La culture populaire à
l’heure de la requalification du centre-ville Le cas brésilien de São Paulo DUSSUD Benjamin
Mémoire de master Repenser la métropolisation Julie Ambal, Xavier Guillot, Delphine Willis Juin 2018 École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux
Sommaire INTRODUCTION
COMPRENDRE LA COMPLEXITÉ LIÉE À LA NOTION DE REQUALIFICATION /p.7
PARTIE N°1
L’AUTONOMIE DU CENTRE ENTRE RICHESSES ET PRÉCARITÉS : NAISSANCE D’UN CONTEXTE URBAIN FRAGILE /p.21 A. SOCIÉTÉ POST-INDUSTRIELLE ET ÉCLATEMENT DU NOYAU
CENTRAL : VERS UNE SATURATION DU TISSU URBAIN DU CENTRE /p.23 a. 1900-1960, la fin d’une époque industrielle et le début de
l’économie de service vectrice de la saturation de l’espace urbain /p.23
b. 1960-1980, la définition d’une nouvelle centralité polarisée et
déconnectée /p.30
B. L’IDENTITÉ CULTURELLE DU CENTRO : ENTRE CULTURE
POPULAIRE BRÉSILIENNE ET EXPRESSION PAULISTA /p.37
a. Le centre de São Paulo et culture populaire brésilienne /p.38 b. Le patrimoine architectural et historique : identité Paulista et
potentiel touristique /p.43
C. L’ÉMERGENCE D’UNE CULTURE DU CENTRE : DE LA
PAUPÉRISATION DE L’ESPACE URBAIN CENTRAL NAISSANCE D’UN MODE DE VIE AUTONOMISÉ /p.47
À
LA
a. Face aux ségrégations sociales et spatiales, la naissance d’un
modèle économique et social précaire /p.48
b. Usages et occupations précaires de la ville : conséquences
du laissé pour compte du centre-ville/p.51
PARTIE N°2
POLITIQUES URBAINES OU CULTURE DU LIEU : DEUX APPROCHES POUR UN FUTUR DU CENTRE-VILLE DE SÃO PAULO /p.57 A. PLACER
LE CENTRO AU CŒUR DU PROCESSUS DE MÉTROPOLISATION : L’ACTION POLITIQUE FACE À UN ESPACE URBAIN COMPLEXE /p.58 a. Vers une nouvelle image du centre-ville par l’action politique
et par le projet « Centro Novo » /p.62
b. Concepts théoriques et contexte d’application : le heurt
symbole d’incompréhension en politique et société /p.73
B. LA CULTURE URBAINE ALTERNATIVE : UNE AUTRE PISTE À
LA REQUALIFICATION DU CENTRE-VILLE ? /p.78
a. La culture populaire brésilienne comme base à la revitalisation :
l’exemple du mouvement Mamba Negra /p.79
b. Exister au travers du contexte actuel du centre : l’appropriation
de l’espace public du centre par la culture alternative /p.86
CONCLUSION
ENVISAGER LA PRISE EN COMPTE DU CONTEXTE POUR APPRÉHENDER LA REQUALIFICATION DES CENTRES-VILLES
/p.97
BIBLIOGRAPHIE /p.105
Introduction
COMPRENDRE LA COMPLEXITÉ LIÉE À LA NOTION DE REQUALIFICATION
Il y a maintenant une année, je suis parti étudier à l’étranger avec pour objectif de me confronter à un environnement que je n’avais encore jamais vu. Sortir du contexte européen m’a semblé être un point obligé pour comprendre le monde qui allait être mon futur terrain d’activité. Le monde qui nous entoure ne peut plus se cantonner à nos frontières physiques, à l’endroit où l’on peut se rendre à pied, il est plus vaste. Lorsqu’il a fallu trouver et choisir une destination, j’ai souhaité me rendre dans un endroit où l’ensemble de mes repères seraient chamboulés. Je devais chambouler mes repères culturels en m’éloignant du contexte français ou même européen, chambouler mes repères linguistiques pour découvrir de nouvelles richesses, mais aussi chambouler mes repères urbains et architecturaux pour saisir les enjeux la pratique architecturale. Depuis plusieurs décennies, le monde a pris la trajectoire accélérée d’une économie et d’une société globalisées, où les circulations de marchandises, de services et de personnes sont toujours plus importantes. La notion même de frontières semble avoir trouvé une nouvelle définition. Les limites territoriales ne sont plus simplement nationales, mais mondiales. Dans ce formidable élan de connexions, certaines villes se sont développées de manière exponentielle, développant leurs aires urbaines sur des dimensions sans pareilles. Ces villes représentent aujourd’hui les moteurs de la machine mondialisée et sont devenues des centres d’influence pour la société globalisée. Ces villes, que l’on appelle communément mégapoles ou mégavilles, concentrent un certain nombre de caractéristiques qui participent de leur influence mondiale. C’est d’abord par leur taille qu’elles se différencient. En s’étalant sur un territoire dépassant souvent le millier de kilomètres carrés, les mégapoles concentrent pour le moins 10 7
Introduction Comprendre la complexité liée à la notion de requalification
millions d’habitants. Mais ce sont aussi de puissants centres économiques où les marchés financiers se développent à grande vitesse et rayonnent dans le monde par les échanges qui s’opèrent entre les mégavilles. Pour asseoir davantage leur position supérieure sur le monde, les mégapoles concentrent également les centres de commandements divers qui régissent nos modes de vie. Nous l’aurons compris, les mégapoles sont des lieux d’attractivités, faisant circuler les hommes et les femmes dans un tissu urbain complexe où les cultures, l’économie et le pouvoir forment un système d’influence1. En août 2016, j’ai alors fait mon sac et suis parti vers une ville où l’élan économique compose avec une culture poignante : São Paulo, au Brésil. Capitale économique du pays, São Paulo compte à elle seule plus de 20 millions d’habitants répartis dans une aire urbaine de plus de 1500 km2. En vivant à São Paulo, j’ai découvert toutes les influences qu’elle dégage et impulse à sa population. Le regard que je portais sur le monde n’était plus le même face à tant de contrastes et de surprises. Cette ville rayonne à l’échelle mondiale par sa capacité à regrouper une grande quantité d’informations diverses, de cultures, de traditions et d’histoires. Les quartiers qui composent la ville possèdent toutes leurs caractéristiques et spécificités propres. Aucun ne se ressemble formant une immense mosaïque et participant à la richesse culturelle de la ville. En arpentant ces quartiers, le développement économique et ses impacts sur la ville ne peuvent échapper au regard. Au milieu des immenses voies bordées d’immeubles de bureaux toujours plus étincelants, devant les académies de gym et les centres commerciaux de plusieurs étages, sur les voies rapides qui passent en plein cœur de la ville, partout la richesse de la ville s’expose. Il faut dire que la ville a acquis une réputation florissante très tôt dans son histoire permettant son explosion au moment de l’ère 1
Pour compléter sur la notion et le devenir des mégapoles lire : HAERINGER, Philippe, « La mégapolisation du monde, du concept de ville à la réalité des mégapoles » Géographie et cultures, n° 6, 1993 8
[1]
Tokyo, Japon
(source: : www.internationaltraveller.com
[2]
Lagos, Nigeria
(source: : www.iguardian.ng
[3]
Séoul, Corée du Sud
(source: : www.itheflightfinder.com
Les villes globales se sont développées sur tous les continents formant un réseau global. Ces contextes urbains représentent pour la pratique architecturale un enjeu de taille tant les questions sont nombreuses. N’ayant eu l’opportunité de vivre dans une ville d’une telle ampleur, j’ai souhaité m’immerger dans un de ces environnement afin de saisir la teneur des enjeux lancés et tenter d’agir en tant qu’architecte.
9
Introduction Comprendre la complexité liée à la notion de requalification
industrielle. À l’instar d’autres grandes villes mondiales, São Paulo s’est étendue sur son territoire, renouvelant sans cesse son aire urbaine à mesure que changeaient sa société et ses mœurs. Durant l’époque postindustrielle, la ville s’est inspirée du mode de vie américain, accélérant sa croissance, transformant sa population. C’est donc bien de ses débuts que la puissance de São Paulo s’est construits aboutissant aujourd’hui au territoire d’influence que le statut de mégapole lui procure. Mais São Paulo m’a aussi montré un aspect sombre. La pauvreté et l’insalubrité de ses rues m’ont plongé dans un environnement bien loin de mon quotidien européen. São Paulo est une ville de contrastes matérialisés par une réalité pure et sans tabous. Le contexte économique et politique, mais également historique du Brésil a formé une société très inégalitaire. Dans les grandes villes, telles que São Paulo, la pauvreté et la richesse se côtoient de manière parfois violente. La corruption qui touche le pays, le développement effréné de l’économie et les intérêts capitalistes laissent une partie de la population démunie et sans ressources. L’étalement urbain a éloigné certaines populations pauvres des pôles économiques, développant d’immenses favelas aux abords de la ville. La pauvreté se montre sous de multiples visages, partout dans la ville. Sous les voies surélevées, au pied des centres commerciaux, sur les trottoirs, une partie de la population paulista semble être bien loin de l’image étincelante que veut montrer la ville. Il règne néanmoins une atmosphère particulière dans les rues de São Paulo. Bien que certaines situations soient difficiles à supporter, la culture brésilienne semble apporter une légèreté toute particulière, qui touche aussi bien les plus riches que les plus pauvres. La réputation festive qui caractérise le Brésil dans le monde est donc bien vivante, haute en couleurs, en agitation, en musique et en fête. C’est donc en observant ce bien que surprenant, mais fabuleux spectacle de contrastes, que j’ai souhaité porter un regard critique sur ce qui se jouait à São Paulo. Les forces qui 10
Anhangüera Noroeste
Tremenbé Nordeste
Pirituba Noroeste
Freguesia do Ó Noroeste
Santana Nordeste
Casa Verde
Ermelino Matarazzo
Vila Maria
Nordeste
Leste 1
Nordeste
Lapa
Leste 2
Leste 1
Aricanduva
Oeste
Oeste
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Sudeste
Centro
Pinheiros
Guaianazes
Mooca
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Sudeste
Leste 1
Tiradente
Ipiranga
Leste 2
Sudeste
São Mateus Leste 1
Sudeste
Santo Amaro
Itaquera
Vila Prudente
Vila Mariana Centro Sul
Campo Limpo
Itaim
Leste 2
Penha
Oeste
Butantã
São Miguel
Jabaquara
Centro Sul
Centro Sul
Sul
Cidade Ademar
M’Boi Mirim
Sul
Sul
La ville de São Paulo représente une superficie de plus de 1500 km2. Composée de 32 sous-préfectures, la ville compte plus de 20 millions d’habitants dans son aire urbaine. Les distances et échelles qui s’appliquent à São Paulo semblent bien loin de nos perceptions européennes. De par sa position économique et culturelle, la ville m’est apparue à l’image de New York, sans cesse en agitation, bruyante et pleine de vie. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de voir des similarités entre les deux villes à propos de notre sujet de recherche.
Socorro Sul
Parelheiros Sul
[4] (source: carte personnelle réalisée à partir de cartographie existantes)
Limites de quartiers Limites de sous-préfectures Limites de la ville Nom du quartier Zone
11
Introduction Comprendre la complexité liée à la notion de requalification
semblent pousser la ville vers l’opulence vont à l’opposer des conditions de vie sensibles et changeantes de sa population et au milieu de tout cela, l’énergie de la culture brésilienne complète ce tableau complexe. C’est au centre-ville que toutes les couches qui composent São Paulo semblent se montrer sous le même jour. Dans ces rues marquées par toute les étapes qui ont fabriqué la ville, toutes les cultures d’une ville cosmopolites se côtoient. Les buildings des grandes entreprises se dressent au milieu d’un tissu urbain peu dense où le souvenir d’une vie de quartier lutte pour rester en vie. Le centre-ville est chargé d’histoire, passée comme future. Au milieu d’une foule pressée de rentrer en banlieue, les habitants des rues se démènent pour un bout de pain. Touristes, hommes et femmes d’affaires, étudiants, manifestants, travailleurs informels, vendeurs ambulants, tous se croisent, sans se voir et forment, malgré eux, un organisme vivant, singulier. C’est dans ce centre-ville qu’a commencé cette recherche pour comprendre la richesse cachée d’un tel lieu. Le centre-ville de São Paulo fut un point important pour mon séjour. La quantité innombrable d’expériences que j’y ai vécues m’a poussé à rechercher qu’est-ce qui faisait sa richesse et comment il restait en vie et grandissait malgré ses difficultés évidentes. Il existe dans le Centro, comme il est nommé à São Paulo, une organisation particulière, issue de ce pêle-mêle de composantes. Alors que beaucoup évoquaient ce centre comme un lieu à l’abandon, sur le point de mourir, une certaine force semblait résister, bien décidée à redonner une vie à son tissu urbain. Partout dans les quartiers du centre, j’ai récolté des indices de cette vigueur encore en marche. Ils ont pris des formes diverses : d’un bâtiment dont le courant m’était inconnu, à un flux important de personnes dans une rue minuscule, à une musique sortant d’un bar de fortune, à une odeur de coxinha émanant d’une Lanchonete ; la vie du centre-ville ne se situe pas seulement dans sa représentation urbaine, mais bien dans sa société, son histoire et sa culture. Dans ma quête de dépaysement, 12
Le long de cette allée majestueuse bornée par ces géants de béton et de verre, la richesse et la puissance de São Paulo a quelque chose d’édifiant
(source: https://www.likealocalguide.com/
[5] sao-paulo/paulista-avenue
Le décor n’est pas si rose sur l’Avenida Paulista. Non loin des touristes émerveillés par le MASP de Lina Bo Bardi, un sans-abri se fraye un chemin dans cette agitation
[6] Photographie personnelle 13
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Centre historique Places urbaines majeures Limites administratives du centre Centre étendu Axes de circulation majeurs Triangle d’Or du centre Cours d’eau et rivières
[7]
Cartographies du centre-ville
14
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Pinacoteca
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LIBERDADE 15
Introduction Comprendre la complexité liée à la notion de requalification
à la découverte d’une culture nouvelle j’ai été confronté à une quantité très importante d’informations, regroupées dans le seul espace du Centro. La notion de requalification des centres-villes qui émerge depuis plusieurs années a pris un sens nouveau pour moi à ce moment précis. Il m’était devenu inenvisageable de penser le renouveau d’un tel espace urbain sans tenter d’y conserver et d’y faire germer cette effervescence que je venais de découvrir. Ce constat fut également possible grâce aux premiers indices de requalification, répartis dans le centre. En comprenant qu’une grande partie de la population de cet espace ne profitait pas des aménagements qui visent à la requalifier, j’ai cherché à comprendre en quoi cette culture, qui n’est pas totalement prise en compte, peut jouer un rôle dans ce processus qui touche le centre-ville. Au départ, il était difficile d’exprimer clairement en quoi certaines actions que je pouvais observer étaient symbole de vie pour le centre. Mon approche « européanisée » des notions qui composent le Centro, a rendu difficile l’analyse des causes et des conséquences de ce que j’ai relevé comme étant des témoins de la richesse culturelle de la ville. La première étape de ma recherche a alors consisté à saisir l’identité de ce centre-ville et ses spécificités en adoptant une approche à la fois historique et sociologique. En m’attachant à décrire la culture populaire, caractéristique du centre-ville de São Paulo, il m’a alors fallu comprendre et décrire précisément ces comportements sociaux ou ces formes urbaines qui m’avait mis sur la piste de sa vitalité culturelle. J’ai très vite compris que l’histoire de la ville et celle du Brésil servaient de fondation à cette organisation singulière. Le Centro n’est que le reflet des évolutions du pays et de la ville ; il est la mémoire de la culture brésilienne et paulista. Mais ce centre historique ne semblait pas être figé dans le temps et la culture populaire semblait avoir trouvé de nouvelles ressources pour perdurer et continuer à façonner la ville. En effet, c’est dans le centre que j’ai eu l’occasion de fréquenter des lieux pleinement inspirés de l’Histoire de la ville, définissant portant ses propres règles. Le centre-ville de São Paulo est un lieu d’expressions multiples, d’acceptation. C’est un terrain de développement de multiples pensées sociales ou artistiques qui semblent n’être que la continuité d’une culture brésilienne riche. 16
L’édificio Martinelli, l’un des premiers indices de l’histoire palpitante du Centro
[9] Photographie personnelle
Autour du Mercado Municipal, les innombrables boutiques bas de gamme et la fréquentation presque oppressante m’ont invité à comprendre les contrastes qui se jouent dans le centre-ville
[10] Photographie personnelle
Les formes et archétypes architecturaux sont les témoins des pensées complexes qui ont bâti le centre, se perdre dans les rues et confronter mes connaissances à cet environnement urbain fut un exercice important pour saisir la richesse architecturale du Brésil
[11] Photographie personnelle
São Paulo est nombreuse et variée. Se confronter à un tel environnement met à l’épreuve les notions d’échelles. A l’image d’un paysage qu’on croirait infini, São Paulo nous fait sentir à quel point une mégapole peut être vaste
[12] Photographie personnelle 17
Introduction Comprendre la complexité liée à la notion de requalification
C’est à partir de ce constat que je me suis interrogé à propos de ces formes culturelles nouvelles et leurs origines. Dès lors, mon objectif a été de comprendre les liens qu’elles tissaient avec le Centro pour saisir l’influence qu’elles pouvaient avoir sur le renouveau du centre-ville et donc sur son espace urbain. L’attachement particulier que portent ces mouvements culturels sur l’environnement historique du Centro, ancre leurs actions dans une démarche de vitalisation et de mise en avant des caractéristiques de la ville. Les recherches que j’ai effectuées à ce propos ont donc porté sur une première approche historique, puis une approche sociologique pour enfin aboutir sur une approche urbanistique et architecturale. Par cette démarche, il est possible de comprendre le rôle du socle urbain de la ville à la requalification et donc de comprendre en quoi ce territoire à requalifier est aussi acteurs de son renouveau. Cependant, il y avait un autre élément qui montrait l’activité du centre-ville : au milieu des immeubles historiques en dégradation, de nouveaux édifices se profilaient laissant apparaître une action politique visant a priori la revalorisation de cet espace urbain. À ce moment précis, la question de la requalification a pris une place centrale dans cette recherche. Le Centro est un lieu d’émergence de cultures avec une organisation sociale qui lui est propre, mais c’est aussi un lieu d’attraction et d’intérêt pour la ville toute entière. La requalification des centres-villes est une question complexe qui impose de prendre en compte de multiples facteurs. C’est un pari ambitieux qui a produit, pour São Paulo, des contrastes forts sur la société et sur la ville. Ces actions de politiques urbaines semblent montrer un autre visage du centre-ville, orientant mon champ de recherche sur la question des politiques urbaines et de leur rôle dans la requalification du centre-ville. L’approche politique dans la fabrication de l’urbain à apporter un regard bien différent de celui des mouvements culturels et artistiques. Les notions qui sont abordées semblent décalées vers un axe plus économique, porté sur le profit et les intérêts de groupes privés comme publics.
