Le réemploi de matériaux de construction - Adelaïde Ragot

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MÉMOIRE DE MASTER

Adélaïde Ragot

Séminaire : Repenser la métropolisation Équipe pédagogique: Julie Ambal + Xavier Guillot+ Delphine Willis ENSAP Bordeaux, Juin 2018

Le réemploi de matériaux de construction: Vers une nouvelle culture du projet architectural et territorial

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MÉMOIRE DE MASTER

Adélaïde Ragot

Séminaire : Repenser la métropolisation Équipe pédagogique: Julie Ambal + Xavier Guillot+ Delphine Willis ENSAP Bordeaux, Juin 2018

Le réemploi de matériaux de construction: Vers une nouvelle culture du projet architectural et territorial



Remerciements Merci à mes directeurs de mémoire, Julie Ambal, Xavier Guillot et Delphine Willis pour leur suivi, et leurs conseils qui m’ont aidée à alimenter ma réflexion. Merci également à Thiphaine Berthome et Guillaume Gandon-Léger de l’association CANCAN pour leur disponibilité et les renseignements précieux qu’ils m’ont fournis lors de notre rencontre. Enfin, merci à mes amis et ma famille pour leur soutien tout au long de la rédaction de ce mémoire.


Sommaire Introduction .5

Intérêt pour le sujet de recherche........................................................................5 Réflexions préalables........................................................................................5 De moins en moins de ressources, de plus en plus de déchets........................5 Des logiques de fin de vie plus ou moins vertueuses........................................6 Distinction entre réemploi et réutilisation.........................................................6 Différents motifs de réemploi : le réemploi dans les pays du Nord et les pays du Sud..............................................................................................................7 Problématique.................................................................................................7 Logique de démonstration................................................................................8

I. Les dynamiques du développement du réemploi de matériaux de construction .9

A. Genèse du réemploi.......................................................................10

A.1 Le réemploi, une pratique vernaculaire.......................................................10 A.2 L’histoire comme valeur ajoutée.................................................................13 A.3 Le réemploi, une réaction face à la surconsommation.................................14

B. Un développement polarisé autour de certaines grandes villes moteurs……….....................................................................................18

C. Un mouvement de la base vers les élites.........................................21 C.1 Une pratique collaborative.........................................................................21 C.2 D’une pratique amateur à professionnelle..............................................22 C.3 Les nouveaux métiers du réemploi..........................................................23 a) En amont : les déconstructeurs.......................................................23 b) Les intermédiaires.........................................................................26


II. Une méthode de projet architectural en pleine évolution

Évolution du processus de création architecturale...................................................32

A. Gérer l’imprévu : le cas du Manable à Argentan..............................33 B. Composer avec l’unique : le cas du musée d’histoire de Ningbo......36 C. Rendre compatible réemploi et performances énergétiques : la Powerhouse Kjorbo, à Sandika, Norvège.........................................38 D. Composer avec le risque : le cas du Lieu Unique à Nantes...............40 E. Créer une nouvelle balance économique : le cas de la plateforme Noé à Bordeaux..................................................................................44

III. Politique et maîtrise d’ouvrage publique : évoluer pour favoriser le réemploi

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A. Activer en réorientant la commande publique : le cas de Paris Habitat........................................................................49 B. Soutenir et réguler en repensant le cadre légal ..............………………50

Franchir le pas : des engagements aux actes..................................................50 B.1 Renforcer le cadre légal : le cas de l’agglomération du Cook County aux Etats-Unis.......................................................................................................50 B.2 Évolution et limites du modèle normatif ................................................52

Conclusion

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Glossaire Annexes Bibliographie

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Introduction Intérêt pour le sujet de recherche : En 2015, je m’installais à Berlin pour effectuer un stage de quatre mois au sein de l’agence raumlabor berlin . L’agence raumlabor littéralement « le laboratoire de l’espace » a la particularité d’aborder le projet par l’expérimentation. Ses membres se sont constitués au fil du temps un lieu de stockage et d’expérimentation au sein même de leur agence dans lequel sont entreposés tous les éléments qu’ils ont glanés, qu’il s’agissent de chutes de matériaux utilisés sur leurs anciens chantiers, de matériaux récupérés sur des constructions éphémères ayant donc déjà servis, ou de matériaux récupérés à l’extérieur, au hasard des opportunités. « Je voudrais que tu m’imagines quelque chose avec ces vieilles planches et ces boîtes », voilà la consigne que j’avais reçue de mon maître de stage. Pour y répondre je devais puiser dans cette immense boîte à outil pour imaginer un objet, un meuble, un lieu pour le client du projet sur lequel nous travaillions sans même savoir la nature de ce que j’allais réaliser. Bien que particulièrement déstabilisante, cette façon d’aborder le projet m’a tout de suite interpellée. D’abord, je trouvais que l’acte de réemployer ces ressources qui avait déjà servi avait une forte puissance symbolique qui pourrait donner de l’épaisseur au projet. Ensuite, cela représentait pour moi un véritable défi intellectuel, celui d’aborder le projet par la matière et par le concret, ce qui me semblait particulièrement intéressant. Enfin, J’avais l’impression par cet acte de réemploi de faire preuve de bon sens en économisant les ressources et d’adopter une attitude relativement respectueuse de l’environnement en évitant de lui extraire plus de matière. Je me représentais jusqu’alors l’acte architectural comme un ajout de matière dans un environnement donné, en omettant que tout ajout de matière à un endroit implique qu’elle soit extraite quelque part ailleurs. L’extraction est un acte puissant qui a un impact fort sur l’environnement. Dès lors je me suis demandée si elle ne devrait pas être au cœur de la démarche de conception architecturale. Ce projet m’a permis de constater qu’il est possible de concevoir le projet avec comme ambition première de soustraire le moins possible de ressources à notre environnement, en étant économe au sens large du terme. Ce mémoire est donc un moyen pour moi de mettre en perspective mon expérience personnel de réemploi.

Réflexions préalables : De moins en moins de ressources, de plus en plus de déchets : Actuellement, la surexploitation de certaines matières premières (sables pour le verre et le béton par exemple, métaux : zinc, plomb, cuivre, certaines essences de bois…) conduit à une raréfaction des ressources aux conséquences multiples. Cela provoque d’une part des déséquilibres écologiques en provoquant des réactions en chaîne qui partent de la disparition d’une ressource première d’un écosystème et conduisent à celle de sa faune et de sa flore, impactant progressivement les écosystèmes voisins. Cela conduit, d’autre part, à un déséquilibre social en créant des tensions entre les exploitants et les sociétés civiles qui vivent à proximité de ses ressources voire, à plus grande échelle, des tensions géopolitiques. Enfin, d’un point de vue économique, la raréfaction des ressources produit également un déséquilibre en provoquant l’inflation de leur prix. Chercher de la ressource hors des matières premières et s’intéresser à la question des matières secondaires semble donc une piste de recherche intéressante à exploiter car elle correspond à une véritable nécessité. Depuis la révolution industrielle, le monde s’est retrouvé face à de nouveaux défis concernant la gestion des déchets solides. La conjonction entre l’augmentation exponentielle de la population, et l’enrichissement progressif des individus, qui a modifié notre rapport aux objets, a entraîné une augmentation spectaculaire du nombre de déchets. Nous sommes plus nombreux à produire des déchets. D’autre part, nous avons basculé d’un monde 5


préindustriel, plus pauvre où la production de déchets représentait une perte économique importante, et où la limitation de la production de déchets était gérée en amont, à un monde où nous possédons plus d’objets, moins nécessaires, auxquels nous attachons moins de valeur, et dans lequel nous produisons individuellement plus de déchets. Enfin, nous avons développé des industries afin de produire ces objets qui produisent elles-mêmes une quantité non-négligeable de déchets. Rien qu’en France, nous produisons 345 millions de tonnes de déchets par an dont 38.21 millions proviennent des activités de construction. Parmi ces déchets, 65% sont issus de la démolition ce qui laisse envisager un potentiel énorme de matériaux ré-exploitables. La relation entre les villes et les déchets a donc changé de nature et de d’importance. Il s’agit aujourd’hui de penser parallèlement la réduction du nombre de déchets, et la gestion des déchets afin de les rendre le plus inoffensif possible pour la planète. Des logiques de fin de vie plus ou moins vertueuses La logique de fin de vie des déchets s’organise donc actuellement autour de deux grands axes : la prévention, et la gestion. Dans le domaine de la prévention il existe 3 stratégies appelées les 3R : réduire, réutiliser et réemployer. Ces trois stratégies relèvent tout simplement du bon sens : consommer moins (effort quantitatif) , consommer mieux en utilisant le potentiel d’un objet à son maximum (effort qualitatif), consommer de manière plus maligne en changeant l’emploi de l’objet lorsqu’il devient obsolescent dans son premier emploi (effort créatif). Dans le domaine de la gestion, il existe deux stratégies : éliminer ou recycler. L’élimination est la solution qui reste actuellement largement majoritaire et se fait principalement en broyant, brûlant ou en enfouissant le déchet. Le recyclage quant à lui qui consiste à transformer la matière originelle du déchet pour produire un nouveau matériau, a pour avantage d’éviter le gaspillage pur et simple de l’objet d’origine. C’est en ce sens que l’on parle d’un procédé de valorisation des déchets. Cependant, la plupart du temps l’intégrité du matériau de base est mise à mal (transformation de pierre en poudre, de plastique en fibre, etc.…), la quantité de matière récupérée étant faible en comparaison avec la quantité de matière fournie. À cela s’ajoute une importante dépense énergétique nécessaire pour effectuer ce procédé si bien que l’intérêt écologique même du recyclage peut être, dans bien des cas, remis en question. Face à ce constat, il semble d’autant plus indispensable pour les villes de développer toutes les stratégies de prévention possibles, et de gérer la question des déchets plus en amont notamment au travers du réemploi. Le réemploi et la réutilisation sont des alternatives à la destruction pure et simple des objets et sont considérée comme des pratiques plus vertueuses aux yeux des experts. En effet, contrairement à leur cousin le recyclage, ces procédés ne nécessitent que très peu, voire aucune dépense énergétique liée à la transformation de la matière. Distinction entre réemploi et réutilisation : Le réemploi est une notion complexe qui est souvent utilisée à mauvaise escient dans le langage courant. L’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) le définit comme « l’opération par laquelle un produit est donné ou vendu par son propriétaire initial à un tiers qui, a priori lui donnera une seconde vie. Le produit garde son statut de produit et ne devient à aucun moment un déchet2 ». Cependant, on englobe couramment 1

Service de l’Observation et des Statistiques (SOeS), Enquête sur les déchets et déblais produits par l’activité BTP en 2008 (EDD) http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sources-methodes/enquete-nomenclature/1542/0/ enquete-dechets-deblais-produits-lactivite-btp-2008-edd.html?tx_ttnews%5Bcatdomaine%5D=752&cHash=ecd82cc195461e621d8d7035aeaf9212 2 ADEME, article « le réemploi et la réparation », mis à jour le 31/05/2018 http://www.ademe.fr/expertises/dechets/passer-a-laction/eviter-production-dechets/reemploi-reparation

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dans le réemploi la notion de réutilisation qui est « une opération qui s’amorce lorsqu’un propriétaire d’un bien usagé s’en défait sans le remettre directement à une structure dont l’objet est le réemploi. Il va déposer son bien usagé dans une borne d’apport volontaire, par exemple, ou dans les déchetteries (hors zone de réemploi). Le bien usagé prend alors un statut de déchet. Il subit ensuite une opération de traitement des déchets appelée « préparation en vue de la réutilisation », lui permettant de retrouver son statut de produit. Il peut alors bénéficier à un détenteur qui lui donnera une seconde vie3 ». Dans le secteur du bâtiment, en effet, les matériaux de réemploi et les matériaux réutilisés sont souvent traités par les mêmes acteurs si bien que l’on utilise couramment le terme de réemploi pour désigner ces deux opérations. Dans ce mémoire nous utiliserons le terme de réemploi dans son sens large qui inclut la réutilisation. Différents motifs de réemploi : le réemploi dans les pays du Nord et les pays du Sud L’homme réemploie des ressources depuis la nuit des temps, partout dans le monde pour construire ou pour ses autres activités. L’architecture vernaculaire fait souvent appel à des matériaux réemployés par souci d’économie et parce qu’il est plus pratique dans un contexte où l’on a peu de moyens, de puiser des ressources ayant déjà servis, se trouvant à portée de mains et déjà conditionnées pour la construction, que de puiser continuellement dans la nature de la matière première. Dans les pays émergents, qui possèdent moins de moyens, le réemploi est donc encore souvent pratiqué dans son sens vernaculaire. À contrario, dans les pays riches, la pratique actuelle du réemploi est motivée par d’autres raisons. Au cours des derniers siècles, les pays du Nord se sont développés sur un modèle industriel, basé sur la consommation et la production de masse. Ce modèle économique a conduit à puiser dans les ressources naturelles de manière drastique pour pouvoir créer des produits neufs en très grande quantité. Cette présence sur le marché de plus de produits combinés à un enrichissement progressif des populations, a conduit au développement d’une société consumériste. Il n’était plus nécessaire de réutiliser car on avait accès facilement à de la matière neuve, considérée comme plus qualitative, qui devenait abordable. Le réemploi est donc progressivement sorti des habitudes de la population. Selon la même logique, le secteur du bâtiment qui, avant la révolution industrielle, réemployait beaucoup de matériaux ayant déjà servis, a délaissé les matériaux de seconde-main au profit de matériaux neufs. Cela a conduit nos sociétés à se développer selon une logique linéaire - extraire une matière première, la transformer, l’utiliser et la détruire. Récemment, à partir de la seconde moitié du XX ème siècle, ce mode de développement a été remis en cause, car il a été prouvé qu’il avait un impact environnemental très néfaste. Partant de ce constat, les experts de la ville réfléchissent à des solutions pour faire entrer la production architecturale dans un cycle de vie plus circulaire qui n’aboutirait pas systématiquement à la destruction des objets en fin de vie et qui permettrait autant que possible de les réintégrer dans un nouveau cycle. Dès lors, recyclage, réutilisation et réemploi sont apparus comme des pratiques vertueuses pouvant permettre d’atteindre cet objectif de circularité. Dans ce mémoire, je traiterai du réemploi dans le contexte des pays du Nord, car c’est celui qui fait l’objet d’un regain d’intérêt ces dernières années et qui implique un changement radical de méthode de projet pour les acteurs de la construction dans ces pays. Problématique : Dans quelle mesure, dans les pays du Nord, le réemploi opère-t-il chez les concepteurs de l’espace architectural et territorial, un changement de culture du projet ?

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Idib.

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Logique de démonstration : Dans ce mémoire, je consacrerai une première partie à la définition du contexte dans lequel se développe actuellement le réemploi dans les pays du Nord. Pour ce faire je m’intéresserai à ces dynamiques de développement d’un point de vue historique, géographique et social. Puis, je m’intéresserai à la façon dont le réemploi modifie la culture du projet, dans un premier temps pour ceux qui conçoivent l’architecture puis, dans un second temps, pour ceux qui conçoivent le territoire. Dans ces deux parties, je m’appuierai sur l’étude de cas (projets architecturaux et projets territoriaux) où les concepteurs ont adapté leur méthode de projet à la question du réemploi. Il s’agit donc d’une étude à travers des cas exemplaires, qui n’a pas vocation à dresser un inventaire exhaustif des façons de mettre en œuvre des projets de réemploi, mais plutôt à démontrer que le réemploi opère effectivement un changement de culture du projet.

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I. Les dynamiques du développement du réemploi de matériaux de construction

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Le réemploi est une pratique qui connaît depuis une quinzaine d’années un fort regain d’intérêt auprès des particuliers mais également des professionnels, notamment dans le secteur de la construction. Bien que le réemploi ne soit encore que très peu intégré aux processus de construction et de déconstruction dans la production bâtie actuelle, les expérimentations et les tentatives pour le simplifier et le systématiser sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus mises en lumière. Il est donc intéressant de se pencher sur le contexte qui explique le retour de cette pratique sur le devant de la scène.

A. Genèse du réemploi A.1 Le réemploi une pratique vernaculaire Le réemploi est une pratique qui existe depuis les débuts de nos civilisations. Les hommes préhistoriques déjà avaient compris qu’une pierre d’une certaine forme présente sur le sol pouvait acquérir une valeur supplémentaire en l’utilisant dans un autre contexte : une pierre polie servira à broyer, une pierre tranchante à découper. Trouver de la valeur dans le déjà-là est une marque de l’intelligence de notre espèce et constitue un fondement de notre identité humaine. Cet instinct contredit la notion même de déchet, notre ingéniosité nous poussant à envisager de nouveaux emplois pour des objets que l’on croyait vidés de leur valeur. La limite entre le déchet et la ressource devient donc ténue : le déchet n’étant plus vraiment ce que l’on ne peut plus utiliser, mais bien ce qui ne vaut plus la peine d’être utilisé. À quel moment, alors, considère-t-on qu’un objet n’a plus de valeur ? C’est la profusion des ressources, le luxe de pouvoir choisir les objets que nous utiliserons, parce que l’offre est riche et multiple et parce que nous avons les moyens de les acquérir, qui nous conduit à en délaisser certains au profit d’autres. Cependant, cette profusion de ressources et de biens accessibles au plus grand nombre est un phénomène relativement récent au regard de l’histoire et ne saurait être généralisable à l’ensemble de la population. Ainsi privé du luxe, l’homme, depuis toujours est soumis à une logique d’économie en son sens premier d’utiliser les ressources de manières parcimonieuse. Là où les ressources manquent, ou sont trop chères, le réemploi se développe. Le secteur de la construction ne fait pas exception à la règle. Les ruines ont, jusqu’à l ‘émergence des notions de patrimoine, constituées de véritables carrières de matériaux, et les villes se sont construites sur elles-mêmes comme d’immenses palimpsestes. Historiquement, l’intégration de matériaux de seconde main dans les chantiers de construction n’est pas une pratique anecdotique, c’est au contraire une pratique largement intégrée au processus de construction que l’on retrouve à toutes les époques de notre histoire. Au Moyen Age, par exemple, le réemploi d’éléments architecturaux issus de bâtiments antiques était assez fréquent. Il n’était pas rare de récupérer des colonnes, chapiteaux et autres éléments de décors antiques afin de les intégrer dans de nouveaux bâtiments, et en particulier des églises. Ces éléments ont très longtemps été appelés de façon très péjorative « spolia » par les historiens. Etymologiquement, cela signifie les dépouilles d’animaux, prenant par extension le sens de butins guerriers4. Ainsi au regard des historiens, le réemploi était le résultat de pratiques barbares de pillage qui traduisait d’une part une volonté du pilleur d’affirmer sa puissance par l’appropriation d’éléments provenant d’autres cultures, et d’autre part une forme de régression, le constructeur ayant recours à la réutilisation pour palier ses lacunes créatives et technique.

