Paru dans Michel WIEWIORKA (dir.) Les Sciences sociales en mutation, Auxerre, Éditions Sciences humaines, 2007, p. 149-154.
XXVe anniversaire du CADIS Colloque, 3-6 mai 2006, Ministère de la Recherche LES SCIENCES SOCIALES EN MUTATION
Vers une mésologie - au delà du topos ontologique moderne par Augustin BERQUE berque@ehess.fr
I. Dans le topos ontologique moderne (ci-après TOM) s’allient la conception aristotélicienne du lieu (τόπος) comme « limite immobile immédiate de l’enveloppe [de la chose] », la sacralisation chrétienne de la conscience individuelle comme demeure divine (manes in memoria mea, Domine), l’absolutisation, par le dualisme cartésien, de la conscience individuelle comme telle (je pense : je suis) face à l’objet corrélativement absolutisé lui aussi, et les suites de l’émergence, conséquente, de l’individu moderne au XVIIIe siècle1. II. Le topos aristotélicien, lié à la logique de l’identité du sujet, est le lieu de la substance (’ουσία) identique à elle-même (A est A), c’est-à-dire opposée à la métaphore (par laquelle A devient B). Ce lieu diffère essentiellement de la χώρα platonicienne. En effet : - il est immobile et défini, alors que la chôra est mouvante et indéfinie ; - immobile, il est détachable de la chose (qui est mobile), alors que la chôra en participe ; - il est lié à l’identité, alors que la chôra est liée à la métaphore. La chôra, quant à elle, est le lieu du devenir existentiel (γένεσις). Platon ne la définit pas, se contentant de l’évoquer par des métaphores qui sont, en outre, contradictoires : c’est à la fois l’empreinte et la matrice du devenir, dont elle est inséparable. On comprendra donc le topos comme un « lieu substantiel », et la chôra comme un « milieu existentiel »2. III. La modernité a été déterminée et dominée par le TOM, au détriment pratique et conceptuel du milieu existentiel de l’être humain. Ce parti aboutit de nos jours à la destruction effective du milieu qui permet l’existence humaine sur la Terre : l’écoumène, de pair avec la biosphère qui en est le fondement écologique. C’est là une impasse, qu’il nous faut surmonter. Au plan conceptuel, cela demande une mésologie, entendue comme l’étude des milieux humains3. IV. La logique de l’identité du sujet (ci-après lgS), dominante de la modernité occidentale, a été défiée dans son tréfonds par la « logique du prédicat » (jutsugo no ronri 述語の論理, ciCes questions sont détaillées et référencées dans mon ouvrage Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000. 2 Expressions que j’explicite dans « Lieux substantiels, milieu existentiel : l’espace écouménal », in Alain BERTHOZ et Roland RECHT (dir.) Les Espaces de l’Homme, Paris, Odile Jacob, 2005, p. 49-65. 3 Comme je l’ai relaté dans Le Sauvage et l’artifice. Les Japonais devant la nature (Paris, Gallimard, 1986), ce terme de mésologie, antérieur à celui d’Ökologie, a été créé par Louis-Adolphe Bertillon (1821-1883), dans un sens qui aujourd’hui pourrait être rendu par « écologie sociale ». Évincé par écologie, le terme est devenu obsolète, comme du reste le parti positiviste de Bertillon en la matière. Je le réutilise dans un autre parti. 1
2
après lgP), dite aussi « logique du lieu » (basho no ronri 場所の論理), mise en avant par NISHIDA Kitarô (1870-1945), le maître à penser de l’École de Kyôto (Kyôto gakuha 京都学派), laquelle revendiqua un « dépassement de la modernité » (kindai no chôkoku 近代の超克)4. V. Selon moi, la tentative nishidienne ne fut qu’un renversement du parti moderne, revenant à absolutiser le prédicat tandis que la modernité avait absolutisé le sujet (logique, i.e. l’objet du physicien, mais aussi psychologique : « je ») ; renversement qui n’était pas un dépassement, mais un refus de la modernité5. VI. Cependant l’apport essentiel de la philosophie nishidienne est, pour moi, d’avoir élucidé le fait que le monde est prédicatif. Ce monde-prédicat (jutsugo sekai 述語世界), relevant de lgP, diffère