18
Introduction Comprendre la complexité liée à la notion de requalification
L’objectif de cette recherche n’est pas de valoriser une action par rapport à une autre, mais plutôt de comprendre quels impacts chacune d’elle porte sur l’environnement du centre-ville. Cet espace urbain fonctionne comme un organisme vivant dont chaque partie est interdépendante des autres. Néanmoins, les enjeux issus du contexte précaire qu’il s’est fabriqué imposent une compréhension fine et pleine d’humilité avant de pouvoir entreprendre sa requalification. Les aspects à prendre en compte pour mettre en œuvre la requalification du centre-ville sont multiples et complexes. L’un des points de vue, que ce mémoire tente d’apporter sur la question, s’oriente donc vers les aspects qui semblent prioritaires dans les étapes de requalification. Un autre point de vue cherchera à valoriser les occurrences singulières qui émergent dans l’espace urbain central de la ville pour étudier l’impact bénéfique ou non d’une prise en main citoyenne de la notion de requalification. Tout au long de ce travail, nous nous interrogerons sur la manière dont la culture populaire du centre-ville joue-t-elle un rôle dans son processus de requalification. La requalification, qui semble avoir acquis certains automatismes, peutelle est repensée d’une façon plus sociale ? À l’instar de la notion de projet urbain, nous nous interrogerons sur les nouvelles gouvernances territoriales en tentant de comprendre leurs conséquences et leur lien avec les nouvelles notions qui caractérisent la ville.
19
Partie n° 1
L’AUTONOMIE DU CENTRE ENTRE RICHESSES ET PRÉCARITÉS : NAISSANCE D’UN CONTEXTE URBAIN FRAGILE
En 1554, au cœur d’une géographie montagneuse et hostile, un groupement jésuite portugais installe le collège Saint Paul ainsi que quelques modestes couvents, sur ce qui deviendra la ville de São Paulo. Le lieu est stratégique puisqu’il permettra l’affirmation du pouvoir colonial ainsi que « l’éducation » des tribus alentour. À l’époque, ce qui n’est encore qu’un petit centre bourg n’a pas de quoi rivaliser avec les grandes villes du nord, telles que Rio de Janeiro ou Salvador. Au XVIIe siècle, São Paulo profite de sa situation géographique pour se faire une place parmi les puissances nationales. Après avoir conquis les littoraux, les colons souhaitent administrer un territoire plus grand en pénétrant dans le territoire sud-américain. Il faut dire que le pays regorge d’or et de diamant et que l’intérieur nord du continent et l’interminable forêt amazonienne ne sont pas très hospitaliers pour ces derniers. C’est donc à partir du sud que seront lancées les premières grandes explorations du territoire. Avec le Rio Tiête qui coule non loin, Saint Paul se trouve être un lieu de choix pour commencer l’exploration. En effet, le courant de la rivière court vers le Paraná, à 752 km des côtes atlantiques. Menées par les Bandeirantes, les missions d’explorations trouveront donc leur point de départ à São Paulo, traçant de larges chemins vers l’intérieur et les richesses qu’il renferme. En plus d’une voie navigable plus que bénéfique, la géomorphologie du territoire Paulista permettra au Bandeirantes de tracer des routes à 21
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
partir de São Paulo rejoignant les autres centres importants du pays et développant le commerce et les flux. Très vite, les abords de chemins d’exploration sont investis par toute sorte de marchands, commerçant, investisseurs ou producteurs, venus pour profiter de l’essor économique que rapporte l’exploration. Les premiers axes urbains apparaissent et la ville gagne peu à peu une influence forte dans le sud du pays, capable de concurrencer les villes du nord. Bientôt, les fazendeiros développent une économique stable basée sur la production agricole et l’exportation de matières premières. São Paulo étend son influence ainsi que son réseau et devient rapidement l’objet de toutes les attentions. À partir de 1870, São Paulo s’est complètement affranchie de son territoire naturel pour faire son entrée dans l’époque industrielle. À partir des axes créés par les Bandeirantes, la ville acquiert un réseau de transports développé, fait principalement de chemins de fer et de gare. À partir du quartier de Sé, où s’étaient installés les premiers colons et le collège Saint Paul, la ville prend progressivement forme au gré de son tramway et des gares de train qui permettent l’échange massif de matières premières et de ressources. Le centre concentre alors les activités de négoces, d’importation et d’exportation et se consolide autour de la plaine du Tiête qui devient le point de départ des réseaux de circulation. Déjà, São Paulo est une ville attractive, dynamique et influente. Les spéculations immobilières, marquées par une division sauvage des terrains, font naître une organisation chaotique de la ville. Des quartiers entiers sortent de terre pour satisfaire l’élite de la ville, venue investir dans cette jungle urbaine prometteuse.
22
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
A. SOCIÉTÉ POST-INDUSTRIELLE ET ÉCLATEMENT DU NOYAU
CENTRAL : VERS UNE SATURATION DU TISSU URBAIN DU CENTRE À la fin des années 1950, une nouvelle société paulista semble apparaître. Les modes de vie et la société de services venue des États-Unis entraînent la ville dans une dynamique soudaine. Les nouvelles classes moyennes supérieures s’éloignent du centre-ville pour profiter d’un cadre plus agréable. L’expansion urbaine place alors ce dernier comme un espace pollué par l’activité industrielle et obsolète du point de vue des modes de vie. Néanmoins, cette période de crise trouvera une fin partielle avec le réinvestissement de l’espace central par le secteur bancaire. À partir de ce moment, le centre de São Paulo se fabriquera un tissu urbain bloqué et une organisation sociale précaire. Le passé colonial du Brésil a permis à de nombreuses cultures de jouer un rôle prépondérant dans le développement de São Paulo. Le monopole des cultures occidentales dans des villes comme São Paulo a considérablement transformé le territoire et la manière de fabriquer la ville2. Lorsque le déclin de l’ère industrielle approche, l’organisation du centre subit un fort dé densification, bouleversant son organisation sociale. Dans ce contexte, le secteur bancaire va progressivement se développer, transformant l’architecture du centre-ville. Le centre va alors rentrer dans une phase d’urbanisation qui signera sa saturation et son explosion territoriale.
a. 1900-1960, la fin d’une époque industrielle et le début de
l’économie de service vectrice de la saturation de l’espace urbain Le déclin de l’activité industrielle à São Paulo a permis une nouvelle appropriation du territoire du centre-ville. Alors que les populations appartenant aux classes moyennes supérieures et aisées fuient l’espace
2
MONBEIG, Pierre, « La croissance de la ville de Sao Paulo », Revue de géographie alpine, 1953, tome 41, n° 2 23
Cartographie montrant l’étendue de la ville en 1841 [13] (Source: Archives publiques de l’Etat de São Paulo)
En très peu de temps, la densité, la taille et la population de la ville explosent. Les spéculations foncières et la rapidité du processus d’expansion engendrent un environnement urbain peu organisé
Cartographie montrant l’étendue de la ville en 1924 [14]
(Source: Archives publiques de l’Etat de São Paulo)
24
Vue de la futur Avenida da Independência en 1919 [15] (Source: https://engvagnerlandi.com)
Dans cet élan d’urbanisation, les modes de vies et la pratiques urbaines sont modifiées.
Carte postale de l’Avenida São João [16]
(Source: Douglas Nascimento / saopauloantiga.com.br)
25
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
central pour rejoindre des quartiers périphériques au cadre de vie plus « agréable », le secteur bancaire et de services y voit l’opportunité d’investir dans ce tissu pour y bâtir les témoins de leurs richesses. Le tissu urbain, alors peu dense et de faible hauteur, va progressivement muter pour illustrer les volontés d’investisseurs influents à l’échelle de la ville. Les politiques étant absentes de ces processus de transformation, le centre va alors basculer vers la saturation aggravant encore son contexte presque insalubre. On observe deux principaux facteurs en cause dans la saturation du Centro. Le premier concerne l’urbanisation verticale et excessive de la ville tandis que le deuxième porte sur la politique de transports mise en place à cette époque. Il est important de noter que ces deux facteurs sont intimement liés au mode de vie que nous décrivions précédemment. La société de services qui fit suite à l’époque industrielle a fait entrer dans le quotidien des paulistas de nouveaux concepts, pensées ou objet. C’est d’ailleurs une observation que l’on pourrait faire pour un bon nombre de pays à la même époque. Ainsi, les moyens de transport ont été simplifiés par une industrie plus performante, de nouveaux matériaux, de nouvelles techniques nous permettent d’envisager de nouvelles manières de construire, de consommer ou de travailler. Dans le centreville de São Paulo, les bureaux de grandes entreprises de services et de commerces se répandent rapidement pour occuper une grande partie de son espace urbain. Pour implanter cette nouvelle économie florissante dans le centre-ville, les investisseurs se lancent dans ce qui ressemble à une course à la hauteur. Le développement de techniques constructives novatrices permet de défier les lois jusqu’alors en place et de produire des gratte-ciel toujours plus haut. En peu de temps, le centre-ville de São Paulo se verticalise et se pare, par la même occasion, d’édifices à l’architecture flamboyante, symbole de la réussite économique. L’un des exemples les plus frappants est sans doute l’Edificio Martinelli. Construit dans les années 1930, cet immeuble illustre fidèlement la volonté de
26
[17]
(Source: Saopauloinfoco.com)
Dans la paysage urbain de 1929, l’Edificio Martinelli surplombe la ville annonçant l’arrivée prochaine du secteur financier et bancaire
27
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
montrer au monde la puissance de l’économie italo-brésilienne. Construit pour Guisseppe Martinelli, investisseur immigré d’Italie, le bâtiment se dresse sur 30 étages de bureaux et arbore un style architectural Second Empire riche en ornementation. Ce bâtiment est alors le premier gratteciel de São Paulo et sera rejoint par d’autres édifices marquants. Une telle verticalisation a eu un impact certain sur l’environnement urbain du centre. Les rues et espaces publics se trouvent alors cernés par endroit de géants de béton et de pierre, accentuant le sentiment d’écrasement, limitant la pénétration de la lumière. Les conditions d’évolution de la société au sein de cet environnement urbain vertical se trouvent alors transformer, d’autant plus que ces immeubles concentrent une quantité importante de personnes qui transitent matin et soir, congestionnant encore davantage l’espace public. L’émergence d’un tel urbanisme s’accompagne de l’absence de planification urbaine. C’est donc de manière brutale et peu organisée que ces immeubles et quartiers d’affaires voient le jour. Le deuxième témoin de la saturation du centre-ville de São Paulo s’imprègne fortement de ces flux de population ainsi que cet urbanisme aléatoire. L’émergence de ces zones d’activités tertiaires ne s’est pas fait de manière homogène dans tout le centre-ville. Bien que le centre se soit en grande partie verticalisé par la suite, seuls quelques espaces sont cernés par ces transformations à partir de 1920. Le secteur contenu entre la Cathedral da Sé et la Vale do Anhagabau ainsi que les abords de la Praça da Republica illustrent nettement l’émergence de pôles économiques ponctuels. Ce phénomène a de fortes conséquences sur la fréquentation du centreville. Les flux de populations venues des périphéries pour travailler dans ces centres économiques se dirigent donc tous vers quelques points du centre-ville. Dans ces espaces, la fréquentation a évolué sous deux aspects. Premièrement, elle est majoritairement constituée de population du mouvement pendulaire impliquant le développement de voies de circulations reliant les périphéries au centre. Deuxièmement, compte tenu du dynamisme dont fait preuve cette branche de l’économie, la
28
Photographie montrant les abords de la Vale Do Anhangabau en 1950 (Source: Buzzfeed.com)
[18] 29
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
fréquentation du centre-ville se fait très fort. Les milliers d’employés de bureau se rendent donc quotidiennement vers le centre, et lorsque l’on considère l’époque comme étant celle du règne de l’automobile, les conséquences sur le tissu urbain du centre sont remarquables. Les artères qui alimentent le centre de manière radiale prennent alors des proportions démesurées. À l’image de l’Avenida São João ou bien encore l’Avenida Tiradentes, d’immenses voies de circulation rapide de plusieurs voies se faufilent dans le tissu densifié, engendrant des tensions avec l’urbain. Les bruits, les odeurs et la pollution rendent donc les conditions de vie du centre difficiles. Du fait des changements sociaux de l’époque, le centre-ville de São Paulo a donc changé radicalement. Que ce soit sa population, appauvrie par le départ des classes moyennes, sa fréquentation majoritairement liée à l’économie tertiaire qui prend part belle dans son tissu ou bien encore son urbanisme, le Centro entame alors sa chute vers un contexte critique. Mais l’histoire n’est pas finie et les années à venir donneront une nouvelle définition à la centralité de la ville. Le contexte saturé et congestionné ne répond plus au développement de la mégapole. Très vite ses limites seront à redéfinir afin de trouver un nouvel équilibre, en espérant qu’il soit stable.
b. 1960-1980, la définition d’une nouvelle centralité polarisée et
déconnectée La saturation du tissu urbain initial du centre-ville de São Paulo fait donc basculer les conditions de vie et de développement de la zone vers l’appauvrissement et la décroissance démographique. Les populations qui en avaient les moyens ont quitté ce lieu devenu insalubre et pollué pour habiter les franges périphériques et leurs banlieues. Le centre de la ville se constitue alors de différentes polarités donc plusieurs polarités économiques influentes. À partir des années 1960, ces polarités ne peuvent 30
[19] (Source: Photographie personnelle
L’Avenida 23 de Maio passe au dessous de la Vale Do Anhangabau, en plein milieu du centre-ville.
