY Le château clémentin de Budos, en Gironde.

NORBERT FRADIN LE PROMOTEUR ET LES CHÂTEAUX ORPHELINS

Norbert Fradin au château du Prince Noir à Lormont (33), acquis en 2005 pour y installer les bureaux de sa société.

L’homme d’affaires et mécène bordelais a acquis dans la région plusieurs châteaux en déshérence pour les restaurer et les ouvrir à la visite ou bien encore les adapter à un usage contemporain. Entretien autour des ressorts de son insatiable passion pour le patrimoine et sa sauvegarde.

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inédite pour l’acquisition et la restauration du patrimoine architectural de jadis. C’est un aspect moins connu de son parcours dont il a bien voulu nous livrer le sens. SOS CHÂTEAUX EN PÉRIL Pourquoi consacrez-vous une part non négligeable de votre action de mécénat aux châteaux du Moyen Âge ? Parce que ce sont des châteaux orphelins. Ils intéressent peu de monde. Ce ne sont pas des lieux résidentiels où l’on peut s’installer au quotidien avec sa famille. Et il faut quand même y consacrer de l’argent. C’est pour cette raison que je choisis ces monuments. Ils sont souvent laissés en déshérence, alors qu’esthétiquement, ils sont absolument remarquables. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce type d’esthétique ? Ce sont des lieux militaires

construits pour la survie. À la mise en place du système féodal, après la chute de l’Empire romain et le partage de l’État carolingien, le pouvoir se disperse aux mains de petits potentats locaux, les batailles sont incessantes. Pour les familles, le seul moyen de survie en cas d’attaque consiste à se réfugier dans une enceinte : les châteaux forts ont donc une fonction éminemment sociale. C’est ce rôle fondamental qui fait leur importance. Et puis les châteaux sont parmi les derniers vestiges de l’époque médiévale. Les maisons ont pour la plupart disparu quand les lieux de culte appartiennent à l’État ou aux collectivités. Restent les châteaux. Comment les abordezvous ? Je ne cherche pas à jouer les châtelains, je ne m’en sers pas à titre personnel. Je les conçois comme des lieux publics – tous sont classés aux Monuments

historiques – portés par un privé, moi en l’occurrence, qui consacre de l’argent à la restauration des bâtiments et au financement des fouilles archéologiques. Et je les mets gratuitement à la disposition d’associations locales dont le rôle consiste à les montrer au public. Elles s’occupent des visites, de la mise en place de manifestations culturelles tout au long de l’année. Même l’hiver, il est possible, sur un coup de fil à l’association concernée, de programmer une visite ou une manifestation culturelle. Je n’accueille pas de mariage, je ne fais pas de commerce. C’est une forme d’action de bon aloi qui permet de valoriser ces monuments et de les préserver. Je les vois comme des éléments fédérateurs pour la région dans laquelle ils sont situés, et les travaux comme un accompagnement qui permet d’éviter leur dégradation constante.

Cl. Michel Dubau

Norbert Fradin est un promoteur immobilier à succès qui, selon l’expression consacrée, s’est « fait lui-même » avec une singulière énergie. Mais son nom est également lié à de nombreuses activités de mécénat : construction d’un musée de la Mer et de la Marine à Bordeaux, qui ouvrira ses portes en juin 2018, acquisitions de l’ancienne Caisse d’Épargne de Mériadeck pour y établir un nouvel espace culturel, de la Villa 88, où sa compagne Élisabeth Vigné programme conférences, musique contemporaine et performances1 et, tout récemment, de l’Hôtel-Dieu dans le centre d’Angoulême. Dans le privé, l’homme a aussi un goût prononcé pour les voitures de collection, les rallyes automobiles et possède une collection personnelle où voisinent sans complexe sculptures romanes, maquettes de bateaux et mobilier signé des années 1970. Mais ce personnage cultive aussi une prédilection

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« Je ne cherche pas à jouer les châtelains, je conçois ces sites comme des lieux publics portés par un privé » Le château de Villebois-Lavalette, en Charente.

Quels sont les châteaux que vous avez achetés et dans quel ordre ? D’abord, en 2000, le château de Villebois-Lavalette2 (16), ensuite le château du Prince Noir à Lormont3, en 2005 – j’y ai installé les bureaux de ma société –, puis Villandraut, en 2007, et enfin Budos4 (33), en 2013. J’ai aussi fait l’acquisition récemment d’une petite pépite médiévale, le château de Couzages entre Brive et Terrasson, à l’extrémité du causse corrézien. Le donjon du xiiie siècle est en assez bon état mais les parties xve sont en ruine. J’y ai réalisé des travaux de préservation, je l’accompagne. L’ALLIANCE PUBLIC/PRIVÉ

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À Villebois-Lavalette, par exemple, comment avezvous procédé ? Il a d’abord fallu prendre des décisions importantes. VilleboisLavalette a une particularité : le site de 15 ha a été remblayé sur 5 m de hauteur au xve siècle car, avec l’avènement du canon, les vieux remparts construits vers 1180 devenaient obsolètes. Le seul moyen de leur donner une seconde vie était de rehausser le niveau intérieur pour que la masse résiste mieux aux boulets.

Mais en remblayant, on a enterré beaucoup d’architecture. Comme cette grande salle romane de 35 m de long dont plus personne ne connaissait l’existence depuis le xve siècle et que nous avons fait ressurgir du néant. J’ai assumé neuf années de fouilles archéologiques programmées, ce que rien ne m’obligeait à faire. J’aurais pu me contenter de rénover le logis, mais j’ai voulu que l’on puisse connaître la vérité historique de ce lieu qui existe depuis 1 000 ans. En 1 000 ans, les choses bougent. J’ai voulu savoir ce qui s’était passé. Nous avons donc procédé en alternant une année de fouilles archéologiques et une année de restauration. Travaillez-vous étroitement avec les autorités des Monuments historiques ? Oui. Aujourd’hui encore, il y a un certain nombre de choses à faire, mais tout se déroule au coup par coup en accord avec le ministère de la Culture dont les conceptions sont guidées par la prudence, c’est

logique. Il faut donc laisser du temps à l’observation pour agir ensemble, en cohérence avec le monument. À Villebois, nous avons reconstruit une tour flanquée disparue depuis le xvie siècle, pas seulement pour des raisons esthétiques, mais parce que c’était aussi le moyen de renforcer le rempart à cet endroit-là. Cette tour manquait. Nous avions un dessin, et nous l’avons reconstruite avec la voûte, à la manière dont les tours étaient bâties à cette époque. Cela suppose une relation sereine entre le propriétaire et les autres protagonistes ? Bien sûr. Quand nous sommes confrontés à des monuments vieux de 1 000 ans, ou même 700 ans comme à Villandraut, nous pouvons considérer que nous sommes bien peu de chose face à cela, il faut conserver une forme de recul… Personne n’a la science infuse ! Il n’existe pas qu’une manière de restaurer un monument historique. Quand il est classé,

Cl. Michel Dubau

Le fait que vous soyez entrepreneur dans le domaine immobilier vous aide-t-il dans votre action patrimoniale ? Je peux dire que j’ai une forme de savoir-faire… Quand je m’occupe d’un lieu, je sais par quel bout le prendre, quelles

sont les priorités et ce qui peut être entrepris dans un second temps. Tout se fait avec le temps, par tranche. Tous les ans, j’y consacre un peu d’argent mais mes moyens ne sont pas illimités. Et bien sûr, dans la gestion d’un bâtiment classé, tout se passe avec l’accord du ministère de la Culture, de la DRAC. Il n’est pas question de réhabiliter des lieux comme VilleboisLavalette ou Villandraut comme on rénoverait une maison.

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Feuilletage / nous avons affaire à l’architecte des Monuments historiques, au conservateur régional, au conservateur de l’archéologie. Toutes ces personnes n’ont pas forcément les mêmes idées ni forcément les mêmes intérêts. Tout est affaire de discussion et de synthèse. La seule chose que nous gardons tous à l’esprit est l’intérêt du monument. Il n’y a que cela qui compte. J’ai appris beaucoup au contact de certains conservateurs régionaux. Eux aussi sont animés par la passion. Ils ont envie que ces lieux soient préservés et perdurent dans le temps. J’ai rarement eu des problèmes. AIMER ET PARTAGER

Cl. Michel Dubau

Vous êtes d’origine charentaise. Connaissiezvous Villebois-Lavalette depuis votre enfance, estce cela qui vous a guidé dans votre choix ? Non. Le choix, c’est toujours une rencontre avec un monument. Villebois aurait pu être en Gironde, ça aurait

été la même chose. Tout à coup, l’on se dit que l’on est fait l’un pour l’autre. Je choisis certains lieux parce qu’il y a une action à mener, des choses à faire. Cela s’est toujours passé comme ça. Ce que je cherche, c’est de pouvoir accompagner ces monuments pour qu’ils continuent leur histoire un peu plus longtemps. Un siècle de plus. Après, dans 100 ou 150 ans, il faudra que d’autres prennent le relais. Comment procédez-vous avec les associations ? En général, je signe avec elles des protocoles pour une mise à disposition gratuite de 4 ans renouvelable. Je veux conserver un droit de regard, voire de « veto », que j’utilise rarement parce que ça se passe en général très bien. Il y a une forme d’exigence : je tiens à ce que ces lieux vivent, avec la meilleure qualité de projet possible. Des exemples concrets ? J’avais confié Villebois-Lavalette pour quatre ans à l’office

de tourisme, mais c’est son ancienne directrice qui, après la restructuration du pôle du Sud-Charente, est devenue présidente d’une nouvelle association dite « des Amis de Villebois-Lavalette », et nous avançons avec les forces vives. À Villandraut, il préexistait Adichats, une association créée il y a 25 ou 30 ans par un architecte passionné d’histoire, Jean-Luc Harribey. C’est une grosse association, avec des permanents. Ils font de la réinsertion, des travaux pour les collectivités. Ils ont leur siège à Villandraut. Le château est au cœur du système parce que c’est le château du pape Clément V et que Jean-Luc Harribey a une affection particulière pour ce lieu. Depuis l’année dernière, la présidence a changé. Le bail arrivant à expiration, je l’ai renouvelé pour quatre ans. À Couzages, il n’y a pas d’association parce qu’il n’est pas en état d’être visité. Pour l’instant, je m’occupe uniquement de la cristallisation des lieux. Quand le château

sera sécurisé, il sera confié à une association. J’ai aussi un autre bâtiment que j’ouvre au public. Ce n’est pas une construction médiévale, c’est un moulin à farine situé sur la commune de Porchères, près de Saint-Seurin-sur-l’Isle. Il est inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques. C’est un grand bâtiment néoclassique de trois étages qui a la particularité d’avoir conservé toutes ses machines. L’association « Vivons avec le Moulin de Porchères » s’est constituée au moment où j’ai acheté le moulin, cela fait dix ans. Je continue à porter le projet et à travailler avec cette association qui fait des petites manifestations. C’est un très beau lieu. « AU CHEVET DU PATRIMOINE » Allez-vous vous lancer dans d’autres acquisitions ? Pour les châteaux médiévaux, je vais m’arrêter là. Mais j’ai bien une ou deux ruines

Le château de Villandraut, édifié pour le pape Clément V, dans le sud de la Gironde.

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« Le patrimoine français que le monde entier nous envie a besoin de l’intervention de tous »

Rénové sous la férule de Norbert Fradin, le château du Prince Noir en impose par sa silhouette surgie au débouché du Pont d’Aquitaine.

en Charente… Je m’en suis occupé pour éviter qu’il y ait trop de récupération de pierres. Leur valeur est plutôt documentaire, en tant qu’anciens sites symboliques.

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Vous avez aussi prévu dans la citadelle de Blaye une prolongation du musée de la Marine que vous allez ouvrir à Bordeaux, en juin 2018. La citadelle est classée à l’Unesco et reçoit 400 000 visiteurs par an, mais la municipalité n’a pas les moyens de la rénover. Une grande partie des bâtiments sont désaffectés dont certains sont en semi-ruine. L’État comme les collectivités n’ont plus d’argent. Aujourd’hui, nous devons être une quinzaine d’utilisateurs potentiels de la citadelle qui assumons des travaux en contrepartie de notre installation : une cave à vin, deux librairies, un café, etc. Il y a quelques années, j’avais été contacté par la Mairie, mais je n’avais pas de projet à ce

moment-là. Plus tard, je me suis dit : pourquoi ne pas y faire une antenne du musée ? Ça a un sens, Blaye est une espèce de fil rouge entre Bordeaux et l’Océan, pourquoi ne pas faire quelque chose qui soit dédié à l’estuaire ? Tous les porteurs de projet se sont réunis en commission et nous avons signé une convention. J’ai signé le protocole au Pavillon de la Place, où a été incarcérée la duchesse de Berry, sous des plafonds qui sont prêts à s’écrouler… Maintenant, nous travaillons à la mise en place du dossier. Vous avez dit un jour : « Le secteur privé doit se retrousser les manches pour être au chevet du patrimoine ». Avez-vous un sentiment de devoir ? Quand je parle du secteur privé, je l’entends tous montants confondus. Le patrimoine, ça se mérite, ce n’est jamais gagné d’avance. Je l’ai dit récemment

à des visiteurs de VilleboisLavalette venus lors des Journées du Patrimoine : le patrimoine français que le monde entier nous envie a besoin de l’intervention de tous, qu’elle soit verbale pour contribuer à le faire connaître, ou financière. Il faut véhiculer ce message auprès des chefs d’entreprise, qui doivent se mettre au service de la culture et du patrimoine. Il faut aussi l’ancrer dans l’esprit des particuliers, qui peuvent participer à l’action commune en fonction de leurs moyens – même en donnant 50 €  ! – et de leurs envies. C’est peut-être grâce au patrimoine que des Français auront du travail à l’avenir. Pour ce qui me concerne, cela relève certainement d’un devoir, mais c’est aussi un plaisir et j’agis naturellement. • 1. Lire Marc Saboya, « Dans les salons de la Villa 88 », le festin n° 99, automne 2016, pp. 90-93. 2. Voir dans ce numéro notre article, pp. 48-53. 3. Voir dans ce numéro notre article, pp. 116118. 4. Voir dans ce numéro notre article consacré aux châteaux clémentins, pp. 40-47.

Cl. Jérémie Buchholtz

Avez-vous aussi beaucoup d’autres chantiers patrimoniaux en cours ? Oui, je travaille sur d’autres sujets qui allient des lieux patrimoniaux et des opérations culturelles. Il y a bien sûr le musée de la Mer et de la Marine à Bordeaux. Et j’ai racheté la Caisse d’Épargne à Mériadeck pour la transformer en lieu culturel, un peu dans l’esprit de la Villa 88. À Angoulême, j’ai acheté l’Hôtel-Dieu, c’est un lieu extraordinaire. Une partie doit retrouver une utilité et je vais y faire une opération immobilière. Il y a une chapelle gothique qui est une pure merveille, avec un vitrail de 12 m de haut. Le cloître a une charpente du xiiie siècle de 45 m de long. La grande nef

deviendra un lieu culturel et la chapelle des Cordeliers servira de lieu d’exposition ponctuel pour des associations locales.

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// Échappées

LE S MOTS P OUR PAR L E R CH ÂT E AUX Petit glossaire d’architecture castrale, conçu comme une base arrière (fortifiée) pour mieux s’y retrouver au fil des articles qui suivent. Venez-y, revenez-y ! BASTION Ouvrage bas fortifié, à l’origine hémicylindrique et ouvert à la gorge, adapté au tir horizontal des canons. Plus tard, ce mot désignera les ouvrages de forme pentagonale des fortifications modernes.

BARBACANE

BOSSAGE

Ouverture pratiquée dans un mur dans un but de défense avec des armes de tir. On distingue notamment : l’archère, simple embrasure verticale à ébrasement intérieur, la plus simple et la plus ancienne des meurtrières. Elle sert davantage au tir à l’arbalète, plus puissante et plus sûre que l’arc ; l’archère cruciforme dont la croix pouvait servir de viseur à l’archer ; l’archère canonnière, type transitoire de meurtrière provenant de la transformation d’une archère en canonnière et qui se transforma en canonnière pour l’usage d’armes à feu de petit calibre, celle-ci ayant une embrasure de tir horizontale à ébrasement extérieur.

Petit ensemble défensif en avancée du pont-levis d’un château fort, permettant de masser des troupes à couvert, en avant du château. Assez basses, les fortifications de la barbacane sont parcourues par un chemin de ronde et protégées, à l’extérieur, par un fossé que l’on pouvait franchir sur un pont-levis. L’ensemble comporte souvent une salle des gardes et une réserve de munitions.

Saillie à la surface d’un ouvrage de pierre ou de bois, réalisé dans un but d’ornementation — il peut alors être sculpté — qui donne un jeu d’ombre et de lumière ou dans un but défensif — le mur est moins vulnérable aux attaques par boulets ou par sape.

BASSE-COUR

CHAPITEAU

Espace situé à l’intérieur de l’enceinte d’un château fort et situé en contrebas du donjon seigneurial, généralement construit sur une motte plus élevée. Autour de la basse-cour étaient groupés les écuries, les chenils, les remises, les fours à pain, etc.

Élément de forme évasée qui couronne un support vertical et lui transmet les charges qu’il doit porter. D’un point de vue ornemental, il est le couronnement, la partie supérieure d’un poteau, d’une colonne, d’un pilastre, d’un pilier, etc.

ASSOMMOIR Ouverture percée au-dessus d’une porte ou d’un passage, destinée à laisser tomber des projectiles sur un assaillant.

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BRETÈCHE Petite construction en encorbellement sur le mur d’un ouvrage défensif, au-dessus de l’accès d’un château fort et muni d’archères ou de meurtrières ainsi que de mâchicoulis, ces derniers permettant de défendre la base de la muraille ou la porte située en-dessous.

Source : Larousse / Pierre Jacob - Centre régional de documentation pédagogique d’Alsace / passionchateaux.com / Wikipedia

ARCHÈRE

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Échappées //

CHÂTELET Entrée du château à vocation défensive et ostentatoire. Il permet l’adjonction d’éléments d’arrêt (herse, assommoir). Les défenseurs pouvaient y loger.

CONTREFORT Massif de maçonnerie élevé en saillie contre un mur ou un support pour l’épauler.

est établi sur une butte artificielle ou naturelle, la motte. Au xie siècle, la pierre remplace le bois mais le donjon reste carré. À la fin du xie, il adopte la forme ronde qui offre moins de prise à l’attaque. Il peut être aussi octogonal, ovale ou en proue de navire et cantonné de tourelles.

ÉCHAUGUETTE

ENTABLEMENT

Dans l’architecture militaire médiévale, une courtine est la muraille reliant deux tours ; dans l’architecture militaire bastionnée, c’est le rempart reliant deux bastions.

CRÉNEAU [a] Partie ouverte d’un parapet au-dessus d’un rempart ou d’une tour.

[a] [b]

Partie de l’élévation d’un édifice d’ordonnance classique qui s’étend au-dessus des supports et qui superpose, en principe, architrave, frise et corniche.

ESCALIER À VIS [c] Escalier tournant autour d’un axe appelé noyau et formé de marches triangulaires. Chaque extrémité de la marche constitue le noyau.

ESCALIER RAMPE SUR RAMPE [d] Escalier à volées droites parallèles et de sens contraire, séparées par des paliers.

ESCALIER EN FER-À-CHEVAL Ensemble de deux escaliers en quart ou tiers de cercle permettant un double accès au palier.

CUL DE LAMPE Ouvrage décoratif composé de pierres posées en surplomb pour supporter la retombée d’arcs ou de nervures.

DONJON Grosse tour forte d’un château médiéval. Demeure du seigneur, il est aussi l’ultime défense. Jusqu’à la fin du xe siècle, le donjon carré, en bois,

Paroi d’un fossé du côté de l’enceinte. Souvent maçonnée, elle constitue le socle du mur et présente un caractère défensif. Son pendant est la CONTRESCARPE, paroi d’un fossé du côté de l’assaillant.

FENÊTRE À MENEAU Petit ouvrage en surplomb de forme circulaire, à l’angle d’une fortification.

COURTINE

ESCARPE

Le meneau est un montant fixe qui divise une fenêtre en compartiments, notamment dans l’architecture du Moyen Âge et de la Renaissance. Il peut être recoupé par un ou plusieurs croisillons.

HERSE Grille de fermeture d’une porte glissant dans des rainures verticales, manœuvrée au moyen d’un treuil ou d’un contrepoids.

MÂCHICOULIS Galerie en encorbellement au sommet des murailles médiévales et dont le plancher ajouré permettait de laisser tomber des projectiles pour battre le pied des murs.

MERLON [b] Partie pleine d’un parapet entre deux créneaux, deux embrasures.

PILASTRE [c]

[d]

Support carré terminé par une base et par un chapiteau. Un pilastre est incrusté dans un mur tandis que le pilier est un élément isolé.

PONT DORMANT Ouvrage fixe en bois permettant de franchir un fossé

PORTERIE Bâtiment d’un monastère, d’une abbaye, d’un manoir ou d’un château fort situé à côté de la porte, et où loge le portier ou gardien. • le festin { PRINTEMPS 2017 } 39

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Budos, face nord-ouest et tour octogonale. On remarque les latrines en encorbellement qui desservaient le logis interne et, sur la tour, les archères en croix pattÊe.

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Échappées //

Gironde

Clément V entre deux anges, sculpture visible à Villandraut, sur la clef de voûte du 1er étage de la tour ouest, dans la chambre supposée du pape.

CH Â TE AUX C L É ME NTINS LE POUVOIR D’UN PAPE par PHILIPPE DURAND photographies de MICHEL DUBAU

En Bordelais, les châteaux clémentins sont l’un des joyaux du patrimoine du Moyen Âge. Élevés par Clément V et sa famille, ils sont l’expression du rang d’un pape (à Villandraut) qui induit celui de ses proches (à Roquetaillade, Budos, Blanquefort). Ils constituent l’une des plus belles pages de l’art castral français du début du xive siècle.

Le Bordelais possède un riche patrimoine castral mis en exergue depuis le xixe siècle1. Il se targue cependant d’une originalité : les « châteaux clémentins2 », œuvres de Bertrand de Goth, archevêque de Bordeaux, devenu le premier pape français d’Avignon en 1305 sous

le nom de Clément V3, et de sa famille. Les édifices les plus prestigieux sont Villandraut, Roquetaillade, Budos et Blanquefort, auxquels s’ajoutent, plus modestes, Castets-en-Dorthe, La Trave, Preyssac et Sauviac.

Avant d’en venir à une présentation détaillée des châteaux majeurs, il conviendra de souligner les particularités de cette architecture hors du commun et d’en définir le rôle.

1. Léo Drouyn, La Guienne militaire. Histoire et description des villes fortifiées, forteresses et châteaux construits dans le pays qui constitue actuellement le département de la Gironde pendant la domination anglaise, Bordeaux, 2 tomes, 1865 ; Gardelles Jacques, Les Châteaux

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// Échappées Villandraut, vue générale de l’ouest. Façade principale avec le châtelet.

du Moyen Âge dans la France du Sud-Ouest, la Gascogne anglaise de 1216 à 1327, Genève, Droz, 1972. 2. Philippe Durand, Le Château fort, Paris, éd. Jean-Paul Gisserot, 2011, pp. 81-83. 3. Sophia Menache, Clément V, Cambridge, Cambridge University Press, 1998. 4. Jean Mesqui, Châteaux forts et fortifications en France, Paris, Flammarion (Tout l’Art Patrimoine), 1997 ; Philippe Durand, Le Château fort, op. cit. ; Philippe Durand, Les Châteaux forts, Paris, éd. Jean-Paul Gisserot, 2009. 5. Jacques Gardelles, « L’architecture anglaise et les châteaux de Gascogne (xiiiexive siècles) », dans Bulletin monumental, t. 125, n° 2, 1967, pp. 133-156. 6. Philippe Durand, Le Château fort, op. cit.

POUVOIR ET OSTENTATION Un château médiéval a trois fonctions : défense, résidence et symbolisme. La volonté ostentatoire de Clément V et de sa famille va entraîner la création d’une architecture très identitaire et novatrice. C’est Villandraut qui illustre le mieux le phénomène. Le choix de construire là où est né le pape n’est pas anodin : il matérialise l’attachement à la terre d’origine de la famille, il est le symbole de la puissance lignagère. L’édifice se situe, par son plan régulier, dans la tradition du « type Philippe-Auguste » (Le Louvre, Dourdan) 4 et présente des parentés avec les châteaux d’Édouard I er (Conway, Caernavon, Harlech, Beaumaris, Caerphilly)5. Il est cependant novateur par sa cohérence de conception : facture du fossé, association

équilibrée des fonctions militaires et résidentielles, qualité du décor. Il sert de modèle aux constructions des membres de la famille, mais ces dernières retiennent toujours une particularité pour se démarquer et avoir de ce fait une identité propre. Il en est ainsi au Château Neuf de Roquet aillade qui est do té d’un énorme donjon. Cette réminiscence de la tour-maîtresse centrale donne à l’édifice une verticalité impressionnante qui affiche le rang de l’héritier et petit-neveu de Clément V, Gaillard de La Motte. Budos, quoique modeste, imite aussi Villandraut, surtout quant à son plan. La facture différente de la tour ouest, belle réminiscence du type philippien dont elle rappelle le donjon d’angle, apporte l’originalité nécessaire pour se démarquer ! Quant à Blanquefort, il est à première vue différent à cause de la particularité de son site qui implique une adaptation, mais il en impose par sa silhouette qui se situe dans l’esprit de Roquetaillade, avec un donjon central très puissant.

