LA «FEMELLE MYSTÉRIEUSE» OU « L’ESPRIT DE LA VALLÉE » / Caroline Alder

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LA «FEMELLE MYSTÉRIEUSE» OU « L’ESPRIT DE LA VALLÉE »: QUAND UNE MÉTAPHORE RÉSONNE AVEC LA RÉALITE POÉTICO –ARTISTIQUE: Le cimetière de la Ciudad Abierta de Ritoque, un lieu où les esprits ont décidé d’habiter la vallée…

Caroline Alder Architecte, Master en paysage ENSAPLV, Paris. Doctorante EHESS, Paris.

Séminaire « Mésologiques » 2014-2015 «Milieu, art, poétique» École des Hautes Études en Sciences Sociales Paris, 3 avril 2015.


au fur et à mesure que j’avance dans la vallée, le mondain demeure loin… je pénètre, doucement, dans l’espace d’autrui, de ceux qui sont partis… seul accompagnent mes pas le murmure des feuilles dans le vent et, au loin, intermittent, l’éclatement du Pacifique…

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PLAN DE LA PRÉSENTATION :

INTRODUCTION

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« FEMELLE MYSTÉRIEUSE » ET EXPÉRIENCE SPIRITUELLE DU PAYSAGE - « L’esprit du Val est à jamais vivant… » - Les concepts « xin », « shen », « ling » et « shenling » - Le principe de Zong Bing - Esprit et expérience spirituelle du paysage, moment de résonance et trajection

2. LA MÉDIANCE DE LA « CIUDAD ABIERTA DE RITOQUE » (VILLE OUVERTE DE RITOQUE), UN SENS POÉTICO-ARTISTIQUE DE L’HABITER. - Un sens poétique de l’habiter - Une vision originale du continent américain - Une démarche particulière : la recherche appliquée en architecture expérimentale • • • •

Le déploiement de la corporéité, à travers les jeux réalisés lors de l’activité « Cultura del cuerpo » (culture du corps) Le déploiement des temporalités et spatialités, à travers les « travesías » (traversées). Le déploiement des choses en parole humaine à travers les actes poétiques et phalènes. Le déploiement des spatialités: à travers l’expérience architecturale dans la Ciudad Abierta de Ritoque, un lieu conçu au croisement de l’art et la poésie.

3. LE CIMETIÈRE DE LA CIUDAD ABIERTA, UN LIEU OÙ LES ESPRITS ONT DÉCIDÉ D’HABITER LA VALLÉE, UN LIEU OU L’ON PEUT VIVRE L’EXPÉRIENCE SPIRITUELLE DU PAYSAGE - Le choix de la vallée pour accueillir les esprits - L’expérience spirituelle du paysage dans l’espace du cimetière. Quelles conditions spatiales permettent de vivre une telle expérience? • Relation contextuelle de l’espace du cimetière à l’environnement naturel préexistant, au paysage et aux autres œuvres de la Ville Ouverte : tissage entre œuvre humaine et œuvre de la nature. • Ambiance(s) ou atmosphère(s) dans le cimetière. Conditions de l’espace propices à l’appréhension de l’esprit du paysage.

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INTRODUCTION Au VIème siècle avant notre ère, Laozi affirmait: «L’Esprit du Val est à jamais vivant ; on parle là de la Femelle mystérieuse. La Femelle mystérieuse a une Ouverture d’où sortent le Ciel et la Terre. L’imperceptible jet coule indéfiniment ; on y puise sans jamais l’épuiser. (L’Esprit descend dans la Vallée et en remonte, c’est le souffle ; Esprit et Vallée se tiennent embrassés, c’est la Vie.) » 1 Dans la philosophie chinoise, la vallée est associée à la féminité, au Yin, et, en elle, jaillissent le ciel et la terre, la vie, grâce au souffle qui y circule. Aussi, en Chine, le terme shenling 神靈 signifie « âme spirituelle ». En se référant à la réincarnation bouddhique, Anne Cheng précise: « Les Chinois éprouvent d’abord quelque difficulté à concevoir des réincarnations successives sans supposer l’existence d’une entité permanente pour les sous-tendre. D’où l’idée d’une « âme spirituelle » et immortelle (shenling 神靈) qui transmigre à travers le cycle des renaissances, alors que le corps matériel se désintègre à la mort. Cette idée ne fait que reprendre la croyance taoïste en un au-delà spirituel - voire physique - du corps. […]. » 2 La métaphore de Laozi dans son Daodejing (Livre de la Voie et de la Vertu) et le concept shenling, âme spirituelle, résonnent avec une réalité, celle du cimetière de la Ciudad Abierta de Ritoque (Ville Ouverte de Ritoque), au Chili, au bord de l’Océan Pacifique. Conçu dans une vallée par architectes, artistes et poètes, cet espace paysager semble se fusionner avec le relief, de telle manière que l’oeuvre humaine et le lieu naturel se fondent, voire se confondent en créant un tout, une sorte de tissu organique qui nous invite à descendre dans le val. Au cimetière de la Ciudad Abierta, lieu de rencontre de la vie et de la mort, circule le souffle ou esprit avec aisance, de manière à ce que les vivants qui visitent leurs défunts peuvent ressentir celui-ci. Mais il n’est pas possible de comprendre le sens de cet espace, sans comprendre le sens poético-artistique que les habitants de Ritoque donnent à «leur» habiter. Depuis le début, dans les années ’70, ce sens a engendré une médiance bien particulière. Dans un premier temps, il sera question de présenter la singularité de cette médiance, empreinte d’art et de poésie, qui implique une vision originale du continent américain, ainsi que la création d’un lieu de déploiement expérimental d’art, d’architecture et de design: la Ciudad Abierta de Ritoque, conçue comme un work in progress, où toute œuvre est construite à partir d’un acte poétique. Ensuite, j’aborderai le cas du cimetière de la Ciudad Abierta, un lieu où sont enterrés certains de ses propres créateurs qui ont décidé d’investir perpétuellement le cœur d’une vallée. Il sera question de révéler comment est-il possible de vivre une expérience spirituelle du paysage à travers l’espace de ce cimetière, conçu comme un jardin «dans» le paysage.

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François CHENG, Vide et plein. Le langage pictural chinois, Paris, Éditions du Seuil, 1991. (Première édition 1979, aux mêmes éditions), pp 56 - 57. Anne CHENG, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Editions du Seuil, 1997, pp. 357-358.