31
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
plus contenir le développement économique que connaît la mégapole. Une nouvelle centralité est alors à trouver ayant pour effet de bouleverser d’étendre les instabilités à une zone plus vaste. D’autres polarités économiques vont alors voir le jour dans des quartiers alors sans autre vocation que d’être des zones résidentielles. C’est notamment le cas de Bela Vista qui, avec le développement de l’Avenida Paulista, s’érige en centre politique et financier de la ville. En suivant un axe sud-ouest par rapport aux quartiers originels de Sé et de Republica, l’ensemble du quartier entre l’Avenida da Consolação et l’Avenida Paulista caractérise l’expansion des limites du centre-ville et par extension, son influence. C’est avec l’arrivée du métro dans la ville que les limites existantes trouveront un sens différent. La première ligne, inaugurée en 1974, suit un axe nord-sud allant de Santana à Jabaquara. Au cours de son chemin, la ligne 1 passe par des points névralgiques du centre-ville tels que Sé ou bien encore Luz ou Liberdade. L’arrivée du métro à São Paulo, comme beaucoup d’autres cas, a apporté de nouvelles possibilités de déplacements et d’accessibilités. Les régions atteintes par le métro sont donc plus facilement mises en lien avec le centre-ville et le reste de la ville. Cependant, les techniques utilisées pour sa construction doivent faire face à un contexte urbain complexe, construit de manière brutale. Bien que la technologie de mise en œuvre soit des plus novatrice, les impacts sur le tissu urbain de la ville sont d’ampleur. Il faudra creuser des tunnels de grandes dimensions au-dessous des constructions existantes, détruire certaines rues et certaines places pour y construire d’immenses halls d’accueil souterrains. Bien que l’apparition du métro dans le centreville pourrait être vu comme bénéfique, son implantation pose question quant à la réponse qu’elle apporte aux enjeux de saturation du centre. Quelques années plus tard, en 1979 la deuxième ligne verra le jour pour rejoindre Casa Verde à Vila Maria en passant par Barra Funda et Sé. 32
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On observe le glissement vers une nouvelle centralité, plus élargie, notamment autour de l’Avenida Paulista [20]
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Centre historique Places urbaines majeures Limites administratives du centre Centre étendu Axes de circulation majeurs Triangle d’Or du centre Cours d’eau et rivières
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Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
Nous avons vu que des mouvements, souvent pendulaires, se formaient entre la partie ouest et le centre de la ville. Cette polarisation selon l’axe ouest, voire sud-ouest correspond aux nouvelles classes moyennes parties vers les périphéries riches, mais travaillant toujours dans le centre. Ces déplacements sont intimement liés à l’utilisation de l’automobile qui tracera de grandes artères à travers le centre-ville. Alors construire ces deux lignes de métro se croisant à Sé, là où les premiers pôles économiques naissent, nous permet d’envisager quelle politique a fondé cette décision. En effet, en construisant des lignes rejoignant des parties plus pauvres de la ville, le métro devient donc un moyen de transport pour ceux qui n’ont pas les moyens de circuler en voiture. Le centre peut donc continuer à se développer en attirant ou écartant davantage de population, ouvrant les limites de l’espace central et donc le développement d’autres quartiers que celui de Sé ou de Republica, sur le point d’imploser. L’arrivée du métro transformera donc l’environnement du centre, dégradant les conditions de circulations dans les rues, ne répondant pas non plus aux enjeux de saturations lancés par l’espace urbain. Ce nouveau mode de transport délimitera simplement de nouvelles limites à la ville, permettant l’explosion des polarités économiques vers des frontières plus larges et donc l’arrivée imminente d’un centre étendu. Lorsque les équipements et les infrastructures urbaines des quartiers de Sé et de Republica deviennent obsolètes pour l’économie grandissante de la ville, le centre-ville entre dans la construction d’une autre organisation spatiale et sociale. L’axe sud-ouest prend de plus en plus d’ampleur par la construction de quartiers résidentiels riches où les condominiums en sont les représentants. Progressivement, l’activité économique va donc se rapprocher et s’étendre le long de cet axe. En partant des alentours de la Praça da Republica, les pôles économiques vont s’étendre en suivant une zone entre la rua da Consolação et l’Avenida Nove de Julho. L’Avenida Paulista, située au bout de la rua da Consolação, représente fièrement cet élargissement urbain de la fin du XXe siècle. En effet, l’avenue a toujours
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Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
existé par le passé, mais n’était bornée que par de riches demeures des commandants et nobles issus de l’époque coloniale. En très peu de temps, la petite rue boueuse et caillouteuse s’est transformée en une artère principale du réseau paulista, devenant même le symbole touristique, la colonne vertébrale de la ville. L’apparition progressive, mais importante d’immeubles de bureaux et de bâtiments institutionnels montre bien le décalage qui s’opère entre les quartiers de pouvoir du centre historique et la nouvelle centralité. Le centre ne fonctionne plus comme une entité condensée où toutes les parties de la ville convergent. Il devient un espace polycentrique où des quartiers particuliers prennent une importance considérable. Ce polycentrisme se remarque nettement aujourd’hui en observant les lignes de métro et leurs points de connexion. Les modes de vie ayant valorisé les transports en commun, le quartier de Sé et celui de Consolação-Paulista se montre comme les cœurs d’un centre agrandi aux fonctions multiples et dissociées. Le développement du centre-ville a donc toujours été caractérisé par l’émergence ponctuelle de points d’attractivité économique. Que ce soit dans l’hypercentre autour de la Vale do Anhangabau ou dans le centre polarisé autour de l’Avenida Paulista, la polarisation semble être l’essence même du centre. Cette construction donne au centre-ville une position centrale dans l’économie de la ville en rassemblant, encore aujourd’hui, la majorité des emplois de la ville. Cependant, l’organisation spatiale induite par cette polarité économique confère à certains quartiers du centre une position inférieure. Dans le contexte d’un pays émergent, le développement économique fait l’objet d’une attention prioritaire de la part des gouvernements. De ce fait, les zones attractives reçoivent des actions fortes à court terme quand d’autres quartiers, parfois très pauvres, se trouvent laissés pour compte, abandonnés dans la précarité. Cohabitant dans un même espace urbain, le déséquilibre entre les parties du centre s’accentue accentuant les contrastes urbains, sociaux et économiques. Dans la figure ci-contre, nous pouvons observer cette
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Sur cet extrait de plan du métro de São Paulo, on comprend le rôle charnière des stations Sé, República, Luz, Paraiso ou encore Barra Funda. Toutes situées dans le périmètre du Centro,, ces stations coincident avec des points stratégiques de la ville. Si on ajoute la station Paulista-Consolação, on comprend le lien existant entre la mobilité et le développement économique du centreville. (Source: Réseau CPTM)
[21]
[22] (Source: Divulgação Metro)
A deux pas de la Cathedral da Sé, le métro impose sa présence au contexte urbain du Centro (Photographie prise en 1972)
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Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
polarité socio-économique et la proximité qui peuvent exister entre une zone dite « riche » et une zone dite « pauvre ». Cette polarisation, qui s’applique également à la population résidente du centre-ville, ne se matérialise pas seulement dans des quartiers, mais parfois même au sein même d’un seul quartier. De ce fait, les fractures sociales qui existaient déjà dans le centre historique se sont vues accrues, s’ouvrant sur de plus larges espaces et touchant une plus grande partie de la population.
B. L’IDENTITÉ CULTURELLE DU CENTRO : ENTRE CULTURE
POPULAIRE BRÉSILIENNE ET EXPRESSION PAULISTA
Malgré la saturation de son espace urbain qui a marqué un tournant dans le futur de la ville, le centre-ville de São Paulo représente toujours un lieu singulier. Parce qu’il est le témoin des étapes historiques qui ont façonné la ville, le Centro est la racine de l’immense mégapole qu’est São Paulo. L’expression culturelle qui réside dans ce lieu ne peut en être que plus forte tant son influence est grande. Il peut être difficile de porter un regard pertinent sur la culture du centre-ville de São Paulo lorsque l’on vient d’un autre pays, d’une autre culture, mais c’est justement toutes les expériences nouvelles que j’ai vécues qui m’ont permis de repérer les caractéristiques d’une culture populaire brésilienne. Le Centro regorge de ces influences du passé marquées par l’esprit de fête du pays et l’influence coloniale, mais c’est aussi le lieu d’émergence d’une identité propre à la ville. C’est en restant attentif aux moindres surprises que pouvait m’offrir cet espace si complexe que j’ai pu entamer cette observation de l’expression des cultures diverses du centre-ville de São Paulo.
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Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
a. Le centre de São Paulo et culture populaire brésilienne La notion de culture prend plusieurs formes selon les définitions qu’on lui donne3. Une définition éthologique nous indique que la culture, principalement animale, « désigne tout comportement, habitude, savoir, système de sens (en anthropologie) appris par un individu biologique, transmis socialement et non par héritage génétique de l’espèce » 4. Il y a donc dans la notion même de culture la notion de partage d’un système de valeurs, de traditions et de connaissances, en lien direct avec l’environnement d’évolution et l’histoire partagée par une même population. Afin de saisir les caractéristiques d’une culture brésilienne, j’ai donc dû être attentif à l’ensemble des éléments qui m’ont paru surprenants. Ma condition d’Européen a provoqué un certain nombre de réactions face à des évènements qu’il ne m’était pas coutume de voir. J’ai néanmoins compris qu’une partie du mode de vie que je connaissais, de loin comme de près, existait à São Paulo. Cela ne pouvait me dire qu’une chose : le Brésil est profondément marqué par des influences multiculturelles, issues de son Histoire et de son présent aussi. Le Brésil tient une place quelque peu spéciale au sein de l’Amérique du Sud. De par ses dimensions, mais aussi de par ses influences et sa culture, le pays se trouve parfois coupé ou à l’écart des autres pays du continent. Bien sûr, il existe quelques indices d’une culture sud-américaine qui le rapproche du Mexique, de l’Uruguay ou bien encore de l’Argentine. Cependant, le Brésil semble avoir développé une culture qui lui est propre née d’influences multiples d’Europe comme d’Afrique5. Ces influences ont
3
Cary Nelson et Dilip Parameshwar Gaonkar, Disciplinarity and dissent in cultural studies, éd. Routledge, 1996 4
Définition de la culture — Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Culture#Pluralit%C3%A9_ de_d%C3%A9finitions) 5
CHAVES, Rita de Cássia Natal et SECCO, Carmen Lúcia Tindó. « Brasil/África : como se o mar fosse mentira ». Unesp, 2006. 38
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
produit dans le quotidien des Brésiliens, des modes de vie caractéristiques. Que ce soit la manière de manger, de parler, de consommer ou de se comporter, la culture brésilienne semble avoir fait des multiples cultures qui ont foulé son sol, une culture nouvelle. Ces émergences culturelles sont donc présentes dans l’ensemble de la ville de São Paulo, néanmoins, nous nous attacherons à comprendre quel lien le Centro tisse avec ces dernières. Le premier élément qui caractérise à sa manière la culture brésilienne est sans conteste la culture culinaire et sa place dans le quotidien du centreville. La nourriture semble rythmer le quotidien des paulista et cela se ressent nettement dans l’espace urbain du centre. Le premier indice de l’importance de la nourriture se trouve dans l’offre variée et considérable de restaurants ou autres lieux de restaurations. La position de São Paulo comme une ville monde et les inspirations historiques portugaises, japonaises ou bien encore africaines, ont fait naître une multitude de lanchonetes, restaurant ou cafeterias. D’autre part, beaucoup de recettes ou d’aliments sont consommés sur le pouce, à l’image des coxinha, des pasteis ou autres. La vente de ces produits alimentaires influence l’occupation de l’espace public ainsi que les comportements sociaux associés. Du fait de la consommation importante de ces produits, les vendeurs ambulants et même les lanchonete, propose la vente directement depuis la rue. L’espace public devient donc une extension des lieux de vente et de restauration. La nourriture et les richesses culinaires du Brésil participent donc du dynamisme et de l’effervescence du centre-ville. Les influences internationales, que cultive le mode de vie brésilien, participent également à la culture artistique du pays. En matière de fête, la réputation du Brésil n’est plus à faire et c’est par la musique que la fête prend part à la culture brésilienne. Il y a quelque chose de frappant au Brésil. Quelque chose qui se fait souvent discret avant qu’on ne s’en rende compte : la musique fait partie intégrante de la ville. Dans les magasins, 39
[23] (Source: Wikipédia)
A deux pas de la Cathedral da Sé, le métro impose sa présence au contexte urbain du Centro (Photographie prise en 1972)
40
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
dans la rue, sortant d’un appartement aux fenêtres ouvertes, il semble que la musique soit omniprésente. Cette culture de la fête se matérialise largement dans l’espace urbain du Centro. De manière plus ou moins subtile, la musique et la fête constituent des facteurs d’émergence pour certaines formes urbaines. L’exemple de la Rua Augusta est sans aucun doute l’un des plus marquants. La rue, perpendiculaire de la fameuse Avenida Paulista, regroupe une quantité impressionnante de bars et de clubs. Chaque semaine, des milliers de personnes fréquentent ces établissements où les cultures musicales brésiliennes et internationales s’expriment. À certains moments de l’année, la culture de la fête sort des établissements pour produire des évènements spectaculaires et occupant l’espace public. C’est le cas notamment du Carnaval qui, durant deux à trois semaines chaque année, investit les rues du centre-ville et des autres quartiers de la ville sous forme de Bloco. Cette pratique n’est pas réservée à la ville de São Paulo puisqu’elle a lieu dans l’ensemble du pays et occupe la rue de manière similaire. De Belém à Porto Alegre, le Carnaval et les pratiques qui lui sont associées représentent fièrement la culture populaire du pays. La place de la rue et de l’espace public semble donc être majeure dans l’affirmation de la culture brésilienne. La rue est par naissance un lieu de représentation et d’expression sociales. Au Brésil, l’exposition se fait plus expressive que dans nos villes européennes. L’environnement urbain du Centro de São Paulo apparaît alors comme un lieu de vente et de négociation. L’importance du commerce doit alors conjuguer avec un urbanisme marqué par l’Histoire de la ville. Cette culture brésilienne s’exprime donc de manière extrêmement importante dans les rues du centre-ville. La requalification de l’espace central semble donc devoir passer par la valorisation de ce qui fait vivre le Centro en mettant en avant les spécificités de la culture populaire brésilienne. Cette notion culturelle représente alors un axe important de renouvellement urbain puisqu’il est vecteur de dynamisme et de fréquentation.
41
[24] (Source: www.topensandoemviajar.com)
L’un des nombreux bars de la Rua Augusta
[25] (Source: www.apontador.com.br)
Un bloco du Carnaval dans un des quartiers due SĂŁo Paulo
42
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
b. Le patrimoine architectural et historique : identité Paulista et
potentiel touristique Lorsque l’on parcourt les rues du centre-ville de São Paulo, que ce soit avec un œil d’architecte ou non, le patrimoine laissé par les différentes époques passées est frappant. Sa diversité de formes, de couleurs ou de tailles apparaît au premier abord comme une accumulation d’architecture et d’influence. En réalité, la position ou l’apparence d’un édifice nous informe sur la complexité de la construction de la ville. Les personnes qui ont bâti cette ville viennent du monde entier, avec une vision singulière de ce territoire. D’un édifice néo-classique à un building aux allures d’Empire State Building, les bâtiments marquants du centre-ville illustrent l’essence même de la ville : un espace cosmopolite marqué par un élan de croissance fulgurant. Ces formes de patrimoine, observables dans les rues du centre, représentent un potentiel d’attractivité principalement lié au tourisme. L’aspect touristique du centre-ville apparaît comme un axe majeur dans la construction du futur du centre et la culture brésilienne et paulista a donc un rôle important à jouer. Il est possible d’observer, pour le Centro, une forme de patrimoine architectural et urbain issu de l’expression de cultures et de communauté. L’identité coloniale qui a donné naissance au Brésil constitue pour le centre de São Paulo le terreau du développement de spécificités. En effet, certaines populations ayant émigré dans la ville ont formé des communautés très importantes et donc marqué l’espace urbain du centre tant culturellement qu’architecturalement. C’est notamment le cas du quartier de Liberdade. Situé non loin des quartiers initiaux de la ville, Sé et Republica, ce quartier pourrait être considéré comme le quartier japonais de la ville. Avec la deuxième plus importante population nipponne du monde après le Japon, Liberdade s’est paré d’un kitsch japonais presque caricatural où les archétypes architectoniques du Japon représentent les devantures de banques et de chaînes de restaurants américains. L’émergence d’un tel environnement urbain a donné à cette partie de la ville un caractère 43
[26] (Source: Google Street View - Impression d’écran)
La façade de la banque Bradesco dans le quartier Liberdade présente les archétypes de l’architecture japonaise, un contraste fort avec l’environnement du Centro
L’environnement urbain du quartier Liberdade présente les traces des influences japonaises sous de multiples formes et aspects (Source: Google Street View - Impression d’écran)
[27]
44
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
unique, reconnaissable et identifiable. Le marché japonais de la Praça da Liberdade est devenu un lieu très fréquenté par les habitants de la ville autant que par les touristes. Ces manifestations de cultures étrangères dans les rues de São Paulo nous permettent de constater l’influence de ces dernières sur la construction de la ville. Chacune d’entre elles a donné à la ville un aspect particulier, transformant son architecture et reflétant la pensée d’une époque et d’une communauté. Si certaines formes urbaines sont la manifestation de la présence de communauté, d’autres vont bien au-delà en représentant l’influence d’une culture sur la société, la politique ou l’urbain. C’est notamment le cas des immeubles de grande hauteur autour de la Vale do Anhangabau. En effet, ces édifices sont bien le symbole de la puissance de la ville, mais ils sont également la représentation du monopole européen qui fit de la ville du XXe siècle ce qu’elle est aujourd’hui6. L’édifice Matarazzo, qui accueille aujourd’hui la préfecture de la ville, fut construit par la famille Matarazzo, selon une inspiration italienne et utilisant des matériaux venus d’Europe. Le centre-ville de São Paulo est donc la représentation d’une culture coloniale fondatrice. Ces éléments font aujourd’hui partie intégrante de la culture populaire du pays, assumant son étroit lien avec le vieux continent. Ce patrimoine architectural semble aujourd’hui constitué une valeur ajoutée pour le centre-ville. Les modes de vie actuels et l’augmentation du nombre de voyageurs forcent des villes comme São Paulo à devenir attractive d’un point de vue touristique. Par leur position de villes monde, les mégapoles sont des lieux d’influence tant sur de multiples plans. Alors que durant de nombreuses décennies elle n’était vue que comme le pôle économique du pays, São Paulo se voit aujourd’hui en
6
MONBEIG, Pierre, « La croissance de la ville de Sao Paulo », Revue de géographie alpine, 1953, tome 41, n° 2 45
[28] (Source: Photographie personnelle)
Lorsque l’on se circule dans les rues autour de l’Edificio Martinelli, l’enchevêtrement des immeubles nous faitt sentir dans dans un canyon...