Si la facture de son enceinte est archaïque, il est en revanche très novateur par son donjon au plan et à l’élévation précurseurs (Vincennes et La Bastille). Son originalité sert là aussi à illustrer la puissance du neveu et homonyme du pape, Bertrand de Goth. Les « châteaux clémentins » constituent un exemple remarquable de création d’un type architectural novateur, ostentatoire, destiné à illustrer un pouvoir et une fonction, en l’occurrence le rang du pape Clément V et, par là même, celui des membres de sa famille. Ils sont de même nature que les prestigieux exemples élevés par les grands pouvoirs : l’architecture des Plantagenêts (de 1160 à 1220-1230), celle, majeure, de Philippe-Auguste (1180 à 1220), et celle, plus tardive, de Charles V (1360-1380) et de ses frères (Jean de Berry et Louis d’Anjou)6. Ils sont non seulement les édifices phare de l’art castral en Bordelais, mais ils appartiennent aussi aux plus belles réalisations de l’histoire du château du Moyen Âge en France.

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Villandraut, le pape en son logis Le château est l’édifice phare des constructions clémentines7. Quoique mutilé au xvie siècle, modifié au début du xviie siècle, puis abandonné de 1739 à 1886 (date de son classement au titre des Monuments historiques), il reste aujourd’hui facile à appréhender. 7. Jacques Le chantier est rapide : commencé vers 1305, il semble Gardelles, presque achevé en 1314 (mort du pape). Sa courte durée « Le château de illustre les moyens dont dispose son commanditaire. Villandraut », dans Congrès Le plan est un quadrilatère (52 m sur 43 m), avec quatre archéologique de tours aux angles, un châtelet à deux tours et une entrée France, Bordelais secondaire, le tout entouré d’un fossé inondable, à et Bazadais, 145e session, 1987, constrescarpe maçonnée, fossé dont le plan épouse très pp. 363-373. exactement celui du château. L’édifice est impressionnant, entre autres par l’élévation unitaire de ses tours (22 m). On remarque une particularité : la présence d’archères en croix pattée et de fenêtres dans les tours. La façade principale est placée au sud-ouest, du côté du village. L’accès se fait aujourd’hui par un pont-dormant, mais il y avait à l’origine un pont-levis précédant un sas. Le châtelet, défendu par des archères, un double assommoir et une herse, est imposant. L’aménagement interne est remarquablement conçu. Disposés autour de la cour centrale, sur les trois faces opposées à l’entrée, les logis présentent une salle, une chapelle, des chambres de parement (pièces semi-privatives) et des espaces privatifs. La chambre supposée de Clément V est placée dans l’une des tours. L’occupation noble se fait à l’étage alors que le rez-de-chaussée est affecté au service et au stockage. Un grand degré dessert la salle et une galerie court sur la face nord-est. Le confort se concrétise par la présence de nombreuses cheminées et de latrines. Le décor, mutilé, comprend sculpture (clef de voûte de la chambre du pape présentant ce dernier entre deux anges), peinture murale et carrelage (56 motifs identifiés). Récemment racheté (2007), l’édifice est géré depuis 1984 par l’association Adichats. Château de Villandraut 33730 Villandraut Visites toute l’année (libre : 1 € ; commentée : 4 €) Association Adichats T. 05 56 25 87 57 chateaudevillandraut.fr

Le fossé en U qui pouvait être inondé. On remarque le tracé d’angle qui épouse le plan de l’édifice.

Vue générale de la cour avec les logis régulièrement disposés sur trois côtés.

Les « châteaux clémentins » constituent un exemple remarquable de création d’un type architectural novateur, ostentatoire, destiné à illustrer un pouvoir et une fonction le festin { PRINTEMPS 2017 } 43

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Roquetaillade, le Château Neuf

Vue générale (nord-est). Le donjon quadrangulaire en impose par ses dimensions.

Vue générale (sud-ouest) avant restauration, 1865 (Léo Drouyn, La Guienne Militaire, pl. 3).

Roquetaillade est un site exceptionnel par la présence de deux châteaux8. Dès le xiiie siècle au moins, un castrum, possession de la famille de La Motte, est attesté. C’est Gaillard de La Motte, petit-neveu de Clément V dont il est l’héritier, devenu cardinal en 1316, qui, après avoir repris le Château Vieil au début du xive siècle, décide la construction d’un nouvel édifice, le Château Neuf. La date des travaux n’est pas 8. Jacques connue avec précision, mais se situe Gardelles, vraisemblablement vers les années « Roquetaillade. Les châteaux 1310-1320. médiévaux », Bien que restauré, l’édifice médiéval dans Congrès est connu, entre autres, par les dessins archéologique de France, Bordelais de Léo Drouyn. et Bazadais, 145e Protégé par un fossé, il présente un session, 1987, plan carré (33 m de côté), flanqué pp. 185-195. de quatre tours circulaires aux angles, doté d’un châtelet entre deux tours et de deux entrées secondaires dans des tours rectangulaires (l’une a disparu), une cour avec logis sur trois faces et au centre un imposant donjon (10 m de côté, 30 m de haut). On note, extérieurement, la présence systématique d’archères en croix pattées et de bretèches. La restauration (entre 1864 et 1878) de Violletle-Duc (puis Edmond Duthoit) a modifié l’édifice : restitutions des parties hautes, reprise des logis et du donjon, ajout d’une chapelle castrale. Classé Monument historique en 1976, le Château Neuf appartient toujours à la même famille.

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Échappées //

La Chambre Rose, restauration de Violletle-Duc.

Château de Roquetaillade 33210 Mazères Visites toute l’année Château : 9,50 € (adultes) ; 6,50 € (enfants, étudiants) Château et métairie : 11 € (adultes) ; 8 € (enfants, étudiants). Tarifs groupe sur demande T. 05 56 76 14 16 chateauroquetaillade.free.fr

La cour et le donjon dont la partie basse a été reprise par Viollet-le-Duc.

Face ouest, l’accès principal entre deux tours formant châtelet.

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Budos, à l’imitation de Villandraut

Château de Budos 33720 Budos Visites sur demande Association Adichats assoadichats.net T. 05 56 25 87 57

Face principale (sud-est) avec tour-porte.

Rez-de-chaussée de la tour-porte et cour.

Tour octogonale ouest, lices et fossé.

Isolé dans un paysage de vignes, le château de Budos a tout de la ruine romantique9. Bien que mutilé (courtines et logis), il n’en reste pas moins un exemple significatif. Il est l’œuvre de Raymond Guilhem de Budos, neveu du pape, qui reçoit l’autorisation de fortifier d’Edouard I er, roi d’Angleterre, en mars 1306, et commence alors la construction. Doté d’un fossé de même facture qu’à 9. Fanette Goujon, Villandraut et de lices, il présente un Le Château de plan rectangulaire (56 m x 46 m) Budos, Mémoire de Master (dir. Jacques flanqué aux angles de tours (trois sont Lacoste, Philippe circulaires, la quatrième octogonale). Durand), Les tours possèdent des archères en Université Michel de Montaigne/ croix pattée à chaque niveau et un Bordeaux 3, UFR crénelage. La courtine sud-est, bien d’Histoire de l’Art, conservée, est également pourvue 2006. d’archères en croix pattée et d’un crénelage (bien visible sous la surélévation). La tour-porte est quadrangulaire et présente deux niveaux. La cour était entourée de logis disposés en U ; ils sont totalement détruits aujourd’hui, mais on peut vraisemblablement identifier le logis principal au nord-ouest, étant données la facture du revers de la courtine et la présence de nombreuses latrines en encorbellement. L’édifice a subi un remaniement au xvie siècle (mâchicoulis de la tour-porte, courtine surélevée, aménagement de deux canonnières dans la tour ouest). Vendu comme bien national en 1825, il a servi de carrière de pierre. En 1862 (gravure de Léo Drouyn), son état est celui que nous connaissons aujourd’hui. Inscrit à l’inventaire des Monuments historiques en 1998, c’est une propriété privée, gérée par l’association Adichats.

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Vue générale (sud) : la courtine et ses tourelles pleines surmontées par les vestiges du donjon.

Blanquefort, en accord avec le site Le château de Blanquefort est, avec celui de Villandraut, l’exemple le plus remarquable de l’art castral du Moyen Âge en Bordelais10. Élevé sur une petite plate-forme au milieu d’un marécage asséché, il contrôle la voie qui 10. Alain Tridant, vient du Médoc et dessert Bordeaux. Les Carreaux de Apparu en 1027 (son seigneur est alors pavement de la forteresse médiévale Alkemus de Blankefort), il possède de Blanquefort peut-être déjà un édifice en pierre (Gironde), Blanquefort, Publications du (vestiges d’un petit appareil cubique à la base du donjon actuel). Objet de travaux GAHBLE, 2005 ; Philippe Durand, en 1247, il est vendu à la couronne « Léo Drouyn anglaise en 1257 et 1270. Il est cédé en et le château de Blanquefort », dans 1308 par Édouard II à Bertrand de Goth, Léo Drouyn en neveu du pape. Médoc, collection Le château actuel est le fruit de deux Léo Drouyn - Les albums de dessins, campagnes principales. Son plan vol. 10, Bordeaux, ovoïde s’explique par la facture de la Les Éditions de plate-forme rocheuse qu’il épouse l’Entre-deuxMers/CLEM/AHB, parfaitement. Il est protégé par d’importants fossés qui deviennent 2003, pp. 31-59. souvent des douves. La première campagne présente une enceinte ovoïde (environ 65 m sur 55 m), de faible élévation, aveugle, flanquée de petites tourelles hémicirculaires pleines, un châtelet à deux tours et un donjon. Ce dernier est composé d’une partie rectangulaire flanquée de six tours, le tout d’élévation égalitaire, présente quelques archères en croix pattée et des mâchicoulis sur arc. Il est doté d’un programme résidentiel soigné et d’un décor (carrelage). Le commanditaire de cette campagne est source de débat : le roi d’Angleterre, entre 1270 et 1308, ou Bertrand de Goth entre 1308 et 1325 ? La seconde hypothèse paraît beaucoup plus

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plausible : défense médiocre (les constructions royales en imposent alors par une défense très active, ainsi à Sauveterre-La-Lémance), intérêt peu évident d’Edouard I er d’élever ici un château (peu de présence dans la région, problèmes financiers, dus aux sommes colossales investies dans les chantiers du Pays de Galles, qui conduiront son fils, dès 1308, à céder Blanquefort pour s’acquitter d’une partie de sa dette envers le pape), facture très ostentatoire de l’édifice (originalité, donjon à élévation égalitaire dominant une enceinte modeste, qualité du programme résidentiel et du décor) qui semble beaucoup plus être le reflet de la puissance de Bertrand de Goth, légataire de son oncle le pape, à la tête dès 1314 d’une fortune conséquente.

Face orientale du donjon. Seule une partie de la face sud est conservée en élévation.

La seconde campagne, œuvre d’Antoine de Chabanne entre 1455 et 1463, vise à actualiser les défenses du château (renforcement de la courtine et des tourelles, construction de deux tours d’artillerie) et à mettre au goût du jour le donjon (escalier monumental, réorganisation de l’aménagement interne). Une dernière reprise est effectuée par Symphorien de Durfort au xvie siècle (tour occidentale du châtelet, courtine voisine dotée de puissantes canonnières). Le château est aujourd’hui dans un état de conservation moyen. Propriété privée, il est pris en charge par le Groupe d’archéologie et d’histoire de Blanquefort (GAHBLE). • PHILIPPE DURAND est maître de conférences en histoire de l’art du Moyen Âge à l’université Bordeaux-Montaigne. Château de Blanquefort Rue de la Forteresse 33290 Blanquefort Visites sur demande Maison du Patrimoine T. 05 56 57 09 42 gahble.org

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V I L L E B OI S -L AVALE TTE 1 000 ANS, 1 000 VIES Charente 48 { PRINTEMPS 2017 } le festin

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par SERGE SANCHEZ photographies de MURIEL PIERROT

Depuis la fin du haut Moyen Âge, le château de Villebois-Lavalette a connu heurs et malheurs, passant entre les mains d’une étonnante galerie de personnages. Rétrospective.

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// Échappées Vue du logis du xviie siècle (à droite) depuis la cour. Derrière les portes à croisillons (en face), une immense salle voûtée de la même époque. Villebois-Lavalette est alors un lieu d’agrément.

Que vous arriviez de Périgueux, Cognac ou Angoulême, l’impression est saisissante. Après le renfoncement des vallées, la couverture des arbres se déchire et le château de Villebois surgit dans une grande bouffée d’air bleu décapé par le vent. Mille ans que cette couronne de remparts est là, posée sur son éperon de colline ! Du pur médiéval, comme la Cité de Carcassonne, à laquelle le site est quelquefois comparé pour cette raison.

LE REPRENEUR AMOUREUX Comment en vient-on à acheter un tel monument ? « De manière fortuite, comme toujours dans ces cas-là, nous confie son propriétaire, Norbert Fradin (lire l’entretien, pp. 32-36). On ne cherche pas, et tout à coup, quelque chose s’impose à vous. J’étais passé ici 50 { PRINTEMPS 2017 } le festin

souvent. Je connaissais Villebois comme une ruine couverte de végétation. Mais un jour, comme j’arrivais sur le site en voiture, le château m’est apparu tout d’un coup, mon pied s’est levé de l’accélérateur. J’ai su que nous étions faits l’un pour l’autre ! » Norbert Fradin est un homme d’affaires efficace, ce qui ne l’empêche pas d’avoir conservé intacte sa capacité d’émerveillement. Il nous rappelle avec raison que le Moyen Âge, si longtemps dénigré, connut une première Renaissance. « Entre le xie et le xiiie siècle, se produit une explosion des arts, comme au sein de la société, la première après la chute de l’empire romain, explique-t-il. On crée de grandes universités, des villes… On invente même l’Europe au cours des déplacements commerciaux ou militaires, des alliances, etc. » Sourire malicieux aux lèvres, il ne craint pas d’aller à l’encontre des opinions convenues. Pour lui, il y a de beaux châteaux troubadour,

et les restitutions de Viollet-le-Duc, souvent décriées, sont à reconsidérer. « Les châteaux médiévaux sont des lieux orphelins, nous dit-il. Ils ne sont pas faits pour y habiter. Nous en sommes les dépositaires, pas les propriétaires. » Ici, le projet est clair : réhabiliter les lieux, puis en offrir la gestion à une association locale, Les Amis du château de Villebois-Lavalette, dont les membres œuvrèrent à la réhabilitation du château entre 1980 et 1998. Après l’achat, en 2000, le nouveau propriétaire fait procéder à une étude archéologique très poussée. Préalable à toute intervention, celle-ci dure de 2001 à 2007. On interroge les archives, on fouille le terrain, on trie, on classe, on creuse, on dégage. Et à mesure qu’il livre les secrets de son histoire et de ses transformations successives, le site renaît.


Échappées //

Des impacts d’artillerie sont encore visibles sur les murs de la chapelle à double étage. Au-delà des remparts, le panorama est à proprement parler vertigineux.

L’entrée du château.

QUAND LES MURS PARLENT D’abord, il y eut ici une motte castrale, entendez une colline artificielle, bâtie à mains d’hommes, sur laquelle fut érigée une tour protégée par une palissade de bois. Vers le milieu du xe siècle, le puissant comte d’Angoulême autorise les seigneurs de Villebois à s’installer à la frontière sud-est de ses terres, qu’ils pourront surveiller et défendre. Aux xie et xiie siècles, les Villebois ont prospéré : ils sont également seigneurs de Cognac. Une de leurs filles épouse un fils bâtard de Richard Cœur de Lion. Durant cette période, la pierre commence à remplacer le bois, trop sujet aux

incendies. Au début du xiiie siècle, le site ressemble grosso modo à ce que nous voyons aujourd’hui, y compris les tours rapportées aux murailles. Une différence toutefois : à l’époque, la porte d’entrée se trouvait exactement à l’opposé de celle d’aujourd’hui. En pénétrant à l’intérieur des remparts, la chapelle est le premier bâtiment que l’on voit. Elle comprend, fait rare, deux niveaux. À l’intérieur, des chapiteaux sculptés d’entrelacs, de feuillages, quelques-uns d’une simplicité géométrique étrangement moderne. Des pierres ont gardé les traces d’un violent incendie. Les archéologues ont notamment découvert 29 sépultures, à l’intérieur et sur le parvis du monument. Les défunts sont de tous âges. Des pathologies héréditaires indiquent que certains appartenaient à la même famille. Des squelettes portent aussi les marques de blessures par armes aux bras et au visage. Y compris celui d’un enfant. Avons-nous affaire à des victimes de la guerre de Cent Ans ? Mystère.

VIE ET DESTIN D’ISABELLE D’ANGOULÊME Jadis, la masse imposante d’un donjon prolongeait la chapelle. Il servait d’habitation, et surtout de refuge en cas d’invasion ennemie. Un document daté de 1242 indique que les propriétaires de Villebois étaient alors Hugues X de Lusignan, comte d’Angoulême, et Isabelle de Taillefer. Petite-fille du roi de France Louis VI, celle-ci était devenue reine consort d’Angleterre dans des circonstances hautement romanesques. Isabelle était née à Angoulême en 1186. Elle avait quatorze ans lorsqu’on décida de la marier au puissant seigneur Hugues X de Lusignan. Cette union avait pour but de former un état fort dans l’Ouest aquitain, entre les deux places fortes des Plantagenêt : Bordeaux et Poitiers. Le roi d’Angleterre, Jean sans Terre, sentit le danger. Cette alliance risquait de lui faire de l’ombre. Invité d’honneur au mariage, il enleva Isabelle et l’épousa sans attendre à Angoulême. C’est ainsi qu’elle devint reine d’Angleterre. Elle donna six enfants au roi. Lorsque celui-ci mourut, en 1216, son fils, le festin { PRINTEMPS 2017 } 51


// Échappées Les remparts du château dominent le paysage depuis mille ans. On les compare à la Cité de Carcassonne en raison de la pureté de leur style médiéval.

Henri III, monta sur le trône. Isabelle fut alors réexpédiée en Angoumois par les barons anglais. Désormais veuve, elle épousa… Hugues X de Lusignan, son ancien fiancé, et donna le jour à neuf autres enfants. Son caractère difficile, relevé par quelques chroniqueurs de l’époque, peut évidemment s’expliquer par son mariage précoce et l’infidélité de ses deux maris. À la fin de sa vie, Isabelle se retira à l’abbaye de Fontevrault. Elle mourut le 4 juin 1246 après avoir pris le voile sur son lit de mort. On peut toujours voir son gisant dans le cimetière royal des Plantagenêt. Après l’extinction des Lusignan, en 1355, le roi de France confia Villebois aux Mareuil, qui le conservèrent jusqu’au milieu du xvi e siècle. Ils rendirent le château plus confortable tout en maintenant son asp ect défensif. Abandonnant le vieux donjon, qui fut alors en partie détruit, ils firent édifier le logis qu’on voit encore actuellement avec sa tour carrée. Ils le dotèrent de grandes baies à meneaux et traverses. Mais équipées de grilles solides ! Si l’on voulait plus de lumière, on n’oubliait pas d’être prudents.

CONQUÊTE DU « DEMI-ROI » Durant les guerres de Religion, Villebois fut plusieurs fois assailli, cédé et repris. En 1589, l’artillerie de Jean-Louis de Nogaret de La Valette, duc d’Épernon, 52 { PRINTEMPS 2017 } le festin

troue la muraille. Les catholiques, conduits par le chevalier d’Aubeterre, sont écrasés. Des impacts visibles sur un mur de la chapelle datent peut-être de cet assaut. Ce personnage éminent de l’histoire de France, « mignon » (favori) d’Henri III, qualifié de « demi-roi » par son influence et sa richesse supérieure à celle du monarque, compléta sa victoire par 18 pendaisons. Mais plus que d’avoir exécuté des hommes, il regrettait d’avoir abîmé Villebois, dont il devint le nouveau propriétaire. En 1610, il était présent aux côtés d’Henri IV lors de son assassinat par Ravaillac (un natif d’Angoulême, cela vaut la peine d’être rappelé). Le 28 décembre 1615, il reçut à Villebois Louis XIII et Anne d’Autriche, qui arrivaient de Bordeaux, où ils venaient de se marier. En 1622, Villebois est érigé en duché-pairie et son nom complété par celui de La Valette. Pour l’anecdote, le cœur de la femme de Nogaret, Marguerite de Foix-Candale, est enfermé dans une colonne de marbre noir toujours visible au nord de la cathédrale d’Angoulême. Une visite s’impose, cela va sans dire. Malgré sa notoriété et ses victoires, ou peut-être à cause d’elles, Nogaret fut exilé à Loches. Il y mourut en 1642 et fut inhumé dans l’église de son château de Cadillac, en Gironde. Au xviie siècle, Villebois passe aux mains du duc de Navailles, général en chef des armées du roi et pair de France. Le château féodal, avec son vieux donjon et ses courants d’air, ne servait plus de rien aux propriétaires qui désiraient une

résidence d’agrément, belle et confortable. Ainsi furent creusées des fenêtres, installés des lanternons et des sculptures, aménagés une cour d’honneur, des jardins, des terrasses et un escalier à double rampe menant à une grotte artificielle. Sur la façade du logis, on plaça une horloge, et, raffinement suprême, on éleva un pont-galerie de vingt mètres de long sur quinze mètres de haut qui n’avait pour ainsi dire aucune utilité. Purement esthétique, il ne servait pas à surveiller d’hypothétiques ennemis, mais à admirer le paysage.

L’ABBÉ GRAPHOLOGUE À l’époque de la Révolution et durant la première partie du xixe siècle, le château servit successivement de magasin de vivres, de prison et de caserne de gendarmerie, avant d’être ravagé par un immense incendie le 10 décembre 1822. En 1838, un personnage aussi curieux qu’attachant, l’abbé Jean-Hippolyte Michon, l’acheta pour y fonder un pensionnat. Républicain, passionné d’histoire, de botanique et d’archéologie, ce fils de paysan corrézien avait étudié au séminaire de Saint-Sulpice, à Paris. Il fit ouvrir une baie dans la chapelle et placer sur le toit la girouette qu’on y voit encore. L’école de l’abbé Michon accueillait une soixantaine d’élèves en 1841, alors qu’il en aurait fallu deux cents pour éponger le crédit de l’établissement. Ruiné par


Quelques hôtes de ces lieux

Villebois-Lavalette s’enfonçait lentement dans la ruine quand, en 1914, un médecin parisien très à la mode dans le monde des lettres le racheta. Son petit-fils devint le comédien connu sous le pseudonyme de… Bernard Lavalette ses rêves d’éducation, le pédagogue quitta le château avant même d’avoir pu le payer intégralement. Lâché par sa hiérarchie, il devint ensuite journaliste et grand voyageur tout en fondant les bases d’une discipline encore balbutiante : la graphologie.

Cl. Gaëlle Kermen / © Muzeo / D. R. / © Delcampe.net

BELLES LETTRES ET CINÉMA Les décennies suivantes, Villebois s’enfonça lentement dans la ruine. La végétation envahit la cour d’honneur, le lierre attaqua les façades, les racines des arbres crevèrent les murailles. La nature réussissait là où bien des armées avaient déclaré forfait. C’était un désastre. En 1914, un médecin parisien très à la mode dans le monde des lettres, Maurice de Fleury, rachetait Villebois pour en faire une résidence secondaire. Né à Bordeaux, psychiatre, le Dr Fleury tenait dans Le Figaro une chronique signée Horace Bianchon, un pseudonyme inspiré par Balzac. Ami de Huysmans, habitué du salon des Daudet, où se retrouvait le tout-Paris, le médecin avait éclairé Zola de ses conseils lorsque celui-ci écrivait Le Docteur Pascal. Parmi ses patients, figuraient Lucien Guitry et Sarah Bernhardt. En novembre 1903, il écrivit un long et élogieux article d’hommage à son confrère à l’Académie de médecine, le Pr Adrien Proust, père du petit Marcel, l’auteur de La Recherche. Plus tard, il reçut la visite d’un jeune médecin de

la marine, lui aussi très lettré et bien connu à Bordeaux, Victor Segalen ! Né en 1926, le petit-fils de Bernard de Fleury est devenu un comédien de théâtre et de cinéma très populaire sous le nom de Bernard Lavalette, en référence à ses séjours à Villebois durant son enfance. Aujourd’hui encore attaché au lieu, il fut partie prenante de la restauration du château au sein de l’association des Amis du château. Un énorme travail a été poursuivi sur le site depuis son acquisition par Norbert Fradin. La totalité de l’enceinte médiévale est maintenant nettoyée et rejointée, les tours redressées, les toitures et façades restaurées sous la surveillance des Affaires culturelles et des Monuments historiques. En 2003, une nouvelle salle médiévale, de dimensions impressionnantes, a même été découverte. Jusqu’ici emplie de terre, elle a été dégagée et protégée par une dalle de béton. Le château de Villebois accueille aujourd’hui visiteurs et manifestations culturelles. Comme promis, il a été rendu au public. • SERGE SANCHEZ est écrivain.

XIIIe Gisant d’Isabelle de Taillefer dans le cimetière royal des Plantagenêt à Fontevrault. Petitefille du roi de France, née à Angoulême en 1186, elle fut enlevée par Jean sans Terre le jour de son mariage. C’est ainsi qu’elle devint reine consort d’Angleterre à l’âge de quatorze ans.

XVIe-XVIIe Jean-Louis de Nogaret de La Valette, duc d’Épernon, s’empara de Villebois par la force en 1589. Favori d’Henri III, il était alors si influent qu’on le qualifia de « demi-roi ». En 1610, il se trouvait aux côtés d’Henri IV lors de son assassinat par Ravaillac.

XIXe L’abbé Jean-Hippolyte Michon. Républicain passionné d’histoire, de botanique et d’archéologie, ce fils de paysan corrézien acheta le château en 1838 pour y fonder un pensionnat. Ruiné par ses rêves d’éducation, il est aujourd’hui connu pour avoir fondé les bases de la graphologie.

XXe Bernard Lavalette est le petit-fils du Dr Fleury, qui acquit Villebois-Lavalette en 1914. Devenu un comédien de théâtre et de cinéma très populaire, il choisit son pseudonyme sur les conseils de Pierre Tchernia et en hommage au château de son enfance.