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1. « FEMELLE MYSTÉRIEUSE » ET EXPÉRIENCE SPIRITUELLE DU PAYSAGE

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« L’esprit du Val est à jamais vivant… »

Cette présentation a ses origines dans des paroles que Laozi a écrites au VIème siècle avant notre ère, sur le Daodejing, Livre de la Voie et de sa Vertu, ouvrage phare du taoïsme (au chapitre VI):

« L’Esprit du Val est à jamais vivant ; on parle là de la Femelle mystérieuse. La Femelle mystérieuse a une Ouverture d’où sortent le Ciel et la Terre. L’imperceptible jet coule indéfiniment ; on y puise sans jamais l’épuiser. (L’Esprit descend dans la Vallée et en remonte, c’est le souffle ; Esprit et Vallée se tiennent embrassés, c’est la Vie.) » 3 Il s’agit ici de la traduction de François Cheng. D’autres auteurs parlent de « génie » au lieu d’ « esprit », ou de « femelle obscure », au lieu de « femelle mystérieuse ». Esprit ou génie, femelle mystérieuse ou obscure, la vallée est associée à la féminité, d’où jaillissent le ciel et la terre, d’où jaillit la vie, grâce au souffle qui y circule. Dans la pensée cosmologique chinoise, l’eau est associée au Yin, le féminin, par opposition à la montagne qui relève du Yang, le masculin. En se référant à la dualité: rivière (eau) – montagne, plus que de parler d’opposition, il vaudrait mieux dire complémentarité. Le Yin et le Yang agissent toujours ensemble, l’un étant le complément de l’autre, tout en visant à atteindre l’équilibre. Le vide de la vallée anime en même temps eau et montagne. François Cheng schématise cette idée de la forme suivante 4:

Mont (Yang)

V

Eau (Yin)

«Selon

la pensée chinoise, et surtout celle des taoïstes, ce qui garantit d’abord la communion entre l’homme et l’univers, c’est que l’homme est un être non seulement de chair et de sang mais aussi de souffles et d’esprits; en outre, il possède le Vide.» 5 L’être humain est donc composé à la fois de matériel et d’immatériel.

Cette métaphore qui nous parle de l’origine de l’Univers, de la terre, par le biais du souffle ou de l’esprit qui circule dans la vallée, nous amène à nous intéresser à certains concepts de la spiritualité chinoise (bouddhiste, taoïste et confucianiste) comme xin 心, shen 神, Ling 靈 ou shenling 神靈.

- Les concepts « xin », « shen », « ling » et « shenling » Xin 心 : est un concept composé par cœur et esprit et il est indissociable du corps humain. Ce xin ou cœuresprit est alors un invisible, un immatériel inséparable du visible ou matériel que constitue le corps. Voici la définition de xin qu’Anne Cheng, sinologue, expose dans son « Histoire de la pensée chinoise » 6: Op. Cit. en note 1. Op. Cit. en note 1, p 61. J’ai ajouté le Yin et le Yang pour compléter le schéma. 5 Op. Cit. en note 1, p 62. 6 Op. Cit. en note 2. 3 4

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« Le xin 心, qui désigne à la fois l’esprit et le cœur, est pour Mencius7 une forme exclusivement humaine de sensibilité, la faculté de ressentir, de désirer et de vouloir, mais aussi de penser ce qui est ressenti, désiré, voulu. Il est intéressant de noter que, contrairement à la distinction familière pour un Européen entre la tête, siège de la pensée pure, et le cœur, siège des émotions et des passions, le xin est l’organe à la fois des affects et de l’intellect. L’être humain est à envisager comme un tout dans lequel on ne songerait même pas à dissocier le corps du cœur/esprit, l’un n’étant pas plus un simple agrégat de chair que l’autre une faculté pensante désincarnée, pour la bonne raison qu’ils sont tous deux, au même titre que le reste des existants, constitués d’énergie vitale. […]» 8 Le concept xin renvoie à l’affirmation de Maurice Merleau Ponty: « […] Ceci veut dire finalement que le propre du visible est d’avoir une doublure d’invisible au sens strict, qu’il rend présent comme une certaine absence. » 9 Notre corps a donc une doublure, le xin, qui est bien présente tout en étant invisible. Ce point de vue impose une différence fondamentale avec la notion d’esprit occidentale, qui, à plusieurs reprises dans l’histoire, a été associée plutôt à l’intellect, la raison et non pas aux sentiments (le cœur). Aussi, en Occident, la notion d’esprit est clairement séparée de la substance matérielle que constitue le corps humain. Par la suite, je me référerai donc à « esprit » dans le sens de « cœur-esprit » ou de « xin ». Shen 神 : désigne la force spirituelle ou principe vital, c’est une sorte de puissance immatérielle qui rend possible la vie de tout ce qui habite la terre. Yolaine Escande définit shen comme: « « puissance spirituelle », « esprit », force qui anime le sensible, principe vital ». Shen désigne à la fois les esprits des défunts, les démons et divinités, les divinités célestes contrôlant les divers phénomènes et les affaires humaines, et la puissance spirituelle qui anime tout ce qui se trouve entre ciel et terre. […] » 10 Anne Cheng, en citant les textes du philosophe chinois Zhang Zai (1020-1078) précise: « […] ce qui est pur, pénètre partout et ne peut prendre de forme visible est puissance spirituelle (shen).[…] » Cette phrase nous ramène encore à la « doublure invisible » de Merleau-Ponty. Ling 靈 : Yolaine Escande définit ling (dans le contexte de la peinture et, particulièrement, celle de paysage) comme: « « efficacité spirituelle ». Le caractère ling 靈 désigne le passage de l’esprit du défunt au monde des divinités et des esprits. […] Idéalement, la peinture doit aussi être investie de cet esprit, c'est-à-dire, être efficace, incarnant la présence de la montagne, en s’intégrant au sein du réel au lieu de s’y superposer.» 11 Shenling 神靈 : Yolaine Escande traduit également ce terme comme « efficacité spirituelle », un équivalent de ling. Pour Anne Cheng il s’agit plutôt d’« âme spirituelle », en se référant à la réincarnation bouddhique : « Les Chinois éprouvent d’abord quelque difficulté à concevoir des réincarnations successives sans supposer l’existence d’une entité permanente pour les sous-tendre. D’où l’idée d’une « âme spirituelle » et immortelle (shenling 神靈) qui transmigre à travers le cycle des renaissances, alors que le corps matériel se désintègre à la mort. Cette idée ne fait que reprendre la croyance taoïste en un au-delà spirituel - voire physique - du corps. […]. » 12

Mencius (Mengzi, Maître Meng, env. 380-289 av J.-C.), disciple de Confucius. Op. Cit. en note 2, p.174. 9 Maurice MERLEAU-PONTY, L’œil et l’esprit, Éditions Gallimard, 1964, p. 85. 10 Yolaine ESCANDE, (Traduits et commentés par) Traités chinois de peinture et de calligraphie. Tome I. Les textes fondateurs (des Han aux Sui), Paris, Klincksieck, 2003, p. 382. 11 Op. Cit. en note 10, p. 378. 12 Op. Cit. en note 2, pp. 357-358. 7 8

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Qu’il s’agisse de xin, de shen, de ling ou de shenling, ces quatre concepts nous renvoient à une constante immatérielle, « l’esprit » en Occident, qui, avec le corps, constituent un ensemble, un tout indissociable tant que le corps est en vie. Cette constante immatérielle transcende le corps après la mort, selon les principes bouddhiques et taoïstes.