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Laura Foulquier, « La carriere des pierres. La récupération de l’Antiquité à nos jours », dans J. CHOPPIN, N. DELON (éd.), Matière grise, Paris, Édition de l’Arsenal, 2014, p. 63-68

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Fig.1 Fondation du massif du chevet de la cathédrale Notre Dame de Nazareth de Vaison la Romaine constituée d’éléments de colonnes antiques, Vaison la Romaine, photo 1949, © DR

Cette dernière affirmation semble cependant réductrice au regard de la complexité de certaines œuvres architecturales faisant usage d’éléments de construction de réemploi. Ainsi au Duomo de Pise, érigé au XIème siècle et dont le décor comporte des éléments rapportés de différents pays, le recours à des éléments architecturaux de seconde main ne peut être attribué à des motivations économiques ou techniques, car la logistique déployée pour acheminer et intégrer ces éléments à l’édifice a forcément rendu cette opération à la fois coûteuse et complexe sur le plan technique. Le réemploi dans cet exemple est bien plus probablement utilisé à des fins symboliques afin d’affirmer la puissance de la ville de Pise5. Au-delà des exemples religieux, au Moyen Age, la logique de construction de la ville relève elle aussi du réemploi. Les villes érigées à l’antiquité se transforment en conservant leur structure d’origine par une succession de petits retraits et d’ajouts. Plus que jamais, le réemploi est intégré au processus de construction et de déconstruction de la ville. Certaines grandes infrastructures antiques tel que l’aqueduc de Nîmes deviennent de telles réserves de matériaux qu’ils nécessitent la mise en place d’une véritable organisation autour de leur récupération.

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Ibid.

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Fig.2 Vestiges de la porte d’entrée primitive du château de Lèdenon construit avec des pierres de l’aqueduc de Nîmes, J.-L. Paillet, Méditerranée, 1986 p. 154

Fig. 3.Angle Nord-Ouest du mur du cimetière contigu à l’église de Saint-Bonnet construit avec des pierres de l’aqueduc de Nîmes, J.-L. Paillet, Méditerranée, 1986 p. 153

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A.2 L’histoire comme valeur ajoutée À la Renaissance apparaît un intérêt nouveau pour les ruines. Plus seulement considérées comme des carrières de matériaux, leur valeur historique et esthétique (en particulier pour les ruines antiques) devient un argument en faveur de leur préservation. Certaines ruines deviennent des objets d’études pour les érudits, qui dès lors acquièrent trop de valeur pour que l’on en extraie les matériaux. Il faut cependant attendre la fin du XVIIIème siècle pour voir apparaitre la notion de patrimoine, et qu’une politique de conservation soit mise en place, bien qu’elle ne soit dans les faits peu efficace. Et c’est au cours du XIXème siècle que la conservation du patrimoine est concrètement amorcée. Parallèlement, la révolution industrielle transforme en profondeur la société et induit un nouveau rapport aux ressources. Les ressources sont traitées de manière plus rapide, en plus grandes quantités, et suivant des procédés systématisés, si bien que le réemploi qui nécessite une gestion des matériaux au cas par cas, devient de plus en plus obsolète. Dans le bâtiment, on a désormais des outils d’extraction beaucoup plus efficaces et l’on développe de nouveaux matériaux artificiels très pratiques, tels que l’acier et le béton, qui conduisent les constructeurs à construire de plus en plus systématiquement avec des matériaux neufs. D’autre part, l’augmentation sans précédent de la quantité de déchets engendrant de la pollution et des problèmes sanitaires considérables, fait émerger des considérations hygiénistes qui bousculent la perception des déchets. Un discours hygiéniste apparaît selon lequel, pour assainir nos villes, il faut se débarrasser du vieux et repartir de zéro. Dès lors, le déchet prend une connotation négative et n’est plus perçu comme une ressource potentielle. Le vieux devient un signe de misère, alors que le neuf et le nouveau deviennent aux yeux de la société des signes de bien-être et de richesse. Au XX ème siècle, les considérables destructions provoquées par deux guerres mondiales successives, transforment une fois de plus le rapport de la société et des constructeurs aux ruines. Réutiliser les matériaux des bâtiments détruits est une nécessité pratique car il est indispensable de gérer tous les déchets des destructions et de se servir de toutes les ressources disponibles pour reconstruire rapidement. D’autre part, la guerre est un tel traumatisme que la reconstruction, en particulier celle de l’après première guerre mondiale, se fait généralement dans un souci de reconstruire « à l’identique » comme pour effacer les traces de cette période terrible. Réemployer des matériaux devient un acte symbolique et mémoriel, un moyen d’injecter des traces du passé dans le monde d’après-guerre. Après 1945, on entreprend une reconstruction plus radicale, considérant que le monde n’est plus le même au sortir de la guerre, on envisage une reconstruction plus moderne, ou le devoir de mémoire s’opère soit par la conservation ponctuelle de certaines ruines, comme des cicatrices dans la ville, soit par le réemploi de structures ou matériaux faisant référence à la guerre. Un changement d’attitude face au réemploi s’opère donc : le réemploi ramène le lien aux hommes. Il produit des objets chargés de culture, d’histoire et donc de sens : l’objet réemployé est un héritage, c’est donc un lien culturel au sein de la société6. Le réemploi s’inscrit dans une logique de superposition des usages. À la manière d’un palimpseste, l’objet possède plusieurs niveaux de lecture et son identité s’exprime au travers des liens qui se sont tissés entre ses différentes couches. La pratique du réemploi devient donc une pratique conservatrice, dans le sens où elle cherche à préserver la mémoire d’un objet et par extension une certaine culture. La chapelle Notre-Dame-du-Haut de Ronchamp, construite par Le Corbusier en 1955 illustre bien cette approche symbolique du réemploi au sortir de la seconde guerre mondiale. Le réemploi des pierres de l’ancienne chapelle, détruite pendant la guerre, bien que présent est invisible. Un habillage de béton et de chaux vient les envelopper participant à l’esthétique moderne du bâtiment. Cependant la conservation des pierres d’origines inscrites au cœur du projet, confère au bâtiment une forte portée symbolique comme si le passé faisait partis de l’ADN de la chapelle. 6

Jean-Marc Huygen, La Poubelle et l’Architecte, Vers le réemploi de matériaux, Arles, Actes Sud, 2008

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Fig.4 Carte postale de la Chapelle Notre-Dame-du-Haut, Le Corbusier, en cours de construction en 1954, Ronchamp, © DR

​Fig. 5 Chapelle Notre-Dame-du-Haut, Le Corbusier, 1955, Ronchamp © DR

A.3 Le réemploi : une réaction face à la surconsommation Aux États-Unis dans les années 1960, se développe une contre-culture en réaction à la culture dominante de consommation à l’extrême. L’idée de ses adeptes est de mener une vie recentrée sur l’essentiel : la vie en communauté, un retour à la nature en se détachant de la consommation d’énergies fossiles, et une forte indépendance face à la société jugée 14


trop matérialiste. Des expériences autour d’un habitat alternatif émergent. Basée sur l’auto-construction, elles développent des savoir-faire nouveaux en mettant en œuvre des matériaux de seconde-main issus, pour certains, de domaines autres que celui du bâtiment. La communauté de Drop City située dans le Colorado, est un des premiers exemples d’une réutilisation radicale de matériaux pour construire une communauté. Elle est fondée, en 1965, par quatre étudiants en art - Gene Bernofsky, Joann Bernofsky , Richard Kallweit et Clark Richert - et regroupe à son apogée une vingtaine de personnes, principalement issues des milieux de la culture et des arts. À Drop city l’expérimentation autour des matériaux de construction s’accompagne d’une recherche formelle. On y créé des structures tridimensionnelles qui forment des dômes inspirés par les dômes géodésiques de Richard Buckminster Fuller. Les dômes sont constitués d’une structure triangulée en bois de récupération qui soutient des facettes qui sont en fait de vieilles carrosseries, taillées en forme de triangle. Dans les fondations, on retrouve des pneus remplis de terre qui constituent d’efficaces masses thermiques. Il est intéressant de constater l’intérêt de ces auto-constructeurs pour les matériaux de seconde main issus de domaines autres que la construction. Partant du constat que la société de consommation produit des objets en série en énorme quantité, ils envisagent ces objets comme des ressources naturelles, autour desquelles il est possible de mener une recherche afin de tirer parti de leurs propriétés physiques dans la construction.

Fig. 6 Drop city 1965-1973, Trinidad Colorado © DR

Le résultat produit une architecture de l’assemblage et du collage qui fait référence auprès de nombreux architectes et auto-constructeurs dans les années et décennies suivantes. Dépassant l’aspect économique du réemploi, l’usage de matériaux de seconde-main est ici un manifeste pour un autre mode de vie, en réaction au mode de vie traditionnel américain. À partir de la fin des années 1960, cette contre-culture de l’auto-construction et du réemploi continue à se développer sous la forme d’autres expérimentations spatiales et sociales et suscitent de plus en plus l’intérêt d’une partie de la population notamment en Californie. Des préoccupations écologiques émergent et des villes tentent de mettre en œuvre une politique d’éducation autour du recyclage et du réemploi. En 1970, la ville de Berkeley, près de San Fransisco, met en place un ecology center qui fait office de pionnier dans le domaine de l’éducation à la réutilisation. Par la suite, c’est tout un secteur de l’économie qui se développe autour de la déconstruction ; plutôt que de démolir de manière brutale, il s’agit de déconstruire avec précaution afin de pouvoir valoriser les déchets et matériaux issus du bâtiment démoli dans un second chantier. La déconstruction génère de nouveaux métiers dans le démontage, le stockage, la valorisation, l’organisation et la vente des matériaux de seconde main. Ainsi, progressivement, le réemploi de matériaux bascule d’expérimentations 15


sporadiques se revendiquant de la contre-culture à un système de plus en plus large touchant de plus en plus de personnes, d’une culture du « tout gratuit » vers un nouveau business qui génère du profit, d’une culture de la création au cas par cas à une relative systématisation des processus de construction. Depuis les années 2000, on constate un regain d’intérêt important pour ces expérimentations pionnières qui semblent donner des pistes intéressantes aux constructeurs pour faire face aux enjeux environnementaux de plus en plus préoccupants. La recherche actuelle dans le domaine du réemploi trouve indéniablement ses sources d’inspiration dans cette contre-culture des années 1960-1970, et dans des architectures plus vernaculaires.

Fig. 7 Façade du potato head, Beach club Seminiak, par Andramantin architects,constituées de brise- soleils de seconde main, Bali Indonésie,2010, © Iwan Baan

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Fig.8. L’Officina Roma, de raumlaborberlin, villa temporaire faîte à partir de matériaux de réemploi, notamment des menuiseries et des bouteilles de verre, dans le cadre de l’exposition “RE-cycle” , Rome, 2011, © raumlaborberlin

Fig. 9 The Raw fondation, Jabu center, espace communautaire, Siteki, Swaziland, 2011 s’inspire notamment des principes de réemplois tirés du vernaculaire,© The Raw Foundation

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B. Un développement polarisé autour de certaines grandes villes motrices Le développement de démarches de réemploi est un phénomène intimement lié aux territoires. Dans les pays occidentaux, on observe de grandes disparités dans la répartition des projets de réemploi. On peut définir de grands pôles dynamiques dans la recherche et la mise en œuvre de projets faisant appel à des matériaux de seconde main. À l’échelle internationale, tout d’abord, une cartographie des projets exemplaires faisant appel à des matériaux de seconde main7 permet de constater que l’ouest de l’Europe et l’Amérique du Nord sont des régions abritant la plus grande concentration en projet de réemploi. La disparité Nord/Sud qui apparait, peut, de manière évidente, s’expliquer par des raisons économiques et culturelles, et n’est pas l’objet de ce mémoire. Au sein des pays du Nord en revanche, qui suivent des modèles de développement proches, les disparités existent également. On constate un premier foyer de développement dans le Nord-Est des Etats-Unis, et un second foyer européen qui englobe le Nord de la France, La Belgique, les Pays-Bas auquel viennent s’ajouter des pôles dynamiques autours des plus grandes villes européennes. Les Pays-Bas et la Belgique font figure de leader dans le domaine du réemploi de matériaux de construction actuellement. Ils abritent non-seulement plusieurs projets de références, mais se sont surtout ceux où les réseaux de réemploi sont les plus aboutis et qui ont réussi à développer de véritables marchés économiques du réemploi. Dans chacun de ces pays, il existe des cartes interactives recensant les matériaux de seconde main qui couvrent l’ensemble de leurs territoires : La Harvest Map développée par SuperUse Studio pour les Pays-Bas, et Opalis.be créée par Rotor en Belgique. Très complètes et faciles d’usage, les ressources répertoriées dans ces cartes et les expertises sur les matériaux qui les accompagnent ne sont pas vendues directement par leurs auteurs, comme c’est le cas en France par exemple. Ces cartes ont une valeur informative et éducative et mettent en avant l’ensemble des acteurs du réemploi présents sur leur territoire, afin que ces réseaux puissent vivre et grandir. En ce sens, elles proposent un service que l’on peut qualifier de public qui n’existe nulle part ailleurs et qui explique peut-être en partie l’avance de la Belgique et des Pays-Bas dans le domaine du réemploi par rapport aux autres pays. La vitalité de ces réseaux nationaux de réemploi, peut probablement également s’expliquer par des raisons géographiques. Le réemploi est une pratique localisée, la mise en place de réseaux doit se faire par territoire géographique, ainsi la pertinence d’un réseau national de réemploi dépend de la taille du pays. Pour la Belgique et les Pays-Bas, qui sont des pays concentrés sur de petites superficies, il est tout à fait pertinent de développer des réseaux couvrant l’intégralité de leurs territoires. Leurs territoires étant très petits et densément peuplés, il y a beaucoup de ressources sur une faible surface et beaucoup d’acteurs qui peuvent être mis en relation. L’offre en matériaux de seconde-main est donc importante et diversifiée et les échanges de ressources peuvent ainsi s’effectuer sans trop de transports. Pour la France, en revanche, la mise en place d’un réseau national semble beaucoup moins adaptée. Le territoire étant trop vaste, il serait absurde de transporter des matériaux de seconde main sur de longues distances car cela annulerait l’intérêt écologique de cette démarche. Le développement de réseaux de réemploi dans des pays plus grands comme la France doit probablement être envisagé à l’échelle des régions plutôt qu’à l’échelle nationale. D’autre part, sur des territoires densément peuplés comme c’est le cas en Belgique et aux Pays Bas, la recherche et l’innovation sont des atouts pour les entreprises qui souhaitent se démarquer de leurs concurrents ; une certaine émulation peut apparaitre dans le domaine du bâtiment qui est propice à la croissance du secteur du réemploi. Cela explique peut-être en partie la localisation des territoires dynamiques dans le domaine du réemploi autour des grandes agglomérations et le retard apparent des territoires plus ruraux. 7 Les projets cartographiés correspondent à l’ensemble des 73 projets de réemploi cités comme exemple dans J. CHOPPIN, N. DELON (éd.), Matière grise, Paris, Édition de l’Arsenal, 2014

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Fig. 10. Localisation des principaux projets architecturaux exemplaires de réemploi dans le monde.©A. Ragot

Fig. 11. Localisation des principaux projets architecturaux exemplaires de réemploi en Amérique du Nord, ©A. Ragot

Fig. 12. Localisation des principaux projets architecturaux exemplaires de réemploi en Europe, © A.Ragot

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Si l’on s’intéresse maintenant à la localisation des territoires dynamiques dans le domaine du réemploi de matériaux de construction en France, en prenant comme critère le nombre d’entreprises tenant le rôle d’intermédiaires entre les constructeurs et les déconstructeurs, on retrouve une évidente disparité entre les territoires ruraux et les grandes agglomérations et une disparité très marquée entre Paris et la province.