essentiellement du monde-objet des modernes, qui relève de lgS. Sans rapport avec le dualisme, il n’est pas non plus assimilable au monde intérieur de la subjectivité moderne (celle du TOM). VII. Il convient selon moi de rapprocher cette vue de l’image heideggérienne d’un « litige » (Streit) entre Terre et Monde6. En ce sens, la Terre (ou la nature), c’est la base, « ce qui se tient dessous » (‘υπόστασις, substantia), le « gisant-dessous » (‘υποκείμενον, subjectum). Le Monde (κόσμος), c’est le ciel (également κόσμος) sous le jour duquel se voit la Terre, i.e. le prédicat selon lequel est assumé ce sujet7. VIII. Cette assomption de la Terre en Monde (S→P), c’est la réalité ; rapport qu’on peut formuler r = S/P, ce qui se lit : la réalité, c’est S en tant que P. IX. La formule ontologique r=S/P résume par ailleurs le parti géographique pour lequel les sociétés humaines interprètent leur environnement (S) selon quatre prédicats génériques (P) : en tant que ressources, contraintes, risques, ou agréments. Ces en-tant-que (ou prédicats) sont historiques (accidentels ou contingents) ; ils ne sont pas dans la substance des choses (S). Le prédicat « paysage », par exemple, apparaît pour la première fois au IVe siècle, en Chine du Sud ; l’existence des champs pétrolifères (S) en tant que ressources (P) date, en majeure partie, de l’invention du moteur à explosion8. Pour autant, ces prédicats ne sont pas simplement arbitraires ; ils supposent nécessairement, comme assise (S), la substance des choses9. Sur ces questions, v. l’ouvrage collectif (A. BERQUE, dir.) Logique du lieu et dépassement de la modernité, Bruxelles, Ousia, 2000, 2 vol. 5 J’ai argumenté ces vues dans « La logique du lieu dépasse-t-elle la modernité? » et « Du prédicat sans base : entre mundus et baburu, la modernité », in Livia MONNET (dir.) Approches critiques de la pensée japonaise au XXe siècle, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2002. 6 Que Heidegger expose dans L’Origine de l’œuvre d’art, repris dans Chemins qui ne mènent nulle part, Paris, Gallimard, 1962 (Holzwege, 1949). 7 J’ai explicité l’enchaînement de ces métaphores, qui sont à la source de nos principaux concepts (tant en Occident qu’en Orient), dans « L’art, et la terre sous le ciel », Art press, numéro spécial « Les écosystèmes du monde de l’art », 22, 2001, p. 8-12. Je me réfère entre autres à George LAKOFF et Mark JOHNSON, Philosophy in the flesh. The embodied mind and its challenge to Western thought, New York, Basic Books, 1999. 8 Sur ces en-tant-que, v. mon Médiance, de milieux en paysages, Paris, Belin-RECLUS, 2000 (1990). 9 C’est ce que pose, avant la lettre, le principe de Zong Bing (375-443), l’auteur du premier traité sur le paysage, Introduction à la peinture de paysage (Hua shanshui xu 画山水序), dans les premières lignes duquel on peut lire : « Quant au paysage, tout en ayant substance, il tend vers l’esprit (Zhi yu shanshui, 4
3
X. La relation Terre/Monde produit l’écoumène, ensemble des milieux humains, ou ensemble des réalités humaines (S/P). Par définition, l’écoumène ne se borne pas à la planète Terre, notre topos physique ; elle comprend tout ce qui est pour nous le Monde, jusqu’aux galaxies les plus lointaines10. XI. Le déploiement de l’écoumène est historique, tel celui de ses prédicats. Cependant, le principe de mondanité (Terre→Monde, ou S→P) précède l’émergence de l’humain, car il est coextensif à la vie. Comme l’a montré Uexküll11, chaque être vivant interprète en effet son environnement objectif (Umgebung) dans les termes d’un « monde environnant » (Umwelt) qui est propre à son espèce. Autrement dit, dès le niveau ontologique de la biosphère, l’Umgebung (S) est prédiquée en tant qu’Umwelt (P). Par exemple, ce qui est la réalité (S/P) pour le serpent, qui voit l’infrarouge, ne l’est pas pour le papillon, qui voit l’ultraviolet, ni pour l’humain, qui ne voit ni l’un ni l’autre : bien que ces