- Le principe de Zong Bing Il sera question maintenant de comprendre la relation entre l’esprit ou « le spirituel » et le paysage ou encore entre l’esprit du paysage et l’esprit humain, en me référant à ce qu’Augustin Berque appelle « le principe de Zong Bing », repris dans plusieurs de ses ouvrages et notamment dans « La pensée paysagère » 13 (2008). « Zhi yu shanshui, zhi you er qu ling » « Quand au paysage, tout en ayant substance, il tend vers l’esprit ». 14 Il s’agit de la deuxième phrase du Hua Shanshui xu, l’« Introduction à la peinture de paysage » de Zong Bing, peintre et théoricien du paysage, écrit en 440. Suivant ce principe, je me demande alors comment le paysage peut-il tendre vers le spirituel, à partir de sa matérialité? Comment pourrait-on définir un concept tel l’ « esprit du paysage » ? Comment l’esprit du paysage agit-il sur l’esprit de l’être humain ? Dans mon travail de thèse qui est en cours, je pose la question pour le cas des jardins, une des formes du paysage. J’essaie de comprendre ce que peut être l’expérience spirituelle du paysage, plus précisément, l’expérience spirituelle dans le jardin. Le cimetière de la « Ciudad Abierta de Ritoque » (Ville Ouverte de Ritoque) au Chili, est un de mes cas d’étude, espace conçu comme un jardin dans le paysage, lieu de promenade où les vivants peuvent aller « rencontrer » leurs morts, où le corps et l’esprit des vivants peuvent rencontrer l’esprit de ceux qui ne sont plus là. Mais revenons encore en Chine pour ce qui est de l’esprit du paysage. Quelques siècles plus tard, au début du XVIIIème siècle, un autre peintre et théoricien de paysage, Shitao, évoque, dans le chapitre VIII intitulé « Le Paysage » de son ouvrage : « Les propos sur la peinture du Moine Citrouille-Amère » 15: « […] il faut toujours en revenir à cette mesure fondamentale du Ciel et de la Terre. C’est en fonction de cette mesure du Ciel que l’âme du paysage peut varier; c’est en fonction de cette mesure de la Terre que peut s’exprimer le souffle organique du paysage. Je détiens l’Unique Trait de Pinceau, et c’est pourquoi je puis embrasser la forme et l’esprit du paysage. Il y a cinquante ans, il n’y avait pas encore eu connaissance de mon Moi avec les Monts et les Fleuves, non pas qu’ils eussent été valeurs négligeables, mais je les laissais seulement exister par eux-mêmes. Mais maintenant les Monts et les Fleuves me chargent de parler pour eux; ils sont nés en moi, et moi en eux. J’ai cherché sans trêve des cimes extraordinaires, j’en ai fait des croquis; monts et fleuves se sont rencontrés avec mon esprit, et leur empreinte s’y est métamorphosée, […]» 16 « Monts et fleuves » ou « Montagnes et eaux » est l’équivalent de « paysage » en chinois. Dans ces quelques lignes, Shitao parle d’ « âme du paysage », de « souffle organique du paysage », d’ « esprit du paysage » et de « rencontre des monts et des fleuves (le paysage) avec son propre esprit » 13 Augustin BERQUE, La pensée paysagère, Editions Archibooks + Sautereau, 2008, pp. 69-74. Le principe de Zong Bing a été traduit également par d’autres auteurs comme: Nicole Vandier-Nicolas, Hubert Delahaye et Yolaine Escande. 14 Op. Cit. en note 13, p.70. 15 SHITAO, Les propos sur la peinture du Moine Citrouille-Amère, Traduit par Pierre Ryckmans, Paris, Plon, 2007. 16 Op. Cit. en note 15, p. 76.

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et dit que « leur empreinte s’est même « métamorphosée » avec celui-ci ». Avec ces déclarations, Shitao rejoint le principe de Zong Bing et explique comment celui-ci opère en lui en tant qu’être humain, peintre de paysage. Si pour Zong Bing, le paysage est constitué d’une substance matérielle et tend vers l’esprit, Shitao explique clairement comment a lieu la relation entre le paysage grandeur nature (en forme et en esprit) et l’être humain (en corps et en esprit) pour pouvoir créer une peinture de paysage exprimant la forme et l’esprit du paysage à travers « l’Unique trait de pinceau ». Cette relation peut se schématiser comme suit :

LE PAYSAGE GRANDEUR NATURE

naît en ◄= = = = = ► forme matérielle / esprit, âme ou souffle naît dans

L’ÊTRE HUMAIN (peintre de paysage) corps / esprit

crée ------►

LA PEINTURE DE PAYSAGE par l’Unique trait de pinceau sur la toile transmet l’esprit, l’âme ou le souffle du paysage grandeur nature

Si Shitao s’exprime par rapport à la relation entre corps/esprit de l’être humain et matériel et spirituel du paysage, en ce qui concerne la peinture, cette relation peut se transposer à la relation entre l’être humain et les différentes formes d’expression du paysage. Pour Augustin Berque, « Lorsque nous faisons l’expérience d’un paysage, à chaque fois c’est toute la complexité humaine qui joue en nous, de la plus animale à la plus intellectuelle de nos motivations. Telle ou telle, suivant le cas, l’emportera néanmoins sur les autres : il est des expériences plus ou moins charnelles, plus ou moins spirituelles du paysage.» 17 C’est bien à travers la chair de l’être humain qu’une relation entre son esprit et celui du paysage peut s’établir. L’expérience charnelle implique la participation de certains sens tels: la vue, l’ouie, l’odorat et le toucher (Par exemple, sentir le vent ou la température ambiante affecte la perception du paysage). Si on considère l’œil en tant que symbole de tous les sens qui interviennent dans l’appréhension du paysage, cette affirmation de Rainer Maria Rilke aide à comprendre cette relation : « Il faut comprendre l’œil comme la fenêtre de l’âme ». 18 Cette phrase écrite par Rilke à propos de la sculpture d’Auguste Rodin, en 1928, porte en soi une idée qui peut se transposer à l’art pictural paysager (et au paysage en général) et nous renvoie à une affirmation présente dans le traité de Zong Bing, concernant la relation entre spectateur d’une peinture de paysage et le tableau luimême, en réponse à l’intention du peintre de vouloir transmettre l’esprit du paysage: « Si l’on prend pour principe universel la conformité visuelle (yingmu) et l’accord avec le cœur (huixin), et si la ressemblance (lei) est habilement réussie, les yeux y répondront parfaitement et le cœur s’y accordera tout à fait. Cette réponse et cet accord affectent l’esprit (ganshen) et, lorsque l’esprit s’élève, le principe (li) est atteint.» 19 Les yeux qui répondent et le cœur qui s’accorde… Il s’agit là de la relation que l’on peut établir entre la matérialité et l’esprit du paysage grandeur nature, « l’œil » du peintre ou de l’être humain en général et l’esprit de celui-ci, ainsi qu’entre la peinture de paysage (la poésie ou les jardins), «l’œil » du spectateur ou promeneur et son propre esprit. Ces idées peuvent être synthétisées par le schéma suivant :

Augustin BERQUE, Les raisons du paysage. De la Chine antique aux environnements de synthèse, Malakoff, Éditions Hazan, 1995, pp. 30, 31. Rainer Maria RILKE, Auguste Rodin, Paris, 1928, p. 150. 19 Yolaine ESCANDE, L’art en Chine. La résonance intérieure, Paris, Éditions Hermann, 2001, p103. 17 18

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On pourrait dire que l’œil (symbole de tous les sens), en tant que fenêtre de l’âme, produirait un premier rapport entre la substance matérielle du paysage grandeur nature, son esprit ou essence immatérielle et l’esprit ou l’âme de l’être humain. Cette expérience, que j’appelle « expérience spirituelle du paysage » a lieu dans des conditions de solitude, dans une relation intime avec le paysage.