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Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
clin à rayonner d’une autre manière aux yeux des autres mégapoles. Avec l’augmentation des circulations internationales et nationales, le patrimoine constitue le moyen de nourrir l’image d’une ville à la culture forte. La construction désorganisée et non linéaire de la ville, et de son centre, a généré un environnement urbain complexe aux multiples facettes. La patrimonialisation du Centro doit donc composer avec des enjeux sociaux et urbains d’une autre complexité.
C. L’ÉMERGENCE D’UNE CULTURE DU CENTRE : DE LA
PAUPÉRISATION DE L’ESPACE URBAIN CENTRAL NAISSANCE D’UN MODE DE VIE AUTONOMISÉ
À
LA
Les différentes phases qui ont marqué la construction de la ville de São Paulo et donc son centre ont participé à constituer un tissu urbain dense. L’absence de planification urbaine a laissé la porte ouverte à l’installation chaotique de grands immeubles de bureaux, servant la croissance économique et financière de la ville dans les années 1960. Cette influence économique de la ville a bouleversé l’écosystème du centre-ville non seulement du point de vue architectural, mais aussi du point de vue des usages et mode de vie. À cette époque, le centre représente un quartier d’affaire en pleine expansion où les grandes voies de circulation, la pollution des véhicules et les flux importants de travailleurs structurent la ville à tout point de vue. La saturation brutale du tissu central primaire n’a donc eu d’autre choix que d’étendre ses limites vers une nouvelle centralité. De nouveau l’organisation du centre-ville se voit alors modifiée et les quartiers qui le composent se trouvent dans une position d’inégalité économique et sociale. C’est donc dans ce contexte touché par des crises majeures sur le plan urbain que la population du centre-ville s’est construite jusqu’à aujourd’hui. L’organisation sociale en naissance va alors s’adapter à ce contexte socio-économique fragile qu’a laissé la florissante puissance bancaire des années 1980. Cet axe de réflexion a donc pour objectif de comprendre quelle forme a pris cette organisation en mettant en exergue 47
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
la manière dont elle constitue le terreau d’une société autonomisée.
a. Face aux ségrégations sociales et spatiales, la naissance d’un
modèle économique et social précaire À partir de l’explosion des limites du centre-ville historique, les fonctions économiques des différents quartiers qui composent le nouveau centre ne sont pas égalitaires. Le centre-ville reste un pôle majoritairement économique et financier pour la ville, mais ne l’est pas de manière homogène. Ainsi, des quartiers comme Luz ou bien encore Sé et Répública se trouvent quelque peu laissés pour compte, là où les quartiers de Consolação et Bela Vista trouvent une prospérité grâce notamment à l’Avenida Paulista. Mais alors que le centre-ville occupe, une place de choix l’économie de la ville, sa densité de population se voit en baisse. En effet, les modes de vie qui se développent partout dans le monde —, et ce depuis l’époque post-industrielle — ont poussé les populations moyennes et aisées vers les périphéries du centre-ville où les biens immobiliers sont plus généreux, loin de la pollution de la ville. Le centre-ville fait donc office de point de passage dans le quotidien des paulistas, un lieu de travail. En très peu de temps, les quartiers les plus délaissés se trouvent vidés de leur population, les immeubles commencent à être abandonnés et la paupérisation semble inévitable. Les recensements réalisés par l’IBGE entre 1999 et 2000 une réduction significative du nombre d’habitants dans le centre-ville. De plus, la population sur le départ est majoritairement constituée des classes moyennes supérieures qui ont les moyens de fuir cet environnement urbain dégradé et peu confortable. De ce fait, on observe une paupérisation lente qui composera avec un environnement urbain et architectural obsolète. Les tableaux ci-après illustrent bien l’évolution des niveaux de vie présents dans le centre-ville en 1997 et 2007. Cette observation basée sur le nombre de revenus minimums atteint nous montre 48
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
également clairement les disparités qui peuvent exister entre les différents quartiers du centre-ville. Les quartiers de Sé et de Santa Cecilia en sont les formes les plus marquantes. Ainsi, les classes moyennes inférieures et les classes populaires représentent dans certains quartiers une proportion importante, plongeant alors vers la paupérisation du tissu urbain. Si certains quartiers du centre-ville représentent un intérêt économique fort pour la ville, d’autres ne le sont pas. La paupérisation est donc fabriquée par la préférence portée sur ces quartiers dynamiques et s’accentue par elle-même. En effet, l’absence de mixité sociale et le désintérêt des politiques urbaines accélèrent la plongée de certains quartiers dans la pauvreté. Une partie de la population ne peut plus accéder à un logement décent et la proportion de personnes en précarité explose. Finalement, c’est toute l’organisation sociale et économique pauvre qui se développe dans le centre-ville. Les activités économiques qui se développent sont révélatrices de la naissance d’un système lié à la paupérisation du centre. Bien que le centre reste un bassin d’emploi dans le secteur tertiaire et technocratique, d’autres secteurs économiques forment une organisation sociale davantage liée au contexte social du centre. Le quartier de Santa Ifigênia est connu pour la vente et la réparation de produits électroniques, la rua 25 de Março est célèbre pour la vente de produit bas de gamme en tout genre tandis que Bom Retiro, proche du quartier de Luz regroupe de nombreux magasins de vêtements destinés à une classe sociale populaire. On observe alors une spécialisation de certaines zones du centre par les commerces. Parmi ces activités commerciales, l’offre semble clairement orientée vers les classes sociales aux revenus moyens, voire bas. En effet, cette offre commerciale se veut de basse qualité, à des prix faibles. Il semble donc que
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Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
l’activité commerciale qui s’est développée depuis la fin des années 19907 se soit adaptée à la population qui peuple le centre-ville. Bien qu’il reste une activité commerciale haut de gamme ainsi qu’une économie tertiaire et de services très importants, c’est bien par la multitude de commerces en bord de rue que la vitalité du centre se fait ressentir. L’appauvrissement de l’espace du centre a donc fait naître une économie populaire qui représente aujourd’hui un secteur à fort potentiel. La fréquentation de ces rues ou places commerciales est extrêmement importante au point d’en devenir des points touristiques notables. Cependant, cette économie est bien loin d’enrichir la population qui la développe. Les produits ou prestations qui sont vendus représentent des sommes dérisoires au regard du montant des loyers et des charges qui incombent aux commerçants. Bien que le centre-ville ait subi une phase de décroissance démographique et donc de dévalorisation de son espace urbain, le niveau de vie reste tout de même élevé. C’est d’ailleurs le niveau de vie de toute la ville qui est élevé par rapport à d’autres villes alentour8. Cette différence de niveau de vie entre la mégapole et ses alentours joue un rôle important sur l’équilibre social et économique du centre de la ville. La population qui occupe le centre-ville est composée en partie de populations étrangères à la ville, venues chercher un emploi dans la grande ville, à la recherche d’un idéal. Mais les revenus et les moyens que ces catégories de populations sont capables de fournir ne sont pas en accord avec un environnement urbain cher. Bien qu’elle soit vectrice de forte fréquentation, l’économie populaire du Centro se trouve être en équilibre, prêt à chuter au moindre changement.
7
KARA JOSE, Beatriz, « A popularização do centro de São Paulo: um estudo de transformações ocorridas nos últimos 20 anos » 8
Ibid 50
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
b. Usages et occupations précaires de la ville : conséquences
du laissé pour compte du centre-ville Dans ce contexte complexe et fragile qu’est le Centro de São Paulo, l’espace urbain joue un rôle significatif dans la construction et l’équilibre de l’organisation sociale. L’économie populaire ne se cantonne plus simplement à l’intérieur des magasins, mais dépasse sur la rue pour entrer en contact avec les flux passants et souvent pressés. La rue, et plus largement les espaces publics constituent donc des lieux singuliers tant pour l’expression culturelle que pour l’organisation de la société. Au-delà de sa définition purement urbaine (trottoirs, voirie, immeubles, etc.), la rue est avant tout un espace représentation sociale. Dans son article « A rua no Brasil em questão (etnografica) » l’ethnologue Fraya Frehse observe les évolutions de la perception de la rue au Brésil pour tenter de pour en faire émerger un ou plusieurs modèles sociétaux. En retraçant les différentes approches théoriques qui ont été effectuées sur les rues de São Paulo, Fraya Frehse démontre que la rue à São Paulo, et plus particulièrement dans le centre de la ville, est pleinement imprégnée de la notion de rue au Brésil ainsi qu’en Amérique latine. Il existe donc une dimension culturelle à la définition de la rue qui indique des comportements sociaux spécifiques. L’espace public se caractérise par la tension avec les corps qui s’y déplacent et par son rôle de représentation et d’expression9. Mais les caractéristiques sociales et économiques que nous avons observées plus avant nous suggèrent une autre approche de la rue que développe également Fraya Frehse : la rue et par extension l’espace public du centreville de São Paulo sont des lieux « d’inégalités sociales, de créativité, d’oscillation entre la maison et la rue, de résistance »10. La marginalisation et l’exclusion que subit le Centro ont fait émerger une occupation de l’espace public liée aux conditions de vie précaires. C’est par cela qu’il est possible d’observer une forme d’autonomie et de distance par rapport 9
FREHSE, Fraya, « A rua no Brasil em questão (etnográfica) », 2016, p.198
10
FREHSE, Fraya, « A rua no Brasil em questão (etnográfica) », 2016, p.198 51
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
aux politiques métropolitaines. L’augmentation du nombre de personnes en grande détresse sociale (sansabri, population pratiquant des emplois informels…) représente l’une des conséquences les plus marquantes de l’appauvrissement. Les modes de vie qui naissent de cette grande précarité ont développé dans le centre trois formes d’habiter propres au centre de la ville. La première d’entre elles illustre fidèlement l’écrasement qu’a réalisé le système bancaire lorsqu’il s’est développé dans le centre dans les années 1980. Les catégories sociales les plus pauvres n’ayant plus les moyens de s’offrir les logements du centre-ville ont été forcées de fabriquer un moyen de se loger. Les petites maisons et certains immeubles divisent alors en appartements ou sous-logements abritant plusieurs familles. Symboles de la paupérisation du centre, cette forme de logements est alors nommée Cortiços. Aujourd’hui encore la question des cortiços reste présente et questionne à son tour la dignité des personnes qui occupent le centre-ville. Par ces formes d’habiter, les densités pauvres se trouvent alors condensées, presque entassées. L’insalubrité qui en découle contribue à la dégradation de l’espace du centre et accentue le sentiment d’exclusion de ces populations. Dans cette forme d’habitation, les habitants se battent pour ne pas quitter cet espace central cherchant à fuir les favelas qui forment certaines périphéries de la ville. Alors que certains subissent la surdensité des cortiços, une autre forme d’habiter émerge dans le centre-ville, davantage tourné vers une appropriation violente de l’espace urbain du centre. Parfois aidées d’associations, des populations qui n’ont pas les ressources pour se loger légalement dans les logements du centre occupent les immeubles abandonnés pour développer leur propre organisation et leur propre gestion. Le squatte des immeubles du centre-ville prend une dimension singulière de par la gestion autonomisée de son organisation. Le documentaire « Era o Hotel Cambridge » réalisé par Elianne Caffé en 2016 illustre la lutte qui se joue dans l’appropriation des bâtiments du 52
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
centre. Souvent violente, cette forme d’occupation informelle questionne l’utilisation du parc immobilier du centre et se heurte fortement aux politiques de requalification. Cet affrontement parfois extrêmement passif entraîne des conséquences dramatiques pour une catégorie de population fortement fragilisée par la précarité et l’abandon. Au début du mois de mai 2018, un immeuble abandonné par le gouvernement de la ville et occupé illégalement s’est effondré après avoir pris feu, faisant quatre victimes au moins11. Cet événement a permis de remettre dans le débat la question de la dégradation du centre et du laissé pour compte de ces populations fragiles. Il existe une troisième forme d’occupation prenant place dans le centreville. L’une des situations les plus préoccupantes qui touchent le Centro se trouve dans le nombre significatif de sans-abri qui arpentent les rues de la ville. Ces populations qui n’ont nulle part où loger sont contraintes d’utiliser l’espace public pour survivre. Près de 16000 personnes sont considérées en tant que sans-abri et ce nombre ne fait qu’augmenter malgré les efforts constants des associations et organisations gouvernementales. Ces populations usent donc de la rue pour accomplir les tâches et besoins quotidiens qui incombent chacun d’entre nous. Il existe donc une sorte d’appropriation de l’espace public par ces personnes. L’exemple de Cracolandia dans le quartier de Luz reflète l’impact d’une telle situation sur les populations qui la subissent et sur l’espace urbain. Cette occupation de la part de populations utilisant les drogues et vivant dans la rue a constitué pour le quartier de Luz un environnement interne qui s’est détaché progressivement du reste du quartier. Au-delà de la difficulté de la situation vécue, l’utilisation des drogues par les populations sansabri pose une sérieuse question d’hygiène et de salubrité dans les rues. Les conditions de vie dans lesquels sont plongées ces personnes les excluent chaque jour un peu plus du reste de la société du fait de
11
JIMENEZ, Carla, « Prédio desaba após incêndio no centro de São Paulo”, El Pais, 2018 53
Partie 1 L’autonomie du centre entre richesses et Précarités : naissance d’un contexte urbain fragile
l’éloignement des codes sociaux en place. La perte de dignité et d’estime de soi se fait alors très présente et débouche sur une réponse davantage dévastatrice : l’utilisation de drogues. Il est créé une organisation urbaine unique dans Cracolandia. Entre les immeubles abandonnés et occupés et les baraquements de fortune qui jonchent la rue, cet espace urbain s’est constitué une organisation tournée autour de la prise de drogues. Ce phénomène de regroupement a eu pour effet de dévaloriser l’ensemble du quartier de Luz au point qu’il en devienne un lieu très craint pas la population de la ville. Récemment, le gouvernement de la ville a ordonné le démantèlement complet de l’espace de Cracolandia. En quelques heures le quartier fut complètement rasé. Quelque temps après cet événement, ces populations expulsées ont retrouvé un endroit pour se rassembler ; à quelques rues de l’ancien Cracolandia, la place Princesa Isabel a vu apparaître une organisation similaire à ce qui se produisait auparavant. La réponse à de telles situations ne peut passer par la simple élimination du problème puisqu’il ne fera qu’émerger ailleurs. La précarité qui touche le centre de São Paulo a donc fait émerger diverses formes d’appropriation de l’espace public. À mesure que cet espace a perdu de son intérêt pour le reste de la ville, les populations résidentes ont su prendre possession des lieux afin de développer un système correspondant à leur besoin et à leurs ressources. D’abord né dans les quartiers les plus populaires du centre, ces formes de commerces et d’habiter se sont répandues pour fabriquer un réseau conséquent à l’échelle du centre. Ses occupations urbaines font partie intégrante du mode de vie des paulistes et semblent avoir pris corps avec la culture populaire brésilienne et paulista qui fait vibrer le centre-ville. Au travers de cet environnement appauvri du centre-ville apparaît une forme de territorialité. Le territoire du centre-ville semble tisser un lien très fort avec l’organisation sociale qui le compose. C’est cette relation étroite qui structure le tissu du centre qui fabrique un enjeu complexe à la requalification du centre.