trois êtres vivent objectivement dans la même Umgebung, ils sont en réalité (S/P) chacun dans leur Umwelt particulière. XII. Le rapport écouménal, demeure de l’être humain, a ainsi une base animale, dont le pas de temps relève de l’évolution, non de l’histoire. Cependant, l’humain ne se borne pas à son corps animal. Comme l’a montré Leroi-Gourhan12, il comprend aussi un corps social, constitué des systèmes techniques et symboliques propres à l’humanité. Plutôt cependant que d’un corps social, techno-symbolique, je parle pour ma part d’un corps médial, écotechno-symbolique. En effet, lesdits systèmes interfèrent nécessairement avec les écosystèmes : la technique les anthropise, tandis que le symbole les humanise. XIII. Leroi-Gourhan a également montré que, par rétroaction, le développement du corps social a transformé le corps animal, générant le processus évolutif de l’hominisation. Ainsi, chez Homo sapiens, c’est-à-dire dans la réalité humaine, corps animal et corps médial forment une indissoluble unité. Le corps médial n’est cependant pas réductible au topos du corps animal, ni à celui des objets substantiels qui entourent celui-ci. En effet, il est collectif, non pas individuel ; et en tant que système de relations, il est insubstantiel. C’est la chôra (le milieu existentiel) indispensable à l’humain en tant que tel ; lequel peut donc se définir par le couplage dynamique d’un topos (son corps animal) et d’une chôra (son corps médial). XIV. Ce couplage n’a rien à voir avec le dualisme sujet-objet (S+S). Ni simplement objectif, ni simplement subjectif, il est trajectif. XV. La réalité (S/P) qui nous entoure est trajective ; c’est notre corps médial. Celui-ci s’est constitué par cosmisation du corps animal (dont la technique étend la corporéité jusqu’au bout zhi you er qu ling 至於山水、質有而趣霊) ». J’assimile cette « tension » (qu 趣) au Streit, i.e. pour moi l’assomption de la Terre (S) en Monde (P) – en l’occurrence, l’assomption de l’environnement (S) en tant que paysage (P). 10 L’usage que je fais de ce terme d’écoumène (du grec ’οικουμένη γή, la terre habitée) diffère, on le voit, de l’usage traditionnel en géographie depuis Strabon, i.e. la partie habitée de la Terre. La galaxie la plus lointaine actuellement connue est HUDF-JD2 (découverte fin 2005), à 13 milliards d’annéeslumière. 11 Jacob von UEXKÜLL, Mondes animaux et monde humain, Paris, Pocket, 2004 (Streifzüge durch die Umwelten von Tieren und Menschen, 1934). 12 Dans Le Geste et la parole, Paris, Albin Michel, 1964, 2 vol.
4
du monde) et par somatisation du monde (rapatrié en nous par le symbole). Le va-et-vient de cette projection-rétrojection est la trajection constitutive de l’écoumène13. Il incorpore nécessairement la métaphore : dans un système symbolique, A est représenté par B, la chose A (dans le corps médial) est nécessairement aussi le couplage de neurones B (dans le corps animal), qui en tient lieu en son absence physique. XVI. Le couple dynamique corps animal/corps médial constitue la médiance (du latin medietas, moitié) propre à l’être humain. Cette notion est héritière de celle de fûdosei (風土性), due à WATSUJI Tetsurô (1889-1960) qui l’a définie comme « le moment structurel de l’existence humaine » (ningen sonzai no kôzô keiki 人間存在の構造契機)14. Watsuji est parti de l’idée que l’humain (ningen 人間) est duel, à la fois individuel dans sa dimension de hito (人) et social dans sa dimension d’aida (間). C’était là préfigurer, mais par les voies de la phénoménologie herméneutique, la thèse de Leroi-Gourhan qui est, elle, positiviste. XVII. Médiance et trajection outrepassent le dualisme moderne, et en particulier le TOM ; il s’en faut néanmoins qu’elles en aient empêché le règne. XVIII. Le règne du TOM est une forclusion (un lock out)15 de la moitié existentielle constitutive de l’être humain : son corps médial, que le TOM réduit aux objets de l’étendue cartésienne, chacun dans son propre topos. Cette