Fig. 13. Territoires où l’offre en matériaux de réemploi est répertoriée par des intermédiaires entre décontructeurs et constructeurs. Carte réalisée en étudiant la provenance des produits de seconde main mis à la vente sur les plateformes de réemploi les plus connues de France : Matabase, bâtiphoenix, raedificare, cycle up, Minéka, Re.Source. © A.Ragot

L’absence de ce type d’intermédiaire sur un territoire, ne signifie pas que l’on n’y pratique pas le réemploi, cependant s’il existe, il se fait de manière plus anarchique, par le biais de réseaux plus personnels. D’autre part, les territoires ruraux et périphériques possèdent un atout qui pourrait contribuer au développement de réseaux de réemploi : un foncier abordable. L’un des ingrédients essentiel du développement du réemploi étant la présence de lieux de stockage pour les matériaux de seconde main, si la pression foncière d’un territoire est trop élevée (comme cela peut être le cas dans les grandes villes), il devient très compliqué de mettre en place ces réserves de matériaux. À Bruxelles, par exemple, qui fait office de leader dans ce domaine, le foncier est si élevé que les centres de stockage des matériaux se sont développé à partir de 20km du centre-ville, faisant des communes périphériques de Bruxelles les zones les plus dynamiques dans le réemploi à l’échelle de l’agglomération. 20


Enfin, les raisons qui expliquent les différences de développement en matière de réemploi sont également politiques. Les territoires les plus en avance dans le domaine du réemploi, aussi bien à l’échelle de la France, qu’à l’échelle de l’Europe sont ceux où une véritable politique territoriale en faveur du développement d’une économie circulaire est menée.

C. Un mouvement de la base vers les élites C.1 Une pratique collaborative L’émergence des démarches autour du réemploi au cours des quinze dernières années s’inscrit dans le contexte du développement de l’économie collaborative. L’économie collaborative rassemble toutes les démarches, professionnelles et citoyennes, qui tendent à produire de la valeur en commun par le biais du partage et de l’échange. Elle comprend ainsi une grande diversité de démarches, qui se multiplient depuis une dizaine d’années. En 2013, on recensait autour de 400 différents types de pratiques collaboratives en France8. Ces pratiques collaboratives, qui prennent leurs sources dans les modèles de coopération des années 1980, ont explosé depuis 2010, notamment en réaction à la crise économique de 2009, qui a provoqué chez de nombreuses personnes l’envie de reprendre le contrôle sur leur façon de consommer. Cependant, il serait excessif de penser que le principe de coopération est apparu par le biais de l’économie collaborative. Une économie ne peut, toute capitaliste qu’elle soit, fonctionner sans la collaboration entre les individus, entre les entreprises et entre les pouvoirs politiques et le reste de la société. En 2012, l’IPSOS, a réalisé une étude pour l’ADEME, qui montre que les adeptes des pratiques collaboratives se regroupent autour d’objectifs communs : continuer à consommer et à jouir de ses biens et des services tout en faisant des économies et en adoptant des pratiques plus qualitatives. Cette étude met également en évidence la diversité des motivations des usagers des pratiques collaboratives. Elles varient de motivations assez individuelles, qui sont presque seulement d’ordre économique, typiques notamment dans la revente d’objets (pratiquées par 52% des français), à des motivations plus sociales, environnementales et éthiques pour les pratiques d’échange (pratiquées par 11% des français). Bien que moins populaire, les pratiques de troc et d’échange, représentent le secteur de l’économie collaborative qui a le plus fort potentiel de développement avec 38% des sondés qui déclarent vouloir s’engager dans ce type de pratique à l’avenir. Le réemploi dans ce contexte tient donc une opportunité de s’épanouir au cours des prochaines années que ce soit sous la forme déjà très développée de plateformes de revente, ou sous la forme d’échanges. Si l’on s’intéresse au profil des pratiquants de l’économie collaborative, on constate que les démarches collaboratives touchent en priorité une population jeune, active avec enfants et avec un fort niveau d’éducation. Cependant il ne s’agit pas d’une population homogène, ces pratiques touchant en effet l’ensemble de la société. De manière générale, ils partagent une préoccupation pour l’évolution de la société, une volonté de recréer du lien social, une grande curiosité et un amour de l’expérimentation. Il n’est donc pas étonnant de constater un regain d’intérêt pour les questions de mise en commun des ressources chez ceux que l’on regroupe sous la dénomination d’économie créative ( travaillant dans l’art, la culture et la technique), et en particulier chez les architectes et autres concepteurs de l’espace. Ils ont également la volonté de faire durer et de lutter contre l’obsolescence programmée des objets. La question des déchets est donc au cœur des préoccupations des adeptes de pratiques collaboratives. La pratique collaborative opère un changement dans la définition du déchet. Le déchet prend une valeur marchande par la revente ou non marchande par l’échange, selon 8

Anne Sophie Novel, La vie Share, mode d’emploi. Consommation, partage et modes de vie collaboratifs, Paris, Alternatives, 2013

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la façon dont on décide de s’en défaire. L’objet privé, qui une fois jeté passe dans le domaine du public (on se défait de sa propriété), devient un bien commun. Elle fait également évoluer les statuts des acteurs de la société : dans un système où l’on oppose l’individu consommateur et le producteur de service, apparait l’individu producteur de service. En tissant des passerelles entre les notions d’acteur et de consommateur, l’économie collaborative tend à redonner du pouvoir à l’individu au sein de la société. Elle cherche à le rendre plus actif et autonome et donc moins dépendant des pouvoirs politiques en place. Elle pose la question de la gouvernance. Elle met en place des réseaux d’acteursconsommateurs au sein d’un territoire qui fonctionne en relative autonomie du fait de la mise en commun de leurs ressources et de leurs compétences. La question de l’échelle est donc primordiale dans l’économie collaborative. À quelle échelle est-il pertinent d’un point de vue économique, social et environnemental de partager des biens et des compétences ? Selon le type de pratique la réponse peut varier du local (dans le cas des AMAP- Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne - par exemple), à des échelles plus larges (dans le cas de la revente, les acteurs mis en relation peuvent vivre à de très grandes distances les uns des autres). Cependant pour être en adéquation avec ses ambitions sociales et environnementales, l’échelle dans laquelle s’inscrivent ces pratiques est généralement celle du local. Il serait toutefois absurde de penser qu’un retour complet à une économie locale d’hier est envisageable par le développement des pratiques collaboratives. Elles peuvent néanmoins permettre de recréer du lien qui aille du local au global. C.2 Revalorisation de la compétence des amateurs L’architecture peut-elle se passer d’architectes? Voilà la question que posait Bernard Rudofsky en 1964, lors de son exposition au MoMA « Architecture without architects », et qui interroge encore actuellement le monde de l’architecture. Architectes et ingénieurs possèdent une connaissance savante de l’architecture que la société reconnait au point de leur confier la responsabilité de la quasi-intégralité de la production architecturale actuelle. Cependant, à l’échelle de l’histoire, ce sont bien les amateurs et non les professionnels qui sont les premiers auteurs de la production architecturale. L’homme n’a en effet pas attendu d’inventer le métier d’architecte pour construire, et même alors, les architectes sont longtemps restés cantonnés à la conception et à la réalisation de bâtiments pour l’élite dirigeante représentant une faible proportion de la production bâtie. L’habitat notamment jusqu’au XXème siècle, qui a vu l’émergence de la production de logements en masse, se passait dans la très grande majorité des cas du recours aux architectes. Sans pour autant renier l’apport de l’architecte à la qualité des bâtiments, il paraît évident que cette architecture réalisée sans architectes doit posséder des qualités intrinsèques qui lui ont permis de se développer au cours du temps et que ces « amateurs » doivent posséder des compétences en architecture. Par amateur nous entendons tout intervenant dans l’acte de conception qui n’est pas architecte professionnel, mais pour autant, qui n’est pas dénué de compétences. Quelles sont-elles ? L’architecture sans architecte est une architecture extrêmement contextualisée. Elle est vernaculaire dans le sens où elle mobilise des ressources matérielles et humaines locales. Le constructeur amateur construit généralement pour lui-même ce qui le rend économe. Il est économe en matériaux et privilégiera les matériaux présents sur place et déjà conditionnés pour la construction comme les matériaux ayant déjà servis. En effet, il est plus simple et moins coûteux de puiser dans les ressources accessibles, qui lui sont familières, faciles à mettre en œuvre, que l’inverse. Il est économe en énergie car il limite le transport de matière en se servant de ressources locales et déjà transformées et parce qu’il utilise des méthodes de mise en œuvre peu énergivores puisqu’il il n’a pas forcément la maîtrise technique des outils industriels ni les moyens d’y faire appel. Enfin, il est économe en main d’œuvre ; disposant de plus de temps que d’argent, il joue lui-même le rôle de concepteur, et de constructeur. Ce souci constant d’économie produit une architecture humble, dont l’impact sur l’environnement est limité. Ceci explique surement en partie le regain d’intérêt de plus en plus marqué qu’elle suscite chez les architectes. Paradoxalement, c’est une véritable 22


expertise autour des qualités de l’architecture vernaculaire qui s’est développée chez une portion, certes encore infime mais de plus en plus entendue, des architectes. Interrogeant la méthode de projet vernaculaire, des architectes comme Pierre Frey ou Patrick Bouchain, mènent des travaux de recherches et d’expérimentations autour de la place de la compétence des amateurs dans la construction actuelle. Dans ce contexte ils ont mis en évidence la place centrale du réemploi de matériaux dans l’architecture vernaculaire. La très large majorité des bâtiments utilisant des matériaux de réemploi provient de l’architecture des amateurs. C’est donc probablement en s’inspirant de leurs pratiques et en s’intéressant aux savoir-faire et aux connaissances empiriques que les non-architectes ont acquis au fil du temps, que l’on pourra envisager d’inclure de manière pertinente le réemploi au processus de construction « classique » actuel. C.3 Les nouveaux métiers du réemploi Le réemploi, on l’a vu, jouit actuellement d’un fort regain d’intérêt et semble porté par le contexte actuel qui pousse à un développement plus durable et responsable de nos villes. C’est un sujet qui progressivement excite la curiosité de l’ensemble des professionnels du secteur du bâtiment, car il en change les enjeux et les procédés. Il faut à chaque étape de la vie d’un bâtiment se poser la question de l’origine, de la vie et de la mort des matériaux utilisés ce qui bouscule radicalement notre manière de concevoir, de construire et de déconstruire. Jusqu’ici le réemploi consistait en une pratique opportuniste : il s’agissait de savoir tirer parti de ressources présentes à un instant T sur un territoire circonscrit. Ainsi, la réutilisation de matériaux était le résultat d’un heureux concours de circonstances imprévisibles. Or, envisager le réemploi comme une solution pertinente au développement d’un secteur du bâtiment plus durable, implique que cette pratique puisse être rationalisée. La question de la systématisation, de l’organisation, de la création de nouveaux procédés permettant au réemploi de se développer est donc essentielle. À bien y regarder, c’est un nouveau secteur d’activité qui semble émerger, impliquant de nouveaux acteurs et de nouveaux marchés, et qui vient influer sur le fonctionnement du secteur traditionnel du bâtiment. Les nouveaux métiers qui émergent au sein des professions « traditionnelles » du bâtiment se retrouvent à chaque étape du cycle du réemploi, de la déconstruction à la reconstruction en passant par les différentes étapes intermédiaires de valorisation des matériaux de réemploi. a) Les déconstructeurs La déconstruction est actuellement, le nouveau credo d’une partie des professionnels du bâtiment. Opposée à la destruction, l’acte de déconstruction envisage une nouvelle façon de traiter les bâtiments en fin de vie. Déconstruire implique l’idée de respecter l’intégrité des matériaux qui constituent le bâtiment dont on veut se débarrasser. Ainsi les déconstructeurs défendent l’idée qu’il existe des solutions moins brutales et plus durables que la démolition systématique des bâtiments, à condition de fournir un effort supplémentaire en s’intéressant de manière plus poussée aux bâtiments en fin de vie. Étant donné le rythme actuel auquel nous détruisons des bâtiments, pour en construire de nouveaux, développer de nouveaux métiers spécialisés dans le réemploi semble non-seulement porteur sur le plan économique mais aussi indispensable si l’on envisage de s’inscrire dans un mode de développement durable. Les déconstructeurs sont encore peu nombreux dans le secteur du bâtiment. Ils sont pour la plupart issus des domaines de l’ingénierie des matériaux et de l’architecture et développent une pratique qui, si elle varie d’un déconstructeur à un autre, semble s’articuler autour de deux axes. Le premier consiste à établir un diagnostic des éléments ou matériaux du bâtiment en fin de vie pouvant être réutilisés, réemployés ou recyclés. Ils procèdent pour cela à un travail qui relève à la fois de l’inventaire mais aussi d’une analyse fine de l’état et de la dangerosité des 23


éléments présents pour pouvoir évaluer les coûts et les profits que génèreront les différents scénarios de fin de vie. Ce travail nécessite aussi une connaissance précise des techniques de démantèlement et de remise en état des matériaux de construction, car c’est de la complexité de ces opérations que dépend en grande partie le coût du réemploi. Le second consiste à présenter une méthodologie de déconstruction, qui définira l’ordre dans lequel procéder pour récupérer les matériaux dans les meilleures conditions, les techniques à mettre en œuvre, les acteurs à qui s’adresser pour stocker, recycler ou détruire les différents éléments issus de la déconstruction. Ce travail est essentiel à la viabilité de la démarche de réemploi car une bonne organisation de la déconstruction permet d’une part de récupérer des matériaux dont la qualité n’est pas altérée par la déconstruction et d’autre part d’optimiser les coûts logistiques. La déconstruction nécessitant de faire appel à plus de mains d’œuvre sur des temps plus long que la démolition classique, le déconstructeur doit être en mesure de proposer un modèle économique viable pour son client en compensant les coûts liés à la main d’œuvre et à la logistique par des économies dans les coûts de traitement des déchets. Enfin, le déconstructeur pourra également proposer des missions de conseil auprès de la maîtrise d’œuvre et de la maîtrise d’ouvrage de futurs projets de construction souhaitant anticiper la question de la déconstruction et de la fin de vie de leur bâtiment dès sa conception. Ce type de mission reste cependant encore rare dans la pratique des déconstructeurs. Dans la pratique, tous les matériaux et éléments ne présentent pas le même intérêt à être déconstruits. Les matériaux les plus appropriés à la déconstruction sont les matériaux de second-œuvre c’est-à-dire les menuiseries, revêtements intérieurs (moquettes), les revêtements extérieurs (bardages, tuiles, ardoises, tôle etc.) et les équipements (mobiliers, sanitaires, électriques…). Ils sont en effet légers et non structurels et sont conçus pour être faciles à monter et sont donc relativement simple à démonter.

Fig.14. Façade d’ Europa, siège du conseil de l’Union européenne, constituée d’un assemblage de fenêtres de seconde-main en bois, réalisé par Philippe Samyn et partners, Bruxelles, Belgique, 2015,© SAMYN and PARTNERS architects & engineers

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Certains éléments structurels qui sont montés par assemblage tels que des briques, poutres (plus compliqués techniquement) peuvent également être récupérés lors d’une déconstruction afin d’être réemployés sur de nouveaux chantiers.

Fig.15. dnA House, maison en briques de réemploi, par BLAF architecten, Asse Belgique, 2013, © Stijn Bollaert

Enfin, certains éléments coulés sont beaucoup plus rarement récupérés lors des déconstructions dans le but de leur donner une seconde vie. Dans le cas des éléments en béton, le déconstructeur proposera de broyer la matière afin de pouvoir réutiliser sa forme concassée ou poudreuse dans la préparation de nouveaux bétons ou de sols. Il s’agit donc dans ce cas précis plus d’une déconstruction dans un but de recyclage que de réemploi au sens propre du terme.

Fig.16 .Le SOS Children’s village – Lavezzorio community center de Studio Gang Architects, Chicago, États-Unis,

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2007, est fait à partir de poudre de béton issue du réemploi, © Adjustable Forms

b) Les intermédiaires : conseillers et revendeurs Le développement du recyclage de matériaux à grande échelle implique un travail de mise en relation entre l’offre en matériaux issus de chantiers de déconstruction et les constructeurs cherchant à les utiliser dans de nouveaux projets. C’est la mission que se fixent certains professionnels, que l’on peut appeler des « intermédiaires » même s’il n’existe pas de dénomination précise pour définir ces professions émergentes. Ils réalisent un travail de prospection consistant à repérer et répertorier les matériaux disponibles au sein d’un territoire dans le but de les revendre ou simplement d’informer les adeptes du réemploi. Leur mission de repérage s’accompagne donc la plupart du temps d’un travail de recherche autour des matériaux repérés afin d’être en mesure de fournir des informations précises sur leur nature, leur provenance afin de faciliter le travail de conception et la mise en œuvre future de ces matériaux. Dans la pratique, une part importante du travail des intermédiaires consiste à développer des outils simples pour informer sur l’offre en matériaux de réemploi. Les intermédiaires privilégient les outils numériques pour leur capacité indéniable à faire circuler les informations et développer des réseaux. On les appelle les Waste banks ou banques de déchets. Les principaux outils numériques développés sont les cartes interactives de type openstreetmap qui permettent de localiser l’offre en matériaux d’un territoire et qui les classent généralement par familles de matériaux. Les données répertoriées sont soit entièrement gérées par l’entreprise ayant développé la carte, soit en accès libre pour les visiteurs du site afin qu’ils puissent signaler la présence d’une ressource. Ainsi la qualité et la précision de l’information sur les matériaux répertoriés est très variable selon le type de carte. De même, la prestation proposée est plus ou moins gratuite. Contrairement aux plateformes de vente en ligne généralistes comme e-bay, les waste banks proposent une offre ciblée sur les matériaux de construction de seconde-main, et sont nombreuses à indiquer comme facteur de choix la distance entre la ressource et l’acheteur, afin de réduire au minimum l’impact environnemental lié au transport des matériaux.

