Jean-Luc Hervé, compositeur français influencé par le paysage du Japon / Shiono Eiko

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Jean-Luc Hervé, compositeur français influencé par le paysage du Japon Résumé Jean-Luc Hervé, l'un des plus grands compositeurs dans le monde aujourd'hui, a composé Effet lisière (création en 2003), inspiré par le paysage du Japon, surtout le jardin emprunté au paysage, shakkei, pendant a résidence à la Villa Kujôyama de Kyôto en 2001. Cette pièce est constituée de deux phases, la promenade musicale dans le jardin et le concert dans la salle. Concernant la musique, son écriture reste complètement occidentale, toutefois il s'y trouve quelques essences japonaises. Non seulement le concept, mais également la musique elle-même de cette pièce intéressera certainement les spécialistes de la mésologie. Je vais donc présenter Effet lisière avec beaucoup d'illustrations sonores, ce qui permettra d'ouvrir la discussion. Bonjour mesdames et messieurs et les professeurs, bonjour à tous, je vous remercie infiniment de me donner l’occasion de cet exposé en présence de compositeur, Jean-Luc Hervé. Je tiens à préciser d’abord que je ne suis pas spécialiste de la mésologie, je suis simplement pianiste. Cependant, je regrette que l’un des meilleurs compositeurs actuels dans le monde, Jean-Luc Hervé, ne soit connu que dans les milieux des musiciens spécialistes et non pas forcément connu dans les autres domaines en France. Toutefois, c’est un compositeur français qui est inspiré par le paysage du Japon dans ses compositions musicales. Il serait donc pertinent dans mon exposé de présenter et montrer son travail musical avec beaucoup d’illustrations de paysages japonais afin de donner des informations précises, ensuite de laisser la parole aux spécialistes de la mésologie concernant sa musique. Ce qui permettra d’ouvrir enfin la discussion.

1. Jean-Luc Hervé (1960-) Permettez-moi d’abord de rappeler quelques points biographiques. Après avoir étudié l’orchestration et l’électroacoustique, Jean-Luc Hervé travaille la composition avec Emmanuel Nunes et Gérard Grisey au Conservatoire national supérieur de Paris où il obtient un premier prix en 1995. Il séjourne à la Villa Kujôyama de Kyôto pendant quatre mois en tant que compositeur-résident en 2001. Actuellement, il est professeur de composition au conservatoire au rayonnement régional de Boulogne-Billancourt. En générale, dans l’histoire de la musique du XXe au XXIe siècle, il est considéré comme un compositeur qui appartient à l’école du post-spectrale.

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2. Impressions sur le Japon de Jean-Luc Hervé 2.1. Relation à la nature Évoquons maintenant la relation de Jean-Luc Hervé avec la nature japonaise. Jean-Luc Hervé est venu au Japon avec, pour reprendre ses mots, « méfiance 1 ». Cependant, dès son arrivée à Kyôto, il est attiré par le paysage japonais : la « médiance 2 » japonaise. Précisons ses remarques point par point. La première observation de Jean-Luc Hervé concerne le rapport étroit de la ville de Kyôto avec la nature : « Ce qui me frappa dans cette culture (la culture traditionnelle japonaise), celle des jardins en particulier, fut le rapport très étroit qu’entretient l’art avec la nature.3 »

Ses remarques sur le Japon sont intéressantes à plusieurs titres. Car, d’abord, « l’idée du paysage est étroitement liée à l’identité culturelle4 », ensuite : « Le rôle de l’espace apparaît clairement dans la notion de paysage, que je définirai comme l’expression sensible de la relation d’un sujet, individuel ou collectif, à l’espace et à la nature. Cette relation participe largement de la relation mésologique, mais elle ne lui est que partiellement identifiable.5 »

Enfin, « Le paysage, on le voit, constitue un excellent “révélateur de milieu”6 », pour reprendre ici un concept-clef du professeur, Augustin Berque.