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55
PARTIE 2
POLITIQUES URBAINES OU CULTURE DU LIEU : DEUX APPROCHES POUR UN FUTUR DU CENTRE-VILLE DE SÃO PAULO
Depuis les années 1990, les pouvoirs publics de la ville de São Paulo ont lancé, pour son centre-ville, de grands plans stratégiques visant à résoudre les problèmes posés par un contexte urbain dégradé et précaire. Ce centre, longtemps laissé aux mains de ses occupants, semble être devenu un terrain charnière pour la politique urbaine de la ville. Rien d’étonnant à cela quand on voit les enjeux que cet espace urbain lance à l’une des plus puissantes villes du monde. La Mégapole, influente tant sur le plan économique que culturel, voit aujourd’hui dans son centre un potentiel fort à son développement : celui de « vitrine » du dynamisme et de la vitalité qui la caractérisent. Les pratiques et usages, allant de pair avec une ville d’une telle envergure, représentent l’opportunité d’affirmer la position centrale de São Paulo dans l’évolution d’une société mondialisée. Au fil des groupes et orientations politiques, qui se sont succédé à la tête de la ville, de nombreux programmes pour le centre ont vu le jour. Inspirés des actions internationales telles que celle de Barcelone, ou de Mexico12, ces plans emblématiques ont marqué le centre de São Paulo à la suite de sa désindustrialisation. Dans cette recherche de renouveau et de dynamisme, la culture n’a cessé d’être le fer-de-lance de plans à grande échelle, changeant le centre-ville en un lieu de découverte 12
BIDOU-ZACHARIASEN, Catherine, Retours en ville, des processus de « gentrification » urbaine aux politiques de « revitalisation » des centres, 1re édition, Paris, Descartes & cie, 2003, 267 p. 57
Partie 2 Politiques urbaines ou culture du lieu : deux approches pour un futur du centre-ville de São Paulo
touristique. Mais les clivages politiques qui touchent le pays ont bloqué un processus continu par lequel des mesures de requalifications sociales et économiques pouvaient être envisagées. Les confrontations avec un contexte sensible ont rendu les volontés capitalistes floues et brutales13, n’opérant finalement que des interventions ponctuelles et ne changeant que très peu le quotidien du Centro. La gestion institutionnelle de l’espace urbain n’a pourtant pas dit son dernier mot et ambitionne toujours de donner un sens nouveau au centre existant. Ces actions nous permettront d’entrevoir le point de vue technocratique de l’acte de requalification. En comprenant quels enjeux sont mis en avant pour produire ce « Centre Nouveau », il nous est possible de comprendre dans quel contexte s’insère la requalification du centre-ville.
A. PLACER
LE CENTRO AU CŒUR DU PROCESSUS DE MÉTROPOLISATION : L’ACTION POLITIQUE FACE À UN ESPACE URBAIN COMPLEXE. Édifices abandonnés, espace urbain dégradé et précarités exposées ; par rapport à d’autres quartiers dynamiques de la ville, le centre-ville ne bénéficie pas d’une image des plus radieuses. Et c’est bien cela que les divers gouvernements, qui se sont succédé depuis les années 1990, souhaitent changer avec un objectif identique : intégrer l’ex-place industrielle de la ville au centre de son élan de développement. Récemment, ce fut au tour de João Doria (PSDB), nouvellement élu à la préfecture de la ville, de proposer son plan d’action pour la requalification des quartiers du centreville. Nommé « Centro Novo » (Centre Nouveau), le projet a pour objectif de donner, comme son nom l’indique, un caractère nouveau au Centro ; faisant de ce dernier un lieu effervescent de cultures, offrant aux habitants
13
MONTENEGRO, Marina, « São Paulo. Les politiques de requalification et les différentes formes de résistance liées au travail et à l’habitation parmi les classes populaires dans le centre-ville » 58
Partie 2 Politiques urbaines ou culture du lieu : deux approches pour un futur du centre-ville de São Paulo
de São Paulo de nouveaux espaces de pratiques urbaines et réveillant le patrimoine jusqu’alors « endormi ». C’est l’architecte, urbaniste et ancien préfet de Curitiba, Jaime Lerner qui fut missionné pour apporter les premières propositions au projet. Le rapport qui fut présenté à la presse au mois d’août présente alors le centre comme un lieu de culture et d’événements.14 Économiquement, le centre de São Paulo n’a rien à envier à d’autres régions de la ville puisqu’il concentre 17 %15 des emplois et une grande quantité de bureaux et sièges sociaux d’entreprises. Néanmoins d’autres points représentent des problématiques plus pressantes. Bien qu’il soit fortement fréquenté grâce à son activité économique, il ne représente que 4 %16 des 20 millions d’habitants de la ville. Avec cette proposition de projet, l’argument est clairement lancé : le centre-ville de São Paulo est un lieu de spectacle reflétant la grandeur de la ville aux yeux du monde entier. Par cela, un seul objectif est alors annoncé : attirer de potentiels investisseurs, locaux comme étrangers, pour mettre en œuvre la grande réforme du centre. En partant d’une pensée politique, parfois peu durable dans le temps, la ville et ses usages tendent à se transformer pour finalement transformer ses occupants et ses habitants. Il convient de ne pas regarder ce programme simplement d’un point de vue politique, mais bien de comprendre comment ces actions transforment le centre de la ville d’un point de vue urbain, architectural, mais aussi social, financier, et économique.
14
SETO, G., « Doria anuncia projeto para o centro de SP e muda prazo durante entrevista », Folha de São Paulo, 26/09/2018 15
NOGUEIRA FILHO, D. NEGREIROS, R. IZUMI W., M., “Município de São Paulo e o mercado do Trabalho” 16
Préfecture de São Paulo, « Dados demográficos dos distritos pertencentes às Prefeituras Regionais » 59
3. CIRCULAR CENTRO CIRCUITO DE SERVIÇOS, CULTURA E TURISMO
[29]
SESC BOM RETIRO LICEU CORAÇÃO DE JESUS
E.E. PRUDENTE DE MORAES
ESTAÇÃO JÚLIO PRESTES
PALÁCIO CAMPOS ELÍSEOS
Principais equipamentos públicos e p (Source: Présentation Centro Novo - Jaime Lerner Arquitetos)
PINACOTECA DO ESTADO CASA PAULISTA
SENAI INFORMÁTICA
ESTAÇÃO DA LUZ
ETEC
MINISTÉRIO DA FAZENDA
POUPATEMPO LUZ LARGO S. CECÍLIA
A. PAULISTA DE LETRAS MERCADO MUNICIPAL MOSTEIRO DE SÃO BENTO SESC 24 DE MAIO
SECRETARIA DE EDUCAÇÃO
TEATRO MUNICIPAL
ED. ITÁLIA
E.E. SÃO PAULO
CASA DAS RETORTAS
PÁTIO DO COLÉGIO SECRETARIA DE JUSTIÇA
SECRETARIA DE GOVERNO
ARQUIVO HISTÓRICO CASA DA SOLIDARIEDADE
IGREJA DE SÃO FRANCISCO CÂMARA MUNICIPAL
FAROL SANTANDER
BOVESPA
PREFEITURA
BIBLIOTECA M. DE ANDRADE
MARTINELLI
PRAÇA DAS ARTES
COPAN IGREJA DA CONSOLAÇÃO
MUSEU CATAVENTO
CORREIOS
Le programme propose de rejoindre les points d’intérêts du Centro par un transport doux. Une sorte de PRAÇA DAS ARTES tramway rendant accessibles les équipements culturels et touristiques les uns par rapport aux autres
CATEDRAL DA SÉ
FORUM HELY L. MEIRELLES
POUPATEMPO SÉ BOMBEIROS
FORUM DR. JOÃO MENDES
TRIBUNAL DE JUSTIÇA
‘FAROL SANTANDER’’
3. CIRCULAR CENTRO CIRCUITO DE EVENTOS AO AR LIVRE PRAÇA JULIO PRESTES
[30] FEIRAS NOTURNAS / GASTRONOMIA Présentation (Source: CINEMA AO AR LIVRE Centro Novo - Jaime Arquitetos) Lerner MUSICA / TEATRO
PARQUE JARDIM DA LUZ
PRAÇA PRINCESA ISABEL
ARTESANATO / PULGAS / SEBO GAMES VIRADAS CULTURAIS E ESPORTIVAS
LARGO SANTA CECÍLIA
IOGA NO PARQUE
LARGO PAISANDU
MERCADO MUNICIPAL ANHANGABAÚ PARQUE DOM PEDRO II
LARGO DO AROUCHE PRAÇA DA REPÚBLICA PRAÇA ROOSEVELT
MÚSICA NAS PRAÇAS PRAÇA DOM JOSÉ GASPAR PRAÇA DA SÉ
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2. PORTAIS DE SÃO PAULO ENTORNO DA ESTAÇÃO DA LUZ
JARDIM DA LUZ ESTAÇÃO DA LUZ
METRO LUZ
‘TORRE DA LUZ’
ILUSTRATIVO
[31] (Source: Présentation Centro Novo - Jaime Lerner Arquitetos)
Faire du Centro un lieu de spectacle, visible de loin. C’est en tout cas ce que vise les projets de structuration des stations multimodales du quartier Le projet Centro Novo ambitionne de requalifier l’espace public en donnant la priorité à des modes de transports doux. La viabilisation d’une telle proposition se doit de répondre au flux quotidien de voitures qui traverse le Centro. (Source: Présentation Centro Novo - Jaime Lerner Arquitetos)
[32]
61
Partie 2 Politiques urbaines ou culture du lieu : deux approches pour un futur du centre-ville de São Paulo
a. Vers une nouvelle image du centre-ville par l’action politique
et par le projet « Centro Novo » Bien que le projet « Centro Novo » apparaisse comme un projet novateur et sans précédent, il n’est en fait que la continuité de plans lancés par le passé tel que Viva o Centro, Nova Luz ou bien encore Luz Cultural17. Le caractère récent et le manque de précision sur des points financiers et organisationnels nous contraignent à ne porter qu’un jugement théorique sur le projet « Centro Novo ». Il est néanmoins possible d’observer les effets physiques des actions précédentes pour envisager une autre compréhension des volontés du projet. En concentrant ses axes d’actions autour de cinq grands volets — Boulevards Centraux, Portails de São Paulo, Circular Centro, Pôles de l’économie créative et Acuponctures Urbaines18 — le projet « Centro Novo », commandité par le SECOVI-SP19, donne deux enjeux majeurs à la requalification du centre de la ville. Le premier questionne les nouvelles manières de pratiquer l’urbain en profitant des « trésors »20 patrimoniaux tandis que le second questionne la mobilité dans le centre-ville ainsi que le place des réseaux de transports. Ces deux enjeux induisent une transformation physique du contexte urbain, que ce soit par la valorisation du patrimoine existant, mais aussi en proposant de nouvelles infrastructures éphémères ou permanentes, sortes d’ancrages d’une volonté politique. Le centre-ville de São Paulo regorge de témoins du passé riche de la ville. Le développement brutal a laissé de nombreuses couches de 17
MONTENEGRO, Marina, « São Paulo. Les politiques de requalification et les différentes formes de résistance liées au travail et à l’habitation parmi les classes populaires dans le centre-ville » 18
LERNER, Jaime, « Centro Novo: uma visão para o Centro de São Paulo », Arquitetos associados, 26.09.2017 19
Syndicat du secteur immobilier privé à São Paulo
20
LERNER, Jaime, « Centro Novo: uma visão para o Centro de São Paulo », Arquitetos associados, 26.09.2017 62
Partie 2 Politiques urbaines ou culture du lieu : deux approches pour un futur du centre-ville de São Paulo
lectures qui forgent toute la richesse de ses rues. Requalifier ce lieu en redonnant vie à ces vestiges éteints paraît être indispensable pour inscrire le centre dans le processus de métropolisation. Pour cela, les « trésors » que nomme Jaime Lerner dans la présentation du projet prennent une place prépondérante dans le renouveau du quartier. Nombreux sont les exemples de réhabilitation de bâtiment du centre de la ville et pourtant les fonctions qui leur ont été affectées ont toute en commun d’être liée de près ou de loin aux pratiques artistiques et culturelles. En outre, le projet « Centro Novo » appui sa politique de requalification sur l’identité culturelle et artistique du Centro. On pourrait alors penser que préservation du patrimoine historique de la ville s’inscrit dans une dynamique de continuité culturelle et identitaire ; le moyen de montrer son attachement à ce que l’histoire a laissé dans la ville. Même si c’est l’argument avancé par les acteurs du projet, il est intéressant de comprendre dans quel contexte ce processus de patrimonialisation prend place. Nous pourrions, pour cela, prendre l’exemple de l’Edificio Altino Arantes, construit en 1947 pour accueillir le siège social de la banque Banespa21, à l’époque en pleine expansion économique. Symbole de la vitalité du secteur bancaire de l’époque, le bâtiment aux allures d’Empire State Building représente pour le centreville de São Paulo un phare et un repère de par sa grande hauteur. Ce bâtiment est localisé à deux pas du fameux Edificio Martinelli, dans l’une des polarités économiques que nous décrivions dans la première partie de la recherche. Durant de nombreuses années, après que le secteur bancaire ait quitté les lieux, le bâtiment est resté partiellement inoccupé bien qu’il restât la propriété de la Banespa. Au début des années 2000, la banque locale est rachetée par le groupe Banco Santander, l’un des leaders du marché bancaire brésilien. Le monopole de ce bâtiment est donc resté pour le secteur privé bancaire, figurant néanmoins parmi les
21
Banco do Estado de São Paulo qui devint Banco Santander suite à des rachats multiples 63
Ces extraits de la programmation du Farol Santander nous montre quels sont les sujets abordés et par voie de conséquence , le public visé (Source: farolsantander.com.br)
[33]
La Farol Santander s’élève le plus haut dans la skyline de la ville. Juste à côté l’Edificio Martinelli et les autres géants forme les parois rocheuses entre lesquelles on se faufile. (Source: Photographie personnelle)
[34] 64
Partie 2 Politiques urbaines ou culture du lieu : deux approches pour un futur du centre-ville de São Paulo
édifices patrimoniaux du centre-ville. Il y a quelques années de cela, voyant que leur activité bancaire n’aurait que faire d’un tel équipement, le groupe propriétaire a choisi de valoriser son architecture y faisant entrer un programme culturel et artistique. Utilisant l’image du phare de la ville, le projet « Farol Santander » propose ainsi salles d’expositions, musée historique, espaces événementiels divers et panorama privilégié sur la ville. Le programme que propose le « Farol Santander » semble s’adresser une cible bien définie : par le développement du tourisme d’affaires, c’est l’investisseur privé qui est ici visé. Proposer, dans un même lieu, des espaces de conférences et des espaces de loisirs touristiques constitue en effet le moyen de s’adresser à une cible en quête de savoir intellectuel lié à une activité professionnelle tout en profitant d’un point de vue unique sur le centre-ville et son histoire. La programmation donnée par le site du Farol vient bien étayer ce propos puisque les conférences et « talks » donné sont clairement tournés vers des thématiques complexes liées au travail ou destinées à des catégories sociales instruites. Cette initiative, loin d’être isolée dans le centre-ville, montre alors la vision du centre-ville, portée par les acteurs privés. Elle montre également le rôle que ce secteur privé joue dans le processus de requalification. En effet, le projet « Farol Santander » est nommé par le projet « Centro Novo » comme initiant une part de la patrimonialisation du centre-ville22. Les intérêts et attentions sont donc susceptibles d’être principalement économique, financières et politiques, faisant basculer le Centro dans un statut de marchandise patrimoniale, terrain d’investissement et de dynamisme capitaliste. Dans la politique du « Centro Novo », le centre-ville est donc un espace aux multiples richesses architecturales et c’est de ce potentiel que doit naître un élan de requalification. Il semble néanmoins pertinent d’observer les initiatives nouvelles pour comprendre l’impact urbain d’une telle programmation. À ce sujet, deux projets retiennent toute l’attention de par leur caractère unique et leur approche innovante de l’espace public et de l’architecture
22
LERNER, Jaime, « Centro Novo: uma visão para o Centro de São Paulo », p.8 65
Partie 2 Politiques urbaines ou culture du lieu : deux approches pour un futur du centre-ville de São Paulo
du centre-ville. Le premier est construit dans les années 1980 au bout de la fameuse Avenida Paulista. Construit par les architectes Eurico Prado Lopez et Luis Telles, le Centro Cultural São Paulo illustre bien les initiatives de requalification qu’a subie le centre au cours de ces quarante dernières années. Positionner au bout de l’Avenida Paulista, le projet questionne la notion première d’espace public ainsi que son rôle dans le développement d’une activité urbaine. En effet, le bâtiment est réparti autour d’une « rue » centrale marquant toute sa longueur et se connecte aux rues alentour par le biais de passages couverts légèrement pentus. Le projet est donc en continuité avec l’espace public et devient alors le prolongement de la rue Vergueiro et des sorties de métro qui le cerne. Ses fonctions à dominantes culturelles se déploient dans l’espace public sous forme de « places internes ». Une partie couverte, plus large et close propose des salles d’exposition, des salles de travail et une bibliothèque dont les spatialités traditionnelles de ce type de programme sont chamboulées. Ce bâtiment se veut un lieu d’expression ouverte et de circulation libre. Chacun et chacune est en droit de pratiquer la danse, le théâtre, d’étudier ou encore de prendre un café. Dans la théorie cet espace fait donc réellement partie du paysage urbain de la ville, proposant même une sorte d’élargissement du rôle de l’espace urbain dans les pratiques de la ville. Cependant, certains éléments nous indiquent les limites de la démarche adoptée par les architectes. Que ce soit les vigiles qui bordent les entrées afin de ne pas laisser passer certaines populations « indésirables », le nombre certain de barrières physiques ou mentales qui sont placées pour accéder aux fonctions du bâtiment ou bien le type de population qui fréquente ce lieu, le modèle théorique d’un tel édifice trouve ses limites dans son application pratique qui est directement liée au contexte socio-économique du centre. Les personnes qui usent de ce bâtiment répondent implicitement à certains critères sociaux pour prétendre à l’utilisation des équipements proposés. Ces critères d’accès sont directement en lien avec l’appartenance à certains groupes sociaux ou