Fig.17. La harvest map créée par Superuse studio, répertorie les matériaux disponibles chez des professionnels en Belgique et aux Pays-Bas, consulté en Janvier 2018 © Superuse studio

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Autre outil numérique, les « fiches matériaux » informent sur les propriétés des principaux matériaux de réemploi et donnent des conseils pratiques sur leur mise en œuvre (techniques d’assemblages, nouveaux usages envisageables etc.). C’est un moyen de rendre accessible au plus grand nombre les expérimentations et la recherche dans le domaine du réemploi. Enfin, certains intermédiaires développent des forums tels que la page Facebook : materiauxreemploi afin de communiquer sur l’offre de matériaux de réemploi d’un territoire. Plus informels, ils distribuent l’information de manière plus aléatoire, selon l’actualité. On trouve aussi des forums qui traitent de la recherche autour du réemploi, listant les articles, conférences, livres sur ce sujet ainsi que les projets de construction de réemploi en cours et qui renvoient vers les outils d’information en ligne cités précédemment. Ils permettent une discussion directe autour de ces problématiques mais il est parfois difficile de s’y retrouver car il n’y pas de classification de l’information. On trouve aussi des pages Facebook gérées par des entreprise récupérant des matériaux de seconde main qui visent à informer sur leur offre en temps réel, ce qui présente potentiellement l’avantage de créer plus d’instantanéité entre l’offre et la demande et donc de diminuer le stockage des matériaux de seconde-main qui peut s’avérer coûteux. Les nouveaux intermédiaires utilisant le numérique comme support, proposent des prestations très variables, certains cumulant les outils (cartes, fiches) et proposant des prestations de conseil au cas par cas relevant de leur expertise sur les problématiques de réemploi. Ceux-là se placent dans une logique très entrepreneuriale et proposent des matériaux dans des quantités relativement importantes qui peuvent correspondre avec les besoins d’un chantier de construction moyen. Les forums et autres cartes ouvertes à tous sont généralement gérés par des associations ou individus dans un but non lucratif et propose une offre plus ponctuelle, mettant en jeu de plus petites quantités. La qualité des matériaux de seconde main proposés par ces intermédiaires varie également beaucoup selon les cas. Les plus professionnels, ont un cahier des charges strict qui les oblige à proposer des matériaux sains et réutilisables en l’état, ce qui n’est pas garanti par les sites plus informels. Notons que certains professionnels proposent, en plus des matériaux ayant déjà servi, des matériaux invendus de différents distributeurs et dont la qualité est donc absolument équivalente à ce que l’on peut retrouver sur les marchés traditionnels des matériaux de construction. Au-delà des plateformes d’information et de conseil en ligne, on assiste également au développement de lieux où l’on peut venir déposer ou vendre ainsi que récupérer ou acheter des matériaux. La grande majorité de ces sites sont spécialisés sur un type de matériaux et proposent des matériaux de réemploi en complément des matériaux neufs. Il existe très peu de magasins généralistes traitant uniquement de matériaux de seconde-main, cependant quelques expérimentations concluantes ont déjà été développées aux États-Unis. En 1993, l’association « The ReUse People of America» s’est créée à San Diego dans le but de gérer les l’afflux de matériaux de seconde main donnés par la population pour venir en aide aux victimes des inondations de Tijuana. Depuis leur activité s’est développée et l’on compte aujourd’hui dix-neuf supermarchés sur l’ensemble du territoire américains où il est possible de vendre et d’acheter des matériaux de seconde-main.

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Fig.18. Localisation des entrepôts de the ReUse People of America. © the ReUse People of America

Fig.19. L’entrepôt « the ReUse People of America à Durham en Caroline du Nord, © the ReUse People of America

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En France, on ne trouve pas encore de structures équivalentes. Cependant dans des secteurs autres que les matériaux de construction, des ressourceries9 proposent ces mêmes prestations pour du réemploi d’objets de nature diverse, généralement de plus petite échelle. Ces nouveaux métiers du réemploi, qu’il s’agisse des déconstructeurs ou des intermédiaires sont donc en train d’apparaître et de définir leur champs d’action au sein de la filière du bâtiment. Si le réemploi devient une préoccupation plus importante chez les acteurs du bâtiment, nul doute que ces métiers s’intégreront au marché existant et en modifieront les dynamiques. Parallèlement à l’apparition de nouveaux acteurs agissant sur les étapes de fin de vie et de remise sur le marché des matériaux de réemploi, le domaine de la construction évolue pour intégrer ces matériaux à des projets nouveaux. Dans ce domaine de la construction, on observe, au-delà de l’apparition de nouveaux métiers liés au réemploi, une évolution des pratiques de certains architectes intéressés par ces problématiques. C’est la méthode de projet architectural qui est amenée à évoluer.

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Voir glossaire en annexes.

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II. Une mĂŠthode de projet architectural en pleine ĂŠvolution

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Évolution du processus de création architecturale

Comment concevoir un projet architectural dans une démarche de réemploi ? Voilà une question fondamentale qui interroge la notion même de conception et le processus de création en architecture. La pensée créatrice est un processus complexe et difficile à qualifier. Dans « La pensée sauvage », l’anthropologue Claude Lévi Strauss émet l’hypothèse qu’il existe deux postures créatrices : celle de l’ingénieur et celle du bricoleur10. L’ingénieur impose son projet au monde, le projet émane de lui et de sa culture. Sa force créatrice consiste à développer la technique pour réaliser le projet exactement tel qu’il l’a imaginé. La nature est, selon lui, en soi vide de sens, et c’est justement le projet qui lui confère un sens. Le bricoleur, lui, puise sa force créatrice dans la nature et dans son environnement, il analyse le contexte, le manipule et le transforme en autre chose. Pour le bricoleur, l’outil et le matériau déterminent le projet et non plus l’inverse. Sa force créatrice consiste en sa capacité à transformer l’existant et non plus à l’enrichir par un élément extérieur. Cette schématisation du processus créatif est particulièrement intéressante si l’on tente de l’appliquer à l’architecte. L’architecte est-il plutôt ingénieur ou bricoleur ? Résumer la pensée créatrice de l’architecte par l’une de ces deux images serait extrêmement réducteur et caricatural, en premier lieu parce que chaque architecte suit un processus créatif qui lui est propre, ensuite parce que, comme Lévi Strauss le reconnaît lui-même, ces deux postures ne sont pas incompatibles. D’une part, l’architecte se nourrit du contexte pour créer : l’architecte définit dès le départ de son projet une posture par rapport au lieu où il s’implante, aux futurs usagers et de manière générale à l’environnement dans lequel s’implante le projet. En ce sens, il raisonne en tant que bricoleur, puisant son inspiration dans le contexte. D’autre part, il crée à partir de sa propre culture, il puise dans des images mentales et des concepts pour créer ce qui émane avant tout de lui. Il raisonne donc également en tant qu’ingénieur. Qu’en est-il alors des matériaux ? À quel moment interviennent’-ils dans la démarche de projet ? Dans la majorité des cas actuels, c’est-à-dire dans des projets n’intégrant pas de démarche de réemploi, on peut dresser le constat suivant ; le choix des matériaux et des techniques de mise en œuvre est la résultante du projet. Il découle principalement du désir esthétique de l’architecte, de sa culture (notamment de la volonté de l’architecte d’être en accord ou en opposition avec les matériaux qui constituent l’environnement proche du projet) et, de manière très pragmatique, de diverses contraintes techniques et économiques. Il est très rare que le matériau soit le point de départ d’un projet, et quand il l’est c’est avant tout un choix culturel. Intimement liée à la question de la matérialité se pose la question des choix techniques dans la démarche de création. Lorsque l’architecte choisit d’utiliser un matériau, il envisage les techniques de mise en œuvre qu’il connait se rapportant à ce matériau précis et en choisit une. Le cas échéant, s’il ne possède pas de solution technique satisfaisante, il consulte un spécialiste de la question pour résoudre ce problème ou envisage un autre matériau. Dans tous les cas, les choix techniques de l’architecte subordonnent ses choix conceptuels. Dans son rapport à la matière, l’architecte tient donc généralement de l’ingénieur : il adapte le matériau et l’outil à l’image mentale qu’il se fait de son projet. Le réemploi renverse complètement ce processus créatif, car il place les matériaux, les ressources présentes, comme point de départ du projet, comme matière première à partir de laquelle l’architecte doit composer. La première qualité que doit posséder l’architecte qui réemploie est l’opportunisme, c’est-à-dire être en mesure de déceler le potentiel des ressources présentes en y projetant des usages nouveaux. La seconde, est l’adaptation : les matériaux de réemploi sont des ressources soumises à de nombreuses contraintes (esthétiques, techniques, juridiques etc…), et c’est la capacité de l’architecte à manipuler ces contraintes qui va constituer son processus créatif. L’architecte dans un projet de réemploi doit donc avant tout penser en bricoleur. La description que fait Lévi Strauss dans « La pensée sauvage » du bricoleur, s’applique très bien à l’architecte qui réemploie : 10

Claude Lévi Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Ed. Plon, 1960, p 27

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« Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils, conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les «moyens du bord », c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures11». Saisir les opportunités et créer à partir des contraintes qui caractérisent les ressources présentes, voilà ce qui constitue l’essence de la création dans le domaine du réemploi de matériau de construction. Les points suivants, s’attacheront à expliciter les types de contraintes à gérer dans un projet de réemploi et à mettre en avant des exemples de réalisations ayant réussi à les dépasser et à en tirer profit.

A. Gérer l’imprévu : le Manable à Argentan À Argentan en 2007, le philosophe Michel Onfray en partenariat avec « jardin de la ville », une association d’insertion autour du jardinage d’Argentan fait appel aux agences Construire et au collectif ConstructLab, pour réaliser une salle des fêtes pour l’Université Populaire du Goût appelée le Manable. Le choix d’un bâtiment construit intégralement en matériaux de récupération s’impose assez rapidement, et un premier projet est dessiné utilisant deux containeurs de seconde-main surmontés d’un toit à pan unique. Pour faire face au besoin de réactivité très important d’un projet de réemploi, les architectes de constructLab décident d’aller vivre sur le site pendant trois mois. L’idée de cette occupation du site est de créer les conditions les plus favorables pour les maîtres d’œuvre au repérage et à l’intégration éventuelle de nouveaux matériaux de réemploi locaux au projet. Au contact des habitants et des artisans locaux, les architectes découvrent deux semaines après le dépôt d’un premier permis de construire qu’une charpente déclassée qui permettrait d’améliorer la toiture du bâtiment est disponible chez un charpentier local. La décision est donc prise, alors que le chantier est en train de démarrer, de modifier le projet original pour y intégrer cette charpente. Le plan est redessiné, l’agencement des menuiseries de récupération en façade est modifié, et trois mois plus tard, un second permis de construire est déposé, correspondant au projet final.

Fig. 20. Plans et façades des deux permis de construire successifs du projet du Manable, Construire et ConstructLab, © ConstructLab 11 Idib.

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Fig. 21. Maquette du projet originel du Manable, Construire et ConstructLab, © ConstructLab

Fig. 22. Le Manable, Construire et ConstrucLab, © ConstructLab

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Dans le cas du Manable, la stratégie d’une occupation du site par l’architecte et d’une participation directe de ce dernier au chantier a donc permis un enrichissement du projet. Habiter le chantier a permis aux concepteurs de concentrer toute leur attention sur le projet, de s’imprégner des savoir-faire des artisans et de repérer des ressources locales. C’est la concordance de ces trois facteurs qui a enrichi le processus de création. Une connaissance fine du chantier et un contact étroit avec les acteurs locaux du bâtiment semblent donc être des éléments essentiels à la réussite d’un projet de réemploi. D’autre part, l’approvisionnement en matériaux dans un tel projet étant soumis à des aléas (disponibilité, contraintes techniques inédites), la réactivité et l’adaptabilité du maître d’œuvre sont indispensables au bon déroulement du projet. Être sur le chantier et pouvoir dialoguer directement avec les artisans spécialistes des différents matériaux récupérés permet au maître d’ouvrage d’envisager de nouvelles solutions techniques permettant d’intégrer au mieux de nouveaux éléments récupérés ou de prendre conscience rapidement de l’impossibilité de la mise en œuvre d’un matériau. Cela permet également de fédérer les acteurs du chantier autour des maîtres d’œuvres car ils sont inclus dans le processus de création, ce qui facilitera leur souplesse et leur coopération dans le cas où le projet subirait des changements de dernières minutes liés aux matériaux récupérés. En somme, les inconvénients et les réticences liés aux incertitudes d’un projet de réemploi sont compensées par l’inclusion de l’ensemble des acteurs du chantier aux phases de conception. Lorsque les acteurs du chantier sont aussi impliqués dans le projet, composer une équipe de maîtrise d’œuvre devient extrêmement stratégique. Il s’agit de réunir des gens à la fois souples et ouverts pour accepter les contraintes de la construction avec des matériaux de seconde-main, mais aussi capable de mettre leurs compétences au service du projet. À ce sujet, Patrick Bouchain12 préconise de composer des équipes réunissant des gens au fort bagage technique, très expérimentés, à même d’associer les matériaux récupérés à des techniques constructives existantes et éprouvées, et des jeunes novices qui ne seront pas formatés par les usages du métier et envisageront peut-être des solutions innovantes en portant un regard neuf sur les problèmes rencontrés. La question de la communication du projet et du dialogue entre la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage se pose également dans un projet de réemploi. Traditionnellement, l’architecte utilise le support des images pour communiquer avec le maître d’ouvrage et tente de le convaincre sur la pertinence de son projet à l’aide d’une représentation la plus fidèle possible de l’image finie du bâtiment. Dans le cas du réemploi, cela n’est pas possible car on ne peut déterminer à l’avance la forme d’un projet amené à évoluer selon la matière disponible et les péripéties rencontrées durant le chantier. Le concepteur doit donc être en mesure de tenir un projet sans en avoir une représentation formelle figée, et le maître d’ouvrage doit accepter de se lancer dans un projet sans en connaitre toutes les composantes. Dès lors, il faut instaurer un dialogue étroit entre ces deux acteurs pour créer un climat de confiance entre eux, indispensable au bon déroulement du projet. Communiquer, expliquer et sensibiliser au réemploi devient essentiel pour faire accepter le projet à un maître d’ouvrage qui ne serait pas initié à l’architecture et qui pourrait avoir des difficultés à s’engager dans une telle démarche s’il n’arrive pas à se projeter. Enfin, si le projet du Manable a su s’adapter au caractère imprévisible de l’usage de matériaux de seconde-main, c’est aussi certainement parce qu’il s’agissait d’un chantier de petite échelle. Il est en effet plus simple d’impliquer l’ensemble des acteurs sur de petits chantiers que sur de grands chantiers où il existe une plus grande complexité organisationnelle, et une plus grande pluralité d’acteurs. D’autre part un chantier de l’échelle du Manable peut être tenu sur un temps court (3 mois dans ce cas précis), ce qui rend possible la mobilisation à temps plein de l’équipe de maîtrise d’œuvre sur le chantier. Cela ne serait pas envisageable sur un très long chantier. Enfin, la modification d’un élément du projet sur un chantier entraîne des modifications en cascade qui doivent être intégrées par l’ensemble des équipes techniques présentes. Si ces modifications sont gérables sur des effectifs réduits, elles deviennent beaucoup plus complexes sur de gros chantiers ce qui pourrait nuire à la bonne tenue des travaux. La pertinence de la démarche de Construire et ConstructLab tient donc aussi à leur capacité à adapter leur méthode de projet à l’échelle de leur intervention. 12 Patrick Bouchain, conférence à l’ENSA Limoges, 22/06/2015 35


B. Composer avec l’unique : le cas du musée d’histoire de Ningbo En Chine à Ningbo, l’architecte Wang Shu a créé en 2008 un musée d’histoire faisant appel à des matériaux de réemploi. Se présentant sous la forme d’immenses monolithes assimilés à des montagnes, il tient sa singularité de la composition de ses façades. Ces dernières sont composées d’un revêtement en briques et en tuiles locales disparates issues de la démolition d’une vingtaine de villages dans les environs de Ningbo. Contrairement à l’idée reçue l’accumulation d’une telle diversité d’éléments n’enlève pas à l’édifice son caractère harmonieux. En effet on perçoit en premier lieu la spatialité et la masse des différents corps de bâtiment, puis, dans un second temps on atteint un deuxième niveau de lecture du bâtiment en s’attardant dans le détail sur la matérialité des façades. Celles-ci sont le reflet de l’histoire locale, comme une trace de ces villages disparus qui charge ce bâtiment lui-même dédié à l’histoire d’une forte valeur symbolique et émotionnelle. Ces qualités ont contribué à ce que son architecte obtienne le prix Pritzker en 2008. À Ningbo, l'architecte a su détourner et même sublimer la contrainte que représente l’absence d’éléments standardisés chez les matériaux de seconde main. En réalité, plus que l’absence d'éléments identiques, c'est leur quantité limitée (non adaptée à l'échelle d'un tel bâtiment) qui aurait pu poser problème si son ambition avait été de créer des façades homogènes. Sa force a été de faire fi de la conception traditionnelle qui veut qu'un matériau produit en série soit utilisé de manière homogène et de considérer chaque brique, chaque tuile comme un élément unique avec lequel composer. Ainsi la contrainte esthétique associée à l’usage de matériaux de réemploi non standardisés n'en est plus une.