Château de Villebois-Lavalette Visites guidées de juin à septembre Autres dates : sur réservation (4 personnes minimum) Tarifs visites plein / réduit : Château : 4 € / 3 € ; Château + village : 4,50 € / 3,50 €  ; Village seul : 1,50 € / 1 € 16320 Villebois-Lavalette T. 06 87 70 05 78 chateaudevilleboislavalette.com

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PO UDE NAS UN AIR D’ITALIE EN ALBRET Lot-et-Garonne 54 { PRINTEMPS 2017 } le festin


Le paysage vers la vallée de la Gélise depuis le parterre du château.

par ALAIN BESCHI photographies d’ÉMILIE DUBRUL

Ce château rénové au cours du Grand Siècle est un millefeuille d’Histoire remontant au xiiie siècle. Ou comment – et pour qui – un austère castrum a évolué au fil des siècles en un agréable ensemble de villégiature champêtre qui, ouvert vers la vallée de la Gélise et son paysage de pinèdes, emprunte l’allure d’une belle et monumentale villa toscane. le festin { PRINTEMPS 2017 } 55


// Échappées

Maisons étagées, château et église « de l’effet le plus pittoresque ».

Stendhal n’est pas passé par Poudenas. Pourtant, si depuis la vallée de la Garonne en Agenais, dont il vante les charmes lors de son voyage de 1838, sa curiosité l’avait conduit jusqu’aux confins de l’Albret, sans doute eût-il trouvé dans cette localité des rives de la Gélise les grâces des paysages italiens qu’il affectionnait tant. Car nulle part la comparaison avec l’Italie ne s’impose mieux qu’ici, à la lisière des petites landes, pour ce village étagé sur le versant sud d’un coteau dominé par un château aux allures de grande villa toscane, avec ses terrasses, ses tons ocre, ses allées de cyprès et les pinèdes qui l’environnent. À la même époque, l’aspect du site impressionne le rédacteur de la revue régionale L’Agriculture comme source de richesse, dans la première description connue du château : « sans tours, sans tourelles, sans pignons aigus ; mais sa façade présente trois étages de balcons ou galeries superposés, de l’effet le plus pittoresque et qui permettent à ceux qui 56 { PRINTEMPS 2017 } le festin

À Poudenas affleurent tout autant la rugosité des temps médiévaux que les références à l’architecture française des xvie et xviie siècles l’habitent ou qui le visitent d’admirer, sous un triple point de vue, le magnifique paysage qui se déroule à l’entour. » Sous son aspect d’aimable villégiature champêtre pour gentilshommes gascons, affleurent cependant tout autant la rugosité des temps médiévaux que les références à l’architecture française des xvie et xviie siècles.

UN CASTRUM EN PAYS DE MARCHE Le nom de la famille seigneuriale des Poudenas a précédé celui du site dans les textes anciens. Dès le xie siècle, un certain Odon de Podenas est ainsi mentionné en compagnie du vicomte de Lomagne comme témoin d’une charte accordée par le comte d’Armagnac.

Durant tout le Moyen Âge, la famille apparaît dans l’entourage du puissant lignage féodal, dont l’influence s’étendait outre Garonne, au sud du fleuve, jusqu’au contact des possessions néracaises des D’Albret. Bien que relevant administrativement de l’Agenais, le lieu de Poudenas a toujours regardé vers le Condomois. Quant au tropisme de la famille pour la Gascogne centrale, il s’affirme plus encore à la fin du xiie siècle, lors de l’établissement de branches cadettes à Marambat et Peyrusse dans le comté de Fezensac, entre Condom et Auch. S’il est probable que le site castral de Poudenas, près du bourg de Mézin et en position de contrôle sur une digitation de l’antique Ténarèze – voie reliant les Pyrénées aux pays garonnais – existe de longue date, le castrum n’est cité qu’au milieu du xiiie siècle. Il est alors détenu


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par plusieurs coseigneurs se partageant divers droits sur la seigneurie, dont ceux d’un péage. Le château est probablement déjà composé de tours et de résidences nobiliaires réunies dans une enceinte doublée d’un fossé, complété par l’église du bourg faisant office de chapelle castrale. C’est en tout cas ce que laisse apparaître l’examen des maçonneries médiévales qui subsistent aujourd’hui, réputées postérieures au siège de la place en 1369 par Édouard de Woodstock, alias le Prince Noir, fils aîné d’Édouard III d’Angleterre. La remise en état du château, à l’initiative du comte d’Armagnac, serait effectuée en 1372 par un maître-maçon dénommé Pierre Baudry. Les vestiges de cette époque sont considérables, puisque l’essentiel de l’enceinte ainsi que plusieurs corps de logis voûtés sont conservés, caractérisés par des murs épais de calcaire gris percés d’étroits jours verticaux. En dépit du cortège de malheurs qui accompagne la guerre de Cent Ans,

Terrasse et balcon de la façade sud.

le vieux lignage des Poudenas se maintient à l’issue du conflit et reste maître du bourg. Alors que les formes de la Renaissance éclosent et s’épanouissent en Albret autour de la cour princière de Nérac, le château garde encore dans la seconde moitié du

xvie siècle l’aspect d’une austère forteresse médiévale. Quelques croisées à meneaux témoignent pourtant d’une volonté des occupants d’ouvrir plus largement la résidence sur le paysage. Si ces fenêtres sont caractéristiques, par leurs moulures prismatiques, le festin { PRINTEMPS 2017 } 57


Façade sud : escalier et portique.

du gothique tardif, l’une appartient résolument à la Renaissance : les fins pilastres coiffés de chapiteaux à cornes, les figures à l’antique des médaillons de l’entablement montrent que son commanditaire, vraisemblablement le baron Gaston de Poudenas, mort en 1577, n’était pas demeuré insensible au goût pour les ornements venus d’Italie. Dernier descendant mâle de la lignée, il laisse le château en héritage à sa nièce et filleule Françoise de Caubios qui apporte les titres attachés à la possession de la seigneurie à son second époux, Jean du Bouzet de Roquépine.

LES AGRÉMENTS D’UNE DEMEURE CHAMPÊTRE Issue de la vieille noblesse gasconne, la famille du Bouzet s’est largement illustrée durant les épisodes militaires liés aux guerres de Religion. À l’instar de son frère Bernard du Bouzet, maréchal 58 { PRINTEMPS 2017 } le festin

de camp des armées du roi, gouverneur de Tonneins, Agen et Condom, dont il fut, selon l’historien des Maisons historiques de Gascogne, Joseph Noulens, « l’émule en vaillantise, en désintéressement et en zèle monarchique », Jean du Bouzet a largement pris part aux hostilités. Ses fonctions de commandement – et même de gouverneur de la Guyenne en l’absence du maréchal de Matignon – en ces temps troublés, ne lui laissèrent guère le loisir de mettre en œuvre un chantier de rénovation du château. Ce projet architectural d’envergure fut l’œuvre de ses successeurs, une fois le pays pacifié, dans la seconde moitié du xviie siècle. Le chantier fut mis en œuvre sous Jean du Bouzet, issu de la troisième génération de la lignée de Poudenas et l’une des personnalités militaires majeures de la Guyenne au service du pouvoir royal à l’époque de la Fronde. Homme d’armes ayant chevauché de la Lorraine jusqu’à la Catalogne et au Piémont, il entreprend tout d’abord de

bien loger ses chevaux en faisant édifier en 1664, par le maître-maçon Duplan, de vastes écuries voûtées. Il est encore vraisemblablement le commanditaire des travaux considérables qui ont fait du vieux château une demeure d’agrément largement ouverte vers la petite vallée de la Gélise. Il s’agissait alors de réorganiser les différents corps de logis et bâtiments adossés à l’enceinte, héritage hétéroclite de la coseigneurie du Moyen Âge, en un ensemble régulier distribué autour d’une cour d’honneur. Vers l’extérieur, l’aile sud, percée de grandes croisées, a été entièrement reprise. La subsistance de l’enceinte médiévale en soubassement et le relief escarpé sur ce flanc ont contraint l’architecte à adapter son projet à la topographie en créant des aménagements en gradin. Balcon supérieur, terrasse intermédiaire et parterre en contrebas, maintenu par un imposant soutènement, créent un effet de profondeur accentué par l’ombrage d’un portique ajouré de hautes


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Flanc nord : fenêtre Renaissance.

Corps central et aile sud.

arcades. Le mur du fond de ce portique est orné d’un décor peint simulant une loggia voûtée d’ogives donnant vers un paysage agreste, maintenant très dégradé, mais qui créait une véritable perspective illusionniste – réminiscence de l’esprit des « grottes » rustiques de la Renaissance ? L’escalier en fer à cheval et l’étagement des garde-corps à balustres participent de la scénographie de cette élévation.

Le « bureau ».

DESSEIN ET SAVANT DESSIN À l’intérieur de l’enceinte, la recomposition a été effectuée à partir d’un corps central venant barrer la cour. Il est encadré de deux pavillons d’angle ; celui placé au sud-ouest abrite le grand escalier rampe-sur-rampe, autrefois directement accessible depuis la cour. Entre ces pavillons, une galerie à arcades supporte une terrasse. Le rythme binaire des percements du mur supérieur, où alternent portes basses et grandes croisées (à l’origine à doubles meneaux), révèle un dessin savant pour cette façade. Les encadrements à bossage, les chaînes harpées, les pilastres, la corniche à modillons... concourent à l’unification visuelle des différentes ailes, alors qu’un enduit d’imitation donnait partout l’illusion de murs appareillés. La date 1686 peinte sur les deux cadrans solaires de la cour, au temps de Pierre Gaston du Bouzet, livre un terminus ante quem

pour la réalisation de cet ensemble qui s’inscrit, plutôt, dans la tradition de l’architecture française des premières décennies du xviie siècle. Les périodes suivantes n’ont guère apporté de transformations majeures à l’apparence extérieure du château. Le comte de Dijon, propriétaire des lieux à la fin du xviiie siècle et grand amateur d’agriculture, s’est surtout plu à agrémenter le parc d’une diversité d’espèces végétales, dont un des premiers ormes du Caucase acclimatés en France. La petite-fille du comte, Stéphanie de Virieu, héritière du domaine, retirée à Poudenas à la fin de sa vie, consacra à 80 ans révolus

ses dernières forces aux aménagements intérieurs. Cette fervente catholique, peintre et sculptrice amie de Lamartine, qui la considérait comme le « Greuze des femmes », travailla notamment à la décoration du « bureau », salle toute empreinte de nostalgie nobiliaire d’Ancien Régime. Sans doute éprouva-t-elle aussi dans l’air singulier baignant les rives de la Gélise, la nostalgie de son « grand tour » et des paysages italiens jadis parcourus. • ALAIN BESCHI est conservateur au service du patri-

moine et de l’Inventaire de la Région Nouvelle-Aquitaine.

Château de Poudenas Réception et gîte au château 47170 Poudenas T. 05 53 65 70 53 poudenas.com

le festin { PRINTEMPS 2017 } 59


La légende du vin BEAULO N DE SEIGNEURS EN VIGNERONS Charente-Maritime 60 { PRINTEMPS 2017 } le festin


Le château vu depuis le nord.

© Château de Beaulon

par YANNIS SUIRE (Région Nouvelle-Aquitaine) photographies de GILLES BEAUVARLET et RAPHAËL JEAN (Région Nouvelle-Aquitaine) (sauf mention contraire)

Entre Royan et Blaye, le château de Beaulon fait aujourd’hui partie des domaines viticoles les plus renommés de Saintonge. Son histoire et son architecture, sur les rives de l’estuaire de la Gironde, illustrent la transformation d’un logis seigneurial d’Ancien Régime en une propriété viticole prospère. le festin { PRINTEMPS 2017 } 61


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Deux lucarnes percent le toit côté nord : l’une est médiévale, l’autre de style Renaissance

Côté sud, le château est flanqué d’une tour d’escalier du xvie siècle.

Les rives de l’estuaire de la Gironde, en Saintonge comme en Médoc, sont jalonnées de demeures et de châteaux dont la vocation viticole est souvent affirmée depuis plusieurs siècles. C’est ce qu’a souligné, entre autres, l’inventaire général du patrimoine culturel de l’estuaire de la Gironde mené depuis 2010 par la Région Nouvelle-Aquitaine. Si les propriétés saintongeaises sont moins prestigieuses que les grands crus médocains, certaines n’en recèlent pas moins une histoire et une architecture remarquables, à l’image du château de Beaulon, à Saint-Dizantdu-Gua, siège d’une seigneurie devenue domaine viticole.

ENTRE GOTHIQUE FLAMBOYANT ET RENAISSANCE Le château de Beaulon et son parc occupent une grande partie ouest du bourg de Saint-Dizant-du-Gua. Jusqu’à la construction de la mairie-école après la Seconde Guerre mondiale, ils ne partageaient cet espace qu’avec quelques maisons. Le domaine s’est développé sur un site occupé depuis au moins le début de notre ère, comme en témoigne la découverte de vestiges sépulcraux 62 { PRINTEMPS 2017 } le festin

gallo-romains dans la cour. Au cours du Moyen Âge, une petite seigneurie est fondée à Saint-Dizant-du-Gua, vassale du puissant comté de Cônac voisin. Elle aurait appartenu au xve siècle à la famille de Vinsons. Propriété de Michel de Vallée en 1487, la seigneurie passe peu de temps après à Pierre de Beaulon qui lui donne son nom. L’essentiel du château de Beaulon tel que nous le connaissons aujourd’hui sort de terre à cette époque. Pierre de Beaulon est probablement l’initiateur de la reconstruction du château qui se déroule sans doute en deux temps. Le corps principal de logis, perpendiculaire à la rue, a dû être édifié à la fin du xve siècle ou au début du xvie siècle. Composé de trois niveaux, il présente un style gothique flamboyant affirmé. Sa haute toiture est en effet encadrée de murs pignons découverts ornés de crochets. Parmi les deux lucarnes qui percent le toit côté nord, celle de gauche s’inscrit encore dans l’architecture médiévale. Elle est dotée d’un riche décor sculpté : moulures, colonnettes torses, crochets, feuillages, choux frisés, chardons, raisins, singes grimaçants. Son fronton cintré est couronné d’un gâble et est encadré par des pinacles. Le gâble repose sur des colonnettes torses qui se poursuivent au-dessus de la

La lucarne de style gothique flamboyant.

La lucarne de style Renaissance.


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Le passage couvert sur le côté ouest du château.

corniche par deux colonnettes tressées et, au-dessous, par des culs-de-lampe. À cette première phase de réaménagements a dû succéder une autre, dès la première moitié ou le milieu du xvie siècle. Elle est incarnée principalement par la lucarne de droite sur le versant nord du toit. D’un style plus classique que sa voisine, elle illustre bien la Renaissance alors en cours, avec cette fois un fronton triangulaire, des agrafes à triglyphes et deux pilastres à chapiteaux corinthiens. À Pierre de Beaulon puis à son fils Jacques, seigneur de Candé et SaintFort-sur-Gironde, succède en 1543 François de Beaulon, seigneur de SaintDizant, conseiller du roi au parlement de Bordeaux, mort en 1574, puis son frère Hélie de Beaulon, mentionné en 1593. C’est à cette époque, et peut-être après un incendie, que la tour d’escalier qui flanque le corps principal de

logis sur son côté sud, est construite. Remplaçant vraisemblablement un ancien escalier à vis, elle abrite un large escalier en pierre rampe-sur-rampe et à mur noyau. Comprenant trois niveaux, elle intègre des éléments de décor de la Renaissance italienne. Chaque palier s’ouvre par une arcade qui repose sur une colonne cannelée dont le chapiteau est orné d’enroulements et d’oves. Dans le même style Renaissance, deux bustes italiens représentant des personnages masculins, dont l’un casqué, sont remployés dans les murs. Au-dessus d’une porte en plein cintre figurent les armes, martelées, de Jacques de Beaulon et de son épouse, propriétaire des lieux dans la première moitié du xvie siècle. Au sommet de l’escalier, dans une salle d’armes, se trouvent d’autres armoiries remployées, peut-être celles de la famille de Vinsons qui possédait le château avant sa reconstruction.

DÉPENDANCES VITICOLES ET DÉCOR RAFFINÉ Au milieu du xviie siècle, la seigneurie de Saint-Dizant et le château de Beaulon appartiennent à FrançoisThéodore de Nesmond, président à mortier du Parlement de Paris, époux d’Anne de Lamoignon. En 1635, il accroît son pouvoir seigneurial en achetant le droit de haute justice. Beaulon et la seigneurie de SaintDizant échoient ensuite à Monseigneur François de Nesmond, mort en 1715, évêque de Bayeux, conseiller du roi et doyen des évêques de France. Il met son château à la disposition de l’évêque de Bordeaux qui en fait sa résidence d’été. En l’absence de l’évêque, le domaine est géré par le procureur fiscal de la seigneurie de Beaulon, soit Antoine Paillet, inhumé en l’église de SaintDizant en 1713, puis son fils Étienne. le festin { PRINTEMPS 2017 } 63


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En 1712, Beaulon est vendu à LouisAmable Bigot, conseiller au parlement de Bordeaux. Au cours des xviie et xviiie siècles, le château connaît de nouveaux aménagements, sans qu’ils ne modifient toutefois son architecture générale. Plusieurs corps de bâtiments viennent masquer la façade sud du château, de part et d’autre de la tour d’escalier. Le corps principal de logis est encadré à l’est et à l’ouest par deux corps latéraux plus bas. À l’ouest, on ajoute un passage couvert qui disparaîtra en grande partie au xxe siècle : il n’en reste qu’une porte charretière en plein cintre, surmontée des vestiges d’une fenêtre à appui mouluré. Certaines ouvertures sont reprises, telle la porte nord qui reçoit un décor de pilastres ioniques soutenant un entablement. Les réaménagements, notamment ceux menés par la famille Bigot au xviii e siècle, concernent aussi l’intérieur du château. Derrière la porte nord, un vestibule donne accès à une pièce de chaque côté. Dans celle de gauche, une salle à manger, se trouve une cheminée en pierre de taille, de la fin du xviie siècle ou du début du xviiie. Elle porte deux frises sculptées constituées de feuilles d’acanthe retombantes et de fleurs. La pièce de droite est un salon dont les boiseries et la hotte de cheminée semblent dater du xviiie siècle. La hotte est elle aussi ornée de motifs sculptés : nœuds, rubans, fleurs, guirlande de roses. Dans l’angle sud-ouest du château, un salon aujourd’hui utilisé en salle d’accueil, abrite une autre cheminée du xviii e siècle. Elle est ornée d’un trumeau avec un miroir et un tableau, dans un cadre en bois doré richement mouluré, de style rocaille, constitué de coquilles, d’enroulements végétaux et de lierre. Le tableau en camaïeu représente des angelots à la moisson, dont l’un est endormi sur de la paille. 64 { PRINTEMPS 2017 } le festin

Paysage viticole à Saint-Dizant-du-Gua.

Le domaine s’agrandit par ailleurs de différentes dépendances. Sa vocation viticole commence déjà à s’affirmer : une distillerie est mentionnée dès 1720 à Beaulon. Le pigeonnier qui trône encore au nord du château est construit en 1740. Presque identique à celui du château de Romaneau, voisin, il est coiffé d’un toit conique en tuile plate. Ce toit est percé de lucarnes à ailerons et à fronton, avec pour l’une d’entre elles un fronton triangulaire mouluré (la date 1740 y est inscrite). À l’intérieur, le pigeonnier a conservé son échelle tournante qui donne accès aux cinq cents boulins à pigeons, ronds en partie supérieure, carrés en partie inférieure.

DU VIN ET DES « FONTAINES BLEUES » En 1807, l’unique héritière de la famille Bigot, Adélaïde épouse Josias de Brémond d’Ars et lui apporte Beaulon. C’est à lui que le domaine appartient lorsque le plan cadastral de 1832 est établi. On y reconnaît le château, prolongé vers l’ouest par des dépendances, avec d’autres bâtiments au sud, le pigeonnier au nord et, dans l’angle nord-est de la propriété, le long de la route de Terrefume, un long bâtiment dont il ne reste aujourd’hui que le sous-sol voûté, probablement d’époque médiévale. En 1833, Josias de Brémond d’Ars vend Beaulon à M. Manès. Le domaine passe

Cheminée de la fin du xviie siècle ou du début du xviiie.

ensuite à son gendre, Pharamond de La Porte, directeur de l’enregistrement et des domaines, demeurant près de Niort, puis au fils de ce dernier, Amédée de La Porte (1848-1900), député radical-socialiste des Deux-Sèvres en 1877, plusieurs fois ministre dans les années 1880. L’activité viticole du château se renforce, surtout dans les années 1850-1880, florissantes pour toute la viticulture saintongeaise et estuarienne. Un chai prend place à l’ouest du château, relié au passage couvert par d’autres dépendances. Après Amédée de La Porte, Beaulon est


Dans le parc, treize résurgences d’eau appelées « Miroir des Fées », « Fontaine de la Main Rouge » ou « Fontaines Sereines » attirent par leur étrange coloration bleue Les « Fontaines Bleues ».

Le pigeonnier, construit en 1740.

la propriété de son fils, Henri de La Porte (1880-1924), député socialiste des DeuxSèvres. Vendu en 1942 par ses héritiers à Me Chevrou, avocat à Niort, le château est racheté en 1965 par M. Christian Thomas, actuel propriétaire. Celui-ci entreprend de redonner à la propriété tout son lustre et d’accroître son activité viticole. Environné de vignes à perte de vue, le château devient le siège d’un domaine renommé, même

si la distillerie est transférée dans la commune voisine de Lorignac. Outre le succès des crus viticoles, les efforts produits aboutissent à la protection du château au titre des Monuments historiques en 1987. La même année, la lucarne de style gothique flamboyant, démontée pour des raisons de sécurité, est replacée et restaurée. D’autres travaux de restauration concernent l’ensemble du château entre 1991 et 1996, le pigeonnier en 1995. L’opération concerne non seulement le château mais aussi le parc qui l’entoure. Le paysagiste royannais Pierre Bonin le réaménage en 1966 : la cour d’honneur est recréée ainsi que le jardin régulier. En 1993, le parc est remodelé par le jardinier-paysagiste Gilles Clément. La même année, le parc est inscrit au titre des Sites, avant l’attribution du label « Jardin Remarquable » en 2006. Le parc est d’abord composé d’un verger et d’arbres dont des cyprès, puis de vastes pelouses traversées

par deux allées médianes au bord desquelles s’étalent des plantes odoriférantes et des rosiers. L’ensemble sert d’écrin à une curiosité : les « Fontaines Bleues » auxquelles on accède par un cheminement d’allées et de passerelles. Il s’agit de treize résurgences d’eau d’où s’échappent les multiples bras de l’étier de Beaulon, un cours d’eau qui va se jeter dans la rivière du Taillon puis dans l’estuaire de la Gironde à Port-Maubert. Sous le feuillage vert, ces résurgences, poétiquement appelées « Miroir des Fées », « Fontaine de la Main Rouge » ou encore « Fontaines Sereines », attirent par leur étrange coloration bleue due à la nature particulière des algues qui s’étalent au fond. • YANNIS SUIRE est conservateur du patrimoine

à la Région Nouvelle-Aquitaine.

Château de Beaulon Cognac et Pineau des Charentes Vente au château toute l’année 17240 Saint-Dizant-du-Gua T. 05 46 49 96 13 château-de-beaulon.com

le festin { PRINTEMPS 2017 } 65


Vue de la façade est du château de Castillon.


Échappées //

Landes

Illustration extraite de la couverture d’une réédition du Capitaine Fracasse de Théophile Gautier (L’École des loisirs, 1993), elle-même issue du film de Pierre Gaspard-Huit, avec Jean Marais (1961). isirs le des lo © L’Éco

C AST I LLO N HEURS ET MALHEURS DU CAPITAINE FRACASSE par SERGE AIROLDI photographies de RAPHAELE DE GOROSTARZU (sauf mentions contraires)

À Arengosse, se dresse ce château dont Théophile Gautier s’est servi pour situer l’action de son célèbre roman de cape et d’épée, paru en 1863. Découverte, à l’aune de cette œuvre flamboyante, de ces lieux aujourd’hui inoccupés. le festin { PRINTEMPS 2017 } 67


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Carte postale, début xxe siècle.

Un jour de décembre à Arengosse. Ciel voilé d’un châle gris. Silence dans les pins et sur le plateau qui domine un paysage assoupi. Soudain le soleil s’invite et, sur la droite au bout d’une allée que le temps cherche à assaillir, la haute et forte bâtisse conquiert un nouveau relief. Dans le jardin à la française dont on devine encore les vestiges du tracé d’Édouard André (1840-1911), une dame remplit sa fonction de jardinier. Elle pratique la taille des buis en topiaire. D’énormes olives s’extraient de la masse qu’elle sculpte avec de simples sécateurs. Dans l’U des immenses bâtiments communs, les catalpas sont chauves. Il règne ici comme un air de vieil abandon.

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Comme l’indique la porte principale de l’édifice (cidessous), le corps de logis rectangulaire qui constitue le château de Castillon date de 1625, quand Jean-Bertrand de Baffoigne entreprend la construction de sa demeure. En 1887, le baron Gérard achève l’édification d’une aile neuve, à l’ouest (en bas).