2.2. Le jardin Le deuxième intérêt de Jean-Luc Hervé pour le Japon se concentre sur le jardin japonais. On trouve plusieurs styles et techniques de jardins au Japon. L’intérêt de ce musicien s’oriente surtout vers le jardin qui s’associe au paysage, le shakkei : « Un jardin japonais n’est en effet jamais pensé sans sa relation avec son environnement. Son agencement rigoureux, où chaque élément jusqu’au plus petit a sa place dans la composition visuelle, s’inscrit dans le contexte naturel. Le paysage (forêts, montagnes etc.) que l’on peut voir souvent en fond, est cadré par la construction du jardin. La végétation du jardin japonais masque les éléments indésirables du paysage et laisse visibles ceux qui répondront à sa composition.7 »

Cette affirmation rejoint exactement celle d’Augustin Berque, mais en général la Référence : Jean-Luc Hervé, « D’Effet lisière à Flux : retour sur cinq années de composition », Filigrane n° 4, « Nouvelles sensibilités », Paris, Éditions Delatour, second semestre 2006, p. 61-67. 2 Cf. Augustin Berque, Le Sauvage et l’Artifice : les Japonais devant la natue, p. 165-166. 3 Jean-Luc Hervé, « D’Effet lisière à Flux : retour sur cinq années de composition », op .cit.,p. 61. 4 Augustin Berque, Nihon no fûkei, seiô no keikan : soshite zôkei no jidai (日本の風景・西欧の景観 そ して造景の時代 Le Paysage au Japon, en Europe et à l’ère du paysagement), Tôkyô, Kôdansha, coll. Kôdansha gendai shinsho, 1990, édition en japonais, p. 16. 5 Augustin Berque, Le Sauvage et l’Artifice : les Japonais devant la nature, op. cit., p. 154. 6 Ibid., p.157. 7 Jean-Luc Hervé, « D’Effet lisière à Flux : retour sur cinq années de composition », op. cit., p. 61. 1

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plupart des Japonais aujourd’hui commencent à l’ignorer. Nous reviendrons sur le jardin du shakkei dans notre troisième partie.

2.3. Le seuil Enfin, Jean-Luc Hervé développe sa réflexion jusqu’à la construction de la ville, la distinction entre le dedans et le dehors : « […] L’idée qui fut importante pour moi est celle de seuil comme lieu de passage entre l’intérieur et l’extérieur. Cette idée est centrale dans toute la culture traditionnelle japonaise.8 »

Cette évocation étonne les Japonais. Bien que la question de la bordure de la ville au Japon intéresse plusieurs spécialistes français et japonais, elle ne semble pas préoccuper le peuple japonais d’ordinaire. Dans le présent exposé, parmi ces trois points, je vais me focaliser sur le shakkei du jardin japonais, le jardin associant le paysage. Car, c’est le jardin, shakkei qui a plus particulièrement retenu l’attention de Jean-Luc Hervé.

3. Le shakkei (借景) Comment pourrait-on définir le shakkei ? Le shakkei est l’une des techniques pour construire le jardin dans l’esthétique japonaise. En français, on traduit ce concept par l’expression « l’emprunt de paysage ». Si j’analyse les deux caractères chinois qui composent ce mot, voici comment il se décline : d’abord, 借 (shaku par la lecture sino-japonaise, kariru par la lecture japonaise ) qui signifie « emprunter » ou « louer » et 景 (kei par la lecture sino-japonaise, kagé par la lecture japonaise ) qui désigne la « vue » ou le « paysage ». Avant d’entrer dans ce sujet, considérons d’abord, le terme, « paysage » commenté par Augustin Berque dans son livre intitulé, les « Raisons du paysage »9. De ce livre, je voudrais tirer brièvement, trois points concernant au shakkei. 1) La première tradition paysagère vient de la Chine Le concept de l’esthétique paysagère apparaît pour la première fois dans le monde en Chine vers IVe siècle de notre ère. Cette esthétique se répand ensuite dans les pays 8

Ibid. Cf. Augustin Berque, Les raisons du paysage - Les Raisons du paysage de la Chine antique aux environnements de synthèse, Paris, Éditions Hazan, 1995, 192 p. 9