Fig. 23. Musée d’histoire de Ningbo, Chine, 2008, © Olivier Greder

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Fig. 24. Détail d’une façade du musée d’histoire de Ningbo, Chine, 2008 © Amateur Architecture Studio

Cependant concevoir un bâtiment où chaque élément est unique peut également générer des contraintes techniques importantes. La standardisation des éléments de construction permet de connaître les propriétés physiques d’un ensemble d’éléments de construction de manière assez simple. Il suffit de savoir comment agit un des composants pour pouvoir le généraliser à l’ensemble. Dans le cas du réemploi, cela devient beaucoup plus compliqué. La provenance, la durée de vie, les conditions dans lesquelles ce matériau a été employé dans son premier usage peuvent modifier drastiquement ses propriétés d’un élément de construction à l’autre. La généralisation devient alors impossible et il faut réaliser de nombreux tests pour s’assurer de la conformité de chaque élément aux normes techniques en vigueur. Il existe cependant des solutions pour contourner cette contrainte. La première consisterait à n’utiliser les matériaux de réemploi que sur de petits ouvrages pour lesquels on pourrait plus facilement trouver de la matière homogène (issus du même bâtiment par exemple) et qui serait dès lors plus facile à maîtriser. La seconde consisterait à employer les éléments récupérés dans des usages qui sont soumis à moins de contraintes techniques que leur usage d’origine. Par exemple, une brique à l’origine structurelle pourrait être utilisée en tant que parement auquel cas il n’est plus nécessaire d’attester de sa capacité à soutenir d’importantes charges. La troisième est d’aller se fournir en matériaux de seconde main chez des revendeurs spécialisés qui auront en amont effectué un travail de centralisation des ressources d’un territoire, de classification et éventuellement de reconditionnement des matériaux afin de constituer un ensemble relativement homogène. La question de la standardisation des éléments de construction de seconde main, est donc génératrice de contraintes pour l’architecte reconstructeur. Cela pose alors la question de son anticipation en amont dans le cycle de vie du matériau, lors de sa production et de sa première utilisation. Peut-on imaginer un système qui permettrait d’interconnecter plus facilement les matériaux entre eux ce qui les rendrait à termes plus simples à réemployer ? C’est ce que préconisent certaines études qui proposent de se calquer sur le mode de production de certaines grandes industries telles que l’industrie automobile 37


et l’industrie aéronautique afin que l’ensemble des éléments produits suivent un ensemble de règles communes qui les rendraient compatibles les uns avec les autres. Si cette idée peut sembler séduisante au premier abord, elle fait néanmoins émerger de nombreuses interrogations aux plans éthique, politique et sociétal. Qui serait en charge de déterminer ces règles ? Ce modèle très dirigiste pourrait conduire à la concentration d’un grand pouvoir décisionnel sur tout un secteur de l’économie dans très peu de mains, ce qui semble à juste titre préoccupant. De plus aller vers une plus grande standardisation des éléments de construction aurait rapidement un impact sur la forme de notre environnement bâti. Cela tendrait à progressivement uniformiser notre patrimoine bâti et à effacer les spécificités locales. D’autres pistes de réflexions moins radicales proposent des idées pour anticiper le réemploi des matériaux lors de leur première mise en œuvre. Si la standardisation à outrance est écartée, privilégier des modes d’assemblage facile à déconstruire est une piste très sérieusement étudiée. C’est ce que préconisent les ouvrages qualifiés de DfD (design for deconstruction) qui proposent par exemple d’éviter au maximum les assemblages par enduit ou mastic qui risquent d’endommager la matière lors de la déconstruction et de leur préférer autant que possible des assemblages mécaniques (par vissage par exemple). Cela permettrait à terme de récupérer plus de matériaux en meilleurs état et donc de réduire les efforts à postériori pour offrir des matériaux plus homogènes et plus performants au marché de la seconde-main.

C. Rendre compatible réemploi et performances énergétiques: la Powerhouse Kjorbo à Sandika, Norvège En 2014, l’agence norvégienne Snohetta Oslo se fixe comme projet de réaliser la réhabilitation de deux immeubles de bureaux des années 1980 dans l’objectif de les transformer en un bâtiment à énergie positive. Ce projet de réhabilitation particulièrement ambitieux sur le plan énergétique conduit l’agence Snohetta Oslo à aborder la question de l’empreinte écologique du bâtiment de la façon la plus complète possible afin de pouvoir jouer sur un maximum des facteurs qui l’impactent. Lors d’un entretien, l’architecte Camilla Moneta, coordinatrice du projet pour l’agence Snohetta, explique « On ne peut pas atteindre une solution à énergie positive, juste par l’addition de gadgets techniques. Il s’agit d’un grands nombre de mesures à considérer ensembles13». Les architectes sont donc conscients que l’impact énergétique d’un bâtiment ne peut pas se réduire à sa consommation lors de la phase d’usage du bâtiment. On doit en effet également prendre en compte les phases précédant l’usage - extraction de la matière première, production des matériaux de construction, transport de ces matériaux vers le chantier et mise en œuvre de ces derniers - ainsi que les phases qui suivront la période d’usage, à savoir la déconstruction et les éventuelles réutilisation de certains éléments du bâtiment. Dès lors, grâce à la mobilisation dès les premières phases de conception de nombreux spécialistes des questions énergétiques, les architectes étudient différents scénarios envisageables, en faisant varier la provenance des matériaux utilisés, leurs propriétés physiques et chimiques, les systèmes de production d’énergie, etc.., et les comparent afin de trouver la solution la plus satisfaisante sur le plan énergétique. À partir de ces études, ils définissent un ensemble de contraintes avec lesquelles ils élaborent le design du bâtiment. Chaque choix architectural est pris de concert avec les experts des questions énergétiques si bien que le projet nécessite un dialogue étroit de tous les instants, une mobilisation et une coordination de tous les acteurs. Les différentes études menées durant la phase de conception confirment ce que pressentaient les architectes, à savoir que conserver ou réemployer sur le site un maximum de matériaux originels est la solution la plus pertinente pour éviter d’augmenter l’empreinte écologique du bâtiment. Les bâtiments originels sont donc au maximum conservés et c’est l’ajout de matériaux de grande efficacité énergétique ainsi que de systèmes de production (des panneaux solaires notamment) qui permettront d’atteindre une très grande performance énergétique. La façade est rhabillée 13 Traduit de l’interview de Camilla Moneta extraite de « Made in Norway : New Norwegian Architcture » ,Ingerid Helsin Almaas, Arkitektur N, Oslo, 2016

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avec des matériaux plus isolants, et le choix est fait de réutiliser une partie du béton et les anciens vitrages qui la composaient pour les éléments vitrés intérieurs qui ne nécessitent pas un tel degré d’isolation.

Fig. 26. Façade de l’immeuble de bureau à Sandika, Norvège avant réhabilitation, © Powerhouse

Fig. 27. Façade de la Powerhouse Kjorbo à Sandika, Norvège après la réhabilitation par l’agence Snohetta, © Powerhouse

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Fig. 28. Vue intérieure de la Powerhouse Kjorbo à Sandika, Norvège après la réhabilitation par l’agence Snohetta, © Powerhouse

Le bâtiment terminé atteint l’objectif de départ fixé à savoir produire plus d’énergie qu’il n’en consomme et diminue la consommation énergétique des bâtiments originels de 90%. Les études menées autour de la solution qui a été adoptée pour le projet sont des éléments très intéressants pour les architectes qui souhaiteraient se lancer dans la construction de bâtiments à énergie positive. En effet, elles montrent que malgré les très bonnes performances de ce bâtiment, 39% de l’empreinte écologique du bâtiment provient des matériaux, du transport, de la construction, de la déconstruction et du traitement de fin de vie des matériaux14. Ce pourcentage non négligeable révèle donc que ces paramètres sont éminemment importants dans l’impact énergétique d’un bâtiment et que les inclure dans les réflexions dès le début du projet est essentiel. L’exemple de la Powerhouse réfute également l’idée préconçue selon laquelle l’emploi de matériaux de seconde-main est incompatible avec les exigences énergétiques actuelles.

D. Composer avec le risque : le cas du lieu Unique à Nantes Le respect des normes souvent très contraignantes sur les questions de performance énergétique et de sécurité constitue un réel frein au développement du réemploi auprès des architectes15. En effet, les performances structurelles et thermiques des matériaux de réemploi sont, comme nous l’avons montré, difficiles à caractériser, ce qui les rend peu fiables auprès des auteurs des normes qui appliquent le principe de précaution quasisystématiquement. Les architectes et les maîtres d’ouvrage abordent donc généralement le 14

Sørensen, Åse Lekang; Andresen, Inger; Walnum, Harald Taxt; Alonso, Maria Justo; Fufa, Selamawit Mamo; Jenssen, Bjørn; Rådstoga, Olav; Hegli, Tine; Fjeldheim, Henning, « Pilot Building Powerhouse Kjørbo. As Built Report.» , SINTEF akademisk forlag, 2017 15 Étude réalisée pour le compte de l›ADEME par : RDC Environment, éco BTP et I Care & Consult (COPPENS, Mélanie, JAYR, Emmanuel, BURRE-ESPAGNOU, Marion et NEVEUX,Guillaume), Identification des freins et des leviers au réemploi de produits et matériaux de construction, 2016

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réemploi avec une certaine méfiance ayant peur de devoir mettre en œuvre des procédures très compliquées pour se conformer aux normes. En pratique cependant, 99% des normes existant dans le bâtiment ne sont pas d’application obligatoire, il serait donc théoriquement possible de s’en abstraire pour développer un projet de réemploi. C’est au maître d’ouvrage qu’incombe la responsabilité d’exiger l’application d’une norme. Dans l’immense majorité des cas, le maître d’ouvrage opte pour l’application des normes car les assureurs pénalisent par des surprimes le moindre écart fait aux normes. Ainsi, il est rare qu’un maître d’ouvrage ou un maître d’œuvre prennent la peine d’évaluer la véracité des risques encourus en n’appliquant pas les normes car la menace d’un surcoût d’assurance est trop importante. Le seul moyen de faire assurer des matériaux ou techniques constructives hors des normes existantes est de prouver leur efficacité et leur sécurité par des tests. C’est ce que l’on appelle les ATEx16. Ce sont des procédures très longues, coûteuses et compliquées à mettre en place ce qui a pour effet de décourager les maîtres d’ouvrage à accepter l’utilisation de techniques ou matériaux hors des normes établies. Le constat qu’établit Rony Chebib17 est qu’il existe une déconnection entre les acteurs du bâtiment et les assureurs qui les suivent. Ces derniers étant avant tout des administratifs, ils ignorent les pratiques et la réalité des problématiques de chantiers. Ils ne sont pas en capacité à évaluer objectivement le risque encouru pour la construction d’un bâtiment et se réfèrent donc systématiquement aux normes. Pour encourager le réemploi de matériaux de construction, il faudrait donc faire appel à des assureurs qui connaitraient le terrain et auraient des compétences fines sur les pratiques de chantier. Il est néanmoins possible (et indispensable) de faire assurer un projet de réemploi. À la garantie décennale et la garantie de parfait achèvement exigée pour tout projet d’architecture, il est généralement ajouté des clauses spécifiques couvrant les éventuels dommages causés par des matériaux de réemploi18. En trouvant le bon assureur et moyennant un surcoût, il est donc possible pour les architectes et maîtres d’ouvrage d’assurer leur projet de réemploi. Malgré ces assurances, à quels risques s’expose l’architecte sur le plan légal s’il accepte de faire le chantier hors des normes en vigueur ? Tout matériau de construction, qu’il soit issu des circuits classiques ou des circuits de réemploi, peut présenter des défaillances techniques ou provoquer des problèmes environnementaux ou sanitaires. À ce titre, la responsabilité de l’architecte peut être engagée. Dans le cas du réemploi, d’après le code civil, sa responsabilité peut également être recherchée si le matériau présente un vice qui n’est pas normalement décelable lors de la construction19. En revanche, ce sera le maître d’ouvrage qui devra assumer la responsabilité d’une défaillance d’un matériau de réemploi, s’il est démontré qu’il s’est immiscé dans le projet pour imposer ce matériau. Pour éviter ce risque, l’architecte doit donc non seulement adapter ses contrats d’assurance, mais aussi procéder à des essais poussés (audit technique) des matériaux de réemploi, et informer le client des risques que présentent ces matériaux. Cela modifie donc la méthode de projet. L’intégration de démarches techniques devient beaucoup plus prégnante dans un projet de réemploi que dans un projet classique. La coopération avec des spécialistes capables de réaliser ces tests devient une étape incontournable du projet et peut aboutir à des modifications du projet. Enfin, la concertation avec le maître d’ouvrage est cruciale ; encore plus que d’habitude, l’architecte doit s’assurer qu’il est en parfait accord avec le maître d’ouvrage. Certains architectes parviennent cependant à limiter les risques encourus au regard de la loi en détournant des actes de réemploi dans des domaines moins contraints par la loi. C’est le cas de l’architecte Patrick Bouchain de l’agence « construire » qui grâce à son ingéniosité et à sa maîtrise du code civil arrive à utiliser des matériaux de réemploi en étant soumis 16 17

Appréciation Technique d’Expérimentation (ATEx). Rony Chebib, directeur général de BTP Consultants, La Norme tue l’imagination, dans J. CHOPPIN, N. DELON (éd.), Matière grise, Paris, Édition de l’Arsenal, 2014, p. 271-272 18 Elisabeth Gelot, pour le site matériauxréemploi.com, « Réemploi des matériaux de construction : quelle responsabilité pour l’architecte ? », 29/04/2018 19 Ibid.

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à des règles moins contraignantes. Dans le projet pour la reconversion de l’usine LefèvreUtile à Nantes, son agence, « construire », s’est soustraite à des contraintes découlant des règles sur les règles urbanistiques et les procédures qui régulent la concurrence au sein des marchés publics. La méthode utilisée par Bouchain peut être transposée au détournement de normes environnementales, sanitaires et structurelles qui sont généralement celles qui freinent les projets de réemploi. En 1999, l’agence « construire » menée par Patrick Bouchain, est sélectionné pour effectuer la reconversion de l’ancienne manufacture de biscuit L.U. (Lefèvre et Utile) à Nantes. Leur projet est remarqué et choisi par les maîtres d’ouvrage car il met en œuvre une méthode de travail originale, basée sur la coopération, et l’expérimentation par le chantier. Cette méthode met le réemploi de matériaux au cœur du projet car il est demandé à l’ensemble des acteurs du chantier mais aussi du lieu en général, de contribuer à l’acte de création en apportant des matériaux (en grande majorité de réemploi). Cet acte très symbolique - le bâtiment devient la somme des contributions des acteurs participant au projet, et chacun apporte littéralement sa pierre à l’édifice. Les matériaux qui serviront de boîte à outil pour l’élaboration du projet sont donc des matériaux récupérés, glanés un peu au hasard et ayant souvent déjà eu une première vie avant d’être réemployés dans ce bâtiment. Parmi les matériaux de réemploi les plus remarquables intégrés au Lieu Unique, on trouve notamment des bidons de conserves données par un industriel de la région que l’architecte a choisi d’utiliser pour constituer l’une des façades du bâtiment. Ce matériau atypique qui tranche avec l’esthétique traditionnelle du secteur classé dans lequel se situe le Lieu Unique, a tout d’abord été rejeté par l’architecte des bâtiments de France. C’est par une habile manœuvre consistant à déclarer cette façade en tant qu’œuvre d’art que Patrick Bouchain est parvenu à contourner la législation et à faire réaliser cette façade. Il procède de la même manière pour réemployer des bidons reconditionnés en provenance du Mali qu’il souhaite intégrer comme correcteur acoustique de la salle de spectacle. Les bidons étant considérés comme contraires à la législation dans le cadre de la concurrence dans les marchés publics, le seul moyen légal de les intégrer au projet consistait à changer leur statut, de matériaux de construction à œuvre d’art.

Fig.29. Façade du Lieu Unique, Nantes, composée de bidons de conserve visibles par transparence © Jean Lino

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Fig. 30. Salle de spectacle du Lieu Unique à Nantes dont l’isolation acoustique est assurée par des bidons réemployés © Construire

Enfin, avec le réemploi d’anciens escaliers de secours, présents sur le bâtiment d’origine en façade, Bouchain met encore une fois en œuvre une solution ingénieuse pour éviter d’envisager les normes comme des contraintes au projet. En effet, lors de la conception du projet, il envisage d’intégrer de grandes baies vitrées à l’une des façades du bâtiment. Cependant la présence d’un escalier de secours devant la façade que Bouchain n’est pas autorisé à supprimer compromet ce choix initial. Cette fois-ci ne pouvant s’abstraire de respecter cette normes de sécurité, il est décidé que l’escalier de secours deviendra un élément constitutif de l’esthétique de la façade. L’escalier est maintenu, mais légèrement décollé de la façade deux autres escaliers similaires récupérés sont ajoutés pour affirmer le parti pris esthétique. Dans ce cas, la norme contraignante est devenue génératrice du projet.