66
En coupe, le projet montre son lien avec la rue et l’espace public (Source: Pinterest)
[35]
Le Centro Cultural São Paulo se positionne de manière singulière dans l’environnement urbain du Centro (Source: Carlos Rennó)
[36] 67
Partie 2 Politiques urbaines ou culture du lieu : deux approches pour un futur du centre-ville de São Paulo
catégories sociales : des populations éduquées, diplômées appartenant aux classes moyennes qui ont les moyens de s’offrir des activités telles que la danse, le théâtre. Bien que certains programmes permettent l’entrée de population plus populaire, nous comprenons ici qu’un principe architectural théorique, marquant fortement la politique de requalification du centre-ville, trouve une certaine limite dans les ségrégations sociales et spatiales qui existent dans l’espace urbain central. La notion de partage des cultures au sein d’un espace semi-public est alors mise à mal par une forme de catégorisation, ne faisant que cliver, un peu plus, les populations du Centro. Cette observation ne se veut pas une critique de l’initiative, mais tente bien de révéler comment une ambition de redéfinir le cadre urbain d’un espace se heurte à son contexte lorsque ce dernier n’est pas bien pris en compte. Un autre projet du centre-ville de São Paulo présente des caractéristiques similaires qui interrogent également sur la relation entre espace public et appartenance territoriale. Dans le tissu extrêmement resserré du Largo do Paissandu, la Praça Das Artes se situe à mi-chemin entre la récupération d’un espace existant et la construction neuve d’un équipement culturel. Le projet, commandé par la municipalité de São Paulo en 2012, se développe à la place de l’ancien Conservatoire de la ville pour proposer des programmes artistiques et culturels multiples ainsi qu’une configuration urbaine en lien avec la forte fréquentation de cette partie de la ville et des publics multiples qui la compose. Diverses fonctions composent le bâtiment bien qu’elles soient toutes dirigées vers la thématique des arts et de la culture. Ce projet investit un espace significatif de la ville cernée par le Largo do Paissandu, la Teatro Municipal, la Praça da Republica et la Vale do Anhangabau. L’explosion bancaire des années 1950 et les grands plans d’aménagements urbains du XXe siècle ont fait de cet espace un marqueur social fort et un lieu d’expression de multiples cultures. La précarité du centre s’illustre largement dans les rues qui bordent ces lieux et les contrastes socio-économiques émergent fortement entre les
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Partie 2 Politiques urbaines ou culture du lieu : deux approches pour un futur du centre-ville de São Paulo
habitants dans rues qui squattent les édifices abandonnés et les espaces en vogue accueillant les catégories les plus aisées de la ville à l’instar du Bar Brahma. Construire dans ce lieu chargé de conflits sociaux et d’histoire représente alors un défi pour les architectes de l’agence Brasil Arquitetura qui travailla sur le projet. Et bien que le projet soit une franche réussite sur le plan spatial et sur l’insertion urbaine, son insertion sociale et sa pertinence à l’échelle d’un tel quartier posent des questions d’appartenance spatiales. Produire un bâtiment présentant une esthétique nouvelle et complexe contraste fortement avec les besoins d’un tel espace. La chute du bâtiment du Largo do Paissandu ne fait que remettre sur le devant de la scène l’aspect tombant du centre-ville et remettant en question la pertinence de la création d’architecture « image » ainsi que la pertinence d’un tel programme. Construire un édifice emblématique à la fonction culturelle en face de populations qui tentent de survivre dans des bâtiments abandonnés par l’état et dans état avancé de délabrement ne fait que révéler la hiérarchie instaurée dans les priorités qui incombent à la ville. Avec ces opérations de requalification, les acteurs institutionnels et privés cherchent à donner au centre-ville une fonction nouvelle qui engloberait l’ensemble du paysage urbain. Dans cette démarche, culture et requalification semblent aller de pair. L’un servant d’outil à l’autre. En effet, bien que les secteurs économiques et financiers soient bien installés dans le centre-ville, ils ne sont pas parvenus à donner le dynamisme tant souhaité par la ville. La culture représente alors ce pont entre le domicile et le travail et n’a pour objectif que de faire rester la population en dehors de ses heures de travail. Dernières ses initiatives de requalification des infrastructures urbaines se dissimulent la question de l’économie créative, élément important dans le discours du projet « Centro Novo ». Tel qu’elle
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[37] (Source: ArchDaily)
Depuis la rua Conselheiro Crispiniano, la Praça Das Artes révèle le pèle de cultures et d’histoire qui caractérise le Centro
[38] (Source: ArchDaily)
En coupe, le projet fait bien la continuité avec l’espace public. C’est du moins ce que l’on ressent physiquement, à défaut d’y voir une insertion pertinente du point de vue du contexte social
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Autour du bâtiment le contexte social et urbain du centre semble aller en contraste avec l’équipement culturel, que les béton brut aux teintes de pierre accueille (Source: Photographie personnelle)
[39]
Le bâtiment semble s’immiscer dans un tissu urbain resserré et tortueux (Source: ArchDaily)
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Partie 2 Politiques urbaines ou culture du lieu : deux approches pour un futur du centre-ville de São Paulo
est présentée dans le rapport d’août 201623, la notion d’économie créative se fait le fer-de-lance d’une politique de renouveau urbain. En installant aux quatre coins du centre-ville des « pôles » aux fonctions diverses, l’économie créative tente de tisser une maille à grande échelle où les quartiers du centre seraient affublés d’une spécificité. Ce principe de zoning des « fonctions » créatives de la ville s’inscrit de plus dans une multiplicité de domaines. Mettre en place une telle synergie de cultures a pour but rendre le centre-ville attractif aux yeux des touristes, nationaux et internationaux, mais aussi aux yeux des investisseurs qui feront du centreville une place d’importance pour la ville. Car il est clair que la notion de culture que tente d’insuffler le projet « Centro Novo » n’est appropriable que par une catégorie sociale capable de recevoir et de profiter de ces usages. Restaurants, bars, cinéma ou bien encore théâtre sont des espaces qui peuvent être facteur de ségrégation. Dans un contexte tel que celui du centre-ville de São Paulo, ce type d’initiative ne fera qu’agrandir l’écart entre les occupants. À force de répandre un mode de vie nouveau, les populations les plus vulnérables, ayant façonné le centre d’aujourd’hui, n’auront d’autres choix que de quitter les lieux et s’installer en périphérie où les possibilités de logements correspondent à leur niveau de vie. Lancer une telle démarche revient à mettre en place l’embourgeoisement du secteur central de la ville. Il convient ainsi de se poser la question du type de pratique que pourraient influer le projet « Centro Novo » en s’intéressant à la question des Tiers Lieux qui semble être en filigrane des propositions du projet.
23
LERNER, Jaime, « Centro Novo: uma visão para o Centro de São Paulo », Arquitetos associados, 26.09.2017 72
Partie 2 Politiques urbaines ou culture du lieu : deux approches pour un futur du centre-ville de São Paulo
b. Concepts théoriques et contexte d’application : le heurt
symbole d’incompréhension en politique et société La requalification du centre-ville de São Paulo passe donc par la récupération de son espace urbain par les politiques et les acteurs privés. Investir, soit en incluant de nouveaux usages dans l’existant, soit en construisant des édifices à la hauteur des ambitions affichées, représente le moyen de prendre de nouveau la main sur un territoire à l’abandon. Les nouvelles pratiques urbaines encouragées représentent une forme d’embourgeoisement de la population du centre. En effet, ces programmes s’adressent à des catégories sociales aux ressources économiques et intellectuelles supérieures à la majorité des habitants actuels du centre. Cette politique que mène le gouvernement vise donc à faire revenir ces catégories sociales dans le centre. Dans un contexte précaire, l’idée pourrait paraître intéressante : faire émerger une mixité sociale pour permettre le développement économique de la zone et rétablir un équilibre positif. Seulement la politique que prévoit le projet « Centro Novo » semble être fortement polarisée autour du développement économique privatisé du centre-ville. Les catégories sociales les plus démunies, ceux qui vivent dans la rue et subissent l’insalubrité de l’espace urbain, sont vues comme des nuisances et des barrières aux grandes ambitions politiques. La politique menée par le gouvernement de la ville s’oppose donc brutalement à tout ce qui fait l’identité du centre. Qu’ils soient mélioratifs ou péjoratifs, les éléments qui composent le centre et qui n’appartiennent pas à l’image souhaitée pour le centre. La confrontation qui se joue entre les politiques institutionnelles et les luttes sociales font émerger tout l’écart qui existe entre la gestion urbaine publique et la population brésilienne. C’est en réalité un véritable rapport de force où ceux qui n’ont pas les moyens financiers d’imposer leurs idées ne font pas le poids face aux partenariats privés-publics. Ainsi naissent des confrontations brutales, parfois tragiques. On pourrait citer l’exemple de Cracolândia, zone de consommation de drogue et symbole des conditions précaires et dangereuses de ce centre. En 2016, une intervention policière musclée eut lieu afin de démanteler 73
Partie 2 Politiques urbaines ou culture du lieu : deux approches pour un futur du centre-ville de São Paulo
cette zone devenue une zone de « non-droit », insalubre et dangereuse. L’événement eut un réel retentissement à travers le pays, replaçant la question des drogues au centre de l’attention. Cet espace de la ville proche de l’Estação Julio Prestes avait changé de visage après l’occupation des rues par les usagers de crack. Installations de fortune et squattes de bâtiments alors abandonnés par la population, formaient un nouveau tissu urbain où circulaient les drogues, les gangs. Il est évident que ce lieu posait un problème de santé publique et qu’une solution devait être trouvée afin de permettre le rétablissement à la fois de l’équilibre urbain, mais aussi de l’équilibre social. Pendant plusieurs années des groupes, aidés de l’état, sont venus en aide à ces dépendants, organisant des lieux d’accès au soin, des espaces de services et d’écoute. Néanmoins le problème semblait plus profond et la zone n’a jamais retrouvé son équilibre. L’intervention menée par la police militaire en mai 2016 a donc signé le glas de Cracolândia, et ce de manière brutale. Un an après les multiples expulsions et les heurts violents qui ont caractérisé l’intervention policière, le constat à propos de Cracolândia reste le même, simplement déplacé à quelques rues de son lieu d’origine. Au travers de cet événement, il est possible d’entrevoir les résultats d’une politique modifiant radicalement l’organisation d’un espace urbain. Ce système social qui s’est installé dans le centre-ville de São Paulo ainsi que les transformations urbaines qu’il a indiquées ne peuvent trouver une réponse dans l’éradication violente. Bien que ces éléments de précarité ne soient pas inclus dans la politique institutionnelle de requalification, ils comptent néanmoins pour beaucoup dans le bon déroulement de cette dernière. Les politiques de requalification du centre semblent ne tenir compte que du développement économique de la ville et cela se traduit par une volonté de rendre la ville « séduisante » aux yeux de ceux qui pourraient investir dans son développement. Le propos que porte cette gestion urbaine est donc clairement à l’attention d’investissement privé appartenant à une certaine élite de la société. Cependant, il semble impossible d’occulter
74
[41] (Source: paraentender.com.br)
Le quartier informel de Cracolândia a tissé son réseau à l’intérieur de l’espace public du Centro. La rue et les bâtiments qui la cerne sont entièrement orientés vers l’utilisation des drogues et leur vente.
La réponse politique à cette problématique est essentiellement violente et répressive. L’accompagnement n’est que patiel et insuffisant (Source: Impression d’écran issu d’un documentaire vidéo. www.youtube.com)
[42]
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le fait que le contexte urbain du centre-ville de São Paulo, tel qu’il existe aujourd’hui, ne correspond pas à ce modèle que le gouvernement semble vouloir produire. Ses actions viennent donc buter contre cette organisation spatiale et sociale. Le fonctionnement du centre-ville et l’équilibre qu’il a su trouver, à mesure des grandes étapes historiques le constituant, représentent néanmoins une fertile, bien que fragiles, basse à un développement social et urbain futur. C’est en partant de ce qui existe, pour produire de nouvelles formes urbaines, que l’on peut réellement parler de requalification. Le centre-ville de São Paulo, tel que nous l’avons approché précédemment, se caractérise par des activités culturelles, festives et sociales diverses qui en font un lieu d’expression et de revendication marquant. Les secteurs économiques qui se sont développés du fait d’un laissé pour compte politique en font aujourd’hui un lieu très fréquenté et possédant une certaine attractivité à l’échelle de la ville, du pays et même du monde. En devenant progressivement l’endroit de la libre expression et de la représentation, le centre-ville de São Paulo a permis l’installation d’une grande diversité de groupes sociaux et donc la naissance de cultures urbaines fortement liées à l’image qu’il renvoie. Certains d’entre eux — pour ne pas dire la plupart — portent des idéologies liées aux contextes sociaux, économiques et urbains qui visent à questionner ces environnements pour apporter un changement du centre-ville. Que ce soit en passant par des évènements festifs ou par une lutte directement politique, ces groupes donnent à voir de quelle manière le centre-ville peut se renouveler par lui-même, pas ses racines.
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Une carte postale, la Cathédrale de Sé se présente aux touristes comme le patrimoine originel de la ville (Source: Expedia.com)
[43]
En réalité, la Cathédrale de Sé et sa place son le théâtre de la misère qui touche le centreville. Les populations occupants les rues se sont approprié cet espace, développant une organisation singulière (Source: Jornal do Brasil)
[44] 77
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B. LA CULTURE URBAINE ALTERNATIVE : UNE AUTRE PISTE À
LA REQUALIFICATION DU CENTRE-VILLE ?
L’expression d’une culture populaire brésilienne est, nous l’avons vu précédemment, fortement représentée à São Paulo. Ses phénomènes d’apparition ont, par ailleurs, trouvé un sens tout particulier dans son centre-ville. En se conjuguant avec un environnement social et économique fragile, la culture populaire du pays semble s’être transformée. Imprégnée d’influences internationales et de traditions revisitées, le Centro est devenu le lieu d’expression des catégories sociales marginalisées par les politiques en place. Autour de ce contexte, une organisation sociale s’est mise en place, montrant le centre-ville de São Paulo comme un espace autonome et d’une certaine façon, détaché des politiques de métropolisation. C’est de cette énergie populaire que de nouvelles formes d’occupation spatiales sont apparues dans le centre. Leurs champs d’action sont très variés ; certaines sont des mouvements artistiques et politiques qui défende une vision spécifique du centre-ville et de ses usages tandis que d’autres sont des associations, d’autres sont des collectifs, occupant l’espace urbain central pour produire des évènements culturels et artistiques. Opérant majoritairement dans le milieu de la nuit et de la fête, ces groupements d’artistes et d’intellectuels apportent une image différente sur le centreville. En effet, c’est en se nourrissant du contexte dans lequel ils évoluent que leurs actions prennent forme. De ce fait, l’impact sur l’espace urbain et son image en sont modifiés. Les retombées sur l’espace urbain ne sont alors pas de l’ordre de la requalification, mais de la revitalisation, marquant ainsi une rupture avec les visions institutionnelles de la ville. Ce terme de revitalisation prend ici tout sens puisqu’il valorise la vie existante au lieu de cherche à qualifier le centre d’une autre image. En observant la manière dont ces groupements et collectifs s’enrichissent du centre-ville, il nous est possible de comprendre la façon qu’ont leurs actions d’être revitalisantes.