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voisins de la Chine, y compris le Japon au cours des siècles suivants. Le « paysage » n’est pas seulement la vue, mais il est lié à l’esprit des hommes. Il y a donc ici une représentation du paysage qui répond à quatre critères que l’on pourrait énoncer ainsi : 1. Les représentations linguistiques, 2. Les représentations littéraires, 3. Les représentations picturales, ayant pour thème le paysage, 4. Les représentations jardinières, traduisant une appréciation proprement esthétique de la nature10. Bien évidemment, Effet lisière, l’œuvre musicale de Jean-Luc Hervé rentre dans la quatrième catégorie. 2) Affinité avec mythe Les représentations paysagères de l’Asie orientale sont liées au mythe. Le Japon n’est pas exceptionnel sur ce point-là. Il faut surtout remarquer qu’ influencé par le taoïsme de la Chine, la montagne est un élément qui s’attache fortement à la religion. Par exemple, le mont Hiei (比叡山) au Japon est considéré comme la montagne sacrée où il existe de nombreux monastères bouddhiques. Le shakkei célèbre de Kyôto que nous pouvons énumérer, Shûgakuin Riryû ( 修 学 院 離 宮 ), Entsû-ji ( 円 通 寺 ) et Shôden-ji (正伝寺), tous ces jardins du shakkei se donnent comme ayant en fond le mont Hiei. 3) Idée de la transposition du paysage Citons maintenant les mots d’Augustin Berque : « […] en Asie orientale, le paysage s’anime d’allusions et de réminiscences innombrables. […] Si la montagne réelle est entretissée d’images, celles-ci en revanche l’ont démultipliée aux quatre coins du territoire et à toutes les échelles. Les Japonais en particulier, dont les îles sont pourtant déjà couvertes de montagnes, ont poussé très loin les métaphores paysagères qui permettent de les rendre partout plus présentes encore. L’une de ces métaphores consiste à “emprunter le paysage ” (shakkei), c’est-à-dire, dans un jardin de Kyôto comme le Murin’an par exemple, à se donner comme fond la montagne voisine (le Higashiyama), en dissimulant le seconde plan qui s’étend entre le jardon et la montagne. C’est en quelque sorte comme si la

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Augustin Berque, Les raisons du paysage - Les Raisons du paysage de la Chine antique aux environnements de synthèse, op. cit., p.34.

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montagne, attiré dans la vue du jardin, était “empruntée” par le maître de céans.11 »

Se trouve ici l’idée du voyage de l’espace. Revenons maintenant au concept du shakkei. Ce concept s’est introduit au Japon par la Chine. Il s’agit donc, d’associer le jardin au paysage extérieur et on l’intègre comme un jardin avec les arbres de l’intérieur. En général, on voit trois plans dans le jardin de l’emprunt de paysage. Mais, à travers le voyage de l’espace, la montagne s’approche du le jardin, c’est-à-dire, « la nature vient à la ville 12 », la chose sacrée entre dans l’habitation. Il y a donc une superposition des plans, au point d’obtenir un mélange qui dilue les frontières entre l’extérieur et l’intérieur. Voici la photo du jardin d’Entsûji (円通寺), renommé pour son shakkei. C’est le jardin que Jean-Luc Hervé apprécie particulièrement. On peut entrevoir le mont Hiei, la montagne sacrée au dernier plan13. Entsûji est un ancien palais secondaire de l’empereur Gomizuo (後水尾天皇 1596-1680) : Figure 1. Exemple de jardin de shakkei, Entsûji à Kyôto, photographié par l’auteur, le 4 avril 2013 Si les Japonais ont réussi à construire un beau jardin avec la technique du shakkei, c’est grâce à la géographie de Kyôto. La ville de Kyôto est en effet un bassin entouré de montagnes. Et de ce fait, la situation géographique est favorable à la création de jardins. Effet lisière n’aurait pas vu le jour si Jean-Luc Hervé n’avait pas séjourné à Kyôto. Augustin Berque cite l’« Édit », écrit en chinois classique par l’empereur Kanmu lors du transfert de la capitale à Kyôto en 794 : « 此国山河襟帯、自然作城。因斯勝、可制新号。 Ce pays entouré de monts et de rivières constitue un fort naturel. Il convient d’en tirer parti pour la nouvelle capitale. De nombreux auteurs ont par la suite repris cette idée que les montagnes sont l’enceinte naturelle de Kyôto […].14 »

