UNE PLACE EN VILLE POUR L’AGRICULTURE URBAINE Le cas de Bordeaux
Max-Henri Blot Mémoire de master
Séminaire Repenser la Métropolisation AMBAL Julie, WILLIS Delphine, GUILLOT Xavier
Ensap Bordeaux Juin 2018
CULTIVER LA MÉTROPOLE UNE PLACE EN VILLE POUR L’AGRICULTURE URBAINE Le cas de Bordeaux
Séminaire Repenser la Métropolisation Ambal Julie, WILLIS Delphine, GUILLOT Xavier
Ensap Bordeaux Juin 2018
SOMMAIRE
INTRODUCTION
P. 2
PARTIE I : AGRICULTURE ET VILLE : UNE INTERDÉPENDANCE RENOUVELÉE
P. 4
1. Une Histoire commune de l’agriculture et de la ville a. Une interdépendance millénaire b. La naissance de l’agriculture moderne c. Le phénomène d’agriculture urbaine ... d. … En réponse à une double remise en cause de l’agriculture et de la ville
p.6 p.6 p. 8 p. 9 p. 11
2. La multifonctionnalité reconnue de l’agriculture urbaine a. À la recherche d’une définition b. Une agriculture multifonctionnelle interdépendante de la ville c. Une discipline reconnue par les politiques urbaines
p. 14 p. 14 p. 16 p. 19
PARTIE II : L’AGRICULTURE URBAINE CONFRONTÉE AU CONTEXTE BORDELAIS
P. 22
1. Une concordance politique et citoyenne a. 55 000 hectares pour la nature : le vivant au cœur du projet urbain bordelais b. Une politique d’accompagnement de projets c. Une agriculture urbaine bordelaise qui repose sur le monde associatif
p. 24 p. 24 p. 28 p. 30
2. Un contexte métropolitain bordelais contraignant a. La question du foncier en opposition à l’agriculture urbaine b. Des sols pollués inaccessibles c. Un contexte administratif contraignant d. L’intégration difficile de l’agriculture urbaine dans le projet urbain
p. 35 p. 35 p. 41 p. 41 p. 42
3. Des outils limités pour les pouvoir publics a. Une discipline ignorée par le droit b. La préservation difficile des sols disponibles c. Le manque d’outils adaptés à la conquête de nouveaux sols
p. 44 p. 44 p. 45 p. 46
CONCLUSION
P. 48
ANNEXES
P. 50
Bibliographie
p. 51
Table des figures
p. 56
Entretien
p. 59
INTRODUCTION
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L’année 2007 s’est vue marquer un tournant dans l’histoire de l’humanité. Pour la première fois, la population urbaine mondiale a dépassé la population rurale1. Les Nations Unies prévoient qu’à l’horizon 2050, les villes accueilleront sept des dix milliards d’humains qui peupleront la planète, contre 2% en 1800 et 10% en 19002. Ce phénomène d’urbanisation de la population pose la question de l’avenir de la ville. En effet, la métropolisation, « support instrumentalisé de la mondialisation3 », se traduit spatialement par une expansion des métropoles sur les territoires adjacents, souvent au détriment d’espaces naturels et agricoles. Or, à une époque où la question écologique est omniprésente, où l’avenir de notre planète devient alarmant, il est difficile d’envisager la ville de demain sans considération de durabilité. AGORA, biennale d’architecture, d’urbanisme et de design de Bordeaux, s’est construite lors de son édition 2017 sur le thème du « Paysage métropolitain », mettant en évidence l’importance que représente aujourd’hui l’idée de bâtir avec la nature. En effet, il semble que la ville que nous connaissons, héritée de la révolution industrielle du XIXe siècle, se trouve aujourd’hui à un tournant. Alors que cette dernière s’est caractérisée par la mise à distance du monde rural au monde urbain, la dichotomie entre ville et nature qui s’est inscrite dans la culture collective paraît peu à peu s’estomper au profit d’une vision moins minérale de l’urbanité. Les images représentant nos villes de demain reconquises par une végétation galopante, où la beauté sauvage de la nature se fondrait en harmonie dans le paysage artificialisé, fleurissent aujourd’hui dans les médias. Le règne du béton toucherait à sa fin. Le phénomène d’agriculture urbaine me semble incarner de façon pertinente cette tendance, dans sa faculté à requestionner à la fois nos modes de consommation et notre rapport à l’espace urbain. Le milieu urbain semble peu approprié à la pratique d’une activité agricole en son sein, à l’heure de l’agriculture productiviste dévorant des espaces toujours plus grands. Pourtant, la dernière décennie a vu fleurir dans les villes de nombreux projets de culture en milieu urbain qui, loin d’être éphémères, semblent s’inscrire durablement dans les nouvelles dynamiques urbaines. En effet, en dépit de la pollution, du manque d’espace et d’une réglementation inadaptée, nous allons fêter cette année les dix ans des Incroyables Comestibles, phénomène à l’échelle mondiale né de l’initiative de quelques habitants d’une petite ville du nord-ouest de l’Angleterre. À Bordeaux, les politiques métropolitaines semblent tendre vers des considérations respectueuses de l’environnement, à l’image de l’arrivée du tramway pour réduire la place de l’automobile, l’importance donnée au végétal dans des projets urbains d’envergure le long des berges de la Garonne, ou encore plus récemment un projet de ferme urbaine de 3 000 m2 aux Aubiers. Le projet « 55 000 hectares pour la nature » initié en 2012 met en avant le désir des instances publiques de préserver le patrimoine naturel du territoire métropolitain en cherchant des moyens de l’intégrer dans le projet urbain. En parallèle, la métropole connaît elle aussi un mouvement de renaissance de l’agriculture urbaine dans ses murs, porté par de nombreuses associations. Pourtant, on peut constater aujourd’hui le retard pris dans
1 VERONS, Jacques, « La moitié de la population mondiale vit en ville », Populations & Sociétés, 2007, n°435, p. 1-3 2 DOMENACH, Hervé, « Les grandes tendances démographiques et l’environnement : l’enjeu d’une planète viable », Mondes en développement, n°142, février 2008, p. 97-111 3 GHORRA-GOBIN, Cynthia , « La métropolisation support instrumentalisé de la mondialisation. Exemple des Etats-Unis » in WACKERMAN, Gabriel, Les très grandes villes dans le monde, Paris, Ellipses, 2000, p. 59-68
le domaine au sein de la métropole bordelaise et l’absence de projet d’envergure, par rapport à d’autres villes à l’instar de Paris. Celle-ci a mis en 2016 avec ses partenaires 47 sites à disposition de l’agriculture urbaine grâce au projet « Paris-culteurs », afin d’attendre les 100 hectares cultivés d’ici 2020. Ce constat pousse à s’interroger sur la place qui est accordée à l’agriculture urbaine dans le projet urbain de Bordeaux Métropole. Afin de répondre à cette question, nous nous appuierons sur des lectures et articles scientifiques développant la notion d’agriculture urbaine et ses enjeux dans les métropoles des pays du Nord. Il s’agira ensuite de préciser la théorie et de la confronter au contexte bordelais, en se penchant d’une part sur les prises de position des pouvoirs publics à travers l’étude de documents officiels, et d’autre part sur la réalité de la pratique grâce à un entretien accordé par l’une des associations les plus notables du territoire : Les Incroyables Comestibles. Il s’agit ici de confronter les engagements politiques en faveur de l’intégration de l’agriculture urbaine dans le projet urbain, à la réalité du terrain à Bordeaux, puis de comprendre les mécanismes qui peuvent créer un décalage entre les annonces et la mise en pratiques de celles-ci. Après avoir historiquement resitué l’agriculture urbaine, nous verrons ce qui définit sa pratique puis la façon dont elle peut rendre la ville plus durable et qui lui vaut d’être soutenue par les politiques mondiales. Nous nous attarderons ensuite plus précisément sur le contexte Bordelais en nous interrogeant sur l’intérêt que lui portent les différents acteurs de la ville, avant de nous attarder sur les freins qu’elle peut connaître dans le cadre métropolitain et qui l’empêchent de s’épanouir pleinement.
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PARTIE I
AGRICULTURE ET VILLE : UNE INTERDÉPENDANCE RENOUVELÉE
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1. Une Histoire commune de l’agriculture et de la ville
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a. Une interdépendance millénaire
À une époque où les termes « urbain » et « rural » sont souvent utilisés pour les opposer, où la métropole semble mise à distance de la production agricole, il semble important de rappeler que ville et agriculture ont une longue histoire commune. En effet c’est à partir de l’activité agricole que les premiers groupements humains sont apparus et que la ville est née. C’est l’interaction entre l’homme et son environnement qui a engendré la création de la civilisation. Dans son Histoire de la ville, Benevolo considère que c’est justement l’augmentation de la production agricole, sa collecte et son stockage dans les villes qui ont conditionné l’évolution des sociétés néolithiques4. Le principe de sédentarisation apparaît près de 1000 ans av. J-C. et entraîne avec lui l’apparition de l’élevage et des premiers principes de l’agriculture. La naissance des premières communautés humaines sédentaires nécessitent de subvenir aux besoins de nourriture avec d’autres méthodes complémentaires de la chasse, la pêche et la cueillette. On peut alors considérer que l’agriculture est née grâce à l’apparition des premiers villages, et entretient donc des liens forts avec ces derniers. À partir de cette révolution agricole, que Benevolo considère aussi marquante dans l’histoire de notre civilisation que la plus récente révolution industrielle, les villages, puis villes, ne vont cesser de se développer dans une réciprocité entre développement humain et production agricole pour palier à ce dernier. C’est à partir de là que l’homme s’est approprié, a façonné son environnement afin de le rendre propice à son épanouissement. Cette action de l’homme sur le territoire laisse entrevoir, dès le néolithique, les prémices des pratiques urbaines actuelles, et même de la métropolisation, où la ville tend vers un asservissement de son environnement, façonnant ce dernier afin de permettre son développement. L’agriculture a également joué un rôle dans la forme et l’organisation des villes dans l’histoire. En effet, la périssabilité des denrées alimentaires a nécessité la proximité immédiate des terres agricoles à l’espace urbain, façonnant directement ce dernier5. C’est ainsi que la plupart des villes occidentales se sont construites en laissant entre les entités bâties des espaces destinés à l’activité agricole. Une grande partie de l’espace urbain était ainsi destinée à l’agriculture, qui était de fait intrinsèquement urbaine6. C’est par exemple le cas à Bordeaux, où jusqu’au XXe siècle des ceintures agricoles entouraient la plupart des faubourgs, y compris pour le cas de la première couronne bordelaise. Ces exploitations urbaines se concentraient sur la production de produits périssables nécessitant une proximité immédiate de la ville à l’instar des fruits et légumes, de la viande et des œufs, alors que les céréales, qui se conservent mieux, étaient cultivés plus à l’extérieur de la ville, profitant par la même de plus vastes espaces (figure 1). L’activité agricole a donc joué un rôle déterminant dans la structure des villes, les systèmes de production nécessitant une adaptation de cette dernière. On retrouve ici le rapport de réciprocité qui existait entre urbanité et agriculture.
4 BENEVOLO, Leonardo, Histoire de la ville, Marseille, Éditions Parenthèses, 1975, 509 p. 5 URI, Camille, L’agriculture Urbaine à Bordeaux, panorama des projets exemplaires et premiers éléments de stratégie : Proposition de sites sur la ville de Bordeaux, Bordeaux, a’Urba agence d’urbanisme Bordeaux Métropole Aquitaine, 2016, 110 p. 6 MALASSIS, Louis, Traité d’économie alimentaire. Les trois âges de l’alimentaire: essai sur une histoire sociale de l’alimentation et de l’agriculture. L’âge pré-agricole et l’âge agricole, Paris, Editions Cujas, 1997, 329 p.
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Figure 1 : Plan de Bordeaux et de ses environs, par Hippolyte Matis (1716-1717)
b. La naissance de l’agriculture moderne
À partir du XIXe siècle cependant, avec l’avènement de la révolution industrielle, cette interaction et cette réciprocité fonctionnelle de la ville et de l’agriculture s’est peu à peu effacée du fait des progrès techniques, le critère de proximité n’étant plus un facteur déterminant. En effet, la modernisation des transports avec l’apparition du chemin de fer, l’évolution des modes de conservation avec l’arrivée des filières du froid, ainsi que la réorganisation des systèmes de distribution ont permis d’éloigner les zones de production agricoles des bassins urbains, la périssabilité des produits n’étant plus un facteur déterminant de la proximité. En outre, l’apparition de la mécanisation et de nouvelles méthodes agricoles modernes ont permis aux exploitations de s’affranchir de leur dépendance à la ville, les exploitations traditionnelles de taille réduite devenant moins rentables et laissant place à des espaces monofonctionnels de la ville moderne, tandis que de plus grandes exploitations s’installaient plus en retrait sur le territoire7.
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Le phénomène de métropolisation apparu dans la deuxième moitié du XXe siècle a renforcé ce phénomène dans les pays développés. Sortant de ses murs et se répandant sur son territoire d’influence, la ville a mis en péril l’agriculture de sa périphérie qui ne correspond pas aux modèles de production intensifs et extensifs de cette nouvelle ère mondialisée. Une étude menée par la Chambre d’Agriculture de Gironde en 2012 est révélatrice de cette situation. En effet, celle-ci montre que l’agriculture ne concerne que 0,4% des emplois de Bordeaux Métropole. Pour ce qui est de l’aire urbaine bordelaise, seulement 2,4% des emplois concernent l’agriculture, ce qui reste paradoxalement un score élevé au vu de celui d’autres aires métropolitaines françaises comme Toulouse (1%) ou Lyon (0,6%). À l’échelle de la ville de Bordeaux, on ne trouve aujourd’hui plus que 33,12 ha de surface agricole, la plus grande partie dans le nord de la ville8. Cette distanciation des deux mondes urbains et agricoles, qui s’accentue au sortir de la seconde Guerre Mondiale dans les pays occidentaux, marque une mise à distance voire une disparition du lien entre l’aliment et celui qui le mange. On passe en effet d’une société agricole où les denrées produites sont consommées à proximité immédiate, à une société agro-industrielle, où la production agricole et les systèmes d’approvisionnement s’organisent à l’échelle continentale, voire
Figure 2 : Publicité de l’entreprise Allis-Chalmers en faveur d’un mototracteur (vers 1935)
7 URI, Camille, L’agriculture Urbaine à Bordeaux, panorama des projets exemplaires et premiers éléments de stratégie : Proposition de sites sur la ville de Bordeaux, Bordeaux, a’Urba agence d’urbanisme Bordeaux Métropole Aquitaine, 2016, 110 p. 8 Ibid.
mondiale9. Le système agricole devient alors, dans un contexte de mondialisation, totalement indépendant de la ville dans un souci de productivité et de rentabilité, à tel point que l’on parle désormais de placeless foodscape10 (système alimentaire dominant globalisé), effaçant alors toute corrélation entre alimentation et territorialité. Le nombre d’intermédiaires s’étant aujourd’hui immiscés entre le producteur et le mangeur renforce d’autant plus cette notion. Ascher, en 2001, définit alors les villes comme « des regroupements de population ne produisant pas elles-mêmes leurs moyens de subsistance alimentaire11 ».
