Persistance de l'informel dans les rues d'une ville mondialisée : Mexico - Inès Bigourdan

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Persistance de l’informel dans les rues d’une ville mondialisée : Mexico

Inès BIGOURDAN Mémoire de Master

École Nationale Supérieure d'Architecture et de Paysage de Bordeaux Domaine d’étude : Parcours IAT, Intelligence et Architecture des Territoires Enseignants encadrants : Julie Ambal - Xavier Guillot Soutenance : Juin 2016


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3 El Sherif et El Trompas, Calle Los Angeles, Novembre 2014, Mexico


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Persistance de l’informel dans les rues d’une ville mondialisée : Mexico

Inès BIGOURDAN Mémoire de Master École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux Domaine d’étude : Parcours IAT Intelligence et Architecture des Territoires Enseignants encadrants : Julie Ambal - Xavier Guillot Soutenance : Juin 2016

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Sommaire

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Introduction : une histoire d’occupation des rues ..........................................................................................5 Approche personnelle .......................................................................................................................................13 Méthodologie générale, échelles et temporalité du mémoire ......................................................................17

I. Processus de fabrication de la rue et conséquences sur le paysage ........... 23 1. De la fabrication des espaces habités ................................................................................... 24 1.1. Une interrogation anthropologique partagée

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1.2. Lieux, non-lieux et liens

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2. Mexico : structure d’une mégapole fonctionnaliste .............................................................30 2.1. Une ville damier

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2.2. Création de vie privée « privatisée et sécurisée » et le tout voiture

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2.3. Conséquences sur le paysage

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3. La calle Los Angeles : éloge de l’informel ............................................................................38 3.1. L’autoconstruction, une architecture vernaculaire

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3.2. L’intime

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3.3. Le langage de la rue

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II. Les commerces de rue de Mexico : métiers de l’informel ............................45 1. Identification des différentes formes de commerces de rue ...............................................46 1.1. Les ambulants de trottoir

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1.2. Les roulants

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1.3. Les stands

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1.4. Les kiosques

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1.5. Les « ratisseurs » de véhicules

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2. Morphologies et limites d’appropriation ..............................................................................52 2.1. La structure du stand lui-même

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2.2. Les éléments physiques composant le stand (en dehors de la structure principale)

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2.3. Des regroupements de personnes

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2.4. Le corps

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2.5. Des éléments urbains fixes extérieurs au commerce

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2.6. Des éléments de commerces adjacents

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2.7. L’ombre portée du commerce

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3. Logiques d'implantation des commerces de rue ................................................................ 56 3.1. Stratégie d’implantations des commerçants

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3.2. Prévision

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3.3. Banalisation

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3.4. Se tenir

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3.5. Postures d’espace

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III. Culture métisse, culture des villes : l’échelle du corps pour faire la rue ....63 1. L’espace social et personnel et sa perception par l’homme ................................................. 64 1.1. Cercles « proxémiques » et logiques de déplacement

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1.2. Conventions sociales tacites

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2. Les détournements d’usages ................................................................................................68 2.1. Appropriation du mobilier ou du sol

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2.2. Pluralité de choix

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2.3. Liberté dans la rue

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2.4. Les rythmes du piéton

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2.5. Typologie d'usagers

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2.6. Le droit à la flânerie

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3. Particularités locales et culturelles ......................................................................................73 3.1. La culture des villes comme métissage

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3.2. Un sentiment de communauté

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3.3. Fabriquer le lieu par bricolage ?

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Conclusion .......................................................................................................................................................... 83 Glossaire ..............................................................................................................................................................87 Bibliographie - Iconographie ........................................................................................................................... 91

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Introduction : une histoire d’occupation des rues

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Introduction : une histoire d’occupation des rues

Le mémoire de Master 2 de la formation d’Architecture est un moment pour l’étudiant de se positionner face au métier d’architecte en constituant sa propre méthodologie de travail, en accord avec sa vision du territoire et ses convictions face au métier d’architecte. Après trois ans de licence et deux ans de Master au sein de l'École Nationale Supérieure d'Architecture et de Paysage de Bordeaux, dont une année à la Faculté d'Architecture de l'Université Nationale Autonome du Mexique, c'est l'aboutissement d'un cheminement pour devenir architecte. Dans cet exercice complexe, je me retrouve face à moi-même et à ce futur métier. Après avoir passé une année à Mexico, cette ville laboratoire des comportements urbains, parfois comparée à un monstre dévoreur d’espace, où l’on perd ses repères et où l’on se sent si petit face à son immensité, m’a interpellée. C’est son histoire, ses mélanges, ses marchés colorés, ses marchands de rues et sa vie qui ont déterminé le choix de réaliser ce mémoire sur Mexico et plus précisément sur une petite rue, symbole d’un espace de relations, de mémoires et d’identifications, la Calle Los Angeles. Chaque jour la ville accueille plus de 150 familles et son expansion à vitesse grand V ignore les reliefs et les espaces naturels, canalise les ruisseaux, absorbe peu à peu des petits villages situés sur son passage. La rue Los Angeles, située dans la frange sud-ouest de la mégapole, est une impasse de 185 m de long et 6 m de large avec une histoire distincte de Mexico, que le développement urbain oublie parfois au profit de nouveaux quartiers à l'identité encore indéterminée. Soumis à d’importantes mutations, les paysages de cette ville témoignent de la brutalité des dynamiques territoriales liées à de nouveaux modes de vie et enjeux qui lui sont rattachés. Comment l’architecture peut-elle apporter une réponse face aux enjeux territoriaux qui menacent des quartiers et des identités comme celle de la rue Los Angeles ? 6


De grandes évolutions dans les modes d’usages et les pratiques de la rue sont liées à la modernisation des sociétés et à de nouvelles normes, de nouvelles pratiques imposées ou adoptées, attachées aux moeurs. Nos villes européennes, en Occident, et dans les pays développés, mais aussi en partie à M e x i c o, o n t s u iv i u n e t r a j e c t o i r e d e fonctionnalisation et d’hygiènisation. Toute la question des débordements, qui était le propre des villes pré-industrielles et où la rue était un espace de vie multi-fonctionnel, a été peu à peu effacée. Au fil du temps, on a fait rentrer à l’intérieur des bâtiments toutes les activités qui se passaient à l’extérieur. Ce processus est aussi vrai pour certaines villes d’Asie, d’Amérique du Sud ou africaines. Sur ce point, l’Asie constitue un exemple assez emblématique : dans les villes « très modernes », le commerce de rue à pratiquement disparu, alors que dans les villes moins modernisées, il perdure encore. La question que l’on pose est celle de la présence aujourd’hui, dans les grandes villes comme Mexico, d’une forme d’occupation de l’espace qui correspond à une culture préindustrielle : où l’on peut se permettre de manger dans la rue (même si cela n’est pas complètement propre : papiers, traces, etc.), où l’autoconception règne et où les petits commerces subsistent. Ainsi, parallèlement à la logique des grands magasins, une économie de quartier se maintient.

Ce mémoire interroge la persistance d’une occupation informelle de la rue à Mexico. Sans être uniquement le propre de cette ville, cette question est générale au monde urbain qui n’a pas encore adopté tous les canons de la modernité et de l’hygiène de vie des villes dites « développées ». C’est la question des évolutions des pratiques, diversifiées entre pays, entre cultures, entre niveaux de développement de société, par rapport à l’occupation de l’espace. 7


Cette approche ne constituerait-elle pas une source d’inspiration et de réflexion pour les architectes d'aujourd'hui ? L’idée est de partir à la reconquête des rues. La situation que nous étudions dans ce mémoire sera celle de la ville de Mexico, qui constitue un exemple où les actions de la globalisation côtoient les logiques de la petite échelle. En utilisant le cas de la capitale mexicaine pour parler de la rue, l'objectif visé est de comprendre l'espace de la rue à partir d'autres cultures, d'autres parties du monde, de diverses époques de l’histoire. Cette analyse est prise, non pas comme un modèle, mais comme inspiration pour la création des espaces de demain. À partir de constats sur des propositions réalisées concrètement, l'étude permet d'en retenir des recommandations, tout en s'adaptant à chaque contexte précis. Cet écrit doit pousser à la réflexion quant à la pratique et à l'appropriation des espaces. Mexico, avec ses 8 820 910 habitants en 2016, est la deuxième ville la plus étendue au monde. Sa trame, un damier à perte de vue, est le résultat de l’urbanisme des années 1950-1960, pensé pour la circulation automobile. Aujourd’hui ce mode de développement atteint ses limites : les problèmes de circulation, de stationnement, de pollution sont cruciaux. Ils engendrent la séparation des lieux de travail et de résidence, la fragmentation des espaces publics, la saturation des axes routiers, qui sont les maux récurrents de cette mégapole. Les transports en commun sont délaissés au profit de la voiture, symbole de réussite sociale. De même, les circulations douces et piétonnes ne sont pas facilitées, au contact des nuisances automobiles, elles sont désorganisées et dangereuses. Dans ce contexte, alors qu’une prise de conscience écologique s’amorce et que des problèmes d’obésité touchent la société mexicaine, se pose la question des alternatives « au tout voiture », afin d’offrir de nouveaux modes et de nouvelles conditions de déplacements en ville. Si l'automobile, puis les transports en commun ont longtemps été privilégiés par les politiques de mobilité des grandes villes mondiales, la marche se trouve aujourd'hui au cœur des réflexions.

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Durant l’année scolaire 2014-2015, mon travail sur le terrain m’a permis de me demander qu'elle pouvait être le rôle de l'architecte dans le projet d'une ville et d’un quartier. Cet ouvrage que je présente est mon mémoire de Master 2. En voici sa structure.

Dans la partie approche personnelle, je présente quelles relations j’entretiens avec la mégapole de Mexico et la rue Los Angeles, quelles sont les personnes que j'ai rencontrées et pour « qui » et « quelles raisons » je choisis de faire cette analyse. La partie méthodologie décrit de manière générale quels sont les outils que j'ai adopté pour découvrir et comprendre à travers la ville comment s’organise et évolue le territoire et comment vivent les habitants de la mégapole ainsi que ceux de la rue Los Angeles. Le Chapitre I de mon mémoire constitue une étude des processus de fabrication de la rue mexicaine. Dans un contexte de mondialisation où les modes d’habiter évoluent, de nouveaux quartiers de la mégapole sont composés d'unités monofonctionnelles reliées par des routes à grande circulation. L’observation de ses quartiers en expansion permet de comprendre comment elle évolue chaque jour et s’adapte à un nouveau mode de vie et quels en sont les conséquences sur le paysage. Parallèlement, la rue mexicaine, théâtre d’une vie quotidienne aux usages variés : circulation mais aussi marchés, restaurants, vendeurs de cigarettes, lieu des fêtes et traditions populaires, lieu d’échange et de convivialité, est désormais mise en danger dans bien des quartiers, au profit de la fréquentation des complexes commerciaux clinquants qui prolifèrent dans le District Fédéral. Pourtant, les rues de Mexico offrent des paysages, des ambiances et espaces nuancés et de qualité : mélange des anciens villages englobés dans la trame urbaine des années 1960, confettis de parcs minuscules aux ambiances feutrées, couleurs vives et parfums de cuisine dans les rues les plus populaires, maisons coloniales sous les frondaisons des quartiers plus aisés, monuments remarquables et quartiers classés au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. Le Chapitre II constitue un travail d’identification de situations d’occupations de la rue à Mexico. Un élément y est particulièrement récurrent : le commerce dit « ambulant ». Son succès est attesté, et ces activités ne s'installent pas par hasard. Sont proposés aux usagers de la rue autant de produits comestibles que d'objets matériels ou de services à la personne : beaucoup d'objets à consommation immédiate autant que d'articles pérennes ; aussi bien des éléments nécessaires que des objets futiles, relevant du divertissement. Cette vaste mosaïque de marchandises proposées aux potentiels acquéreurs permet de toucher un public très varié. L'accès à ces commerces est facilité par leur localisation, généralement dans des lieux fréquentés et, malgré des tentatives de les éradiquer de la zone du centre historique, ces commerces reviennent toujours s’y installer. Le cheminement à suivre sera de traiter les interactions du piéton évoluant dans la rue, en s'appuyant sur des exemples, des ressentis, du vécu, de l'observation, des analyses antérieures. Cette mosaïque d'exemples, sans hiérarchie, ni supériorité d'importance composera un point de départ à une réflexion et une remise en question de la pratique de la rue. En traitant, dans un temps donné, dans un cadre donné, l'exemple du piéton, dans la ville de Mexico, en relation avec un environnement composite relatif aux commerces de rue, constitué de clients, d'obstacles, de piétons, de produits, autant d’éléments du quotidien des citadins de la ville, cette mégapole. 9


Comment cohabitent commerces et usagers de la rue ? Comment leur présence commune peutelle générer des relations problématiques et des comportements spécifiques dans l'espace ? L'espace de la rue de Mexico génère-t-il une sociabilité, une convivialité entre les acteurs de l'espace ou au contraire, la détruit-il ? Dans le Chapitre III du mémoire est traitée la question de l’échelle du corps pour fabriquer la rue. Celle-ci est le théâtre des rencontres, collages, que le piéton façonne par l’intermédiaire de cet outil qu’est le corps. Il l’utilise pour construire l’espace urbain, lui donnant alors un sens. Les interprétations et représentations que se font les usagers de leur environnement (espace et corps) forment la matière de la culture citadine. Dans cette étude du corps, on observera que les usages des éléments urbanistiques mexicains sont souvent détournés et multi-fonctionnels, constituant alors des lieux modulables et souples à l’appropriation. Se caler, se glisser, s’adosser, s’accrocher, enclore, ouvrir, tourner le dos, voilà le genre de processus observable et identifiable, qui seront le noeud de l’étude de ces pratiques informelles. Nous cherchons à savoir, dans ce chapitre, en quoi la ville elle-même est un dispositif culturel ; c’est-à-dire dans quelles conditions l'interprétation des situations quotidiennes compose une « culture de la ville1 ». De quelle manière le Mexique est-il spécifique de cette organisation de la rue et de l'espace humain ? De plus, on observera que l’attrait pour l'individualisation est en permanence tempéré par le besoin de recréer des identités collectives. En effet, la question de la communauté est une des clés faisant vivre des villes aussi grandes que Mexico. Ainsi, plus que d’une seule entité, la mégapole est constituée d’une multitude de villes dans la ville, aux identités et aux particularités locales très marquées.

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AGIER, Michel, Esquisses d’une anthropologie de la ville, Belgique, Academia Bruylant, 2009, p. 27 10


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Approche personnelle

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Approche personnelle

Depuis le ciel déjà je m’interrogeais. Je cherchais du regard les limites de la ville de México. On pouvait voir les quartiers si différents, pour certains constitués d’un même modèle de maison reproduit en masse. Quelle a été ma surprise en découvrant ces paysages si loin de notre réalité, dont les échelles dépassent l’entendement et dont l’organisation m’était inconnue ! de nouveaux milieux naturels, de nouvelles cultures, une architecture différents, de nouveaux reliefs et climats, de nouvelles ambiances urbaines et surtout une autre manière de vivre. Manger, circuler, regarder. Tout est différent de ce que je connaissais en Europe. Aucun cliché, aucune carte postale en tête. Seules les images de ma tante créatrice et habitant à Mexico, auraient pu me mettre sur la piste de cette culture que l’on ne peut saisir dans sa totalité tant elle est riche et diverse. C’est d’un oeil neuf que je pars à l’aventure en Août 2014, pour une année d’échange interscolaire à Mexico City, dit, District Federal. Perdue dans le tumulte de cette grande mégapole, j’ai observé un tout nouveau mode de vie où la voiture est omniprésente, où certaines maisons sont dupliquées et emmurées dans des gated communities, et où le piéton vit dans la rue : y mange, travaille, se repose, communique, s’informe, circule … J’ai adopté ce nouveau quotidien, rythmé de plats piquants et colorés, de parfums et de musiques inconnues. Je me suis mêlée à une culture des plus chaleureuses où il est par exemple coutume de se prendre dans les bras pour se saluer.

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Comme une aventure, j’ai pu peu à peu entraîner mon regard à un nouveau monde, dessiné de codes sociaux et de symboles culturels différents de ce que j’avais pu observer auparavant. En tant qu’étrangère, j’ai étais surprise par les rapports physiques et sociaux entre les individus, plus tactiles et avenants de ce que j’avais l’habitude en France. Avec trois autres camarades français également en échange scolaire, nous décidions de monter une collocation dans un quartier peu touristique de la ville. Très vite après notre installation, les habitants nous ont intégré sdans leur mode de vie, ils nous saluaient, nous présentaient à leur proches, nous posaient des questions… Des liens amicaux se sont rapidement mis en place avec nos voisins. Intéressés par notre regard « étranger » sur la ville de Mexico, nous avons commencé à débattre sur son développement à vitesse grand V, ses paysages en mutation, son urbanisme fragmenté, ses conflits de mobilité et d’équilibre culturel. Saisie par les ambiances de la rue où nous habitions, la Calle Los Angeles, par son rythme de vie, par son échelle et sa vie sociale, j’ai décidé de m’y intéresser dans ce mémoire. Cette rue est le théâtre de pratiques quotidiennes à petit échelle, où l’informel prend le dessus sur les règles fonctionnalistes et hygiénistes de l’espace urbain. Et à deux pas, on vient de construire un nouveau centre commercial et une zone résidentielle privée, dont l’accès est réglementé : des airs de changement et de conflits règnent à México. Néanmoins cette problématique n’est pas propre à cette région. On peut l’a retrouver mondialement. Je prends donc appui sur l’exemple de la mégalopole mexicaine pour mettre en interrogation le côté informel des installations urbaines et de l’« auto-conception » par les habitants eux-même, face à un processus général de globalisation de l’espace de la rue. Cette question de l’informel serait-elle l’une des clés pour un renouvellement de la rue où les échanges sociaux seraient au coeur des pratiques ?

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Méthodologie générale, échelles et temporalité du mémoire

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Partant à la découverte des paysages mexicains en 2014 et 2015, j’ai décidé d’effectuer mon échange universitaire international au sein de la Faculté d’Architecture de l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM) à Mexico, afin d’exercer mon regard aux paysages en mutation de la métropole mexicaine. Comme premières sorties de terrain, la pratique de l’espace urbain de la mégapole m’a permis de saisir les dynamiques architecturales et anthropologiques de la fabrication de Mexico. Cette étape est indispensable pour pouvoir descendre dans les échelles et travailler au sein de la ville. Emménager dans la Calle Los Angeles m’a permis de prendre conscience qu’il existe une différence forte entre « vivre à la ville » et « vivre le village ». J’ai donc commencé à me concentrer sur les paysages en mutation de Mexico afin d’en comprendre les dynamiques. Un cours théorique et pratique d’anthropologie de la ville dispensé à la UNAM m’a ouvert à une analyse plus « culturelle » des ville. En m’immergeant peu à peu dans le quotidien des habitants, les représentations de leur territoire et les limites de la ville. De retour en France, j’ai pris la décision de faire mon mémoire sur les pratiques piétonnes de la rue à Mexico.