Ainsi, l’empereur Kanmu déclare que la ville de Kyôto est protégée par les montagnes. Il existe donc un environnement protecteur, presque surnaturel, qui préside également à la réalisation du shakkei.

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Ibid, p. 90-91. Augustin Berque, Le Sauvage et l’Artifice : les Japonais devant la nature, op. cit., p. 225. Cf., ibid., p.92. Cité par Augustin Berque, in Histoire de l’habitat idéal : de l’Orient vers l’Occident, op. cit., p. 205.

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3. Poïétique d’Effet lisière de Jean-Luc Hervé,15 3.1. Le projet Inspiré par le paysage et l’agencement de la ville de Kyôto, Jean-Luc Hervé a composé Effet lisière avec la collaboration de la vidéaste, Natacha Nisic (qui, elle aussi, était résidente à la Villa Kujôyama). Le concert se déroule en deux phases. Dans la première phase, la musique enregistrée est diffusée dans le jardin ; dans la deuxième phase, la musique, écrite pour deux violons, dispositif électroacoustique et vidéo, est interprétée dans la salle de concert. La partie électronique a été composée au Cirm16 à Nice (ingénieur du son : Frédéric Voisin). Effet lisière a été créé en juin 2003 à Hakusasonsô, à Kyôto. Malheureusement, il n’existe pas d’enregistrement original de la deuxième partie de la seconde phase17. Néanmoins, Jean-Luc Hervé, en reprenant la première partie, a réécrit une version de concert, intitulée En découverte (2004). Cette pièce a été créée le 9 mars en 2004 à Paris par l’Ensemble 2e2m.

3.2. Le choix du titre Le titre, Effet lisière, est tiré d’un terme de biologie. Jean-Luc Hervé en définit l’origine ainsi : « En biologie, on parle d’effet lisière pour les biotopes situés entre deux milieux différents qui présentent de par cette situation une plus grande richesse en faune et en flore, la lisière étant le lieu d’échanges biologiques intenses entre les espèces forestières et les espèces de plaine. En art, et en musique en particulier, il m’a toujours semblé que les œuvres qui explorent les lisières perceptives (par exemple les zones de transition sonore entre bruit et son, harmonie et timbre ou rythme et arythmie) possèdent une plus grand richesse de sens car elles sont le point de recouvrement de plusieurs perceptions opposées.18 »

4. Organisation du concert 4.1. Le lieu de la création : Hakusasonsô Hakusasonsô (白沙村荘), le lieu de la création d’Effet lisière, est la résidence secondaire du peintre Kansetsu Hashimoto (橋本関雪, 1883-1945). Cette résidence 15

Référence:http://www.jeanlucherve.com/jeanlucherve/photos_files/Effet%20lisière_projet.pdf, consulté en mai 2010. 16 Centre international de recherche musicale (Nice). 17 Deuxième phase est la partie du concert. Cf.4.4. 18 Jean-Luc Hervé, « D’Effet lisière à Flux : retour sur cinq années de composition », op. cit., p. 62.