c. Le phénomène d’agriculture urbaine... Dans cette histoire où l’agriculture, à l’origine intimement liée à la ville, a peu à peu tourné le dos à cette dernière jusqu’à en devenir totalement déconnectée dans les régions les plus développées du monde au XXe siècle, le XXIe siècle que nous vivons marque le retour de l’activité agricole dans le cœur des villes avec le phénomène grandissant d’agriculture urbaine. Les contextes étant très différents selon les régions du monde, il est important de souligner que le rapport à l’agriculture urbaine peut revêtir des enjeux très différents. Par exemple, les mégapoles du sud en voie de développement à la vitesse de croissance très importante ont intégré dans leur expansion, de façon spontanée et non planifiée, de nombreux espaces agricoles. Elle traduit ici une nécessité sociale, ainsi qu’un outil pour la lutte contre la pauvreté urbaine et la famine résultant d’un exode rural massif. L’urbanisation galopante et non contrôlée y est à l’origine d’une déficience d’infrastructure, ce qui explique selon Christine Aubry, agronome et ingénieur de recherche à l’INRA, la nécessité de l’agriculture urbaine à Antananarivo (Madagascar), à Vientiane (Laos), à Dakar (Sénégal) ou à Dar es Salam (Tanzanie), où « les produits frais et périssables proviennent majoritairement, voire exclusivement, de l’agriculture urbaine12. » L’exemple de Detroit aux Etats-Unis est représentatif des enjeux importants que l’agriculture urbaine peut représenter également dans les pays les plus développés, celle-ci ayant joué un rôle crucial dans la transformation de friches urbaines issues de la crise qu’à connu le secteur industriel de la ville. En effet la crise du pétrole dans les années 70 a entrainé la fermeture massive des usines de l’entreprise Ford, provoquant une explosion de la pauvreté et un exode massif. La ville est alors passée de 1,8 millions d’habitants en 1950 à seulement 706 000 aujourd’hui, laissant près de 78 000 bâtiments à l’abandon13. Le salut de la partie la plus pauvre de la population est alors venu de la réutilisation de ces nombreuses friches urbaines afin de subvenir à l’un des besoins les plus primaires, se nourrir. On constate donc ici la divergence des enjeux que représente l’agriculture urbaine en fonction des pays, des situations économiques ou encore socio-démographiques, ce qui pousse à observer que ses formes et ses objectifs diffèreront selon la partie du globe où l’on se trouve. En France, alors que l’agriculture urbaine ne semble à priori pas représenter un enjeu majeur face à une situation extrême de crise quelconque, force est de constater l’intérêt grandissant que portent les citoyens à cette discipline. Le phénomènes des « Locavores » est représentatif de ce mouvement prônant un retour de l’agriculture en ville. Le terme de « Locavore » a été utilisé pour la première fois par Jessica Prentice, cuisinière américaine, à 9 MALASSIS, Louis, Traité d’économie alimentaire. Les trois âges de l’alimentaire: essai sur une histoire sociale de l’alimentation et de l’agriculture. L’âge agro-industriel, Paris, Editions Cujas, 1997, 367 p. 10 ILBERY, Bryan, KNEAFSEY, Moya, « Constructions of quality in regional speciality food production : a case study from south-west England », Journal of rural studies, vol. 16, avril 2000, p. 217-230 11 ASCHER, François, Les nouveaux principes de l’urbanisme, L’Aube, Paris, 2001, 105 p. 12 NIEDERCORN, Frank, « L’agriculture a-t-elle un avenir en ville ? », les echos.fr, 02 juin 2014 13 PADDEU, Flaminia, Mobilisations civiques pour la justice environnementale et alimentaire dans les quartiers défavorisés de Detroit et du Bronx à New York, Thèse, Géographie, Université de Paris 4 Sorbonne, 2015
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l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement en 2005 à San Francisco14. Celui-ci propose aux personnes de s’alimenter uniquement avec des produits cultivés et transformés dans un rayon de 200 km autour de leur lieu de vie. Associé au courant altermondialiste, le mouvement prône une renaissance du lien entre le citoyen et son territoire, entre le mangeur et le mangé. Au delà de la notion de proximité, une production et une consommation plus intelligentes sont mises en avant, avec un souci de respect de l’environnement et du producteur, ainsi qu’une notion de saisonnalité pour consommer des produits locaux et de saison. Les locavores rejoignent ici les propos de Gilles Fumey, selon qui l’alimentation de qualité est « fondamentalement géographique » car « elle constitue une forme d’horizon plus ou moins indépassable de ce à quoi prétend tout être humain : être au monde et l’incorporer avec du sens et des valeurs auxquelles il tient15. »
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Figure 3 : Photographie d’un potager urbain à Detroit aux Etats-Unis
14 POULOT, Monique, « Vous avez dit « locavore » ? De l’invention du locavorisme aux États-Unis », Pour, n°215216, mars 2012, p. 349-354 15 FUMEY, Gilles, « L’alimentation de qualité », in CHARVER, Jean-Paul (Dir.), Nourrir les hommes, Editions SEDES, CNED, Larousse, Paris, 2008, p. 250-258
d. … En réponse à une double remise en cause de l’agriculture et de la ville Cette tendance en faveur d’une reterritorialisation de l’alimentation en France intervient suite à un double constat et une prise de conscience de la population face à l’impact écologique des villes d’une part, et la crise de l’agriculture d’autre part. En effet, la ville moderne fait aujourd’hui figure de mauvaise élève face à la crise écologique que nous connaissons. Alors qu’à l’horizon 2050 les villes devraient abriter 75% de la population mondiale16, l’étalement urbain sur le territoire et le phénomène de métropolisation ne cessent de détruire et d’artificialiser le territoire et les sols qui l’environnent. En effet, la part des sols artificialisés en France métropolitaine est passée de 5,6% en 1992 à 7,7% en 2015. Elle enregistre une hausse de 36% sur cette période alors que la population a augmenté de 12%17. Avec la modernisation des techniques de production et de distribution dont nous avons parlé plus haut, la mise à distance des lieux de production aux lieux de consommation engendre un impact environnemental important du fait de la distance que parcourent aujourd’hui les denrées alimentaires. Ce phénomène a d’ailleurs valu l’apparition de la nouvelle notion de « kilomètre alimentaire18 ». S’ajoute à cela la pollution atmosphérique qui pousse des villes comme Paris à trouver des solutions d’urgence à l’instar de la circulation alternée, ou encore le phénomène d’îlot de chaleur qui met en évidence le poids des villes dans le phénomène de réchauffement climatique. À une époque où la population se sensibilise aux défis environnementaux que l’humanité se doit de relever, la ville dans son processus de métropolisation de semble pas soutenable.
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Figure 4 : Schéma réalisé par la région Ile-de-France représentant le phénomène d’ilôt de chaleur au niveau de Paris et de sa périphérie
16 DOMENACH, Hervé, « Les grandes tendances démographiques et l’environnement : l’enjeu d’une planète viable », Mondes en développement, n°142, février 2008, p. 97-111 17 Artificialisation des sols, In : Ministère de la transition écologique et solidaire, Observation et statistique [en ligne], mis à jour le 11/05/2018 18 GROLLEAU, SIRIEIX, Lucie, SHAER, Burkhard « Les " kilomètres alimentaires " : de la compréhension du concept à la complexité de la réalité », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, décembre 2010, p. 899-911
D’autre part, la question de l’agriculture urbaine en France se pose dans un contexte de crise du monde agricole. Alors que, ainsi que nous l’avons vu précédemment, une rupture complète entre le monde urbain et le monde agricole s’est opérée au XXe siècle, les citadins semblent aujourd’hui directement affectés par l’état de l’industrie agro-alimentaire française. La situation économique critique des producteurs interpelle. En effet, selon l’association La ferme de la Glutamine, on recense la disparition de 200 fermes par semaine en France faisant passer le nombre d’exploitations de 2 millions il y a 20 ans à 500 000 aujourd’hui. L’association affirme également que depuis la deuxième Guerre Mondiale, la production pour un maraîcher a doublée tandis que son salaire a été divisé par deux. Enfin, le triste constat que deux agriculteurs se suicident en France chaque jour finit de dresser le tableau d’une agriculture en crise qui ne peut pas laisser indifférent19.
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Figure 5 : Éleveurs de porcs et producteurs de lait protestant contre la chute des cours en 2016
Outre la question de la situation critique du producteur, celle de la santé du produit lui-même interpelle. En effet, l’industrialisation de la production, considérée comme une « mauvaise mère20 », a fait naître un sentiment de risque alimentaire. La multiplication des acteurs de la chaîne alimentaire ainsi que la technicisation de la production on fait de l’aliment un « objet comestible non identifié21 ». L’alimentation industrielle se voit associée à une image négative renforcée par les crises emblématiques de la « vache folle » ou des Organismes Génétiquement Modifiés. Des images choquantes des conditions d’élevage et d’abattage des animaux ont également largement contribué à un regain d’intérêt pour les modes de production et de leur transparence, en réponse à ce que l’on appelle aujourd’hui la « malbouffe22 ». L’agriculture productiviste issue de la révolution industrielle est largement remise en cause. À une époque où des principes comme la permaculture prônant l’équilibre entre exploitation et terroir dans une réciprocité fonctionnelle et une interdépendance, les principes de monoculture appauvrissant la richesse des sols, ainsi que l’utilisation généralisée d’engrais chimiques et de pesticides sont remis en cause. Le récent scandale du glyphosate en témoigne, la santé de notre environnement et l’impact de méthodes de production sur notre propre santé interpellent. En réponse à cela, le consommateur est aujourd’hui en recherche de traçabilité des produits et de qualité de ces derniers. En effet selon Lorraine Aeberhardt,
19 La Ferme de la Glutamine, « Imaginons une ferme urbaine idéale au service des maraîchers et de l’environnement », AGORA biennale d’architecture, 22 septembre 2017, Bordeaux 20 FISCHLER, Claude, L’homnivore, Editions O. Jacob, Paris, 1993, p. 208 21 Ibid. p. 209 22 BRAND, Caroline, BONNEFOY, Serge, « L’alimentation des sociétés urbaines : une cure de jouvence pour l’agriculture des territoires métropolitains ? », VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement, septembre 2011, Volume 11 Numéro 2.
chef de la division synthèse des biens et des services de l’INSEE, « la part du budget allouée à l’alimentation a augmenté de 0,33% entre 2012 et 2016 » pour les ménages, alors que celle-ci était n’a cessé de diminuer depuis 50 ans, passant de 35% en 1960 à 20% en 201423. Bien que l’on ne puisse pas ici parler d’inversion évident de la courbe, les chiffres montrent néanmoins la tendance des foyers à reconsidérer la qualité de leur alimentation, fait appuyé par les chiffres avancés par l’Agence Bio selon qui la consommation de produits issus de l’agriculture biologique à domicile par les ménages a augmenté de 21,7% en valeur en 2016 par rapport à 201524. Ainsi, la remise en cause généralisée de l’agriculture conventionnelle et la question de la durabilité des villes sont à l’origine d’un mouvement de la part des mangeurs en faveur d’une agriculture plus raisonnée, plus transparente, plus respectueuse de la nature. Ce besoin de recréer un lien direct entre la production et la consommation de nourriture explique également le besoin de retrouver une proximité immédiate des lieux de production à la ville. En effet, d’un point de vue qualitatif, l’agriculture urbaine, dans l’abstraction des circuits de distribution conventionnels, permet la cueillette à maturité et la consommation de produits offrant la totalité de leur qualités gustatives et nutritives. D’un point de vue éthique, face à un système agricole conventionnel qui interroge, la discipline se penche sur la question du « produire autrement », plus respectueusement de l’environnement, dans une tendance mondiale allant vers l’écologie. Ce mouvement est également repris par les villes, la ville durable étant devenue depuis la Charte de Leipzig et le Grenelle de l’environnement une préoccupation politique importante. L’agriculture urbaine est alors prise en compte dans un souci de protection de la biodiversité et dans l’empreinte écologique des villes. En effet, selon Bonnefoy, « bien que les résultats de la recherche soient encore très partiels pour apporter des certitudes, l’idée selon laquelle la relocalisation des productions agricoles améliore l’empreinte écologique fonctionne souvent comme une évidence communément admise25. »
23 « Alimentation. 20% du budget des français », Le Télégramme, 21 juillet 2017 24 RENAULT, C., CHEVER, T., ROMIEU, V., HERRY, L., COGOLUENHES, C., Estimation de la consommation des ménages en produits alimentaires biologiques en 2016, Montreuil, Agence BIO, 2017, 41 p. 25 Op. Cit. BRAND, BONNEFOY, p. 9
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2. LA MULTIFONCTIONNALITÉ RECONNUE DE L’AGRICULTURE URBAINE
a. À la recherche d’une définition
L’agriculture en ville peut se retrouver sous de nombreuses formes très différentes. Du maraîchage à la ferme hydroponique high-tech, du modèle associatif à la ferme productive expérimentale, l’élaboration d’une typologie unique des formes qu’elle peut revêtir semble compliquée, d’autant plus que dans un contexte de développement de la discipline les formes on tendance à s’hybrider dans la recherche d’un modèle viable. Il est ainsi difficile de définir l’agriculture urbaine de façon simple et globale. En effet, plus d’une dizaine de définitions en existent26, « mettant plus ou moins l’accent sur la distance à la ville ou le type de système de production27 ». L’Organisation des Nation Unies pour l’agriculture et l’environnement propose néanmoins la définition suivante :
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L’agriculture urbaine et périurbaine (AUP) se réfère aux pratiques agricoles dans les villes et autour des villes qui utilisent des ressources – terre, eau, énergie, main d’oeuvre – pouvant également servir à d’autres usages pour satisfaire les besoins de la population urbaine. L’agriculture urbaine (AU) se réfère à des petites surfaces (par exemple, terrains vagues, jardins, vergers, balcons, récipients divers) utilisées en ville pour cultiver quelques plantes et élever des petits animaux et des vaches laitières en vue de la consommation du ménage ou des ventes de proximité.28
Ainsi que l’expriment Paula Nahmias et Yvon Le Caro, il apparaît clairement que « cette définition reste vague car elle ne signale pas les acteurs concernés ni leur statut. D’autre part, le critère de définition est basé sur une simple localisation " dans " la ville ou " dans " le territoire périurbain, mais ne considère pas les fonctionnalités de l’agriculture au regard de la ville29. » Christine Aubry, docteur en agronomie spécialiste de l’agriculture urbaine, ne définit pas la discipline par sa localisation, mais précise dans sa définition une interaction avec la ville de l’agriculture urbaine dans sa multifonctionnalité : Est désigné par le terme « agriculture urbaine » des formes variées d’agriculture localisées en ville ou a la périphérie des villes, dont les produits agricoles et les services annexes qu’elles fournissent sont en majeur partie à destination des villes, et qui utilisent des ressources (foncières, de main d’oeuvre, d’eau, de capital, etc.) qui peuvent faire l’objet de concurrences mais aussi de complémentarité avec des usages urbains. Ainsi, c’est moins la localisation précise faisant écho à la variabilité de la notion et donc des limites de la ville selon les contextes que le fait que cette agriculture se fasse pour et avec la ville qui définit ainsi son caractère « urbain ». Cette agriculture « urbaine » est dès lors très diversifiée dans ses formes entre pays, villes et contextes mais aussi en leur sein : elle peut occuper des champs périurbains, avec des systèmes de production variés, s’infiltrer dans les interstices urbains, sur le bâti. Une caractéristique toujours mise en avant est sa multifonctionnalité.30
26 MOUSTIER P., FALL A. S., « Les dynamiques de l’agriculture urbaine : caractérisation et évaluation, in SMITH O. B., MOUSTIER P., MOUGEOT L. J. A., FALL A. (dir), Développement durable de l’agriculture urbaine en Afrique francophone – Enjeux, concepts et méthodes, Montpellier, CIRAD, 2004, p. 23-43 27 BA A., AUBRY Ch., « Diversité et durabilité de l’agriculture urbaine : une nécessaire adaptation des concepts ? », Norois n° 221, 2011, p. 11-24 28 Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture, « Questions relatives à l’agriculture urbaine », Focus, 29 janvier 1999. 29 NAHMIAS P., LE CARO, Y., « Pour une définition de l’agriculture urbaine : réciprocité fonctionnelle et diversité des formes spatiales », Environnement Urbain, 16 septembre 2012 30 AUBRY, Christine, « L’agriculture urbaine, contributrice des stratégies alimentaires des mégapoles ? », In : THEVENOT, Daniel, 24èmes Journées Scientifiques de l’Environnement - La transition écologique des mégapoles, février 2013, Créteil
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Figure 6 : SchÊma montrant la diversitÊ des formes de l’agriculture urbaine
b. Une agriculture multifonctionnelle interdépendante de la ville
La multifonctionnalité évoquée par Christine Aubry dans sa définition est souvent mise en avant lorsque l’on parle d’agriculture urbaine, et c’est sur le rapport de complémentarité avec la ville qu’entretient la pratique que l’on peut s’appuyer pour définir plus précisément cette dernière. En effet, l’observation de l’agriculture en ville montre clairement que celleci dépasse la seule pratique agricole dans un but nourricier. Il s’agit d’un concept englobé dans l’écosystème urbain, s’appuyant sur une complémentarité entre usages agricoles et non-agricoles, et l’interdépendance des flux de ressources et de produits entre l’activité agricole et la ville qui l’accueille31. Nahmias et Le Caro vont dans ce sens quand ils donnent la définition suivante de l’agriculture urbaine :
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« L’agriculture pratiquée est vécue dans une agglomération par des agriculteurs et des habitants aux échelles de la vie quotidienne et du territoire d’application de la régulation urbaine. Dans cet espace, les agricultures – professionnelles ou non, orientées vers les circuits longs, les circuits courts, ou l’autoconsommation – entretiennent des liens fonctionnels réciproques avec la ville (alimentation, paysage, récréation, écologie) donnant lieu à une diversité de formes agri-urbaines observables dans le ou les noyaux urbains, les quartiers périphériques, la frange urbaine et l’espace périurbain32. »
Ainsi, comme l’exprime Eric Duchemin, directeur scientifique du Laboratoire sur l’Agriculture Urbaine, l’agriculture urbaine est un mouvement social urbain majeur qui intervient sur l’espace urbain et se réapproprie ce dernier 33. Elle revendique un grand nombre d’actions sur la ville. Amélioration de l’environnement urbain, lutte contre les îlots de chaleur, préservation de la biodiversité, gestion des déchets organiques urbains, gestion de l’eau sont autant d’arguments que la discipline revendique pour mettre en avant son action pour un environnement urbain plus viable. En outre, l’agriculture urbaine défend son influence positive sur la vie sociale, la santé et l’éducation. Elle est « foncièrement multifonctionnelle des par ses activités et ses formes34. » Dans ce sens, définir l’agriculture urbaine comme une pratique de la culture maraîchère en ville ignore le fait que la majorité des projets d’agriculture urbaine qui fleurissent dans les villes du nord aujourd’hui ont une vocation sociale et mettent de côté l’idée de productivité en vue d’une production agricole économiquement viable. Ainsi, loin de se limiter à sa fonction nourricière, l’agriculture urbaine incarne un large champ d’action dans les domaines de l’environnement, l’économie, la sécurité alimentaire, la santé, le loisir, l’éducation, la pédagogie, et dans les interactions sociales35.