OUTILS MÉTHODOLOGIQUES

• Les sorties terrains La découverte et l’analyse du territoire s’est déroulées au fur et à mesure de août 2014 à Juillet 2015. Chaque sortie de terrain a consisté en la découverte et l’analyse de quartiers spécifiques de la ville de Mexico. Pour une partie des sorties terrain, le parcours a été planifié en amont et repéré sur une carte. Une autre partie de celles-ci était un peu plus libre et dépendait de mes activités en ville. Quotidiens, les trajets à pied et en camión (bus) m’ont permise de découvrir la ville. Les lignes de transport en commun ne sont, pour la majorité, pas tracées, n’y planifiées officiellement, et le nombre d’arrêts… exponentiel ! Dans la plus part des cas, les arrêts des bus sont « invisibles » car aucun panneau ni marquage au sol ne les situe. Ils figurent uniquement dans un univers mental (savoir collectif) et existent par une représentation et une interprétation du territoire partagées des usagers-habitants. C’est la raison pour laquelle je me suis perdue un bon nombre de fois dans la ville, tout en la découvrant. Au Mexique, le taxi est un moyen assez populaire de se déplacer. Dans cette méthodologie, je ne compte pas les longs moments passées à discuter avec les chauffeurs qui m’ont parfois permis de comprendre, fragment par fragment, comment vivent les habitants et comment fonctionne le territoire.

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La photographie numérique est l’outil de chacune des sorties terrain. C’est un outil de capture rapide et instantané qui m’a permis d’arpenter efficacement la ville. Parfois j’ai pu réaliser quelques croquis de terrain. Ces sorties m’ont permis de découvrir différentes facettes de la ville, observer ses dynamiques, ses conflits, ses enjeux et déceler ses potentiels. • Vivre aux cotés des habitants de la mégapole Mexico est la ville où habite ma tante, Natalia. Les deux premiers mois après mon arrivée, j’ai vécu chez elle. Des amis mexicains m’ont ensuite hébergée dans leur maison familiale et introduite à leur manière de vivre. Cela m’a permis de pouvoir leurs poser des questions précieuses pour saisir des « modes de vivre la ville » propres à Mexico. • Voyager dans l’État du District Fédéral et dans le pays J’ai parfois loué une voiture pour partir en randonnée dans l’état ou en voyage dans le reste du pays. Visiter le District Fédéral m’a permis de saisir une autre échelle du territoire liée à la ville (relation ville/ville, villes/villages, reliefs, climats, etc.). Visiter et/ou vivre d’autre smétropoles (Querétaro, Guadalajara, Cancun, Oaxaca) m’a permis de faire des parallèles dans les usages de « la ville » au Mexique. • Cours d’anthropologie de la ville Les cours d’anthropologie de la ville à la UNAM m’ont permis de prendre conscience du caractère pluriel de la culture mexicaine. La difficulté dans mon mémoire est de comprendre comment la culture et les idéologies génèrent une ville particulière et comment réciproquement cette dernière permet de les lire. C’est comprendre comment vivent les gens et parfois comprendre quelles en sont les raisons. C’est aussi comprendre comment eux-même voient leur monde (représentations et symboles) pour enfin comprendre comment évoluent leurs espaces de vie et leur territoire (divergences entre la ville et le quartier) . Les cours théoriques et pratiques ont également été une initiation à l’ethnographie, branche de l’anthropologie et discipline auxquels un architecte doit avoir recours pour étudier l’espace. Ce mémoire adopte une approche anthropologique de la ville, en s’appuyant sur des auteurs comme Michel Agier, Marc Augé, Erving Goffman et Marcel Mauss. • Vivre la rue Los Angeles Emménager dans la Calle Los Angeles a été un grand changement dans mon quotidien mexicain. Des nombreux petits commerces, les enfants jouant dans la rue, les vendeurs ambulants de pain et de viennoiseries, les vendeurs de maïs, de tacos, les habitants tous autant caractéristiques, etc. Vivre la rue Los Angeles m’a permis de m’essayer à de nouvelle pratiques dans l’espace de la mégapole.

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• Entretiens avec différents acteurs et habitant de la mégapole Les interviews et entretiens avec quelques acteurs de la ville m’ont permis de comprendre la représentation mentale de leur territoire (quartiers, village, mégapole) et leur vision de la ville. C’est un outil complexe qui demande de la préparation et qui peut parfois faire appel à d’autres outils comme la carte mentale. Il permet de recueillir des points de vue et les modes de vie des habitants, indispensables pour mener à bien une étude de quartier. Ils alimentent et fondent l’analyse et le positionnement de l’architecte sur les espaces qu’il « regarde » et sur lesquels il intervient.

Dans ce mémoire, je mobilise ces éléments qui apportent de nouvelles dimensions de compréhension de la ville et qui me semblent essentiels pour comprendre ma démarche d’analyse. Je dois faire découvrir au lecteur le monde dans lequel j’ai évolué, notamment en présentant ses paysages, ses habitants et sa culture… De quelle manière ? En racontant le monde que j’ai observé et dans lequel j’ai décidé de faire émerge ce mémoire.

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I. Processus de fabrication de la rue et consĂŠquences sur le paysage

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La rue peut être définie de différentes manières : juridique, sociale, géographique, politique, physique ou encore, urbanistique. Ce terme polysémique et interdisciplinaire ne cesse d'évoluer, au fil du temps. Sa définition n'est pas fixe et dépend du contexte dans lequel il est utilisé, et du sens que l'auteur souhaite lui donner.

1. De la fabrication des espaces habités

1.1. Une interrogation anthropologique partagée

Du côté de l’anthropologie, Marcel Mauss, dans ses recherches sur les « techniques du corps » envisagea celui-ci comme « le premier et le plus naturel instrument de l’homme, ou plus exactement le premier et le plus naturel objet technique, et en même temps moyen technique de l’homme 2» (Mauss, 1950). Plus tard, dans les années 1973, 1974 le sociologue américain Goffman mit l’accent sur les interactions symboliques engendrées par le face à face des corps au quotidien. Sans doute la voie avaitelle été ouverte par Maurice Merleau-Ponty (1949) et sa conception du « corps propre », articulant les dimensions psychiques et physiques de l’être humain. Ce mouvement fut relayé, durant tout la seconde moitié du XXème siècle, par nombre de chercheurs, sociologues ou anthropologues : de Michel Foucault à Pierre Bourdieu (incorporation du pouvoir et de l’appartenance sociale) et à Jean Baudrillard (corps réservoir de signes) pour les premiers ; de Claude Lévi-Strauss à Daniel Le Breton (corps comme moyen d’individuation) pour les seconds. Ces implications du corps dans l’espace et de l’espace dans les corps ne constituent-elles pas l’une des clés de la lecture et de la compréhension de l’espace social ? Or la ville vécue, n’est-ce pas la rue ? Comme le dit Thierry Paquot (2006) : « l’histoire des villes est aussi, et surtout, une histoire des rues3 ». Rues qui mènent toujours quelque part dans la ville ; rues dont les intersections engendrent des lieux. Bien sûr, tous ces « chemins bordés de maisons » ne se valent pas : la ruelle et l’impasse, les rues strictement résidentielles ne sont pas les rues principales ou la grand-rue. La présence d’activités commerciales, la densité circulatoire façonnent ainsi des catégories différentes de voies. Souvent, des métaphores corporelles sont utilisées pour qualifier la ville en désignant certaines parties du corps urbain : le ventre, le cœur, le poumon (vert)... La ville croît comme un corps. Quant à ses artères, ce sont les rues qui l’irriguent et lui donnent vie : « Corps de la ville, corps des citadins, corps à corps [...], la ville contemple tous ces corps humains qui la pénètrent et s’y complaisent4 ».

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MAUSS, Marcel, « Sociologie et anthropologie : “ Les techniques du corps “», Communication présentée à la Société de Psychologie, 15 mars - 15 avril 1936, n°XXXII, p. 55 3

PAQUOT, Thierry, L’espace public, Paris, éd La Découverte, 2009, p.54

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ibib. p.78 24


La rue est sans doute, avant tout, la scène, le spectacle, l’expression par excellence de la ville. Tous les seuils, toutes les portes et fenêtres des espaces privés la ponctuent. Elle marque des entrées d’immeubles, des devantures commerciales, des arrêts de bus, de tram ou de métro. À l’opposé, la rue c’est aussi le mouvement, le déplacement dans la ville. Dans les deux cas, ne sont-ce pas les corps qui interprètent ces partitions complémentaires ? Ce sont eux, « guidés par leur conscience réflexive ou emportés par leurs propres mouvements, qui font le choix des itinéraires, celui de l’aventure quotidienne au gré des carrefours et des bifurcations5 ». Hésitation, choix, la rue s’avère donc espace de liberté pour les corps des individus qui l’empruntent. C’est une scène à la Goffman, nourrie d’interactions concrètes et symboliques aménagées par les corps qui circulent et se croisent, s’évitent, se rencontrent. C’est une scène « convenue, mais toujours susceptible de surprendre6 ». 
 Le paradoxe, c’est que la rue n’est « rien », note Marcel Hénaff (2008) ; elle n’est qu’un vide entre les immeubles, un espace de circulation. Et pourtant, observe ce même auteur écrire : « elle condense la réalité de la ville ; elle en révèle l’atmosphère, le style, le rythme, le charme ». Du coup, comprendre la rue nous amène à saisir la signification profonde du phénomène urbain. Pour Jane Jacobs (en 1961), ce « rien » qu’est la rue tisse la « matrice de la sociabilité et de la culture urbaines ». Or la rue, c’est avant tout l’espace de la circulation des corps. C’est le lieu de la « vie commune », notion 5

DI MÉO, Guy, « Où en est la rue face à la globalisation ? L’individu, le corps et la rue globale », Géographie et cultures,, 2009,n°71 p. 12

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GOFFMAN, Erving, La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, éd Minuit, 1973, p. 13 25


que Marcel Hénaff distingue de la vie privée et de la vie publique. Cette idée de vie ou d’espace commun de la rue nous ramène à H. Arendt (en 1958), pour qui le « monde commun » désigne des relations de voisinage, tout ce qui concerne un mode de vie familier de proximité. Dans son livre Espacements, Françoise Choay décrit « l’espace de contact » du Moyen-Age français comme un lieu où le sentiment d’appartenance à une communauté chez les habitants est fortement ressenti. Ce dernier est généré, entre autre, par la présence de l’enceinte physique des murailles, qui constitue un lieu limité et défini. Ce sentiment est facilité par la modestie du périmètre urbain. Il matérialise la singularité et l’unité, qu’il oppose à l’espace extra-muros. A l’intérieur, le terrain est occupé sur le mode de la continuité et de la proximité : trame serrée et rues étroites. « Tout et tous se touchent7 ». L’espace de contact que décrit l’historienne constitue un microcosme à petite échelle. Se lisent sur les façades des habitations, non seulement le statut social et économique de l’occupant, mais aussi, le cas échéant, sa personnalité. De même, chaque rue est individualisée (texture du sol, matériaux, dimensions). La maison n’est pas séparable de la rue sur laquelle elle s’ouvre. L’intimité de l’association rues-maisons est montrée par le cas des maisons qui servent autant à l’habitat qu’au commerce. L’espace est étroit, et est livré entièrement au piéton. La rue se prête au contact humain, au rapport de bouche à oreille. Ce modèle s’oppose aux voies d’informations à appartenances quasi planétaire des pays modernisés actuels, où citadins et ruraux sont intégrés dans une culture unitaire. L’ancien « espace de contact » que décrit Françoise Choay, ne serait-il pas primordial et irremplaçable ? Ceci dans le but de mettre en place un apprentissage des relations interpersonnelles de base, celles qui contribuent à former l’individu ? Ne faudrait-il pas réinventer cet « espace de contact » selon les normes contemporaines ? Inscrire alors le petit circuit de contact dans le grand réseau de connexion ? Créer ainsi une échelle spatiale originale et intime, de proximité.

7

CHOAY, Françoise, Espacements - L’évolution de l'espace urbain en France, Paris, Ed. Skira, 2004, p. 19 26


La rue et les corps se « globalisent » Le monde, la ville, la rue et les corps se globalisent. Mais qu’est-ce, au juste, que cette globalisation ? Quels sont ses impacts sur les villes et sur les sociétés urbaines ? En quoi les déplacements des corps dans la ville en sont-ils affectés ?

La réglementation stricte en plein développement ne soumettrait-elle pas les habitants à la contrainte d’un environnement imposé globalement de l’extérieur, défavorisant alors l’identification des usagers au site ? L'espace de la rue d'aujourd'hui, souvent divisé en catégories facilitant les transitions de flux, devient plus technique pour répondre à la demande d'organisation et de gestion des villes grandissantes. Une nouvelle culture urbaine émerge au sein des villes, laissant la priorité au piéton, puis graduellement aux cycles, aux transports en communs puis aux automobilistes. Le zonage séparant les modes de circulation réduit-il la richesse de ces espaces et conduit-il à une tendance d'uniformisation du comportement des usagers ?

Rail de béton du premier train à coussin d’air entre Paris et Orléans.

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1.2. Lieux, non-lieux et liens Marc Augé, anthropologue français écrivain de l'ouvrage « Non-Lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité8 », définit un non lieu comme un espace interchangeable où l'être humain perd son identité. Il s'agirait d'un espace d'anonymat, accueillant des individus en masse. Ces « non-lieux » regroupent l'ensemble des lieux temporairement utilisables par des individus, tels que les camps de transit, les chaines d’hôtels, les grandes surfaces commerçantes, lieux impersonnels. Il est caractérisé par l’excès de la « surmodernité ». Ce terme représente le rétrécissement de l'échelle planétaire grâce au développement des moyens de transport et de communication, et à l’omniprésence des informations médiatiques. On pourra le rapprocher des caractères de « l’ère post-urbaine9 » évoqué par Françoise Choay. Selon cette dernière, la fin de la ville serait la disparition de l'échelle intermédiaire, ou locale. Dans la logique des non-lieux urbains, la fin de la ville serait aussi la fin du sujet, de l’usager dont le monde qui l'entoure lui échappe et où, de plus en plus, il ne fait que passer. Selon l’observation de Marc Augé, l'homme ne s'approprie pas l’espace du non-lieu, il n'y vit pas, mais entretient seulement une relation anonyme. Il note que le voyageur dans l'espace urbain est davantage défini par sa destination, symbolisée par un billet de transport ou un ticket. L'identité de l'individu est entièrement définie par cet élément, il est uniquement usager ou consommateur. À l’opposé, dans la notion de lieu, il existe une dynamique sociale de petit monde urbain relativement localisés. C’est « un espace de relations, de mémoire et d'identification relativement stabilisées10 ». « Le sens du lieu est étroitement conditionné par l'existence d'un échange symbolique et sociales dont il est le support11 ».

Cette notion de lieu et de non-lieu est subjective puisque chacun est libre de considérer un espace comme lieu de passage, ou au contraire, de percevoir cet espace comme un carrefour de relations et d'interactions humaines (un « lieu anthropologique12 »). D'autre part, l’anthropologue exprime sa crainte quant à la prolifération de non-lieux qui conduit au phénomène de ségrégation. Lorsque la solitude prend le dessus sur l'échange dans la rue. Cette notion d'isolement et de distinction dans l'espace de la rue sera retrouvée plus tard, dans la partie III. 1.2. : « Conventions sociales tacites ». Y a-t-il une interface entre lieux et non-lieux ? Comment passons-nous des uns aux autres ? Comment selon les situations quotidiennes, un non-lieu se transformera-t-il en un lieu ?

8

AUGE, Marc, Non-Lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Le Seuil, La Librairie du XXème siècle, 1992, p. 89

9

CHOAY, Françoise, Espacements - L’évolution de l'espace urbain en France, Paris, Ed. Skira, 2004, p. 32

10

AUGE, Marc, Non-Lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Le Seuil, La Librairie du XXème siècle, 1992, p. 43

11

AGIER, Michel, Esquisses d’une anthropologie de la ville, Belgique, Academia Bruylant, 2009, p.76

12

AUGE, Marc, Non-Lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Le Seuil, La Librairie du XXème siècle, 1992, p.22 28


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2. Mexico : structure d’une mégapole fonctionnaliste 2.1. Une ville damier Mexico en 1774

De Tenochtitlán à México : L’étalement actuel de la capitale mexicaine est dû à la cuvette lacustre dans laquelle s’était installée Tenochtitlán, la Venise verte du Nouveau Monde. À l’époque le lac de Texcoco était entouré de volcans éloignés, ce qui a permis l’étalement à l’infini du Mexico du XXème siècle qui est allé coloniser les flancs de ses sentinelles endormies. Pour cela, les Espagnols ont mis en place les premiers drainages, se poursuivant jusqu’au XXème siècle, afin de construire la nouvelle ville de Mexico qui deviendra une géante.

Mexico en 2016

Mexico D.F

Tenochtitlán en 1324 30


1900

1950

1960

1970

1980

1990

Étalement urbain de Mexico durant le XXème siècle

La trame urbaine des années 1950-1960 L’étalement de la capitale Mexicaine est aussi dû à l’exode rural qu’a subi le pays dans les années 1940. A cette période des milliers de paysans affluent vers la grande ville espérant trouver du travail et une vie plus confortable qu’à la campagne. Les villages situés à proximité de la capitale subissent aussi cet exode.

Grands axes de communication rapides du District Fédéral et les complexes commerciaux et de loisirs types «malls»

Dans l’urgence, il faut loger ces populations pauvres, que l’on installe sur les terres incultes et difficiles à construire. D’autre part, comme beaucoup d’autres pays d’Amérique, Latine au Mexique l’auto-construction est une pratique courante qui ne tient pas compte des plans d’urbanisme et qu’il est difficile de prévoir dans le temps. C’est donc à partir de ce moment que la trame urbaine du District Fédéral et celle des villages alentours va commencer à s’étendre. Les deux entités n’en formeront qu’une.