MAISON NOBLE En 1550, Jean de Baffoigne, fils d’un notaire de Pontonx, s’installe à Sabres comme not aire royal. Il devient procureur du roi de Navarre en la juridiction de Sabres et de Labrit. Peu à peu, par le jeu des prêts d’argent, des saisies et des achats opportuns, il concentre un vaste territoire. Mais pas Castillon. Son but pourtant. C’est son fils JeanBertrand qui réalise en 1606 le rêve du père mort en 1599. Pour 1 530 écus, il acquiert Castillon et une longue liste de propriétés dont l’énumération est d’une poésie grande avec, notamment, son bois du Badet, sa métairie du Carboué, son bois à haute futaie en Bézaudun, son moulin d’Auros, les métairies de Jeananicque, de Lente, d’Estienne de Ninou… et toute cette mosaïque de territoires que les mémoires ont enfouis de façon si efficace qu’elles ont fini par les oublier. En 1625, Jean-Bertrand de Baffoigne, seigneur de Castillon, décide de raser l’ancien château féodal et d’entreprendre la construction de la partie

© Archives départementales des Landes

Nous sommes dans l’enceinte du château de Castillon. Le dernier à l’avoir habité, il y a de nombreuses années, fut le comte Joseph de Lastours. Il s’est éteint en 1996. Le domaine est aujourd’hui la propriété de ses trois enfants. C’est l’un d’eux, le comte Henri de Lastours, qui reçoit. Il déroule l’histoire des lieux. Avant le xive siècle, difficile de savoir. Un château féodal trouva le site adéquat pour une mission poliorcétique. Les premières références datent de 1494, lorsque la caverie et la seigneurie de Castillon sont tenues par Robin de Benquet. Cinq ans plus tard, le seigneur de Sainte-Croix et de Benquet vend

la seigneurie à Paulin de Mongrand. Pour compléter la généalogie, il faut s’en remettre à la magie des alliances, des siècles et des visages éteints que les archives exhument.


Échappées //

Théophile Gautier est venu dans « le château de la misère » de ses cousins ruinés, qu’il prendra pour cadre de son roman

Castillon doit le tracé de son jardin à la française à Édouard André. Il ne reste plus aujourd’hui que les vestiges de ce passé prestigieux. Ci-dessous, aperçu des dépendances rebâties au xxe siècle pour les besoins de l’exploitation du château, qui connut un pic dans les années 1970. Au centre, quelques traces subsistantes du passage des Larroque, propriétaires du château au cours du xixe siècle.

nord du château actuel. Ces travaux sont contemporains de ceux de Poyanne, dans le sud du département, où le baron de l’époque ouvrit ce vaste chantier. Les historiens les attribuent au même architecte, Gratien de L’Herm.

eu l’occasion de venir à Arengosse chez ses cousins, deux nobles ruinés dont il connut la déchéance et le château de la misère qu’il prendra pour cadre dans son futur Capitaine Fracasse, publié en 1863.

DOMAINE AGRICOLE COUSIN THÉOPHILE Mort de Jean-Bertrand de Baffoigne. Mort de Jean, son fils, sans descendance. Sa fille Jeanne porte alors le domaine dans la famille de Poudenx. Il y demeurera jusqu’à la sixième génération, engendrée par Henry François Léonard (1741-1814), maréchal des armées du roi, chevalier de Saint-Louis, de Saint-Lazare, du Mont Carmel et de l’ordre militaire de Cincinnatus qui participa, avec Lafayette, à la campagne d’Amérique où il laissa une bonne partie de sa fortune. De ses trois mariages résultèrent trois enfants issus de son ultime union avec Anne-Josèphe Cocard. Celle-ci avait quatre sœurs dont la dernière, AdelaïdeAntoinette, épousa Jean-Pierre Gautier à Tarbes en 1810. Ce sont les parents de l’écrivain Théophile Gautier, né en 1811. Castillon est vendu sur saisie immobilière en 1840. Avant cela, Théophile a

En 1886, après quelques décennies passées dans la famille Larroque, le baron Gérard, député du Calvados p etit-neveu du p eintre François Gérard1 (1770-1837), achète Castillon. Son mariage avec Béatrix de 1. Élève de David, Dampierre, du Vignau, l’attire François Gérard fut l’un des principaux dans les Landes où passionné peintres du d’agriculture, il installe sa Premier Empire et de la Restauration. famille. Il meurt en 1925 et son gendre, le comte Élie de Lastours, devient le maître du domaine. Après la guerre, un des petits-fils du baron Gérard, le comte Joseph de Lastours en devient propriétaire à son tour jusqu’en 1996, lorsqu’il s’éteint. Nous voici aujourd’hui au temps du comte Henri de Lastours qui nous reçoit, propriétaire de Castillon avec sa sœur jumelle et son frère aîné. Cette génération est certainement la dernière à avoir connu le grand Castillon où près de 300 personnes travaillaient au domaine. le festin { PRINTEMPS 2017 } 69


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2 1 Planche originale par Giffey du Capitaine Fracasse, bande dessinée d’après le roman de Théophile Gautier parue dans Fillette, vers 1954. 2 Photographie de tournage aux studios d’Épinay, avec Jean Marais.

1

Aujourd’hui, le comte gère 3 400 ha de pins – ils étaient 4 700 dans les années 1970 – mais deux tempêtes terribles sont passées par là et les difficultés ne manquent pas.

nécessaires à l’exploitation d’un tel domaine au plus fort de son activité.

TRANSFORMATIONS

Les lecteurs du Capitaine Fracasse de Théophile Gautier, connaissent les premières lignes du roman de cape et d’épée, inspiré par le ton et la trame du Roman comique de Scarron, dont il est un pastiche. Gautier écrit dans le premier chapitre, « Le château de la misère » : « Sur le revers d’une de ces collines décharnées qui bossuent les Landes, entre Dax et Mont-de-Marsan, s’élevait, sous le règne de Louis XIII, une de ces gentilhommières si communes en Gascogne, et que les villageois décorent du nom de château. Deux tours rondes, coiffées de toits en éteignoir, flanquaient les angles d’un bâtiment, sur la façade duquel deux rainures profondément entaillées trahissaient l’existence primitive d’un pont-levis réduit à l’état de sinécure par le nivelage du fossé, et donnaient au manoir un aspect féodal, avec leurs échauguettes en poivrière et leur girouette en queue d’aronde. Une nappe de lierre enveloppant à demi l’une des tours tranchait heureusement par son vert sombre sur le ton gris de la pierre déjà vieille à cette époque. Le voyageur qui eût aperçu de loin le castel dessinant ses faîtages pointus vers le ciel au-dessus des genêts et des bruyères, l’eût jugé une demeure convenable pour un hobereau de province ;

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« LE CHÂTEAU DE LA MISÈRE »

Théophile Gautier photographié par Bertal, en 1860.

1 © Coll. part. / 2 © Agip – Rue des Archives / D. R. / 3 D. R.

Demeure donc ce château sorti du long couloir du temps, posé là devant les siècles, hissé sur une hauteur qui l’élève au-dessus de la route qui court de Montde-Marsan vers Morcenx et plus loin, après l’autoroute, vers l’Océan. L’édifice actuel se présente comme un corps de logis rectangulaire, solide, flanqué de deux pavillons. La façade principale s’ouvre au nord. Au sud, le soleil hivernal de l’après-midi joue avec les nuances jaunes de la pierre que le moindre rayon enhardit. Chaînages en harpe, corniche à denticule, lucarnes, fronton semi-circulaire coiffé d’un amortissement terminé par une boule, haute toiture en croupe, couverte de tuiles en écaille : ici, tout dit la qualité de l’architecture que complètent, pour les deux pavillons à un étage, deux pilastres ioniques, un entablement décoré d’un cartouche ovale, d’une frise de cornes d’abondance et de pointes de diamant. À la toute fin du xixe siècle, le baron Gérard a souhaité ajouter une aile neuve à l’ouest. Elle n’a jamais été achevée à cause de la guerre de 1914-1918. Le baron a par ailleurs fait démolir les anciennes dépendances attenantes au château, lesquelles ont été reconstruites plus à l’est, avec écuries, chenils et bâtiments

3 Affiche du film d’Abel Gance, sorti en 1943.


Échappées //

« Le voyageur qui eût aperçu de loin le castel […], l’eût jugé une demeure convenable pour un hobereau de province ; mais, en s’approchant, son avis se fût modifié » Au nord de la propriété, deux pavillons à étage annoncent la cour et l’entrée principale de la demeure.

mais, en s’approchant, son avis se fût modifié. Le chemin qui menait de la route à l’habitation s’était réduit, par l’envahissement de la mousse et des végétations parasites, à un étroit sentier blanc semblable à un galon terni sur un manteau râpé. »

SUCCÈS AU LONG COURS Théophile Gautier situe l’histoire entre 1637 et 1643. Sous Louis XIII, le baron de Sigognac, un jeune noble sans fortune, vit reclus dans cette gentilhommière. Un soir d’hiver, il offre l’hospitalité à une troupe de comédiens et tombe amoureux d’Isabelle, l’une d’entre eux. Le lendemain, il prend la route en leur compagnie. Le baron prend le nom de scène de Capitaine Fracasse. Après de nombreuses aventures, Sigognac et Isabelle s’épousent, retournent au vieux castel où le vieux chat Béelzébuth du baron se meurt. En l’enterrant, son maître découvre

Théophile Gautier, Le Capitaine Fracasse

une fortune qui patientait depuis des lustres. Dans un coffre, il met la main sur une masse considérable de pièces d’or : onces, quadruples, sequins, génovines, portugaises, ducats, cruzades, angelots et « autres monnaies de différents titres et pays ». Ce trésor, Raymond de Sigognac, l’un des ancêtres du baron, l’avait dissimulé là avant de partir pour une guerre d’où il n’était jamais revenu. Le 22e et dernier chapitre s’intitule cette fois « Le château du bonheur ». Chacun jugera l’intérêt et le style du Capitaine Fracasse qui a beaucoup inspiré le cinéma. À la sortie du roman, la critique fut presque unanime. Pourtant défenseur du recueil Émaux et Camées, Jules Amédée Barbey d’Aurevilly, lui, se distingua en éreintant cet ouvrage dans un article cinglant paru dans Le Pays du 17 janvier 1864. Pour Barbey d’Aurevilly, qui fréquenta aussi les Landes et plus particulièrement la demeure de Labastide-d’Armagnac de la baronne de Bouglon qu’il courtisait,

Le Capitaine Fracasse « n’est qu’un morceau de tapisserie faite d’après les tableaux, plus ou moins oubliés ou empoussiérés […] de ces maîtres […] du commencement du xiie siècle que M. Théophile Gautier a imités dans ce roman sans vie et sans passion réelle, monument d’archaïsme… ». Pour Barbey d’Aurevilly, ce Capitaine Fracasse n’est guère plus qu’un « Capitaine Fracassé » et guère plus savoureux qu’une « fricassée ». L’histoire des lieux a oublié ces avatars. Baudelaire a dédié ses hautes Fleurs du Mal à son ami Gautier. Barbey d’Aurevilly, du moins le pensons-nous, n’a jamais conquis la baronne de Labastide d’Armagnac, à l’autre bout du département. Et pendant ce temps, Castillon, comme un paquebot sur les mers, a poursuivi sa longue route jusqu’à nous. • SERGE AIROLDI est écrivain.

Propriété privée, ne se visite pas. le festin { PRINTEMPS 2017 } 71



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Gironde

Jean-Jacques Auriat (à gauche) et son époux, Pascal Bergé, mènent depuis 30 ans la vie de château à Malleret, une monumentale chartreuse girondine dont ils ont assumé la rénovation.

MAL L E R E T CHÂTELAIN, MODE D’EMPLOI par ARIANE PUCCINI (Youpress) photographies d’EUGÉNIE BACCOT (Divergence)

Le château Malleret est un havre de paix et de raffinement amoureusement entretenu par ses propriétaires, devenus châtelains voilà 30 ans. Cette demeure hors du commun est à l’image de ce couple de passionnés qui a su redonner ses lettres de noblesse à l’élégante chartreuse girondine tout en l’ouvrant au public pour en financer la rénovation. le festin { PRINTEMPS 2017 } 73


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2 1 L’élégante façade a été embellie de deux tourelles et d’un bowwindow au xixe siècle, alors que le château était la propriété du député de Libourne Armand-Coureau.

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C’est déjà le bout du monde, à seulement une quinzaine de kilomètres de Bordeaux. Passés le centre-ville de Cadaujac puis les prairies, les routes deviennent sinueuses, pierreuses, moins carrossables. La campagne fait oublier la ville qui n’est pourtant qu’à quelques encablures en bateau, en descendant le courant de la Garonne. Le chemin devient presque une piste et serpente entre les allées arborées. Tout au bout, reclus et secret, le château de Malleret tourne le dos à ses visiteurs.

2 Ces lions (à l’arrièreplan) ornaient naguère l’entrée du château. Subtilisés, retrouvés par hasard chez un brocanteur parisien, ils ont été réinstallés dans le jardin à la française, entre le château et la Garonne. 3 Le petit belvédère est l’ancien pavillon de la Ville de Soulac présenté à l’Exposition internationale de Bordeaux de 1895.

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FAÇADE D’APPARAT ET JARDINS ÉLÉGANTS Nous sommes au début de l’été, les fruits grossissent ; des fleurs, il ne reste plus ce jour de juin que quelques pétales éparpillés sur les pelouses et les gravillons. Deux mastiffs colossaux, silencieux et immobiles sous le poids de la chaleur, observent les visiteurs derrière les grilles. Il faut attendre Jean-Jacques Auriat, l’un des deux propriétaires des lieux, pour que le château se révèle. À l’arrière de la bâtisse, ornée de deux tours de style gothique et d’un abord plutôt austère, la façade d’apparat et les jardins élégants tournés vers la Garonne donnent un autre ton. Étalé de tout son long, surélevé d’un étage sur sa partie centrale, symétrique, coiffé d’un toit mansardé couvert de tuiles et arborant au milieu de sa structure un escalier 74 { PRINTEMPS 2017 } le festin

tournant à deux volées, le château Malleret présente l’architecture typique des chartreuses. Celles-ci, construites par la noblesse ou la haute bourgeoisie bordelaises entre 1750 et la fin du xixe siècle, se sont multipliées dans la campagne girondine. Rurales et chics, ces résidences de villégiature accueillaient leurs hôtes pour des retraites bucoliques, mondaines et raffinées, dans un style plus ou moins ostentatoire.

1 600 M2 HABITABLES Installés dos au château, face à un tulipier de Virginie planté au xviie siècle et au belvédère qui surplombe la Garonne, Jean-Jacques Auriat et son mari, Pascal Bergé, se souviennent de cette découverte, qui s’est produite il y a tout juste 30 ans,


Échappées // Les grilles fixées sur la digue du château étaient installées sur la place Gambetta, à Bordeaux, avant qu’elles ne soient rachetées par un ancien propriétaire, M. Berthias, en 1933.

Depuis 1989, le château est classé à l’Inventaire des Monuments historiques, ce qui permet aux propriétaires de bénéficier d’avantages fiscaux pour financer d’interminables travaux. En contrepartie, le château doit être ouvert aux visiteurs comme d’un véritable coup de foudre. « Nous cherchions une grande maison et plusieurs nous étaient passées sous le nez », se rappelle Pascal Bergé. Le château Malleret n’attendait plus qu’eux, semblait-il, pour reprendre vie. Alors propriété d’une fratrie, inhabité mais loué pour les mariages, le château était en vente depuis une dizaine d’années avant que le couple ne franchisse la grille du domaine. Tombés sous le charme, Pascal Bergé et Jean-Jacques Auriat, alors jeunes trentenaires, décident d’acquérir la chartreuse et de quitter leur appartement bordelais pour investir les 1 600 m2 de leur nouvelle résidence. Lors de leur entrée dans les murs du château, celui-ci est « globalement habitable », mais défraîchi. « Il fallait tout refaire : toiture, électricité, plomberie », énumère JeanJacques Auriat qui se souvient, encore outré, avoir dû débarrasser l’une des pièces du château de dalles de vinyle. Les deux jeunes hommes, alors tous les deux psychiatres, vont réaliser eux-mêmes une grande partie des travaux, avec l’aide d’une bande d’amis invités les week-ends à leur donner des coups de main sur le chantier avant de « ripailler » le soir, relate Jean-Jacques Auriat, nostalgique. Les travaux dans le château et dans le parc sont menés de front. Le chantier s’avère interminable car le couple décide de se

lancer dans un projet de réhabilitation fidèle au lustre passé du lieu, avec un grand égard pour l’œuvre des précédents propriétaires.

NAPOLÉON III À MALLERET Le premier d’entre eux, Guillaume Malleret, avocat à la cour, a donné son nom au château. Celui-ci figure sur la Carte de Guyenne, réalisée par le géographe Pierre de Belleyme, au xviiie siècle. Mais c’est un certain M. Armand-Coureau, constructeur de navires, député de l’arrondissement de Libourne, qui donne toute sa superbe au lieu, alors qu’il en a la propriété entre 1860 et 1869, en faisant construire l’élévation centrale et les deux ailes du bâtiment. Ami de Napéolon III, qu’il a accueilli au château, ArmandCoureau reçoit de l’empereur des Français une serre construite en 1878 par Gustave Eiffel. Située en dehors de la partie du terrain acquise par le jeune couple, elle était alors à l’abandon avant qu’elle ne soit démontée puis reconstruite dans les jardins du château de Laurenzane, qui abrite l’hôtel de ville de Gradignan.

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Les salons du château sont décorés de meubles Biedermeier, style d’intérieur né au XIXe siècle en Allemagne.

ÉDEN EN BORD DE GARONNE Dans le parc de trois hectares, la priorité est donnée au nettoyage des lieux, envahis par la végétation et, en certains endroits, par les détritus. « Aujourd’hui encore, son entretien demande beaucoup de travail », soupire Jean-Jacques Auriat. Et l’aide d’un couple employé à temps plein pour l’entretien du domaine ne semble pas suffire. Les propriétaires et surtout Jean-Jacques Auriat, qui n’exerce plus en tant que psychiatre, dévouent tout leur temps à l’embellissement du château. Amateurs de jardins anglais, les propriétaires ont aménagé dans le parc différents espaces, du jardin de buis, auquel Jean-Jacques Auriat prodigue des soins méticuleux pour combattre la pyrale qui jaunit les feuilles des arbustes, aux chambres de verdure, petits îlots de sérénité ceints de buissons, en passant par le jardin blanc planté il y a 20 ans, ou par le potager où poussent notamment tomates, courgettes, fraises et framboises. Ici et là, au détour d’une allée, de petits bassins et une piscine discrètement installée dans un recoin du jardin procurent de la fraîcheur lors des promenades d’été. Les envies des propriétaires semblent encore insatiables. Dernier chantier colossal en date : la construction d’une digue pour contenir les crues de la Garonne ! Pascal Bergé et Jean-Jacques Auriat ont également lancé dernièrement la construction… d’une rivière anglaise, cheminant entre les plantes et alimentée par l’eau de la Garonne. « Je n’ai finalement jamais le temps de me poser sur l’un de ces 76 { PRINTEMPS 2017 } le festin

La décoration comprend une impressionnante collection de taxidermie. Dans le bow-window sont réunis les animaux blancs.

bancs », constate le châtelain hyperactif. C’est pourtant l’un des meilleurs points de vue pour assister au ballet des hérons pique-bœufs qui ont pris leurs habitudes dans le parc, des pigeons Hubbell, élevés amoureusement par Jean-Jacques Auriat et reconnaissables à leur plumage immaculé, et des paons blancs qui s’ébattent sur les pelouses du château. Pas le temps de se laisser aller aux rêveries alors qu’en plus du parc, de l’immense chartreuse, le domaine comprend de belles et grandes dépendances à entretenir, et notamment un chai rond qui rappelle le passé viticole de la chartreuse qui ne compte plus aujourd’hui de vignes, à la différence de son homonyme, le château de Malleret situé dans le Médoc.

CABINET DE CURIOSITÉS L’intérieur du château réserve également ses surprises. Et de taille : la demeure ne compte pas moins « de 17 ou 18 pièces, je ne sais plus », lance Jean-Jacques Auriat qui poursuit la visite. « Un appartement peut être trop petit tandis qu’une maison n’est jamais assez grande ! » plaisante-t-il. En effet, le couple a trouvé là de quoi loger l’immense collection d’objets et de meubles accumulés au fil des ans. Les trois salons en enfilade regorgent ainsi de bibelots dénichés dans les brocantes dont le couple raffole, mais aussi d’une riche collection de meubles Biedermeier. Pascal Bergé


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Les paons blancs du château évoluent en liberté dans ce jardin extraordinaire, aux côtés des pigeons Hubbell et des deux mastiffs élevés par les propriétaires.

et Jean-Jacques Auriat affectionnent ce style d’intérieur bourgeois, né au xix e siècle en Autriche et popularisé également en Allemagne et en Russie, contemporains des styles Restauration et Louis-Philippe en France. De même, de nombreuses pièces de taxidermie peuplent les salons, des plaids composés d’anciens manteaux en fourrure, recousus par Jean-Jacques Auriat, recouvrent sofas et fauteuils. Autre curiosité de la chartreuse : les boiseries qui garnissent les murs d’un des salons proviennent de l’ancienne gare d’Orléans à Bordeaux.

PORTES OUVERTES Astucieux et touche-à-tout, Jean-Jacques Auriat et Pascal Bergé ont déployé des trésors d’ingéniosité pour maintenir à flot une maison aux dimensions démesurées qui aurait pu engloutir des sommes tout proportionnellement faramineuses. Mais depuis 1989, le château est classé à l’inventaire des Monuments historiques, ce qui permet aux propriétaires de bénéficier d’avantages fiscaux pour financer ces interminables travaux. En contrepartie, le château doit être ouvert aux visiteurs. En juillet et septembre, et sur rendez-vous toute l’année, les hôtes reçoivent ainsi régulièrement. « Mais ce n’est pas un tourisme de masse », tempère Jean-Jacques

Auriat qui dit s’être prêté de bonne grâce, après quelques réticences au début, à la découverte des lieux. Les hôtes parcourent ainsi le parc et les nombreuses pièces de la demeure avec les visiteurs, jamais avares en anecdotes, racontant par exemple comment les lions qui ornaient l’entrée du domaine avaient disparu une nuit, avant d’être retrouvés par les propriétaires du château, par hasard, dans la vitrine d’un brocanteur parisien... « Finalement, la maison a toujours été très ouverte aux amis, à la famille… », observe Pascal Bergé. Elle a même accueilli quelques illustres hôtes ou locataires, comme l’actrice américaine Jessica Lange venue tourner un film en Gironde, ou encore une des infantes d’Espagne, accompagnée d’une armée de garde du corps. Autant de souvenirs improbables, à la mesure de cette « maison » hors du commun. Le château Malleret, bien vivant et habité, continue ainsi à écrire son histoire. • ARIANE PUCCINI est journaliste. Château Malleret Visites à l’année, sur réservation (5 €) 1104 chemin de Malleret 33140 Cadaujac Renseignements et réservation : Office du tourisme de Montesquieu T. 05 56 78 47 72 tourisme-montesquieu.com

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L’éclectisme des couleurs répond à celui des périodes de construction, du manoir de la fin du Moyen Âge à la tourelle du xixe siècle.


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Lot-et-Garonne

Cabinet de curiosités

Dans les années 1930, le château Lalande somnole sous le lierre et les roses.

LAL ANDE LES GOÛTS ET LES COULEURS par CLAIR MORIZET photographies d’ÉMILIE DUBRUL (sauf mentions contraires)

D. R.

À Saint-Sylvestre-sur-Lot, la rénovation fantasque du château Lalande, devenu l’hôtel Le Stelsia, a fait couler de l’encre… On aime ou on n’aime pas mais le cas d’espèce, joint à d’autres exemples en France et ailleurs, pose l’intéressante question de la réinterprétation du patrimoine ancien. le festin { PRINTEMPS 2017 } 79


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Derrière la façade médiévale, subsiste au premier étage un salon de réception désormais noir et or.

En juin 2015, l’événement était à Saint-Sylvestre, sur les bords du Lot, dans la banlieue de Villeneuve. Pour celui qui passait les grilles d’une propriété longtemps appelée château Lalande, apparaissait un domaine où les animaux sont végétaux, les coccinelles tondent, les cèdres ne sont plus que troncs sculptés et où, un peu plus loin, un château cache son âge derrière des murs éclaboussant les visiteurs de leurs violentes couleurs. Tourelles, façades, poivrières, volets, pignons… entre Burano et Disneyland ; ou entre le palais de dame Tartine et un Xanadu de pacotille.

PROVIDENTIEL PDG Où sommes-nous ? Non plus à Lalande, mais au Stelsia. Le visiteur indigène ne peut l’ignorer car depuis des mois, les pages de Sud Ouest et de La Dépêche lui ont appris la nouvelle folie de l’entrepreneur local, Philippe Ginestet. Depuis plus de 30 ans, cet homme peu banal est le héros d’une saga locale devenue française et qui, une fois de plus, grâce à son sens hors pair de la communication, est au centre des conversations. On dit tant de choses sur lui… Essayons d’y voir plus clair pour 80 { PRINTEMPS 2017 } le festin

« Ne vaut-il pas mieux un château de toutes les couleurs qui vit plutôt qu’un château classique qui se meurt ? » Philippe Ginestet retrouver la trame de cette aventure lot-et-garonnaise. Pour celui qui a entendu le nom de son entreprise, Gifi – ses initiales –, ou qui a vu l’éclat de son logo jaune et rouge, et pour celui qui ne sait encore rien. Il est loin le temps où ce fils de maquignon arrêtait ses études à 15 ans pour vendre des aspirateurs Electrolux en porte-àporte, puis faisait les marchés avec sa jeune épouse, vendant des stocks de vêtements ou d’objets divers : déjà il voit loin, son stand doit être le plus grand du marché, le plus rationnel, bref, le plus vendeur. Sillonner les routes ne peut pas être une fin en soi, alors il ouvre son premier entrepôt à Villeneuve, sur la route d’Agen, en septembre 1981 ; c’est un, puis trois, puis cinquante, puis cent magasins, environ cinq cents aujourd’hui, qu’il visite une fois par an ! En 2011, château Lalande ressemble à un navire abandonné. Pendant une dizaine d’années, il s’est agi d’un hôtel de luxe, incongru dans ce coin de la

Éclectisme également à l’intérieur entre le bistrot et les couloirs, uniformément rouges, où déambulent des silhouettes de BD peintes par de jeunes graffeurs de Villeneuve-sur-Lot.