31 MOUGEOT, Luc J.A., « Urban Agriculture : definition, potentials and risks », International Development Research Centre, n°1, 2000, p. 42 32 Op. Cit. NAHMIAS, LE CARO, p. 14 33 DUCHEMIN, Eric, « Agriculture urbaine : quelle définition ? Une actualisation nécéssaire ? », Agriurbain, 14 décembre 2012. 34 Ibid. 35 DUCHEMIN, Eric, WEGMULLER, Fabien, LEGAULT, Anne-Marie, « Agriculture urbaine : un outil multidimensionnel pour le développement des quartiers », [VertigO] La revue électronique en sciences de l’environnement, 2010, 10 p.
17 Figure 7 : Les sphères d’action de l’agriculture urbaine
Se revendiquant largement bénéfique pour la ville, l’agriculture urbaine profite en contrepartie de la dynamique que celle-ci a à offrir, créant une relation d’interdépendance. Tout d’abord, la discipline tire parti de la densité humaine présente en ville, qui favorise la vente directe de la production et propose une clientèle désireuse de produits à forte valeur ajoutée. De plus, la démographie des grandes villes offre un potentiel de mobilisation citoyenne important, condition sine qua non du bon fonctionnement d’une agriculture urbaine qui repose largement sur la dynamique du monde associatif et sur les initiatives citoyennes. D’autre part, la discipline tire largement parti des économies de ressources et d’énergie que la condition urbaine permet. En effet, le phénomène d’îlot de chaleur urbain que la végétalisation des villes combat, présente néanmoins un avantage. Sur la ville de Paris, on observe des températures en moyenne plus élevées de 4 à 5°C dans le centre minéral par rapport à la périphérie plus rurale36. Ce microclimat urbain que l’on retrouve dans le centre des villes réduit par exemple le nombre de jours de gel pendant l’hiver, réduisant le risque de destruction des cultures. De plus, cette chaleur supplémentaire, additionnée à l’émission de chaleur des activités humaines, peut contribuer à réduire les coûts en chauffage des serres, augmentant ainsi les rendements. La présence des réseaux d’alimentation en eaux, ainsi que le grand nombre de toitures permettant la récupération des eaux de pluie représentent également un grand avantage à l’installation de l’agriculture en ville, qui peut ainsi profiter de l’ensemble de ces réseaux à moindre coût.
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CANTAT, Olivier, « L’îlot de chaleur urbain parisien selon les types de temps », Norois, février 2004.
À cela s’ajoute la richesse que constitue la grande quantité de déchets organiques produits en ville, exploitables grâce aux systèmes de tri des déchets déjà en place. Ces déchets s’avèrent être autant de compost utilisable pour les cultures, nouvelle source d’économies. En conséquence de la façon dont l’agriculture urbaine peut tirer parti de la ville, et réciproquement, celle-ci trouve sa légitimité dans son intégration dans un système de fonctionnement et d’économie circulaire. Elle s’intègre ainsi dans une dynamique urbaine à la recherche de durabilité.
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Figure 8 : Exemple de principe d’intégration d’une ferme urbaine dans un système circulaire en ville par le collectif Babylone
L’agriculture urbaine se démarque donc par la multiplicité de ses formes et de ses fonctions, mais c’est également par le profil de ceux qui la pratiquent, les agriculteurs urbains, que la discipline trouve sa particularité. En effet, selon l’agence a’Urba, ces derniers se démarquent de l’activité agricole conventionnelle par le fait que la plupart d’entre eux n’est pas issue de familles d’agriculteurs et n’ont souvent pas de qualification particulière dans la discipline agricole37. Ils sont issus de milieux socio-professionnels très divers, que ce soit horticulteur/trice, designer, ingénieur(e), paysagiste ou encore développeur. Il s’agit d’acteurs issus de la ville, qui se forment au fur et à mesure du développement des projets. L’agence parle ici de « pionniers », face à des difficultés techniques et commerciales souvent méconnues, ainsi qu’une opinion publique, des acteurs financiers et institutionnels encore à sensibiliser.
37 URI, Camille, L’agriculture Urbaine à Bordeaux, panorama des projets exemplaires et premiers éléments de stratégie : Proposition de sites sur la ville de Bordeaux, Bordeaux, a’Urba agence d’urbanisme Bordeaux Métropole Aquitaine, 2016, 110 p.
c. Une discipline reconnue par les politiques urbaines
L’agriculture urbaine connaît dès les années 1990 une reconnaissance de la part des politiques urbaines à travers le monde en vertu des bienfaits que ces dernières lui reconnaissent vis-à-vis de la métropolisation. À l’échelle internationale, en 1992, la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) à Rio de Janeiro est à l’origine de l’attention croissante accordée à l’agriculture urbaine estime Luc Mougeot38. En janvier 1999, L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) évoque « l’importance de l’agriculture urbaine et périurbaine, ainsi que l’espérance qu’elle fait naître » lors d’un comité de l’agriculture39. L’Union Européenne s’est également positionnée en faveur de la prise en compte de la pratique de l’agriculture en ville dans la planification urbaine. Dans ce sens, le Pacte d’Amsterdam40 concernant l’agenda urbain de l’union européenne, publié en 2016, a dans ses objectifs la mise en place de l’agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable41. Celui-ci souligne le fait que les villes doivent être pensées de façon plus durable, ainsi qu’en atteste son 11ème point : « Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables ». Dans ce cadre, le Parlement Européen s’est positionné dans la promotion de l’agriculture urbaine lorsqu’il prend une résolution en avril 2017 dans laquelle il invite les États membres à encourager cette dernière42. En atteste le paragraphe 19 de cette résolution dans laquelle il « demande aux États membres, compte tenu, d’une part, de l’accès limité aux terres agricoles dans les zones rurales et, d’autre part, de l’intérêt croissant suscité par l’agriculture urbaine et périurbaine, d’instaurer des mesures d’incitation pour le développement de fermes urbaines ainsi que d’autres formes d’agriculture participative et de partage des terres ». Il est cependant important de préciser que si le Parlement Européen encourage ici les États membres à favoriser l’accès à l’agriculture, notamment avec une aide prévue par la Politique Agricole Commune (PAC) à destination des jeunes agriculteurs en milieu rural, aucune aide financière n’est prévue de la part de la PAC à destination des agriculteurs urbains. Néanmoins, l’Union Européenne soutient ces derniers par l’intermédiaire de programmes de recherches, à l’instar du programme COST Urban Agriculture Europe initié en 2012, ou encore du projet Resource-efficient urban agriculture for multiple benefits – contribution to the EU-China urbanisation Partnership, promouvant la coopération en terme d’échanges et de bonnes pratiques entre l’Union Européenne et la Chine.
38 L’agriculture urbaine ou cultiver les aliments en ville, In : Centre de Recherches pour le Développement International, CRDI [en ligne], 25 janvier 2012 39 FAO, « Agriculture urbaine et périurbaine », Comité d’agriculture – Quinzième session, 29 janvier 1999 40 Conseil de l’Union Européenne, « Pacte d’Amsterdam », 2016 41 Les objectifs de développement durable de l’ONU sont consultables sur le site de l’organisation. URL : https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/ 42 Résolution du Parlement européen du 27 avril 2017 sur l’état des lieux de la concentration agricole dans l’Union européenne: comment faciliter l’accès des agriculteurs aux terres, In : Parlement Européen, Parlement européen [en ligne], mis à jour le 08/12/2017 43 International Urban Food Network, « Le pacte de Milan – Les collectivités Françaises s’engagent pour les systèmes alimentaires territoriaux », 2016
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En parallèle, un grand nombre d’agglomérations européennes, dont Bordeaux Métropole, ont signé le Pacte de Politique Alimentaire Urbaine de Milan43 en 2015. Celui-ci, dont la Commission Européenne et Le Comité Européen des Régions ont participé à l’élaboration en tant que membres du groupe consultatif, reconnaît que « les villes ont un rôle crucial à jouer dans le développement de systèmes alimentaires durables et dans la promotion de régimes alimentaires sains », et les encourage à renforcer la production alimentaire à l’intérieur et à la périphérie des villes. Ce pacte constitue un engagement à développer des outils de gouvernance et des actions spécifiques dans l’objectif de constituer un système alimentaire local. Animée par L’International Urban Food Network (IUFN), la démarche vise à constituer un Conseil consultatif de gouvernance alimentaire porté par les élus. Ce dernier a pour objectif la mise en réseau de tous les acteurs du système alimentaire en vue de développer une politique alimentaire locale, dont l’agriculture urbaine fait partie. L’adhésion de Bordeaux Métropole à ce Pacte de Milan44 s’inscrit dans une série d’engagements politiques de la part de l’agglomération dans le sens du développement de l’agriculture urbaine. En effet, l’Agenda 21 adopté par la Communauté Urbaine de Bordeaux (CUB) en 2008 fait mention de l’agriculture urbaine par deux fois sur les 42 actions entreprises. La première dans le cadre de l’action 6, « Introduire de manière plus importante des produits bio, des produits de saison et issus de circuits courts dans la restauration collective de La Cub », dans laquelle l’agriculture urbaine peut jouer un rôle, mais il ne s’agit pas là d’une action concrète entreprise directement en sa faveur. La deuxième mention intervient quant à elle au niveau de l’action 21, « Mettre en place une politique de soutien de l’agriculture », dans laquelle il est prévue de « mettre en place des actions de veille foncière, de préemption et de protection de l’agriculture urbaine ». Cette action allant clairement dans la défense et la préservation d’espaces en vue du développement de l’agriculture urbaine n’est cependant pas chiffrée et ne se voit pas de budget alloué. En 2016 est publié un rapport détaillé sur l’agriculture urbaine de l’agence d’urbanisme a’Urba. Cette même année, le Plan d’Aménagement et de Développement Durable (PADD)45 incorpore pour la première fois dans son paragraphe 2.2.2 « Offrir les conditions de maintien d’une agriculture urbaine » l’idée d’un engagement des instances publiques en faveur de la discipline dans un document d’urbanisme. Enfin, la majorité en place à la mairie de Bordeaux a fait part de son engagement dans le développement de l’agriculture urbaine lors du conseil municipal du 6 mars 2017, en communiquant dix actions que la municipalité souhaite mettre en place46 :
1) Développer une activité agricole horticole et maraîchère sur une partie du centre de cultures horticoles du Haillan. 2) Augmenter les surfaces dédiées à une activité agricole d’élevage sur le nord du territoire bordelais 3) Etudier l’opportunité de développer l’agriculture urbaine sur le secteur de la Jallère. 4) Poursuivre le développement des jardins collectifs dans les quartiers. 5) Développer la permaculture et le recyclage des matières organiques sur la Ville. 6) Favoriser les productions collectives ou non partout en ville. 7) Initier un projet de partage intergénérationnel de jardins. 8) Poursuivre et développer la distribution de semences de variétés locales. 9) Renforcer la présence d’insectes pollinisateurs et auxiliaires sauvages. 10) Accompagner les changements de comportement.
44 Communauté Urbaine de Bordeaux, « Agenda 21 de la Communauté Urbaine de Bordeaux, vers une agglomération durable », 2012. 45 Communauté Urbaine de Bordeaux, « Plan d’Aménagement et de Développement Durable », 2016. 46 Le compte rendu du conseil municipal est consultable sur le site de la mairie
Il est intéressant de se pencher ici sur la chronologie. On constate que bien que les Nations Unies reconnaissent et encouragent l’agriculture urbaine depuis le début des années 1990, mettant en avant sa pratique de plus en plus répandue dans les métropoles, ce n’est qu’à partir des années 2010 que la métropole bordelaise se positionne en faveur du développement de celle-ci. Il est également à noter que Bordeaux Métropole n’est pas membre du réseau « Terres en Villes », regroupement national de territoires engagés dans la recherche d’un aménagement et d’un développement durable équilibré, qui œuvre depuis sa naissance le 15 juin 2000 en faveur de l’agriculture urbaine, et dont la plupart des grandes agglomérations françaises font partie.