Fig.31. façade du Lieu Unique, Nantes, mettant en œuvres 3 escaliers de secours réemployés, © CityScape

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E. Créer une nouvelle balance économique : le cas de la plateforme Noé à Bordeaux L’argument économique n’est généralement pas la principale raison qui pousse un maître d’ouvrage à investir dans le réemploi. C’est en effet une pratique qui souffre de préjugés quant à sa rentabilité. Il semble à première vue que le réemploi de matériaux de construction, difficile à systématiser car dépendant d’une offre ponctuelle, soit trop imprévisible pour pouvoir être considéré comme rentable. Sur un temps court en effet, le réemploi engendre de nombreux frais de main d’œuvre à toute les étapes du procédé (collecte, tri, remise en état), et des frais liés au stockage des matériaux, l’offre étant relativement indépendante de la demande. Au moment de la déconstruction, sur le chantier, le réemploi apparait donc économiquement comme peu, voire non rentable. On peut cependant nuancer ce constat selon l’échelle du chantier. Sur un chantier de petite échelle, la dépense en main d’œuvre spécialisée sur le réemploi et stockage est nettement supérieure au gain économique potentiel. Sur un chantier de grande échelle en revanche, la possibilité de mutualiser aussi bien la main d’œuvre que les locaux de stockage pour l’ensemble des matériaux du site, permet d’améliorer la rentabilité. À Bordeaux, le pharaonique projet Euratlantique qui s’étend sur 700 hectares a, par exemple, mis en place depuis 2016 la plateforme « Noé » regroupant, une déchetterie, une ressourcerie, un espace de traitement des déchets réutilisables et un espace de livraisons avec une capacité de stockage temporaire, mutualisés avec des espaces dédiés aux employés. Cette plateforme qui a coûté 1,3 millions d’euros, subventionnée à hauteur de 161 000 euros par le programme d’investissements d’avenir et fonctionne grâce à une charte - la charte « chantier propre » - signée avec l’ensemble des entreprises participant au chantier. Elle assure que cette plateforme soit utilisée et rentabilisée.

Fig.32. Page d’accueil du site de la plateforme Noé du projet Bordeaux Euratlantique (consultée en janvier 2018), © Bordeaux Euratlantique

Des expérimentations pour rendre le réemploi rentable à plus petite échelle ont également été testées ces dernières années. C’est notamment le cas de celle mise en place par l’agence Rotor sur le réemploi de matériel de bureau. Leur stratégie consiste à optimiser la logistique liée au réemploi en travaillant en flux tendu. La première étape de leur démarche consiste à estimer la quantité de matériaux à récupérer en se basant sur ce que le chantier peut offrir mais aussi en premier lieu sur ce qui correspond à une commande concrète. Ils ne 44


démantèlent ensuite que les matériaux correspondant à cette demande, ce qui évite des frais de stockages et des frais de transport inutiles. Par la suite, ils procèdent au nettoyage et à la remise en état de ces matériaux, directement sur le chantier ce qui évite des frais de location, pour un atelier par exemple. Enfin, ils procèdent directement à la livraison après la remise en état des matériaux afin ne pas avoir de frais de stockage. Ils misent donc sur une démarche sur un temps très court et qui utilisent les ressources spatiales du chantier sur lequel elle opère. Ce système semble efficace puisqu’il a permis à Rotor de réaliser un profit de 20 000 euros pour le réemploi de 35T de déchets. Elle dépend cependant des ressources disponibles sur le chantier et ne fonctionne que si l’entreprise traitant les déchets ré employables peut démarcher et communiquer facilement avec les potentiels clients. En effet, cette méthode nécessite un important travail de prospection et de communication pour mettre en place des commandes précises et fiables.

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III. Politique et maîtrise d’ouvrage publique : évoluer pour favoriser le réemploi

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Le réemploi de matériaux de construction, est une pratique qui, employée à grande échelle, modifie les relations entre les acteurs du bâtiment et, plus largement, les dynamiques de développement de la ville. Elle génère de nouveaux circuits de biens et de personnes, fait émerger de nouvelles professions et transforme les pratiques des acteurs existants. Dès lors, il est légitime de se demander si, à l’instar des architectes qui voient leur méthode de projet profondément modifiée par le réemploi, les « concepteurs » de la ville, c’est-à-dire les responsables politiques et la maîtrise d’ouvrage publique, doivent opérer un changement conceptuel pour mettre en place des pratiques de réemploi à des échelles plus larges que celle du projet architectural. Le XXème siècle a vu l’émergence de la planification comme méthode de projet territorial. S’il existe de nombreuses définitions de la planification, ce qui indiquerait qu’elle n’a pas de contours précis, on peut néanmoins en déterminer certaines caractéristiques. Tout d’abord, si l’on se penche sur ses auteurs on constate que ce sont systématiquement les pouvoirs publics qui en définissent les règles. Ensuite, la planification envisage la ville selon une logique très technique de répartition des phénomènes urbains par fonctions et par localisations. Enfin, elle met en œuvre des méthodes prospectives visant à l’élaboration de formes urbaines. En pratique, la planification agit grâce à deux leviers : l’élaboration d’un cadre juridique pour le territoire, et le financement20. L’intégration des pratiques de réemploi, et plus largement le développement de l’économie circulaire dans nos territoires, exige de repenser cette façon de penser la ville. Ainsi, en réponse à la question qui peut et doit faire la ville, là où la planification reposait essentiellement sur les collectivités territoriales, la nouvelle méthode de projet territorial reposerait d’avantage sur la collaboration entre les pouvoirs publics, les professionnels et les amateurs. Elle élaborerait des projets qui agissent sur le déjà là, c’est-à-dire sur des phénomènes qui ont naturellement émergé par le biais des citoyens et des professionnels et qui seraient donc symptomatiques de la présence d’un potentiel à un endroit donné. En résumé, ce serait la base qui déclencherait les transformations urbaines car elle possède une connaissance fine et presque instinctive du territoire21. Dans ses ambitions ensuite, le nouveau projet urbain tendrait à produire des processus plutôt que des formes urbaines. Partant du principe qu’une forme est une réponse figée à un problème, elle serait inadaptée à la ville qui est en mouvement et en évolution permanente. Proposer des processus serait un moyen de se laisser une liberté pour évoluer et s’adapter aux changements inévitables qui touchent un environnement. Enfin, l’ambition d’intégration des territoires dans l’économie circulaire implique de basculer d’un raisonnement par fonctions trop compartimentées à une approche globale des territoires. Il s’agit de tenir compte de l’ensemble des liens qui unissent les acteurs, les ressources et les flux qui constituent un territoire et d’anticiper les impacts découlant de la modification d’un de ces paramètres sur les autres. Comment alors les pouvoirs publics peuvent-ils adopter une méthode de projet plus globale et souple qui faciliterait la mise en œuvre de démarches de réemploi au sein des territoires ? Pour éviter de s’inscrire dans une démarche de projet trop peu souple, Julian M. Allward et Jonathan Cullen22 proposent trois jalons d’action qui fonctionneraient ensemble – activer, soutenir et encourager, et réguler et règlementer – permettant de faciliter le réemploi. Nous développerons ici deux exemples d’actions publiques mettant en évidence ces nouvelles pratiques.

20

Jacques Levy, Michel Lussault (dir.), « Planification » dans.- Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, pp. 720-721 21 Antonella Tufano, « Les clés de la latence : dispositifs conceptuels pour la fabrique du projet » dans Ressources urbaines latentes, pour un renouveau écologique des territoires, Éditeur(s) scientifique(s): Annarita Lapenna, Chris Younès, Mathias Rollot, Roberto D’Arienzo, MétisPresses, 2016, pp.143-156 22 Julian M. Allward et Jonathan Cullen, Sustainable Materials, with both eyes open, 2011, p.337

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A. Activer en réorientant la commande publique : Le cas de Paris Habitat Un moyen d’activer la mise en œuvre du réemploi de matériaux de constructions sur un territoire pour les pouvoirs publics est de réorienter la commande publique. La maîtrise d’ouvrage publique, et en particulier les collectivités territoriales peuvent faire le choix d’intégrer des critères de réemploi aux cahiers des charges des appels d’offres et de concours. Elle peut choisir de faire du réemploi une condition incontournable à l’obtention du marché public afin d’être sûr qu’il sera intégré au projet, ou d’en faire un facteur non-obligatoire mais dont le respect favoriserait l’obtention du marché. Cette dernière option permet, dans un contexte où encore peu d’architectes sont compétents sur les questions de réemploi, de ne pas fermer les marchés à une grande part de la profession qui pourrait alors s’auto-exclure de ce type d’appel d’offre de manière définitive. En pratique, cette souplesse programmatique créerait aussi plus de concurrence entre les candidats et potentiellement plus de créativité autour des problématiques de réemploi. Paris Habitat, est un maître d’ouvrage parisien qui travaille sur la réhabilitation de la caserne militaire de Reuilly en mettant en œuvre des démarches de réemploi. Lancée en 2013, la réhabilitation de cette caserne est une opération importante qui consiste à aménager 600 nouveaux logements par la transformation des bâtiments existants et par l’addition de nouveaux bâtiments. À cela s’ajoute, la création d’un nouveau jardin public et de nouveaux équipements pour le quartier. C’est en s’intéressant aux ressources offertes par le site que l’idée est venu à la maîtrise d’ouvrage d’intégrer le réemploi au projet. Les bâtiments existants sont en effet en assez bon état et regorgent de matériaux et équipements non seulement en capacité d’être réutilisé mais en plus qualitatifs sur le plan de leur design ou de leurs performances. D’autre part, un projet de réhabilitation sur un bâtiment de l’échelle de la caserne, offre non seulement la possibilité de puiser les éléments de réemploi dans le bâtiment existant, mais également de les stocker et de les réutiliser directement sur site, ce qui constitue un gain de temps, d’argent et d’énergie non négligeable. Partant de ce constat, Paris Habitat, décide de faire appel à l’agence belge Rotor déconstruction comme assistant à la maîtrise d’ouvrage et de les charger de réaliser un inventaire des ressources réutilisables du site. L’inventaire mis en place par Rotor déconstruction classifie les ressources du site selon la pertinence de leur réemploi, de plausible à anecdotique. Les ressources repérées sont très variés : radiateurs, poignées, équipements sanitaires, placards, luminaires, mais aussi ardoises de toiture, dalles, poutres en bois massif et planchers en bois. Suite à la réalisation de cet inventaire, Paris Habitat a pu définir des critères de réemploi spécifique à leur site, et interpeller les potentiels maîtres d’œuvre sur le caractère réalisable de cette démarche. Pour ce faire, ils ont mené un travail de sensibilisation auprès de six équipes de maîtrise d’ouvrage reposant sur trois actions - la réalisation d’un annuaire des matériaux réemployables, la tenue d’ateliers de conception spécial réemploi, et la création d’une exposition sur le réemploi dans la maison du projet23. Cette étape de sensibilisation a ensuite permis, lors de la définition du projet menée par Paris Habitat et les six maîtres d’ouvrages, d’intégrer des critères précis de réemploi au projet. JeanJacques Hubert24, architecte en charge de la supervision de l’ensemble des opérations, se dit satisfait de « la logique de coopération adoptée à toutes les échelle. » L’idée du réemploi a émergé au fil des ateliers d’échanges et de sensibilisation que nous avons animés, poursuitil : « les lots ont été attribués aux agences sur la base de prescriptions volumétriques, sans dessin, à partir d’une note d’intention, d’objectifs et de méthodes de travail25 ». D’autre part il ajoute que « grâce au succès du dialogue entre les équipes conception, construction, jusqu’aux associations et riverains, six permis ont été déposés sans générer aucun recours ! ». Ces résultats encourageants soulignent à mon sens le rôle crucial que la maîtrise d’ouvrage 23

ment »

Rotor, pour Paris Habitat, rapport : « Faciliter la circulation des éléments réutilisables dans le bâti-

24

Jean-Jacques Hubert, est architecte de l’agence h2o, chargé du pilotage de l’ensemble des opérations du projet de Reuilly et de la conception des espaces publics. 25 Laure Carsalade, « Reuilly , Laboratoire du réemploi in situ », - AMC N° 266, 11/02/2018

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publique peut et doit tenir dans le développement de démarches de réemploi à l’échelle territoriale. Activer le réemploi implique d’agir de manière concertées avec une diversité d’acteurs, par le biais du dialogue et de la sensibilisation, afin de définir des critères pour que le projet semble cohérent à l’ensemble des acteurs, augmentant ainsi leur implication et stimulant leur créativité.

B. Soutenir et réguler en repensant le cadre légal

Franchir le pas : des engagements aux actes

L’essor du secteur du réemploi, on l’a vu précédemment, est principalement le résultat d’une dynamique engendrée par la base : citoyens, éco constructeurs etc. Ce mouvement a ouvert des pistes au sein des professionnels de la maîtrise d’œuvre se traduisant par le développement de l’expérimentation et de la recherche autour du réemploi de matériaux de construction. Face à cet engouement, la sphère politique s’est emparée de la question du réemploi, se devant d’une part de cadrer cette pratique jusqu’ici assez anarchique afin d’anticiper et de limiter ses dérives, et d’autre part, d’encourager son essor, le réemploi s’inscrivant dans les pratiques favorisant le développement durable. En 2015, la France s’engage sur le plan légal sur les questions de réemploi et plus largement de transition écologique et de croissance verte par le vote d’une loi, fixant comme objectif 70% de valorisation des déchets du B.T.P à l’horizon 202026. Si cette loi porte des intentions louables et encourageantes pour les défenseurs du réemploi, elle est dans la pratique complètement sans effet sur le cadre du réemploi en France. Selon la juriste Elisabeth Gelot, spécialisée en droit de l’économie circulaire et de l’environnement, cette loi constitue ce que l’on appelle un « mensonge blanc », c’est-à-dire un mensonge ne causant pas de torts significatifs. Dans la pratique, cette loi n’inclut aucune obligation légale pour les acteurs du B.T.P et n’a aucune influence sur les normes qui régissent ce secteur. Elle fixe des objectifs pour l’avenir sans imposer de sanctions si ces dernières ne sont pas appliquées, ni de sanctions si les objectifs ne sont pas atteints. En d’autres termes, cette loi à la valeur d’un discours politique mais n’engage à rien 27. Sans doute, ses défenseurs argueront qu’inscrire un tel objectif dans la loi a une valeur symbolique qui peut générer une dynamique dans le secteur du bâtiment ; d’autres, en revanche, y verront un leurre politique invoquant de bonnes intentions sans avoir le courage de les mettre en œuvre. Quoi qu’il en soit, il doit y avoir des façons plus radicales pour favoriser le développement du réemploi en transformant le cadre légal. De nombreux spécialistes du réemploi de matériaux issus sur un plan théorique et pratique. Leurs idées et leurs expérimentations jouent sur les deux leviers d’action de la loi : des mesures pour encourager et récompenser ceux qui s’engagent dans le réemploi, d’une part ; des contraintes et des sanctions pour les réfractaires, d’autre part. B.1 Renforcer le cadre légal : Le cas de l’agglomération du Cook County aux Etats-Unis Depuis 2012, l’agglomération du Cook County dans l’Illinois aux Etats-Unis a mis en place une ordonnance qui oblige les entrepreneurs du secteur de la déconstruction à dévier 5% des matériaux du chantier de déconstruction des bâtiments résidentiels vers la filière du réemploi. Cette ordonnance a été mise en place progressivement. En effet, une première ordonnance plus large stipulait que 70% des matériaux de déconstruction, tous types de bâtiments confondus, devaient être déviés vers le recyclage et le réemploi afin d’éviter de 26 27

LOI n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte Elisabeth Gelot « L’objectif légal de valorisation de 70 % des déchets du BTP est un mensonge blanc », , pour le site matériauxréemploi.com, 27/05/2018

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finir dans une décharge28. D’un point de vue pratique, le décret indique que ce pourcentage s’applique à la masse totale de l’édifice à déconstruire. Pour une maison de 50 tonnes par exemple, le déconstructeur sera dans l’obligation de dévier 2,5 tonnes vers les circuits du réemploi. Ce choix d’un calcul par rapport à la masse de l’édifice permet de rendre une telle démarche relativement simple et laisse une certaine liberté au déconstructeur sur le choix des matériaux à réemployer. Cela explique peut-être que la mise en œuvre pratique de cette ordonnance se soit effectuée de manière relativement fluide, même si l’amende allant jusqu’à 5000 dollars en cas de non-respect de l’ordonnance a certainement aussi contribué à la coopération des déconstructeurs. Cet objectif de 5% de la masse des bâtiments résidentiels réinjecté dans les circuits du réemploi peut paraître très ambitieux pour un pays comme la France. Cependant, dans le cas du Cook County, l’application de cette mesure n’a pas posé de soucis, la culture du réemploi étant plus fortement ancrée aux États-Unis qu’en France. Au bout de quelques années seulement, les résultats de cette politique sont très encourageants. Entre décembre 2012, date de la mise en application de l’ordonnance, et août 2015, 130 000 tonnes de matériaux issus de chantiers de démolition ont été réinjectés dans les circuits de réemploi et le nombre de structures de revente de matériaux de seconde main a été multiplié par 3 dans le Cook County générant 14 emplois à temps plein. D’autre part, 82 personnes ont été formées à la déconstruction et aux pratiques de réemploi29. En parallèle, une étude menée par le Delta Institute30 démontre que si l’on applique ce réemploi de 5% des matériaux à la démolition d’une trentaine de maisons dans le Cook County, on peut générer suffisamment d’argent pour faire vivre un centre de revente de matériaux de seconde-main en incluant la rémunération de ses employés, et payer 25 à 30 ouvriers spécialisés dans la déconstruction à plein temps. Cette ordonnance a donc, en plus d’un intérêt écologique, un intérêt pour l’économie locale. L’administration de Cook County a d’ailleurs été sollicitée par d’autre County aux États-Unis et au Canada qui sont intéressés à développer des démarches similaires. Dans la même logique que le gouvernement du Cook County, d’autres ordonnances et lois relatives au réemploi visant à imposer des règles relatives à l’application du réemploi de matériaux de construction ont été rédigées dans certaines villes des États-Unis. Ainsi, la ville de Seattle a-t’- elle rendu obligatoire la réalisation d’un inventaire des ressources réutilisables avant d’entamer des travaux de démolition. Cette mesure vise à faire prendre conscience aux maîtres d’ouvrages du potentiel de réemploi des bâtiments et orienter leur choix vers une déconstruction plutôt qu’une démolition pure et dure. Cette mesure permet également de pouvoir quantifier et localiser les ressources de réemploi de manière plus précise sur un territoire et donc d’améliorer la fluidité de leur circulation31. L’administration de Portland dans l’Oregon, quant à elle, oblige les déconstructeurs au démantèlement de tous les bâtiments construits avant 1916, par le biais d’un règlement inscrit dans une politique plus large sur les questions d’environnement de la ville. En effet, un processus de concertation très étroit avec les acteurs de la déconstruction a permis de constater que le démantèlement de ce type de bâtiments (qui correspond à la majorité des bâtiments démolis à Portland), était réalisable car la ville est dotée d’un nombre suffisant de d’acteurs capables de mener ce type d’opération32. Si ces mesures sont donc contraignantes sur le plan légal pour les déconstructeurs, elles ne sont pas, dans les trois cas présentés ici, insurmontables. Le recours à des études préalables du contexte local, a permis de cibler les objectifs fixés par ces lois afin de déterminer 28 Michaël Ghyoot, Lionel Devlieger, Lionel Biliet, André Warnier, Rotor, Déconstruction et réemploi, Comment faire circuler les éléments de contruction, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2018, p. 204 29 « County Efforts on Recycling of Building Materials Surpass Half-Million Ton Mark », site du gouvernement du Cook County, 27/08/2015 30 Le Delta Institute,Chicago, est une organisation à but non-lucratif travaillant sur la construction d’un environnement résilient et sur l’économie durable 31 Michaël Ghyoot, Lionel Devlieger, Lionel Biliet, André Warnier, Rotor, Déconstruction et réemploi, Comment faire circuler les éléments de contruction, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2018, p. 202 32 Ibid.

