Nan Liu, yonaliu@hotmail.com
Séminaire Mésologiques V La genèse des milieux humains : anthropisation, humanisation, hominisation EHESS, Paris, 12 mai 2017
Retournement du monde et émergence de shanshui : sur l’érémitisme et la recherche d’immortalité dans les milieux lettrés en Chine des WeiJin (220420) Le shanshui 山 水 , « montagnes-eaux », motif intrinsèque de l’art lettré en Chine, qui pourrait correspondre au sens étroit au paysage littéraire et pictural en tant que représentation. Comme le montrent les peintures de shanshui, les montagnes et les eaux constituent un macrocosme de pics et de vallées, de forêts et de torrents, où apparaissent des personnages miniatures mais indispensables pour indiquer que ce macrocosme est un lieu de vie humaine. Plutôt que les montagnes-eaux coupés en elles-mêmes, on observe bien souvent des hommes contemplatifs dans le paysage, ayant une allure digne, dont le regard, instauré à l’intérieur du tableau, suggère un rapport entre l’homme et le paysage qu’il a devant lui, mais qui ne figure pas nécessairement devant les spectateurs. Demandons-nous qui sont ces hommes ? Quels types de rapport ont-ils avec ce milieu ? Ainsi, nous remontons à l’émergence des montagnes-eaux en abordant deux facteurs à savoir deux mouvements et tendances – l’érémitisme et la recherche d’immortalité – dans les milieux lettrés de l’époque des Wei-Jin 1, qui témoignent de l’invention de shanshui. 1
Érémitisme : un des facteurs de l’émergence de shanshui 1.1
Définition de l’ermite et de l’érémitisme
L’« ermite » se dit de très nombreuses façons en chinois. On établit un inventaire de seize noms désignant « ermite », tirés de la tradition livresque, dont nous citons ici quelques-uns : dans l’antiquité chinoise apparaissaient youren 幽人 « homme obscur » ; yishi 遺 士 « homme qualifié laissé de côté » ; chushi 處士 « lettré n’exerçant aucune charge » ; yinshi 隱士 « lettré qui vit retiré », etc. ; et au cours du III e au VIe siècle de notre ère, on a créé les néologismes comme gaoshi 高士 « haut lettré » ; zhengshi 征士 « lettré jugé digne de servir la Cour » ; yiren 逸人 « homme libre » ; shanren 山人 « homme de la montagne », etc.2. Quant à l’érémitisme, deux termes reviennent le plus souvent : yindun 隱遁 et yinyi 隱逸, dont le composant commun est yin 隱 littéralement voulant dire « se cacher » ; alors que les composants différents, dun 遁 et yi 逸, désignant au sens premier « fuir », « s’échapper », dont la clé zou 走 « marcher » suggère le mouvement de fuite. Or yi 逸 paraît très particulier, qui renvoie
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Dans le présent article, l’époque des Wei-Jin renvoie à la période de la Dynastie Wei (220-265) et de la Dynastie des Jin (265-420), qui est marquée néanmoins par la grande émigration des Chinois de la région des plaines centrales du nord vers la vallée du Yangzi à partir de la fin du III e siècle, et la fondation des Jin orientaux (317-420) à Jiankang (l’actuelle Nankin) dans le bassin inférieur du Yangzi. 2 Jiang Xingyu, « Zhongguo yinshi mingcheng de yanjiu »《中國隱士名稱的研究》(Sur les noms de l’ermite en Chine), et « Zhongguo gudai yinshi chengwei kaoshi »《中國古代隱士稱謂考釋 》(Étude sur l’appellation de l’ermite en Chine antique), dans id., Zhongguo yinshi yu zhongguo wenhua 中 國 隱 士 與 中 國 文 化 (Érémitisme et la culture chinoise), Shanghai, Shanghai renmin chubanshe, 2009, p. 12-21 et 92-105. 1