forclusion est manifeste dans l’individualisme méthodologique que, mutatis mutandis, Durkheim déjà critiquait chez Spencer, voire, plus tôt encore, Marx chez Ricardo16. Plus particulièrement marqué en effet dans le monde anglo-saxon, celui-ci participe de son hégémonie. Or c’est une fiction anachronique, née du TOM et supposant celui-ci à l’origine de la division du travail social, alors qu’au contraire il en résulte. Elle forclôt en particulier le travail médial – celui qui, accompli dans le corps médial, est nécessaire à l’existence de l’individu17. Pour Leroi-Gourhan, les systèmes techniques et symboliques extériorisent tout uniment les fonctions initiales du corps animal. Il en va certainement ainsi des systèmes techniques (le robot sur Mars est par exemple une extériorisation des fonctions de la main), mais selon moi, les systèmes symboliques agissent en sens inverse, et sont ainsi complémentaires des systèmes techniques. Par exemple, le langage permet de représenter le robot sur Mars par un couplage de neurones dans notre cerveau. Cette représentation (verbale ou autre) n’est pas arbitraire ; elle n’est en effet possible que parce que la fonction du robot sur Mars ne fait que prolonger, par la technique, celle de la main du corps animal. En un sens, elle n’a donc jamais quitté notre corps ; et c’est le symbole qui maintient ce fil, par lequel des objets qui peuvent être éloignés physiquement de milliards d’années-lumière sont instantanément présents dans notre esprit. Ils ne sont donc jamais simplement des objets (S), purement là-dehors, mais toujours des choses (S/P), à la fois dehors et dedans. « Trajection » vient du latin trajectio, traversée. J’ai introduit cette notion dans Le Sauvage et l’artifice, op. cit., mais ne me suis arrêté à la définition présente que dans Écoumène, op. cit. 14 Sur cette filiation, v. Médiance et Écoumène, op. cit. Watsuji n’a malheureusement pas développé les implications qu’entraînait cette définition visionnaire. Sa théorie des milieux humains (fûdo 風土) s’est focalisée sur le thème de la singularité, dans une approche intuitiviste qui, en fin de compte, l’a fait tomber dans un banal déterminisme environnemental. 15 Forclore vient du latin foris (dehors, out) et claudere (fermer, lock). Par cette forclusion, le corps médial est converti en une étendue extérieure objectale, i.e. réduit en objet (S), alors qu’il est trajectif (S/P). 16 Pour Durkheim, voir notamment De la Division du travail social, Paris, PUF, 1998 (1893), passim. Quant à Marx, une note du Capital (livre I, p. 368 dans l’édition Champs de Garnier-Flammarion, 1985 [1867]) raille la « robinsonade » (i.e. la fiction de l’individu isolé comme point de départ des rapports sociaux) qui, à ses yeux, infirme le raisonnement de Ricardo. 17 Ce que j’argumente dans « La forclusion du travail médial », L’Espace géographique, XXXIV (2005), 1, p. 81-90. 13
5
XIX. La fortune de cette fiction moderne vient de ce qu’elle exprime métaphoriquement un principe essentiel au capitalisme : médialiser les coûts pour maximiser les profits privés. « Médialiser » signifie : rejeter dans le milieu ; c’est-à-dire à la fois rejeter dans la société (socialiser), et rejeter dans l’environnement. Autrement dit, profiter gratuitement du capital social (routes, écoles etc.) et du capital écologique (les écosystèmes) qui forment le corps médial, tout en forclosant celui-ci en « externalités » ; forclusion qui augmente en effet d’autant les profits du TOM (ici l’entreprise privée)18. XX. À son tour, le capitalisme exprime le parti démondanisant (déprédicatif) de la modernité : le mécanicisme, dans lequel la réalité (S/P) se trouve réduite à S (l’objet), dans la forclusion non seulement de la mondanité constitutive de l’écoumène, mais même de celle du monde vivant. Les machines, en effet, ne tournent que dans le respect du principe d’identité (l’itération du même). Elles ne