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PARTIE II
L’AGRICULTURE URBAINE CONFRONTÉE AU CONTEXTE BORDELAIS
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L’agriculture urbaine dans les pays du Nord est un sujet d’actualité que les politiques, à toutes les échelles, se sont approprié pour sa faculté à répondre en partie aux problématiques métropolitaines d’aujourd’hui et de demain. Intimement liée aux hommes, au climat, au paysage, elle est profondément ancrée dans le contexte géographique et politique dans lequel elle se développe. Pouvant revêtir de nombreuses formes, elle s’adapte aux richesses et aux contraintes locales. Elle est une discipline différenciée. Bordeaux Métropole, en tant que métropole française en plein développement qui entre dans le jeu de concurrence au niveau national et mondial, a aussi ses particularismes. Au delà des prises de positions en faveur de l’agriculture urbaine, nous allons désormais nous intéresser à ce qui fait la particularité du contexte bordelais vis-à-vis de sa pratique.
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1. UNE CONCORDANCE POLITIQUE ET CITOYENNE
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a. 55 000 hectares pour la nature : le vivant au cœur du projet urbain bordelais
L’intérêt revendiqué par les politiques métropolitaines bordelaises pour l’agriculture urbaine, mis en avant par les engagements pris au niveau national et européen, s’inscrit dans une démarche locale plus générale cherchant à donner une part intégrante à la nature dans le projet urbain. C’est l’idée que défend le projet « 55 000 hectares pour la nature » initié en 2012 par la Communauté Urbaine de Bordeaux (CUB), devenue Bordeaux Métropole en 2015. Nommé ainsi en référence à la surface totale de la métropole, il constitue le pendant de la démarche « 50 000 logements autour des axes de transports collectifs », mettant en avant le désir de la collectivité de trouver un équilibre entre urbanisation et préservation du patrimoine naturel. Il s’agit ici de « dépasser l’antagonisme ville-nature47 », afin de « renverser la tendance actuelle d’étalement urbain, [et] d’utiliser les valeurs de la nature comme base de projets.48 » D’après Vincent Feltesse, président de la CUB de 2007 à 2014, cette initiative constitue la première tentative d’une métropole d’envisager son projet urbain dans une démarche intégrant pleinement la nature et l’ensemble des fonctions qu’elle peut y remplir49. Le patrimoine naturel représente en surface la moitié des 55 000 hectares que représente Bordeaux Métropole. L’objectif de l’opération est d’analyser et de dresser un état des lieux de ce patrimoine, afin de pouvoir proposer des outils de préservation, de mise en valeur et d’intégration de celui-ci dans les dynamiques urbaines. Pour se faire, cinq thématiques, correspondant chacune à une problématique du territoire, ont été affectées à quatre équipes différentes. Ces cinq thématiques étaient « Nature et ville dense » attribué à Be Citizen, « Grands territoires et Nature » et « Zones humides » à l’Agence Ter, « Trames vertes et bleues » au Bureau Bas Smets, et enfin « Friches et espaces en mutation » à Coloco-ADH. Les équipes se sont vues demander de formuler des intentions de projet sur 15 sites laboratoires définis par Bordeaux Métropole en concertation avec les communes. L’approche proposée ici ne se penche en revanche pas sur la question de la réintroduction du patrimoine naturel dans les zones densément urbanisées, ainsi qu’en atteste la carte indiquant les sites laboratoires retenus pour le projet (figure 9). Bien que l’agriculture urbaine ne soit que peu mentionnée dans le rapport final de l’opération, elle s’intègre parfaitement et peut constituer un outil pertinent dans cette démarche où « le rôle de la nature dans une agglomération est [...] appréhendé, aussi bien dans ses fonction sociale (loisir, cadre de vie), qu’économique (agriculture urbaine, tourisme vert) ou environnementale (biodiversité)50. » En effet, bien que l’on notera qu’elle est réduite ici à sa fonction économique - qui, nous le verrons plus tard, est probablement la moins développée de ses multiples facettes au niveau de Bordeaux Métropole -, l’agriculture urbaine est susceptible, ainsi que nous l’avons développé plus tôt, d’embrasser l’ensemble des fonctions prêtées à la nature dans ce rapport. L’agence BAS SMETS appuie sur le rôle que peut jouer l’agriculture urbaine dans la préservation et le renforcement de continuités écologiques dans le cadre des trames vertes et bleues51. En parallèle, l’équipe Coloco-ADH imagine des « potagers de poche » afin de valoriser et d’intervenir sur les espaces urbains en transition52. L’agriculture urbaine présente des réponses à chacune des cinq problématiques abordées dans la démarche. C’est éga-
47 Bordeaux Métropole, a’urba, 55 000 hectares pour la nature – synthèse de la démarche, Atelier de reprographie de Bordeaux Métropole, 2016, p. 9 48 Ibid. 49 FELTESSE, Vincent, « Edito », Journal de la CUB n°20, 3e trimestre 2012 50 Op. Cit. Bordeaux Métropole, a’urba, p. 9 51 Ibid. p. 40 52 Ibid. p. 52
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Figure 9 : Carte des sites laboratoires pour les 55 000 hectares pour la nature
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lement le cas du projet de l’agence BeCitizen dans le lot 1, qui développe l’idée d’implanter en ville des pépinières locales sur l’espace public, qui permettraient de répondre à des enjeux économiques par le développement de filières courtes, et écologiques par la promotion d’espèces locales. Proposant une activité économique sur des espaces publics, l’initiative permettrait de créer un plus-value paysagère, tout en se protégeant de la pression foncière propre à la métropole. L’ensemble des équipes ayant participé au projet, appuient sur l’importance que la mise en lien entre les différents acteurs de la Métropole revêt, afin de pouvoir préserver et valoriser efficacement la patrimoine naturel. Sophie Nicolas, membre de l’agence BeCitizen, appuie tout particulièrement sur le rôle que les instances publiques métropolitaines ont à jouer dans ce cadre : « Il est important aujourd’hui de repenser le rôle même de l’acteur public Bordeaux Métropole. C’est peut-être un acteur règlementaire, c’est peut-être un acteur interventionniste en terme de maîtrise d’ouvrage, mais c’est peut-être aussi un acteur animateur de réseaux d’acteurs internes à son territoire, internes à son administration, mais aussi externes, et d’essayer d’élargir au maximum les acteurs impliqués53. » Elle souligne en effet qu’il est important que les services en charge de la nature et ceux du développement économique échangent, car selon elle l’expérience du projet « a révélé une méconnaissance mutuelle des deux secteurs, chacun voyant chez l’autre un petit diable54. » La conclusion de ce rapport appuie sur l’importance d’un travail de concert de l’ensemble des acteurs, en mettant en place des dispositifs de participation des habitants, à l’image de la proposition de mise en place d’une plateforme numérique participative proposée par BeCitizen. Celleci aurait pour but de mettre en réseau les acteurs publics et privés, grâce à une implication importante de la collectivité qui organiserait, par exemple, des appels à projets nature au niveau métropolitain. L’ensemble des propositions mettent en avant le rôle central que la Métropole doit jouer dans la prise en compte du patrimoine naturel dans le projet urbain, en soulignant les axes prioritaires sur lesquels asseoir la gouvernance : « cadre de référence et diffusion d’une culture commune (comme la Charte de la nature métropolitaine de l’Agence Ter), accompagnement et suivi des projets via labellisation, recours aux financements alternatifs, formations des acteurs de l’aménagement et sensibilisation du grand public55. » Quatre ans après le rendu des travaux des quatre équipes, on constate néanmoins une absence de suivi des préconisations qui y sont faites et des démarches qui y sont initiées. En 2016, Sophie Nicolas le déplore et parle d’un « sentiment de frustration du fait que les projets [qu’elle avait porté] ne pouvaient pas tous être poursuivis à l’issue du marché56. » C’est également le cas du Bureau Bas Smets qui avait « proposé de prendre pour site d’intervention l’une [des] jalles, mais il n’y a pas eu de suite sur le terrain pour le moment. », et qui « regrette un peu de na pas encore avoir pu intervenir sur le terrain-même à Bordeaux57. » En effet, la boîte à outil constituée à l’occasion du projet ne semble pas être utilisée et trouver de suite, à l’image de la plateforme numérique collaborative sensée donner du liant à la prise en compte de la nature dans le projet urbain, quand bien même le rapport de Bordeaux Métropole se termine en soulignant qu’il « importe dorénavant de prioriser les outils et méthodes proposés et de les mettre en œuvre58. »
53 54 55 56 57 58
Des 55 000 hectares au projet urbain métropolitain (Antoine Chaput), 2017, We Want Art !, 8 mn Op. Cit. Bordeaux Métropole, a’urba, p. 24 Ibid. p. 62 Ibid. p. 24 Ibid. p. 46 Ibid. p. 62
27 Figure 10 : Carte de « l’indice potentiel nature » par l’agence Coloco
Figure 11 : Schéma de proposition de gestion partagées des rues résidentielles par l’agence Be Citizen
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b. Une politique d’accompagnement de projets
La communication effectuée par les pouvoirs publics, que ce soit au niveau de la ville de Bordeaux ou de la Métropole, comme nous l’avons vu plus haut, se pose très favorablement dans le sens du développement de l’agriculture urbaine sur le territoire métropolitain. Cette prise de position se fait au nom de la multifonctionnalité de l’agriculture en ville. Cependant, le bilan du projet « 55 000 hectares pour la nature » nous a montré que les actions concrètes menées par les pouvoirs publics n’étaient pas toujours à la hauteur des positions prises. Au delà des annonces, nous allons maintenant nous pencher sur les moyens, qu’ils soient humains, matériels ou financiers, mis en œuvre afin de réaliser ou d’aider à la mise en place de projets d’agriculture dans l’espace urbain métropolitain. Dans les faits, l’engagement des pouvoirs publiques de la métropole se traduit par un soutien porté au monde associatif sur lequel repose grandement l’agriculture urbaine bordelaise. À défaut d’être initiatrice de projet, la ville de Bordeaux qui encourage et encadre la création de jardins partagés, en est un exemple. En effet, cette dernière à mis en place un Charte des jardins partagés qu’elle définit comme « des jardins de proximité crées à l’initiative d’habitants qui souhaitent se retrouver pour jardiner ensemble, partager des moments de convivialité et échanger des savoir-faire ». Cette charte vise à harmoniser la création et le fonctionnement de ces jardins qui sont, par nature, tous différents. Elle comprend un volet social, encourageant l’implication des habitants et la mixité sociale, ainsi qu’un volet environnemental prônant des méthodes de jardinage écologiques et durables. Il est à noter que la dimension alimentaire n’est pas mentionnée ici, mettant au second plan cette fonction de l’agriculture urbaine au profit des deux stipulées dans la charte. Pour ce qui est de la logistique, la ville s’engage à mettre à disposition des terrains publics par la mise en place de conventions, propose son aide à la préparation desdits terrains par la fourniture en terre, en plantes et en eau, et enfin se met à disposition pour accompagner la vie et le fonctionnement des projets. La même démarche d’accompagnement de projets s’opère au niveau métropolitain. En effet, Bordeaux Métropole propose un accompagnement de jardins collectifs aux formes variées, « parcelle commune que les habitants cultivent ensemble (potagers ou vergers coopératifs), groupe de jardins familiaux, jardins de quartier, espaces publics jardinés (parc, rue, pied d’immeuble...)59. » Dans ce but, la Métropole a mis en place un partenariat avec trois associations, chacune se voyant attitrer une aire du territoire métropolitain comme périmètre d’intervention. Il s’agit des associations Place aux jardins, Le Bocal Local, et Les Possibilistes. Ce dispositif a pour but d’accompagner les acteurs quels qu’ils soient, habitants, municipalités, bailleurs sociaux, sur une durée de deux ans tout au long de la création des projets. On constate donc ici que les actions concrètes engagées par les pouvoirs publics en faveur de l’agriculture urbaine sur Bordeaux Métropole consistent en l’accompagnement de projets grâce à une aide logistique d’une part, et en la mise en relation entre les porteurs de projets et le monde associatif compétent d’autre part. On peut également noter la présence d’une réflexion autour de l’agriculture urbaine lors de l’édition 2017 de la biennale d’architecture AGORA ; ou encore l’existence de petites initiatives à l’image de l’opération « Adoptez 2 poules » promouvant le compostage à domicile. (IMAGE) Bien qu’ils ne soient pas jusqu’ici à l’initiative de projets d’envergure à l’échelle de la Métropole, les pouvoirs
59 Jardin collectif : La Métropole vous accompagne, In : Bordeaux Métropole, Bordeaux Métropole [en ligne], mis à jour le 11/09/2017
publics se tiennent à leur rôle de soutien annoncé dans le PADD. On notera cependant l’absence d’une démarche et d’une vision globalisante pour l’agriculture urbaine bordelaise portée par des pouvoirs publics qui endosseraient le rôle d’animateur que préconisaient les lauréats du projet 55 hectares pour la nature.
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Figure 12 : Carte montrant la répartition des zones d’interventions des collectifs chargés d’accompagner la création de jardins collectifs sur Bordeaux Métropole
c. Une agriculture urbaine bordelaise qui repose sur le monde associatif
Nous avons vu que Bordeaux Métropole a développé des partenariats avec trois collectifs pour l’accompagnement et le développement des jardins collectifs. Loin d’être les seuls garants de la pratique à Bordeaux aujourd’hui, l’agriculture urbaine bordelaise est largement portée par le monde associatif. L’agriculture urbaine à Bordeaux s’avère être un mouvement ascendant, dont les habitant sont les initiateurs et le moteur. En effet, un grand nombre d’associations, correspondant souvent à un jardin collectif ou un potager urbain, jalonnent le territoire métropolitain. De nombreux potagers urbains ou jardins partagés sont animés par des associations à l’instar de Les Jardins d’Aujourd’hui, Friche & Cheap, 5 de cœur, Village St Seurin, Ateliers bains Douches, Esprit de quartier, Yakafacon, Cap Carreire, l’Epicerie solidaire, … Souvent très différents dans leur taille, dans leur contexte géographique ou dans leurs méthodes de production, ces jardins se retrouvent tous autour des mêmes valeurs tournées sur le partage, l’écologie et le développement durable. Bon nombre d’entre eux s’articulent autours de structures sociales, à l’instar des Centre Communaux d’Action Sociale (CCAS). À la recherche de mixité sociale, la plupart ouverts à tous, ils se caractérisent par la valorisation de méthodes de production respectueuses de l’environnement en milieu urbain.