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a. La culture populaire brésilienne comme base à la revitalisation :
l’exemple du mouvement Mamba Negra En 2013, le groupement Mamba Negra voit le jour grâce au travail de deux jeunes Brésiliennes Laura Diaz (Angela Carneosso) et Carol Schutzer (Cashu). Les deux artistes officient toutes deux à São Paulo en tant que musiciennes et décident alors de fonder ce mouvement dans le but de faire se connecter les évènements culturels festifs avec un message politique et un engagement social fort. Produisant des œuvres artistiques hétéroclites et souvent brutales, la Mamba Negra et ses évènements se définissent comme « plus que de simples fêtes ; elles sont aussi des guérillas tactiques, des occupations d’espaces controversés qui mettent en lumière les inégalités urbaines et la politique factieuse ». L’engagement que porte le mouvement va bien au-delà de la pure dimension politique ou urbaine. C’est en brandissant haut et fort le drapeau de la Mamba Negra que s’érige un message, une sorte d’identité commune, porteuse de valeurs morales et sociales. Les deux femmes, ainsi que les nombreux artistes, musiciens ou techniciens qui les accompagnent, sont profondément ancrées dans la culture artistique de la ville et du pays. C’est de cet univers liant arts et revendications sociales que le forge l’essence de la Mamba Negra. La notoriété naissante et l’élan social qu’a su suscité un tel mouvement ont permis une forme de légitimité au regard des institutions en charge de la ville. Depuis quelques années, la Mamba anime les soirées paulista du Centro et réveille les foules. Il semble alors important de comprendre comment ses inspirations dont il se nourrit, et le regard qu’il porte sur l’environnement urbain du centre placent le mouvement comme un acteur de revitalisation. Afin de s’immiscer dans le contexte du centre-ville, la Mamba Negra se fait polymorphe afin de délivrer un message en lien avec les enjeux de l’espace urbain. La première intervention urbaine qui a fait connaître le groupement illustre une musique de Teto Preto, «Gasolina». Le groupe, produisant de la musique Techno sombre et percutante, est composé de 79
[45]
(Source: Clip Vidéo «Gasolina» Teto Preto)
La performance artistique est au coeur de l’action de la Mamba Negra et des groupes qu’elle produit. La confrontation à l’espace urbain et à son identité s’exprime par une vision obscure et une atmosphère sombre
[46] Le Mamba Noir est l’un des serpents les plus dangereux et agressifs du monde. Le nom du mouvement Mamba Negra est donc lui aussi tout aussi brutal
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quatre artistes, L_cio, Zopelar, Bica et Angela Carneosso, la fondatrice du collectif Mamba Negra. Au cours de cette vidéo, on y voit un homme, torse nu, faisant flotter l’étendard du groupe et aux nez de policiers de la Policia Militar et arpentant des lieux singuliers du centre, à l’image de la fameuse Avenida Paulista. La vidéo nous apprend une quantité importante d’éléments qui donnent une définition quasiment complète du message porté par la Mamba Negra. Il faut tout d’abord écouter la musique et les paroles qui sont chantées par Angela. La chanson nous compte, dans un poème subtil, une sorte d’univers naturel inquiétant et mystique. Avec ses percussions, comme tribales, ainsi que ses rythmes électroniques suffocants, la musique semble nous plonger dans les légendes amazoniennes. Les paroles sont pour le moins étonnantes lorsque l’on voit le lieu où se produit la vidéo. L’homme n’est autre que Loic Koutana, un artiste danseur français installé au Brésil depuis plusieurs années. Dans le clip, on le voit déambuler dans la ville en passant de lieux extrêmement reconnaissables, l’Avenida Paulista par exemple, mais aussi dans des lieux sombres et à l’apparence délabrée. La performance artiste de propose Loic Koutana pour cette vidéo nous plonge encore davantage dans la noirceur de la musique, il nous plonge dans ce que le centreville a de plus inquiétant. Dans ce contexte urbain central, dégradé et touché par des problèmes socio-économiques forts, l’action de la Mamba Negra vient en opposition parfois brutale avec les politiques menées. Issu des rues de São Paulo, c’est toute l’identité du centre-ville qui ressurgit au cœur des évènements technos, extravagante et haute en couleur. À regarder les quelques vidéos montrant les événements de la Mamba, on comprend toute la brutalité de l’action menée. La Mamba a quelque chose de sombre et d’obscur, un cri étrange venu tout droit de ce centre-ville en décomposition où la criminalité et la misère occupent les rues. Il y a dans l’identité du centre-ville, ainsi que dans son histoire, un aspect qui sert de base à une telle revendication sociale et politique. Le quartier de Consolação a depuis longtemps été le théâtre de mouvements étudiants
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et marginaux importants pour la construction intellectuelle du Centro. Le quartier, autrefois majoritairement fréquenté par les communautés LGBTQ et connu pour ses universités, a installé une élite intellectuelle dans ce centre-ville dégradé. Depuis des évènements tragiques comme la Batalha da Maria Antonia24, le centre-ville a acquis un statut important pour ce qui est des revendications sociales et politiques. D’autre part, ces mouvements de revendications sont clairement ancrés dans les démarches artistiques qui naissent dans le Centro, représenté par des personnages emblématiques du milieu. Le deuxième morceau, « Ja Deu Pra Sentir », du groupe Teto Preto n’est autre qu’une interprétation musicale du lyriciste Itamar Assumpção, membre du collectif artistique Vanguarda Paulistana. Ce mouvement, né dans les années 1980, est fondé par des journalistes et des critiques musicaux et produit et encourage le développement de la musique brésilienne dans la ville de São Paulo25. Le centre-ville et plus largement l’espace urbain de São Paulo constituent une source intarissable d’inspiration et de création. Nous avons tous une idée plus ou moins précise de ce qui caractérise la musique brésilienne. Percussions et rythmes entraînants aux accents de samba font danser, à travers le monde, des millions de personnes. Bien que le pays soit fortement influencé par les cultures qui l’ont traversé, les musiques brésiliennes ont installé une identité forte qui fait la fierté des Brésiliens. Cette identité musicale tient une place particulière dans le travail des artistes fondatrices du mouvement Mamba Negra. Laura Diaz, qui incarne Angela Carneosso, accorde une importance particulière aux inspirations jazz et aux rythmes de samba26. La culture musicale brésilienne sert alors de base à des créations musicales
24
HEBMULLER, Paulo, “O endereço da agitação estudantil”, Jornal da USP ano XXIII n.833, Disponible sur : < http://www.usp.br/jorusp/arquivo/2008/jusp833/pag12.htm (consulté le 22 février 2018) 25
BRAZILIENSE C., BRAZILIENSE C. « Vanguarda Paulista: um movimento que marcou a cultura do Brasil ». In : Correio Braziliense [En ligne], 2015 26
CIDADE T. « Entrevista | Angela Carneosso: devolvendo à paisagem os vômitos da experiência ». In : NOIZE, [En ligne], 2017 82
Les fêtes de la Mamba sont animées par une multiplicité d’événements. Des costumes aux expériences musicales hors normes, une nuit avec la Mamba est un voyage dans les nuits paulista (Source: Page Facebook Mamba Negra)
[47] [48] (Source: Page Facebook Mamba Negra)
Sur cette photographie, Angela Carneosso accompagne le DJ en place avec un Agbê, instrument traditionnel du Maracatu, né dans le Nord du Brésil.
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ou artistiques nouvelles, toujours en lien avec le message que porte le mouvement. Dans les shows de la Mamba Negra, la musicalité brésilienne semble omniprésente. Les performances, qui accompagnent celle du dj, sont un mélange étrange de danses et mouvements traditionnels et de vibrations aléatoires, presque épileptiques. Encore une fois, les fêtes de la Mamba Negra réutilisent les artéfacts plus ou moins connus pour nourrir l’expérience. Il est, par exemple, remarquable de voir la réutilisation d’un instrument traditionnel du Maracatu au beau milieu d’une performance Techno industrielle. Il est néanmoins important d’observer le rôle du spectateur dans la démarche proposée par la Mamba Negra. La production artistique de la Mamba Negra n’est pas orientée vers le profit et la vente de ces œuvres. Les performances et morceaux interprétés trouvent leurs véritables sens dans la réception et l’atmosphère qui les accompagnent. En effet, ces expériences sont faites pour être vécues et ressenties. Écrire à ce propos, dans ce travail de recherche, ne permettra jamais de saisir la totalité du message dans lequel nous plonge une fête de la Mamba Negra. Ce message n’est pas forcément des plus évident à saisir lorsque l’on passe une nuit dans une fête de la Mamba, mais la population qui la fréquente permet de saisir quels profils se sentent concernés par cette action. Dans un Mamba on peut rencontrer une quantité très grande de personnes différentes. Chacune d’entre elles porte sur elle une identité propre, parfois facilement distinguable. Il faut d’abord comprendre que la population qui profite de ces soirées est principalement jeune, située entre 20 et 30 ans27. Cette population offre donc un panel de profils sociologique qui nous indique de quelle manière et par qui cette revitalisation peut être engagée. La communauté LGBTQ est très nettement représentée dans la foule, l’acceptation des différences et le vivre-ensemble semblent être les 27
Ces remarques sont issues de mes observations personnelles lors de plusieurs fêtes auxquelles j’ai eu l’occasion de participer. La Mamba faisant partie de ces phénomènes urbain underground, il est difficile d’en trouver une base sociologique. 84
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bases d’une organisation sociale spécifique à la Mamba Negra. Il règne, de plus, un vent de folie dans le déroulement de ces fêtes, marqué par une sorte de liberté et de légèreté dans les comportements. En d’autres termes, la Mamba Negra nous montre un autre visage avec la population qui la fréquente. À l’intérieur de cette coquille noircie par l’environnement du centre-ville, il plane une atmosphère d’acceptation et de partage. La Mamba Negra se revendique de cette jeunesse instruite et engagée sur des sujets de société, proche des luttes pour les droits de tous. La revendication féministe et l’appartenance aux mouvements marginalisés apportent un regard nouveau sur le message du mouvement : au sein de cet environnement sombre et inquiétant du Centro, la valorisation des individualités permet de susciter la vitalité. La Mamba Negra apporte un langage nouveau au travail de nombreux précurseur en transcrivant l’atmosphère du centre. Bien que leur message puisse apparaître comme une vision dystopique du devenir de la ville, c’est par ses inspirations diverses et chaleureuses que le mouvement influe une énergie unique, pour autant positive. La musique et les arts, cette culture si implantée dans le Centro, servent ici de porteurs de messages, de cri de ralliement pour un groupe qui partage des valeurs communes et souhaite le montrer, même si cela doit se faire brutalement. En cela, c’est une voix du centre-ville qui s’élève pour montrer qu’elle existe. En générant un tel environnement, presque fantastique, la Mamba Negra montre un visage sincère du centre-ville, elle ne cherche pas à en exclure les défauts, mais s’en sert pour initier une énergie positive. À partir de cet état d’esprit, l’environnement urbain joue un rôle primordial à la matérialisation de la pensée de la Mamba.
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b. Exister au travers du contexte actuel du centre : l’appropriation
de l’espace public du centre par la culture alternative Le mouvement de musique électronique Techno naît aux États-Unis dans les années 80 en s’inspirant de musicalité funk et disco, proches du mouvement House qui le précède. Largement représenté par une classe moyenne instruite, le mouvement trouve ses inspirations dans un contexte urbain et social défavorisé et délaissé par les politiques publiques. À Détroit, immeubles abandonnés et conditions de vie précaires (suite à l’entrée dans l’ère post-industrielle) servent de terreau à plusieurs groupes qui développeront ce style musical. Une étude réalisée par le journaliste David Maraniss explore le rôle qu’ont joué certaines villes dans l’émergence de styles musicaux divers28. Le cas de Détroit nous apprend que dans un environnement urbain et social perturbé des années 1960, l’action menée par une jeunesse de classe moyenne instruite a eu pour résultat d’émettre les premières sonorités d’un style musical aujourd’hui très influent29. Il est possible d’établir un lien entre le contexte de création de la Techno à Détroit et l’émergence du style dans le centre-ville de São Paulo. En premier lieu, ce qui apparaît de plus évident est bien sûr le contexte social de luttes, dans lequel ces deux villes sont plongées à des temporalités différentes. Nous pourrons, de plus, remarquer les similitudes sociologiques des divers acteurs des mouvements. Par ailleurs, l’environnement urbain de Détroit et celui de São Paulo présentent également des ressemblances : une grande ville, touchée par une expansion urbaine soudaine ayant plongé le centre-ville dans une décroissance démographique et économique. Les bâtiments lentement abandonnés par l’industrie et les bars peu cotés servent de base au développement d’un mouvement underground et à l’enrichissement
28
MARANISS D. “Once in a Great City: A Detroit Story”. Première edition, édition New York : Simon & Schuster, 2015. 464 p. 29
CLEMENS P. « David Maraniss’s ‘Once in a Great City: A Detroit Story’ ». The New York Times. 19 janvier 2018 86
Partie 2 Politiques urbaines ou culture du lieu : deux approches pour un futur du centre-ville de São Paulo
de sa culture30. Directement inspirée de ce qui caractérise cet espace, la Mamba Negra entretient un rapport très fort avec l’environnement urbain. Leur message se veut donc revendicateur, mais aussi révélateur de formes urbaines propices à un renouveau urbain. Cette inspiration, venant du terrain d’action, prend racine à plusieurs niveaux dans le mouvement. Alors que quarante années auparavant les fêtes technos étaient organisées dans l’ombre, le mouvement a évolué et s’est répandu dans la société pour aujourd’hui toucher toutes les régions du monde. Une grande diversité est née, mélangeant les influences de chaque culture avec les sonorités initiales du mouvement. La musique électronique brésilienne a elle aussi apporté sa singularité dans la richesse du mouvement. Que ce soit dans ses sonorités, comme nous l’avons vu précédemment, mais aussi par une présence et une communication directement liée à la culture de la fête. C’est une autre manière de voir la ville et de l’arpenter. Rendre une forme d’esthétisme aux rues encombrées du centre, telles sont les moteurs de ce mouvement. Si l’on devait observer l’évolution du mouvement techno des années 1980 à aujourd’hui, la communication et le partage seraient l’un des aspects les plus visibles. La Mamba Negra ne fait pas exception en cela et les évènements, dans leur organisation, semblent chorégraphiés de manière à mettre en scène et placer les spectateurs dans l’ambiance propre à l’identité du mouvement. Une soirée à la Mamba Negra commence à se faire entendre seulement trois semaines auparavant. Une fois par mois, comme un rituel que les adeptes attendent avec impatience, l’événement a lieu dans un endroit différent du précédent. Renforçant le mystère qui plane autour de lui, on ne connaît l’adresse exacte que la veille au soir. Difficile de s’organiser, la fête peut avoir lieu n’importe où, surgir sans qu’on s’en rende compte, elle naît de l’intérieur du centre-ville où tout peut se produire en très peu de temps. En tant que mouvement politique
30
SERAFINI, P., « Comment l’architecture des villes influence les musiques qui y émergent », Trax Magazine 87
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et artistique, la Mamba Negra porte un message fort en direction d’enjeux sociaux actuels. Pour faire passer son message, la Mamba s’inspire d’un élément quasiment omniprésent des rues du centre-ville : le pixos. La réadaptation de ces tags recouvrant les façades d’un grand nombre d’immeubles n’a rien de hasardeux dans l’attitude engagée de la Mamba. La première pixação trouve ses origines dans la revendication politique contre la dictature des années 1960. Avec le slogan « Abaixa ditadura » (abats la dictature), ses utilisateurs inscrivent sur les murs des slogans provocateurs. Plus tard, le pixo trouvera une forme poétique, évoluant jusqu’à se créer un alphabet unique, trouvant ses origines dans l’ancien alphabet anglo-germanique. Ce langage des rues sera récupéré par les populations ignorées des favelas de la ville avant d’occuper une place centrale dans l’environnement du centre-ville. La pixação et avant tout un acte de vandalisme, une attaque visuelle brutale aux yeux de tous ceux qui fréquentent le centre de São Paulo. La communication est alors non verbale, elle ne permet à personne d’être compris et d’entendre son message à la lecture, c’est par le caractère violent et psychologiquement agressif que l’expression d’une revendication prend vie. On comprend alors pourquoi la Mamba Negra met en scène sa communication au travers d’une réinterprétation du Pixos. Le message des rues et des problèmes sociaux est inscrit en grand sur les murs de la ville ; dans cette continuité, le message de la Mamba réadapte le message originel, s’adressant verbalement et urbanistiquement à ceux qui ne pouvaient en saisir les paroles initiales. Depuis 2013, la Mamba Negra est parvenue à se faire une place dans les nuits brésiliennes et s’érige aujourd’hui comme l’un des mouvements indépendants les plus influents du pays. Le rapport que nous avons établi précédemment entre l’environnement urbain et l’émergence de formes musicales nous permet d’entrevoir de quelle manière la Mamba Negra, et plus largement la musique qu’elle diffuse, représentent un facteur de renouveau urbain. Nous l’aurons compris, la posture adoptée par le
88
[49] (Source: Resident Advisor.com)
Une affiche de la Mamba Negra apparaît comme un message à décrypter. Un message masqué comme pour garder l’évènement secret
(Source: Page Facebook Mamba Negra)
[50]
Les pixos son visibles sur une grande partie des façades du Centro . Le message est souvent illisible pour les noninitiés. Mais l’objectif n’est pas d’exposer clairement son message, mais bien de se faire voir, radicalement. (Source: Resident Advisor.com)
[51] 89