s’accommodent pas de la métaphore. En d’autres termes, la mécanique ne reconnaît que des topoi, aucune chôra ; c’est-à-dire ni existence ni sens. Corrélativement, la science économique libérale prend ses modèles dans les sciences de l’ingénieur19. C’est une mécanomie abstraite qui, réduisant l’écoumène (la demeure humaine) à une salle des machines, y fait régner les lois du mécanicisme de marché. XXI. Cette mécanique objectale ne fonctionne néanmoins que parce que des êtres humains en consomment les produits. Effectivement, un cercle vertueux s’est instauré entre deux effets de la forclusion du corps médial : le mécanicisme de marché d’une part, la société de consommation de l’autre. Le TOM est en effet structurellement porté à consommer toujours davantage d’objets, pour compenser le manque entraîné par la forclusion de la moitié de son être : son corps médial. Ce couplage vertueux du manque-à-être et du mécanicisme modernes s’est incarné à la lettre dans le fordisme, dont le principe essentiel (la consommation de masse de biens durables individuels, à commencer par l’automobile) est plus que jamais en vigueur. XXII. Pour démondanisant qu’il soit, ce monde-là est mondain comme un autre, c’est-à-dire prédicatif (P). Comme tel, il tend à s’absolutiser20, en oubliant sa base : la Terre (S). Or si négliger leur assise terrestre a conduit bien des mondes antérieurs à s’effondrer sur euxmêmes21, le monde moderne est d’une autre échelle : planétaire, il met en jeu dans leur ensemble tant l’écoumène que la biosphère. Son hypertrophie se mesure, d’ores et déjà, par une empreinte écologique supérieure d’un tiers à la biocapacité de la planète qui le porte, et Cette forclusion est illustrée par le « système Toyota » (avec le principe du « juste à temps », etc.), qui a propulsé cette entreprise au premier rang mondial. Livrer juste à temps au lieu d’avoir à gérer des stocks, par exemple, augmente les profits de l’entreprise, car c’est la collectivité qui paye les routes, dont l’utilisation augmente en proportion, et c’est l’environnement qui pâtit de cette augmentation. 19 Comme l’a remarquablement mis en lumière Philip MIROWSKI, Machine dreams. Economics becomes a Cyborg science, Cambridge, Cambridge University Press, 2002. 20 Comme Nishida l’a bien montré, au point d’ailleurs d’être pris lui-même dans sa logique du prédicat (sur cette question, v. mes articles cités plus haut « La logique du lieu… » et « Du prédicat… »). Pour Nishida, le monde est un absolu « sans base » (mukitei 無基底). Corrigeons : il tend au métabasisme (i.e. à oublier sa base), mais c’est là une erreur funeste. Il ne peut pas plus y avoir de monde sans base que de prédicat sans sujet, hormis dans le rêve, le délire ou l’hallucination. 21 Pour un panorama de ces fins du monde, v. Jared DIAMOND, Collapse. How societies choose to fail or succeed, New York, Penguin, 2005. 18
6
cette tendance ne fait que s’aggraver22. Si nous vivions tous comme des Californiens, ce n’est pas 1,3 planète, mais quatre ou cinq qu’il nous faudrait pour survivre durablement. Cette impasse écologique prépare, inexorablement, les fourches caudines par lesquelles, tôt ou tard, devra en passer le TOM : reconnaître le milieu existentiel sans lequel il n’est qu’une abstraction sans avenir – un être vers la mort23. Kyôto, 28 mars 2006.
V. Mathis WACKERNAGEL et William REES, Notre empreinte écologique, Montréal, Écosociété, 1999 (Our Ecological footprint, 1996). 23 Cette expression traduit le Sein zum Tode du Dasein heideggérien. Watsuji la critiqua en montrant qu’elle procédait d’un point de vue individuel et abstrait (celui du hito 人), auquel il opposa l’être vers la vie (sei e no sonzai 生への存在) de l’humain concret (ningen 人間), dont la part sociale (aidagara 間柄) survit à la mort individuelle du hito. Sur ces questions, v. le prochain colloque de Cerisy-la-Salle « Être vers la vie » (23-30 août 2008, www.ccic-cerisy.asso.fr). 22