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avec jardin est propice au projet de Jean-Luc Hervé. Elle est située à côté de Ginkakuji, le temple inscrit au patrimoine mondial, le long de la Route de la philosophie à Kyôto. Kansetsu Hashimoto a vécu à la fin de l’ère Meiji (1868-1912) et au début de l’ère Taishô (1912-1926). Issu d’une famille d’intellectuels confucianistes, il reste imprégné toute sa vie par la culture japonaise « traditionnelle ». Il est surtout réputé pour ses peintures d’animaux. Il a acheté un terrain et, parallèlement à son activité de peintre, il a construit le jardin japonais avec deux maisons de thé à son goût. Cet endroit était pour lui une sorte d’utopie. Hakusasonsô reste encore aujourd’hui une résidence privée. Figure 2. L’entrée de Hakusasonsô, photographiée par l’auteur, le 27 juin 2011

4.2. Deux phases L’ensemble du concert se divise donc en deux phases. La première phase se déroule dehors ; la seconde a lieu à l’intérieur du pavillon central sous forme de concert. La musique de la seconde phase est écrite. Durant la première phase, les spectateurs sont invités à se promener autour du jardin. Ils écoutent la musique ou regardent la vidéo projetée dans l’écran flottant sur la surface de l’étang, en déambulant. La musique électroacoustique, d’abord enregistrée à partir des sons de violons, de chants d’oiseaux et de bruits d’eau, ensuite traitée par l’ordinateur, est diffusée en boucle. Le dispositif électroacoustique est installé en quatre endroits. Et les spectateurs arrivent à la fin de la promenade à l’atelier du peintre où commence la seconde phase (concert à l’intérieur). Il y a donc cinq stations de rencontres musicales durant la première phase du concert. Cet itinéraire musical est important pour Jean-Luc Hervé, car c’est à la fois un trajet temporel et spatial. Il s’agit de « guider les spectateurs sur un chemin déterminé, en les laissant pourtant se promener librement selon la vitesse ou le rythme de leurs pas, en regardant le paysage et, de temps en temps, prendre du repos 19 ». Cela conduit progressivement à la musique de la seconde phase. Les « spectateurs guidés sur le chemin déterminé » vont petit à petit sentir fusionner la musique diffusée dans le jardin avec celle de la seconde phase. Ainsi, la liberté du parcours laissé aux spectateurs, va les conduire à découvrir leurs propres sensations dans la musique de la seconde phase. L’idée de la transition temporelle et spatiale est aussi essentielle dans Effet lisière. Quatre pistes de l’installation musicale marquent la transition spatiale, tandis que l’heure du concert marque la transition temporelle. Les spectateurs sont invités à se promener en fin d’après-midi, afin que cela coïncide avec le coucher du soleil, qui est le 19

Cf. http://www.jeanlucherve.com/jeanlucherve/photos_files/Effet%20lisière_projet.pdf, consulté en mai 2010.

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moment où la seconde phase commence à l’intérieur : « Le lieu de l’installation devra être une lisière entre nature et zone d’habitation et dans lequel il sera possible de composer un itinéraire dans l’espace. L’œuvre sera donnée à la tombée du jour (la lisière entre le jour et la nuit), de manière à commencer l’itinéraire de jour et le terminer avec l’arrivée de la nuit.20 »

Voyons maintenant le parcours musical dans le jardin.

4.3. Itinéraire des promenades de la première phase D’abord, voici la carte du jardin de Hakusasonsô : Figure 3. Carte de Hakusasonsô

1) Le portail, nakakuguri-mon (なかくぐり門) Figure 4. Le portail, nakakuguri-mon, photographié par l’auteur, le 27 juin 2011 C’est une porte de l’entrée au jardin. Donc, c’est un encadrement du paysage à venir. « Les haut-parleurs sont placés sous le toit de paille, ce qui produit une acoustique très particulière21 » : 2) Le pont Figure 5. Le pont. Ibid. Le pont passe au milieu d’un étang. De chaque côté, dans les arbres, sont placés deux haut-parleurs, afin d’obtenir un effet de stéréophonie : 3) La première maison de thé, isui-tei (倚翠亭) Figure 6. La première maison de thé, isui-tei22 Contrairement à la deuxième station, la spatialisation des sons devient plus étroite. Les haut-parleurs sont placés à l’intérieur de la maison de thé. On entend le dialogue entre les chants d’oiseaux et les sons de violons transformés. 4) La seconde maison de thé, mongyo-tei (問魚亭) Figure 7a. La seconde maison de thé, mongyo-tei. Ibid. Figure 7b. Le pont et la seconde maison de thé. Ibid. 20