- Esprit et expérience spirituelle du paysage, moment de résonance et trajection Je définirais l’«esprit du paysage» comme: Aspect immatériel du paysage, indissociable de sa substance matérielle. L’esprit du paysage provoque l’émotion de l’être humain qui en vit l’expérience, tout en saisissant son propre esprit. Il peut être transmis à travers les différentes formes d’expression paysagère, telles la poésie, la peinture de paysage ou les jardins. L’esprit du paysage est trajectif20, c’est-à-dire qu’il existe un va et vient entre l’esprit du paysage grandeur nature, celui exprimé par le genre poétique, celui qui est présent dans la peinture de paysage, l’esprit du paysage présent dans le jardin et l’esprit de l’être humain.

La trajection (va et vient) de l’esprit du paysage entre les différentes formes d’expression paysagère et l’esprit de l’être humain.

En ce qui concerne le paysage, la trajection est définie par Augustin Berque comme un va et vient entre les aspects objectifs et les aspects subjectifs de celui-ci: «Conjonction du physique et du phénoménal, engendrant la mouvante réalité de l’écoumène ». Augustin BERQUE dans Mouvance, cinquante mots pour le paysage, Editions de la Villette, Paris, 1999, p.85.

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En ce qui concerne l’expérience spirituelle, elle a lieu dans un temps déterminé que j’appelle « moment de résonance ». Lors de l’expérience spirituelle du paysage, la résonance entre l’être humain et le paysage (ça peut être le paysage réel, pictural ou le jardin) a lieu pendant un certain temps, plus ou moins long. On pourrait parler de « moment de résonance ». Quand ce moment de résonance a lieu, le corps et l’esprit de l’être humain (peintre, spectateur, promeneur ou poète), la substance matérielle (du paysage in situ ou in visu 21) et l’esprit du paysage conforment un tout indissociable. Pour que cette résonance ait lieu, notre corps entre dans un état d’éveil, de sensibilité absolue. Il s’agit de l’éveil de tous les sens: la vue, l’ouïe, l’odorat et le toucher. Au même moment, surgit l’éveil de l’esprit. Zong Bing parle de « résonance spirituelle », qiyun 氣韻 22, concernant la peinture de paysage. Le « moment de résonance » ou qiyun peut se représenter ainsi:

La question de la résonance intérieure a été largement développée dans l’ouvrage de Philippe Sers et Yolaine Escande « Résonance intérieure. Dialogue sur l’expérience artistique et sur l’expérience spirituelle en Chine et en Occident» 23, notamment dans un dialogue de comparaison du concept de « résonance » parmi les peintres de paysage en Chine et celui utilisé par Wassily Kandinsky, dans son ouvrage « Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier » 24. La résonance intérieure est comparable à « l’émouvance des choses » 25 dont parle Augustin Berque. Je voudrais évoquer encore trois concepts chinois qui expriment la relation entre l’être humain et le paysage : Qiuhe: « avoir collines et ravins-vallées en son cœur » Qingjing jiaorong: « union entre les sentiments personnels et le paysage » Gan yu mu: « être ému par le regard » 26 Alain Roger fait la distinction entre « paysage in situ » : le paysage grandeur nature et les jardins et « paysage in visu » : la peinture de paysage, la poésie, les œuvres littéraires. Pour plus de précisions, voir le concept d’«artialisation» défini par Alain Roger dans l’ouvrage collectif: La Mouvance, cinquante mots pour le paysage, Paris, Éditions de La Villette, 1999, pp 45-46. 22 Pour plus de précisions, voir Hubert DELAHAYE, Les premières peintures de paysage en Chine: aspects religieux, Paris, Publications de l’École Française d’Extrême - Orient, 1981, p 91. 23 Philippe SERS, Yolaine ESCANDE, Résonance intérieure. Dialogue sur l’expérience artistique et sur l’expérience spirituelle en Chine et en Occident, Paris, Éditions Klincksieck, 2003. 24 Wassily KANDINSKY, Du Spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, Traduit de l’allemand par Nicole Debrand et du russe par Bernadette du Crest, Édition établie et présentée par Philippe Sers, Éditions Denoël, 1989. 25 Augustin BERQUE, La mésologie pourquoi et pour quoi faire ? , Paris, Presses universitaires de Paris Ouest, 2014, p.14. 21

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En revenant à l’expérience spirituelle que l’on peut avoir dans un jardin, je dirais que celui-ci peut être un espace dans lequel l’homme rencontre l’esprit du paysage, ainsi que son propre esprit. Le jardin peut produire l’introversion 27 de l’être humain. Dans certains jardins, l’être humain se retrouve soi-même et, en même temps, il retrouve ce qui est propre au lieu, voire ce qui est propre au paysage où se situe le jardin. C’est le cas du cimetière de la ville ouverte de Ritoque où il existe une adaptation de l’espace du jardin à la topographie, le respect des éléments existants et leur intégration dans l’espace du jardin (arbres, cours d’eau, etc.), l’emprunt de vues ou de scènes appartenant à l’espace extérieur du jardin, etc. Pour vivre une expérience spirituelle dans un jardin, il doit y avoir également une ambiance ou atmosphère propices à cette « rencontre spirituelle » de l’être humain et du paysage. Pour se retrouver soi-même, l’espace du jardin doit nous éloigner du quotidien, en nous immergeant dans un monde différent. Ainsi, un espace clos permettrait plus facilement cet isolement. Cependant, l’espace clos du jardin deviendrait infini quand il atteint notre esprit, notre âme. L’espace du jardin peut constituer un paysage intérieur. Il s’agit d’une double intériorisation: d’une part, il se produit une intériorisation du paysage réel dans l’espace du jardin, celui-ci devenant à la fois un paysage pour la personne qui en vit l’expérience. D’autre part, il se produirait une intériorisation de ce paysage intérieur du jardin, dans l’esprit de l’être humain.

La double intériorisation de l’esprit du paysage dans le jardin

Le paysage grandeur nature et son esprit s’intériorisent dans le microcosme du jardin en recréant un paysage. A la fois, ce paysage intérieur et son esprit s’intériorisent dans l’être humain qui en vit l’expérience. L’être humain peut donc atteindre l’esprit du paysage grandeur nature par le biais de l’esprit présent dans le microcosme que constitue le jardin.