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des actions ambitieuses mais réalisables. Elles démontrent qu’il est possible de renforcer une dynamique de réemploi sur un territoire en renforçant les exigences de son cadre légal. Ces mesures exigeantes pour les professionnels du bâtiment peuvent également être combinées à des aides financières et à des assouplissements du cadre fiscal pour les projets mettant en place des démarches de réemploi. C’est la politique que mènent certains territoires et notamment la Région de Bruxelles Capitale, dans le but d’insuffler une réelle dynamique de réemploi sur son territoire. S’il est actuellement trop tôt pour mesurer l’impact de ces aides, on peut toutefois constater que la région de Bruxelles Capitale est une des régions européennes qui voit émerger le plus de projet de réemploi actuellement.

B.2 Évolution et limites du modèle normatif

C’est à partir des années 1980, avec les premières grandes prises de conscience écologiques du monde occidental, que les pouvoirs politiques ont commencé à s’intéresser à la question de l’impact écologique de nos sociétés en général et du secteur du bâtiment en particulier. Face au constat que ce secteur d’activités est très énergivore, les pouvoirs publics ont progressivement mis en place des normes afin de réguler et d’encadrer les pratiques et de les rendre plus vertueuses sur le plan écologique. L’ambition de ces premières normes consistait à réduire l’énergie dont un bâtiment a besoin pour fonctionner. Il s’agissait d’améliorer les performances thermiques des bâtiments en imposant notamment un renforcement de l’isolation et de l’étanchéité, le recours à des systèmes de protection solaire afin de maximiser les apports de chaleur passifs en hiver et de les minimiser en été, et enfin l’ajout de systèmes de production énergétiques passifs tels que des panneaux solaires. Ces normes ont pour objectif de produire des bâtiments dits « passifs », c’est-à-dire consommant très peu d’énergie lors de leur phase d’usage33. La réponse apportée à la question de l’économie d’énergie se limitait donc à contraindre les professionnels du bâtiment à l’usage de matériaux technologiques très performants sur le plan énergétique. Cependant, l’accumulation de matériaux technologiques énergétiquement efficace rend-elle automatiquement un bâtiment écologique ? Dans son manifeste pour une nouvelle architecture vernaculaire, Pierre Frey explique les réserves qu’il a face à cette vision de l’écologie : « Une opinion répandue consiste à penser que la légèreté de l’empreinte environnementale d’un bâtiment résulte avant tout de la somme de ses caractéristiques physiques et chimiques, et de la somme des énergies directes ou indirectes incorporées. Toutes ces données sont en effet précisément mesurables, donc inscriptibles dans des normes autorisant une certification. Or cette vision dogmatique se heurte à l’infinie complexité du réel, au caractère cumulé des différents paramètres et à leurs dimensions invisibles34 ». Cette approche serait donc réductrice et incomplète car elle ne tient pas compte, de l’énergie utilisée tout au long des autres phases de la vie d’un bâtiment – avant sa construction et après son occupation. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point par la suite. D’autre part, quelques dizaines d’années d’expériences et de recul ont permis de déceler les limites de cette approche. En premier lieu, cette approche repose sur la production de matériaux technologiques dit « green », produits dans la même logique industrielle qui nous a conduits à la situation problématique dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Baser notre ambition écologique sur un mode de production industriel aussi « vert » soit-il, semble donc paradoxal car il a pour effet la délocalisation de la production entrainant l’augmentation de l’empreinte écologique liée au transport. Ensuite, ce système de production entraine une concentration des profits dans quelques mains car il pousse les concepteurs à n’utiliser que les quelques produits répondant à tous les standards en vigueur. Dans ce contexte, le concepteur choisit ses matériaux par 33 Michaël Ghyoot, Lionel Devlieger, Lionel Biliet, André Warnier, Rotor, Déconstruction et réemploi, Comment faire circuler les éléments de contruction, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2018, pp. 66-71 34 Pierre Frey, Learning from vernacular, pour une nouvelle architecture vernaculaire, Actes Sud, 2010, p.35

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défaut parce qu’ils répondent aux normes et non plus selon leur pertinence face au contexte. Il est légitime de se demander si ce monopole des industriels des matériaux « green » est bénéfique et durable, et si l’on en devrait pas plutôt envisager des solutions basées sur des ressources locales et plus diversifiées. Depuis les années 2000, on s’intéresse à l’impact de la méthode de production des matériaux et de leur traitement en fin de vie sur l’empreinte écologique d’un bâtiment. Cela se traduit dans les normes encadrant la production bâtie. On analyse des facteurs comme l’énergie utilisée pour extraire la matière première, pour fabriquer les matériaux, l’énergie liée au transport de ce matériau, et l’énergie nécessaire pour sa mise en œuvre puis pour son traitement en fin de vie, ensemble que l’on regroupe sous la notion d’ « énergie grise35». Les normes environnementales imposent donc de recourir à des matériaux à faible énergie grise. C’est une façon d’envisager l’idée de performance environnementale de manière plus globale. Cependant ces normes environnementales ne tiennent pas compte de l’impact social et culturel de la construction. La définition même du concept de durabilité implique de tenir compte des aspects écologiques mais aussi économiques et sociaux d’un processus. Il convient donc de sortir d’une réflexion qui porterait uniquement sur le facteur énergétique de la construction (le facteur économique étant quant à lui presque systématiquement le premier examiné dans les projets de construction) et remettre au cœur du débat la question des habitants, de la main d’œuvre et de la méthode de chantier. Posons-nous la question qui fait le chantier ? Comment ? Et pour qui le fait-il ? - et demandons-nous s’il est possible de réguler la composante sociale de la construction ? Il est également indispensable de re-questionner la pertinence de la gestion du secteur de la construction par des normes. Les normes ont un caractère systématique contradictoire avec une pratique durable qui s’appuie sur le contexte pour fournir des réponses au cas par cas. Ainsi, la prolifération des normes environnementales dans le secteur du bâtiment bien qu’elle se revendique d’une politique écologique, va à bien des égards, à l’encontre de l’objectif qu’elle se fixe. Peut-être que comme le dit Rony Chebib, « la règlementation devrait fixer des objectifs de performance plutôt que des règles pour contraindre. Il serait préférable de penser en termes de résultats et non en termes de moyens pour y parvenir, et de laisser les concepteurs et les constructeurs apporter leurs idées et solutions sur le « comment faire pour y arriver36»».

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L’énergie grise ou énergie cachée est selon l’ADEME : « toute l’énergie utilisée pour extraire les matières premières nécessaires à la conception d’un produit à laquelle s’ajoute celle utilisée pour fabriquer le produit, le transporter pour sa commercialisation et, en fin de vie, celle nécessaire à son élimination ou son recyclage. » 36 Rony Chebib, directeur général de BTP Consultants, La Norme tue l’imagination, dans J. CHOPPIN, N. DELON (éd.), Matière grise, Paris, Édition de l’Arsenal, 2014, p. 271-272

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Conclusion

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Le réemploi de matériaux de construction était une pratique inhérente au processus de création architecturale pendant la grande majorité de l’histoire de l’humanité. Cela ne fait finalement qu’une centaine d’années qu’il est écarté des pratiques architecturales dominantes. Aujourd’hui, cette pratique renaît et se réinvente dans un contexte de production architecturale encore industrielle mais qui se préoccupe désormais davantage de son impact sur la planète. Le réemploi de matériaux de construction reste encore marginal mais trouve suffisamment de légitimité dans les enjeux actuels de développement durable pour que l’on envisage de le voir prendre de l’ampleur dans un avenir proche. Dans ce mémoire, nous avons étudié des réalisations architecturales et des initiatives territoriales mettant en pratique le réemploi de matériaux de construction. Un premier constat s’impose : il est possible de développer le réemploi à ces deux échelles de projet. Cependant le caractère extrêmement récent de ces projets ne nous donne pas un recul suffisant pour évaluer précisément les impacts positifs ou négatifs que le développement du réemploi de matériaux de construction pourrait avoir sur le secteur du bâtiment et sur la société en général. Si l’impact du réemploi est encore difficile à appréhender, on peut néanmoins comprendre les mécanismes qui lui ont permis d’émerger et qui conditionnent son développement. Le réemploi de matériaux de construction s’inscrit dans un mouvement global qui ne se limite pas au champ de la construction, émergeant d’une prise de conscience collective, qui opère un basculement vers une économie circulaire. C’est une pratique qui se développe par territoire car elle est extrêmement contextualisée et son développement dépend d’une multitude de facteurs, notamment géographiques, culturels, humains, politiques, ce qui la rend très complexe à appréhender et à mettre en œuvre. Cette pratique reste encore mal définie et très contraintes car elle se place hors des mécanismes de la construction classique et qu’elle nécessiterait un aménagement important du cadre légal et des pratiques de chantiers pour prendre son envol. Cependant, on constate actuellement que l’essor du réemploi parmi les professionnels du bâtiment est déjà enclenché par des chercheurs et praticiens peu nombreux mais qui sont de plus en plus reconnus et entendus dans le milieu de l’architecture. Sur le plan conceptuel, le réemploi de matériaux de construction opère une bascule intellectuelle chez les concepteurs de l’espace architectural et du territoire. Elle les oblige à envisager l’acte créatif comme émanent avant tout du contexte et non plus de la culture du concepteur, ce qui fait écho à des modes de créations vernaculaires que l’on avait un peu oubliés et rejetés pendant une centaine d’années. Le réemploi réaffirme qu’un projet architectural est un objet souple, non-absolu, et que l’architecte est à la fois artiste et artisan. C’est un retour à une architecture du bon sens et plus pragmatique qui bouscule aussi les processus de mise en œuvre des projets, et qui implique donc que tous les acteurs du bâtiment modifient leur méthode de travail. Si l’on envisage de développer les pratiques de réemploi et de les inclure plus systématiquement dans la démarche de projet, il faudra sensibiliser d’une part les citoyens (acteurs du territoire, et potentiels futurs maîtres d’ouvrage), mais aussi les professionnels ouvriers et architectes. À mon sens, la formation autour du réemploi devrait être intégrée dans la formation des architectes et des autres acteurs. S’il existe quelques formations peu nombreuses pour les acteurs du bâtiment opérées par certains professionnels du réemploi, (aux Etats-Unis par exemple, l’association BMRA37 propose des modules de formation sur la déconstruction, tout comme l’association The ReUse People of America) la formation des futurs architectes directement au sein des écoles est quasi inexistante. Ceci semble paradoxal si l’on considère le fait que ce sont probablement les générations qui arrivent qui devront intégrer de manière incontournable les problématiques de durabilité à leurs projets. D’autre part, les écoles d’architecture ont pour vocation de nous enseigner à faire projet, 37 BMRA :Building Materials Reuse Association, est une association spécialisée dans la déconstruction située dans le Maine aux Etats-Unis

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de nous donner un cadre conceptuel. Si une bascule conceptuelle doit s’opérer dans la profession d’architecte, c’est donc bien dans les écoles qu’elle peut être initiée. Une réflexion pourrait être menée de concert entre les acteurs du réemploi et les responsables de l’enseignement en architecture pour intégrer le réemploi à ces formations. Une des pistes à exploiter pourrait être d’enseigner beaucoup plus par la confrontation au terrain, par l’expérimentation concrète autour de la matière, comme c’est le cas à l’EPFL38 par exemple, et non plus seulement de manière théorique. Re-questionnons la matière, confrontons-nous aux enjeux actuels globaux en portant une attention plus importante et plus fine à notre contexte local. Faisons l’effort dès aujourd’hui d’intégrer le réemploi à notre processus de projet, pour qu’il redevienne demain une pratique naturelle dans l’acte de construire.

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EPFL : École Polythechnique Fédérale de Lausanne, située à Lausanne en Suisse

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Glossaire

Appréciation technique d’Expérimentation (ATex) : Créée à l’initiative du C.S.T.B (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) et des acteurs de la construction – notamment avec les contrôleurs techniques –, l’ATEx est une procédure rapide d’évaluation technique formulée par un groupe d’experts sur tout produit, procédé ou équipement innovant. Cette évaluation est souvent utilisée soit en préalable à un Avis Technique, car elle permet des premiers retours d’expérience sur la mise en œuvre des procédés, soit pour un projet unique. Économie circulaire : Il n’existe pas actuellement de définition « normalisée » ni même stabilisée du concept d’économie circulaire. Selon l’ADEME, l’économie circulaire peut se définir comme un système économique d’échange et de production qui, à tous les stades du cycle de vie des produits (biens et services), vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer l’impact sur l’environnement tout en développant le bien être des individus. L’économie circulaire doit viser globalement à diminuer drastiquement le gaspillage des ressources afin de découpler la consommation des ressources de la croissance du PIB tout en assurant la réduction des impacts environnementaux et l’augmentation du bien-être. Il s’agit de faire plus et mieux avec moins. Économie collaborative : Également dénommée économie du partage, l’économie collaborative repose sur la mutualisation et l’échange de services, de ressources, de biens, de temps, de savoirs et de compétences. En forte expansion, elle privilégie des relations et une organisation horizontales, d’égal à égal, plutôt que verticales et hiérarchisées. Outre les considérations économiques (modération des dépenses, limitation voire suppression des intermédiaires), elle s’appuie principalement sur des valeurs de lien social et d’écologie, et valorise l’usage au détriment de la possession. Le développement rapide de l’économie collaborative est directement lié à celui d’internet et des nouvelles technologies associées, qui favorisent la constitution de réseaux et de communautés via des plates-formes dédiées. Énergie grise : L’énergie grise ou énergie cachée est selon l’ADEME : « toute l’énergie utilisée pour extraire les matières premières nécessaires à la conception d’un produit à laquelle s’ajoute celle utilisée pour fabriquer le produit, le transporter pour sa commercialisation et, en fin de vie, celle nécessaire à son élimination ou son recyclage. » Garantie décennale : La garantie décennale est la garantie due par un constructeur et couvrant la réparation de certains dommages pouvant affecter une construction pendant une durée de 10 ans à compter de la réception des travaux. Green-tech : La Green-tech est un terme principalement employé à des fins marketing, désignant les entreprises développant des technologies informatiques qui ont un impact environnemental réduit. Masse thermique : Le terme masse thermique désigne un sol constitué d’un matériau possédant une forte 58


inertie thermique, et donc capable de conserver la température au sein d’un bâtiment. Pays du Nord : Le terme pays du Nord fait référence aux pays développés, par opposition aux pays du Sud. Paradoxalement, des pays (développés) de l’hémisphère sud sont souvent inclus dans l›ensemble des «pays du Nord». Pays du Sud : On appelle pays du Sud ou le Sud, les pays dits « pauvres », qui sont généralement situés dans la partie sud des continents émergés. Recyclage : Recyclage : toute opération de valorisation par laquelle les déchets, y compris les déchets organiques, sont retraités en substances, matières ou produits aux fins de leur fonction initiale ou à d’autres fins. Les opérations de valorisation énergétique des déchets, celles relatives à la conversion des déchets en combustible et les opérations de remblaiement ne peuvent pas être qualifiées d’opérations de recyclage Recyclerie : La recyclerie est un centre qui a pour vocation de récupérer, valoriser et/ou réparer, en vue de la revente soit des biens ayant été donnés en vue du réemploi et possédant le statut de produits, soit des produits ayant le statut de déchets. Les produits et déchets peuvent être contrôlés, nettoyés et réparés. Dans le cas des déchets, ces opérations, appelées « préparation à la réutilisation », leur permettront de retrouver leur statut de produits. Réemploi : Le réemploi est l’opération par laquelle un produit est donné ou vendu par son propriétaire initial à un tiers qui, a priori, lui donnera une seconde vie. Contrairement à la réutilisation, dans le cadre du réemploi, le produit garde son statut de produit et ne devient à aucun moment un déchet. Ce n’est donc pas un mode de traitement mais une composante de la prévention des déchets. Ressourcerie : Le terme “Ressourcerie” est une marque déposée et ne peut pas être utilisé, sauf pour désigner le réseau de la marque. Le terme “Recyclerie” est à employer à sa place de façon générique. Réutilisation : Il s’agit d’une opération en plusieurs étapes qui s’amorce lorsque le propriétaire d’un bien usagé s’en défait sans le remettre directement à une structure dont l’objet est le réemploi (dans une borne d’apport volontaire par exemple, dans les déchèteries ou à un particulier) : il prend alors un statut de déchet. Il subit ensuite une opération de traitement des déchets appelée « préparation en vue de la réutilisation » lui permettant de retrouver son statut de produit. Il peut alors bénéficier à un détenteur qui lui donnera une seconde vie. Waste banks : Les Waste Banks ou banques de déchets sont des activités d’offre et de demande de matériaux d’occasion par le biais de sites web. Des particuliers « postent », avec un certain protocole, des offres de déchets de construction.