Jean-Luc Hervé, « D’Effet lisière à Flux : retour sur cinq années de composition », op. cit.,p. 62. http://www.jeanlucherve.com/jeanlucherve/photos_files/Effet%20lisière_projet.pdf, op. cit., consulté en mai 2010. 22 http://www.hakusasonso.jp/hakusasonso/built/, consulté en février 2010. 21

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Figure 7c. Installation de l’écran flottant par Natacha Nisic Ces trois figures montrent la position de la quatrième station dans le jardin. Les spectateurs entrent dans le jardin par le portail, nakakuguri-mon, puis traversent le pont afin de se rendre à la maison de thé, isui-tei. Ils font demi-tour pour revenir à la seconde maison de thé, mongyo-tei, puis ils traversent de nouveau le pont et arrivent enfin au pavillon du peintre (cinquième station : fin du parcours). À la seconde maison de thé, mongyo-tei, les spectateurs entendent les sons de violons et les chants d'oiseaux transformés : « Le rapport entre chants d’oiseaux et sons de violons est maintenant inversé : ce sont les chants d’oiseaux transformés qui se rapprochent maintenant des gestes sonores instrumentaux.23 »

Dans ce trajet au dehors, l’eau est l’une des matières les plus importantes. À Hakusasonsô, l’étang s’étend au milieu du jardin et les deux maisons de thé s’élèvent de chaque côté, face à face. Un film vidéo est projeté sur la surface de l’étang. « La projection sera plus ou moins visible suivant la transparence de l’eau. Lisière du visible, lisière de la matière24 ! », explique Jean-Luc Hervé. 5) L’atelier du peintre, Kansetsu Hashiomoto Le parcours se termine devant l’atelier du peintre où la seconde phase, le concert, aura lieu. C’est le lieu de regroupement de tous les spectateurs. Figure 8. L’atelier du peintre, Kansetsu Hashimoto, photographié par l’auteur, le 27 juin 2011

4.4. Deuxième phase : concert dans l’atelier du peintre Figure 9. L’intérieur de l’atelier. Ibid. La phase du concert proprement dite se divise en deux parties. La première partie commence dans la pénombre.Pendant que les spectateurs entrent dans l’atelier, quatre haut-parleurs de projection sonore disposés sur les quatre côtés de l’atelier apparaissent au cours des cinq premières minutes. Figure 10. Disposition des deux violons et de l’écran, indiquée dans la partition25 Les spectateurs sont assis pour écouter la musique pour deux violons, dispositif

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Ibid. Ibid. 25 Tiré d’une partition. Jean-Luc Hervé, « Effet lisière pour 2 violons, électronique et audiovisuel », Milano, Edizioni Suivini Zerboni, 2003. 24

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électroacoustique et la vidéo26. À la seconde partie, le projet initial mentionne qu’un écran de papier (les panneaux de séparation de la maison traditionnelle japonaise, fusuma) « traverse » l’atelier et qu’un(e) violoniste soit dissimulé(e). Mais, pour des raisons techniques, ce projet n’a pas pu être concrétisé. Le fusuma (襖) désigne des cloisons coulissantes et amovibles en papier qui permettent ainsi de délimiter deux pièces dans la maison japonaise. Le fusuma sert souvent de support à la peinture, et devient ainsi un objet artistique tout autant qu’un élément d’architecture interne. Voici les photos du concert. Figure 11a. Photo du concert à l’intérieur de l’atelier, prise par Natacha Nisic Figure 11b. Ibid. Figure 11c. Ibid. Avant de finir mon exposé, je voudrais souligner trois points. D’abord, le séjour de Jean-Luc Hervé au Japon s’est traduit par un tournant décisif dans son œuvre musicale. Non seulement dans Effet lisière mais également dans ses œuvres ultérieures, l’influence du Japon demeure assez forte. On peut affirmer que Jean-Luc Hervé intègre des concepts du paysage japonais dans sa musique. Deuxièmement, pour la recherche du paysage, c’est la vision qui est importante. Evidence : la musique consiste essentiellement à écouter. La musique est donc en principe un art auditif. Cependant, Jean-Luc Hervé a bien transformé sa vision en images sonores. Enfin, concernant la spatialisation des sons, il existe deux questionnements possibles ; comment disposer les musiciens instrumentistes ou les chanteurs, voire la musique électroacoustique dans la salle de concert, donc dans un espace fermé ? Comment diffuser les sons composés en dehors afin qu’ils s’harmonisent avec les sons naturels ? À ce sujet, Jean-Luc Hervé a tenté de répondre aux deux questions en faisant la liaison des éléments musicaux entre deux phases dans Effet lisière. Sous ces trois points de vue, Effet lisière est une pièce très originale et remarquable. À présent, je vous propose d’écouter la musique de la première partie de la seconde phase et de visionner un extrait vidéo d’Effet lisière filmé par le compositeur, Jean-Luc Hervé, lui-même, avec son aimable autorisation. Je vous remercie pour votre attention.