Seine-Saint-Denis

• Paris

Hauts-de-Seine

Val-de-Marne

Étendue de Mexico D.F par rapport à l’Ile de France en 2016 Superficie du District Fédéral: 1 485 Km2 Population de la mégapole: 19 239 910 Habitants densité: 3 854 habitants/Km2

Afin que les milliers de personnes qui vivent dans cette ville puissent aller travailler et se déplacer, on va penser les voies de communication telles des autoroutes. Elles doivent desservir rapidement les lieux de travail et le centre ville. C’est ainsi que les espaces commencent à se fragmenter et que les voitures inondent la ville. Depuis les années 1960, les problèmes de circulation liés à cette trame urbaine s’accentuent de plus en plus, au point que la ville arrive à saturation. Elle commence à prendre des initiatives telle la mise en place de pistes cyclables et de location de vélos, comme dans les villes Européennes, afin de réduire les déplacements en voiture. 31


2.2. Création de vie privée « privatisée et sécurisée » et le tout voiture

Disparition de l’espace de la rue ? Il est vrai que Mexico passe pour être une ville peu sûre bien que de nombreux préjugés existent à ce sujet. Pour y remédier, la rue se privatise, on plante des barrières, on installe des postes de vigiles. On « achète » sa tranquillité, alors qu’à quelques centaines de mètres on souffre des coupures d’eau, d’électricité, on vit dans des maisons mal isolées ... c’est la ville des contrastes et des extrêmes, dans l’indifférence de la part des pouvoirs publics et des planificateurs. On a construit pour ces quartiers des complexes commerciaux clinquants où afflue la population. Depuis les années 1990, le centre commercial devient un lieu de promenade au détriment de la vie à l’extérieur telle que le Mexique l’a connu depuis l’époque Mésoaméricaine. Les parcs et les rues perdent peu à peu leurs usages.

L’habitant d’un condominio13 prend son véhicule. Il sort de l'enceinte de la copropriété par le portail principal tout en signalant son départ aux gardes présents à l'entrée. En voiture, il se rend à son travail où il doit à nouveau passer un portail et des gardes qui lui demanderont son identité. Il s'agit du poste d'entrée de l'entreprise. Entre la maison située dans un condominio et le lieu de travail sécurisé, l'habitant ne sera descendu de son véhicule qu’une fois s'il avait souhaité se rendre dans un commerce situé le long de son trajet, unique moment de rencontre avec « l’autre » et d'exposition mental à l’insécurité.

Depuis une dizaine d’années, la fabrication de la ville de Mexico est laissée en majorité aux groupes immobiliers qui se chargent de créer des nouveaux quartiers de toutes pièces, on y assurant une sécurité privée et la possibilité d'imitation de rue partagée par les habitants des dits projets. D'après l'entretien réalisé avec Sergio Antonio Estrada Flores14, directeur de Planification et Projets Urbains au Secrétariat de Développement Urbain et Ouvrages du Pouvoir Exécutif de l'État du 13

sorte de gated communities, quartier résidentiel à accès controlé

14

dans la cadre d’un mémoire de fin d’étude d’un élève de l’école d’architecture et de paysage de Bordeaux, Jurica, paysages en mutations d’un village de la métropole de Santiago de Querétaro, 2015 32


District Fédéral : « la demande du marché consiste à avoir une maison individuelle avec jardin, de la sécurité, un chien et pas de voisins directs ». De plus : « les familles arrivant à Mexico apportent avec elles leur sentiment d' insécurité » venu du reste du pays et « rien ne peut empêcher une communauté de vivre recluse et d'assurer sa propre sécurité », le communautarisme et l'individualisme sont forts à Mexico. À l'aide d'un condominio, il pense échapper à l’insécurité. Fabrication fonctionnelle de la ville Les nouveaux quartiers de la mégapole sont composés d'unités monofonctionnelles reliées par des routes à grande circulation. Ils sont caractérisés par une absence de centralité (centre urbain, commerces et services). Ils sont constitués d'un patchwork d’où sont absents les espaces de rencontres et de partage. Comme nous l'avons évoqué, les raisons de cette modalité d’urbanisation sont liées à la fois à des processus globaux (poursuite par la population d'un idéal d'individualité et de mobilité toutvéhicule) et à des stratégies d'aménagement du territoire (développement sans fin des voies à grande circulation, rôle croissant des professionnels de la ville ayant des compétences sectorielles par rapport au planificateurs et aux architectes, urbanistes et paysagiste). Enfin, le processus de fabrication de la ville est influencé par les groupes immobiliers et les investisseurs proposant des produits immobiliers spécifiques de type condominio dans toute la ville. En parallèle, les shopping malls sont de plus en plus nombreux et volumineux. Ancrés à l'intersection d’autoroutes urbaine, il reste en général déconnectés du territoire puisqu'il fonctionne en vase clos et non pas avec l’existant urbain.

« Je ne connais pas l'histoire de cette image aérienne [qui représente un suburbio15 du quartier de Corregidorra] mais sans crainte et je peux l’imaginer. Un premier groupe immobilier est arrivé il y a quelques années ayant la certitude qu'il pouvait faire ce qu'il voulait puisque personne ne viendrait s’accoler à son quartier. La politique municipale y a mis du sien et a validé le projet (pensé à l'origine pour être isolé) sans trop d’inconvénient. Cependant, quelques mois après, est venu s'installer un deuxième ensemble, permis en poche, qui pour le moins c'est installé de la même manière que son prédécesseur. Et de cette manière est arrivé en troisième, un quatrième est un cinquième ensemble immobilier. » Extrait de La ciudad de los parches, article tiré de Pedestre.

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suburbio fait référence au vocable suburb en anglais, tiré de l'urbanisme des grandes métropoles des États-Unis d'Amérique 33


2.3. Conséquences sur le paysage Quartiers immuables, limites dures. Qu'il s'agisse de quartiers fermés (condominios) ou ouverts sur l'espace public (fraccionamientos), la fabrication actuelle de la ville passe par la duplication de modèles de maisons. Ce phénomène est directement lié à la recherche de rentabilité des opérations immobilières pensées par de grands groupes. A l'échelle d'une maison, il est difficile pour le propriétaire d'effectuer des modifications architecturales (annexes, agrandissement, surélévation, toiture plantée) puisque des règlements strictes sont imposés à tous les membres d'un condominio. De plus l'architecture de chacune de ces maisons n'est pas pensée pour en permettre la modification. A moyen et à long terme, à l'échelle de l'opération ou d'un quartier, les condominios sont un processus de fabrication de la ville qui empêche toute sédimentation urbaine, architecturale et végétale. Le foncier du condominio est de régime privé, par conséquent peu accessible du fait des voiries privées qui appartiennent à tous les propriétaires de l'opération. Dans de tels projets il est difficile de racheter des parcelles pour ensuite reconstruire différemment. Le cas de condominios anciens à México illustrent ce propos puisque les maisons ont vieilli sans être modifiées et les murs entourant l'opération ne sont jamais tombés pour s'ouvrir à la ville. Pour pouvoir intervenir, il faudrait imaginer racheter toute la copropriété. En 2003, les condominios n'étaient pas aussi grands. L'actuel processus de fabrication de la ville est à la juxtaposition de ce type d'opérations. Cela rend des pans entiers de la ville immuables.

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Des commerces auront-ils le droit d'ouvrir dans de tels quartiers ? Sortis de terre à très grande vitesse, pour combien de temps resteront-ils ? Les habitants peuvent-ils planter des arbres devant chez eux ?

Que penses-tu de ces opérations immobilières qui s'étendent à l'écart de la ville ? La croissance est bonne, mais seulement quand elle est planifiée et ça je crois qu'en ce moment ça nous échappe. Au niveau esthétique, aimes-tu ce paysage ?
 Non, car toutes les maisons pareilles donnent une impression de revenus bas et dévalorisent le paysage. Ces personnes viennent d’ailleurs. Extraits de l'entretien avec Juan Carlos Hernandez

Morcellement du paysage. Le processus de fabrication de la ville s'effectue par des opérations immobilières de grande ampleur qui s'implantent seules ou se juxtaposent dans le territoire sans même créer de lien entre elle. Ces opérations morcèlent considérablement le paysage. De grandes superficies de matorral et de parcelles agricoles s'urbanisent du jour au lendemain. Cette modalité de développement urbain permet de répondre avec rapidité à la demande du marché mais elle a un impact fort sur le paysage : bouleversement des repères symboliques, spatiaux et géographiques (effacement des haies et trames agricoles, disparition de la cime d’un relief, etc.). Le paysage devient peu lisible de l'intérieur et de l'extérieur et il est difficile de comprendre où l'on se trouve lorsque l'on est usager. Discontinuités, ruptures. La juxtaposition fonctionnaliste des éléments le long d'axes routiers crée des ruptures et des discontinuités dans le paysage. Les éléments se superposent ou s'enchaînent, parfois sans lien entre eux. C'est ainsi que dans ce paysage, il est possible de voir un tronçon de 2x4 voies, une p a s s e r e l l e, d e n o m b r e u s e s e n s e i g n e s publicitaires, une par tie de bâtiment commercial vertical, ainsi qu'un côteau de matorral en partie urbanisé de maisons cossues bénéficiants de la vue sur la ville. Ces éléments constituent un « continuum urbain discontinu ». Le rôle tampon des végétaux est essentiels car il crée du lien entre les éléments et adoucit le paysage. La deuxième image est une route située entre deux quartiers clôturés de type condominios. Le piéton n'a pas sa place dans cet espace interminable et stérile. 35


Inversion paysagère. La recherche de panorama sur le paysage de la ville implique de monter en hauteur. Les coteaux sont depuis quelques années investis par des constructions verticales, allant de la « tour » avec quelques logements au véritable « building ». Prise à contre-jour, la première photographie révèle l'impact des constructions verticales sur les coteau de la ville de Mexico : la cime des côteaux est dentelée. Comparés à la taille des végétaux du matorral ou a la taille des maisons individuelles, les immeubles écrasent les coteaux et leur donnent une échelle beaucoup moins monumentale. Les coteaux changent d'échelle, l'inversion des reliefs est en cours. Destruction des monuments naturels. Le projet Cumbres del Cimatario s'implante en limite d'un Espace Naturel Protégé. Il s'agit du Parc National El Cimatario, protégé à l'échelle fédérale. En altérant le site protégé, l'opération immobilière véhicule un message fort d'impunité et de non-respect de l'espace naturel sensible, de l'unicité du paysage volcanique et de la faille normale aux portes de la ville de Mexico.

Conséquences physiques sur les habitants Inondations. Dans l’État du District Fédéral, les vallées, les coteaux et les collines s'urbanisent de plus en plus. La pression urbaine est forte puisque le relief attire les investisseurs qui souhaitent proposer des logements avec vue. L'imper méabilisation des sols a des conséquences catastrophiques sur le cadre de vie des habitants situés en aval, d'autant plus que le réseau d'évacuation pluviale est quasiment inexistant ou insuffisant. Les orages de la saison des pluies sont intenses et les routes se transforment littéralement en rivières. Les inondations en point bas sont nombreuses. Les espaces perméables sont nécessaires dans toute la ville. La coupe franche réalisée par un engin dans un coteau (troisième photo) révèle combien 36


le matorral est fragile et important pour éviter les inondations : les strates herbacées, buissonnantes et arbustives ralentissent la pluie et facilitent son infiltration. Ilots de chaleurs. Comme il a été constaté dans la majorité des projets immobiliers récents, les plantations d'arbres sont rares et les températures sous le soleil sont peu supportables. Les respirations urbaines et les simples plantations sont rares dans les nouveaux quartiers de Mexico. Elles sont pourtant essentielles. Prise de conscience. Le Parc National El Cimatario s'urbanise peu à peu. Sur les réseaux sociaux, il est possible de voir circuler cette image en protestation à la vente de terres protégées. Dans la partie supérieure du montage, il s'agit du volcan El Cimatario comparé au Cerro del Cuatro, éminence géologique de la Zone Métropolitaine de Guadalajara, Etatdejalisco (partie inférieure). Il est inscrit : « El Cimatario tel qu'il est aujourd'hui \ tel qu'ils veulent qu'il soit ». La particule « ils » désigne les politiques et les promoteurs immobiliers qui spéculent sur les terres du Parc National. Mexico est une ville grandissante structurée le long d'autoroutes urbaines et d'avenues qui desservent différents quartiers historiques et/ou fonctionnels de la ville. Jusqu'en 1950, toute la ville était tournée vers son centre historique. À partir de la deuxième moitié du XXème siècle, la politique de la ville passe à l'industrialisation. De nombreux quartiers monofonctionnels se construisent alors autour du centre. L'étude de quelques exemples de quartiers de la ville à travers son histoire récente nous permet de comprendre qu’elle a évolué plus ou moins rapidement à l'aide de schémas et de mécanismes différents qui présentent chacun leurs qualités urbaines (espaces publics, présence du végétal, sédimentation urbaine, densité, etc.) auxquels sont liés des modèles d'habiter différents (modes de vie et modes de ville). La ville est prospère et en plein essor. L'émergence d'une classe moyenne au Mexique redessine les villes. Aujourd'hui les grands axes de la ville irriguent d'immenses quartiers dortoirs, des parcs industriels ainsi que d'immenses places commerciales et shopping malls. La juxtaposition de quartiers monofonctionnels dans un long continuum plus ou moins urbain, crée de grandes discontinuités dans la ville. De plus, avant tout ancré dans les représentations de la ville, le sentiment d'insécurité ferme les espaces monofonctionnels. Le piéton, souvent hors d'échelle, n'a pas toujours sa place dans une néoville où le tout-véhicule et le désir d'habiter s'emparent des paysages de la ville, du projet urbain et des terres disponibles. 37


3. La calle Los Angeles : éloge de l’informel Une mélancolie active N’existe-t’il donc pas des espaces publics modestes, dans des rues, des ruelles, sur des marches d’escaliers ou à des carrefours ? À la configuration et l'agencement des espaces les plus quotidiens, dans des attitudes à première vue banales et dans des postures ordinaires où s'affiche et se révèle pourtant une mise en place de relations « intelligentes » entre les éléments bâti et non bâtis. En travaillant sur une rue de Mexico, on voit apparaitre deux modèles physiquement juxtaposés mais dont la manière d’appréhender l’espace public est fondamentalement différente. Adossé au condomino précédemment étudiés, ce trouve une occupation informelle des rues où persistent des activités mineures, comme des pratiques des vendeurs de rue prenant place en limite de chaussée, ou encore un garagiste qui utilise le trottoir comme atelier. On tente ici de mettre à jour des logiques matérielles qui peuvent nous aider à mieux voir et concevoir l'espace habité. Installer un espace habité « Des objets familiers tels que des tables, des chaises, que l'on voit habituellement à l'intérieur des maisons, transforment des rues abandonnées ou inutilisées en îlots d’occupations humaines », écrit M. Crawford. « Les vendeurs donnent à ses espaces urbains la qualité des espaces domestiques ». Voici un point qui me paraît décisif pour orienter l'analyse : cet art quotidien de définir un lieu par une manière particulière de s’y établir. Un rebord de muret se transforme en devanture, une grille en cimaise, un capot d’une voiture devient étalage. Dans tous ces cas, il y a bel et bien une transformation d'un espace est une fabrication de lieu. Les habitants de la Calle Los Angeles sont pluriels et passionnants. Chaque famille crée un fragment du lieu. Il serait possible d'écrire longuement à ce sujet. Dans ce mémoire il est question de décrire les grandes lignes des caractéristiques spatiales et anthropologiques de la rue Los Angeles et les enjeux liés aux mutations du territoire.

Calle Los Angeles Condominios

Condominios

Condominios

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Alors qu'en France la question de la communauté a tendance à s’effacer, à Mexico elle constitue un point central dans l'articulation de la ville. On pourrait dire que ce sont une multitudes de ville dans la ville, aux identités chacune très marquées. Administrativement, l’État du District Fédéral de Mexico est constitué de 16 délégations, ellesmêmes divisées en colonias (quartiers) au nombre de 400 au total. La rue que nous allons étudier dans ce mémoire se trouve dans la délégation de Alvaro Obregon et plus exactement dans la colonia Olivar de los Padres. Ce quartier peut être qualifié de résidentiel, de classe moyenne et populaire majoritairement. Comme beaucoup de quartiers de la ville, il est composé de gated comunities, enclavées par un contrôle d’accès. Mais autour d’elles, de petites identités sont constituées. La Calle Los Angeles est une impasse de 183 m de long et 6,5 m de largeur. Manifeste de la vie quotidienne, elle est le théâtre des échanges sociaux d’une communauté.

Centre historique Délégation Alvaro Obregon

@

Colonia Olivar de los Padres

Mexico D.F

Délimitations de la Colonia Olivar de los Padres Zone d’étude : Calle Los Angeles

C’est un mélange, entre vie quotidienne, coutumes et paysages urbains intéressants qui ont déterminé le choix de ce site. Cette rue populaire, avec ses couleurs et ses odeurs, constitue un paysage intime. Des murs peints, des jardins cachés, les pestos de tacos où l’on mange, debout, tout au long de la journée, divers objets vendus à même le sol, pendant que l’on discute au coin de la rue.

Calle Los Angeles

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3.1. L’autoconstruction, une architecture vernaculaire La majorité des maisons de la rue sont construites par les habitants. Il s'agit d'une architecture très fonctionnelle qui répond à la demande de se loger à moindre coût. Les matériaux utilisés, parfois de réemploi, sont des briques de terre cuite ou de ciment dont l'origine est souvent locale ce qui réduit les frais : il existe de nombreux points d'extraction de roche et d'usines de ciment dans la région. Les constructions sont brutes et rarement enduites : seule une partie des habitants cherche à embellir leur maison. Dans la rue on peut apercevoir dépasser des tiges filetées qui sont des aciers en attente permettant à la famille de surélever sa maison et de créer de nouvelles pièces lorsque par exemple elle attend un enfant et qu'elle a pu se constituer des économies. Les maisons de La Calle Los Angeles sont l'expression simple d'habiter. Les riverains vivent également dans l'espace de la rue : l’après-midi les enfants jouent dans la rue. Ils entretiennent eux-même les espaces de leur rue en balayant les trottoirs et le pavage chaque jour. La rue constitue l'extension de leur maison dans l'espace public. À l'époque de la hacienda16, les maisons de l’impasse était construites en adobe. On constate l'oubli des techniques traditionnelles de construction pour des techniques plus récentes que les ouvriers maçons importent des chantiers de la ville de Mexico. L'espace de la rue est délimité par l’alignement des façades des maisons sur rue et par les clôtures opaques (murs de briques) créant une rupture entre l'espace public et l'espace privé. Cette continuité crée un espace de la rue régulier et affirmé. On remarque qu'en rez-de-chaussée, les ouvertures des maisons se limitent à la porte d'entrée. Les commerces dans la rue Certains habitants possèdent leur propre negocio (petite affaire) ou tienda (petite boutique) et travaillent dans la rue. Les commerces de rue sont très nombreux : miscelánea17 , tortilleria18 , papeteries, vendeurs de fruits et légumes, vendeurs (ambulants ou fixes) de tacos, mécaniciens, etc. En règle générale, les commerces se situent en rez-de-chaussée, ouverts sur la rue ou dans la maison du commerçant qui devient boutique le moment d’une transaction. Les propriétaires vivent au premier étage ou plus en profondeur dans la parcelle. 16

Une hacienda est une exploitation agricole de grande dimension, que l'on pourrait comparer au système français de métairie.