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Une arche de Noé en topiaires a envahi le parc et le mini-golf.

L’Arbre à souhaits, cèdre mort du parc, transformé en sculpture monumentale par la tronçonneuse du sculpteur Paco Le Razer, venu du Tarn.

vallée, créé par un héritier lyonnais, Yves Prénat, descendant d’une famille qui avait fondé, en 1839, à Givors, l’une des plus importantes fonderies de la région. Du château oublié, il fait un hôtel confortable et un peu suranné, dont on répète encore qu’il avait accueilli des personnalités comme Catherine Deneuve, Georges Moustaki, ou quelques ministres. Philippe Ginestet, devenu la plus importante fortune des environs, y avait sa table pour des fêtes auxquelles il invitait aussi bien ses fournisseurs que ses collaborateurs. Malgré la cuisine de Jean-Luc Rabanel, aujourd’hui étoilé, l’hôtel pâlit jusqu’à ce que les créanciers imposent sa vente aux enchères, en 2009. C’est alors que La Dépêche écrit : « Qui peut aujourd’hui investir dans la pierre hôtelière dans le département, mis à part, peut-être, un groupe de la grande

distribution basé à Villeneuve ? » Avec la vente, Philippe Ginestet n’a plus de table à la hauteur de son empire. C’est là que le joueur qu’il a toujours été réagit rapidement : « C’est à vendre, mais je ne sais pas quoi en faire. »

AUX VILLENEUVOIS RECONNAISSANTS Avec son complice de 30 ans, l’architecte et peintre Jacques Bru, natif de Prayssas, ils rêvent à voix haute : l’un imagine un hôtel encore plus luxueux que le précédent, qui vise une clientèle européenne haut de gamme, sans oublier les habitants de la vallée, l’autre imagine une transformation en un palais que l’on n’aurait jamais vu ; rapidement, la couleur surgit, comme souvent avec Ginestet : « Ne vaut-il pas mieux un château de toutes les couleurs qui vit plutôt qu’un château classique qui se meurt ? » Le fils de Jacques Bru fait une maquette du projet, sur laquelle Ginestet dit banco ! Et c’est ainsi qu’un corps de logis médiéval flanqué d’une tour, agrandi au

xviie siècle, réaménagé dans la seconde moitié du xviiie, agrandi encore à la fin du xixe, est rebaptisé Stelsia, prêt à accueillir Cendrillon. Sur la carte de Pierre de Belleyme, dans les années 1780, « La Lande » figure, devenu « Lalande » sur le cadastre dit napoléonien de 1830, bien reconnaissable avec ses deux grands corps de bâtiment subsistant aujourd’hui qui forment les deux côtés d’une cour fermée par deux constructions plus modestes. Propriété de la famille Douzon de Bourran qui demeure non loin de là, au château de Rogé, il passe dans les mains des Géry de Dordaygues, par le mariage en 1844 de Pierre Crescent de Dordaygues avec Mathilde Douzon de Bourran. Né en 1817 à Franchiment près de Tonneins, Pierre Crescent y meurt en 1889. Au début du siècle suivant, son fils Louis de Dordaygues (mort en 1921) revend Lalande au docteur Grellière qui y décède quelques années plus tard. Plusieurs familles s’y succédèrent ensuite, dont des membres de la famille Robert, le dictionnaire… Ces temps-là sont désormais oubliés. Aux sept hectares achetés à l’origine le festin { PRINTEMPS 2017 } 81


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pour 780 000 €, Ginestet en adjoint rapidement dix autres. « C’est un cadeau fait aux Villeneuvois, dit-il, je leur rends ce qu’ils m’ont donné. »

TRANSFIGURATION Jacques Bru est le grand orchestrateur de la transfiguration de Lalande en Stelsia ; ancien du lycée Saint-Caprais d’Agen comme Philippe Ginestet, et son complice depuis l’origine, il a déjà œuvré pour lui sur de gros chantiers. En 1999, à Megève, Philippe Ginestet se fait construire un chalet, si l’on peut encore appeler chalet une construction de 7 niveaux, sur 2 000 m2 en forte pente, avec dancing, piscines intérieure et extérieure, mur d’escalade intérieur de 11 m, le tout en vieux bois récupéré ; un chalet qui se transforme en hameau, à deux pas de l’hôtel du Mont d’Arbois, créé un siècle plus tôt par la baronne de Rothschild… En 2005, c’est lui qui obtient du chantier naval Couach, à Gujan-Mestras, de produire le Figi, un yacht rouge de 30 m, alors que l’on pensait la couleur réservée aux pompiers !

Pour le Stelsia, Jacques Bru doit affronter l’architecte des Bâtiments de France, même si château Lalande n’est ni inscrit ni classé. Comment peindre un château de toutes les couleurs ? Le feu vert est obtenu quand la décision est prise d’utiliser des peintures à base de chaux, dont l’intensité s’atténuera au fil des années : « Dans 10 ans il faudra repeindre. On verra selon la mode. Une danseuse, il faut l’entretenir ! » Derrière ce projet, il ne faut pas oublier que Philippe Ginestet a autant le sens du commerce que celui de la communication : il s’agit de créer le désir parmi une clientèle internationale qui non seulement ne sait pas où est SaintSylvestre, mais ne sait même pas où situer le Lot-et-Garonne sur une carte de France ! Le ridicule n’a jamais tué, mais il n’est pas permis de se tromper.

GOTHA MONDIAL, TALENTS LOCAUX Autre c aractéristique du maître d’ouvrage : le goût du travail en équipe et une fidélité tenace. Aussi, le Stelsia est ce qu’il est grâce à ceux

De la couleur dans l’architecture ancienne ? Déjà vu au château d’Arsac, dans le Médoc. Excentrique, le Stelsia ? En passant les frontières, les exemples sont infinis Les façades du chai du château d’Arsac (Médoc), rehaussée par le sulfate de cuivre.

À Llanera (Espagne), l’église Santa Barbara est désormais un skatepark, transfigurée par les peintures d’Okuda San Miguel.

Cl. Hélène Schönbeck / Cl. Elchino Pomares

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qui interviennent, souvent originaires de la vallée comme les peintres, Pascal Couturier et frères, Mariette Cabrel (oui, la femme de…) pour la décoration et les textiles, Antoine, à Sainte-Livrade, pour la réalisation du parc… Et puis les coups de cœur que Jacques transmet à son ami Philippe : Alain Guilhot, le fondateur d’Architecture Lumières en 1976, que l’on s’arrache de Lyon à Bordeaux, de Kuala Lumpur à Shanghai, qui orchestre à Saint-Sylvestre un parcours sans fin, une symphonie de lumière comme il le dit lui-même. Ajoutons que, quand Jacques propose son nom à son ami Philippe, ce dernier lui répond : « Tu es fou, ce garçon sera beaucoup trop cher pour moi ! » Mais quand les folies se rencontrent et que l’amitié s’en mêle, les problèmes s’effacent d’eux-mêmes. Pour le mini-golf, c’est le Suédois City Golf Europe, numéro un mondial, qui vient au Stelsia pour réaliser le plus grand du genre en Europe, avec un bestiaire entièrement en topiaire, digne d’un muséum d’histoire naturelle, toujours sur une idée de Jacques Bru. Plutôt que de choisir des artistes faisant déjà partie des réseaux de l’art contemporain international, comme se les arrachent un Bernard Arnault ou un François Pinault, il fait appel à des artistes qui vivent dans la région, tel Paco Le Razer qui, venant du Tarn, transforme en deux mois un


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Un parc de 23 ha, qui doit prochainement s’agrandir, au centre duquel règne le château-hôtel.

cèdre mort de 30 m en une sculpture monumentale qu’il travaille à la tronçonneuse avec son équipe. Ou Patrick Chappert-Gaujal, qui installe plusieurs sculptures dans le parc. Ou encore des graffeurs de Villeneuve qui peignent dans le château des fresques sur le thème de la bande dessinée… Désormais, le Stelsia est à la fois un parc accessible à tous et un hôtel réservé aux happy few par ses tarifs. Philippe Ginestet provoque la rencontre improbable de touristes étrangers, venus s’offrir une parenthèse entre suite, spa et piscine, avec le public des environs qui assiste aux retransmissions sur grand écran des matchs de l’Euro 2016 ; celle d’hommes d’affaires, venus s’oublier dans ce patchwork de couleurs, avec un public juvénile venu applaudir les tournées de « Danse avec les stars » ou « The Voice », l’élection de Miss Aquitaine, sans oublier les chasses aux 10 000 œufs de Pâques, où tout le parc est envahi.

PATRIMOINE RÉFORMÉ Mais finalement, le Stelsia est-il aussi excentrique qu’il prétend l’être ? Un château transformé en hôtel ? Les paradors espagnols promus par Alphonse XIII l’avaient fait près d’un siècle plus tôt. Des abbayes transformées elles aussi en hôtel ou en centres de rencontre ? L’histoire récente du Sud-Ouest a proposé la transformation en hôtel de l’ancestrale école de Sorèze fondée par les bénédictins. De la couleur dans l’architecture ancienne ? Restons en Aquitaine, au château d’Arsac, cru bourgeois du Médoc, dont le chai bleu le distingue à quiconque s’en approche ; un bleu qui remonte au xixe siècle, quand les fonds de citernes de sulfate de cuivre avaient servi à le peindre, et que ressuscita l’actuel propriétaire, Philippe Raoux ; un château dont le jardin de sculptures propose des œuvres de Bernard Pagès, Claude Viallat, Jean-Michel Folon, Jean-Pierre Raynaud, Niki de Saint-Phalle, Mark di Suvero. Et que faut-il dire à Nantes, dont le palais de justice est désormais un hôtel de luxe,

le Radisson Blu, et l’ancienne prison un ensemble de logements sociaux ? En octobre 2016, l’École nationale supérieure d’architecture de Lyon proposait deux journées de colloque sur « L’avenir des églises ». La petite ville de Barbaste, sur les bords de la Baïse n’a pas attendu les années 2000 pour transformer son église en théâtre municipal : c’est au début du xxe siècle que la reconversion se fit ! Et si nous passions les frontières, les exemples seraient infinis : citons le Kruisherenhotel, une ancienne abbaye du xve siècle, transformée en 2005 par l’agence néerlandaise Satijnplus et l’architecte d’intérieur Hen Vos. Et si nos pas nous conduisent vers les Asturies, quel choc en entrant dans l’église Santa-Barbara de Llanera : elle est transformée en skatepark, et tous ses murs ont été repeints par le street artist madrilène Okuda San Miguel… Alors, excentrique, le Stelsia ? • CLAIR MORIZET est éditeur au Centre des monuments

nationaux.

Le Stelsia Lieu dit Lalande 47140 Saint-Sylvestre-sur-Lot T. 05 53 01 14 86 lestelsia.com

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Béarn

Le jardin italien offre une superbe vue en balcon sur le gave d’Oloron.

L AÀS LE JOYAU DE LA PRINCIPAUTÉ par CHRISTOPHE SALET photographies de DOMINIQUE GUILHAMASSÉ (sauf mention contraire)

Érigée en principauté depuis deux ans, la commune de Laàs peut s’enorgueillir d’un ensemble exceptionnel de mobilier et d’objets d’art du xviiie siècle, rassemblé après-guerre par un couple de collectionneurs dans une gentilhommière de la même époque. Le tout entouré d’une collection de jardins que l’on découvrait jusqu’ici en suivant le murmure du gave d’Oloron. L’avenir s’annonce plus animé : en 2018, le domaine sera transformé en parc à thèmes. 84 { PRINTEMPS 2017 } le festin


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Face au château, un jardin à la française s’organise autour d’un grand bassin rempli de carpes. Plus à l’est, on trouve un petit bassin où, l’été venu, fleurissent des nénuphars.

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Les boiseries du Salon des Messieurs encadrent une belle tapisserie d’Aubusson du xviiie siècle.

1. Le domaine propose une riche programmation en juillet et août : soirées aux chandelles le mercredi, soirées théâtre le vendredi, spectacles son et lumière le samedi. Le parc accueille également la fête de la principauté en août et le festival des « Transhumances musicales » qui, depuis sa 21e édition en 2016, a lieu fin juillet. 2. Dans une plaquette de 1982 consacrée au château, Jacques Staes notait à ce sujet : « L’inscription, qui figure au-dessus d’une porte de la façade sud, mentionne la date de 1683. […] Nous pensons, avec beaucoup de réserves cependant, que […] le bâtiment d’habitation aurait donc été reconstruit (partiellement ou totalement) à cette époque. Compte tenu cependant de l’aspect architectural qu’il présente aujourd’hui, il a vraisemblablement été repris et remanié à la fin du xviiie siècle. »

En arrivant de Navarrenx par la route départementale, le visiteur passe devant une guérite aux couleurs du Béarn, frappée de l’inscription « Douanes ». Bienvenue dans la principauté. «  Toujours ouvertes, les douanes qui marquent l’entrée et la sortie de la principauté sont aussi des bras tendus vers le reste du monde », précise la page Facebook de cette commune de 120 habitants, administrée par un maire jamais à court d’idées – même les plus baroques – pour donner de la visibilité à son territoire, et le rendre plus attractif auprès des touristes. À ce jour, le principal instrument de cette attractivité reste sans conteste le château de Laàs et ses

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superbes jardins. Bon an, mal an, le domaine accueille entre 17 000 et 18 000 visiteurs. Dix mille de plus si l’on comptabilise le public qui se presse aux nombreuses animations estivales1.

ÉCRIN POUR COLLECTIONNEURS Le château en lui-même n’a pourtant pas de quoi faire de l’ombre à ses concurrents régionaux : probablement reconstruit en 16832 sur les fondations ou à proximité d’un château féodal du xiiie siècle, il présente une allure un peu massive, sur deux niveaux. Ses façades, couvertes de lierre et percées de hautes fenêtres, sont coiffées d’un toit en ardoise rythmé par des lucarnes à fronton triangulaire. Cette architecture sans faste ni charme excessif sert pourtant d’écrin à la deuxième collection d’arts décoratifs de l’ancienne Aquitaine, après celle du musée des arts décoratifs et du

Dans le salon de musique, une harpe Empire et un piano Pleyel trônent parmi les peintures de temples à l’antique.


Échappées // Dans la salle à manger, une grande tapisserie des Gobelins représentant la transformation de Daphnée en lauriers.

Laàs abrite la deuxième collection d’arts décoratifs de l’ancienne Aquitaine, après celle du musée des arts décoratifs et du design de Bordeaux

design de Bordeaux. Sa présence ici est due aux circonstances de l’Histoire : en 1946, un couple d’amateurs d’art venu du Nord de la France, Louis et Madeleine Serbat, achète le château et ses dépendances. Tous deux issus de familles fortunées3, ils sont à la tête d’une importante collection de mobilier et d’objets d’art, pour l’essentiel du xviii e siècle français et flamand, répartie entre plusieurs propriétés : dans les Flandres, en Normandie et à Paris où ils résidaient jusqu’alors. À la Libération, le couple décide de venir s’établir dans le Sud-Ouest : Monsieur Serbat, alors âgé de 71 ans, a passé une partie de son enfance à Pau tandis que son épouse possède encore des attaches familiales dans le Béarn. Pendant près de 10 ans, vivant dans les dépendances avec leur personnel, ils vont s’employer à remodeler entièrement l’intérieur du château pour valoriser au mieux leur précieuse

collection et attribuer sa juste place à chaque objet. Sans hésiter à redessiner la distribution des pièces et déplacer des murs de refend pour ne pas avoir à mutiler des boiseries.

TRÉSORS À TOUS LES ÉTAGES Aujourd’hui, la découverte de l’intérieur du château se fait 3. Madeleine est uniquement en suivant une la fille du baron de Vaufreland, visite guidée, et c’est bien qui fut préfet des ainsi : les murs restent vierges Basses-Pyrénées sous le gouvernede tout cartel et la formule se ment du maréchal de Mac-Mahon. prête à merveille aux milles Louis est le h i s t o i r e s q u i e n t o u r e n t petit-fils de l’inventeur du « mastic la collection. Serbat ». Sorti Du hall d’entrée, on accède au major de l’École des chartes, il fut un fumoir ou Salon des Messieurs. éminent historien, Une entrée en matière qui secrétaire général de la Société frandonne parfaitement le ton du çaise d’archéologie reste de la visite. Dans cette et président de la Société des antipièce largement ouverte sur quaires de France. le festin { PRINTEMPS 2017 } 87


// Échappées

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Le château de Laàs n’est pas un musée : il reste une maison de collectionneurs ouverte au public

1 Parmi les pièces d’argenterie conservées dans la salle à manger, ce superbe service d’accouchée en vermeil.

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2 & 3 Le château renferme de belles collections de porcelaines du xviiie siècle, essentiellement de Tournai et de Wedgwood, ainsi que des services de trois grandes cristalleries françaises : Baccarat, Saint-Louis, Daum.

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4 L’un des trésors de la collection : une tête d’enfant à la sanguine attribuée à Rubens. 5 Portraits de Louis et Madeleine Serbat.

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au milieu de peintures de temples à l’antique ; la salle à manger et ses magnifiques services des cristalleries Baccarat, Saint-Louis et Daum… L’étage, où se trouvent les chambres de Monsieur et Madame, réserve aussi son lot de surprises : en premier lieu, une pièce organisée autour d’un petit lit en bois dans lequel un auguste personnage eut dû peiner à trouver le sommeil : Napoléon Ier s’y allongea le 19 juin 1815, dans une auberge de Maubert-Fontaine, le lendemain de la bataille de Waterloo. Le mobilier, objets et estampes qui voisinent avec cette couche funeste évoquent le souvenir de l’empereur. Plus loin, une pièce occupe ce qui fut autrefois la partie

haute d’une chapelle : à l’intérieur, une étonnante collection d’éventails des xviie et xviiie siècles, décorés à la gouache et représentant des allégories ou des vues de Paris. Séparés de leur monture, ils ont été encollés sur des panneaux de bois et complétés pour les parties manquantes pour les transformer en tableaux.

UN RÊVE POUR LA POSTÉRITÉ On pourrait détailler par le menu les mille autres trésors qui peuplent le château, mais l’on passerait à côté de l’essentiel : l’âme du lieu. Car le château de Laàs n’est pas un musée :

5 © Château et domaine de Laàs

les jardins, les boiseries Louis XVI « à la capucine », la grande tapisserie d’Aubusson représentant Orphée charmant les animaux et les confortables fauteuils d’époque Consulat créent une atmosphère chaude et cossue où ne manque que la fumée d’un bon cigare. On imagine sans peine un groupe d’esthètes rassemblés autour de la table à tric-trac Louis XVI, ou circulant autour de la cave à liqueur sous les portraits des ancêtres de Madame Serbat (dont une huile sur marbre d’Alexandre-Évariste Fragonard). Les salles suivantes ménagent le même effet : le Salon des Dames et ses boiseries Louis XVI au délicat ton vert, où une tapisserie d’Aubusson dialogue avec un portrait attribué à Élisabeth Vigée Le Brun ; le salon de musique avec sa belle harpe Empire et son épinette flamande du xviii e siècle trônant


Échappées //

Depuis le réaménagement des jardins il y a 6 ans, un jardin italien s’est substitué à la roseraie et aux pieds de vigne qui amorçaient la descente vers les rives du gave.

La bambouseraie offre une immersion inattendue et exotique dans une végétation luxuriante.

il reste une maison de collectionneurs ouverte au public. Et si ses propriétaires ont disparu depuis plus d’un demi-siècle, le visiteur chemine encore aujourd’hui dans ce qui fut le rêve de leurs dernières années : aménager pour leur propre usage, un château dans lequel aurait pu vivre un gentilhomme du xixe siècle. Seules quelques vitrines, rendues nécessaires par l’ouverture du lieu au public à la fin des années 1960, viennent rompre l’impression de déambuler dans une propriété privée. Dans La Revue du Touring Club de France de 19674, Raymond Ritter sut trouver les mots justes pour décrire cette sensation : « Le manoir a retrouvé non seulement l’aspect mais l’âme d’une demeure patricienne dont la vie, celle des choses qui y subsistent intactes, comme celle des êtres qui y passèrent, semble ne s’être jamais interrompue. » « Le bonheur est dans le chemin » est

une maxime qu’ont dû faire leur les maîtres du lieu en avançant dans leur projet : M. Serbat est mort en 1953, avant d’avoir pu contempler l’achèvement des travaux, et son épouse – qui s’est employée à mener le chantier à son terme – en 1964, après s’être assurée que d’autres pourraient goûter les fruits de leur passion (lire l’encadré p. 90).

UNE BIBLIOTHÈQUE EN EXIL En outre, en bibliophile averti, Louis Serbat rassembla au château de Laàs plusieurs milliers d’ouvrages, 4. Raymond Ritter, dont les plus anciens dataient « Le Château de du xiie siècle. Parmi les trésors Laàs en Béarn », La Revue du Toude cette collection, une édition ring Club de France mars 1967, de la Bible en latin par Robert n° 781, pp. 184-187. Estienne, datée de 1538-1540, un Manuel complet de la toilette de M. et Mme Stop (1828) ou encore un plan de le festin { PRINTEMPS 2017 } 89


Du legs des Serbat au futur « Château des énigmes »

Le parc, conçu comme une collection de jardins, poursuit et prolonge l’expérience du visiteur à l’intérieur du château

Avant sa mort en 1964, Madame Serbat eut à cœur de céder le château et ses collections à une collectivité publique. Par l’entremise de Raymond Ritter, un ami du couple, c’est le Touring Club de France qui accepta le legs en 1965 et se chargea d’ouvrir au public le château et ses jardins. Au passage, un camping-caravaning fut aménagé dans le parc à l’anglaise. Vestige de cette époque, le bâtiment qui abrite aujourd’hui la billetterie fut construit pour servir de conciergerie. Le legs fut repris en 1981 par le département des PyrénéesAtlantiques qui en assura la conservation jusqu’à très récemment : une délégation de service public a en effet été validée au mois de décembre dernier par le Conseil départemental. Le délégataire, la société Castèth & Énigmes – qui a déjà repris les clés du domaine –, se donne pour objectif de doubler sa fréquentation dans les 3 à 4 prochaines années en proposant une offre de loisirs familiale et ludique. Cœur du dispositif : un parcours de jeu sur le thème des Mousquetaires dans le parc et ses dépendances. Le concept, baptisé « Château des énigmes » a déjà été mis en place au château d’Usson, en Charente-Maritime. À Laàs, son inauguration est prévue en avril 2018. D’ici là, le domaine accueillera de nouveaux équipements, notamment deux salles d’« Escape Games » (un jeu d’évasion en temps réel) ainsi que cinq cabanes dans les arbres, ouvertes à la réservation dès cet été. Ces développements ne devraient pas entraîner de fermeture du domaine (ouvert chaque année d’avril à novembre), mais se traduiront pour les visiteurs par un coût d’admission plus élevé : l’accès aux jardins, qui coûtait jusqu’ici 2 €, sera conditionné dès 2018 à l’achat d’un ticket parcours-jeux, au tarif de 13 € (plein tarif adulte).

« Reste avec nous car il se fait tard et le jour est sur son déclin » : M. Serbat fit graver ces mots de l’Évangile selon saint Luc sur le fronton de la porte d’entrée du château.

Paris de Turgot (1739). Et surtout le Livre d’Heures de Philippe le Bon (13961467), duc de Bourgogne et fondateur de la Toison d’Or. Cet ensemble d’une grande rareté est aujourd’hui conservé aux Archives départementales. Dans le parcours de la visite, des lutrins placés dans chaque pièce évoquent aujourd’hui les volumes les plus précieux.

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COLLECTION DE JARDINS Les jardins du château sont l’autre joyau du domaine et méritent à eux seuls une visite. Entre 2007 et 2011, de vastes travaux d’aménagement – couvrant 6 des 12 ha de la propriété – ont donné naissance à un parcours qui, tirant pleinement profit du terrain, se dévoile en progressant et crée la surprise à chaque étape. Conçu comme

une collection de jardins, il poursuit et prolonge l’expérience du visiteur à l’intérieur du château. Il y a d’abord le vaste jardin paysager « à l’anglaise », qui accueille le visiteur et guide ses pas à travers les silhouettes imposantes ou altières de vieux chênes, d’un platane deux fois centenaire, d’un tulipier de Virginie… Après avoir franchi une balustrade de pierre gardée par un lévrier et un lion, on pénètre dans un ravissant jardin à la française, organisé


Perchées au bord du gave, deux cases en bambou accueillent les visiteurs à la recherche d’un peu de fraîcheur et de tranquillité.

autour d’un grand et d’un petit bassins bordés de rosiers. À son extrémité sud, un balcon offre une vue splendide : en bas, le gave d’Oloron capte l’oreille par son murmure ; au-delà, de grands coteaux boisés conduisent le regard jusqu’aux frontières du Pays basque. Deux sphynges veillent sur ce paysage.