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Annexes :

Fiches de présentation des cas d’études :

Liste des projets :

Le manable.................................................................................................................61

Le musée d’histoire de Ningbo...................................................................................62

La Powerhouse Kjorbo................................................................................................63

Le lieu unique.............................................................................................................64

La plateforme Noé.....................................................................................................65

La réhabilitation de la caserne militaire de Reuilly.....................................................66

Fiches de présentations des autres projets mentionnés :

DNA House..................................................................................................................67

SOS Children’s village – Lavezzorio community center...............................................68

Europa, siège du conseil de l’Union européenne.......................................................69

Jabu center.................................................................................................................70

Officina Roma........................................................................................................71

Potato Head, Beach Club Seminiak............................................................................72

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Le manable Lieu du projet : Argentan, France Date de livraison du projet : 2007 Maître d’œuvre: « Construire » avec « Constructlab », Sonia Vu, Alexander Römer, Felix Jeschke Maître d’ouvrage : Patrick Bouchain Type de bâtiment : lieu de vie Réhabilitation : NON Coût du projet : 25 000 euros Type de matériaux réemployés : poteaux et poutres en bois, charpente en bois, tôle ondulée, container de stockage en métal, fenêtres, blocks de béton

©Constructlab

©Constructlab

©Constructlab

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Le musée d’histoire de Ningbo Lieu du projet : Ningbo, Chine Date de livraison du projet : 2008 Maître d’œuvre : Wang Shu, Amateur Architecture Studio Maître d’ouvrage : l’Etat chinois Type de bâtiment : musée Réhabilitation : NON Coût du projet : ~18 000 000 euros Type de matériaux réemployés : tuiles, briques, pierre

©Wang Shu

©Wang Shu

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La Powerhouse Kjorbo Lieu du projet : Baerum, Norvège Date de livraison du projet : 2014 Maître d’œuvre: Snohetta (architectes), Skanska (entreprise de construction), ZERO (bureau environmental), Sapa et Hydro (fournisseurs d’aluminium), Asplan Viak (consultant) Maître d’ouvrage : Entra Eiendom Type de bâtiment : immeuble de bureaux Réhabilitation : OUI Coût du projet : N/A Type de matériaux réemployés : verres fumés, béton

©Powerhouse

©Powerhouse

©Powerhouse

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Le lieu unique Lieu du projet : Nantes, France Date de livraison du projet : 1999 Maître d’œuvre: « Constuire », Patrick Bouchain, Nicole Concordet, Loïc Julienne, architectes, Jean Lautrey, Camille Virot, artistes, Daniel Sourt, directeur technique ; Maître d’ouvrage : Ville de Nantes Type de bâtiment d’origine : manufacture de biscuit Type de bâtiment réhabilité : scène nationale Réhabilitation : OUI Coût du projet : 6 000 000 euros Type de matériaux réemployés : divers types de matériaux de construction + bidons métalliques et bidons de conserve

©Jean Lino

©Lieu Unique

©Lieu Unique

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La plateforme Noé Lieu du projet : Bordeaux, France Année de réalisation : 2018Maître d’ouvrage : Bordeaux Euratlantique Type de projet : plateforme logistique de réemploi et de services mutualisés inter-chantiers Réhabilitation : NON Coût du projet : N/A Type de matériaux réemployés : Tous les matériaux réemployables sortant des chantiers partenaires

©Bordeaux Euratlantique

©Bordeaux Euratlantique

©Eiffage Construction

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La caserne militaire de Reuilly Lieu du projet : Paris, France Date de livraison du projet : prévu pour 2019-2020 Maître d’œuvre: h2oarchitectes – coordinateur, LIN Architects Urbanists, Anyoji Beltrando, Charles-Henri Tachon, NP2F et OFFICE, Mir architectes, Lacroix & Chessex architectes Maître d’ouvrage : Paris Habitat Type de bâtiment d’origine : caserne militaire Type de bâtiment réhabilité : logements, commerces, crèche Réhabilitation : OUI combiné avec de la construction neuve Coût du projet : N/A Type de matériaux réemployés : planchers en bois, ardoises de toiture, poutres en bois massif, dalles, radiateurs, placards, poignées, luminaires, équipements sanitaires

©Paris Habitat

©Paris Habitat

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DNA House Lieu du projet : Asse, Belgique Date de livraison du projet : 2013 Maître d’œuvre: BLAF Architecten Maître d’ouvrage : Privé Type de bâtiment : Maison individuelle Réhabilitation : NON Coût du projet : 278 000 euros Type de matériaux réemployés : briques

©Stijn Bollaert

©Stijn Bollaert

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SOS Children’s village – Lavezzorio community center Lieu du projet : Chicago, États Unis Date de livraison du projet : 2008 Maître d’œuvre: Studio Gang Architectes Maître d’ouvrage : Agence SOS Type de bâtiment : Centre communautaire Réhabilitation : NON Coût du projet : N/A Type de matériaux réemployés : béton

©Adjustable Forms

©Studio Gang

©Studio Gang

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Europa, siège du conseil de l’Union européenne Lieu du projet : Bruxelles, Belgique Date de livraison du projet : 2016 Maître d’œuvre: Philippe Samyn et partners Maître d’ouvrage : Belgian Punlic Building Agency Type de bâtiment : Siège du conseil de l’Union européenne Réhabilitation : OUI Coût du projet : N/A Type de matériaux réemployés : châssis en bois avec vitrage cristal

©Samyn and Partners, Quentin Olbrecht

©Samyn and Partners, Quentin Olbrecht

©Samyn and Partners, Quentin Olbrecht

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Jabu center Lieu du projet : Siteki, Swaziland Date de livraison du projet : 2011 Maître d’œuvre: The Raw fondation Maître d’ouvrage : N/A Type de bâtiment : Espace communautaire Réhabilitation : NON Coût du projet : N/A Type de matériaux réemployés : Pneus, lattes de bois

©The Raw Foundation

©The Raw Foundation

©The Raw Foundation

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Officina Roma Lieu du projet : Rome, Italie Date de livraison du projet : 2011 Maître d’œuvre: raumlabor berlin Maître d’ouvrage : MAXXI, Musée National de l’Art Type de bâtiment : Villa temporaire dans le cadre de l’exposition “RE-cycle” Réhabilitation : NON Coût du projet : N/A Type de matériaux réemployés : Bouteilles en verre, portes de voitures, cardes de fenêtre en bois, barils de pétrole

©raumlaborberlin

©raumlaborberlin

©raumlaborberlin

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Potato Head, Beach club Seminiak Lieu du projet : Bali, Indonésie Date de livraison du projet : 2010 Nom du maître d’œuvre et de l’agence : Andra Matin architects Nom du maître d’ouvrage : Potato Head Type de bâtiment : Beach club Réhabilitation : NON Coût du projet : N/A Type de matériaux réemployés : Volets en bois

©Iwan Baan

©Iwan Baan

©Iwan Baan

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©Iwan Baan


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Bibliographie

1) Ouvrages : ADEME, Déconstruire les bâtiments, un nouveau métier au service du développement durable, guide pratique, 2003 ADEME, Prévenir et gérer les déchets de chantier : méthodologie et outils pratiques, Paris, Le Moniteur, mai 2009 ADEME ,Réemploi, réparation, réutilisation, Edition 2015, URL : http://www.ademe.fr/sites/default/ files/assets/.../reemploi-reparation-reutilisation-2015.pdf Asbl Ressources, la CCW, la CCB-C et le CIFFUL, avec le soutien de Bruxelles Environnement et du SPW, Guide Réemploi-Réutilisation des matériaux de construction, Éditions de l’Université de Liège, 2013, URL : http://www.cifful.ulg.ac.be/images/stories/Guide_reemploi_materiaux_lecture_2013.pdf ARIENZO (D’),Roberto et YOUNES, Chris, Recycler l’urbain, pour une écologie des milieux habités, Genève, MétisPresses, collection vuesDensemble Essais, 2014. ARIENZO (D’), Roberto et YOUNES, Chris, Ressources urbaines latentes, Genève, MétisPresses, collection vuesDensemble Essais, 2016. ENCORE HEUREUX, CHOPPIN, Julien et DELON, Nicolas, Matière grise : Matériaux/Réemploi/ Architecture, catalogue de l’exposition éponyme (Paris, Pavillon de l’Arsenal , 26/09/201404/01/2015), Paris, Pavillon de L’arsenal, 2014. FFB, Mieux gérer les déchets de chantier du bâtiment, Paris, 2013 FREY, Pierre, Learning from Vernacular- Pour une nouvelle architecture vernaculaire, Arles, Actes Sud, 2010. HUYGEN, Jean Marc, La poubelle et l’architecte- Vers le réemploi des matériaux, Arles, Actes Sud, 2008 NOVEL, Anne-Sophie, La vie share : mode d'emploi: Consommation, partage et modes de vie collaboratifs, Paris, Alternatives, 2013. RDC Environment, éco BTP et I Care & Consult (COPPENS, Mélanie, JAYR, Emmanuel, BURREESPAGNOU, Marion et NEVEUX,Guillaume), Identification des freins et des leviers au réemploi de produits et matériaux de construction, 2016, étude réalisée pour le compte de l’ADEME URL : http:// www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/identification-freins-reemploi-btp-201604synthese.pdf http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/identification-freins-reemploi-btp201604-rapport.pdf

ROTOR, Michaël Ghyoot, Lionel Devlieger, Lionel Biliet, André Warnier, Déconstruction et réemploi, Comment faire circuler les éléments de contruction, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2018 ROTOR, Vade-mecum pour le réemploi hors-site Comment extraire les matériaux réutilisables de bâtiments publics ?, avec le soutien de la région de Bruxelles capitale 2015. U.R.L : http://assets. opalis.be/vademecum/Vademecum_extraire_les_materiaux_reutilisables%20(Rotor).pdf 2) Articles :

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« L’Ademe identifie les freins au réemploi des matériaux de construction », Le moniteur, 25/07/2016. U.R.L : http://www.lemoniteur.fr/article/l-ademe-identifie-les-freins-au-reemploi-des-materiaux-deconstruction-32762392 3) Sites internet : ADEME : U.R.L : http://www.ademe.fr/expertises/dechets/passer-a-laction/eviter-productiondechets/reemploi-reparation Asbl Ressources, la CCW, la CCB-C et le CIFFUL, avec le soutien de Bruxelles Environnement et du SPW CIFFUL : Centre Interdisciplinaire de Formation de Formateurs de l’Université de Liège, page réemploi des matériaux. U.R.L : http://www.cifful.ulg.ac.be/index.php/reemploi-des-materiaux Blog sur le projet R-Urban rubrique sur le projet recyclab. U.R.L : http://r-urban.net/blog/projects/recyclab/ Fédération Française du bâtiment : site sur les déchets de chantier. U.R.L : http://www.dechets-chantier.ffbatiment.fr/ Guide bâtiment durable de Bruxelles, rubrique réemploi, réutilisation des matériaux de construction. U.R.L : https://www.guidebatimentdurable.brussels/fr/reemploi-reutilisation-des-materiaux-deconstruction.html 4) Mémoires universitaires : MOINET, Morgan, Vers une filière du réemploi des matériaux de construction, mémoire de master, architecture, Rennes, 2015,U.R.L. : https://morganmoinet.com/portfolio/memoire_vers-une-filieredu-reemploi-des-materiaux-de-construction/ VIDAL, Fanny, Pratiquer le réemploi de matériaux de construction en France, l’enseignement européen des groupes Rotor et Superuse-Studio en 2014 , mémoire de master, architecture, Toulouse, 2015, U.R.L. : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01228402

5) Captations de conférence consultable en ligne : BXForumEcoCollab, intervenants : BARRE, Philippe, BRIAND, Gwendal, MARCAU, Thierry, OFFNER, Jean-Marc, Villes, territoires et économie collaborative, dans le cadre du forum Bordeaux Economie Collaborative, 05/07/2013 U.R.L : https://www.youtube.com/watch?v=ju3wHaWuRWU&t=2939s BXForumEcoCollab, intervenants :BAUWENS, Michel, BRUN-BUISSON, Anne-Laure, FREMONT, Philippe, NOVEL, Anne-Sophi , Economie collaborative: adaptation du capitalisme ou changement de modèle ?, dans le cadre du forum Bordeaux Economie Collaborative, 05/07/2013 U.R.L : https:// www.youtube.com/watch?v=McxEvHDUrnc&t=1096s CCA Chanel, An interview with Rotor, Fait dans le cadre d’une série d’entretiens avec des groupes contemporains qui contribuent aux activités de « L’architecte, autrement », 2016, U.R.L : https:// www.youtube.com/watch?v=-P6gPHnCYO4 CCA Chanel, Rotor Deconstruction, 2016. U.R.L : https://www.youtube.com/watch?v=YLHlxEh_oRk Intervenants : DEVILLERS Christian, architecte, GIELEN, Maarten, cofondateur de rotor, HART,Heleen et BERTELOOT Mathieu ,architectes, BOUGAMONT,Vincent, directeur général de la Fabrique des Quartiers, Du réemploi des matériaux à la transformation des quartiers : recycler la ville ?,

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conférence inscrite dans le cadre de l’édition «Réver(cités), villes recyclables et résilientes» de l’Observatoire de la Ville, 2016. U.R.L : https://www.youtube.com/watch?v=dIsuWMTpUUU

PETCOU Constantin et PETRESCU Doina, architectes chez Atelier d’Architecture Autogérée,

Perspectives-Vers une architecture modeste, résiliente et participative, conférence, à pierres vives Montpellier , 2013. U.R.L : https://www.youtube.com/watch?v=NUKTZqE8Rx0 ROTOR, DEVLIEGER, Lionel, Construction/ Déconstruction/Reconstruction, conférence à Liège dans le cadre de RECIPROCITY 2015, 2015. U.R.L : https://www.youtube.com/watch?v=tgwqGwTW-eg ROTOR, GIELEN, Maarten, MA, conférence à la maison de l’architecture de Genève dans le cadre du cycle ADAPTATION, 2013. U.R.L : https://vimeo.com/79682970 SUPERUSE STUDIOS, Jongert ,Jan, InsideFlows, Jan Jongert, on Resource-Based Design London festival of architecture,2013. U.R.L : https://vimeo.com/71869601

6) Émissions radio : CHASLIN, François, Métropolitains, France Culture, L’architecture du réemploi et du détournement, 01/07/2012. U.R.L : https://www.franceculture.fr/emissions/metropolitains-11-12/larchitecture-du-reemploi-et-dudetournement

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Le réemploi de matériaux de construction: Vers une nouvelle culture du projet architectural et territorial

Ce mémoire traite de la problématique du réemploi de matériaux de construction dans le secteur du bâtiment. Pendant la grande majorité de l’histoire de l’humanité, le réemploi de matériaux se pratiquait de manière naturelle, il était inhérent au processus de création architecturale. Depuis une centaine d’années il est négligé dans les pratiques dominantes du projet. Aujourd’hui, cette démarche renaît et se réinvente dans un contexte de production architecturale encore industriel mais qui se préoccupe davantage de son impact sur la planète, et bien qu’encore marginal, le réemploi de matériaux de construction tend à se développer. Cette étude aborde le réemploi de matériaux, d’un point de vue qui n’est pas uniquement technique, en posant la question de son impact sur la méthode de projet architectural et territorial. S’inscrivant dans l’économie circulaire et dans les pratiques collaboratives, le réemploi met en œuvre des mécanismes différents de ceux de la construction « classique» actuelle. Il fait émerger de nouveaux métiers, et transforme les professions existantes, redéfinissant leurs champs d’action et leur cadre conceptuel. Bien que le réemploi dans l’architecture ne soit encore qu’une niche, les premières réalisations et expérimentations démontrent la qualité et la diversité des formes architecturales qu’il peut produire et laisse envisager qu’il est possible de construire mieux avec moins.

Mots clefs : réemploi, déconstruction, processus de projet, pratique collaborative, économie circulaire


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