17

La miscelánea est une petite boutique dans laquelle sont vendus différents types d'arcticles, entre autres des boissons rafraîchissantes, des aliments de première nécessité, des conserves, des jouets, des cigarettes, etc. 18

La tortilleria est le lieu de transformation de la pâte de maïs en tortilla. Au Mexique, la tortilla traditionnelle est une galette ronde de maïs servant à élaborer la majorité des plats comme les tacos et servant également de couvert pour manger à la main. 40


la rue et son ciel d’adornos l’ombre des toiles tendues

les murs peints :

une tradition

marchés, vendeurs de toutes sortes

les tianguis pour manger dans la rue

3.2. L’intime

La rue est étriquée, déformée et recouverte d’asphalte. Les trottoirs sont étroits, encombrés de panneaux, de jardinières, de poteaux électriques... Ces éléments les rendent inconfortables mais sont pourtant de véritables repères identitaires de ces quartiers populaires. Tout comme le vocabulaire de la rue qui parle de ses usages. En arpentant cette rue, on se sent loin de la grande ville et de ses bruits. Ce paysage urbain est intime, on semble retrouver des repères jusqu’alors perdus dans cette grande capitale. Ici, peu de barrières, pas de vigiles, pas de rues fermées. Les gens vivent comme dans un village, on se connaît, on se retrouve à l’occasion des fêtes des saints Patrons qui protègent chaque quartier, on se croise à l’épicerie, les enfants jouent ensemble. Le réseau de liens sociaux et la vie en communauté existent, au contraire de l’individualisme qui se dégage de certains quartiers aisés.

Dans le quartier Olivar de los Padres, un coin de rue avec sa petite épicerie

1m Trottoir de 1,50 mètre encombré et inconfortable

546m Une trame urbaine resserrée et étriquée

Une succession de petites rues, côte à côte avec leurs maisons cubiques 41

Une rue étroite de San Mateo


3.3. Le langage de la rue

Les toiles tendues et l’ombre des arbres du marché alimentaire

Un arbre au tronc recouvert de chewings-gum collés

Dans les quartiers populaires le vocabulaire de la rue est encore visible. Les socio-formes, typiques de l’appropriation de la rue au Mexique parlent d’elle. Elles témoignent de pratiques et d’usages quotidiens qui laissent l’empreinte des habitants qui y vivent et y travaillent. Ce vocabulaire a dès le début attiré mon attention. Il s’en dégage une certaine poésie, une légèreté qui fait que la rue semble parler, qu’elle a des mots différents en fonction des heures de la journée et des usagers qui s’y installent.

On mange debout dans la rue

La fée électricité au Mexique

Des capsules de bières incrustées dans l’asphalte

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On vend de l’artisanat et tous types de babioles


43


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II. Les commerces de rue de Mexico : mÊtiers de l’informel

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De plus en plus, on voit apparaitre une littérature académique qui vise à repenser l'informel comme une source, une richesse, dans un mode d’aménagement. Alors que l'on a longtemps opposé les villes réglées avec les bidonvilles, aujourd’hui, ce système est complètement remis en question. Au fond, c’est peut-être dans la ville informelle, non-réglée, que l'on trouve des solutions, et non plus dans la réglementation et dans la fonctionnalisation. Cette ville de l’auto-conception est économiquement profitable à beaucoup de gens qui y vivent financièrement et en tirent des métiers. Chaque jour, des milliers de citadins, tel des ouvriers, s’attèlent à leur tâches, constituant ainsi un panel de métiers informels et une réelle vie économie. C’est le cas des chauffeurs de bus des lignes non officiellement répertoriées, des commerçants ambulants, des vendeurs à la sauvette, etc. En France, la tendance est allé à l’inverse. Dans une logique fonctionnaliste et hygièniste, on a peu à peu vidé les villes de leurs activités de rue. Il est intéressant d’observer que, dans une des plus grandes villes du monde qu’est Mexico, une économie de quartier est maintenue. Ce chapitre constitue un travail d’identification de situations d’occupations de la rue à Mexico. Un élément y est particulièrement récurrent : le commerce dit « ambulant ». Le commerce de rue tel qu'on l’entend ici correspond à une appropriation, un geste culturel, sur une situation donnée. C’est « l’attribution transformatrice d'un trouvé reconnu, et cela se manifeste toujours dans une évidence simple et sensible, découverte dans les ondulations de la réalité, et offrant une infinité d’interprétations19 ». Pas besoin de signalétique : pas besoin d'afficher ici arrêt de bus. Aucune injonction n’est nécessaire pour prendre position évidente. Nous regardons de cette façon les conditions du site, plus ou moins spontanément réunis, qui offrent une capacité d'accueil privilégiée. Ces installations informelles et auto-construite sont le symbole d'un certain ordre déjà là, mais encore ouvert à interprétations et transformations.

1. Identification des différentes formes de commerces de rue

Ce travail d’identification de situations d’occupations de rue à Mexico est basé sur la classification faite dans l'ouvrage « Ambulantage et services à la mobilité : les carrefours commerciaux à Mexico20 ». Il nous permettra ainsi de construire une grammaire de situations spatiales en ville.

19

BLANC, Jean-Noël, La fabrique du lieu, Installations urbaine, Publications de l’Université de Saint-Étienne, Saint-Étienne, 2004, p 36.

20

CAPRON, Guénola, GIGLIA Angela, MONNET Jérôme, « Ambulantage et services à la mobilité : les carrefours commerciaux à Mexico », Cybergeo : Revue européenne de géographie, 06 avril 2007, N° 371, p. 12-21 46


Il existe, en dehors des plaza commercial21 et des mercados22, des vendeurs installés en dehors du cadre « établi » : dits « commerce de rue ». Ce sont des commerces informels, par leur forme et/ou leur statut juridique défini par les politiques publiques, puisqu'ils n'incluent pas de postes « fixes » et que ceux-ci prennent vie à l’extérieur, immédiatement dans le contexte urbain. Le rapport à la rue est direct : c’est ici qu'ils s'installent quelques heures, à l'identique ou de manière variable quant à leur implantation. Il peut s'agir de marchés hebdomadaires réguliers appelés tianguis, de commerces ponctuels ambulants ou semi-ambulants qu'ils soient régulièrement installés ou non à la même place et quelle que soit sa forme. Ces commerces qualifiés d'« ambulants », le sont pourtant moins que leurs clients. Ils répondent à une demande non satisfaite par le commerce établi de manière formelle. Le client ne transite pas dans un cadre dédié purement, ni premièrement, à la consommation à proprement parler. Cela génère des relations directes avec ceux qui fréquentent ces espaces, en majorité : les piétons. Ce type de commerce transforme le piéton en client potentiel ambulant, mais le client reste avant tout piéton. Tous les piétons ne sont évidemment pas clients, mais tous sont susceptibles de le devenir à un moment, ou bien d'interagir avec l'un d'entre eux ou avec l’un des éléments du commerces « ambulants ». Malgré une apparence plutôt chaotique de cet ensemble, les commerces sont différenciables. Organisés et ordonnés par forme de vente, ils sont identifiables selon le type de produits ou service rendu, leur localisation et la situation des clients. En effet, alors que les marchés touchent généralement une certaine population régulière, les commerces ambulants concernent les « voyageurs ». Cette catégorie de clients comprend essentiellement des personnes en mouvement, qui pour une question d’économie de temps ou de simplicité de déplacement, au fil de leur trajet, vont prendre part à cet espace commercial de rue et engendrer de nouvelles interactions. 
 Une classification des activités, par forme de commerces, a été établi dans l'article « Ambulantage et services à la mobilité : les carrefours commerciaux à Mexico » de Angela G. Nous reprendrons une grande partie de ce classement, qui se dit « défi du fluide et du flou23 ». En effet, il ne s’intéresse pas seulement aux formes de ventes ambulantes, mais aussi aux types de services ou de ventes dans différentes localités choisies. On remarque que la classification dépend simultanément de la forme et de la position de vente (si le vendeur est mobile ou en situation assise). Les catégories définies sont :

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centre commercial

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marchés couverts et fermés comportant des horaires, ouverts tous les jours de la semaine

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CAPRON, Guénola, GIGLIA Angela, MONNET Jérôme, « Ambulantage et services à la mobilité : les carrefours commerciaux à Mexico », Cybergeo : Revue européenne de géographie, 06 avril 2007, N° 371, p. 11 47


1.1. Les ambulants de trottoir Ils se déplacent à pied sur les trottoirs afin de proposer leurs services ou produits aux piétons. La majorité d'entre eux parcourt les espaces fréquentés en abordant les passants et présentant la marchandise. Une souscatégorie d'entre eux est susceptible de monter à bord des micro-bus, avec l'accord du chauffeur. Une autre, travaille exclusivement dans le métro mais ne sera pas abordée ici. L' étalage des articles se fait de manière succincte. Le fait de s'établir à un moment donné, en ferai un stand.

L’homme aux ballons : ce poste se retrouve dans beaucoup de pays, il n’est pas spécifique au Mexique. Il est caractérisé par sa grande mobilité.

Musicien organillero : lui, est typiquement mexicain.

Exemples : vendeur de porte clefs, stylos, objets de divertissement ; vendeuses d'artisanats portés à même le bras : petits objets en bois broches, peignes, marque- pages ; vendeur de cigarettes et sucreries présenté dans un bac en bois suspendu autour du cou ; représentants d 'une marque ou colporteur de publicité ; acteurs de rue immobiles ou juste déguisés ; les organilleros ; les vendeurs de journaux.

Il date de l’époque 1930, où les soldats de l'armée du général Francisco Villa, jouaient de cet instrument afin de récolter des fonds pour l’armée.

Le vendeur de cigarettes, chips et sucreries est très réputé dans le pays. Fortement influencés par une culture américaine, les mexicains sont très friands de ce type de produits et, une grande partie d’entre eux, en consomment quotidiennement.

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1.2. Les roulants Cette catégorie regroupe l'ensemble des formes de vente mobile ayant comme caractéristique principale, leurs roues. Ces équipements stationnent pour un durée variable : alors que certains s'établissent à un endroit fixe plusieurs heures, d'autres ne s'arrêtent que le temps de réaliser la transaction. Le stationnement se fait régulièrement sur la voie de circulation, lorsque celui l'utilise comme voie de déplacement. Il est à noter que les équipements ne faisant plus usage des roues seront classifiés comme des stands ou des kiosques (selon la composition de l’élément).

Tacos de canasta dans la Cité Universitaire Ce cycliste propose la vente d’une préparation alimentaire locale à base de galettes de maïs. Les normes d’hygiènes n’étant pas toujours respectées, une association à l’appellation contrôlée s’est créée afin de les différencier.

Commerce de sucreries à l’arrêt

Exemples : tricycle de tamales ou de cargaison ; vendeurs de noix de coco sur un poste à roulette, vendeur de fruits coupés présentés dans les récipients en plastique transparent dans un poste type brouette, vélo de tacos de canasta24.

On aperçoit derrière ce commerce, une station de métro-bus. La stratégie sera de viser l’usager de ce transport en commun, en lui attirant le regard lors de son passage.

Commerce en mouvement

La structure de ce tricycle est agencée de manière à recevoir la marchandise de façon optimale.

L’usage de la brouette est détourné pour devenir promontoire ambulant dans les rues.

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Tacos de canasta : taco pré-préparé et bon-marché 49


1.3. Les stands Certainement la structure qu'on retrouve le plus, de par sa variété d'installation. C'est une structure montable et démontable quotidiennement. Elle est composée usuellement d'une table ou d'un reposoir pour exposer certaines marchandises. Ces derniers sont accompagnés de grilles verticales jouant le rôle de parois, qui supportent des articles suspendus. Le tout est protégé par un auvent ou un parasol. Une toile tendue recouvre parfois la structure afin de protéger l'ensemble des produits proposés. Ces configurations de commerces qu'on rencontre régulièrement aux carrefours, vendent fréquemment : un ensemble de gommes à mâcher, de sucreries, de cigarettes ; des accessoires, et équipements à la personne ; ou proposent un service de restauration à la demande type tacos ou tortas. Ils peuvent également offrir une « restauration opportuniste », c'est à dire, présente une partie de la journée, en concordance avec les besoins des clients. Le matin, tôt, jusqu'aux alentours de 10h seront installés les stands petits-déjeuners offrant des tamales, de l'atole, des pains sucrés. Lui succédera le stand de jus de fruit frais, qui s'établie jusqu'à midi, jusqu'à écoulement des stocks. Le point de vente de ce type de produit se décline couramment sous forme d'un élément roulant légèrement plus mobile. (voir point précédent)

Les stands : une table support des marchandises, accompagnée d’un parasol ou d’une bâche servant d’abris 50


1.4. Les kiosques Les kiosques sont des constructions métalliques avec des présentoirs dépliants, généralement installées officieusement par des entreprises et comportant des publicités endessous de la surface vitrée. Celles-ci vendent principalement des journaux, accompagnés de sucreries, sodas et cigarettes, parfois des fleurs ou bien se dédient à la vente d'une spécialité alimentaire à base de pain ou de tortillas, généralement des tacos ou des tortas, préparés à la demande.

1.5. Les « ratisseurs » de véhicules Ceux-ci seront exclus de ce développement, puisqu'ils visent exclusivement une population se déplaçant en voiture. Les laveur de pare-prises ; les vendeurs d'objets en tout genre, de collation ou de chips, de glaces ou de rafraichissements par un climat chaud, de fruits en sachet ; les jongleurs ou malabaristas, et les organilleros (qui font aussi parti des ambulants de trottoir) composent ce groupe. Leur caractéristique notable étant d'être au service des automobilistes, ils appartiennent aux commerces ambulants faisant partie du paysage. Ils ont donc été exclus consciemment de cette étude.

Cette classification peut faire l'objet de variations, puisque la réalisation de ces points de vente est couramment artisanale et peut être sujette à modification, soit amélioration soit détérioration, de la part de son propriétaire ou des usagers. Un marchand « ambulant de trottoir » se retrouverait classé dans la catégorie « stand », s'il dispose une planche sur tréteaux afin d'y faire reposer la marchandise pour une longue durée (soit plus que le temps d'une simple transaction), ou de la présentation à un fort afflux de passants. 51

Les kiosques : avec leurs mobiliers, leurs clients et les abris


Cet exemple se rencontre dans l'une des rues les plus fréquentées de la capitale : la Calle Madero, menant du Zocalo (Place de la constitution) à Bellas Artes, dans le centre historique. On retrouve alors les même formes de vente que dans C.U.25 qui reçoit un nombre important de vendeurs « ambulants » ayant comme seul support une cagette et se déplaçant constamment. Dans cette rue du centre historique, les mêmes vendeurs ont pris la position assise face au flux de passants, qui se dirigent naturellement vers eux. Ceux-ci seront classifiés en tant que stands, pour respecter la manière de vente et donc l'impact sur l'espace de la rue vécu, et pas seulement la forme du commerce qui peut considérablement varier. Cette organisation de commerce résulte également d'accords informels entre les autorités publiques et les commerçants, soit sous forme d'un échange de service, ou bien sous forme de corruption.

2. Morphologies et limites d’appropriation L'appropriation physique d'un territoire, c'est d'abord le fait de le marquer plus ou moins nettement pour signifier son chang ement d'appartenance. Il s'agit d'adapter une zone à un usage déterminé, le commerce, autre que son usage originel, la circulation des piétons. La zone a alors un usage dévolu au commerce, tout en laissant possible le franchissement de ces limites par l'ensemble des usagers de la rue, selon la configuration de l'installation. L'emprise peut être matérialisée dans les trois dimensions par : 2.1. La structure du stand lui-même Elle est une première limite à l'emprise du commerce. Le support métallique de vente lui-même dans l’éventualité de kiosques ; le véhicule de transport dans le cas de tricycles, ou une planche de bois reposant sur des tréteaux dans la situation d'un stand amovible, exprimeront une périphérie du stand. Dans certains cas, la structure principale est une première barrière au public en terme d'accès. Le client n'est pas invité à franchir cette limite, mais doit la respecter afin de maintenir la distance et mettre en valeur la relation client/commerçant. Dans d'autres cas, au contraire, la structure agit comme un appel pour le passant qui est attiré par l'emprise que génère ce commerce. 25

Ciudad Universitaria : Cité Universitaire 52

La structure du stand lui même constitue un limite d’emprise du commerce.


2.2. Les éléments physiques composant le stand (en dehors de la structure principale) 
 Des éléments de toiture, du mobilier, des articles ou encore du matériel d'entretien composent cette catégorie. Un débord de toiture de kiosque ou une extension de stand en toile tendue, signaleront une invitation pour le client à s’approcher. Il marquera une avancée dans l’espace, appelant le passant à se diriger vers le présentoir. La disposition d'un large parasol protégeant les articles, englobera prématurément le passant dans son élan, l'incitant à se diriger sous le rayonnement de celui-ci.

Bien que potentiellement séparé du stand (de sa structure principale), le mobilier participe à la délimitation de l'emprise du stand, conviant alors le client à s’asseoir. Du matériel servant à la préparation ou contenant des biens tels que les bonbonnes d'atole26, ou des packs de marchandises enveloppées pourront, par leur volume imposant, définir une limite nette de l'emprise. Le client ne pourra généralement pas franchir cette démarcation, ce périmètre. Un rayon d’influence est également défini par l'accrochage d'éléments suspendus faisant parti de la marchandise. Ces éléments tendent initialement à attirer le regard du piéton (ex: disposition de cigarettes suspendues), ou répondent à une économie d'espace dans le cas de biens à disposition des clients du « poste »27 de restauration.

Éléments matériels composant le stand : ils constituent l’emprise du commerce et leurs usages peuvent être détournés

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atole : boisson chaude sucrée nutritive à base de farine de mais

27

Poste : mauvaise traduction de puesto 53


2.3. Des regroupements de personnes Des regroupements de personnes sont particulièrement observables aux alentours des « postes » de restauration. Les clients eux-même forment des éléments de limite de l'espace. Leur caractéristique principale ici, est qu'ils sont mobiles. Cette « barrière » l'est donc aussi, puisque tout mouvement de la part d'un des consommateur modifie la limite. Les clients de ces commerces sont occasionnellement assis, lorsque le poste de restauration concerné propose ce service, mais la plupart des installations n'offrent pas cette possibilité. Il est courant de voir un service de restauration rapide sans mobilier supplémentaire, autre que le stand lui-même, mis à disposition des clients. Cela accentue la notion de passage, de rapidité du service et de l'acte de manger en soi. D'autre part, il semble que la station debout pour manger soit très courante et n'est en aucun cas préjudiciable au commerce. D'autre part, la concentration d'individus génère l'attraction : plus il y a de monde, plus cela attire.