Nous irons maintenant à la recherche de « l’esprit de la vallée », la « femelle mystérieuse » du cimetière de la Ciudad Abierta de Ritoque… un espace où on peut vivre l’expérience spirituelle du paysage…un espace où notre esprit peut aussi rencontrer celui de ceux qui sont partis…

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Traductions de Yolaine Escande dans son ouvrage: Montagnes et eaux. La culture du shanshui, Paris, Éditions Hermann, 2005, pp. 150, 163,165. Introversion : (du latin introversus, vers l’intérieur) « Tendance à se replier sur soi-même ». Source : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/introversion/44023

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2. LA MÉDIANCE DE LA « CIUDAD ABIERTA DE RITOQUE » (VILLE OUVERTE DE RITOQUE), UN SENS POÉTICO-ARTISTIQUE DE L’HABITER. 13


Il s’avère important de comprendre le contexte dans lequel s’est construit le cimetière de la Ciudad Abierta. Pour comprendre le sens de cet espace, il faut s’arrêter un moment sur le sens poético-artistique que les habitants de Ritoque donnent à «leur» habiter. Depuis le début, dans les années ’70, ce sens a engendré une médiance bien particulière. Cette médiance, empreinte d’art et de poésie, implique une vision originale du continent américain, ainsi que la création d’un lieu de déploiement expérimental d’art, d’architecture et de design: la Ciudad Abierta de Ritoque, conçue comme un work in progress, où toute œuvre est construite à partir d’un acte poétique, espace d’expérimentation architecturale créé par l’École d’Architecture et de Design de l’Université Catholique de Valparaíso. La médiance est définie par Augustin Berque comme le sens de la relation établie entre une société et son environnement. Cet environnement objectif investi de sens par ceux qui y habitent donne origine à un milieu humain. Le milieu est propre à chaque société, donc, unique. «[…] Ni subjective ni objective, par conséquent, la médiance est trajective. Elle réalise une trajection, c’est-àdire la conjugaison, au cours du temps de l’histoire et dans l’espace des milieux, des facteurs subjectifs et des facteurs objectifs qui concourent à élaborer les milieux.» 28

- un sens poétique de l’habiter « Plein de mérites, mais en poète, l’homme habite sur cette terre. » 29 Ces mots de Friedrich Hölderlin ont inspiré la démarche du groupe (enseignants et invités) de l’École d’Architecture et de Design de l’Université Catholique de Valparaíso 30, au Chili, et, par conséquent, ont donné sens à l’œuvre de la Ville Ouverte de Ritoque. En 1952, arrive dans cette école un groupe interdisciplinaire de jeunes enseignants qui changera de manière radicale le mode d’enseignement, notamment, l’architecte chilien Alberto Cruz (1917) et le poète argentin Godofredo Iommi (1917-2001). Ce nouveau mode d’enseignement se caractérisera par une démarche complexe de recherche et de pratique intimement liées, afin de créer des œuvres d’architecture expérimentale ayant un sens poétique. Bientôt vinrent rejoindre le groupe d’autres artistes, penseurs et hommes de science, tels le sculpteur argentin Claudio Girola, le poète brésilien Thiago de Melo, le philosophe français François Fédier et des chiliens tels l’historien Mario Gongora et le biologiste Juan de Dios Vial Correa, entre autres. Certains resteront pour enseigner à Valparaíso, d’autres reviendront plus tard dans leurs pays d’origine. Si le terme médiance est défini par Augustin Berque comme « le sens d’un milieu humain » 31, la médiance du groupe de l’E.A.D.U.C.V. est caractérisée par le sens poétique que les membres du groupe ont donné, depuis le début, non seulement à leur œuvre, mais également à leur vie. Ce sens est fondé, d’une part, par l’influence de référents poétiques européens tels: le poète allemand Friedrich Hölderlin, et des poètes français du XIXème siècle, comme Baudelaire, Breton, Rimbaud et Lautréamont; d’autre part, et surtout, sur leur propre poème intitulé Amereida. Le mot Amereida a été inventé à partir de América et Eneida, le poème épique de Virgile. Ce poème, écrit par un groupe de poètes, peintres, sculpteurs et architectes, fut publié en deux tomes, en 1967 et 1986 respectivement. 32 « […] Ce poème est l’Enéide Augustin BERQUE, in A. BERQUE, M. CONAN, P. DONADIEU, B. LASSUS, A. ROGER, Cinq propositions pour une théorie du paysage, Editions Champ Vallon, Seyssel, 1994, p 28. 29 Friedrich HÖLDERLIN, dans Martin HEIDEGGER, Essais et conférences, Éditions Gallimard, 1958, p.232 30 Par la suite je me référerai à l’Ecole d’Architecture et de Design de l’Université Catholique de Valparaiso comme E.A.D.U.C.V. . 31 Augustin BERQUE, dans Mouvance, cinquante mots pour le paysage, Editions de la Villette, Paris, 1999, p.74. 32 Voir Amereida, volumen primero, Tercera Edición, impresa en los Talleres de Investigaciones Gráficas de la Escuela de Arquitectura de la Universidad Católica de Valparaíso, 1997 et Amereida, volumen segundo, Primera Edición, impresa en los Talleres de Investigaciones Gráficas de la Escuela de Arquitectura de la Universidad Católica de Valparaíso, 1986. 28

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d’Amérique. Un poème qui chante le cadeau que constitue notre continent, sa possibilité permanente d’être original, son présent, passé et destin qui lui sont propres. Un poème qui est une vision de ce qui est véritablement l’Amérique, de ce qui signifie, pour tous nos métiers, être américains. […]» 33 « […] Sans être proprement un traité d’architecture, Amereida se pose la question sur la spatialité du continent, ouvre une nouvelle et radicale dimension du projet, stimule la réalisation d’une architecture, avec les mots de Cruz, «co-générée avec la poésie ». […]» 34 Les premier et deuxième volumes d’Amereida furent écrits lors du premier voyage poétique que réalisa le groupe en 1965, entre Terre de Feu, au Chili, et Santa Cruz de la Sierra, en Bolivie, ce fut la première traversée. Plus récemment, un troisième tome d’Amereida 35 a vu le jour en tant que recueil des traversées effectuées par l’École entre les années 1984 et 1988.

- une vision originale du continent américain Dès le début, le groupe de l’E.A.D.U.C.V. posa une manière de voir le continent américain qui subverti les conventions cartographiques. Celle-ci consiste à inverser les pôles, de façon à ce que le Sud apparaît sur la partie haute de la carte. Cette vision particulière d’Amérique trouve ses origines dans la « tesis del propio norte » (la thèse du nord propre). Il est nécessaire de comprendre cette thèse dans un contexte poétique, dans une volonté de voir les choses, de voir le monde autrement. La thèse du « nord propre » naît à partir de superposition de la Croix du Sud sur la carte de l’Amérique du Sud. La Croix du Sud étant la constellation servant de guide aux navigateurs qui découvrirent et conquirent l’Amérique. En inversant la position de la carte d’Amérique, le groupe crée, évidemment, une nouvelle lecture du territoire. Une deuxième caractéristique de cette vision alternative du continent Sud-Américain est celle de considérer l’existence d’une « Mer intérieure », propre à l’Amérique du Sud, par opposition à l’Amérique du Nord. En effet, le territoire sud-américain apparaît plutôt « vide » vers l’intérieur, les villes ont été fondées surtout près des côtes, par contre position à la manière transversale de colonisation de l’Amérique du Nord. Néanmoins, au cœur de cette « Mer intérieure » apparaît la ville de Santa Cruz de la Sierra, en Bolivie, qu’Amereida déclare « capitale poétique d’Amérique ». Dans la projection de la Croix du Sud sur le continent sud-américain, Santa Cruz apparaît près de l’intersection des axes configurés par la constellation. C’est ainsi que Santa Cruz aura constitué le lieu de destin de la première traversée en 1965.