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Dans son article, http://www.jeanlucherve.com/jeanlucherve/photos_files/Effet%20lisière_projet.pdf, consulté en mai 2010, ici Jean-Luc Hervé appelle, le dispositif « électroacoustique ».

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Références 1. Paritions HERVÉ, Jean-Luc, Effet lisière pour 2 violons, électronique et audiovisuel, Milano, Edizioni Suivini Zerboni, 2003, 77 p. HERVÉ, Jean-Luc, En découverte, 38 p. http://www.jeanlucherve.com/jeanlucherve/Score_audio_sample_files/En%20découverte.pdf,

consulté en juin 2014. 2. Phonographie HERVÉ, Jean-Luc, En découverte, Ensemble Sillages, MFA (Musique française d’aujourd’hui) l'empreinte digitale, 2005, réf. ED 13219/Drama Ensemble Sillages 2009 (coproduction). 3. Autres sources NISIC, Natacha et HERVÉ, Jean-Luc, extrait du dispositif vidéo d’Effet lisière de Jean-Luc Hervé, inédit (communication du compositeur). NISIC,Natacha, photos lors de la réalisation d’Effet lisière de Jean-Luc Hervé (communication de Natacha Nisic). NISIC, Natacha, dispositif vidéo d’En découverte de Jean-Luc Hervé (communication de Natacha Nisic). SHIONO Eiko, photos de Hakusasonsô (白沙村荘) prises le 27 juin 2011 et d’Entsû-ji (円通寺), prises le 4 avril 2013. 3. Monographies BERQUE, Augustin Le Sauvage et l’Artifice : les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard, 1986, 314 p. Les Raisons du paysage de la Chine antique aux environnements de synthèse, Paris, Éditions Hazan, 1995, 192 p. Histoire de l’habitat idéal : de l’Orient vers l’Occident, Paris, Éditions du Félin, 2010, 396 p. Berque, Augustin, Nihon no fûkei, seiô no keikan : soshite zôkei no jidai (日本の風 景・西欧の景観 そして造景の時代 Le Paysage au Japon, en Europe et à l’ère du paysagement), Tôkyô, Kôdansha, coll. Kôdansha gendai shinsho 1990, 190 p. 5. Revues HERVÉ, Jean-Luc « D’Effet lisière à Flux : retour sur cinq années de composition », Filigrane, n° 4, « Nouvelles sensibilités », Paris, Éditions Delatour, second semestre 2006, p. 61-67. « Tobi-Ishi : un jardin musical à Paris », Filigrane, n° 12, « Musique et lieu », Paris, Éditions Delatour, second semestre 2010, p. 105-116. http://revues.mshparisnord.org/filigrane/index.php?id=302, consulté en mars 2010. Site du compositeur HERVÉ, Jean-Luc http://www.jeanlucherve.com/jeanlucherve/home_page.html, consulté en mai 2010. http://www.jeanlucherve.com/jeanlucherve/photos_files/Effet%20lisière_projet.pdf, consulté en mai 2010.

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