Regroupement de personnes : il crée une limite mouvante au stand

2.4. Le corps Portant son chargement et sa vente, le corps du vendeur est constamment ambulant. Lorsque le marchand ne possède comme structure de vente que son propre corps (portant les articles qu'il propose), l'espace de transaction et sa limite sont alors toujours mobiles. Lorsqu'il transporte une cagette, contenant les articles, le corps reste le principale barrière. Lorsqu'il transporte sur la tête ou à bout de bras son chargement, l'élément principal définissant l'espace de transaction est le plateau qui supporte le chargement. Lorsqu'il y voit une opportunité, il présentera les éléments de son commerce aux yeux des potentiels clients, en déposant le plateau sur des tréteaux pliants ou un muret.

Les corps des vendeurs participent à l’emprise du commerce

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2.5. Des éléments urbains fixes extérieurs au commerce Un grillage entourant une propriété, une barrière, un rebord de sortie de métro, un élément végétal, un mur sur lequel l'étalage s’appuierait, sont des éléments urbains qui peuvent faire partie de cette catégorie.

2.6. Des éléments de commerces adjacents La combinaison de plusieurs éléments de définition de cette zone de commerce est possible et même fréquente. 2.7. L’ombre portée du commerce L’ombre portée du commerce sur le sol est un élément du champs visuel des promeneurs tendant à modifier l'étendue du commerce : l'agrandir dans certains cas, la rapetisser dans d'autres. Celle-ci va souvent de pair avec un élément de toiture (voir point « des éléments physiques Des éléments urbains fixes et extérieurs au commerce sont composant le stand ») qu'il s'agisse d'un parasol incorporés dans l’organisation du stand : appropriation ajouté, d'un auvent métallique faisant partie de la continuité d'un kiosque ou d'une toile accrochée en surplomb d'une partie des articles présentés. Attention, cette composante dépend aussi du climat, ce qui en rend sa présence, son influence valable épisodiquement. Un feuillage d'arbre en surplomb peut également remplir cette fonction, et marquer l'appartenance à un même ensemble. Les limites physiques étant inscrites, ce sont les limites métaphoriques qui sont alors davantage variables. L'ombre étant une des premières composantes remarquables de ce type, s’ajoutent ensuite les tracés au sol, les plaques d'égout en deux dimensions. Ces éléments n'ont pas de composante volumétrique mais contribuent tout de même à estimer l'espace dans les trois dimensions.

Lors d'une relation mitoyenne, quel que soit l’élément délimitant l'espace, ou son appartenance à l'un ou l'autre des commerces, il délimitera l'espace occupé et attribué à chacun d'entre eux. Une toile tendue peut trouver comme support d’attache, un grillage qui définit une autre limite au stand. La toile ferme la partie supérieure du stand tandis que le grillage clôt un partie verticale.

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Ces espaces peinent à se définir formellement de manière permanente, puisqu'il y a une interaction continuelle entre le commerce et le piéton. Ce dernier entre dans le champs de vente de manière courante, compte tenu de la disposition particulière de ce type de commerce qui ne compte pas de parcelle déterminée légalement. L'emprise du commerce de rue est plus ou moins franchissable, selon le degré d'appropriation de l’espace par le commerce. Un kiosque ne permettra jamais l'accès à son intérieur à une personne autre que le commerçant. Alors que l'emprise d'un stand de restauration, avec son mobilier permettant à ses client de s'installer le temps d'un repas, sera aisément franchissable : il est amovible et ponctuellement occupé. L'aire d'occupation d'un commerce, d'une personne ou d’un élément composant la rue, agit comme une bulle invisible rétractable ou amplifiable selon la situation. Elle est représentable par un dégradé et se répercute de cette manière sur les personnes qui s'en approchent.

3. Logiques d'implantation des commerces de rue Par l’intervention de quelques constituants de l'espace, même les plus simples : barrière, bords, ligne, point fixe…parfois, une banale corde tendue, une césure dans l'étendue, une rupture dans le plan ; alors apparaissent ensemble, une forme et un sens sujet à interprétations. Les éléments de l'espace constituent des accroches, des calages, des adossements, des infiltrations, des dominations, des conquêtes, des défis, des accords, des accompagnements, toute une gamme de manières de ce tenir dans l'espace. Ici on s’accoude, là on s’adosse, ailleurs on s’accroche, ou alors on se bloque, on se glisse, on s'ouvre, on établit des relations, on joue des articulations : « on révèle en somme la nature intime d'un lieu en y intervenant28 ». En exploitant cette lecture de l'installation informelle du commerce de rue, on peut ainsi lire et comprendre les composantes d'un système urbain. Cette vision permet d'associer diverses qualités à travers les différentes échelles. Elle indique les voies et les logiques de développement d'un site. Elle donne la possibilité de comprendre des principes sensibles fondateurs de ces établissements. Ceci décryptant les petits éléments du paysage comme « échantillons de son essence et clé de son intégrité29 ». Dès lors que les constructions et les établissements les plus simples viennent trouver place à l'intérieur d'ensembles préexistants, ils définissent un lieu en s’ajoutant, s’agrippant, s’infiltrant, s’agglutinant. Lors de l'installation de marchés et de commerces ambulants sous le couvert du métro aérien, l’alignement des étals est contenu par deux rangées de piles de fonte qui soutiennent le métro ; en tirant parti de ces objets, le marché s’inscrit dans les logiques urbaines mexicaines chaque fois qu'il s’installe. La transformation des espaces se constitue ainsi d’une suite d’appropriations. Chacune modifie le lieu et, sur une sorte de fils d'interprétation continu, l'offre à une prochaine transformation. Parce qu'il y a toujours dans l'espace physique, entre deux échelles, entre deux registres, la place pour une échelle, un registre intermédiaire (une rue dans la rue, un coin dans le coin, un salon sur le seuil …). 28

BLANC, Jean-Noël, La fabrique du lieu, Installations urbaine, Publications de l’Université de Saint-Étienne, Saint-Étienne, 2004, p. 24

29

ibid. p. 36 56


3.1. Stratégie d’implantations des commerçants Lorsqu’on s'installe en laissant une bande libre pour la circulation : laisser un passage, c'est définir le principe de la rue. Les vendeurs ambulants, les musiciens, les petits kiosques à journaux, tous suivent le même principe.La logique d'installation des commerces de rue est cohérente avec les besoins évidents et la fréquentation des usagers de la rue. Premièrement, là où la fréquentation d'usagers est abondante, on retrouve des commerces de rues en quantité. Typiquement, les carrefours, les stations de métro, les terminus de micro-bus, les sorties de centres commerciaux, des églises et alentours de rues commerçantes sont des endroits hautement fréquentés, ce qui favorise l'installation de commerces répondant à la demande du consommateur mobile. Aux abords des stations de métro, il s'agit en général d'un public assez large, puisque ceux-ci viennent de provenances variées, et effectuent un transbordement, d'un transport à un autre, pour une partie d'entre eux. A proximité d'une zone de bureaux, la catégorie socioprofessionnelle est plus ciblée, les prix suivent. Au voisinage, dans le quartier d'une université, les produits s'adaptent au public associé. Par ailleurs, on trouve d'autant plus de commerces ouverts à proximité des endroits fréquentés et aux horaires de fréquentation. Les sorties de métro, de centres commerciaux, d'écoles ou d'universités en sont envahis, dès 6h00 le matin, par exemple. Un exemple efficace apparait souvent dans les des commerces de rue dans la ville de Mexico : le carrefour Avenida Universidad et Miguel Angel de Quevedo. En effet, ce carrefour regroupe une station de métro avec ses trois sorties de métro, un terminus de bus et ses innombrables arrêts, un ensemble de commerces de grandes surfaces et des commerces de restauration à proximité, et un trafic de véhicules très dense sur les quatre files disponibles. études30

Deuxièmement, la marchandise est vendue en cohérence avec les points attractifs alentours : les vendeurs de piles et recharges se regroupent à proximité des commerces fixes d'appareils électroniques ou technologiques afin de profiter de la clientèle. Ainsi, le client venant d’acquérir un appareil électronique peut immédiatement faire l'achat complétant son achat précédent. Dans le cas présent, la clientèle est ciblée.

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dont : CAPRON, Guénola, GIGLIA Angela, MONNET Jérôme, « Ambulantage et services à la mobilité : les carrefours commerciaux à Mexico », Cybergeo : Revue européenne de géographie, 06 avril 2007, N° 371, p. 12-21 57


3.2. Prévision Les voyageurs urbains savent qu'ils vont retrouver des commerces à certains endroits clés de leur trajet. Le client s'attend à trouver certains types de produits ou services à chaque carrefour, alors que d'autres sont plus spécifiques à certaines zones. De nombreux commerces proposeront, souvent en complément d'un type de marchandise principal, des cigarettes à l'unité : le cireur de chaussures, le stand d'outils scolaires et autres accessoires et un ambulant, proposant exclusivement des cigarettes et un ensemble de gommes à mâcher et sucreries, alors que d'autres articles se font plus rares.

3.3. Banalisation Cela sous-entend que dans son parcours quotidien, le voyageur urbain sait globalement quels types de commerces il va rencontrer, quels types de services vont lui être proposés et à quel endroit de son parcours. En effet, la présence de vendeurs ambulants est inscrite dans le champ cognitif des passants. Il est évident de trouver à n'importe quel carrefour ou sortie de station des vendeurs présentant cigarettes, sucreries et gommes à mâcher ; ces articles étant régulièrement sollicités. Les automobilistes s'attendront à trouver sur leur route, des vendeurs proposant des rafraichissements, lorsque le climat est chaud. Le promeneur croisera assurément de quoi se rassasier sur son chemin. Mais d'autre part, les cireurs de chaussures sont une sous-catégorie qui ne se retrouvera que ponctuellement, en accord avec la clientèle de passage. Les salariés des bureaux étant la cible principale, les vendeurs réalisant ce service sont plus susceptibles de se trouver à proximité des zones de passage de ce type de clientèle, soit les quartiers des affaires et à proximité de zones d'entreprises. Les commerces de rue, ambulants ou non ont donc des techniques d'implantation réfléchies, en accord avec l'environnement dans lequel ils se trouvent. En dehors des commerces spécifiques, des commerces « nécessaires » sont régulièrement présents, ce qui permet au voyageur urbain, de se déplacer avec la certitude de pouvoir déjeuner, lors de son trajet jusqu'au bureau, de fumer une cigarette s'il doit attendre le micro-bus, ou encore de s'acheter des sucreries qui lui serviront après la comida (déjeuner à 14h environ). Aussi, l'activité de ces commerces est prospère puisqu'ils touchent un public beaucoup plus large. Au-delà du service unique rendu par ces commerces, les prix sont accessibles par un ensemble large de la population, puisque plus bas que ceux pratiqués par les commerces établis dans un local fixe

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3.4. Se tenir Au niveau d'un individu, ou d'un petit groupe, la manière la plus économique de définir une situation consiste à trouver un point d'appui ou à se caler contre lui. C'est un poteau dans la rue. C'est une table, c'est un coin, c'est un passage. C’est un recoin, une barrière. C’est une lumière plus forte, une ombre, une ouverture, un rebord. On s’adosse, on s’assoit, on s’accoude ; on se place sur des limites en sachant qu'il s’agit de limites, pour aménager un endroit vivable : on fabrique un lieu. Comment ses installations informelles opèrent-elle? À partir de quoi (principes et supports matériels) l’espace humain prend-il efficacement sens et forme? L'évidence du lieu, l'immédiateté de l'appropriation d'un site, celle qui fait la ville c'est cela que nous cherchons à comprendre.

“ « Oublions les choses, ne considérons que les rapports. » Georges Braque « Alors il s’arrêta, lui désigna un recoin improvisé abritant une table et deux chaises entre des cageots empilés. Une grande pancarte placée en travers coiffait le tout et créait une zone d'ombre d’aspect rafraîchissant. À la moindre idée d'entrée et de s'asseoir, ce lieu devenait carrément irrésistible. » Paul Bowles, La Boucle du Niger

3.5. Postures d’espace Nous nous apercevons que les manières de se tenir, « instituent » des lieux quand elles exploites certaines potentialités présentes sur le terrain. En reprenant les propos du sociologue Jean-Noël Blanc, on voit ici à l'œuvre « des pratiques de l’espace lui-même31 » : plus qu’une pratique du corps, ces manières de se tenir mettent en évidence une « intelligence » de ce qu'on pourrait appeler des « postures d’espace32 ». Quelle est la nature de cet interstice sans nom qui se situe entre le mur et le corps qui se tient là ? Qu'est-ce que ce petit territoire occupé par un individu en situation de guetteur ? Quel rôle telle corniche, ou telle ombre portée jouent-elles sur dans la définition des lieux ? On peut se demander alors si certains modes de construction valent aussi bien pour un individu ou un groupe que, dans une autre échelle, pour les constructions bâties sur un territoire ?

31

BLANC, Jean-Noël, La fabrique du lieu, Installations urbaine, Publications de l’Université de Saint-Étienne, Saint-Étienne, 2004, p. 47

32

ibid. p.51 59


La manière dont se placent spontanément les individus dans un espace où ils cherchent un appui, est observable. Le plus simple serait de se greffer sur un point fixe : une pierre, un arbre, un bac de fleurs, le pied d'un poteau. Une fois le lieu choisi, on s'y installe. Un commerçant suspend ses marchandises à des branches ou à des poteaux de signalisation ; un autre fixe et son étal contre la pile d’un pont ; un couple s'appuie contre un pilier et des enfants se retrouvent au pied d'un arbre pour se raconter des histoires et inventer des jeux.Cette attitude se retrouve un peu partout. Autour d'une grille, autour d'une statue, autour d'une fontaine, autour d'un poteau électrique… Partout on s’accroche, on se cale, se replie. Peut-on également transposer cette attitude à d’autres échelles ? N’en est-il pas de même pour les villages qui s'établissent le long d'un canal, voir d'une route ? Ou d'autres qui s'installent en se servant d'une pente naturelle comme un dossier ? À partir de choix de cette nature, peut-on analyser comment une ville se développe dans l'espace, par installations successives ?

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III. Culture métisse, culture des villes : l’échelle du corps pour faire la rue

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1. L’espace social et personnel et sa perception par l’homme Le corps donne sens à l’espace de la rue La rue est la représentation première que l'on se fait de l'espace public. « La rue, c'est sans doute, avant tout, la scène, le spectacle, l'expression par excellence de la ville33 ».
 Or la ville vécue, n’est-ce pas la rue ? Comme le dit Thierry Paquot : « l’histoire des villes est aussi, et surtout, une histoire des rues34 ». Un composant est essentiel à la rue : le corps. Le piéton façonne l'espace par l’intermédiaire de cet outil. Il utilise et construit l'espace pour lui donner un sens. Cette échelle permet l’existence de l'espace de la rue : « la ville se construit à la mesure du corps, pour ses besoins, mais aussi à son image35 ». Il en est de même pour la rue : « la rue appartient à ceux qui s'y installent36 ». On observe une articulation entre les lieux, une certaine mobilité des citadins et, au total, une familiarité de la ville vécue qui dépasse le cadre domestique. Chacun et chacune tracent ses parcours familiers dans la ville. Les « cercles proxémiques37 » du corps, que nous étudierons dans ce chapitre, évoluent au fil du parcours urbain. On s'approprie la ville de multiples manières. Nous pouvons nous demander, finalement, si la vie citadine n’est pas scandée par l'alternance permanente entre le connu et l'inconnu, la proximité et la distance sociale. Cette tension déterminant alors, notre manière d'être en ville.

1.1. Cercles « proxémiques38 » et logiques de déplacement On considère qu'une unité véhiculaire est l'un des différents moyens de déplacement généralement classifiés et séparés par des aménagements urbains qui tendent à spécifier un espace pour un usage défini, afin d'éviter les conflits. Un individu est donc une unité dont le corps est un instrument au service d'un but premier : le déplacement. Le piéton, lui aussi, s'affirme individuellement, au même titre que la voiture, le vélo, le bus, la trottinette, etc... Le corps est ici le premier objet d'étude, dans un cadre défini : l'espace de la rue partagé. Dans tout espace, les corps se déplacent en respectant un certain espace entre eux. Tout en prenant en compte leur degré de familiarité, les corps s'éloignent et se rapprochent. Ces variations s’opèrent en fonction des nécessités générées par l'environnement des personnes concernées, toujours en gardant une certaine distance autour d'eux.

33

DI MÉO, Guy, « Où en est la rue face à la globalisation ? L’individu, le corps et la rue globale », Géographie et cultures,, 2009,n°71 p. 13

34

ibid. p.11

35

ibid. p.12

36

PAQUOT, Thierry, Des corps urbains, sensibilités entre béton et bitume, Paris, Autrement, 2006, p.134

37

HALL, Edward T., La dimension cachée, Seuil, Paris, 1971, p. 145

38

ibid. p. 162 64


L'évitement est une constante dans la pratique de la rue. La proximité excessive et le contact sont généralement esquivés. L'écart est très respecté dans les cultures occidentales, mais semble être moins suivi avec précision au Mexique. Les « sphères proxémiques » sont des espaces qui fonctionnent comme des bulles en dégradé, élastiques se positionnant autour du corps. Cette « aire », au sens spatial du terme, englobe tout élément existant au sein d’une rue, d'une maison ou d'une pièce. De chaque objet « émane » une aire qu'il s'approprie, ou qu'on lui approprie, guidant ensuite notre manière de nous déplacer dans un espace donné. On ne se déplace jamais exactement suivant la limite d'une façade ou collé à un meuble, mais toujours en laissant un espace, nous permettant de dessiner, d'exprimer notre aire d’existence, qui nous appartient pour une certaine durée. C'est l'inscription corporelle d'une personne qui est définie par cet espace, laissé entre l’obstacle et le corps. L'anthropologue américain Edward T. Hall étudie les déplacements39 du corps et de son « espace nécessaire ». Il associe et décortique les frontières de l'intimité jusqu'au public, en passant par l'espace personnel et l'espace social. Il analyse les distances requises selon les cultures, qu'il appelle la « proxémie comparée ». Il les compare avec les distances de référence animales dont la distance de fuite, critique, personnelle et sociale. Il rapporte ses études sur le corps à l’échelle de la ville : c'est l’anthropologie qui est mis au service de l'urbanisme.

« Sphère proxémiques 40 » d’après Edward Hall

39

HALL, Edward T., La dimension cachée, Seuil, Paris, 1971, p. 123

40

ibid. p.132 65


Ce schéma de respect et de contournement des « sphères proxémiques » de chaque personne se retrouve pour chaque élément inerte, bien que souvent moins puissant que celles des personnes. L’« aire proxémique » des usagers dans la rue est définie par le degré de connaissance des personnes entre elles. Cette relation influence le comportement entre deux corps. Dans un espace intime ou dans des conditions plus familière, l'interaction et le comportement entre des personnes diffèrera en comparaison avec une scène prenant place dans l'espace de la rue. Ici, nous partons du postulat que les relations étudiées auront lieu entre personnes n'ayant pas de relation familière entre eux. Ce paramètre génère donc des prises de distance par rapport à l'autre, plus marquées que dans le cadre intime. Or, la configuration de l'espace ne permet pas toujours cet écart. Elle occasionne des situations intéressantes tant socialement que spatialement. Inévitablement, cette aire est modulable, extensible et adaptable aux situations variées. Dans la ville, le trajet qu'effectue chaque personne est pensé et choisi, en partie, en fonction des obstacles rencontrés sur son cheminement, mobiles comme inertes.