- Une démarche particulière : la recherche appliquée en architecture expérimentale La recherche appliquée en architecture expérimentale de l’E.A.D.U.C.V. naît au croisement des déploiements d’une poétique de l’habiter, croisement dans le sens de trajection, de va et vient entre plusieurs disciplines et activités. Ainsi, sont concernés :

Voir Vision poética de Amereida dans le site web de L’Ecole d’architecture et de design de l’Université Catholique de Valparaíso, Chili. www.arquitecturaucv.cl Rodrigo PEREZ DE ARCE, dans Rodrigo PEREZ DE ARCE, Fernando PEREZ OYARZUN, Escuela de Valparaíso, grupo ciudad abierta, Editorial Contrapunto, 2003, p.13. 35 Amereida, travesías 1984 a 1988, Primera Edición, impresa en los Talleres de Investigaciones Gráficas de la Escuela de Arquitectura de la Universidad Católica de Valparaíso, 1991. 33 34

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• Le déploiement de la corporéité, à travers les jeux réalisés lors de l’activité « Cultura del cuerpo » (culture du corps) Ce cours consiste à réaliser des Tournois, pendant lesquels se déroulent des jeux originaux qui mettent en évidence un usage inhabituel du corps et des sens. Les jeux impliquent souvent la construction d’objets qui, lors de leur utilisation paraissent fusionner objet et corps humain en un élément unique. • Le déploiement des temporalités et spatialités, à travers les « travesías » (traversées). « […] L’objectif, indéterminé, c’est la liaison entre le lieu de l’expérience (Ritoque) et l’expérience du lieu, celui où l’on passe et où l’on s’arrête provisoirement. […] ” 36 Ces voyages poétiques37, appelés « traversées », dont le premier fut réalisé en 1965, entre Terre de Feu, au Chili, et Santa Cruz de la Sierra, en Bolivie, investissent à la fois le temps et l’espace. Ces « expériences de vie » que l’Ecole réalise une fois par an depuis 1984, donnent sens à toutes les activités pédagogiques au cours de l’année universitaire. Leur objectif est de partir à la découverte de différents lieux d’Amérique, tout en suivant le récit du poème Amereida. Il s’agit d’offrir un cadeau à ce lieu, selon un fondement établi avant le départ. L’origine de ce cadeau est toujours d’ordre poétique et celui-ci peut être une œuvre d’art, souvent du land art, un objet ou une œuvre d’architecture plus ou moins éphémère. • Le déploiement des choses en parole humaine à travers les actes poétiques et phalènes. L’acte poétique est un acte fondateur. Pour le groupe de l’E.A.D.U.C.V. la poésie, étant à l’origine de toute œuvre, il est nécessaire de réaliser un acte poétique préalable à sa construction ou bien tout simplement pour célébrer un évènement particulier. Phalène est un acte poétique particulier: c’est l’acte poétique des poètes. C’est le poète qui décide de faire une phalène et d’inviter les personnes à y participer, tout en leur montrant des cartes. Ceux qui participent disent ce qu’ils voient dans ces cartes, et puis, avec ces phrases, le poète compose un poème. Alors, la parole de chacun a la possibilité, par un instant, de constituer une parole poétique. C’est une sorte de poème collectif. Ce que chacun dit n’est pas poétique, mais c’est l’ensemble des différentes paroles qui constitue une poésie. • Le déploiement des spatialités: à travers l’expérience architecturale dans la Ciudad Abierta de Ritoque, un lieu conçu au croisement de l’art et la poésie. « […] La Ville Ouverte, par définition, si elle a des limites, n’a cependant pas de fin; elle est un work in progress, un montage des différences quotidiennes des vivants qui l’habitent. […] » 38 Dans un terrain de 270 hectares, la Ville Ouverte a été fondée 39 en 1970, à Ritoque, petite localité côtière à 16 km. au Nord de Valparaíso, Vème région, au Chili. Conçue comme un lieu de vie et de travail collectifs, la Ville Ouverte est un espace où l’on met en pratique des activités propres à l’École d’Architecture et de Design et, également, un espace ouvert, dans un double sens, ville ouverte à son destin et ouverte également dans un sens d’hospitalité. Les terrains de la Ville Ouverte sont composés de dunes, de marais, de forêts et de plaines et accueillent une trentaine d’œuvres permanentes et éphémères. Ritoque constitue, avant tout, un lieu d’expérimentation architecturale. Je cite Juan Purcell, professeur de l’École: « […] Toutes ces œuvres sont nées en tant qu’expérience poétique. Expérience qui nous a fait comprendre que le rapport avec le Terrain doit être léger et que légèreté veut dire achever une habitation avec le minimum nécessaire et indispensable, sans tomber dans des réalisations superflues. Il nous faut donc une créativité ascétique. Cette interprétation de la légèreté a François SÉGURET, Ritoque ou l’utopie construite, dans L’Architecture d’Aujourd’hui n° 336, Paris, Éditions Jean-Michel Place, Sept. Oct. 2001, p.110. a réalisé plus de 150 voyages à travers le continent américain. 38 Op. Cit. en note 36, p. 110. 39 Fondée en tant que Coopérative 36

37 L’École

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suscité en nous une nouvelle vision, une approche différente à l’égard des terrains, où devraient surgir ces ouvrages: le terrain devrait rester le plus intact possible, dans sa condition naturelle, […] » 40 Tel est le contexte dans lequel a surgi le cimetière de la Ville Ouverte de Ritoque.

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Juan PURCELL, dans Espaces publics contemporains. Architecture volume zéro, Éditions Skira, 2006, p.247. 17


3. LE CIMETIÈRE DE LA CIUDAD ABIERTA, UN LIEU OÙ LES ESPRITS ONT DÉCIDÉ D’HABITER LA VALLÉE, UN LIEU OU L’ON PEUT VIVRE L’EXPÉRIENCE SPIRITUELLE DU PAYSAGE 18


Le cimetière de la Ville Ouverte a été conçu comme un « jardin dans le paysage »… « Le jardin : espace absolument autre par rapport aux espaces que notre quotidienneté consume tout en se consumant en eux. Espace qui n’est plus pure extériorité, parce qu’il est au contraire, et Rilke nous l’a dit le mieux qu’il était possible, un espace dans lequel l’intériorité se fait monde, et le monde s’intériorise. Espace que sentiment et pensée, s’objectivant en lui, ont déterminé comme lieu, de la même manière qu’en subjectivant l’espace et en s’identifiant à lui, ils se sont eux-mêmes faits lieu. » 41 Rossario Assunto

« Le paysage c’est l’endroit où le ciel et la terre se touchent… » 42 Michel Corajoud

« Je définis le jardin comme le seul territoire de rencontre de l’homme avec la nature où le rêve lui est autorisé. » 43 Gilles Clément Le cimetière de la Ville Ouverte est un espace qui se trouve au croisement de ces affirmations, écrites par les deux paysagistes qui ont marqué les dernières décennies du paysage en France, Michel Corajoud et Gilles Clément. Un endroit où la terre et le ciel se touchent, d’un point de vue matériel mais aussi d’un point de vue symbolique, un jardin où l’être humain rencontre non seulement la nature, mais aussi l’esprit du paysage, un espace où le rêve est autorisé…