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L’un des lieux les plus importants de la Métropole concernant cette relocalisation des productions agricoles en ville est la ZAUE (Zone d’Agriculture Urbaine Expérimentale) lancée par le fond de dotation DARWIN. Se situant dans une logique « low-tech », la ZAUE se présente comme un laboratoire d’expérimentations de nouvelles formes d’agriculture en zone urbaine dense. Elle accueille plusieurs associations à l’instar de BIAPI « Ferme Niel » développant un jardin potager en permaculture, BIZ BIZ ECO qui exploite des ruches, ou encore POUPOULE qui promeut l’installation de poulaillers en ville. Elle développe également des initiatives novatrices comme l’aquaponie. Enfin elle était, avec le RES’A.U., à l’origine des « journées de l’agriculture urbaine » à Bordeaux ayant eu lieu en juin 2015 et en juillet 2016. Le RES’A.U. (Réseau d’agriculture Urbaine) est, quant à lui, un collectif ayant pour but d’informer sur l’actualité de l’agriculture urbaine sur Bordeaux Métropole. Il a également comme objectif de recenser toutes les initiatives présentes sur le territoire, et de les cartographier afin de mettre en lien les différents acteurs et favoriser les échanges et le partage des ressources et des savoir-faire. Il s’agit ici d’envisager l’agriculture urbaine bordelaise de façon globale et non pas comme une multitude de projets indépendants. L’objectif est donc de valoriser la dimension agricole dans le projet urbain. Pour cela, différents outils sont proposés à l’image de cartes recensant les jardins partagés, les ruchers, le réseau de circuit-courts, ou encore les maitres composteurs (professionnels spécialisés dans la pratique du compostage). Le site du RES’A.U. Propose également des outils pédagogiques sur les différentes méthodes de culture en ville, que ce soit pour les jardins, la culture hors-sol, ou bien les poulaillers. Enfin, il est important de souligner la présence de l’association Les Incroyables Comestibles à Bordeaux, véritable phénomène mondial de pratique d’agriculture en ville. Il s’agit d’un mouvement mondial d’innovation sociale né en 2008 à Todmorden, une petite ville du nord-ouest de l’Angleterre. Leur objectif est d’utiliser l’espace public afin d’y réaliser des cultures nourricières exploitables et consommables par tout le monde, dans une démarche d’autonomie alimentaire saine, sociale et durable. Il s’agit d’imaginer la ville comme
Jardins partagés Jardins collectifs Jardins familiaux Fermes urbaines
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Figure 13 : Carte recensant l’ensemble des projets d’agriculture urbaine ou de plantation en centre-ville portés par des collectifs sur le périmètre de Bordeaux Métrople d’après les données du RES’A.U.
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Figure 14 : Panorma des expÊriences d’agriculture urbaine sur le site de la ZAUE
un immense jardin partagé auquel chacun peut contribuer. Véritable mouvement subversif proposant une nouvelle vision d’un espace public fonctionnel sur lequel les citoyens ont un pouvoir d’action, le mouvement s’étend aujourd’hui, dans 25 pays dans le monde, sur tous les continents, et dans plus de 500 communes en France60. C’est en 2012 que l’antenne bordelaise de l’association voit le jour. Sa démarche paraît particulièrement pertinente dans le contexte bordelais, dans la mesure où l’utilisation de l’espace public semble l’une des rares approches pouvant permettre la pratique de l’agriculture urbaine dans un centre métropolitain sans foncier disponible, point que nous développerons plus bas. Depuis 2018, elle fonctionne autour d’un conseil collégial de sept coprésidents qui se répartissent les tâches et les responsabilités. Deux coprésidentes, Stéphanie et Magali, on accepté de me rencontrer au cours d’un entretien, afin d’en apprendre plus sur les façons de pratiquer l’agriculture urbaine à Bordeaux, le rapport qu’entretient le monde associatif avec les pouvoirs publics, ainsi que la marge de manœuvre dont les porteurs de projets disposent. Sur le territoire Bordelais, sept projets sont actuellement accompagnés par Les Incroyables Comestibles, à Meriadeck, à St Seurin, à St Michel, à Bacalan, à Ginko, à Bordeaux Lac et sur la place Dormoy ; et un nouveau projet est en cours de développement aux Chartrons. On parle ici d’accompagnement, car c’est le rôle que joue l’association, à savoir celui de soutenir et d’aider à la réalisation de projets d’agriculture urbaine sur l’espace public à Bordeaux. Il s’agit pour elle de mobiliser les acteurs, de faire le liens avec les pouvoirs publics, de participer à la mise en place des potagers, et d’aider à la création des associations responsables de ces derniers avant de les laisser voler de leurs propres ailes. Dans les faits, ce sont les habitants eux-mêmes qui sont à l’origine des jardins partagés sur l’espace public, et qui font appel à l’association pour les aider à porter le projet. Ce fut par exemple le cas du jardin des Chartrons, né de la rencontre d’un habitant du quartier et de l’ancienne présidente de l’association. Cette démarche est d’ailleurs une condition de réussite selon Stéphanie qui souligne que lorsqu’ « un projet n’est pas développé par les habitants, il y a un risque d’abandon. Notre objectif c’est vraiment que ce soient les habitants qui soient impliqués et qui décident. » Cet avis est partagé par Magali pour qui il faut « que ça parte des quartiers. Parce-que si on part d’une association, que celle-ci choisit l’espace, choisit comment on s’organise, la mousse prend et c’est chouette, mais une fois que l’association part, tout s’écroule. Alors que là, si ça vient du terrain, si ça vient des personnes du quartier, ça fonctionne. » Les initiatives ne manquent pas, le mouvement et sa philosophie connaissent un réel engouement sur Bordeaux, ainsi que l’avance Magali : « Les Incroyables Comestibles plaît, et on ne peut pas répondre à toutes les demandes de participation. » Cependant, bien que les chantiers participatifs aient du succès et mobilisent du monde, et bien que le mouvement soit très suivi sur les réseaux sociaux (près de deux mille trois cent membres sur la page facebook), l’association déplore de ne compter en son sein que 70 adhérents. Ce nombre « n’est pas suffisant pour avoir du poids devant la collectivité, la métropole. » D’autant plus que seuls les sept coprésidents portent les projets aujourd’hui. L’action de cette association est accompagnée par la municipalité et la métropole. L’idée est « d’avancer ensemble », l’association se refusant toute action subversive ou sans autorisation sur l’espace public, qui pourrait ternir son image. La collectivité se propose de fournir du matériel afin d’aider à la réalisation de potagers. De la terre, du paillage, des outils, des briques, l’action consiste en une aide logistique. Cependant on notera qu’au niveau de la gouvernance, bien que situés sur l’espace public, l’entretien des potagers incombe exclusivement à l’association. Ils représentent pourtant, pour la collectivité, un réel intérêt au regard
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Qui sommes-nous?, In : Les Incroyables Comestibles, Les Incroyables Comestibles [en ligne]
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du rôle social et paysager qu’ils jouent dans l’espace urbain. Les potagers vivent néanmoins bien, entretenus par les associations, et aucun n’est en danger. De plus, ils subissent peu de dégradation mis à part quelques « mégots de cigarette et tessons de bouteilles », qui soulignent le respect que portent les riverains pour l’action menée. Une de leur force est d’être situés sur l’espace public, ils s’émancipent ainsi pour l’instant, de toute pression foncière ou intérêt privé.
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Figure 15 : Photographie du potager de Meriadeck par les Incroyables Comestibles en 2017
2. UN CONTEXTE MÉTROPOLITAIN BORDELAIS CONTRAIGNANT
a. La question du foncier en opposition à l’agriculture urbaine
L’agriculture urbaine bénéficie à bordeaux des avantages propres au contexte métropolitain, du soutien des politiques locales, d’un engouement populaire porté par le monde associatif. Malgré tous ces point favorables à son développement, la pratique de l’agriculture au sein de l’espace urbain bordelais rencontre des écueils propre au contexte local. Comme l’a confié Magali lors de l’entretien, elle estime que « les contraintes que l’on a à Bordeaux ne sont pas les mêmes que dans une petite ville. » Dans un premier temps, la question de l’accès au foncier sur le territoire métropolitain est problématique. Un état des lieux de l’agriculture sur le territoire de la métropole bordelaise effectué par l’agence a’Urba sur la base d’un diagnostic de la Chambre d’agriculture Gironde, montre que l’activité agricole représente 0,4% des emplois et 10% du territoire de Bordeaux Métropole, à savoir 5 500 ha61. Elle se présente principalement sous la forme de cultures de céréales, de prairies et d’exploitations viticoles. Ces activités se situent en grande majorité dans la partie nord du territoire métropolitain, à l’exception de l’activité viticole, qui se démarque par son caractère résiduel et qui subsiste dans un tissu urbain dense, grâce à la renommée de certains châteaux qui leur ont permis de résister à l’urbanisation62. L’étude de l’occupation agricole des sols (figure 16) montre clairement l’absence d’activité agricole dans l’hyper-centre bordelais, voire même dans l’espace intra-rocade. Cette mise à distance de l’activité agricole traditionnelle, nécessitant de l’espace – 56 ha par exploitation en moyenne en France63 - , s’explique par la pression foncière exercée par le centre métropolitain et l’étalement urbain qui en résulte (figure 15).
Figure 16 : Cartes de l’évolution de l’emprise urbaine sur le périmètre du SCoT de l’aire métropolitaine bordelaise
61 URI, Camille, L’agriculture Urbaine à Bordeaux, panorama des projets exemplaires et premiers éléments de stratégie : Proposition de sites sur la ville de Bordeaux, Bordeaux, a’Urba agence d’urbanisme Bordeaux Métropole Aquitaine, 2016, p. 92 62 PÉRES, Stéphanie, « La résistance des espaces viticoles à l’extension urbaine Le cas du vignobles de bordeaux », Revue d’Economie Régionale & Urbaine, janvier 2009, p. 156 63 Les exploitations agricoles françaises, In Ministère de la transition écologique et solidaire, Observation et statistique [en ligne], mis à jour le 06/05/2015
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Figure 17 : Cartes de la répartition des activités agricoles par type sur l’aire métropolitaine bordelaise en 2016 par l’agence a’urba
Une réflexion sur l’agriculture périurbaine bordelaise, menée encore une fois par l’agence a’Urba, montre que les surfaces urbanisées sur le périmètre du SCoT de l’aire métropolitaine bordelaise entre 1999 et 2007 ont augmenté de 2 334 ha, dont 71% sur des surfaces agricoles, soit plus de 2000 ha64. La carte illustrant cette étude montre que le centre métropolitain dans sa totalité est urbanisé à plus de 50% (figure 17). On constate également que les communes connaissant les taux d’urbanisation les plus importants sont celles situées à proximité immédiate de ce centre urbain dense, mettant en avant l’expansion de ce dernier sur sa périphérie, reléguant toujours plus à l’extérieur les espaces potentiellement disponibles pour une activité agricole traditionnelle au profit d’usages à destination urbaine. Quand bien même « ce processus de substitution semble pouvoir être remis en cause dès lors que l’on s’intéresse à la viticulture qui peut générer des rentes foncières supérieures aux terrains agricoles65 », une étude menée dans le cadre du programme de recherche Dynamiques Foncières et Nouvelles Configurations Urbaines révèle qu’entre 2000 et 2005, sur les 8 236 parcelles de vignes dans l’aire urbaine bordelaise, 3 183 - soit 39% - ont été vendues pour être converties en usage résidentiel66. D’après celle-ci, « les effets marginaux absolus des politiques foncières ne sont pas assez importants pour réellement contenir la dynamique urbaine67. » Outre la disparition des sols exploitables pour une activité agricole dans le centre dense de la métropole et l’éloignement toujours plus important de ces derniers, la question du prix du foncier s’avère également être un frein au développement de l’agriculture dans l’aire métropolitaine. Il est important de noter ici qu’au regard du Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, la taille d’une exploitation agricole joue un rôle prépondérant dans sa viabilité, ainsi que l’instauration d’une « surface minimale d’assujettissement » fixée à douze hectares et demi en 2015 en atteste. Cette surface constitue la surface minimale d’exploitation nécéssaire afin de bénéficier du statut d’agriculteur. Elle vise à décourager l’installation d’exploitations de surface moindre. Figure 18 : Cartes de l’évolution des surfaces urbanisées sur la métropole bordelaise entre 1999 et 2007 par l’agence a’urba
64 GONZALEZ ALVAREZ, Antonio, « L’agriculture périurbaine bordelaise : quels demande, offre et potentiel? », a’Urba agence d’urbanisme Bordeaux métropole Aquitaine, janvier 2014, p. 10 65 PÉRES, Stéphanie, « La résistance des espaces viticoles à l’extension urbaine Le cas du vignobles de bordeaux », Revue d’Economie Régionale & Urbaine, janvier 2009, p. 156 66 PÉRES, Stéphanie, GAUSSIER, Nathalie, « La conversion de parcelles viticoles en usage résidentiel : le cas de l’aire urbaine de Bordeaux », La revue canadienne des sciences régionales, vol. 33, septembre 2013, p. 123-136 67 Ibid. p.133
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Ainsi, la pratique d’une activité agricole est soumise à l’acquisition d’un foncier important, dont le prix peut s’avérer alors être une composante essentielle. Or, une étude menée par le constructeur girondin IGC souligne la raréfaction des terrains disponibles et l’explosion du prix de ces derniers sur la métropole bordelaise68. D’après celle-ci, le prix du foncier a globalement doublé, voire plus, sur le territoire de la Métropole depuis 2012. On ne trouve tout simplement plus de foncier disponible dans le centre de cette dernière hormis à Caudéran, où le prix d’un terrain de 350 m2 est passé de 250 000 euros en 2012 à 460 000 euros en 2018, soit une hausse de 90%. De plus, les terrains de superficie importante se raréfiant, leur prix connaît une augmentation plus importante, ce qui constitue un nouvel écueil à l’établissement d’une activité agricole dans le secteur de Bordeaux Métropole. Cette augmentation des prix du foncier accentue le phénomène d’étalement urbain. Le Bordeaux intra-rocade ayant vu ses prix exploser, les terrains accessibles se situent toujours plus loin du centre de la Métropole. La hausse est plus mesurée lorsque l’on s‘éloigne de l’hyper-centre, se situant par exemple à Talence entre 25% et 50%. Elle est également moins importante sur la rive droite, le franchissement de la Garonne constituant une rupture avec le centre à forte pression foncière, malgré les importantes interventions urbaines sur le secteur.