La règle tacite de « l’évitement » se retrouve dans le comportement des piétons lorsqu'il s'agit de parcourir un espace à largeur réduite. L'égalité dans le comportement des individus, en terme de priorité courtoise, est remplacée par la "loi du plus fort". Le corps en mouvement le plus imposant, le plus fort ou indiquant des signes de précipitation prendra le pas, ou la priorité.

« aire proxémique41 » du corps d’après Edward Hall 41

HALL, Edward T., La dimension cachée, Seuil, Paris, 1971, p. 148 66


1.2. Conventions sociales tacites Des conventions sociales sont implicitement établies entre acteurs de l’espace de la rue. On peut discerner le respect de l’ « aire proxémique », dont on parlait au point précédent, qui entoure chaque élément de l'espace, corps ou objet. Lorsque deux personnes se croisent sur un trottoir, si ce dernier est large, elles auront l'automatisme d'utiliser tout l'espace qui est à leur disposition. Inversement, dans un espace plus étriqué, ces personnes devront se rapprocher, tout en évitant de se toucher. Le contact avec un élément inerte est généralement préféré au contact avec un autre corps en mouvement dans l'espace, sauf dans le cas où l'élément inerte est davantage repoussant.

Sièges d’un wagon de métro vus en plan

Ce schéma de compression et d'expansion de l'utilisation de l'espace par le corps se retrouve dans l'ensemble des éléments rencontrés par le corps dans l'espace. Cette configuration se retrouve dans de nombreux de lieux où il faut partager un espace restreint avec l'autre42. Par exemple, dans un wagon de métro peu encombré, les personnes n'ayant pas de relation de connaissance entre elles occupent un box de sièges différent par personne. Mais si un passager ne respecte pas cette « accord » et va s’asseoir à coté de quelqu'un alors qu'il reste des places libres dans des boxs vides, il est alors considéré comme bizarre. Plus le wagon se rempli, plus l’aire qui se développe autour de chaque corps va se rétracter, tout en gardant l'idée de rester éloigner des autres corps. Cette stratégie collective tacite évolue avec l'état de remplissage du wagon. La configuration « type » est de se mettre en diagonale puis de compléter là où il reste de la place avant de n'avoir à faire le trajet debout.

42

Personne inconnue ou qui n'est pas familière

Schéma des configurations de placement dans les transports en commun d’après Edward Hall 67


Ce choix de place prend aussi en compte d'autres critères, comme la sélection de la personne à côté de qui se déroulera le trajet. Les passagers cherchent à s'installer à côté de la personne qui leur parait la plus semblable ou « normale43 » d'apparence et qui ne leur posera pas de désagréments et ne viendra pas les importuner durant leur voyage44 . S'agirait-il d'un comportement associable ? Pourquoi le voyageur a-t-il un comportement d'évitement, de confrontation lorsqu'il se rapproche de l'autre ?

Le croisement de deux corps dans l'espace, lorsqu'il est restreint, et plus précisément dans la rue, puisque des règles différentes s'appliquent, est une situation particulière et potentiellement génératrice de rencontres. Ces interactions, constructrices ou néfastes, ont lieu lorsqu'un obstacle gêne le passage de deux corps, qu'il s'agisse d'un trottoir étroit, d'un mobilier urbain entravant le passage, d'un commerce installé sur une partie du trottoir, ou d'un attroupement de personnes généré par l'un de ceux-ci. Il est courant que, dans une situation où deux personnes souhaitent passer sans que l'espace permette à deux corps de se croiser, le plus rapide s'empare de la priorité. En dehors d'une courtoisie, relative à chacun, la personne qui paraît la plus pressée sera en prédominance de la situation et s'élancera. Si l'une des personnes manifeste clairement de l'ignorance, voir de l'aveuglement quant à la scène de croisement, il va prendre le pas sur la situation en montrant un désintérêt, obligeant la personne d'en face à patienter par respect de l'engagement physique procédé. Ce schéma de croisement peut aussi être influencé par d'autres caractéristiques telles que l'aire de chaque piéton, leur apparence physique, l'attitude, leur encombrement, leur nombre et la courtoisie, espérons-le.

2. Les détournements d’usages 2.1. Appropriation du mobilier ou du sol De par sa forme, le commerce de rue génère diverses interactions avec les piétons, utilisant les espaces et objets alentours au commerce. Ponctuellement, les éléments du commerces peuvent répondre à un autre besoin que leur fonction première. Le mobilier se transforme alors, répondant à un nouvel usage. Souvent, la raison majeure du détournement est une économie d’énergie. Par exemple, une toiture de stand se transforme momentanément en abri pour un groupement de personne lors d'une averse. Sans cet élément de couverture, la zone aurait été désertée et les piétons auraient fui pour trouver refuge sous un arbre ou dans un station de métro. Par sa présence, le commerce génère un abri et donc, un détournement d'usage de la fonction principale. Le marcheur prenant part à cette disposition, n'est ni client, ni commerçant. Sa participation montre sa relation avec la structure marchande.

43

Terme dont la définition est ajustable selon le critère de chacun

44

KARIM, Sarah, « Dans les transports, les gens cultivent leur asociabilité », Le figaro, 10 août 2012, p. 13 68


Dans une seconde situation, le chargement de livraison d'un commerce peut être laissé en attente, la marchandise étant sous les yeux des clients, sans pour autant être déballée. Si la cargaison est imposante, son emprise délimitera une partie du commerce. De faible emprise, elle meublera les présentoirs ou servira d'appui au commerçant. Un autre exemple serait celui du récipient cylindrique protégeant le stock de tamales45, il peut prendre la fonction de siège pour les vendeurs qui restent là plusieurs heures, durant la matinée, jusqu'à épuisement du stock. Ces conteneurs, semblables à de larges poubelles en plastique, conservent les préparations au chaud, durant la matinée. Un récipient du même type est souvent mis à disposition pour un usage de poubelle. Ces exemples illustrent la relation qui s’établit entre les individus et les éléments composant le commerce qui sont en perpétuel interactions. Le détournement d'usage peut être minime : un commerçant utilisant un rebord comme limite de son commerce ; ou plus marqué : des escaliers utilisés comme gradins pour un spectacle de rue. Il peut être une preuve de son fonctionnement, comme de son dysfonctionnement : une rue appropriable est une rue riche si l'individu peut s'identifier, se retrouver, et s'accommoder dans l'espace qu'il occupe le moment d'une escale ou d'un séjour. Pouvoir s'asseoir commodément sur un rebord d'une sortie de métro pour attendre un rendez- vous, s'arrêter à un angle de rue pour observer une représentation musicale. La possibilité d'exercer diverses actions en un même lieu en fait sa richesse. L'appropriation fait donc partie de l'expression du fonctionnement de l'espace, puisque chacun l’interprète à sa façon.

45

Préparation à base de farine de maïs et de farce présentée enveloppée dans des feuilles d'épis 69


2.2. Pluralité de choix Le fait que l'espace de la rue ne soit pas « résolu » (notamment fonctionnelle et hygiénique) c'est laisser le choix aux individus de lui donner un usage spécifique à un moment donné. Laisser libre court à l'imagination ou aux besoins variés des usagers. C'est laisser une flexibilité d'usage pour des cas donnés non imaginés auparavant. Un rebord servira, au cours de la même journée : d'appui à une personne ; de base à l'installation de l'étalage d'une commerçant ; de soutient pour les bagages d'un voyageur. Cette multiplicité d'usage d'un seul composant de la rue en fait sa richesse. D'un autre ordre, mais toujours sur le même schéma, le fait de laisser les usagers s'approprier un espace, c'est leur permettre de l'utiliser de la manière la plus simple, la plus logique. L'adaptation de l'espace se fait naturellement, sans restreindre les usagers à un cheminement inefficace, sans les obliger à réaliser des mouvements stériles pour leur déplacement ou leur escale dans un lieu donné. Dans certaines situations, la présence d’un modèle de lignes de désir (Elephant path, en anglais) montre un décalage entre le design de l’espace et l'utilisation des usagers. Ce chemin non officiel est le tracé progressif marqué par la répétition d’un passage, le faisant apparaître plus rapide, plus « efficace ». Il révèle une logique s'appliquant à un ensemble de personnes. En modifiant un tracé initial, qui ne leur paraît pas optimal, les usagers de la rue s'approprient cet espace. La configuration d'un lieu répond à une nécessité d'exister. Si elle présente une imperfection lors de la mise en situation, une configuration incommode en terme d’accessibilité, elle risque d'être modifiée par les usagers bénéficiaires de cet espace. L'appropriation commune de la rue peut exprimer une nécessité d'aménagement : ce n'est plus à l’échelle de l'individu qu'un besoin est exprimé, mais à une échelle sociale, qui a plus d'effet. Faut-il alors laisser le choix aux individus d'intervenir et d'utiliser de diverses manière l'espace de la rue, ou faut-il définir un usage pragmatique de l'espace pour une utilisation commune rationalisée ?

2.3. Liberté dans la rue La tendance d’action dans les rues de nos grandes villes françaises, est de dédier à chaque moyen de transport sa propre voie, dans lequel sa vitesse de déplacement est optimisée. Les cycles ont un espace dédié de 1,5m de largeur, au coté des voitures ; les piétons, disposent de trottoirs suffisamment larges définis en « unités de passage » pour généralement permettre le croisement de deux personnes ; la chaussée, délimitée par les bandes blanches et les ressauts de trottoirs, est destinée exclusivement aux véhicules à moteur.

70


Au profit de la rapidité de circulation des flux, ces dispositions ne favorisent pas les rencontres. Cette optimalisation de la circulation est-elle la priorité en matière d'espace de la rue ? Malgré son apparence d'espace de liberté, la structure des rues ne nous permet parfois que certains déplacements restreints : une uniformisation des comportements est créée. « La gestion des voiries, leur desserte par des systèmes de transports urbains modernes façonnent des infrastructures de rue partout similaires46 ». La liberté de nos mouvements dans une rue commune partagée serait-elle en réalité extrêmement contrôlée ? 2.4. Les rythmes du piéton Le temps, indissociablement lié à l'espace, est un élément omniprésent. La vision de la rue n'est pas la même selon le moyen de déplacement. Chacun la vit à sa manière, à son rythme, observe, selon le temps qu'il prend, ou qui lui est donné, pour se rendre compte de ce qui l'entoure. La vision ne sera pas la même pour le piéton que pour le cycliste, ni pour l'usager de tramway ou l'automobiliste. Par sa vitesse, plus faible en comparaison avec les automobiles et cycles, le piéton a une perception de l'espace qui lui est propre. C’est un assemblage d’allures temporelles : l'un s'arrête, l'autre court ; l'un marche, l'autre mange ; l'un flâne, l’autre se déplace. Le rythme est créé par la répétition et la cadence de l’action. Ainsi, le passage du bus rythme la vie des usagers. Sa fréquence ponctue l’endroit. De même, à un passage piéton, la traversée est ponctuée par le feu tricolore pour les voitures et son feu piéton coordonné. De temps en temps, un individu casse ce rythme en traversant sans tenir compte des feux et rompt cette trame régulière. L'observation des mouvements piétonniers opère une répétition créant un schéma prévisible. Un rythme est alors mis en place : on passe de l'individuel au collectif. Un mouvement effectué par une personne prend une valeur rythmée lorsqu'elle est répétée de nombreuses fois ou par de nombreux corps. Le cheminement isolé se convertit en flot, le comportement devient un « instinct général ». De même, on remarque que les commerces de rue interfèrent dans le rythme des « unités véhiculaires piétonnières ». En effet, en se plaçant sur un espace destiné initialement à la circulation piétonne (le trottoir), il constitue un obstacle à cette dernière en imposant la modification des cheminements piétons. Malgré un contraste entre voyageur urbain et client, les commerces de rue ont une forte présence dans le paysage de la ville. Lorsqu'un voyageur urbain aperçoit une marchandise qui l’intéresse, il va s’arrêter au stand concerné et va prendre le temps, soit d’observer, soit d'acheter ce vers quoi porte son intérêt. Le temps de cet achat, il va modifier son rythme de marche, pour un moment d'accalmie. Outre l'achat en lui-même, l'abondance de marchandises a un impact sur le piéton : les usagers de l'espace de la rue ont généralement un rythme ralenti à proximité de ces commerces. En plus de cette modification, il lui faut éviter ces « obstacles », qui entravent son cheminement. Ces obstructions créent donc des pauses, des alternances, des opportunités d'observation pour le piéton. On peut se demander alors, si ces ponctuations du cheminement que constituent les commerces ambulants, ne seraient-elles pas appel à une appropriation de la rue ?

46

DI MÉO, Guy, « Où en est la rue face à la globalisation ? L’individu, le corps et la rue globale », Géographie et cultures,, 2009,n°71 p. 25 71


2.5. Typologie d'usagers Dans son écrit47, Jean-Marie Floch aborde les différents comportements que l'on retrouve, dans un espace défini : celui du métro et du RER. Il considère que son « travail d'analyse » consiste « à reconnaître le nombre finalement restreint de ces micro-récits de comportement48 ». A travers la récurrence de certains comportements, des similitudes d'actions et des motifs gestuels répétés, il en déduit des catégories, en disséquant et classifiant chacune des actions réalisées par les usagers, lors de leurs trajets. Il discerne quatre typologies de voyageurs : « les arpenteurs, les pros, les somnambules et les flâneurs49 ». Sur ce même schéma, il est possible de discerner divers usagers de la rue. Le but n'est pas de réaliser cette classification mais plutôt de connaître toute la diversité des usagers potentiels. La différence avec le métro est que l'usager de la rue se trouve ici en dans un contexte plus libre, puisqu'il est accessible à tous, sans avoir à payer car il ne s'agit pas de clients, et moins contraignant. Comme pour les clients du métro, chaque typologie d'usager de la rue est sensible à différents éléments de cet espace : « l’arpenteur » est sensible à l'identification des éléments reconnus. Le « pro » est sensible à l’accessibilité, la fonctionnalité des espaces. Le « somnambule » prend majoritairement en compte le ressenti de l'espace, la facilité, la fluidité la tranquillité. Le « flâneur », notera plutôt les événements qui lui sont proposés, les interactions qui suspendent un moment, ou lorsque quelque chose lui est donné à voir. Cette typologie d'individu sera discutée plus spécifiquement dans la partie suivante. On peut se demander si ce sont eux, les usagers, qui créent la rue qu'ils utilisent à leur image ou, à l’inverse, si c'est la rue qui guide leur comportement. Ou peut-être les deux. 2.6. Le droit à la flânerie Le flâneur, être « lent et non-chaland, fasciné par le spectacle de la rue50 » parcourt la ville sans avoir une finalité définie. Le flâneur, figure ambiguë, est défini par son oisiveté. C'est un simple « connaisseur de la vie urbaine, […] spécialiste de tout et de rien51 ». Il « se démarque de la foule pressée, de l'homme d’action52 ». Personnage instruit, il capte l'ordinaire, l'habituel, il interroge les espaces, note ce qui est prévisible.

47

FLOCH, Jean Marie, Etes-vous arpenteur ou somnambule ? L'élaboration d'une typologie comportementale des voyageurs du métro, Sous les signes, les stratégies, PUF, Marketing et communication, 2002, p. 25 48

ibid. p. 16

49

ibid. p.12

50

LAVADINHO, Sonia, WINKIN, Yves, « Quand les piétons saisissent la ville. Éléments pour une anthropologie de la marche appliquée à l'aménagement urbain , Espace, corps, communication, 2004, n°21, p. 9 51

SCHULTE NORDHOLT, Annelies, Georges Perec : Topographies Parisiennes du flâneur, Igitur, Utrecht Publishing & Archiving Services, mars 2008, p.5 52

ibid. p.13 72


Perec va chercher les « principes qui régissent les mouvements des passants ... et les classer53 ». Ils sont souvent caractérisés par ce qu'il voit, ce qui lui est donné à observer. Mais la flânerie ne consiste pas seulement en de l'observation intense, sinon, au parcours, à de la marche sans but précis, dans un espace urbain qui se transforme en un espace de liberté. Il s'unit à la foule, fait partie des masses. Sa marche devient promenade, son déplacement se rapproche du vagabondage. La notion de liberté laissée à son déplacement est cruciale. Il lui est possible de changer de trajectoire à tout moment, il souhaite profiter davantage du parcours que de la destination. Comme l'explique l'écrit de Sonia Lavadinho et Yves Winkin54 , il est légitime qu'un randonneur parcourant la ville, rédige un écrit sur son expérience de la marche alors que d'autres expériences de marche à travers les villes, d'autant plus intenses et régulières sont à peines considérées comme des vécus à relater. Il est à se demander si parcourir la ville ou la traverser ponctuellement, avec la seule intention d'effectuer le trajet d'un point à un autre pour de simple raison véhiculaire ont la même valeur et le même mérite. Tous deux ont les mêmes droits d'utilisation de l'espace urbain et de jouissance de la ville, chacun à leur manière. La différence entre le déplacement urbain et la « randonnée » se trouve dans leur posture face à leur environnement : l'un voit, l'autre observe. La marche devient synonyme d'une activité « intellectuelle et esthétique » et le ressenti prend une place importante.

3. Particularités locales et culturelles Ni les Dogons, ni les Falis du Cameroun, ni les Hopis, ni les Aléoutes n’ont la même manière de concevoir l'étendue, l’étroitesse, les profondeurs et les points cardinaux. On sait que l'Islam n’entretient pas les mêmes relations que l’Occident entre le corps et l’espace55. La culture de la centralité, celle du vide ou celle de l’entre-deux par exemple, sont tout à fait particulière au Japon56.