- Le choix de la vallée pour accueillir les esprits Le projet du cimetière de la Ville ouverte débuta en 1976, quelques années après l’acquisition des terrains de Ritoque (1970), après la mort de deux enfants, fils de membres fondateurs de Ritoque. Le lieu choisi: une vallée située dans la partie haute de la Ville Ouverte, espace caché, d’une forte intériorité, espace du silence. Espace humide, où ruisselle l’eau de pluie, où pousse une végétation exubérante qui contraste avec la l’aridité des dunes de la partie basse. En observant cette végétation, on dirait effectivement que cette vallée est dotée d’un « esprit à jamais vivant » où « un jet coule indéfiniment », en reprenant les mots de Laozi… « Avant de commencer le chantier, on organisa un acte poétique. A l’extrémité de quatre parcours on alluma un feu. A chaque fois, on réalisa une lecture à côté de celui-ci. A la fin de chaque lecture, le feu suivant était déjà allumé. Entre deux feux, on réalisa un tracé mesuré en pas, tout en configurant un trapézoïde dont les mesures constituèrent le début du chantier. » 44

Rossario ASSUNTO, Retour au jardin. Essais pour une philosophie de la nature, 1976-1987, Besançon, Éditions de l’Imprimeur, 2003, p. 78. Michel CORAJOUD, Le paysage c’est l’endroit où la terre et le ciel se touchent, Arles, Éditions Actes Sud/ENSP, 2010, titre de l’ouvrage. 43 Gilles CLÉMENT, Toujours la vie invente. Réflexions d’un écologiste humaniste, Éditions de l’Aube, 2008, pp.38 - 39. 44 Rodrigo PEREZ DE ARCE, dans Rodrigo PEREZ DE ARCE, Fernando PEREZ OYARZUN, Escuela de Valparaíso, grupo Ciudad Abierta, Editorial Contrapunto, 2003, p. 108. 41 42

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L’espace du cimetière a été organisé par rapport aux liens que les défunts ont entretenus avec la Ville Ouverte. Il se divise ainsi en trois parties : celle des fondateurs de Ritoque, dans la partie supérieure, celle de la famille des fondateurs, dans la partie intermédiaire, et celle des amis et visiteurs, dans la partie basse du cimetière. Entre la partie consacrée à la famille des fondateurs et celle des amis et visiteurs, se trouve l’œuvre « le puits » « signo escultórico » (signe sculptural) de Claudio Girola et la chapelle en plein air, réaménagée en 1999. Dans la partie la plus basse du Cimetière, a été construit l’amphithéâtre en 2001. L’amphithéâtre a été consacré à Godofredo Iommi, poète fondateur du groupe Ville Ouverte, à la manière d’un cénotaphe 45. Le cimetière se compose donc de plusieurs axes de parcours qui se croisent, au long desquels sont disposés les tombeaux. Le cimetière est en construction permanente. A chaque fois que quelqu’un va être enterré, les habitants de la Ville Ouverte se rassemblent et discutent par rapport aux tombeaux, au cimetière, et se posent des questions concernant le rapport entre l’espace du cimetière et la nature environnante.

- L’expérience spirituelle du paysage dans l’espace du cimetière. Quelles conditions spatiales permettent de vivre une telle expérience? Dans le cimetière de la Ville ouverte de Ritoque il est possible de vivre deux sortes différentes d’expérience spirituelle : premièrement, il s’agit de la rencontre spirituelle entre les vivants et «leurs » morts, c’est la rencontre prévue par l’espace d’un cimetière en général: un lieu de « repos » pour le corps et l’esprit des défunts, mais aussi un lieu de recueillement pour que les vivants puissent les rencontrer « en esprit ». En revanche, ce qui est particulier à ce cimetière, c’est l’expérience spirituelle du paysage que l’on peut y vivre, et ceci est dû principalement à la relation « fusionnelle » de cet espace avec le site et le paysage et aux ambiances qui existent dans l’espace en soi.

- Relation contextuelle de l’espace du cimetière à l’environnement naturel préexistant, au paysage et aux autres œuvres de la Ville Ouverte : tissage entre œuvre humaine et œuvre de la nature. Le cimetière apparaît comme un jardin secret au fond de la vallée, espace de forte intériorité. L’espace du cimetière semble épouser la topographie. Il existe une sorte de « fusion » entre le sol construit (artificiel) et la pente du terrain (naturelle) qui fait des deux choses un nouvel élément où il est difficile de distinguer la « part de la nature » de la « part de la culture ». Les coteaux de la vallée (parfois recouverts de briques), couronnés d’eucalyptus, apparaissent comme des murs naturels qui configurent l’espace. Les axes de parcours épousent la pente du terrain et articulent les espaces de permanence, de repos. La fusion entre naturel et artificiel est d’autant plus forte que le ruissellement de l’eau de pluie a été considéré dans le projet. Des rigoles ont été construites en contrebas des coteaux, et, à certains endroits, l’eau ruisselle en surface, en irrigant les arbres à son passage (espace des cyprès, à côté de la chapelle). Aussi, une partie de la végétation préexistante sur le site a été intégrée au projet. On pourrait parler de « tissage » produit entre l’œuvre de l’homme et l’œuvre de la nature, un tissage qui permet que le matériel et l’immatériel du paysage puisse être saisi par le promeneur, un tissage qui permet à l’être humain de saisir l’esprit du paysage présent dans ce jardin, cette «doublure invisible que le visible rend

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Un cénotaphe est un « tombeau vide », un espace consacré à la mémoire de quelqu’un. 20


présent comme une certaine absence », en faisant allusion à Merleau-Ponty 46. Cette expérience spirituelle a lieu lors d’un « moment de résonance », concept que j’ai défini auparavant. D’autre part, le cimetière ne reste pas comme un lieu isolé dans la Ville ouverte, il est en relation avec d’autres espaces comme l’amphithéâtre, qui apparaît comme la prolongation du cimetière et le « Palacio del alba y del ocaso », le « Palais de l’aube et du crépuscule ». Il fait donc partie d’un système d’espaces ouverts publics de la Ville ouverte. Au fond de cette vallée, la relation visuelle avec le paysage lointain n’existe pas, ce qui renforce le lien vertical entre la terre et le ciel.