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Figure 19 : Carte de l’évolution du prix du foncier sur l’aire métropolitaine de Bordeaux entre 2012 et 2018 par le constructeur IGC
68 CLOUTET, Phillipe, «Foncier : explosion des prix et pénurie de terrains en Gironde», Aquitaine Online, 26 février 2018
Ces différentes études du comportement de la ressource foncière sur le territoire de Bordeaux Métropole met donc en avant la difficulté d’accès à cette dernière. L’étalement urbain provoque un phénomène de pression foncière. D’une part, il ne reste plus de terrain disponible dans l’hypercentre bordelais, et beaucoup de terrains sont urbanisés lorsque l’on s’en éloigne, souvent au détriment de terres agricoles. D’autre part, la raréfaction des terrains restant a fait exploser le prix de ces derniers dans le secteur de Bordeaux Métropole, les rendant difficilement accessibles. Une carte réalisée par l’agence a’Urba en 2016 s’applique dès lors à dresser un état des lieux des surfaces potentiellement cultivables dans la ville de Bordeaux (Figure 19). Cette dernière met en avant l’ensemble des constats que nous avons établi précédemment, et notamment la saturation du centre de la métropole à l’intérieur des boulevards. Cette situation condamne la pratique de l’agriculture urbaine à trouver des interstices et des modes d’installation nouveaux, lui permettant de s’insérer dans le tissu urbain dense en s’émancipant de la question du foncier. Si bien que la démarche de l’association Les Incroyables Comestibles qui propose l’utilisation de l’espace public semble être l’une des seules solutions possibles pour la pratique de l’agriculture urbaine dans le centre ville de Bordeaux. Cette situation appuie les propos de Mougeot pour qui « ce serait un combat perdu d’avance que de réserver, dans la ville et en périphérie, des zones qui serviraient exclusivement et en permanence à l’AU. C’est tout bonnement impensable, compte tenu de la hausse des valeurs foncières dans les villes en pleine croissance. Qui plus est, cela ne favoriserait pas les interactions que l’agriculture urbaine peut avoir (et devrait avoir pour être fructueuse) avec les multiples autres activités urbaines.69 »
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69 MOUGEOT, Luc J.A., « Cultiver de meilleures villes – Agriculture urbaine et développement durable », un_focus, Ottawa, 2006, p. 78
Figure 20 : Carte recensant les parcelles potentiellement cultivable sur Bordeaux et ses environs en 2016
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b. Des sols pollués inaccessibles
Il est important de noter ici que cette nécessité pour l’agriculture urbaine de s’émanciper du sol, contrairement à l’agriculture traditionnelle qui y est profondément ancrée, est renforcée par la mauvaise qualité de celui-ci sur le territoire métropolitain bordelais. C’est ce que Magali a déclaré lors de l’entretien, estimant que « tout ce qui sera cultivé en ville le sera hors-sol. » Elle prend l’exemple de Meriadeck où les habitants avaient « des envies maraîchères, mais [elle] leur a bien signalé que c’était inenvisageable. » Ce fut également le cas du projet à St Michel, pendant lequel les responsables au niveau métropolitain ont appuyé sur le fait que « l’on ne fait pas de plantation en pleine terre d’arbres fruitiers parce-que les terres sont polluées. » D’après Magali, une études des sols sur Bordeaux devrait être publiée d’ici-peu, et celle-ci « s’annonce mal ». L’agriculture urbaine bordelaise, pour le moins dans le centre urbain, se doit donc d’adapter ses techniques afin de cultiver hors-sol, que ce soit par la culture en bacs, ou encore des techniques comme l’hydroponie ou l’aquaponie. Car la dépollution des sols est possible, mais celle-ci coûte très cher et devient inenvisageable économiquement pour une activité maraîchère en centre ville où le prix du foncier est déjà très élevé.
c. Un contexte administratif contraignant
Au cours de l’entretien accordé par les deux coprésidentes de Les Incroyables Comestibles, ces dernières on appuyé sur la difficulté qu’il existe à intégrer des projets d’agriculture urbaine dans le contexte urbain bordelais. En effet, celui-ci est très exigeant en matière d’urbanisme, avec des quartiers à caractère fort. Si bien que l’une d’elle en est arrivé à se « demander si la ville appartenait vraiment à ses habitants. » D’une part, le contexte métropolitain, avec ses différents niveaux de prise de décision, entre la ville et la métropole, ainsi que les nombreux acteurs publics qui entrent en jeu lorsque l’on veut faire un projet d’agriculture urbaine, rend les démarches administratives très lourdes. Les Incroyables Comestibles se rappellent qu’à leur début, lors de l’élaboration du projet de Meriadeck, l’un des parterres voués à être plantés a posé problème quant à savoir à qui celui-ci appartenait, la ville, la métropole, ou le département, si bien qu’après une longue attente, une convention tripartite a été mise en place. Les nombreux acteurs qui interviennent lorsqu’il s’agit d’utiliser l’espace public rendent les démarches contraignantes, si bien que ça en devient « assez décourageant. » Cette multiplication des acteurs est une problématique qui revient régulièrement lorsqu’il s’agit d’agriculture urbaine. En effet, la multifonctionnalité qui lui est propre rend les intermédiaires nombreux. Agriculture, économie sociale et solidaire, paysage, sont autant de disciplines qui entrent en jeu dans les projets et autant d’autorités compétentes auxquels ces derniers ont à faire. Les démarches et réalisations de projets peuvent s’avérer très longues, et c’est ce que déplorent Les Incroyables Comestibles. Le projet du quartier St Michel en est témoin. En effet, l’idée de ce dernier est apparu au printemps 2017, avec l’espoir des participant de voir la mise en place de potagers pérennes pour le printemps 2018. Cependant, les nombreuses
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contraintes et démarches administratives font que rien de bien établi ne sera envisageable avant le printemps 2019. En attendant, l’association se contente d’installations provisoires, des « big bags », sortes de gros sacs de chantiers dans lesquels ils réalisent des plantations. Deux ans pour la réalisation d’un projet, peut-être plus, un délai trop long pour Les Incroyables Comestibles qui estiment que « les gens vont se démotiver complètement. » Ces derniers avouent d’ailleurs qu’ils « perd[ent] mêmes des gens dans la bataille. »
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d. L’intégration difficile de l’agriculture urbaine dans le projet urbain
Bien que les démarches et les demandes d’autorisations puissent s’avérer nombreuses, Les Incroyables Comestibles trouvent cette situation légitime, estimant que « l’espace public appartient à tout le monde. » Néanmoins, l’association déplore le manque de concertation et de pouvoir dont disposent les habitants dans l’élaboration du projet urbain. Toujours sur le projet St Michel, Stéphanie souligne le manque d’implication des riverains lors de la réfection du quartier. Celle-ci a été « imaginée de manière épurée, avec un minimum de mobilier urbain. » Mais l’association estime que les habitants avaient des envies, notamment en terme d’agriculture urbaine, mais que l’on ne leur a pas demandé « à quoi ils voulaient que la ville ressemble. » Selon elle, il existe un décalage entre les annonces de la collectivité qui estime que les citoyens ne s’impliquent pas assez dans le projet urbain, et le manque de considération dont ces derniers disposent lorsqu’ils veulent agir sur leur cadre de vie. En prenant l’exemple du projet sur la place Dormoy, Les Incroyables Comestibles soulignent que l’implication des habitants dans le projet urbain se réduit à de la concertation. Deux projets avaient été élaborés en amont, puis un vote a été sollicité auprès des riverains pour choisir le lauréat. Mais l’association soutient l’idée que le développement de l’agriculture urbaine ne peut se faire que par le biais d’un travail de concert entre les habitants et la collectivité. « Quitte à faire des travaux, autant les imaginer avec ce que les habitants on mis en place. » Le contexte bordelais connaît également une particularité par son classement au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. En effet, cette distinction qui vient souligner la richesse culturelle et urbaine de la ville s’accompagne d’une protection de cette dernière, ce qui rend le projet urbain plus difficile. « Est-ce que patrimoine de l’UNESCO ça signifie quelque part aussi que la ville n’appartient plus à ses habitants ? », s’interroge Stéphanie de Les Incroyables Comestibles. Cette distinction ajoute des contraintes supplémentaires au développement de l’agriculture urbaine dans le centre bordelais, en faisant appel à de nouveaux acteurs autres que les collectivités, à l’exemple de la nécessité de consulter un Architecte des Bâtiments de France lorsque l’on intervient dans cet espace. Magali déplore que la classification implique qu’elle ne puisse « rien faire » sur le projet du quartier St Seurin, alors que le collectif d’habitants avait « plein d’envies. » L’implication d’acteurs extérieurs pose également la question de la souveraineté dont disposent la ville et la métropole lorsqu’il s’agit d’intervenir dans les projets d’agriculture urbaine. Lors de la réfection du quartier St Michel, plus précisément au niveau de l’église Ste Croix, la métropole n’a pas eu l’autorisation de planter des arbres, précise Stéphanie.
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Figure 21 : Photographie d’une plantation en bac par les Incroyables Comestibles et l’association Yakafaucon place Dormoy. 2018
3. DES OUTILS LIMITÉS POUR LES POUVOIRS PUBLICS
a. Une discipline ignorée par le droit
La difficulté qu’il existe a pratiquer l’agriculture urbaine en milieu urbain dense et les interventions limitées de la part des pouvoirs publics posent la question de la marge de manœuvre dont ces derniers disposent pour encourager le développement de la pratique. Nous avons en effet constaté un décalage entre les nombreuses annonces faites par Bordeaux Métropole et la ville de Bordeaux en faveur de l’agriculture urbaine d’une part, et le peu de dispositifs effectivement mis en place dans ce sens. Si bien qu’il est parfois considéré que les politiques procèdent à un « greenwashing », selon les propos de l’une des coprésidentes de l’association Les Incroyables Comestibles. Littérallement traductible par « blanchiment écologique d’image », le greenwashing « désigne les opérations de communication qui tentent de valoriser des engagements sociaux ou environnementaux en dépit de l’absence d’actions à la hauteur de cette communication70. » Cependant, une étude71 menée par Maylis Desrousseaux, chercheuse à l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique), et Lucile Stahl, titulaire d’un doctorat en droit de l’environnement, met en avant le fait que les pouvoirs publiques ne disposent pas forcément des outils juridiques nécessaires au développement de l’agriculture urbaine.
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Cet article souligne le fait qu’en France, « le concept d’agriculture urbaine n’est pas défini par le droit. Il est un élément factuel qui s’est développé entre les interstices72. » La planification des communes est régie en France, selon l’article L. 123-1 du code de l’urbanisme, par un Plan Local d’Urbanisme (PLU) qui s’appuie sur un plan de zonage établissant des règles propres à chacune des zones au niveau de l’affectation des sols. Or, ces PLU admettent, et c’est aussi le cas pour celui de Bordeaux Métropole, d’une part les « zones urbanisées », ou « à urbaniser », et d’autre part les zones « agricoles », ou « naturelles ». Cette organisation qui s’appuie sur une dichotomie entre le monde urbain et le monde agricole n’admet de fait aucune réunion de ces deux fonctions sur un même espace, ce qui est pourtant le propre de l’agriculture urbaine. Ainsi, cette dernière se voit ignorée par le droit de l’urbanisme qui n’admet qu’une affectation exclusive des sols. D’autre part, se pose la question de la nature de l’agriculture urbaine au regard du droit. En effet, le Code rural et de la pêche admet la définition suivante de l’agriculture : « sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l’exploitation d’un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle, ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l’acte de production ou qui ont pour support l’exploitation73. » Or, à cette définition s’ajoute une jurisprudence stipulant que l’activité doit être exercée en vue d’en tirer un profit, et non pas comme un loisir, afin d’être reconnue comme agricole74. Ainsi au regard du droit français, et notamment à Bordeaux où l’agriculture urbaine s’éloigne de la dimension productrice et rentable au profit d’un rôle social et paysager, la discipline n’est pas reconnue en tant qu’activité agricole. De façon plus large, Maylis Desrousseaux et Lucile Stahl dressent le constat selon lequel « l’agriculture en milieu
70 BENOÎT-MOREAU, F., PARGUEL, B., LARCENEUX, P., « Comment prévenir le greenwashing ? L’influence des éléments d’exécution publicitaire », Etats Généraux du Management, Paris, Octobre 2008 71 DESROUSSEAUX, M., STAHL, L., « L’appréhension de l’agriculture urbaine par le droit français », Géocarrefour, n°89, 2014, p. 65-73 72 Ibid. p. 1 73 Code rural et de la pêche maritime, article L. 311-1 74 Op. Cit. DESROUSSEAUX, STAHL
dense urbain apparaît très largement ignorée par le droit75. » Elles estiment pourtant que la discipline, au vu de l’engouement qu’elle connaît en France, « appelle à un renouveau des fondements ruralistes du droit de l’agriculture, sinon à la reconnaissance de l’agriculture en tant que telle76. »
b. La préservation difficile des sols disponibles
Comme nous l’avons vu, le centre dense de Bordeaux Métropole ne dispose que de très peu de réserves foncières encore libres de construction. Or, afin d’encourager le développement de l’agriculture urbaine, il est primordial de préserver les quelques surfaces encore disponibles. Cependant, les pouvoirs publics ne disposent que de peu d’outils juridiques pour y parvenir. D’une part, la préservation des zones agricoles en milieu urbain dense semble difficile au vu de la jurisprudence. En effet, bien que les PLU admettent des secteurs « à protéger en raison de leur potentiel agronomique, biologique ou économique77 », la jurisprudence de la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui rend légal le classement de deux parcelles en zone agricole en raison de leur emplacement « dans un secteur à dominante rurale et de caractère agricole78 », laisse entendre que cela n’aurait pas été le cas ci ces dernières étaient situées en zone urbaine dense. Ainsi, Maylis Desrousseaux et Lucile Stahl estiment qu’afin de répondre aux nouvelles exigences induites par l’essor de l’agriculture urbaine, le droit de l’urbanisme devrait évoluer afin de « dissocier la zone agricole de son environnement qui pourrait ne plus être exclusivement rural et ce, afin d’intégrer la possibilité de créer des zones « agri-urbaines » entendues comme des îlots non construits comportant une activité agricole79. » Cette difficile préservation de terrains agricoles en milieu urbain dense se voit tout de même nuancée par l’article L. 123-1-5, III, 5° du code de l’urbanisme qui permet aux PLU de « localiser, dans les zones urbaines, les terrains cultivés et les espaces non bâtis nécessaires au maintien des continuités écologiques à protéger et inconstructibles quels que soient les équipement qui, le cas échéant, les desservent. » D’autre part, Le droit de l’urbanisme n’est pas adapté à la préservation des espaces potentiellement propices à l’agriculture urbaine. En effet, celui-ci s’attache au sol, délimitant des zones, et non aux volumes. Or, les espaces résiduels, à l’image des toits et des interstices, avec le développement d’une agriculture verticale, représentent une réserve spatiale non négligeable dans le développement de l’activité. Alors que ces espaces sont amenés à voir naître une concurrence d’usages, notamment avec les jardins d’agrément, la récupération des eaux de pluies, ou la production d’énergie solaire, il semblerait important que le droit envisage la préservation de ces espaces, ne serait-ce qu’au nom « d’un intérêt supérieur tel que la souveraineté alimentaire ou la relocalisation de l’agriculture au bénéfice de l’environnement80. »
75 DESROUSSEAUX, M., STAHL, L., « L’appréhension de l’agriculture urbaine par le droit français », Géocarrefour, n°89, 2014, p. 3 76 Ibid. p. 3 77 Code de l’urbanisme, article R. 123-7 78 Op. Cit. DESROUSSEAUX, STAHL, p. 4 79 Ibid. p. 4 80 Ibid. p. 4-5
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c. Le manque d’outils adaptés à la conquête de nouveaux sols
Le droit Français offre peu de marge de manœuvre quant à la préservation d’espaces destinés à une activité agricole en milieu urbain dense. En outre, les pouvoirs publiques ne semblent pas disposer d’outils adaptés à la conquête de nouveaux sols prévus à cet effet en ville. En effet, dans le monde agricole, l’acquisition de nouveaux espaces s’effectue grâce au droit de préemption des Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural (SAFER). Prévu par les articles L. 143-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime, ce droit permet à la SAFER d’être prioritaire pour l’achat de certains bien mis en vente, qui sont ensuite rétrocédés aux agriculteurs. De fait, le champ d’action de la SAFER quant au droit de préemption semble à priori ne pas pouvoir s’appliquer en ville. En effet, celui-ci s’applique sur des terrains situés « dans un espace naturel et rural », ou dans les périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains81. De plus, il nécessite d’après la jurisprudence que les parcelles aient déjà une vocation agricole, ce qui rend le droit de préemption inefficace pour l’acquisition de terres destinées à être reconverties pour l’agriculture. Ainsi, le droit de préemption de la SAFER permet, au mieux, le rachat par les pouvoirs publics de terres ayant déjà une vocation agricole. Or, ce droit connaît des limites en milieu urbain, car il n’est applicable en Gironde que sur des parcelles d’une superficie minimale de « 25 ares, et 10 ares dans les zones viticoles dans lesquelles les vins produits bénéficient d’une appellation d’origine protégée et dans les zones de montagne82. » On constate ainsi que les instances publiques bordelaises ne disposent pas des outils adaptés à la préservation de sols pour encourager le développement de l’agriculture urbaine sur le territoire de Bordeaux Métropole. Cela rend par exemple inopérant l’article 21 de l’agenda 21 évoqué plus haut, stipulant la volonté de la Métropole de « mettre en place des actions de veille foncière, de préemption et de protection de l’agriculture urbaine83. » Il faudrait pour cela que le droit évolue, en reconnaissant d’une part l’agriculture urbaine et ses spécificités comme activité agricole, et d’autre part en adaptant les outils juridiques de préservation (PLU) et de conquête (SAFER) des sols par les pouvoirs publics. L’épanouissement de l’agriculture urbaine nécessite que le droit prenne en compte le rapport que la discipline entretient avec l’espace, et sa propension à conquérir les interstices ainsi que les espaces résiduels comme les toitures, les balcons, les façades, et dans l’avenir peut-être des immeubles entiers avec la naissance des fermes verticales. Cette idée rejoint la pensée de Pablo Georgieff, membre de l’agence Coloco ayant participé au projet « 55 000 hectares pour la nature » à Bordeaux, et dont l’une des conclusion du travail menait était de dire qu’ « il s’agissait de réfléchir à la façon d’introduire l’enjeu de la qualité biologique dans le PLU, de savoir comment le relier à la problématique fiscale et à la construction. La richesse et la difficulté de la question de la nature est qu’elle n’est pas organisée selon nos règlements administratifs. Elle nécessite l’élaboration d’une stratégie cohérente84. »
81 Code de l’urbanisme, article L. 143-1 82 Décret du 5 septembre 2013 autorisant pour une nouvelle période de cinq années la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural Aquitaine-Atlantique à exercer le droit de préemption et à bénéficier de l’offre amiable avant adjudication volontaire, JO 7 septembre 2013, p. 15126 83 Communauté Urbaine de Bordeaux, Agenda 21, 2008, p. 101 84 Bordeaux Métropole, a’urba, 55 000 hectares pour la nature – synthèse de la démarche, Bordeaux, 2014, p. 58
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CONCLUSION
L’agriculture urbaine a certainement un rôle à jouer dans la métropole de demain.