3.1. La culture des villes comme métissage Nous cherchons à savoir, dans cette partie, en quoi la ville elle-même est un dispositif culturel, c’est-à-dire dans quelle conditions « l'interprétation du sens créé dans des situations quotidiennes de la vie citadine compose une culture de la ville57 ». Celle-ci est formé par le sens des relations entre les citadins : les relations de l'identité et de l’altérité. Elle concerne également la symbolique à l'aide de laquelle les habitants donnent un sens à l'espace matériel où ils vivent. Chaque culture a une « proxémie58 » différente et un mode d'organisation spatiale spécifique par rapport à l'espace domestique et par rapport à l’autre. 53

SCHULTE NORDHOLT, Annelies, Georges Perec : Topographies Parisiennes du flâneur, Igitur, Utrecht Publishing & Archiving Services, mars 2008, p. 7 54

LAVADINHO, Sonia, WINKIN, Yves, « Quand les piétons saisissent la ville. Éléments pour une anthropologie de la marche appliquée à l'aménagement urbain , Espace, corps, communication, 2004, n°21, p. 9 55

RICORDEAU, C., L’Islam, le corps, l’espace, Secrétariat d’État à la culture, 1974, p. 34

56

BARTHES, Roland, L’Empire des signes, Skira, 1980, p. 61

57

AGIER, Michel, Esquisses d’une anthropologie de la ville, Belgique, Academia Bruylant, 2009, p. 98

58

HALL, Edward T., La dimension cachée, Seuil, Paris, 1971, p. 13 : « Le terme de ”proxémie” est un néologisme que j'ai créé pour désigner l'ensemble des observations et théories concernant l'usage que l'homme fait de l'espace en temps que produit culturel spécifique. » 73


Pour saisir les particularités culturelles des villes, l'attention est portée sur les situations d'interactions entre les individus et sur le sens que les acteurs leurs donnent : dans les relations quotidiennes, dans les événements (situations extraordinaires), dans les situations rituelles, et dans les situation de passage. De là, interprétations et représentations forment la matière palpable de la culture citadine. Mais comment s’élabore la culture des citadins ? On observe que les contextes sociaux actuels des grandes villes mondiales, sont marqués par une « intertextualité multiforme59 » qui rapproche les différents mondes peuplant la planète. Ce phénomène est accentué par une communication presque en temps réel, traversant les continents, grâce aux satellites. Il constitue une certaine « globalisation » de la culture. Dans beaucoup de villes, l’attrait pour l'individualisation est en permanence tempéré par le besoin de recréer des identités collectives à échelles locales. La ville est le théâtre de rencontres, collages et fusions, engendrant ainsi une culture mouvante. « À l'image du métissage, la ville réunit des milliers de bouts épars et partiels de culture pour finalement composer son propre tableau, unique et reconnaissable60 ».

Certaines communautés se forment en critique ou en négociation d'une réalité vécue, locale et matérielle. « Un moment de liberté et d'inventivité a besoin d'un espace public ni trop privé, ni trop étranger, et qui peut se créer temporairement61 ». Il peut être un espace d'entre-deux, ni trop dedans, ni trop dehors. Cela revient à l'idée de rue en tant qu’intermédiaire entre la très grande place publique anonyme et le foyer domestique. Dans une dimension anthropologique, la question est de savoir où se passe cette imagination et cette liberté de création. Comme évoqué précédemment, on la trouve souvent dans les espaces d’entredeux ; c'est l'idée du seuil, où la distinction public/privé demeure plus floue. Ce moment est ressenti instable, indéfini et donc difficilement contrôlable. On peut alors l’utiliser comme espace de création et de liberté.

Particularités mexicaines

« Des individus appartenant à des cultures différentes habitent des mondes sensoriels différents ». GRUZINSKI, Serge, La pensée métisse, Paris, Ed. Pluriel, 2012, p. 315

En quoi, cette organisation informelle de la rue est-elle spécifique au Mexique ? Et dans quelle mesure elle partage une telle organisation avec des pays européens ou d’autres également en d’alterdéveloppement ? Dans une ville qui se mondialise et ressemble de plus en plus à d’autres, nous avons, à Mexico, encore des particularités locales et culturelles, notamment avec ses commerces de rue

59

AGIER, Michel, Esquisses d’une anthropologie de la ville, Belgique, Academia Bruylant, 2009, p. 61

60

ibid. p.122

61

QUERRIEN, Anne, Politiques urbaines sans auteur. Une anthropologie des situations, Multitudes, 2008, p.51 74


Les Pueblos conurbados La ville de Mexico est en perpétuelle accroissement. Sa croissance a explosé à partir des années 1950 et a atteint de nombreux villages qui se trouvent aujourd'hui en périphérie ou englobés dans la ville. Il s’agit, en espagnol, de pueblos conurbados ou village conurbés. Les politiques d’aménagement ont peu conscience de l'existence de ces villages, si bien qu’aucune cartographie officielle ne les représentent de manière exhaustive. Ils sont d'origines et d’âges différents puisque certains datent par exemple de l’époque précolombienne, d'autres sont issus du métissage entre les espagnols et les indiens, alors que d’autres encore sont plus récents et se sont construits autour d’une hacienda62 .

Durant le XVIème, XVIIème et XVIIIème siècle ont existé, d'une part, les pueblos de indios ou villages d’indiens, et d'autres par les villas espagnoles qui se sont par la suite transformées en villes ou villages. Dans les villages indiens vivaient uniquement des indigènes avec leurs règles de vie communautaires directement héritées de cultures et croyances préhispanniques. Dans les villas vivaient, en principe, uniquement des Espagnols. Au fil du temps, la population se métissant, elle se répartit dans les deux modèles. Aujourd'hui, pour les néohabitants de Mexico, ces villages sont quasiment inexistants dans la représentation mentale de la ville. Les récents quartiers qui se sont construits sur leurs traces, ont seulement repris les noms de ces anciens villages pour nommer leurs condominios. Ils ont en quelque sorte « absorbé » le nom d’origine. Au fil de cette histoire métisse, se sont construites les identités mexicaines. Pour citer Serge Gruzinski, « les métissages expriment des combats jamais gagnés et toujours recommencés. Mais ils fournissent le privilège d'appartenir à plusieurs mondes en une seule vie63 ». En effet, dans cette ville mondialisée, on ressent la persistance du lieu et de la culture locale. Le cas de la Calle Los Angeles Espaces et architecture religieuse Revenons un moment sur la cas de La Calle Los Angeles. Dans le paysage de la rue, sont présents de nombreux éléments architecturaux chargés de symboles religieux et historiques, qui renvoient à la vierge de Guadalupe, patronne de la ville de Mexico et figure catholique majeure du pays. En observant les pratiques des habitants, on remarquera que beaucoup d’entre eux font le signe de croix lorsque qu’ils passent devant la statuette exposée dans la rue. Cette démonstration religieuse, considérée comme intime dans la culture occidentale, évoque la relation particulière qu’ont les mexicains à l’espace public. Nous y reviendrons dans la partie suivante. 62

Une hacienda est une exploitation agricole de grande dimension, que l'on pourrait comparer au système français de métairie. Le mot désigne à la fois les terres cultivables comme l'édifice auquel elles appartiennent. Durant la révolution mexicaine (1910–1920), Ce modèle a été combattu par les paysans sans terre. La hacienda était constituée de grandes extensions de terres qui servaient pour la production d'une ou plusieurs espèces végétales, généralement destinées à l’auto-consommation. Sur ces terres travaillaient les peones ou paysans sans terre (littéralement pions) qui étaient des indiens ou des métisses. 63

GRUZINSKI, Serge, La pensée métisse, Paris, Ed. Pluriel, 2012, p. 315 75


La rue, lieu d’expression des festivités et des événements exceptionnels La vie dans l'espace de la rue est rythmée par des fêtes. Il est possible d'en trouver quelques indices dans le paysage. Les couleurs rouges et blanches, par exemple, font référence à une festivité liée à El Cinco de Mayo (le 5 mai) qui commémore la victoire des forces mexicaines sur les français dans la Bataille de Puebla du 5 mai 1862. Ce jour là, tout le monde est de sortie et chacun décor la rue à sa manière. Autre festivité, la fête des morts, où l’on se déguise et installe dans la rue de petits autels garnis de diverses offrandes. Certains anniversaires des habitants sont également célébrés dans la rue et partagés avec tous. On accroche le piñata64 entre deux poteaux électriques, et les habitants, essentiellement les enfants, mais aussi quelques adultes, se mettent à taper dessus afin d’y en faire sortir les sucreries.

3.2. Un sentiment de communauté Comment saisir et comprendre la possibilité d’une familiarité de la ville ? Au Mexique, il n’est pas rare que les situations de pauvreté engendrent une série d’ « arrangements » domestiques telles que l'intégration des grands-parents dans le foyer domestique, la cohabitation de deux ou trois familles dans la même maison, etc. Par cette proximité, se créé un rapprochement relationnel entre les foyers. Par exemple, dans la rue de Los Angeles, les habitants tentent de rendre l'espace urbain plus « familier » en y fondant un réseau social aux limites privé/public mouvantes. La maison devient restaurant le temps du déjeuner, accueillant les travailleurs du chantier voisin. Les usages sont détournés. Ainsi, on observe que l’espace urbain de proximité au sein de la rue suit sensiblement un « mode relationnel familial65 ». Le rapport à l’intime y est différent du notre. De part leur culture, les mexicains ont tendance à instaurer un rapport de familiarité plus rapidement que dans nos sociétés européennes. Par exemple, une simple salutation passe par une accolade. Pour reprendre l’expression de l’anthropologue Claire Gallian, la rue semble « simplement prolonger l'espace domestique qui se trouve de plain-pied66 ». La limite entre espace privé et espace public y demeure bien plus floue. Les femmes jouent un rôle central dans la familiarisation du lieu. La rue est leur principal cadre de vie quotidien : elles y ont leur maison, les maisons des amis et parentes. Sur les seuils des maisons, elles se rencontrent et bavardent. Des amitiés se nouent, des rivalités apparaissent d'une maison à l'autre. Chaque résidence est identifiée par référence à la maîtresse de maison, la Doña. Depuis leurs postes fixes, les doyens de la rue guettent et surveillent. Ils représentent une forme de paternalisme qui peut à l'occasion se faire autoritaire. 64 65

mascotte en papier mâché, garnie de sucreries AGIER, Michel, Esquisses d’une anthropologie de la ville, Belgique, Academia Bruylant, 2009, p. 65

66

GALLIAN, Claire, « Pratiques de l’espace urbain. Evolution de la relation privé/public dans l’habiter au Japon », BERQUE, Augustin (dir), La maitrise de la ville, Paris, Editions de l’EHESS, 1994, p.502 76


La Calle Los Angeles regroupe la fonction de lieu de résidence, lieu de relations de voisinage, lieu de travail, lieu d'approvisionnement, de jeux et de loisirs, formant alors un tissu de relations étroites. La rue est accessible au public tout en gardant un statut privé. L'échelle microsociale où se situent ses observations correspond à un type d’urbanisme que Françoise Choay à désigné comme un « espace de contact67 ». Certains quartiers populaires à l'image de la rue Los Angeles, sont des espaces généralement non aménagés par les services d'urbanisme et pourtant essentiels à la sociabilité urbaine. Ils sont particulièrement répandus et dynamiques dans les pays pauvres d’urbanisation récente. Cette rue d'un quartier populaire de Mexico est marquée par des appropriations de l'espace, au sens de la personnalisation et de la familiarisation de l'espace commun et de sa transformation en espace propre.

Ainsi un rythme quotidien se met en place. Chaque matin de la semaine, à 5h30, El Sherif, sort de chez lui et installe son stand de tacos. Il met les viandes à mijoter dans sa préparation (dont le secret serait-il l’huile ?). Les premiers habitants sortent dans la rue pour aller au travail et se dirigent vers l’Avenida Toluca, perpendiculaire à notre rue. De part sa position géographique à l’entrée de l’impasse, le stand de tacos et un passage obligatoire pour tous. Si l’on ne s’arrête pas prendre un morceau, le salut du taquero68 est quotidien. Ensuite, d’un geste de la main, le piéton arrête le pesero (petit bus) et s’en va arpenter les bouchons des rues sinueuses de la ville. La rue s’éveille, c’est au tour de Claudia de sortir son puesto69. Il est 8h30. Quesadillas70 et spécialités locales au boeuf, poulet, fleurs, tripes et toutes sortes de garnitures, accompagnées bien entendu de leur sauce ultra piquante, sont proposées. Puis vient le tour des enfants, dans leurs uniformes, ils viennent chercher quelques dulces 71 avant de partir à l’école. En passant, ils saluent El Trompas qui est posté sur son tabouret en bois, munit de son journal ; son chat à ses cotés. Le vieil homme marmonne une réponse à laquelle les niños72 rigolent avant de courir prendre le bus. Son frère, El Chago, tout aussi vieux, est accoudé au rebord de sa fenêtre, où il y restera toute la matinée, bavardant avec les passants, mais surtout les passantes. Il est inévitable de ne pas le saluer, il est toute la journée dans la rue. Il en est, en quelque sorte, le « chef », toujours à sa fenêtre ou sur sa chaise du puesto. Par la suite, Chucho lève de rideau métallique de sa tienda73. Il est 11h30. Nous allons y acheter le garafón74 d’eau. À l’heure du déjeuner, on s’installe au puesto de Marta et elle nous sert sa nouvelle recette al pastor75 spécial week-end, en nous présentant toute sa descendance familiale.

67

CHOAY, Françoise, Espacements - L’évolution de l'espace urbain en France, Paris, Ed. Skira, 2004, p. 19

68

taquero : vendeur de tacos

69

puesto : stand de tacos

70

quesadilla : Galette de maïs pliée en deux, avec une base de fromage à l’intérieur, dit queso, d’où le nom

71

dulces : sucreries

72

niños : enfants

73

tienda : petit magasin de produits essentiellement alimentaires

74

garafón : bidon d’eau

75

al pastor : manière de cuisiner le poulet, à base de piment, poivrons, oignons et ciboulette 77


En face, le garagiste bricole une voiture. Il traverse la rue, ses mains noires de cambouis, pour aller chercher des outils rangés derrière le stand de tacos. La rue devient alors garage, restaurant, terrain de foot, en somme, lieu de socialisation. Ainsi, telle une « famille », chacun se connait et communique chaque jour, à toutes heures. La rue constitue alors le lieu des représentations sociales quotidiennes et exceptionnelles des habitants. Les commerces de rue sont constamment en activités et on se restaure tout au long de la journée, selon les envies. A chaque rue, ces commerces de proximité sont présents et entretiennent le sentiment de communauté.

78


Alejandro Santana dit Sherif

Francisco

Fernando Corronado dit Macaco

Le garagiste

Claudia Corronada dit La Gorda (que vende gorditas)

Arturo

79


Guillermo Santana dit

Santiago Aguirre dit El Chago o El Taquero

El Jovenaso

Jesus Miguel Arana Ramirez dit Chuchoooo

Arturo Granados Morales dit El Trompas

Santiago Sanchez dit Chago

Daniel Corronado dit Cara de Papa

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3.3. Fabriquer le lieu par bricolage ? Colin Rowe affirme76 que le mode de production des espaces humains est toujours le bricolage, à condition toutefois qu’on accorde à ce mot l’acception que lui donnait Lévi-Strauss77 : ce dernier pose que le bricoleur (peut-être aussi l’artiste) conduit ses projets en saisissant les occasions de faire quelque chose avec les matériaux qu’il a réunis au fil de ses expériences (y compris les matériaux intellectuels). A l’inverse, le « savant78 » ne s'autorise que les matériaux spécifiés qui répondent strictement à la logique de ses principes théoriques préalables. Ainsi, le premier travail est produit avec les moyens du bord, quand le second n’oeuvre, pour ainsi dire, qu’en laboratoire. L’urbanisme planificateur d’après-guerre peut-il être considéré comme suivant une méthode « scientifique » ? On a en effet voulu instaurer une mise en ordre radicale en imposant un ordre logique à l’espace : fonctionnaliste et hygiénique, un espace idéal. « L’espace court le risque de n'être plus qu'un fantasme. Magnifique souvent, mais soustrait au réel79 ». L’espace de la rue est soumis à des maîtres mots de la beauté industrielle : série, économie, logique, pureté. Au contraire de ces « rangements », des aménagements trouvent des « arrangements80 » avec les données spatiales. Des territoires urbains comme les simples lieux du quotidien sont parfois plein de processus ingénieux, qui ont pour principe de composer avec l’existant. L’observation que nous en avons faite tout au long de ce mémoire, montre qu’ils constituent des solutions où un espace renvoie sans cesse à autre, dans une combinaison qui fait tenir ensemble les éléments, les forces et les formes les plus disparates. Pratique de l'informel constitue à « bricoler » l’espace, et à l'arranger pour le rendre habitable. « Le propre de l'intelligence, dit Piaget au sujet de la construction de la notion d'espace chez le jeune enfant, n’est pas de contempler mais de “transformer“, et son mécanisme est essentiellement opératoire81 » : c'est une sorte de pratique expérimentale qu'il fait exister le concept par le précepte. Il s'agit ainsi de chercher « des positions et des dispositions capables de révéler, non pas ce qu’est l’espace en général, mais comment il se produit, grâce à quels principes et pour quelles significations82 ». Se caler, se glisser, s’adosser, s’accrocher, enclore, ouvrir, tourner le dos, voilà le genre de processus observable et identifiables, qui sont le noeud essentiel de cette étude ce ses pratiques informelles. Pourquoi ici est pas ailleurs ? Peut-être choisit-on de s'installer dans un coin de rue, loin de la lumière, pour être tranquille ? Qui d'entre nous préfèrera s’adosser, ou au contraire tourner le dos à la route ?

76

ROWE, Colin, Collage city, O.C., 1978, p. 161

77

LÉVI-STRAUSS, Claude, La pensée sauvage, Plon, 1962, p. 51

78

ibid. p. 57

79

BLANC, Jean-Noël, La fabrique du lieu, Installations urbaine, Publications de l’Université de Saint-Étienne, Saint-Étienne, 2004, p.47

80

ibid. p.47

81

PIAGET, Psycologie et épistémologie, Denoël Gonthier, 1970, p. 45

82

BLANC, Jean-Noël, La fabrique du lieu, Installations urbaine, Publications de l’Université de Saint-Étienne, Saint-Étienne, 2004, p. 48 81


82


Conclusion

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Conclusion

À travers ce mémoire, on voit apparaitre, dans des situations de micros expériences, des espaces publics intermédiaires rendus familiers, appropriés, tout en étant hors du cadre privé. Dans un art quotidien, l’espace est défini par la manière particulière de s’y établir. L’espace commun se transforme alors en espace propre. Les installations informelles et auto-construites sont le symbole d'une certaine organisation établie, mais encore ouverte à interprétations et transformations. À Mexico, malgré les plaintes des citadins concernant les commerces ambulants, dûes à leurs gènes ressenties au niveau hygiénique, sonore, volumétrique (encombrement), et financier (corruption), leurs rôle dans la rue est structurant. Il ne s'agit pas de donner tort ou raison à l'un des acteurs mais de prendre en compte les différents points de vue, afin d’adoucir la cohabitation. Une intervention relative aux commerces de rue et aux gênes occasionnées reviendrait à effectuer des changements en matière d'architecture, d'urbanisme, mais aussi en politique et sociologie et bien d'autres domaines rattachés à l'espace de la rue. Ce modèle atypique qu'est l'espace de la rue mexicaine, ne peut être traité comme tel en France. On ne peut pas avoir la même approche de la rue à deux endroits différents, d'autant plus lorsqu'il s'agit de populations aux cultures très distinctes. Instaurer des commerces ambulants identiques à ceux de Mexico dans la capitale française relève aujourd'hui de l'imaginaire. En revanche, en réponse à « l’uniformisation » des espaces publics de grandes villes mondiales, une nouvelle approche émerge : celle de reconquérir les rues par des principes d’appropriations spécifiques à chaque situation. La richesse des pratiques dans ces espaces serait alors de pouvoir : discuter, s'asseoir sur un rebord, le temps d'une collation, s’arrêter debout pour observer une situation intrigante, sans pour autant appartenir à une catégorie définie par la vitesse ou le comportement. Ainsi, en France, une première intervention possible serait de prendre en compte ces installations informelles dans la conception architecturale. De les dessiner comme sont dessinés des éléments ayant un fort impact sur le paysage urbain et la vie citadine. Cette pratique est aujourd’hui amorcée par de nombreuses associations d’architectes, d’urbanistes et de citadins. À Bordeaux, c’est le cas par exemple, du collectif Bruit du Frigo, qui se consacre à l’étude et l’action sur la ville et le territoire habité, à travers des démarches participatives, artistiques et culturelles. On peut établir des correspondances entre l’occupation urbaine, l’installation artistique, et la manifestation politique : ce sont trois situations de prise de parole. La ville devient alors le théâtre de rencontres, collages et fusions, engendrant ainsi une culture mouvante. A l’aide de cette réflexion sur les commerces ambulants, une autre direction est rendue perceptible : celle d'une construction des espaces urbains par « collage », c’est à dire par des processus tels que des accroches, des calages, des infiltrations, des verrous et des relais, etc. constituant une gamme de manières de se tenir dans l’espace.