- Ambiance(s) ou atmosphère(s) dans le cimetière. Conditions de l’espace propices à l’appréhension de l’esprit du paysage. Comment peut-on parler d’expérience spirituelle du paysage si la relation visuelle avec celui-ci n’existe pas ? Il s’agit de comprendre, justement, comment l’espace du cimetière et les éléments qui le composent peuvent être « transmetteurs » de l’esprit du paysage. Aussi, de repérer quelles conditions présentes dans cet espace sont nécessaires pour le saisir. Ces conditions ou éléments de l’espace créent une ambiance ou atmosphère propice à l’appréhension de l’esprit du paysage. Le terme « ambiance » est défini par Luc Adolphe comme « une synthèse, pour un individu et à un moment donné, des perceptions multiples que lui suggère le lieu qui l’entoure ». 47 Peter Zumpthor utilise le mot « atmosphère » en architecture, dans un sens similaire: « J’entre dans un bâtiment, je vois un espace, je perçois l’atmosphère et, en une fraction de seconde, j’ai la sensation de ce qui est là. L’atmosphère agit sur notre perception émotionnelle. » 48 Pour créer une certaine atmosphère dans un projet d’architecture, Zumpthor s’intéresse à 9 aspects présents dans le projet. Il s’agit d’aspects objectifs de l’espace qui agissent sur la subjectivité de l’être humain : « le corps de l’architecture », « l’harmonie des matériaux », « le son de l’espace », « la température de l’espace », « les objets qui m’entourent », « entre sérénité et séduction », « la tension entre intérieur et extérieur », « les paliers d’intimité » et « la lumière sur les choses » 49. Inspirée de ces aspects, je définirai un certain nombre de conditions de l’espace du cimetière, en tant qu’espace paysager « jardin », qui créent une certaine atmosphère permettant de saisir l’esprit du paysage, l’esprit de ce lieu. Parmi ces conditions ou qualités de l’espace figurent: la composition, la matérialité, l’ombre et la lumière, l’humidité, les sons ou le silence, etc. Un jardin contenu par un système composé de deux membranes: L’espace du cimetière est contenu par une double membrane: d’une part, il s’agit de l’enveloppe naturelle, constituée par les coteaux de la vallée, et, d’autre part, d’une membrane artificielle, la succession de murs en briques qui créent des sous-espaces dans le cimetière. Par moments, ces deux membranes se superposent. Le fait d’être «contenu” (à la manière d’un jardin clos), fait du cimetière un espace intime dans le contexte de la Ville Ouverte. Cette intimité est d’autant plus marquée que le cimetière se trouve au fond de la vallée.

Op. Cit. en note 9. Luc ADOLPHE, Cahiers de la recherche Architecturale n° 42/43 « Ambiances architecturales et urbaines », Paris, Éditions du Patrimoine, 1998. 48 Peter ZUMPTHOR, Atmosphères. Environnements architecturaux. Ce qui m’entoure. , Basel, Éditions Birkhäuser, 2008, p.13. Cet ouvrage est la traduction de la conférence donnée par Zumpthor le 1er juin 2003 , à la Grange des arts du château de Wendlinghausen. 49 Op. Cit. en note 48, pp. 21-63. 46 47

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Une composition en sous-espaces articulés par un axe de parcours discontinu: Comme je l’ai déjà évoqué, le cimetière se divise en trois parties principales ou sous-espaces. Dans chacune de ces parties, aparaissent d’autres sous-espaces de différentes échelles, certains plus intimes (pour être seul), de recueillement, d’introversion, où sont disposés les tombeaux. Il y a d’autres sous-espaces, à caractère public, de rassemblement (pour être avec les autres), plus ouverts, comme la chapelle ou l’amphithéâtre. D’autres se «détachent» du parcours comme l’oeuvre sculpturale «le puits» de Claudio Girola. Ces sous-espaces sont articulés par un axe de parcours discontinu (cheminements), dont les extrémités sont marquées par des oeuvres d’art: à l’extrémité est, la sculpture de José Balcells et à l’extrémité ouest, par les fresques de Francisco Méndez. L’espace du cimetière ne se montre jamais dans sa totalité, on le découvre au fur et à mesure qu’on avance dans la vallée. L’ombre et la lumière donnent qualité à l’espace: L’alternance des sous-espaces est accentuée par la différence d’ombre ou de lumière qui change leur qualité. Les espaces de parcours ou d’enterrrement sont plus sombres, soit par la proximité des coteaux ou par la présence de végétation, ce qui leur confère plus d’intimité. Au contraire, les espaces où l’on demeure plus longtemps, les espaces publics tels la chapelle ou l’amphithéâtre sont «baignés» par la lumière, espaces permettant de se réorienter, reliés directement à la Ville ouverte. Dans le cas de la chapelle, la lumière du soleil est tamisée par des voiles horizontaux, configurant l’espace vers le haut, sans le fermer. Dans le cas de l’amphithéâtre, le soleil éclaire pleinement l’espace. Cette condition, ainsi que la matérialité de cet espace (briques en grande partie et du béton pour les détails), créent un espace chalereux, très accueillant. La quantité de lumière perçue dans chaque espace est en lien direct avec la température et l’humidité ressenties par le corps du promeneur. Les espaces d’enterrement, plus sombres, sont plus frais et humides, alors que les espaces publics sont plus éclairés, tempérés et secs. Les ouvertures et l’épaisseur des murs: Les murs perpendiculaires à l’axe de la vallée possèdent des ouvertures qui permettent d’apprécier leur épaisseur, leur matérialité, les briques. C’est à travers ces vides que peut circuler l’esprit du paysage, ces ouvertures qui invitent à découvrir ce qui est plus loin, juste en l’insinuant, il s’agit d’un «entrevoir». La tension entre intérieur et extérieur: Il existe des points de contact entre l’«intérieur» et l’«extérieur» du cimetière. À travers ces points de contact le cimetière est montré à l’extérieur ou, encore, le paysage extérieur intègre le paysage du cimetière. Complicité entre végétal et bâti: Dans l’espace du cimetière, le végétal (préexistant et planté) et le bâti forment un tout indissociable. Le silence et les sons du paysage: Dans le cimetière, la relation visuelle avec le paysage lointain n’existe pas. Cependant, il est possible d’écouter le son des vagues de l’océan pacifique. On peut écouter aussi le chant des oiseaux ou le son des feuilles produit par le vent. Ces sons apparaissent en alternance et viennent interrompre le silence du cimetière, par moments.

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CECI N’EST PAS (ENCORE) LA CONCLUSION… Pour terminer, je dirais que, dans l’espace du cimetière de la Ville Ouverte, l’esprit du Val est à jamais vivant. Dans cette vallée, le ciel et la terre agissent en complicité. Il y a là un espace où le «xin» ou coeur-esprit de l’être humain est atteint par le «shen», le «ling» ou le «shenling», c’est à dire, la puissance spirituelle du paysage, ce que j’appelle «l’esprit du paysage». Cette expérience spirituelle a lieu dans un moment que j’appelle moment de résonance. À ce sujet, les romantiques allemands auront parlé de Stimmung, concept que Georg Simmel explore minutieusement dans le chapitre «Philosophie du paysage» de sa «Tragédie de la culture». 50 Catherine Grout, historienne de l’art, parle de «moment-de-paysage» ou de «moment-de-monde» 51, en se référant au moment où l’être humain, en entrant en contact intime avec le paysage (ou l’œuvre d’art) s’ouvre au monde. Pour que cette expérience spirituelle de l’espace et du paysage ait lieu, il doit exister un «tissage» entre oeuvre humaine et oeuvre de la nature, une certaine ambiance ou atmosphère, ainsi que des vides par lesquels circule l’esprit du paysage…

Plan du cimetière et certaines de ses ambiances 52 Georg SIMMEL, La Tragédie de la culture, Paris, Editions Rivages, 1988, pp. 231-245 Catherine GROUT, L’émotion du paysage, ouverture et dévastation, Bruxelles, Éditions de La Lettre volée, 2004. 52 Source: Plan: Archives de l’École d’Architecture et de Design de l’Université Catholique de Valparaíso. / Photographies: Caroline Alder 50 51

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