À l’heure de la métropolisation, la question se pose de la durabilité des villes qui accueillent une partie toujours plus grande de la population mondiale et s’étendent au détriment de surfaces agricoles. D’autre part, la remise en cause de l’agriculture productiviste pousse à s’interroger sur la façon de nourrir ce nombre grandissant de citadins. Or, pour les nombreuses fonctions qu’elle est susceptible de remplir sur les plan économique, social et environnemental, la pratique de la culture nourricière en ville semble pouvoir répondre de façon pertinente à la fois à la question de la qualité de vie urbaine qu’à celle de l’alimentation.
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Bordeaux, en tant que métropole en développement, a affiché son objectif d’atteindre le million d’habitants en 2030. Alors qu’il s’agit de donner une direction au projet urbain afin de définir à quoi ressemblera cette agglomération millionnaire, les politiques locales ont affirmé le désir d’intégrer le patrimoine naturel dans la fabrique de la ville. C’est ce que mettent en avant les initiatives comme l’adoption de l’Agenda 21ou le projet 55 000 hectares pour la nature. Le rapport sur l’agriculture urbaine commandé à l’agence a’Urba et publié en 2016 souligne le souhait d’intégrer la pratique dans cette dynamique. Néanmoins, malgré les intentions affichées, les pouvoirs publics ne se sont pas pleinement saisis de la question, alors que l’importance du rôle que la Métropole a à jouer dans le développement de l’agriculture urbaine a été réaffirmée durant le projet 55 000 hectares pour la nature. La Métropole n’est pas à l’initiative des projets d’agriculture urbaine. Les Incroyables Comestibles déplorent la difficulté qu’il existe à installer de façon pérenne des potagers dans le centre-ville. La Zone d’Agriculture Urbaine Expérimentale (ZAUE), véritable laboratoire de la pratique à Bordeaux, voit son avenir compromis du fait d’un litige avec Bordeaux Métropole Aménagement85. Une planification à l’échelle métropolitaine fait défaut à une agriculture urbaine qui se développe grâce au monde associatif. Dans les faits, le contexte métropolitain présente de nombreux écueils à la prolifération de l’agriculture urbaine. Le foncier manque et est très onéreux, les sols sont pollués, et les pouvoirs publics ne disposent pas des outils nécessaires à la préservation d’espaces pour encourager la pratique. Assez largement ignorée par le droit, la discipline ne dispose que de peux d’outils pour s’installer dans un centre urbain bordelais où la réglementation ne lui est pas adaptée. Il est légitime de se demander alors si l’agriculture urbaine ne souffre pas d’un « problème d’image ». Luc J.A. Mougeot considère qu’« elle est rarement reconnue comme une catégorie viable d’occupation des sols86 ». Dans le contexte Bordelais, l’état des lieux effectué à l’occasion de ce mémoire met en avant que la dimension alimentaire de la pratique
85 WALID, Salem, « Darwin évoque le plan Juppé pour éteindre le conflit avec BMA », Rue89Bordeaux, 2 Mai 2018. 86 MOUGEOT, Luc J.A., « Cultiver de meilleures villes – Agriculture urbaine et développement durable », un_focus, Ottawa, 2006, p. 78
est reléguée au second plan, ses fonctions sociales et environnementales étant privilégiées. Ainsi, l’agriculture urbaine bordelaise s’éloigne de toute considération économique et de rentabilité. Elle souffre de fait de la concurrence d’autres usages quant à l’accès au foncier. C’est dans cette perspective que la démarche des Incroyables Comestibles prend du sens, en s’emparant de l’espace public pour dépasser cette concurrence. Elle vient se resituer dans son champ d’action, celui des interactions sociales, de la pédagogie et de l’échange, légitimant pleinement sa place dans cet espace public. Dans le contexte métropolitain bordelais, l’agriculture urbaine dispose donc des moyens de remplir efficacement son rôle social et environnemental, sous réserve de trouver des moyens de partager l’espace urbain et non pas revendiquer un espace dédié. Au delà de sa reconnaissance, elle nécessite pour cela une implication plus grande de la part de la Métropole en tant que porteuse d’initiatives et animatrice autour de la question. Elle ne répond en revanche pas à la problématique de l’alimentation qui reste entière. « Les bordelais ne vont pas se nourrir avec leur jardins », reconnaissent les Incroyables Comestibles. Elle nécessite pour cela de se situer comme un modèle faisant partie d’un système de production alimentaire global, et ne dispense pas ce dernier d’être repensé de manière durable et respectueuse de l’environnement. L’émergence des fermes urbaines productives, à l’image des fermes verticales théorisées par Dickson Despommier87, représentent pour beaucoup une alternative efficace. Elles restent cependant controversées, car très énergivores, et constituent la négation de la biodiversité par leur caractère entièrement artificialisé88. La question est de savoir ce que l’on attend du vivant, une ressource périssable que l’on exploite pour subvenir à sa faim, ou un terreau fertile sur lequel construire durablement la Métropole de demain.
87 305 p. 88
DESPOMMIER, Dickson, The Vertical Farm : Feeding the World in the 21st century, St Martin’s Press, 2010, Des Cultures et des villes, vers une agriculture urbaine (Jean-Hugues Berrou), 2013, Agro Paritech, 52 mn.
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ANNEXES
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BIBLIOGRAPHIE
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Articles
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Films Des 55 000 hectares au projet urbain métropolitain (Antoine Chaput), 2017, We Want Art !, 8 mn. Des Cultures et des villes, vers une agriculture urbaine (Jean-Hugues Berrou), 2013, Agro Paritech, 52 mn.
Documents officiels Communauté Urbaine de Bordeaux, « Agenda 21 de la Communauté Urbaine de Bordeaux, vers une agglomération durable », 2012. URL : https://issuu.com/lacub/docs/agenda21_2012/48 Communauté Urbaine de Bordeaux, « Plan d’Aménagement et de Développement Durable », 2016. Conseil de l’Union Européenne, « Pacte d’Amsterdam », 2016. URL : http://ec.europa.eu/regional_policy/sources/policy/themes/urban-development/agenda/pact-of-amsterdam.pdf
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Autres ressources en ligne Artificialisation des sols, In Ministère de la transition écologique et solidaire, Observation et statistique [en ligne], mis à jour le 11/05/2018. URL : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/indicateurs-indices/f/2087/0/artificialisation-sols-1.html Jardin collectif : La Métropole vous accompagne, In : Bordeaux Métropole, Bordeaux Métropole [en ligne], mis à jour le 11/09/2017. URL : http://www.bordeaux-metropole.fr/Actualites/ Jardin-collectif-la-Metropole-vous-accompagne L’agriculture urbaine ou cultiver les aliments en ville, In : Centre de Recherches pour le Développement International, CRDI [en ligne], 25 janvier 2012. URL : https://www.idrc.ca/fr/article/ lagriculture-urbaine-ou-cultiver-des-aliments-en-ville Qui sommes-nous?, In : Les Incroyables Comestibles, Les Incroyables Comestibles [en ligne], URL : http://lesincroyablescomestibles.fr/qui-sommes-nous/ Résolution du Parlement européen du 27 avril 2017 sur l’état des lieux de la concentration agricole dans l’Union européenne: comment faciliter l’accès des agriculteurs aux terres, In : Parlement Européen, Parlement européen [en ligne], mis à jour le 08/12/2017. URL : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-20170197+0+DOC+XML+V0//FR Les exploitations agricoles françaises, In Ministère de la transition écologique et solidaire, Observation et statistique [en ligne], mis à jour le 06/05/2015. URL : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lessentiel/ar/2390/0/exploitations-agricoles-francaises.html
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TABLE DES FIGURES Figure 1 : Plan de Bordeaux et de ses environs, par Hippolyte Matis (1716-1717) URL : http://ohcalifornia.tumblr.com/post/25348063731/archimaps-map-of-the-city-of-bordeaux-aww-bdx
Figure 2 : Publicité de l’entreprise Allis-Chalmers en faveur d’un mototracteur (vers 1935) Source : Site web ACADA (Amis-Collectionneurs d’Anciens Documents Agricoles) URL : http://www.acada.fr/collectionneur-document.php?id_article_global=3129&type_image=PUB
Figure 3 : Photographie d’un potager urbain à Detroit aux Etats-Unis
Source : Site web Zumbido Vida, par Jaimey « Walking Bear » URL : https://8thnbee.com/detroits-green-fingered-residents-turning-swathes-city-urban-farms/
Figure 4 : Schéma réalisé par la région Ile-de-France représentant le phénomène d’ilôt de chaleur au niveau de Paris et de sa périphérie Source : Site web de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme d’Ile-de-France URL : http://www.iau-idf.fr/savoir-faire/nos-travaux/edition/cper-2015-2020-ile-de-france.html
Figure 5 : Éleveurs de porcs et producteurs de lait protestant contre la chute des cours en 2016 Source : Site web Le Point URL : http://www.lepoint.fr/politique/manifestation-des-agriculteurs-de-nouveaux-barrages-en-bretagne-25-01-2016-2012653_20.php
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Figure 6 : Schéma montrant la diversité des formes de l’agriculture urbaine
Source : DANIEL, A.-C., AUBRY, C., THOURET, A. ET DEVINS, A., « Naissances et développement des formes commerciales d’agriculture urbaine en région parisienne », In : DUCHEMIN, Éric (éd.), Agriculture urbaine : aménager et nourrir la ville, Montréal, Vertigo, 2013 p. 203-214
Figure 7 : Les sphères d’action de l’agriculture urbaine
Source : DUCHEMIN, E., WEGMULLER, F., LEGAULT, A.-M., « Agriculture urbaine : un outil multidimensionnel pour le développement des quartiers », VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement [en ligne], Volume 10 numéro 2, septembre 2010, mis en ligne le 24 septembre 2010 URL : http://journals.openedition.org/vertigo/10436 ; DOI : 10.4000/vertigo.10436
Figure 8 : Exemple de principe d’intégration d’une ferme urbaine dans un système circulaire en ville par le collectif Babylone Source : Site web Toits Vivants URL : http://www.toitsvivants.org/le-cube-tiers-lieu-dedie-a-lagriculture-urbaine-et-a-la-resilience/
Figure 9 : Carte des sites laboratoires pour les 55 000 hectares pour la nature
Source : Bordeaux Métropole, a’urba, 55 000 hectares pour la nature – synthèse des propositions , Bordeaux, Atelier de reprographie de Bordeaux Métropole, 2015, p. 6
Figure 10 : Carte de « l’indice potentiel nature » par l’agence Coloco
Source : Bordeaux Métropole, a’urba, 55 000 hectares pour la nature – synthèse des propositions , Bordeaux, Atelier de reprographie de Bordeaux Métropole, 2015, p. 50
Figure 11 : Schéma de proposition de gestion partagées des rues résidentielles par l’agence Be Citizen Source : Bordeaux Métropole, a’urba, 55 000 hectares pour la nature – synthèse des propositions , Bordeaux, Atelier de reprographie de Bordeaux Métropole, 2015, p. 14
Figure 12 : Carte montrant la répartition des zones d’interventions des collectifs chargés d’accompagner la création de jardins collectifs sur Bordeaux Métropole Source : Site web Bordeaux Métropole URL : http://www.bordeaux-metropole.fr/Actualites/Jardin-collectif-la-Metropole-vous-accompagne
Figure 13 : Carte recensant l’ensemble des projets d’agriculture urbaine ou de plantation en centre-ville portés par des collectifs sur le périmètre de Bordeaux Métrople d’après les données du RES’A.U. Carte personnelle d’après la « Carte des Jardins Partagés » sur le site web du RES’A.U.