84


Comme le dit Jean-Marie Floch, en parlant des trajets en transport, « un trajet n'est pas une suite gratuite de mouvements et de stationnements, ni une pure gesticulation83 ». Appliqué à l'espace de la rue en général, ce constat reste vrai. En effet, chaque mouvement, chaque décision du voyageur urbain a une raison d'exister, et de prendre telle ou telle forme. Une corrélation existe entre l'aménagement de l'espace utilisé et les mouvements qui sont réalisés à l’intérieur de celui-ci. En effet, la cinétique du corps prend un sens dans un environnement précis. L'espace qui entoure le corps, pousse donc chaque individu à agir d'une certaine manière, tout en l'encadrant. Les thèmes référencés dans ce mémoire suscitent une réflexion élargie sur l’occupation des rues, dans un contexte plus vaste que celui de la ville de Mexico. L'espace urbain est tout autant un espace permettant les déplacements que les relations sociales ou les animations. Penser la rue de demain suppose donc une étude des flux et des activités réalisables en laissant une marge de liberté à l'ensemble des usagers pour y exercer des activités temporaires, nouvelles ou inattendues.

83

FLOCH, Jean Marie, Etes-vous arpenteur ou somnambule ? L'élaboration d'une typologie comportementale des voyageurs du métro, Sous les signes, les stratégies, PUF, Marketing et communication, 2002, p. 31 85


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Glossaire

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Glossaire Ambulantage : activités d'échange économique qui a lieu dans les espaces à accès public prenant place dans une structure mobile(rues, transports collectifs, places..)(cf. « Ambulantage et services à la mobilité : les carrefours commerciaux de Mexico ») Attention, ce terme englobe parfois les kiosque, structure non mobile, faisant partie du commerce de rue. Espace privé: espace qui appartient à un groupe, une personne, un propriétaire, non accessible au public. Flânerie : se promener sans but, au hasard, sans finalité ni destination précise. Commerce de rue : commerce établi directement sur la voie publique, sans présence d'une boutique physique établie intégrée au bâti. Commerce établi : commerce prenant place à l’intérieur de boutiques déclarées et physiquement établies. Commerce formel : commerce légalement reporté, enregistré. Ligne de désir (traduction de l'anglais :Elephant path) : C'est utiliser le système mis en place d'une autre manière que celle prévue originellement. Cette pratique est un moyen anarchiste de modifier la ville, mais aussi de désigner les besoins des usagers des espaces proposés. URL : http:// www.olifantenpaadjes.nl : site dédié aux photographies de chemins dits « raccourcis » mis en place graduellement par les usagers) Non lieux : terme employé par Marc Augé auteur de l'ouvrage « Non-Lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité », en opposition aux « lieux anthropologiques » désignant les espaces où les hommes restent anonymes, socialement parlant. Les personnes ne s'approprient pas les espaces, mais sont des individus solitaires. Ces espaces définis comme non lieux sont les supermarchés, les chaîne d’hôtels, les camps de réfugiés, les autoroutes, les aéroports, soit l'ensemble des lieux de transit. Piéton : personne se déplaçant à pied. Proxémie : Terme, employé par Edward T.Hall, qui défini l'ensemble des observations et comportements de l'homme dans l'espace ceux-ci étant fortement influencés par sa culture. Elle se concrétise par la distance physique établie entre les corps, et la perception des distances propre à chacun. Street fooding : vente d 'aliments ou de boissons dans tout espace public par des marchands ambulants permettant la mobilité, ainsi que des prix plus bas que ceux affiché dans les restaurants adjacents/ attenants, mais aussi générant un type de cuisine et de sociabilité parfois inégalable. Voyageur urbain : terme utilisé à plusieurs reprises dans l'ouvrage « Ambulantage et services à la mobilité : les carrefours commerciaux à Mexico. » Il désigne les personnes traversant la ville, pour se rendre à un endroit défini. Le parcours est généralement planifié et laisse peu de place au vagabondage. Le voyageur urbain peut utiliser les transports en communs aussi bien que la marche à pied, mais les transbordements sont inévitablement réalisés à pied. 88


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Bibliographie - Iconographie

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Bibliographie

• AGIER, Michel, Esquisses d’une anthropologie de la ville, Belgique, Academia Bruylant, 2009, 143 p. • AUGÉ, Marc, Non-Lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Le Seuil, La Librairie du XXème siècle, 1992, 150 p.

• APADURAI, Arjun, Apres le colonialisme, les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, 2001

• ASCHER, François, APEL-MULLER, Mireille, La rue est à nous…tous, Vauvert, Ed. Au diable vauvert, 2007, 308 p.

• BARTHÉLÉMY, Claire, Une lecture du livre d’Edward T. Hall , dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondial, décembre 2006, disponible sur : http://base.d-p-h.info/fr/ fiches/dph/fiche-dph-7464.html

• BARTHES, Roland, L’Empire des signes, Skira, 1980 • BLANC, Jean-Noël, La fabrique du lieu, Installations urbaine, Publications de l’Université de SaintÉtienne, Saint-Étienne, 2004, 238 p.

• CHOAY, Françoise, Espacements - L’évolution de l'espace urbain en France, Paris, Ed. Skira, 2004, 130 pages

• DI MÉO, Guy, L’individu, le corps et la rue globale, Géographie et cultures N°71 « Où en est la rue face à la globalisation ? », 2009, 11 pages

• FLOCH, Jean Marie, Etes-vous arpenteur ou somnambule ? L'élaboration d'une typologie comportementale des voyageurs du métro, Sous les signes, les stratégies, PUF, Marketing et communication, 2002, 29 pages

• GALLIAN, Claire, « Pratiques de l’espace urbain. Evolution de la relation privé/public dans l’habiter au Japon », BERQUE, Augustin (dir), La maitrise de la ville, Paris, Editions de l’EHESS, 1994, p.502

• GARCIA CANCLINI, Néstor (org), La antropologia urbana en Mexico, Mexico, Conaculta/UM/ FCE (Biblioteca Mexicana), 2005

• GARCIA CANCLINI, Néstor, Culturas híbridas. Estrategias para entrar y salir de la modernidad, Mexico, éd Grijalbo, 1989

• GERMON, Olivia, « Les chorégraphies urbaines des piétons parisiens ; Entre règles spatiales et règles sociales », Géographie et cultures, 2009, n°70, p. 19-28

92


• GIGLIA, Angela, CAPRON, Guénola, MONNET, Jerôme, « Ambulantage et services à la mobilité : les carrefours commerciaux à Mexico », Cybergeo : Revue européenne de géographie, n° 371, 06 avril 2007, p. 39-58

• GUBLER, Jacques, Motion, émotions : Notes sur la marche à pied et l’architecture du sol, essai, matières, n°1, janvier 1997, 8 pages (p. 7-14), disponible sur : http://www.matieres-mag.ch/documents/ matiere_1.pdf

• GOFFMAN, Erving, La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, éd Minuit, 1973 • GOURDON, Jean-Loup, La Rue Essai sur l’économie de la forme urbaine, 623ème Edition, Gémenos, éditions de l’Aube, 2001, 287 p.

• GRUZINSKI, Serge, Histoire de Mexico, 3620ème Edition, Paris, Librairie Artère Fayard, 1996, 455 p.

• GRUZINSKI, Serge, La pensée métisse, Paris, Ed. Pluriel, 2012, 345 p. • HALL, Edward T., La dimension cachée, Seuil, Paris, 1971, 255 p. • KARAM, Sarah, « Dans les transports, les gens cultivent leur asociabilité », Le Figaro, 10 août 2012, p. 12-14

• LAVADINHO, Sonia, WINKIN, Yves, « Quand les piétons saisissent la ville. Éléments pour une anthropologie de la marche appliquées à l'aménagement urbain », Espace, corps, communication, n°21, 2004, p. 9-16

• LÉVI-STRAUSS, Claude, La pensée sauvage, Plon, 1962 • MAUSS, Marcel, « Sociologie et anthropologie : “ Les techniques du corps“ », Communication présentée à la Société de Psychologie, n°XXXII, 1934

• MONNET, Jérôme, STASZAK, Jean-François, « Le consommateur ambulant : mobilités, stratégies et services », Espaces et sociétés, n° 135, avril 2008, p. 19-24

• NORDHOLT SCHULTE Annelies, « PEREC Georges : Topographies parisiennes du flâneur », Utrecht Publishing & Archiving Services, Igitur, mars 2008, p. 21

• PAQUOT, Thierry, L’espace public, Paris, éd La Découverte, 2009 • PÉREZ LÓPEZ, Ruth, « Movilidad cotidiana y accesibilidad : ser peatón en la ciudad de México », Cuadernos CEMCA, série anthropologie n°1, décembre 2014, p. 10-24

• QUERRIEN, Anne, Politiques urbaines sans auteur. Une anthropologie des situations, Multitudes, n°31, 2008, p. 51 93


• RICORDEAU, C., L’Islam, le corps, l’espace, L. Ben ADBERRAZACK et al. Secrétariat d’État à la culture, 1974, p. 134

• STAMM, Caroline, « Expulsion et relocalisation du commerce de rue dans la métropole de Mexico : Analyse comparative des politiques de déguerpissement dans le Centre historique, Tlalnepantla et Tultepec », L'Espace Politique, Janvier 2014, n°22, p. 35-51

• SOLNIT, Rebecca, L’art de marcher, Arles, Actes Sud, 2002 • SOULIER, Nicolas, Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde et pistes d’actions, Paris, éd Ulmer, 2012, 285 p.

• THOMAS, Rachel, Marcher en ville - Faire corps, prendre corps, donner corps aux ambiances urbaines, Paris, Ed. des archives contemporaines, 2010, 194 p.

• TERRIN, Jean-Jacques, Le piéton dans la ville - L’espace public partagée, Marseille, Ed. Parenthèses, 2011, 279 p.

• TOUSSAINT, J-Y., ZIMMERMANN, M.(dir), Projet urbain. Ménager les gens, aménager la ville, éd Mardage, 1998, p. 121

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Iconographie (classement par ordre d'apparition)

• Page de couverture : Scott-Barry, 2001, dessin informatique • El Sherif et El Trompas, Calle Los Angeles : ph. de l’auteur, Novembre 2014, Mexico • p. 6, scène de rue: Glasgow, ph. Tristan Surtees • p. 7, Louxor, Égypte, ph. Francis Nordemann • p. 7, coupe du monde 98, Saint-Étienne, ph. J.N Blanc • p. 7, coupe du monde 98, Saint-Étienne, ph. J.N Blanc • p. 7, pile de métro, Mexico, ph. Laetitia Belala • p. 8, street view de la rue Maderia, Mexico, 2015 • p. 14, dessins de Natalie Saint-Martin, Mexico • p. 21, collage de Emma Sims, « sous les pavé, la plage » • p. 25, place Waldeck-Rousseau, Saint-Étienne, ph. Laure Nercessian • p. 26, touriste, Chine, ph. Francis Nordemann • p. 26, postier, Paris, ph. Francis Nordemann • p. 27, rail de béton du premier train à coussin d’air entre Paris et Orléans, ph. Jean-Louis Bloch-Lainé • p. 29, enfants, Caracas, ph. Francis Nordemann • p. 29, touriste, San Gimignano, ph. Francis Nordemann • p. 30, carte du Mexique, OMA Géographie • p. 30, peinture de Tenchtitlan , auteur inconnue • p. 30, gravure de Mexico en 1774, auteur inconnu • p. 30, ville de Mexico, capture Google Earth, 2016 • p. 31, étalement urbain de Mexico, graphique du Département d’Urbanisme du District Fédéral • p. 31, grands axes, graphique de l’auteur, 2016 • p. 31, ville de Mexico, capture Google Earth, 2016 • p. 32, schéma du « tout-véhicule », Alexis Astier, 2015 95


• p. 33, fabrication de la ville, schéma Alexis Astier, 2015 • p. 33, voies construites dans un paysage agricole, Mexcio, ph. de l’auteur, 2014 • p. 34, opération Valle de Santiago, Mexico, ph. Arturo Gisela • p. 34, opération Mision Mariana, Mexico, ph. Alexis Astier • p. 35, continuum urbain, Mexico, ph. Mario Bonilla • p. 36, contre-jour des coteaux, ph. de l’auteur, Mexico, 2015 • p. 36, inondation des autoroutes, ph. de l’auteur, Mexico, 2015 • p. 37, coupe franche, ph. Alexis Astier, 2014 • p. 37, montage d’un réseau social, auteur inconnu, 2012 • p, 38, quartier Olivar de Los Padres, Mexico, capture Google Earth, 2016 • p, 39, rue Los Angeles, ph. de l’auteur, Mexico, 2015 • p. 40, maison surélevée, ph. de l’auteur, Mexico, 2015 • p. 41, montage de l’auteur, 2016 • p. 41, ruelles du quartier Olivar de Los Padres, ph. de l’auteur, Mexico, 2014 • p. 41, coupes des rues, croquis de l’auteur, 2016 • p. 42, langage de la rue, ph. de l’auteur, Mexico, 2015 • p. 48, L'homme aux ballons, ph. photographie de Juan Albornoz, février 2013 • p. 48, Musicien « organillero, photographie extraite de la video à 0:17 « Organilleros, musicalizando las calles de México desde hace más de 100 años »; interview de Román Dichi; durée : 1:09 • p. 48, Vendeur de cigarette, chips et sucreries, ph. Carlos Munera, aout 2009 • p. 49, Tacos de canasta dans la Cité Universitaire, photographie de anonyme • p. 49, Un ambulant de sucreries en mouvement, ph. Arturo ARRIETA, janvier 2014, Mexico D.F • p. 49, Commerce de sucreries à l’arrêt, ph. Arturo ARRIETA, janvier 2014, Mexico D.F • p. 49, Tricycle proposant des collations salées, ph. socialmedia-gotomexico • p. 50, Tamales et atole, ph. Eric Meneses, décembre 2015 • p. 50, Stand de sandwiches et rafraîchissements, ph. Arturo ARRIETA, janvier 2014, Mexico D.F 96


• p. 50, Vente de livres et revues, ph. Arturo ARRIETA, janvier 2014, Mexico D.F • p. 50, Stand de tacos, ph. Luz Divina Merchan, septembre 2012 • p. 50, Stand de fruits préparés, ph. Maite Álvarez, mars 2014 • p. 50, Stand de hot-dog à Copilco, ph. Arturo ARRIETA, janvier 2014, Mexico D.F • p. 51, Kiosque de tortas le long de la route, ph. Hernani Villaseñor, juillet 2011; Mexico D.F. • p. 51, Kiosque de tacos, ph. Katja Gaskell, août 2014 • p. 51, Kiosque de tortas avec des sièges, ph. Arturo ARRIETA, janvier 2014, Mexico D.F • p. 51, Kiosque de tacos avec des clients, ph. streetview, septembre 2015, D.F.Mexico • p. 52, La structure du commerce : vente de fruits préparés, ph. socialmedia-gotomexico et croquis de l’auteur • p. 53, Eléments matériels composant le stand de tacos, ph. Katja Gaskell, août 2014 et croquis de l’auteur • p. 54, Regroupement de personnes délimitant le stand de tacos, ph. Katja Gaskell, août 2014 et croquis de l’auteur • p. 54, Corps des vendeurs délimitant un commerce roulant, ph. socialmedia-gotomexico et croquis de l’auteur • p. 55, Kiosque défini par des éléments urbains proches, ph. Hernani Villaseñor, juillet 2011, Mexico D.F et croquis de l’auteur • p. 57, coupe du monde 98, Saint-Étienne, ph. J.N Blanc • p. 57, bureau de rue, Glasgow, ph. Tristan Surtees • p. 58, arcades, Turin, ph. J.N Blanc • p. 61, vendeuse, Basse-Terre (Guadeloupe), ph. J.N Blanc • p. 65, « sphères proxémiques », croquis de l'auteur d'après Edward T. Hall • p. 66, « aire proxémique » du corps, croquis de l'auteur d'après Edward T. Hall • p. 67, Schéma des configurations de placement dans les transports en commun, croquis de l’auteur d'après Edward T. Hall 97


• p. 69, ruelle, Palerme, ph. J.N Blanc • p. 70, vendeur, Basse-Terre (Guadeloupe), ph. J.N Blanc • p. 70, représentation de la vierge de Guadalupe, ph. de l’auteur, Mexico, 2014 • p. 78, plan informel de la rue Los Angeles, croquis de l’auteur, 2016 • p. 79, portraits des habitants, ph. de l’auteur, Mexico, 2015 • p. 80, portraits des habitants, ph. de l’auteur, Mexico, 2015 • quatrième de couverture, abribus, Saint-Étienne, ph. J.N Blanc

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Le sujet du présent mémoire est d’observer le rôle et la place du corps humain dans le développement urbain, grâce à l’exemple singulier de la ville de Mexico. À travers une analyse de l’espace de la rue, nous allons mettre en comparaison plusieurs systèmes de développement spatiaux : une méthode dite d’ « uniformisation » semble en opposition à une approche plus informelle, animée de ses codes culturels. L’ espace urbain apparait alors duel, entre surprivatisation des lieux d’une part et enchevêtrement des pratiques d’autoconstruction d’autre part. Nous tenterons d’éclaircir cette forme de développement qui semble moins définie, afin de mettre au jour l’importance de pratiques du corps humain dans l’espace de la rue.

MOTS CLÉS :

Espace de la rue – piéton – Mexico – commerces de rue – ambulants – installation informelle

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