LES PIEDS DANS L’EAU Plus loin, un petit bosquet dissimule une colonne de pierre, érigée en son centre pour rendre hommage à l’un des plus illustres visiteurs du lieu : le grand duc Boris Vladimirovitch de Russie, cousin de Nicolas II. Les visiteurs les plus assidus découvriront sur le même monument une inscription énigmatique : Brownie, décembre 29, 1933. Le souvenir de ce pensionnaire était tombé dans l’oubli jusqu’à ce que des travaux de restauration sur la colonne exhument une boîte en zinc contenant… les restes d’un perroquet ! Au-delà des Serbat, le château porte, quoique de façon plus discrète, les traces stratifiées de ses différents occupants…

Le parcours conduit ensuite à une charmante orangerie, qu’on laisse sur sa gauche pour pénétrer dans un jardin italien. Là, des murets en brique dessinent deux arcs de cercle depuis lesquels s’apprécie une vue saisissante à 180° sur la campagne environnante. Pour accéder au gave, on emprunte un escalier de pierre qui descend en pente douce à travers un jardin exotique planté de phormiums, de yuccas et de palmiers. Au bout des marches, le sentier longe une plage en galets et se poursuit dans une bambouseraie totalement enveloppante. Le gave dessine à cet endroit le croissant d’une grève bordée par deux petits pavillons en bambou. L’été venu, ces constructions inattendues accueillent les joueurs de cartes ou les amateurs de farniente. On s’extrait à regret de ce refuge exotique pour accéder au jardin romantique, organisé autour d’une belle cascade naturelle. Ce décor propice aux rêveries de promeneurs solitaires devra bientôt s’accommoder d’installations entièrement conçues pour les loisirs en famille : la reprise en main

L’orangerie du château, qui servit jadis de bureau à M. Serbat, fut convertie en atelier d’artiste lors de la résidence de la plasticienne Marie Labat, d’avril à juin 2015.

de l’exploitation du domaine par une société privée prévoit en effet d’installer sur l’ensemble de sa superficie un large jeu de piste scénarisé, où chaque étape sera matérialisée par un décor et une ambiance sonore. Ce nouvel équipement ne sera mis en service qu’en avril 2018 : les amateurs de promenades contemplatives se dépêcheront de venir en profiter. • CHRISTOPHE SALET est journaliste. Château et domaine de Laàs Visites guidées du château avec accès aux jardins d’avril à novembre (plein tarif adulte : 8 €) 64390 Laàs T. 05 59 38 91 53 tourisme-bearn-gaves.com

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Au sud, le donjon primitif et les corps de bâtiment édifiés au fil des siècles ouvrent sur le parc à l’anglaise.


Échappées //

Pays basque

Dissimulé derrière le grand salon, le bureau aux murs écarlates est le résultat d’une récente campagne d’aménagement.

U RT UBI E ÉLOGE DE LA CONTINUITÉ par BENOÎT MANAUTÉ photographies de MAITETXU ETCHEVERRIA

À Urrugne, le château d’Urtubie accueille les visiteurs au cœur d’un parc à l’anglaise de six hectares. Appartenant à la même famille depuis sa construction en 1341, cette illustre demeure, classée Monument historique, témoigne de l’histoire riche et mouvementée de la région. le festin { PRINTEMPS 2017 } 93


// Échappées

La silhouette robuste du châtelet d’entrée est enserrée dans un dense écran végétal.

Le château d’Urtubie n’est pas de ces grandes bâtisses médiévales fortifiées qui imposent leur majestueuse présence dans le paysage. Discrètement campé au cœur d’un dense écrin verdoyant qui le magnifie et le préserve du tumulte de la vie citadine, l’édifice ne révèle sa robuste silhouette qu’aux initiés et aux curieux ayant osé faire un pas de côté, et franchir le dense rideau de platanes séculaires qui le sépare de la route départementale reliant Bayonne à l’Espagne, pour découvrir un immuable lieu de mémoire dont l’architecture et les collections illustrent plus de six siècles de l’histoire du Pays basque. Au xviiie siècle, le vicomte d’Urtubie fait combler les fossés situés au sud pour y ajouter une aile supplémentaire.

DE LA FORTERESSE… Les premiers seigneurs d’Urtubie, qui firent leur apparition à la cour du vicomte de Labourd au début du xiie siècle, ne possédaient vraisemblablement pas de maison forte. Il fallut attendre 1341 pour qu’un de leurs descendants, Martin de Tartas – ayant obtenu l’assentiment du roi d’Angleterre – pût doter le domaine d’un château de pierres avec murailles et fossés. Durant plus d’un siècle, cette première construction servit de résidence aux héritiers de la dynastie. Elle accueillit également de prestigieux hôtes comme le roi Louis XI, qui, en 1463, avait été appelé pour arbitrer une dispute entre les rois d’Aragon et de Castille. Cette visite fut déterminante dans l’histoire de l’édifice. En effet, à la suite de ce séjour, Jean II de Montréal, qui administrait la seigneurie en 94 { PRINTEMPS 2017 } le festin

compagnie de sa femme Marie de Sault, obtint le prestigieux titre de chambellan. Cette distinction l’amena à quitter le Pays basque et à s’engager auprès du souverain puis de son fils, Charles VIII, qu’il accompagna lors de la conquête du royaume de Naples. De retour, après trente ans d’absence, le seigneur d’Urtubie dut mener une ardente bataille judiciaire contre son épouse qui, le croyant sans doute mort, s’était remariée, en 1469, avec Rodrigo de Gamboa d’Alzate. Fâchée que le parlement de Bordeaux réhabilitât son premier mari, Marie de Sault – que l’on surnommait déjà « la bigame » – incendia le bâtiment avant de se réfugier en Navarre où elle mourut en 1503. Du premier château des Tartas ne subsistait alors que le donjon, le chemin de ronde, et une partie de la porterie. Deux ans plus tard, Jean II de Montréal obtint


Échappées //

La chapelle fut édifiée au xviie siècle par les charpentiers de marine de Ciboure.

l’autorisation du roi Louis XII de « réédifier et fortifier la dite place d’Urtubie de telles grandes et puissantes fortifications qu’il [pourrait] faire et que bon lui [semblerait] ». Menée, entre 1506 et 1540, par le fils et le petit-fils du couple légitime, cette vaste opération de restauration et d’agrandissement permit l’adjonction de la grande tour située au centre de la façade septentrionale et du pavillon accueillant le grand salon. En 1574, un mariage entre les descendants des deux partis permit de mettre fin à cette querelle d’héritage.

… AU MONUMENT Le château connut son âge d’or durant les deux siècles suivants. En 1654, Louis XIV érigea le domaine en vicomté et confirma le descendant des Urtubie, Salvat d’Alzate, dans la charge de « Bailli d’épée du Labourd ». Ce dernier entreprit une série de transformations et d’embellissements : modification de la toiture, construction de la chapelle… Il fallait que la forteresse fût à la hauteur des honneurs accordés par le Roi-Soleil. Reçues en remerciement de l’hospitalité accordée au cardinal Mazarin et aux différents membres de la Cour venus négocier le Traité des Pyrénées, neuf pièces d’une belle tenture bruxelloise1, retraçant quatre épisodes de la vie du

L’espace qui précède la chapelle présente la reconstitution d’un bureau d’herboriste.

Cet immuable lieu de mémoire est riche d’une architecture et de collections illustrant plus de six siècles de l’histoire du Pays basque roi David, vinrent alors orner les murs des salles d’apparat. Au xviiie siècle, Pierre de Lalande et son épouse, Ursule d’Alzate d’Urtubie, réalisèrent une nouvelle campagne d’aménagement qui donna au château sa physionomie actuelle. Achevée en 1745, cette ambitieuse entreprise permit notamment la construction de l’aile située au sud-est, de la terrasse, de l’escalier extérieur et de l’orangerie. En 1814, les troupes britanniques dirigées par le duc de Wellington entrèrent dans Urrugne et prirent possession de la résidence qu’ils saccagèrent sans toutefois la brûler. Les travaux nécessaires à sa réhabilitation furent menés par une branche cousine de la famille, les Larralde-Diustéguy – influents notables de la région –, qui acquirent la propriété en 1830. Célibataire, le maire d’Urrugne, Henri de LarraldeDiustéguy, transmis la propriété à sa sœur Gabrielle 1. Deux des neuf – dame d’honneur de l’impératrice Eugénie – qui tapisseries furent aux avait épousé le maire de Bayonne et député des vendues enchères dans les Basses-Pyrénées Jules Labat. À partir, de 1911, années 1930. le festin { PRINTEMPS 2017 } 95


// Échappées Henri de LarraldeDiustéguy veille sur le grand salon entièrement rénové au milieu du xixe siècle.

leur fille Thérèse de Coral, rénova la chapelle édifiée au xviie siècle et transforma différentes pièces du logis pour les rendre plus confortables et propices à une paisible vie de famille. En 1974, la demeure entra dans une phase de patrimonialisation et de valorisation. Le comte Bernard de Coral – maire d’Urrugne et député des Basses Pyrénées – obtint l’inscription de la propriété à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques. Son fils unique Paul-Philippe de Coral décida quant à lui d’ouvrir le château à la visite et d’y aménager des chambres d’hôtes.

Plus intime, le petit salon ouvre directement sur le parc.

HORS DU TEMPS Sitôt pénétré dans le parc, le visiteur découvre la maison seigneuriale précédée par une imposante porterie qui tient lieu d’entrée monumentale. Grandement remanié au xviiie siècle, ce solide avant-corps, flanqué de deux imposantes tours coiffées de dômes recouverts d’ardoises, ouvre sur une petite cour délimitée par l’ancien mur d’enceinte et le logis qui adopte un plan régulier en « L ». Sa façade septentrionale, élevée sur quatre niveaux, est agrémentée d’une tourelle d’axe offrant une articulation naturelle entre le donjon primitif – doté de deux échauguettes – et la section bâtie au xvie siècle. Un bel escalier en pierre, pourvu d’une rampe ouvragée en fer forgée, permet de relier la cour au pavillon d’entrée et au jardin. Édifiées au fil des siècles, les différentes ailes de l’édifice furent heureusement unifiées 96 { PRINTEMPS 2017 } le festin

par une grande couverture d’ardoises que seules quelques lucarnes à frontons cintrés, apportant raffinement et légèreté, viennent transpercer. Au nord-ouest, à quelques mètres du corps d’habitation, le promeneur est invité à contempler le bureau de l’herboriste ainsi que le retable baroque et la charpente en forme de coque de bateau renversée de la petite chapelle. Poursuivant sa déambulation, il découvre l’orangerie édifiée au xviiie siècle, dont les beaux volumes – qui accueillent aujourd’hui une exposition dédiée aux plantes du Pays basque – sont largement ouverts sur les six hectares de la propriété. Aménagé à la même période, le parc était initialement composé d’un jardin d’agrément et d’un potager-verger.


Échappées //

La tapisserie d’Aubusson, qui date du xviie siècle, montre la rencontre de Charles Quint et de François Ier.

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// Échappées

Un luxueux cacolet évoque le souvenir d’une aïeule accompagnant l’impératrice Eugénie lors de son ascension de la Rhune, à dos de mulet, en 1859 !

Si hortensias, roses, aubépines, chèvrefeuilles, jasmins, pommiers, chênes et hêtres pourpres dialoguent toujours avec deux grands Magnolias grandiflora pluriséculaires, les installations nourricières, détruites au moment du tracé de la route départementale, furent rebâties en retrait du château. Située à l’emplacement de l’ancien moulin, la ferme – rebaptisée « Larraldenia » – fut alors organisée selon un plan régulier en « U ». Ses sobres façades furent simplement rythmées de chaînages d’angle, de corniches individualisant les différents niveaux et d’ouvertures – tantôt en anse de panier, tantôt semi-circulaires – encadrées de pierres de taille.

MÉMOIRE FAMILIALE À l’intérieur, les différentes pièces, aménagées pour la visite, témoignent de l’histoire et du goût de la famille qui sut constituer et préserver une intéressante collection artistique et mobilière. Installée dans le donjon érigé au xive siècle, la vaste salle à manger se distingue par un plafond à la française dont les poutres, rhabillées au xixe siècle, dialoguent avec les boiseries peintes des murs et un chaleureux parquet en chêne et châtaigner datant du xviiie siècle. Mobilier espagnol, fontaine en étain et vitrine Gabrielle de Larralde-Diustéguy était hollandaise contenant de la dame d’honneur de l’impératrice Eugénie. porcelaine de Paris viennent 98 { PRINTEMPS 2017 } le festin

Transférée à l’entresol en 1912, la salle de bain est constituée d’un ensemble mobilier datant du 1er Empire. Le cacolet, sorte de bât adapté au transport des personnes à dos d’animal, est visible dans l’ancienne salle des gardes.

agrémenter le décor de cette solennelle salle de réception dominée par la plus grande des sept tapisseries issues de la tenture de Bruxelles offerte à Salvat d’Urtubie ; on y aperçoit notamment le jeune David jouant de la lyre pour le roi Saül. Dans l’aile construite au xvie siècle, le grand salon témoigne du mode de vie plus intimiste des notables qui vécurent dans le château à partir de 1830. Sous l’œil d’Henri de LarraldeDuisteguy, dont le portrait habille le manteau d’une belle cheminée en bois sculpté portant l’inscription basque 2. « Je réunis, « BILTZEN – BEROTZEN – BOZTEN2 », se déploient je réchauffe, je réjouis ». les six tapisseries bruxelloises restantes. Les éclatants fils de laine et de soie qui composent ces panneaux réalisés en haute lisse – sans doute d’après les cartons du peintre malinois Michel Coxcie – se détachent sur les sombres boiseries environnantes et dialoguent avec les motifs des tissus nacrés recouvrant les assises de style Louis XV. Un sculptural piano Forte Pleyel de 1820 cohabite avec un bureau, un secrétaire à cylindre et une table de jeu de jacquet datant du xviiie siècle. Moins solennel, le petit salon aménagé dans l’aile la plus récente est placée sous le patronage de l’arrière-grand-mère du propriétaire actuel, la comtesse Paul de Coral. Son portrait, réalisé, en 1912, par le peintre Hubert-Denis Etcheverry


Échappées //

En remerciement de l’hospitalité accordée au cardinal Mazarin, neuf pièces d’une tenture bruxelloise repésentant le roi David vinrent orner les murs des pièces d’apparat

Mikhal implore son père, le roi Saül, de ne pas faire tuer David que l’on aperçoit, à l’arrière-plan, quittant sa maison au nez et à la barbe des soldats.

– ancien élève d’Achille Zo et de Léon Bonnat – s’accorde aux tons verdâtres des boiseries et des tapisseries d’Aubusson et de Beauvais encadrant les lumineuses percées sur le parc. Initialement situés en dehors du corps de logis principal, dans la petite pièce précédant la chapelle, la salle de bain datant du tout début du xixe siècle fut transférée à l’entresol en 1912. L’ancienne salle des gardes du rez-de-chaussée fut quant à elle agrémentée d’une série de trophées de chasse provenant du Poitou, terre d’origine du colonel Paul de Coral. Dominé par une large cheminée en pierre, ce vaste espace accueille les pièces de mobilier les plus anciennes

du château : les malles de voyage, les fauteuils en cuir de Cordoue, l’armoire de mariage de Gascogne et le coffre d’église de Navarre datent du xvii e siècle, tandis que le luxueux cacolet évoque le souvenir d’une Gabrielle de Larralde-Diustéguy accompagnant l’impératrice Eugénie lors de son ascension de la Rhune, à dos de mulet, en 1859 ! • BENOÎT MANAUTÉ est historien de l’art. Château d’Urtubie Chambre d’hôtes Accueil du 28 avril au 1er novembre 1, rue Bernard-de-Coral 64122 Urrugne T. 05 59 54 31 15

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Castelnaud, dressĂŠ sur son pic rocheux, dominant le village et la Dordogne.


Échappées //

Dordogne

Enquête

Le château est aujourd’hui l’un des sites les plus fréquentés de Dordogne.

C AST E LNAUD DU RÊVE MÉDIÉVAL À LA RÉALITÉ MODERNE par XAVIER PAGAZANI photographies de JONATHAN BARBOT (sauf mention contraire)

Présenté comme un château médiéval, Castelnaud est en réalité un palimpseste architectural qui doit beaucoup à l’époque moderne. Archéologie d’une histoire complexe.

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// Échappées

Le portail d’entrée de la haute cour, avec une niche d’archère.

Les visiteurs sur les remparts de la haute cour.

Dès l’arrivée par la vallée, le site de Castelnaud impose sa puissance et sa beauté au visiteur : l’à-pic de son promontoire rocheux, l’ampleur du château avec ses hautes tours dressées vers le ciel, l’étagement des maisons de la ville qui, telle une coulée, s’étend depuis le surplomb de la falaise jusqu’aux berges de la Dordogne en contrebas. Le château lui-même, dressé au sommet de ce site escarpé dominant de manière impressionnante la confluence des vallées de la Dordogne et du Céou, par sa masse et l’étendue de ses murs d’enceinte, évoque l’image du château fort médiéval popularisée par les manuels scolaires d’antan. Ce lieu commun se grave d’autant mieux dans l’esprit du visiteur que tout est fait pour le lui inculquer, à commencer par des copies de trébuchets et autres engins de guerre venant 102 { PRINTEMPS 2017 } le festin

aujourd’hui, judicieusement placés sur les remparts, conforter l’idée d’un édifice médiéval mis en état de siège. Au cas où le visiteur aurait encore un doute, le discours sur l’histoire de Castelnaud présentée au public vient lui aussi à l’appui de la démonstration : Castelnaud, éternel rival et frère ennemi du château de Beynac situé à 3 km en aval sur la rive droite de la Dordogne, est une « création du xiie siècle », un « parfait exemple de la fortification médiévale ». Enfin, suivant la logique de ce discours, le château sert d’écrin à un musée de la guerre au Moyen Âge : le visiteur est plongé dans un univers peuplé d’armures, cottes de mailles, arbalètes et autres armes de jet et de tir. Dernier enrichissement en date du musée : une fresque « médiévale » vient d’être créée de toutes pièces pour donner à voir le

Castelnaud pose le problème de l’équilibre fragile entre connaissances scientifiques, valorisation, protection patrimoniale et rentabilité nécessaire d’un site appartenant à une société privée cycle des Neuf Preux, thème cher à la littérature chevaleresque depuis le xive siècle. Mais qu’en est-il des faits historiques ? Disons-le d’emblée : l’histoire de Castelnaud est à la fois plus complexe et plus passionnante que cela. Et, au-delà de la véracité ou non du discours, le cas de Castelnaud pose le problème de l’équilibre fragile entre connaissances scientifiques, valorisation, protection patrimoniale et rentabilité nécessaire d’un site appartenant à une société privée.


Échappées // La courtine de la haute cour avec son plan en tenaille.

QUELQUES VESTIGES MÉDIÉVAUX Jusqu’au xix e siècle, la Dordogne a servi d’axe de circulation à tout un secteur du Périgord. Qui la surveillait et la contrôlait s’assurait immanquablement la prospérité économique et asseyait sa puissance politique sur un large territoire. Tel fut le cas des seigneurs de Beynac qui, dès le xi e siècle, érigèrent une place forte sur le site stratégique le plus favorable de la région : un piton rocheux bordé par la Dordogne et encadré de profonds ravins creusés par deux petits

cours d’eau. Beynac devint par la suite l’une des quatre baronnies anciennes du Périgord (avec Bourdeilles, Biron et Mareuil). Ce n’est que bien plus tard, à la fin du xiie siècle ou au commencement du xiiie, qu’un autre seigneur établit en amont un « castrum novum » (« Castel-nau » en occitan) qui, comme son nom l’indique, était bien une création dans un site vierge. Dès ce moment pourtant, le château devint l’une des pièces maîtresses sur l’échiquier périgourdin que se disputèrent, tour à tour, les comtes de Périgord et les comtes de Toulouse, les rois de France et les souverains d’Angleterre

qui, en tant que ducs d’Aquitaine, étendirent leur territoire inféodé au sud du Périgord. La mention la plus ancienne de Castelnaud remonte au début du xiiie siècle, lorsque Bernard de Casnac, sectateur de l’hérésie cathare, est chassé de la forteresse une première fois par Simon de Montfort dans sa croisade contre les Albigeois (1214), 1. L’histoire de puis une seconde fois par une Castelnaud a été établie par troupe de Croisés commandés bien Jacques Gardelles, par l’archevêque de Bordeaux « Le château de Castelnaud », (1216)1. Le château fut alors Congrès archéodétruit par les vainqueurs : logique de France, 1979, pp. 272aujourd’hui, rien ne reste 286. le festin { PRINTEMPS 2017 } 103


// Échappées

L’arrivée au château, placée sous le feu de tous les tirs.

semble-t-il de cette première forteresse. Après le traité de Paris (1259), par lequel ils reconnaissaient la suzeraineté d’Henri III d’Angleterre comme duc d’Aquitaine, les seigneurs du lieu, la famille de Castelnaud, rendirent leurs aveux au comte de Périgord (en 1273, 1295 et 1312). Ce sont eux qui firent bâtir dans la seconde moitié du xiiie siècle la haute tour maîtresse quadrangulaire à contreforts plats (ornée à l’intérieur de peintures murales dont quelques vestiges subsistent), ainsi que la courtine de l’enceinte castrale, munie d’archères à ébrasement triangulaire, qui la protège du côté du plateau (au nord-ouest). Cette courtine a la particularité d’adopter un tracé en tenaille (de plan en M) qui présente ainsi deux éperons dirigés vers l’attaque, tout en ne négligeant pas la défense de proximité contre mine et sape. En 1362, à la suite du traité de Brétigny, la seigneurie de Castelnaud revint à nouveau dans la mouvance du duché d’Aquitaine, devenu principauté, alors aux mains du « Prince Noir », Édouard de Woodstock, fils aîné d’Édouard III d’Angleterre. En 1368, Castelnaud passa par le mariage de Magne de Castelnaud, unique héritière de la famille, aux Caumont. Après la reconquête du royaume par le roi de France Charles VII, le seigneur de Castelnaud, Guillaume-Raymond de Caumont, qui 104 { PRINTEMPS 2017 } le festin

était resté fidèle aux rois anglais, dut s’exiler, tandis que les fortifications de ses châteaux de Caumont et de Castelnaud furent démantelées – la haute tour maîtresse et le mur d’enceinte de Castelnaud furent alors partiellement dérasés.

À LA POINTE DE L’ART DE LA FORTIFICATION… À la différence de son frère aîné, Brandelis de Caumont se rallia au roi de France et obtint ainsi, en 1447, la restitution des biens de sa famille – cette branche restera propriét aire de Castelnaud jusqu’à la Révolution. Toutefois, les travaux de relèvement du château furent retardés. C’est en effet, selon toute vraisemblance, à Charles de Caumont, qui entra en possession de Castelnaud et de Berbiguières lors de son mariage avec Jeanne de Pérusse des Cars, fille du puissant sénéchal du Périgord, le 7 juin 1503, que revint la charge de relever la forteresse. Le couple fit construire les principales courtines, les tours de flanquement – dont une impressionnante tour circulaire au sud – percées de canonnières « à la française » (c’està-dire à large embrasure extérieure), et les barbacanes (ouvrages défensifs avancés), qui protègent les différentes portes. Abandonnant l’emploi des arcs

et arbalètes, la défense alors mise en œuvre est adaptée à l’emploi exclusif des armes à feu de tout calibre (arquebuses, fauconneaux, veuglaires…). Savamment agencées pour couvrir tous azimuts l’approche du château, les canonnières permettaient des tirs croisés, de face et de flanquement, tandis que le diamètre des orifices était adapté au calibre des armes et à leur portée réelle. Plus tard encore, au cours de la seconde moitié du xvie siècle, tout le front nord du château fut largement refait : une grande plate-forme canonnière de plan bastionné, percée d’ouvertures de tir, et un châtelet d’entrée flanqué de tours quadrangulaires furent érigés pour protéger la partie faible du site. On est tenté de l’attribuer au célèbre Geoffroi de Vivans, capitaine du château à partir de 1563, mais plus connu pour avoir été l’un des chefs protestants du Sud-Ouest lors des guerres de Religion. Ce front nord est l’un des derniers témoins de la mise au goût du jour des fortifications du château de Castelnaud.

Les impressionnantes canonnières « à la française » de la tour sud.


Échappées //

Castelnaud doit l’essentiel de ses constructions au xvie siècle – et aux travaux considérables de restauration menés par la famille propriétaire depuis 1967

Grande fenêtre (croisée) de la partie résidentielle du xvie siècle et ses vues sur la vallée.

La chambre haute de la tour maîtresse médiévale restaurée.

La haute cour vue du logis.

… ET DU CONFORT MODERNE C’est aussi à Charles de Caumont et Jeanne de Pérusse qu’il faut attribuer la reconstruction, peu après 1503, des espaces résidentiels de la haute cour. Ces derniers, situés à l’extrémité sud de l’éperon rocheux, se composaient d’une grande salle (encore en place), adossée à la tour maîtresse médiévale, et d’une partie plus privée à sa suite, qui a malheureusement disparu en grande partie mais peut être restituée. Réservée au seigneur et à sa famille et dotée de tout le confort moderne de l’époque, celle-ci comprenait chambres, garde-robes et cabinets (dans la tour sud), largement ouverts par de grandes fenêtres sur le magnifique paysage des vallées du Céou et de la Dordogne. Autrement dit, à ce moment, Castelnaud n’était plus seulement une puissante forteresse, mais une agréable résidence nobiliaire.

À L’HEURE DE LA VALORISATION DU PATRIMOINE Par ce qui précède, on comprend que, dans son état actuel, Castelnaud doit l’essentiel de ses constructions au xvi e siècle – et aux travaux considérables de restauration menés par la famille propriétaire depuis 1967. En effet, dès le xviie siècle, le château est rarement occupé par les Caumont, absorbés par la construction de leur château ducal de La Force dans le Bergeracois, puis, à partir de la Révolution, il est abandonné pour devenir, au xixe siècle, une carrière de pierres – principalement destinée à la construction d’une cale sur la Dordogne. C’est un château en grande partie ruiné et envahi par la végétation que les époux Rossillon achètent en 1967 et que, patiemment, avec l’aide des Bâtiments de France, ils restaurent, réhabilitent et sortent de l’oubli : les parties hautes (le chemin de ronde) et le festin { PRINTEMPS 2017 } 105


// Échappées

3 questions à Kléber Rossillon, propriétaire du château de Castelnaud. Comment s'est passée votre « rencontre » avec Castelnaud et pourquoi avoir acquis ce vaste château qui n'était alors qu'un champ de ruines ? Mon père a acquis le château de Castelnaud en 1966 pour éviter qu’il ne soit vendu à un Américain. J’ai ensuite accompagné ma mère sur les rendez-vous de chantier avec le grand architecte des Monuments historiques Yves-Marie Froidevaux. J’ai véritablement commencé à le connaître en analysant son architecture avec l’historien des châteaux forts Jacques Miquel. Quels soutiens avez-vous reçus pour le sauvetage et la restauration du château depuis son acquisition en 1967 ? Depuis les années 1990, les travaux de restauration ont été soutenus financièrement par l’État, comme pour les autres Monuments historiques de Dordogne.