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mouvement tente de garder un contact constant avec l’environnement qu’il investit. L’altération ou l’enrichissement d’un lieu investi n’est qu’une conséquence de la forme de l’événement et n’est en aucun cas voulu ou préméditer. Mais c’est bien en intervenant dans des lieux si surprenants que la Mamba Negra parvient à faire changer les perceptions, à ouvrir de nouvelles possibilités à l’usage de la ville. Pour comprendre de quelle manière, cette transformation lente et inconsciente prend forme, il est nécessaire d’observer les lieux dans lesquels se produisent les évènements musicaux alternatifs de la Mamba Negra. Empreints de cet environnement underground qui procure au style musical une ambiance qui lui propre. Espaces industriels, d’acier ou de béton, lieux aux passés multiples portant les marques des différentes époques qu’ils ont traversé, tels sont les premières caractéristiques propices à une fête de la Mamba. À l’origine, le mouvement occupait les lieux abandonnés et désaffectés du centreville. Le but est d’investir un espace dont son usage premier n’est pas lié à l’évènementiel et d’en faire émerger des usages liés à la fête où les pistes de dance font se connecter une diversité de population. Au travers de cette intervention spontanée et illégale, le collectif « questionne la ville » et son état, réveille les consciences sur le patrimoine architectural qui la compose et ouvre le champ des possibles sur de nouveaux usages en ville. En moyenne fréquentée par plus d’un millier de personnes, ces lieux auparavant délaissés reprennent vie et par la même occasion redonne au quartier une forme de dynamisme. La culture populaire issue de l’environnement précaire du centre n’est donc plus un facteur d’exclusion, mais une opportunité d’apporter un nouveau regard sur la ville et ses stigmates. Aujourd’hui, les champs d’intervention du groupe se sont considérablement élargis et les points d’impact sont de plus en plus nombreux. On observe néanmoins une forte proportion de lieux abandonnés ou atypiques qui montrent la persistance d’un mouvement « underground », directement inspiré du centre de la ville. On peut se demander de quelle manière
90
Praça da Sé
Cartographie de localisation des lieux utilisés pour des évènements de la Mamba Negra (Source: Buzzfeed.com)
[52]
Espaces abandonnés, occupés ou désaffectés
Parcs et espaces publics Praça Júlio Prestes
Rua Prates, 1095
Vale do Anhangabau
R. Palmorino Mônaco, 540
Parque Dom Pedro II
R. Deocleciana, 105
Patriarch Square
Centro Cultural Ouvidor 63
Praça Princesa Isabel
Trackers R. Martim Carrasco, 56 R. dos Patriotas, 1382
Parque Augusta
Praça Ouvidor Pachêco e Silva
R. Rio Bonito, 1206 Via Elevado Presidente João Goulart
Centro Cultural Banco do Brasil Orfeu Lions Nightclub Nos Trilhos
Avenida Francisco Matarazzo
Alameda Cleveland, 508 R. da Mooca, 1415
Lieux et édifices en fonctionnement
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UM55 SP Drama School - Roosevelt Headquarters Casa da Luz
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sont choisis ces lieux et quel sens cela nous indique par rapport au positionnement du mouvement. Nous avons vu que le centre et son environnement urbain avaient servi de fondations à ce type de mouvement de par son caractère singulier et marqué par le temps. Mais le centreville de São Paulo représente une surface de plus de 50 km2 et les multiples quartiers qui le composent présentent leurs spécificités propres. L’implantation et le choix du lieu pour de tels événements ne peuvent donc pas être faits au hasard. Ces choix nous informent sur la vision du centre que porte le mouvement. Ce qui est notable dans l’observation des lieux choisis par la Mamba Negra, c’est qu’ils se situent, pour la plupart proche du centre historique de la ville. C’est précisément où l’on observe les plus forts traumatismes de l’abandon de la ville. Par ailleurs, le mouvement reste intimement lié à des lieux ayant eux-mêmes façonné le centre-ville en lieu de cultures urbaines underground et alternatives. On retrouve parmi ces lieux atypiques, deux formes marquantes du devenir souhaité pour le centre-ville. Le passé industriel de la zone centrale a laissé quelques vestiges importants. Certains ont été réinvesti par la ville, à l’image du SESC Pompeia, dessiné par l’architecte italo-brésilienne Lina Bo Bardi, qui offre un vaste espace de culture et de loisirs au sein d’immenses locaux, anciennement fabriques de la ville. Cependant, d’autres ont pris une tournure tout autre et leur reconversion a donné lieu à des usages nouveaux, directement liés aux changements sociaux et aux nouvelles manières d’utiliser la ville. C’est le cas de Nos Trilhos situé dans la partie est du centre-ville, dans le quartier de Mooca. Ancienne gare de fret qui servait à l’exportation des denrées qui ont fait la puissance de la ville, l’immense friche industrielle s’est transformée en un terrain de jeu et d’expérimentation pour des évènements culturels divers. En conservant l’âme du lieu qui réside dans les anciens wagons laissés sur place, le lieu est devenu un point d’attraction très fort pour cette partie de la ville, développant les prémices d’une nouvelle activité économique liée au dynamisme du lieu et à l’économie précaire de son environnement. Là encore, la volonté n’est pas de proposer un embellissement d’une partie de la ville, mais bien de fabriquer une ambiance à partir de ce qui compose 92
[53]
(Source: Page Facebook Mamba Negra)
Lors de la manifestation festive de 2017, la Mamba Negra a prit possession des rues du centre, confrontant le Centro touristique à l’identité profonde de son espace urbain
93
En 2018, l’évènement se reproduira, préparant le monopole temporaire de la Mamba par un parcours serpentant dans les quariters du Centro (Source: Page Facebook Mamba Negra)
[54]
Partie 2 Politiques urbaines ou culture du lieu : deux approches pour un futur du centre-ville de São Paulo
le territoire, tant historiquement qu’architecturalement. En ouvrant des brèches urbaines à la vue d’une population bien loin de connaître les conditions de vie qui s’y jouent, les acteurs de la scène underground font alors émerger une autre vision du centre-ville. Le temps d’une soirée, ou d’un événement, le quartier investi par la Mamba Negra, par exemple, se transforme. Sa fonction oubliée et même parfois sa fonction actuelle est bouleversée afin de produire des espaces de loisir et de partage, divulguant par la même son message. En valorisant les cicatrices dont parlent Cashu et Angela Carneosso, il est possible d’entrevoir une revitalisation de l’intérieur du centre-ville. La pensée technocratique visant à planifier la requalification ne trouve pas sa place ici. Le centre-ville possède les infrastructures et l’identité pour être acteur de son propre renouveau. Pour autant, la revitalisation du centre-ville possède ses propres faiblesses. Face à une machine politique fonctionnant à court terme, les actions ponctuelles mettent du temps à prendre racine. La population
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L’ambience si singulière des bâtiments abandonnés rendent les évènements de la Mamba Negra profondémement poétique (Source: Page Facebook Mamba Negra)
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[56] (Source: Page Facebook Mamba Negra)
Après une nuit de fête, la ville se réveille . Le soleil baigne la piste et ses occupants d’une douce chaleur. La Mamba Negra vit au rythme du Brésil
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CONCLUSION
ENVISAGER LA PRISE EN COMPTE DU CONTEXTE POUR APPRÉHENDER LA REQUALIFICATION DES CENTRES-VILLES.
La trajectoire qu’a suivie São Paulo est bien loin d’être linéaire. Tout au long de son histoire, les phases de croissances soudaines et de décroissances brutales ont eu pour conséquence d’asseoir les caractéristiques qui forment son environnement urbain actuel. Le destin si passionnant du petit bourg colonial de 1554 fut rythmé par des chemins nombreux et variés avant de l’amener finalement vers la mégapole qu’est São Paulo aujourd’hui. Devant un tel constat, l’acte de requalifier son centre-ville dégradé nous impose, d’une certaine manière, de comprendre ce qui constitue son espace urbain. L’expérience qui m’a guidé jusqu’à l’aboutissement de cette recherche a été une réelle mise à l’épreuve de mes connaissances culturelles et de mes habitudes en tant qu’Européen dans un pays étranger. Cette mise à l’épreuve a commencé dès la confrontation avec la culture brésilienne, c’est à dire à peu près tout de suite à mon arrivée. Le passé colonial et les multiples influences culturelles ont pris forme dans une culture brésilienne aussi colorée que joyeuse. Cette confrontation, non sans difficultés, a fait apparaître les premières nuances qui caractérisent São Paulo et son centre-ville. Face à l’Histoire du pays et celle de la ville, le contexte culturel semble avoir pris place dans l’environnement urbain, et ce sous de multiples aspects. Dans les arts, les traditions, la nourriture, la culture populaire que nous avons tenté de décrire a mis en forme des phénomènes urbains propres à la ville et plus largement le pays tout entier. Outre la culture populaire qui s’exprime dans ses rues, le Centro de São 97
Conclusion Envisager la prise en compte du contexte pour appréhender la requalification des centres-villes
Paulo possède une richesse complexe aux origines multiples. Comme nous l’avons vu lors du premier axe de réflexion de ce mémoire, c’est à partir des multiples évènements historiques qui ont touché la ville que s’est fabriquée l’identité actuelle du centre. L’abandon des politiques publiques, dont il a été l’objet, a forcé sa population résidente à trouver son propre équilibre social, économique et donc urbain. L’espace public a donc renforcé sa place d’espace de revendications sociales et d’exposition culturelle. De cette débrouille sont des formes de commerces variés, orientant l’offre du centre vers une population de classe moyenne inférieure, voire populaire. La dégradation de l’espace urbain a, de plus, constitué un environnement précaire, appauvrissant les conditions de vie jusqu’à des limites critiques. La population occupants les rues et les immeubles abandonnés s’est répandue, s’exposant aux yeux de tous et faisant émerger les enjeux sociaux du centre-ville. Les réponses qui sont attendues par de telles problématiques représentent ainsi un axe de recherche fort lorsqu’il s’agit de requalifier le Centro. Et pourtant le centre-ville de São Paulo abrite les témoins de l’histoire de la ville. Son architecture influencée par les grands acteurs de sa construction plonge celui qui parcourt ses rues pour la première fois dans un environnement presque énigmatique, où les indices du passé sont enfouis sous un amas de béton tatoué de pixos. À le regarder sous cet angle, le centre-ville de São Paulo est donc un lieu important pour le processus de métropolisation qui anime la ville. La question de la requalification du Centro peut ainsi être scindée en deux grands axes de recherche que nous pourrions formuler sous la forme de questions : Quels moyens sont à mettre en œuvre pour répondre aux problématiques sociales et économiques du centre et de quelle manière le patrimoine architectural et urbain peut-il servir de base à la requalification de l’espace central ? Au travers de ces interrogations, on retrouve en filigrane toute la complexité de la notion que nous tentons d’approcher. Requalifier l’espace urbain oblige ses acteurs à prendre en compte la totalité des composants. Mais la question principale qui découle de la
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[57] (Source: Mathilde Weill)
La quantité de richesses, qui donne tant de couleurs au Centro, constitue un potentiel formidable pour sa vitalité Ci-dessus, l’intérieur de l’occupation artistique Ouvidor 63
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Conclusion Envisager la prise en compte du contexte pour appréhender la requalification des centres-villes
notion de requalification ne réside-t-elle pas dans l’objectif que poursuivit par ses acteurs ? Les politiques publiques de la ville ont tenté, de nombreuses années, de garder un contrôle sur cet espace urbain en proposant des stratégies de requalification et de planification urbaine. Ces actions ont souvent buté contre le contexte fragile qui englobe le centre, ne donnant que de ponctuels résultats, sans grands effets à long terme. C’est la manière d’aborder la requalification que leurs objectifs, et donc le regard qu’elles portent sur le centre, s’affichent en filigrane. En effet, en orientant le renouveau du centre autour d’un partenariat public-privé ainsi qu’en ne privilégiant que les richesses du centre, les politiques publiques poursuivent le souhait de retrouver la vitalité économique et financière de passé sans prendre le temps de trouver les solutions à ce qui mine l’environnement urbain. La gentrification, bien que positive selon un certain point de vue, semble heurter violemment les parties les plus précaires du centre, provocant une ségrégation intra et périurbaine31. Le plan d’action le plus récent ne nous a pas permis de tirer des conclusions sur les répercussions d’un tel objectif. Pour autant, les actions menées précédemment et leurs matérialisations urbaines et architecturales nous on permit d’entrevoir le futur d’un tel projet. Cette volonté gentrificatrice trouve par ailleurs son équivalent dans d’autres quartiers de São Paulo. C’est notamment le cas de Vila Madalena qui est passé d’un quartier populaire de l’ouest paulista à un véritable espace d’attractivité, et ce grâce à une offre de bars, de restaurants, de galeries et d’émergences urbaines singulières. En constituant un environnement en lien avec une certaine population adepte de nouveautés et d’expériences urbaines, le quartier a aujourd’hui cristallisé cette idée de gentrification. La gestion publique de l’espace urbain central pourrait donc bien se diriger vers sa gentrification. Si tel était le cas, les ségrégations spatiales qui s’opèrent déjà se verraient sans
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VILLACA F. Espaço Intra-urbano no Brasil, 1998 100
Arpenter le Centro et dénicher les indices du passé et du présent (Source: Mathilde Weill)
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Conclusion Envisager la prise en compte du contexte pour appréhender la requalification des centres-villes
doute augmenté, repoussant les populations les plus pauvres vers les périphéries de la ville et rompant, par voie de conséquence, l’équilibre fragile du Centro. La requalification du centre peut donc entraîner des changements radicaux sur l’organisation du centre-ville. Nous avons pourtant su faire apparaître une autre forme de revalorisation. Par les efforts de groupements et mouvements ancrés dans le contexte social du Centro, on observe un processus éloigné des planifications territoriales et des plans stratégiques, mais visant le même but : la valorisation de l’espace central de la ville. Au travers des actions menées par la Mamba Negra, c’est l’identité même du Centro qui s’exprime pour continuer à briller et à montrer sa richesse. L’engagement politique et l’inspiration omniprésente de la culture artistique locale sont les fondations d’un message fort et pourtant si discret : le Centro de São Paulo est l’acteur de sa propre revitalisation. En suivant l’objectif, presque désintéressé, de donner une suite à la culture brésilienne et paulista, ces démarches alternatives ont à cœur de prendre le centre-ville tel qu’il est, pour ses bons ou ses mauvais côtés. De ce fait, l’espace urbain dégradé sert de scène à un spectacle vibrant de musicalités et d’expériences artistiques diverses. Un nouveau public arpente ainsi le Centro, déconstruisant peu à peu les préjugés et les préconceptions. L’action que nous avons observée à ce niveau de cette recherche fait apparaître la notion d’empowerment dans la requalification des centres. En effet, montrer que la valorisation d’un espace de la ville se fait avant tout à partir de son espace urbain interne ouvre le champ à une prise de pouvoir citoyenne. Bien que la population du centre soit encore loin d’une réelle prise de pouvoir, nous avons néanmoins observé l’instauration de son autonomie par rapport à certaines gestions politiques. En impulsant une action dirigée vers la société et s’inspirant de ce qui les entoure, ces groupements place le Centro, et donc ses résidents, vers l’élévation de sa capacité à générer sa propre revitalisation.
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Conclusion Envisager la prise en compte du contexte pour appréhender la requalification des centres-villes
Finalement, la requalification du centre-ville interroge ses acteurs à propos de l’appartenance et l’appropriation de son territoire, non pas comme une course à celui qui aura le plus de terrain, mais davantage comme la recherche d’une coexistence. Coexistence entre un patrimoine architectural attractif et un espace urbain populaire ; coexistence entre une organisation sociale fragile et un développement économique à la hauteur de l’influence de la ville. Cette coexistence est multiple et ouvre ainsi le débat sur les processus de requalification. Elle permet, néanmoins, de prendre en compte le plus grand nombre possible d’enjeux pensant sur ce centre-ville et donc réfléchir à un futur plus durable pour le centreville autant que pour la ville.
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Résumé
La question de la requalification des centres-villes est devenue en quelques années un sujet central du processus de métropolisation. Après s’être étendues outre mesure, les villes se penchent sur la récupération de leurs espaces centraux, faisant apparaître les multiples intérêts et potentiels qu’ils représentent. Symbole d’histoire, de cultures et d’identité de la ville, le centre est donc l’objet de convoitise, mais également un terrain propice au développement de nouvelles pratiques urbaines. Ce travail de recherche aborde cette notion de requalification au travers du cas concret de Sao Paulo. La mégapole de 20 millions d’habitants a vu son centre-ville se dégrader, accumulant les précarités sociales et urbaines. Tout au long de ce mémoire, nous tenterons de comprendre de quelle manière l’environnement culturel et social du centreville intervient dans ce processus de requalification. En partant de cette ligne directrice, nous observerons deux formes de réappropriation de l’espace central paulista : l’une par les pouvoirs publics en place et l’autre par des groupements culturels alternatifs. De ces deux actions, nous chercherons à saisir la vision du centre qui en émane et de comprendre les multiples impacts qu’elles causent pour le futur du centreville et le futur de la ville.
Je tiens à remercier l’ensemble de l’équipe pédagogique du séminaire «repenser la métropolisation» de l’ENSAPBx pour son implication et son aide tout au long de ce travail. Plus particulièrement, je souhaite remercier Julie Ambal pour son implication de chaque instant ainsi que Delphine Wilis et Xavier Guillot. Un remerciement spécial pour Maria Cecilia Loschiavos Santos, pour son aide et ses conseils à propos des engagements pour le brésil.