Propos recueillis par XAVIER PAGAZANI

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Des trébuchets miniatures sont aussi restitués dans la muséographie intérieure.

le grand toit de la tour maîtresse sont reconstruits de façon vraisemblable, tandis que divers travaux sont engagés en différents points (courtine nord, voûtement de la cuisine, couvrement de la grande salle...). Réhabilité, le château est classé au titre des Monuments historiques en 19802, ouvert au public et accueille, à partir de 1985, un musée de la guerre du Moyen Âge, riche d’une collection de 200 pièces d’armes.

de la seconde moitié du xvie siècle ou une peinture murale « médiévale » (les Neuf Preux) réalisée en 2016 dans une grande salle du début du xvie siècle ? Certes, Castelnaud n’est pas le seul édifice en France à user de tels procédés pour attirer un plus large 2. Les ruines du y compris public – les travaux réalisés château, son enceinte, sont récemment à Versailles, classés par arrêté du 28 octobre ; le v i s a n t à r e s t i t u e r u n châtelet est inscrit par arrêté du prétendu état « Louis XIV », même jour. en sont une des manifestations. Mais ceux-ci sont-ils nécessaires alors que tous les éléments semblent pourtant rassemblés pour créer à Castelnaud un heureux dialogue entre site et musée ? Certes, donner à rêver est un levier puissant pour attirer le public, mais doit-on, pour ce faire, oublier la vérité historique ? •

Dès lors, Castelnaud est considéré, à juste titre, comme l’un des édifices les plus prestigieux de Dordogne. Mais dès lors aussi, le pli est pris de le présenter exclusivement comme une « forteresse médiévale » et d’occulter tout ce qu’il doit aux périodes plus récentes – autrement dit, on l’a dit, l’essentiel de ses constructions. Ainsi peut-on s’interroger sur la scénographie du musée actuellement mise en place, certes didactique par son contenu, mais dont l’adéquation avec le site ne va pas toujours de soi : comment comprendre des trébuchets recréés sur un bastion

XAVIER PAGAZANI est chercheur au service régional

du patrimoine et de l’Inventaire de Nouvelle-Aquitaine.

Château de Castelnaud Ouvert toute l’année, tous les jours Tarifs 9,80 € (adulte), 4,90 € (10 à 17 ans) Gratuit pour les moins de 10 ans Animation et spectacles 24250 Castelnaud-la-Chapelle T. 05 53 31 30 00 castelnaud.com

Cl. Guillaume Lachaud

Enfin, comment expliquez-vous le parti pris de la muséographie et de la médiation à Castelnaud, qui est exclusivement axé sur le Moyen Âge alors même que l'essentiel du château date du xvie siècle ? En installant le musée de la guerre au Moyen Âge au château de Castelnaud, ma première intention était d’expliquer la fonction de l’architecture du château en mettant des canons dans les canonnières, et en reconstituant les machines de siège qui attaquaient le château pendant la guerre de Cent Ans. Par son côté nord, le château reste en grande partie tel qu’il était au début du xve siècle. Puis, voulant compléter les reconstitutions de machines et de canons par des armes d’hast et des défenses de corps, je me suis heurté à la difficulté de trouver des pièces des xiiie, xive et xve siècles, face à une profusion de pièces du xvie siècle. Je présente celles-ci, qui ne jurent pas avec l’architecture du château resté la principale possession des Caumont jusqu’à la construction du château de La Force au début du xviie. Sans transformer le nom du musée en « musée de la guerre au Moyen Âge et à la Renaissance », ce qu’il est effectivement, je ne trompe pas le visiteur, en présentant notamment les panneaux sur l’évolution de l’art de la guerre dans les grandes batailles de la Renaissance comme Marignan.

La fresque dite « des Neuf Preux » en cours de réalisation, en 2016.


Échappées //

La vallée de la Dordogne vue depuis la partie résidentielle du xvie siècle en ruine.

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/// Détours

L'ESPRIT DU LIEU

{ Landes / Pays Basque }

HÔTEL DES AMÉRIQUES D'ANDRÉ TÉCHINÉ Entre la Grande Plage de Biarritz et un château Renaissance landais à l’abandon, récit d’un chassé-croisé dramatique entre deux monstres sacrés du cinéma : Deneuve, qui initiait une longue collaboration avec Téchiné, et Dewaere, dont la vie personnelle déteignit sur le rôle. Biarritz, par une nuit sans lune. Gilles vagabonde sous les colonnes de l'avenue Georges-VII, l'air absent. Hélène déboule au volant de sa R16, regard las, mains tremblantes. Le choc est inévitable. Il met en scène deux profondes solitudes, épiées par la caméra d'André Téchiné. Catherine Deneuve, beauté désenchantée dans son trench vert émeraude, la cigarette au bec, semble chercher dans le vide qui l'entoure son mari trop tôt disparu. Patrick Dewaere, la trentaine gauche et résignée, abonné aux histoires sans lendemain, gère sans passion l'hôtel familial de la Gare en regardant les trains s'ébranler vers d'autres soleils, d'autres Amériques. De temps à autre, l'idée lui vient de sauter dans l'un d'eux. Tout abandonner, tout recommencer. Mais pourquoi rater sa vie ailleurs, quand on peut le faire ici ? « C'est une drôle de ville, soupire Hélène un soir d'insomnie. Ça ne ressemble pas

à la province, ça ne ressemble pas à Paris. On ne se croirait pas en France et pourtant, ce n'est pas l'étranger non plus. » C'est partout à la fois, autant dire nulle part. Alors Gilles et Hélène, trop échaudés par la vie pour tenter à nouveau leur chance, se condamnent à un voyage immobile dans le Biarritz de Téchiné. Un Biarritz assoupi par la torpeur de la morte-saison, avec sa lumière blanche de fin d'après-midi, ses crépuscules brumeux où disparaissent les promeneurs solitaires, son casino enfumé et ses cafés ouatés, à l'abri desquels le couple s'apprivoise lentement. Mais est-ce trop demander que d'aimer ? Quand Hélène retrouve enfin le goût des vivants, c'est Gilles qui s’enfonce, telle une ombre, dans les ténèbres. LA SALAMANDRE REVIT Ce funeste chassé-croisé culmine dans les Landes toutes proches, au château de Biaudos. Sa façade Renaissance,

Avec Hôtel des Amériques, André Téchiné exauce son vœu de réunir Patrick Dewaere et Catherine Deneuve à l'écran.

parfaitement symétrique, a aimanté l'œil d'André Téchiné un jour qu'il filait sur la Nationale 117 en direction d'Urt, petit village de pêcheurs sur la rive basque de l’Adour, où son vieil ami Roland Barthes avait trouvé refuge. Le château de Biaudos se compose d’un corps de logis central de deux étages avec un toit mansardé en pyramide, couvert d'ardoises et percé de lucarnes, flanqué de deux tourelles à clochetons. Il a été érigé entre 1810 et 1850 par les Basterrèche, illustre lignée de Barcus, en Soule, sur l’emplacement de la seigneurie de Castéja occupée de longue date par la famille de Biaudos. L’ensemble, complété par deux corps de bâtiments, s’étire autour d’un bassin rond et d’un parc, classé en 1942, à l’époque où le domaine appartenait à la Duchesse de Mandas, avant de tomber en désuétude en 1974. Dans le film de Téchiné, tourné six ans plus tard, la demeure est toujours à l’abandon. Le mari d’Hélène, un architecte parisien, l’avait acquise en prévision des jours heureux. Mais depuis son décès dans les eaux sournoises de la Chambre d'Amour, à Anglet,

les volets étaient restés fermés et la clé cachée sous la grosse pierre de l'entrée. Quand Gilles accepte enfin d’y pénétrer et que le soleil inonde à nouveau les pièces décaties, La Salamandre revit, le temps d’un déjeuner sur l’herbe du parc, d’un rire, d’une étreinte. Ça ressemblerait presque au bonheur… Mais le fantôme du mari disparu hante encore les lieux. Gilles le traque, attisant ses propres blessures. Grignoté par le doute, incapable d’aimer puisqu’il ne s’aime pas, le personnage de Patrick Dewaere évolue sur un fil et finit par basculer par une morne nuit d’ivresse. Après un nouveau départ avorté, il s’enfonce dans les vagues de la Grande Plage de Biarritz, résolu à se laisser engloutir par l’Océan. Mais la main d’Hélène le retient encore un peu dans ce monde. « C’était un homme mystérieux, confiera plus tard André Téchiné. Il bossait beaucoup, ciselait tout et je lui demandais toujours d’en faire moins. Il en souffrait, se plaignait d’être “à poil sur ce film”. C’est ce que je voulais. Dans le film, c’est son personnage l’objet du désir, même s’il se sent indigne de ce désir. »

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Entre la Grande Plage de Biarritz hors saison, son casino, ses hôtels, cafés et restaurants, le couple s'apprivoise lentement tout en rêvant d'ailleurs.

JUSQU’AU BOUT DU MYSTÈRE Un rôle qui fait étrangement écho à la situation personnelle de l’acteur : durant les cinq semaines de tournage au Pays basque et dans les Landes, Patrick Dewaere vit en effet une passion destructrice avec sa compagne, Elsa, qui le quittera quelques mois plus tard pour s’installer avec Coluche, son meilleur ami. On comprend mieux la troublante fragilité et l’insondable mélancolie de Gilles à l’écran. « Il ne joue pas, il vit réellement les rôles qu'il incarne, dira de lui Catherine Deneuve. C'est l'un des rares

acteurs qui m'aient vraiment fait pleurer. » André Téchiné, avec le recul, confessera son trouble d’avoir choisi l'acteur pour ce rôle destructeur et suicidaire : « Je l'ai poussé dans un abîme à travers ce film et ce personnage qui correspondait sans doute à ses propres démons. » Hôtel des Amériques sort au mois de décembre 1981. Malgré des critiques élogieuses, le film ne rencontre pas le public escompté. Trop mélancolique, trop désespéré. « Cela m'a déçu mais pas étonné », avoue alors Catherine Deneuve, qui tournera six autres films avec le réalisateur tarn-et-garonnais.

Le château de Biaudos (La Salamandre dans le film), construit dans le style Renaissance durant la première moitié du xixe siècle par la famille Basterrèche, sert de théâtre au drame passionnel qui se joue entre Gilles et Hélène.

« Elle a transformé mon rapport au cinéma, estime-t-il de son côté. Avant, je considérais les acteurs comme des marionnettes dans mon petit théâtre. Je voulais les diriger. Catherine m’est apparue comme un sphinx à déchiffrer. Je n’ai plus cherché la maîtrise, le contrôle, mon premier souci est devenu la prise en compte du mystère propre à chaque acteur. »

Sept mois plus tard, le 16 juillet 1982, Patrick Dewaere emportait le sien dans la tombe. Et cette fois, ce n’était pas du cinéma. • SYLVAIN LAPIQUE Hôtel des Amériques André Téchiné, 1981 Avec Catherine Deneuve, Patrick Dewaere, Étienne Chicot, Sabine Haudepin, Dominique Lavanant, Josiane Balasko, François Perrot Réédition Blu-Ray Collection Studio Magazine 2004, 13,90 €

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DANS L’ATELIER

{ Dordogne }

MARTIAL RAYSSE POST POP Légende vivante comptant parmi les plus grands artistes contemporains, pionnier du Pop Art et des néons avant Roy Lichtenstein et Andy Warhol, Martial Raysse s’est laissé approcher dans le lieu où il vit, crée et se renouvelle sans cesse. L’aurore s’étire dans la brume de ce matin au soleil rouge comme les lèvres pulpeuses et séductrices des femmes aux néons de ses tableaux du début des années 1960. La nature tout entière accompagne cette rencontre avec le Maître qui vit, incognito, dans le Périgord depuis presque quarante ans. Dans le village médiéval d’Issigeac, tout le monde parle de lui sans l’avoir jamais rencontré. Une petite route sur la colline, à travers les

vignobles de Bergerac, mène au domicile de l’artiste, une maison simple en pierre assortie d’un immense atelier, en pierre lui aussi, brut, sans chauffage, fait pour travailler. Ici, pas de signe extérieur de richesse, aucune démonstration de luxe. Dans une simplicité authentique, état propice à la liberté d’esprit et à la création, vit cet aristocrate de l’âme. Le regard aiguisé, illuminé par une étincelle diaboliquement rebelle, coiffé d’un éternel bonnet, Martial Raysse, du haut de ses 80 ans, nous devance facilement sur le chemin de son atelier. Rencontre aux premiers instants de l’heure bleue, un matin de décembre, au coin du feu.

On l’écoute : « Les voisins pensent que je suis un militaire à la retraite, je ne veux pas les décevoir… J’ai une vie simple que j’apprécie. Je commence la journée par méditer et faire du yoga. Quand je ne travaille pas dans l’atelier, je vais couper du bois pour la cheminée, je m’occupe du jardin. J’ai emménagé en Dordogne dans les années 1980 ; lorsque nous avons visité cette maison, mon fils est revenu les bras chargés de bois. Ici, nous pourrions au moins nous chauffer. J’étais tellement pauvre, c’était très difficile, je vivais comme un fermier. Mon entourage en a beaucoup souffert, deux de mes épouses ne l’ont pas supporté. »

FLAMBOYANTS DÉBUTS Qui est cet enfant terrible de l’art, à la fois moderne et classique, conceptuel et figuratif ? Poète, peintre, sculpteur, vidéaste, c'est à Nice, à l’âge de 19 ans, qu’il réalise ses premières œuvres et publie un recueil de poèmes. « Un enfant perdu sur la planète Terre », c’est ainsi que la critique nomme cette figure forte du mouvement des Nouveaux Réalistes qui a influencé toute une génération d’artistes. Fasciné par la beauté du plastique, il arpentait les plages de la Côte d’Azur à la recherche de détritus qu’il transformait ensuite en sculptures aériennes rassemblant le vent, la mer et les nuages. En 1960, le Pop Art naît dans ses mains. Utilisant le festin { PRINTEMPS 2017 } 111

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/// Détours

« Les voisins pensent que je suis un militaire à la retraite, je ne veux pas les décevoir… »

« Le Pop Art, c’est moi, mais je suis un peintre d’aujourd’hui », déclare Martial Raysse, posant ici devant son atelier situé à Issigeac, en Dordogne, où il s’est retiré dans les années 1980.

de nouvelles techniques, de nouvelles matières, il est le premier à projeter des images sur un mur pour les utiliser comme support de création. De 1963 à 1965, il réalise la série Made in Japan où il détourne les chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art en leur donnant un aspect contemporain. Pour cette série, il s’approprie et sublime des œuvres classiques, Cranach, Le Tintoret, Ingres... Il connaît un succès fulgurant des deux côtés de l’Atlantique avec ses œuvres en néon, plexi et ses installations. Au sommet de sa gloire, déçu par le milieu de l’art, ne supportant pas le diktat commercial des galeries, il remet en question son travail pour se consacrer à la peinture. L’INFLEXIBLE C’est avec une exigence hors norme, loin des schémas commerciaux et du succès à consommation rapide, que Martial Raysse a lentement construit son mythe. Petit précis à l’usage des débutants : « En art, il n’y a pas de miracle, seuls le travail, le

talent et l’amour comptent, tout le reste c’est de la bouillabaisse ! La responsabilité d’un artiste afin de maintenir son talent, c’est de rechercher l’excellence, la perfection. De travailler par amour, pas dans l’attente du succès ou de l’argent. Un travail sans amour est un mauvais travail. Dans les institutions d’art aujourd’hui, les élèves n’apprennent pas à créer mais à vendre… Ce qui est important, c’est d’avoir du talent, certes, mais il faut travailler dur et être conscient, l’esprit et l’âme éveillés, avoir toujours le désir de faire mieux. De nombreuses personnes admirent les lèvres néons de mes anciens tableaux. J’ai utilisé le procédé parce que je n’arrivais pas à peindre des lèvres parfaites. Il m’a fallu 20 ans pour comprendre comment m'y prendre pour les faire ressortir du tableau. Ensuite, je n’ai jamais cédé à la tentation commerciale, celle de continuer à faire la même chose. Durant une longue période, j’ai dû apprendre l’humilité, me plier jusqu’à terre. Résister lorsque je n’étais plus personne,

pauvre. Je savais que j’étais sur le bon chemin et que je devais avancer. J’ai toujours voulu aller plus loin. Cette reconnaissance qui arrive maintenant prouve que j’ai fait les bons choix et que ça valait la peine d’attendre. Entre être applaudi ou respecté, je choisis toujours le respect. » « DE LA LUMIÈRE AVEC DE LA MATIÈRE » Comme dans toute histoire extraordinaire, il faut chercher la femme. Oh les femmes ! Elles tiennent une place significative dans l’œuvre de Martial Raysse : « Il faut bien sûr avoir une source d’inspiration... La vie est un carnaval, les femmes en sont les fleurs. Je suis un éternel amoureux. L’attirance entre les êtres, il n’y a pas de limite d’âge pour cela. Les femmes et les fleurs sont les deux plus belles choses au monde. J’aime la beauté au sens philosophique du terme. Bien sûr que j’aime les femmes, la preuve, j’ai été marié 5 fois ! » L’électricité se coupe soudainement, ce qui arrive

régulièrement en Dordogne, y compris dans la demeure d’un génie artistique. La conversation continue sous le regard mystique et érotique de faunes et faunesses, sculptures figurant la femme qui a changé la vie de Martial Raysse, l’artiste peintre et sculptrice Brigitte Aubignac : « Vous devriez faire un article à son sujet, pas sur moi, c’est une très grande artiste qui m’a beaucoup appris et inspiré. Grâce à Brigitte, son amour, son soutien, ses idées, tout cela a fait de moi l’artiste que je suis aujourd’hui. » Brigitte fut celle qui l’encouragea à suivre sa vocation en apprenant en profondeur la peinture classique. Il n’a pas honte d’aller au Louvre avec ses carnets de croquis. Partout où son travail le mène, il visite les musées, observe, essaie de comprendre. Il ne copie pas, il cherche simplement des réponses à cette question essentielle : comment perfectionner la technique du dessin ? « Quand, dans les années 1970, j'ai remis en question mon travail, j'ai voulu voir comment les autres avaient fait avant moi.

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10 DATES Simple and Quiet Painting, 1965, technique mixte : huile et plastique sur toile, sculpture, 129,50 x 195,50 x 16,50 cm, Museum Ludwig, Cologne.

1936 Naissance à Golfe-Juan (06) dans une famille de céramistes. Commence à peindre et à écrire des poèmes à l’âge de 12 ans. 1957 Rencontre Jean Cocteau qui lui reconnaît le statut de poète.

Peinture à haute tension, 1965, technique mixte : photographie, huile et peinture, néon monté sur toile, 162,5 x 97,5 cm, Stedelijk Museum, Amsterdam.

1960 Martial Raysse, Arman, Yves Klein fondent le groupe des Nouveaux Réalistes, rejoint par César, Rotella, Niki de Saint Phalle et Christo. Premières œuvres exposées au MoMa à New York. 1962 S’installe à New York puis en Californie. 1975 Quitte Paris, se remet à la peinture à l’huile. 1982 Reçoit le Grand Prix National de la Peinture. 1992 Rétrospective au Jeu de Paume. 2011 Un de ses portraits des années 1960 est adjugé 4,8 millions d’euros à Londres. 2014 Lauréat du Praemium Impériale dans la catégorie peinture (Japon). Retrospective à Beaubourg.

Toutes les images : © ADAGP, Paris 2014

Made in Japan en martialcolor, 1964, technique mixte : acrylique, verre, mouche en plastique sur photographie marouflée sur toile, 130 x 97 cm, Musée national d'art moderne - Centre Georges-Pompidou, Paris.

J'ai alors été marqué par un petit dessin de Raphaël, qui, entre deux traits de crayon, avait laissé un espace vierge. Ce petit bout de papier resplendissait comme un néon. Il en avait la force. Là, j'ai compris le secret de la peinture : faire de la lumière avec de la matière. Voilà pourquoi j'ai abandonné tout ce matériel car ce ne sont pas les matériaux qui font la grandeur d’une œuvre, mais l’esprit qu’on y met. »

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CARNAVALESQUE L’enfance de Martial Raysse fut marquée par l’horreur de la guerre. Ses parents étaient résistants ; il a cinq ans lorsque la gestapo le tire de son lit dans la nuit, emportant brutalement sa marraine vers les ténèbres. Il vient de ce monde cruel qui rend les êtres résilients plus lumineux et lucides : « Il y a une quête initiatique dans mon travail. Je suis un pessimiste raisonné, j’essaie d’être du côté de la gaîté et de donner

2015 Rétrospective au Palazzo di Grassi de Venise.

aux gens l’envie de vivre. » Dans ses tableaux monumentaux tel Le Carnaval à Périgueux (3 x 8 m, 1992), il représente un grand nombre de visages aperçus localement pour mieux rendre cette atmosphère éphémère de joie et de tristesse caractéristique, à ses yeux, de ces réjouissances profanes. Si pour Shakespeare la vie est un théâtre, pour Raysse elle s’apparente à un carnaval : « Jouez avec le monde, inventez vos images, vos gestes, car la vie est plus belle

que tout. Cependant, c’est une chose très étrange que de passer sa vie à mettre de la couleur sur le visage de la mort, c’est aussi une chose très étrange que d’avoir vécu dans une sorte de quarantaine et de se retrouver au pinacle aujourd’hui… Sic transit gloria mundi. » PINAULT À LA RELANCE Martial Raysse n’aurait peutêtre pas connu la « gloire du monde » sans le regard visionnaire de François Pinault. le festin { PRINTEMPS 2017 } 113

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Instantanés d’ateliers. À propos de son travail, Martial Raysse déclare : « Je ne suis pas attiré par les beaux visages, ce qui m’intéresse c’est plutôt le sarcasme qui s’en dégage, je préfère la laideur de certaines expressions qui racontent une histoire. » Ci-dessous à gauche, l’artiste pose devant la dernière œuvre des années 1960 encore en sa possession.

Le Carnaval à Périgueux, 1992, détrempe sur toile, 300 x 800 cm, collection Pinault, Palazzo Grassi, Venise.

© ADAGP, Paris 2014

Cette toile, acquise dans les années 1990 par François Pinault, a contribué à un regain d’attention pour l’œuvre tardive de Martial Raysse. L’artiste a ainsi pu bénéficier, à 78 ans, d’une rétrospective au Centre Pompidou, en 2014, puis au Palazzo Grassi de Venise, propriété du même François Pinault, en 2015.

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« C’est une chose très étrange que d’avoir vécu dans une sorte de quarantaine et de se retrouver au pinacle aujourd’hui » Dans les années 1990, l’homme d’affaires français est fasciné par Le Carnaval à Périgueux tandis que Martial Raysse, artiste pauvre et oublié, ne songe pas un instant à céder l’œuvre. Les conseillers de François Pinault l’incitent à ne pas investir dans ce tableau, ses détracteurs se moquent sous cape de lui. L’histoire a pourtant prouvé qu’il avait raison – Martial Raysse revient sur le devant de la scène tel un phœnix. Lors de la rétrospective du Maître

à Venise, en 2015, au Palazzo di Grassi, François Pinault affirme : « Quand on a la chance de côtoyer un génie, on lui donne l’exposition et le respect nécessaires de son vivant. Après, c’est l’Histoire qui jugera… » De nos jours, de nombreux collectionneurs rêvent de s’offrir une œuvre de Martial Raysse. Ce qu’il en pense ? « Que l’on m’aime ou que l’on me déteste, ça m’est bien égal. Je me fiche aussi de savoir le prix auquel mes tableaux sont vendus,

c’est l’argent des galeries, pas le mien. Tout ce qui compte réellement maintenant, c’est d’utiliser le temps et l’énergie qui me restent pour travailler. » Aujourd’hui encore, Martial Raysse passe la majeure partie de son temps dans son atelier. Certains tableaux nécessitent quatre à cinq années de travail, plusieurs sont en cours. À la peinture s’ajoutent ses travaux d’écriture, essentiels à Martial Raysse qui se considère avant

tout comme un poète, statut que lui octroya Cocteau dans les années 1950 et dont ces quelques vers définissent la charge : « Pour peu que les poètes connaissent les paroles / Un amour au cœur des hommes les protège » (« Le Roi René », extrait, Martial Raysse, 13 Sonnets, éd. Kamel Mennour, 2014). • Par ERIKA UMBRASAITÉ et ELSA MARTIN Photographies ELSA MARTIN

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SECRETS DE CUISINE { Gironde }

VIVIEN DURAND CONTE DE FÉE AU CHÂTEAU Le château du Prince Noir, dont la silhouette surgie au débouché du pont d’Aquitaine ne surprend (presque) plus les Bordelais, accueille le restaurant du même nom, devenu jadis une référence sous la direction du charismatique Jean-Marie Amat. Ce dernier a assuré la passation de toque voilà deux ans à Vivien Durand, qui a fait d’une succession engagée sous les meilleurs auspices une réussite totale.

Le Prince Noir a fendu l’armure et, depuis l’arrivée de Vivien Durand, cette table étoilée, située aux portes de Bordeaux, fait souffler un son quelque peu rock sur le paysage gastronomique local ! Car le chef ne se plie pas forcément aux codes compassés d’une cuisine où la tradition fait loi. Tel un DJ impertinent, il mixe avec insolence l’élite des produits du terroir et une créativité permanente. Et les aficionados en redemandent… AMAT, DUCASSE, FRADIN OU LES 3 FÉETAUDS Ceux qui étaient présents, au château du Prince Noir, le 10 juin 2014, s’en souviennent forcément. Ce jour-là, émotion garantie à Lormont, où deux monuments de la gastronomie française, Alain Ducasse et Jean-Marie Amat, adoubaient un presque inconnu, venu de son Pays basque, Vivien Durand. C’est d’ailleurs Ducasse qui

avait présenté ce jeune homme fougueux à Norbert Fradin, propriétaire des lieux (lire notre entretien pp. 32-36), alors à la recherche d’un talent digne de succéder à Jean-Marie Amat. Entre les vieilles pierres de cette ancienne résidence secondaire des archevêques de Bordeaux et le cube de béton comme suspendu au-dessus du Pont d’Aquitaine, le lieu n’est pas anodin… Même si le fantôme du Prince Noir l’a déserté, il raconte l’Histoire et des histoires. Pour l’animer, y attirer une clientèle curieuse, y créer une nouvelle aventure gourmande, il fallait un vrai tempérament. Celui de Vivien Durant convenait parfaitement. ORIGINE SUD-OUEST CONTRÔLÉE Pas d’atavisme gastronomique dans la généalogie du jeune Pyrénéen : à huit ans, son premier souvenir a le goût

Le chef Vivien Durand officie au Prince Noir depuis 2014, où il est arrivé auréolé d'une étoile acquise dans son bar à vin d'Hendaye, la Maison Eguiazabal.

d’une génoise, confectionnée avec sa maman… Plus tard, sa chambre d’ado est décorée de photos des grands chefs du moment… Et tout naturellement, on le retrouve sur les bancs du lycée hôtelier de Souillac où, en compagnie de Cédric Béchade et Pascal Bardet, il se prend de passion pour la cuisine, des produits aux fourneaux. Son parcours est celui d’un esprit curieux, désireux de se frotter aux vrais talents, de fréquenter les coulisses des grandes maisons. La rencontre avec Alain Ducasse, dans les coulisses du Louis XV à Monaco est déterminante : « C’était mon modèle, ma référence… Il m’a appris l’excellence et le goût du meilleur ». Après avoir « fait » quelques grandes tables de la Riviera, l’appel du Sud-Ouest et de l’Atlantique est le plus fort. Vivien se retrouve à SaintJean-de-Luz au Grand Hôtel,

dont les cuisines sont alors aux mains de Nicolas Masse. C’est là qu’il rencontre celle qui va devenir son épouse, Claire, avec laquelle il décide de monter « sa propre affaire », La Taverne basque, en 2005. Fidèle à ce Pays basque où il a posé ses valises et construit ses amitiés, on le retrouve quelques années plus tard dans un bar à vin à Hendaye. Et là, bingo : en 2013, la Maison Eguiazabal décroche une étoile au Guide Michelin ! Une vraie première : les tapas, servis sur le zinc de cette cave hors normes, séduisent les palais les plus exigeants. Mais l’envie de voler de ses propres ailes est la plus forte et, lorsque Ducasse lui propose de reprendre les rênes du Prince Noir, sans hésitation, il met le cap sur la Gironde.

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Vue du Prince Noir, côté restaurant, logé dans une dépendance du château : à droite, l'extension signée Bernard Bühler (2010). Arnaud Enjalbert, arrivé en 3e position du Trophée des maîtres d'hôtel français, organisé dans le cadre du dernier Salon international de l'hôtellerie, de la restauration et de l'alimentation (Lyon, janvier 2017).

L’AUTHENTICITÉ RÉCOMPENSÉE D’UNE ÉTOILE Respect total de la part du nouveau venu pour le propriétaire des lieux, Norbert Fradin, « juste génial », et pour son prédécesseur : « Nous avons conservé l’argenterie et les belles serviettes de coton blanc au monogramme de Jean-Marie Amat ». Pour le logo et le décor, il fait appel à un artiste-designer bordelais, Bruno Grangé-Cossou, accessoirement l’un de ses bons copains. Toujours présent quand il faut « mouiller le maillot » sur des opérations caritatives ou répondre aux sollicitations des copains chefs, il fait le show quand il le faut. On le retrouve aux côtés de Nicolas Magie pour animer le marché dominical du Saint-James, où les deux toqués présentent, deux fois par an, leurs fournisseurs

préférés aux gourmets. Mais c’est derrière son piano qu’il s’éclate. Il aime « donner du bonheur » à la trentaine de clients que peut accueillir la salle du Prince Noir. Les enfants y sont aux anges, puisqu’ils sont les invités de la maison et… particulièrement gâtés ! À la saison, on les accompagne au jardin potager, choisir et ramasser les légumes de leur choix… À l’heure du déjeuner, la formule à 35 € a de sérieux arguments : carpaccio de dorade au beurre meunière, ris d’agneau persillade, paris-brest au pralin, par exemple… Le soir, alors que le spectacle permanent de la circulation sur le pont évoque l’Amérique nocturne d’un tableau de Hopper ou le pont de Brooklyn, place à la gourmandise à géométrie variable : en quatre, cinq ou six services. Ce n’est pas la grand-messe, c’est la fête !

Car l’équipe de salle joue au même tempo que son maestro : allegrissimo … mais pro ! En réaction aux afféteries en vogue, Vivien Durand pratique une cuisine franche, lisible et distincte. C’est du premier degré (ouf !). Avec un fondamental : la sincérité. Comme dans l’assiette, rien de superflu : l’essentiel. Une démarche initiée dès son arrivée, rapidement récompensée de l’étoile qui fait rêver tous les chefs qui visent le ciel. Évoquer son obsession pour le produit peut sembler aujourd’hui banal : ce n’est pourtant pas un simple argument marketing pour ce chef non formaté. Il cherche le meilleur et il le trouve. Sur sa carte, figurent en bonne place les noms de ces fournisseurs qui l’approvisionnent au quotidien.

Le Prince Noir À partir de 35 € (carte déjeuner) 1, rue du Prince-Noir 33310 Lormont T. 05 56 06 12 52 leprincenoir-restaurant.fr

Il partage désormais son temps entre Lormont et le Pays basque où vit sa petite famille. Il y retrouve, les weekends, les copains pêcheurs, fromagers ou éleveurs, autour de tablées généreuses et festives. « Au début, c’était un simple test. Et finalement, j’ai trouvé un bel équilibre entre vie privée et vie professionnelle. » Et l’aventure continue. En attendant de s’installer dans la brasserie axée sur le poisson du futur musée de la mer et de la marine, en juin 2018, Vivien Durand navigue avec bonheur dans une cuisine qui fait fi de dédales d’illusions gustatives gratuites. À la génération selfie et veggie, il préfère celle de la diversité et de la liberté. Deux mots qui lui vont comme un gant. • MARTINE CRESPIN Photographies de JÉRÉMIE BUCHHOLTZ

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Encornets de ligne, épinards, pomme de terre ratte et sauce dieppoise Ingrédients Pour 4 personnes

2 encornets de ligne (600/800 g) 1 L de moules 150 g de crevettes de l'estuaire 2 échalotes 300 g d'épinards 2 queues de persil 80 g de crème épaisse

30 cl d'eau 2 gousses d'ail 4 pommes de terre ratte Huile d'olive Sel Piment d'Espelette Vinaigre de cidre Nettoyer les encornets et garder les têtes et les ailes. Inciser le blanc ouvert en quadrillage. Réserver. Enlever la tête des crevettes. Réserver séparément têtes et queues. Dans une casserole faire suer les échalotes émincées, l’ail écrasé et les queues de persil. Jeter les moules nettoyées. Déglacer au vin blanc. Cuire à couvert, dès que les moules s’ouvrent, les débarrasser. Ajouter dans la cuisson les têtes de crevettes ainsi que celles des encornets et les ailes. Mouiller avec l’eau, cuire 5 min. Après ébullition, infuser à couvert 30 min. Filtrer. Crémer. Reporter à ébullition en rectifiant l’assaisonnement. Émulsionner. Cuire à la plancha les corps des encornets taillés en quatre, ainsi que les épinards. Assaisonner (sel et piment) et déglacer d’un trait de vinaigre de cidre. Déposer sur assiette une demi-pomme de terre ratte vapeur, quelques moules, les épinards. Arroser de sauce émulsionnée.

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BULLES DE SALON { Nouvelle-Aquitaine }

THIERRY MURAT CELUI-QUI-RACONTE Avec Étu wA . Celui-Qui-Regarde, Thierry Murat signe le récit d’un photographe parti explorer des territoires indiens. L’auteur y déploie tout son talent pour creuser des thèmes qui l’obsèdent et livrer une réflexion mélancolique sur la place de l’artiste confronté à la tragédie.

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ÉPURE ET IMMERSION Étonnamment, ce pessimisme dans le choix des sujets contraste avec la sensation de plénitude et l’atmosphère contemplative qui se dégagent de ses œuvres. Sa signature graphique si singulière y est pour beaucoup : un minimalisme ascétique qui fait la synthèse entre la lisibilité parfaite de la ligne claire et les masses de noir, évocatrices d’un Muñoz ou d’un Pratt, qu’il recopiait maladroitement dans son adolescence. À l’instar de ses grands maîtres, Thierry Murat procède par retranchements et dépouillements successifs, convaincu, comme Alberto Giacometti, que « plus on en met, plus il en manque ». Composant ses planches au cordeau, il s’appuie sur des lignes de force, des jeux de symétrie, avec l’idée de suggérer plutôt que de montrer. Il aime ainsi jouer du vide, ce qui explique son utilisation très personnelle de la couleur, un voile monochrome dont il module subtilement les variations pour mettre en valeur un détail, un objet ou un visage. À rebours de cette sobriété graphique, il recourt à un usage intensif de la voix-off et du style épistolaire, qui autorisent

selon lui davantage de nuances que l’usage du simple dialogue. « Ça permet quelque chose de plus profond, une immersion du lecteur qui touche à une vérité du personnage », estime-t-il. Une approche littéraire qu’il assume pleinement, si bien que le terme souvent fourre-tout de « roman graphique » convient idéalement à sa pratique de la BD. En s’employant à redéfinir les codes classiques, Thierry Murat a d’ailleurs pris l’habitude de faire intervenir régulièrement des proches, des connaissances, s’appuyant sur leur expressivité pour donner un corps, une gestuelle propres à ses personnages, à la manière d’un metteur en scène. « CELUI-QUI-REGARDE » Dans Étu  wA , sa dernière œuvre en date, ce n’est certainement pas un hasard s’il pousse le procédé en prêtant ses traits au héros, le photographe Joseph Wallace parti suivre une mission d’exploration dans les terres indiennes dans les années 1860. Mais cette fois la ressemblance n’est pas que du point de vue physique,

reconnaît-il, l’incarnation est presque totale : « Mes proches m’ont dit qu’ils avaient l’impression de m’entendre parler. Joseph est quelqu’un de songeur, mais aussi quelqu’un d’entier jusque dans son intransigeance. » Étu  wA marque la première réalisation du dessinateur en tant qu’auteur complet. Sa gestation fut un long « chemin caillouteux » et il lui a fallu toute la confiance de son éditeur pour accoucher de ce projet qu’il qualifie de « viscéral ». L’album saisit ce moment de bascule d’une civilisation sur le point d’être exterminée et prise aux derniers feux de sa splendeur. Par sa radicalité presque austère, le trait de Thierry Murat parvient à recomposer un Ouest inédit, loin de tout naturalisme. Bien que baignant dans l’imagerie populaire du western, il s’emploie à réinventer un wilderness presque fantomatique où les cowboys et les Indiens ressemblent à des ombres. Dans cette Amérique encore sauvage et vierge, le paysage se mue sous son crayon en espace abstrait où quelques arbres en ombres

© Futuropolis / Thierry Murat

Il a fallu du temps à Thierry Murat avant de s’accomplir. « J’ai fait plein de trucs, essayé plein de styles », dit-il, comme pour s’excuser du temps de latence nécessaire à sa lente éclosion artistique. Si cela fait déjà une quinzaine d’années qu’il a quitté le confort d’un boulot dans la pub pour embrasser sa seconde carrière, cet ex-Bordelais réfugié dans un village landais a dû attendre 2008 et son arrivée chez Futuropolis pour, dit-il, enfin trouver sa voie. Coup sur coup, il signe alors trois récits âpres et sans concessions, empreints de fatalisme et de tragique. À travers les libres adaptations des Larmes de l’assassin, roman jeunesse à succès d’Anne-Laure Bondoux, et du Vieil homme et la mer d’Hemingway, en passant par l’histoire façonnée sur-mesure par son ami Rascal, Au vent mauvais, il y démontre son attachement aux figures de solitaires qui vivent en marge de la société faute de vouloir en accepter les codes, les valeurs ou l’injustice. À défaut de trouver le salut, il ne reste pour eux que la fuite, l’errance, même si ce sentiment de liberté est tout relatif, comme une parenthèse éphémère pour oublier l’inéluctable.

Joseph, le personnage principal du premier livre scénarisé et dessiné par Thierry Murat, est un double de l’auteur, au physique comme au moral.

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Étu wA . Celui-Qui-Regarde a pour sujet l’histoire du génocide amérindien perçue à travers l’œil d’un photographe, Joseph Wallace dit « L’attrapeur d’ombres » par les Sioux, sur le territoire desquels il se rend en mission d’exploration en 1860. « Je ne suis pourtant pas écrivain, ni philosophe ou naturaliste, et encore moins poète… », dit le photographe et narrateur à l’entame du récit.

© Futuropolis / Thierry Murat

chinoises suffisent à simuler une nature encore impénétrable. Un dernier refuge de croyances animistes et magiques où « le temps n’existe pas » comme l’affirme Kimímila, la belle Indienne qui va troubler à jamais Joseph Wallace. Derrière la rencontre amoureuse entre ces deux êtres, Thierry Murat a voulu composer une réflexion plus large sur l’altérité et la disparition. En creux, il y questionne la valeur du témoi-

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gnage, de la trace. « En choisissant l’œil du photographe, c’est le regard de l’artiste qui m’intéressait plutôt que celui de l’historien ». Les mots couchés sur le papier par son double de fiction ne mentent pourtant pas. Condamné à n’être qu’un témoin de plus, Wallace regrette de n’être qu’un « voyeur inutile. Voilà tout ». En épousant le point de vue de son photographe comme un spectateur assistant impuissant au massacre d’un peuple, il signe une œuvre

terrible tant cette histoire lointaine fait écho à bien des tragédies contemporaines.• NICOLAS TRESPALLÉ

Thierry Murat, Étu wA . Celui-Qui-Regarde, éd. Futuropolis, 160 p., 23 €, 2016.

Aux éditions Delcourt : Elle ne pleure pas, elle chante (scénario : Éric Corbeyran, d’après le roman d’Amélie Sarn), 2005. Aux éditions Futuropolis : Les Larmes de l’assassin (d’après le roman d’Anne-Laure Bondoux), 2011. Au Vent Mauvais (scénario : Rascal), 2013. Le Vieil homme et la mer (d’après le roman d’Hemingway), 2014. Étu wA , Celui-Qui-Regarde, 2016.

thierrymurat.com thierrymurat.canalblog.com

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GRAPHISME Une œuvre littéraire croise la route de graphistes de talent. Dialogue.

Parler aux oiseaux de Gianni-Grégory Fornet ANTICHAMBRE revu par

À gauche, la couverture du livre Le Corps tympan, École d’art de Blois, 2016 ; à droite, la brochure réalisée pour la saison 2015-2016 de l’Orchestre Poitou-Charentes.

antichambre.net

Parler aux oiseaux de l’auteur bordelais Gianni-Grégory Fornet (éd. Moires, Bordeaux, 2013) est un texte théâtral où l’on suit les métamorphoses de Francis Cothe, à travers des paysages mentaux parlés ou chantés. Pour le festin, les graphistes d’Antichambre ont voulu décliner un principe de « suggestion typographique », lequel pourrait, pourquoi pas, s’adapter à une collection. Le travail typographique, manifestement manuel, imparfait, souligné par une esthétique épurée, suggère l’envol et le mouvement des oiseaux. TO

© Antichambre

À gauche, l’affiche réalisée pour Les Arts Fous (2015) au fort Vauban ; à droite, l’affiche conçue pour le festival de cinéma Rochefort-Pacifique (2014).

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« Un design graphique sobre et intelligent », voilà un postulat à l’image du travail d’Antichambre. Les débuts de l’agence, fondée en 2005 par Martin Masmontet, renvoient à une chambre d’hôtel désaffectée de La Rochelle… « Son nom provient du fait que nous voyions ce premier bureau comme l’antichambre de quelque chose d’autre », explicite João Garcia, actuel gérant (Martin quitte le studio pour d’autres horizons en 2010). Il forme désormais un trio avec le graphiste Pascal Sémur et Valérie Chevré, « responsable trafic » (administration et coordination de la circulation des créations). Originaire du Portugal, João y dirigeait un studio de design graphique, après s’être formé sur le tas dans un ciné-club local. Ses premières créations ont doucement attisé son aspiration au graphisme, malgré quelques maladresses : « le 1er dépliant que j’ai emmené à l’imprimerie a dû être refait entièrement sur place tellement il était mal préparé ! » Arrivé en France, il parfait son apprentissage des rouages du métier dans une agence de communication rochelaise. Pascal, quant à lui, est diplômé des beaux-arts de Bordeaux et a débuté comme artiste plasticien en France et à l’étranger. Pour Antichambre, l’inspiration graphique est un « geste » qui vient personnaliser la création, lui donner un petit quelque chose en plus qui rend le design attractif, donc efficace. C’est avec la Ville de La Rochelle et le festival des Francofolies qu’ils réalisent leurs premiers travaux notoires. S’ensuit un déferlement de collaborations artistiques, parmi lesquelles la compagnie de théâtre bordelaise Dromosphère, l’Orchestre Poitou-Charentes à Poitiers, le Centre chorégraphique national de La Rochelle, la compagnie de danse Sine Qua Non Art… La liste est longue. Des aspirations précises pour l’avenir de l’agence ? Que nenni ! Car c’est ce qui fait l’intérêt du métier à leurs yeux : « Rien n’est figé ni prédéterminé. Si la vie ne l’est pas, pourquoi le travail le serait-il ? »

Couverture du dépliant imaginé pour le projet PAN (Permanence Artistique Nomade) de la compagnie Sine Qua Non Art pour la saison 2016-2017.

À lire Terraquae Catalogue d’exposition, Daniel Nouraud, Édition Ville de Rochefort, 2012

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HUMOUR Découvrez les artistes dessinateurs et illustrateurs caricaturistes appartenant au patrimoine néo-aquitain.

PAUL MIRAT PAR PAUL MIRAT

Sports d'hiver dans les Pyrénées, Coupe Louis-Blériot de bobsleigh, course Gourette – Eaux-Bonnes, 1913, gouache, circa 1960, coll. part.

Cl. Étienne Follet

Voici le jeune Paul, cet hiver 1913 aux Eaux-Bonnes, heureux co-vainqueur de la Coupe LouisBlériot de bobsleigh, en équipe avec son vieux complice Ernest Gabard, d'Henri Belin, avocat palois, directeur de l'aérodrome de Pau, l'un des tout premiers au monde, et du pionnier légendaire Marcel Brindejonc des Moulinais, premier à rallier les capitales européennes par les airs en 1913. Image de l'insouciance, entourées d'une foule bigarrée et cosmopolite, où le capulet des belles Ossaloises resplendit au milieu des fourrures des princesses moscovites ou des dernières modes parisiennes, quatre têtes brûlées glissent dans un énorme éclat de rire vers les derniers jours de leur jeunesse. Paul Mirat voit le jour à Pau, en 1885, où son père, Lambert (1848-1921), adjoint du maire Henri Faisans, gère un magasin d'ameublement nommé

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« À la ville de Londres », une usine hydroélectrique et un élevage de chevaux de sport à Meillon. Élève turbulent, renvoyé du lycée de Pau, il terminera ses humanités à Janson-de-Sailly, à Paris. De retour à Pau, il devient apprenti dans le magasin de son père, aux côtés du jeune Ernest Gabard. Au grand désespoir de Lambert, les deux adolescents désertent le magasin, préfèrant exercer leurs crayons à la terrasse du café qui jouxte la préfecture, s'amusant à croquer les belles jeunes femmes de la colonie cosmopolite, en chapeaux, rubans et crinolines. Au même moment, il crée une petite troupe de théâtre amateur avec ses amis d'enfance, Louis Sallenave, qui sera maire de Pau de 1946 à 1971, et Henri Lannes de Montebello : « Le Carillon » connaîtra de beaux succès à Bordeaux, Biarritz et Pau. Cette vie de bohème ne plaît guère à ses parents qui l'envoient chez un oncle chargé du réseau

de chemins de fer du Mexique. Paul en profitera pour visiter Cuba et la Californie, séjournant à San Francisco quelques jours après le terrible tremblement de terre. Il revient à Pau pour effectuer son service militaire jusqu'en 1909 où il s'installe à Londres, embauché comme dessinateur de mode dans le grand magasin Swan and Edgar sur Piccadilly circus. La guerre de 1914 mettra un terme à cette jeunesse insouciante et dorée. En 1917, désigné par le général Pershing, Paul et deux autres combattants français partiront à Seattle initier les jeunes troupes américaines aux réalités des tranchées et du combat à la baïonnette. De retour à la vie civile, il reprend les rênes de l'élevage de chevaux de Meillon et devient président de la chambre d'agriculture des Basses-Pyrénées. C'est à la fin de sa vie qu'il prendra le pinceau pour faire revivre en gouaches joyeuses et colorées les heures fastueuses du Pau de

la Belle Époque dont il fut un témoin actif, et celles d'Henri IV ou de Gaston Fébus. Outre ces nombreuses caricatures et imageries, cet infatigable travailleur, aux apparences de dilettante, laisse derrière lui une œuvre hétéroclite : plaquettes de poésie, récits et livres de voyages mais aussi de nombreux articles et des études sur l'élevage des chevaux de sang et l'amélioration des races, une autre de ses nombreuses passions. PAUL MIRAT (petit-fils de l’artiste) À lire Lucie Abadia, Paul Mirat, un homme derrière l'image (catalogue de l'exposition), musée national du château de Pau, 1986.

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le festin

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102

no

À PARAÎTRE EN JUIN 2017

L'heure du BAIN ERRATUM : En introduction de l'article de Natacha Vas-Deyres consacré à François Bordes, en p. 123 du festin n° 100, nous avons malencontreusement situé la disparition du préhistorien et romancier en 1987. Comme nous l'indiquons plus tard dans cet article, François Bordes est décédé en 1981. ASSOCIATION LE FESTIN CONSEIL D’ADMINISTRATION Michèle Blaise, Dominique Dussol, Claude Laroche, Yolande Magni (trésorier), Thierry Saumier (secrétaire), Stéphane Taurand (président), Philippe Villechenoux. DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Xavier Rosan 05 56 69 72 46 contact@mail.lefestin.net DIRECTRICE DE LA RÉDACTION Amélie Daraignez 05 57 10 58 61 amelie.daraignez@mail.lefestin.net SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Jérémie Potée 05 57 10 58 64 jeremie.potee@mail.lefestin.net ASSISTANTE DE RÉDACTION Mado de La Quintinie 05 57 10 58 63 redaction@mail.lefestin.net GRAPHISTE RÉDACTION Véronique Schiltz graphiste@mail.lefestin.net

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DIRECTEUR ARTISTIQUE Franck Tallon 05 56 89 81 23 contact@francktallon.com

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----INDEX DES ANNONCEURS Étude Gestas Carrère, p. 2 La Machine à Lire, p. 7 La Fromagerie de Pierre, p. 19 Association Bordeaux Quinconces, p. 19 Artemis, p. 21 Ville de Bordeaux, p. 23 Ville d'Eysines, p. 25 Ville de Créon, p. 25 L'Escale du Livre, p. 31 BWinemaker, p. 37 L'Arbre Vengeur, p. 110

DIRECTEUR COMMERCIAL David Vincent 05 57 10 58 62 david.vincent@mail.lefestin.net CHARGÉE DES RELATIONS PUBLIQUES ET COMMERCIALES Julie Brochard 05 57 10 58 60 julie.brochard@mail.lefestin.net CHARGÉE DE COMMUNICATION Maeva Auclin 05 56 69 72 46 communication@mail.lefestin.net CHARGÉE DE DIFFUSION Anabelle Vischi 05 57 10 58 67 diffusion@mail.lefestin.net CHARGÉ DE DISTRIBUTION Jordy Pirot distribution@mail.lefestin.net CHARGÉE DES PUBLICITÉS Catherine Plazanet 06 73 20 40 82 publicites@mail.lefestin.net ASSISTANTE ADMINISTRATIVE ET COMPTABLE Virginie Guinant 05 57 10 58 66 virginie.guinant@mail.lefestin.net ----CONSEIL À LA DIRECTION Nadine Puyoo-Castaings nadine.puyoo-castaings@ mail.lefestin.net ----PRÉSIDENT DU COMITÉ SCIENTIFIQUE Dominique Dussol FONDATEURS Olivier Schiltz, Xavier Rosan -----

Bordeaux River Cruise, p. 119 Les Graves de Viaud, p. 119 Junkpage, p. 122 L'Éveilleur, p. 124 Ville de Bègles Musée Création Franche, 2e de couverture Musée de la Mer Bordeaux, 3e de couverture Région Nouvelle-Aquitaine, 4e de couverture

----le festin Association type loi 1901 176, rue Achard / Bât. F1 - 33 300 Bordeaux T. : 05 56 69 72 46 Fax : 05 56 36 12 71 e-mail : contact@mail.lefestin.net site : www.lefestin.net ----ISBN : 978-2-36062-167-5 ISSN : 1143-676 X Commission paritaire : 0417 G 81803

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