Figure 14 : Panorma des expériences d’agriculture urbaine sur le site de la ZAUE Source : Montage personnel d’après les photos du site web de la ZAUE
Figure 15 : Photographie du potager de Meriadeck par les Incroyables Comestibles en 2017 Souce : Site web CNews URL : http://www.bordeaux7.com/envie-de-quartier/2017/09/20/potager-libre-service-dalle-de-meriadeck/
Figure 16 : Cartes de l’évolution de l’emprise urbaine sur le périmètre du SCoT de l’aire métropolitaine bordelaise URL : http://kanaga.ridel.org/2013/09/05/la-france-en-villes-1eres-g2-2/
Figure 17 : Cartes de la répartition des activités agricoles par type sur l’aire métropolitaine bordelaise en 2016 par l’agence a’urba
Source : URI, Camille, L’agriculture Urbaine à Bordeaux, panorama des projets exemplaires et premiers éléments de stratégie : Proposition de sites sur la ville de Bordeaux, Bordeaux, a’Urba agence d’urbanisme Bordeaux Métropole Aquitaine, 2016, p. 93
Figure 18 : Cartes de l’évolution des surfaces urbanisées sur la métropole bordelaise entre 1999 et 2007 par l’agence a’urba Source : a’urba, L’agriculture périurbaine bordelaise : quels demande, offre et potentiel?, janvier 2014, p. 10
Figure 19 : Carte de l’évolution du prix du foncier sur l’aire métropolitaine de Bordeaux entre 2012 et 2018 par le constructeur IGC
Source : CLOUTET, Phillipe, « Foncier : explosion des prix et pénurie de terrains en gironde», Aquitaine Online, 26 février 2018 URL : http://www.aquitaineonline.com/actualites-en-aquitaine/gironde/7439-foncier-en-gironde-explosion-des-prixet-penurie-de-terrains.html
Figure 20 : Carte recensant les parcelles potentiellement cultivable sur Bordeaux et ses environs en 2016 Carte tirée du rapport sur l’agriculture urbaine de l’agence a’urba retravaillée
Figure 21 : Photographie d’une plantation en bac par les Incroyables Comestibles et l’association Yakafaucon place Dormoy. 2018 Source : Site web de l’association Appellation d’Origine Campus URL : http://aoc.asso.fr/blog/category/vie-de-lasso/page/4/#lightbox[796]/3/
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Couverture Photographie du projet temporaire d’agriculture urbaine sur les quais de Bordeaux par l’association La Ferme de la Glutamine, prise par l’association elle-même. Partie II Photographie du Jardin Caché aux Chartrons Source : Site web d’Europe Écologie Les Verts de Bordeaux URL: http://bordeaux.eelv.fr/nos-20-propositions-pour-developper-lagriculture-urbaine-a-bordeaux/ Quatrième de couverture Photographie recadrée et retouchée de Brooklyn Grange une ferme urbaine sur toit à NewYork URL : https://www.associationfauve.org/alimenter-des-villes-toujours-plus-grande/
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ENTRETIEN AUPRÈS DES INCROYABLES COMESTIBLES
Questionnaire
- Qui êtes vous et quelle fonction occupez-vous au sein des Incroyables Comestibles ? - Le groupe Facebook des Incroyables Comestibles Bordeaux compte 2277 membres. Combien de personnes font effectivement partie de l’association ? La totalité s’implique t-elle dans vos actions ? Des gens ne faisant pas partie de l’association se joignent-ils à vous lors de projets, chantiers, évènements ? Quelle part des participants représentent-ils ? - Combien de potagers sont actuellement en place sur Bordeaux ? Y en a t-il d’autres en projets ? Estimez-vous que les espaces disponibles sont limités, ou qu’au contraire l’espace public représente une réserve foncière abondante ? Estimez-vous que la ville de Bordeaux soit un endroit propice à la pratique de l’agriculture urbaine ? - Quel est le processus mis en place pour la création d’un potager ? Qui est à l’origine du projet ? Qui décide de l’emplacement ? Comment choisit-on cet emplacement ? Demandez-vous des autorisations ? Lesquelles (AOT) ? À qui ? Comment réalisez-vous vos chantiers ? Recevez-vous de l’aide de la part des instances publiques ? → Une fois le potager mis en place, qui l’entretien ? Qui en profite ? Des gens n’ayant pas participé au projet en profitent-ils ? Quelle gouvernance pour cet espace public ? Quelle durée de vie estimez-vous pour ces potagers ? Qu’est-ce qui pourrait les mettre en danger ? - Quelles relations entretenez vous avec les instances publiques ? Estimez-vous qu’elles vous aident, ou au contraire qu’elles représentent un frein à votre action ? Que pourraient-elles faire de plus en votre faveur ? Pensez-vous que les actions entreprises par les instances publiques en faveur de l’agriculture urbaine sont à la hauteur des annonces ? - Quels liens entretenez-vous avec les autres acteurs de l’agriculture urbaine sur Bordeaux ? Pensez-vous que la vie associative dans l’agriculture urbaine est active dans Bordeaux ? - Pourquoi n’y a t-il pas de pâturage urbain sur Bordeaux ? Pensez-vous que cela serait possible ? - Quel avenir pour l’agriculture urbaine à Bordeaux selon vous ?
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Bonjour, quelles fonctions occupez-vous au sein des Incroyables Comestibles ? Stéphanie : Alors c’est facile, on est toutes les deux coprésidentes, parce-que l’on a décidé depuis cette année en assemblée générale qu’on mettait en place un conseil collégial. Donc l’idée c’est que l’on ait une structure assez horizontale, là on est sept coprésidents entre lesquels on essaie de répartir un petit-peu les tâches, parce qu’il y a de plus en plus de choses même si on est tout récent sur Bordeaux, on date de 2016, et on est encore en train de construire notre organisation interne. Au niveau de l’organisation, je la vois un petit-peu comme des bulles, il y a les coprésidents qui sont là on va dire pour animer un petit-peu le réseau, soutenir les différents projets sur les différents quartiers, et en fait voilà, les différents projets des différents quartiers je les vois comme des bulles un petit-peu partout et on essaie de les connecter entre eux un peu aussi. D’accord, donc ce sont des projets qui sont plus ou moins indépendants, et vous essayez de créer du lien entre eux ? Magali : Et bien pas aujourd’hui, mais c’est l’objectif. Stéphanie : C’est-à-dire que l’objectif c’est d’essayer de constituer des collectifs d’habitants, qui gèrent les projets de leurs quartiers, avec l’idée que soit le collectif existe déjà et on les appuie selon ce qu’il nous demande, ça peut être aussi bien mobiliser le réseau, que financièrement ou administrativement ; soit le collectif n’existe pas et c’est une ou deux personnes qui viennent nous voir avec une envie de faire quelque-chose dans le quartier, et là on les aide à mobiliser du monde, on a les relations aussi avec la métropole, avec Bordeaux, qui facilitent un peu tout ça.
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Votre page facebook est assez active, elle compte 2277 membres aujourd’hui, mais combien êtes-vous effectivement d’adhérents à l’association ? Magali : On est 70 adhérents. En fait, comme le disait Stéphanie, l’idée c’est de réunir les gens autour de projets afin que tout le monde se rencontre, c’est aussi pour qu’il y ait plus d’adhérents. Parce-qu’effectivement, deux mille sur la page c’est énorme, 70 adhérents c’est pas suffisant aujourd’hui pour avoir du poids devant la collectivité, la métropole, etc. Il y a donc beaucoup de non-adhérents qui s’impliquent dans vos projets ? Magali : Exactement. Les Incroyables Comestibles c’est un mouvement à la base. Ce n’est pas une société, une association dans laquelle il faut absolument adhérer pour toucher la terre et faire germer des choses. Donc effectivement il peut y avoir des voisins, des voisines, des petits enfants, une mamie qui viennent sans intégrer comme ça pour quelques heures ou pour l’année, mais c’est sans obligation. Stéphanie : Ce que l’on veut vraiment mettre en place autour de l’adhésion, car on est en train de travailler dessus, c’est déjà que les gens adhèrent pas juste parce-qu’il faut adhérer, en plus il faut donner de l’argent, mais qu’ils adhèrent au projet, qu’ils comprennent le projet, les valeurs, la charte, et qu’ils adhèrent à tout ça. Il faut que l’on développe un petit-peu cette question de l’adhésion car pour l’instant on a pas vraiment eu le temps de travailler dessus. Magali : Ça ne fait que quelques mois que l’on est sur le nouveau fonctionnement en conseil collégial et il y a encore beaucoup de choses à mettre en place. Il y a aussi un autre paramètre, pourquoi adhérer aussi, et que l’on doit mettre en place, on est sollicité de partout, les Incroyables Comestibles plaît, et on ne peut pas répondre à toutes les demandes de participation. Ce qui serait chouette aussi, c’est qu’il y ait des adhérents qui adhèrent vraiment à la charte, à la philosophie, et pourquoi pas qu’ils tiennent un « stand » aussi, pour avoir plus
de poids. Parce-qu’aujourd’hui on est sept coprésidents et on ne peut pas répondre à tout. Aujourd’hui il n’y a que nous qui tenons « stands ». Il n’y a donc que vous qui portez les projets ? Stéphanie : Oui mais ça va venir, car par exemple, sur le projet de Saint-Michel, qui est un projet qui vient vraiment de naître et sur lequel on part de zéro, il y a un de nos partenaires du projet qui va faire un événement public le 10 juin, et il y a des personnes du projet Saint-Michel qui sont intéressées pour tenir le stand, pour parler du projet, etc... Donc voilà ça commence, il y a les sept coprésidents mais finalement les gens, sur chaque projet, ont des choses à dire et des implications. Donc l’idée c’est d’impliquer le plus possible les habitants sur les projets ? Stéphanie : Le but c’est que les gens qui ont des projets sur un quartiers soient impliqués, car après ça doit devenir autonome aussi. Donc là par exemple le projet sur Meriadeck il tourne un peu tout seul. Justement, quand un projet est terminé, qui est-ce qui l’entretient, qui le fait vivre ? Ce sont les habitants ? C’est à dire-que vous vous avez aidé à le mettre en place et après il vit de lui même ? Magali : Voilà. Stéphanie : Après, ce que l’on est en train de penser à mettre en place, car chaque projet est un collectif d’habitants avec deux ou trois référents selon la taille du projet, ce que l’on a envie de mettre en place c’est des rencontres entre les référents justement des différents projets pour justement faire vivre ce réseau, qu’ils puissent échanger de bonnes pratiques, que cela leur permette de se développer et qu’ils ne soient pas lâchés comme ça. Et que les référents fassent le lien avec les coprésidents quand il y a besoin de quelque-chose, de subventions, … Le but est de créer de la résilience ? Magali : Exactement. Justement, est-ce qu’il y a des projets qui ont disparu, qui n’ont pas réussi à vivre ? Magali : Non pas encore ! A priori, quand on regarde les autres exemples dans le monde, quand ça part, ça part ! En général un jardin ne meurt pas. C’est plutôt chouette. Stéphanie : Après il est vrai que sur d’autres exemples qui ne font pas partie des Incroyables Comestibles ça peut arriver parfois, mais nous ce qu’on pense c’est que quand un projet n’est pas développé par les habitants, c’est là qu’il y a un risque d’abandon. Donc notre objectif c’est vraiment que ce soient les habitants qui sont impliqués et qui décident. Magali : Que ça parte des quartiers. Parce-que si on part d’une association, que celle-ci choisit l’espace, choisit comment on s’organise etc, la mousse prend et c’est chouette, mais une fois que l’association part, tout s’écroule. Alors que là, si ça vient du terrain, si ça vient des personnes du quartier, ça fonctionne. Vous n’êtes donc jamais à l’origine d’un projet, ce sont les habitants qui font appel à vous. Stéphanie : Jusque là oui. Enfin plus ou moins. Par exemple sur Saint-Michel, c’est la rencontre d’un habitant du quartier qui est jardinier et de l’ancienne président des Incroyables Comestibles qui a fait que quelque-chose a démarré. Mais c’est vrai qu’il n’y avait pas déjà un collectif. Là on est en train de construire le collectif des habitants, on essaie de mobiliser un maximum pour que ce soit porté par les habitants.
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Magali : Un autre exemple, on ne sait pas ce que ça va donner, mais il y a une personne aux Chartrons qui était intéressée, et me demande si on a quelque-chose aux Chartrons. Je lui réponds que l’on a rien, on a Meriadeck, St-Seurin, St-Michel qui est en train de construire, que je ne connais pas très bien les Chartrons, mais que par contre si elle visualise un espace où l’on pourrait faire des jardins, qu’elle voit, qu’elle essaie d’en parler autour d’elle, et que pourquoi pas on pourrait y réfléchir ensemble. Donc voilà ça peut partir de là. Stéphanie : Ou à Bordeaux Lac, pareil, une habitante est venue vers nous se disant très intéressée par notre démarche. Elle était un peu tout seul donc moi je lui a dit de ne pas hésiter à faire connaître son idée auprès de ses voisins. On l’a un peu aidé et là il y a quelque-chose qui va sûrement se mettre en place. Mais il faut qu’on l’aide à créer cette dynamique de collectif.
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Combien, y a t-il de projets en place aujourd’hui sur Bordeaux ? On a parlé de Meriadeck, St-Seurin, St-Michel en projet, il y en a d’autres ? Stéphanie : Bacalan, Ginko (Lac), la place Dormoy. Magali : Et les Chartrons qui sont en train de se faire, mais pour l’instant c’est juste une idée. A Bègles on en a parlé un petit peu aussi, mais là on sort de Bordeaux. Aux 48h de l’agriculture urbaine il y a une personne qui nous a sollicité et qui a rencontré la semaine dernière l’un des coprésidents qui habite justement à Bègles. Il y avait une vraie envie. Stéphanie : En plus je connais une personne qui travaille sur le projet St-Michel, qui a son emploi sur Bègles, et qui a envie de développer une projet sur Bègles. Et bien tu vois, encore une fois on essaie de faire des connexions et justement là il y en a une qui vient de se créer ! Magali : Je ne sais pas où ça en est mais la personne que j’ai vu avait des idées, un espace, envie de faire des choses, donc Jean (le coprésident habitant à Bègles) est allé voir, il est allé sur place et on devrait en reparler rapidement. Stéphanie : Moi aussi dans mon quartier j’ai envie de développer un projet , il y a déjà une association de quartier avec un groupe de personnes qui a envie de faire des choses, de jardiner et tout ça, donc ils seront forcément intéressés. Il y a peut-être aussi moyen de développer quelque-chose. Il y a une envie en tout cas. Pensez-vous que l’on peut faire des potagers partout, que l’espace public est illimité et que les possibilités sont immenses ? Stéphanie : Alors là j’ai plein de choses à dire. C’est hyper galère. Franchement là je suis en plein dans St-Michel, j’accompagne le groupe et c’est vraiment la grosse galère, vraiment. Pourquoi ? Et bien j’en suis presque arrivé à me demander si la ville appartenait vraiment à ses habitants. Aujourd’hui ce qu’il se passe c’est qu’on doit demander des autorisations pour tout. À la limite d’accord, parce-que l’espace public appartient à tout le monde donc évidemment on ne va pas décider tout seul dans notre coin de faire des trucs. Mais à un moment donné, Saint-Michel en fait ça appartient à la ville classée, au patrimoine UNESCO, il y a beaucoup d’endroits qui ont été restaurés, et en plus il y a même certains endroits, tu dois être au courant de ça, où lorsque la ville organise des travaux il y a un pour cent du budget qui est alloué à une œuvre d’art. Ça rajoute encore dans les projets une petite complication parce-que, par exemple, nous on a envie de développer une installation jardinière à cet endroit là. Attention on est en hors-sol parce-que tout est pollué quasiment dans Bordeaux donc ce sont des installations adaptées. Là du coup il va y avoir plein de freins. Alors il faut voir avec l’architecte qui a imaginé la réfection parce que, je te ressors les mots : « la ville a été imaginée de manière épurée avec un minimum de mobilier urbain, ... ». Mais les habitants ils ont envie de faire quelque-chose en fait, mais on leur a pas demande à quoi ils voulaient que la ville ressemble. Ça a été imaginé tout seul dans des cabinets et aujourd’hui on a des
habitants qui ont envie de faire des choses, et qui se retrouvent face à tous ces freins. Parce-que c’est protégé. Stéphanie : Oui voilà. Mais regarde l’histoire des un pour cent pour l’artiste, il y a un autre espace que l’on a envie d’investir, et là on nous dit qu’il y a cet espèce de banc, qui clairement aujourd’hui sert de poubelle. Il n’est pas du tout investi par les habitants du quartiers, les gens y mettent carrément leurs poubelles à l’intérieur, pour s’amuser, mais le truc c’est que je disais justement à notre interface à la métropole : « le problème, vous voulez que les gens s’impliquent, mais quand vous développez des projets ou quand vous imaginez le paysage urbain, les gens ne font pas partie de la réflexion, de la prise de décision ». Et donc on se retrouve avec ça un banc imaginé par un collectif d’artistes et qui n’est pas du tout investi aujourd’hui, alors que d’un autre côté il y a des gens qui ont envie de faire des choses et on leur met beaucoup de freins. C’est très très très compliqué. Magali : C’est un peu vrai sur tous les jardins. Moi qui m’occupe de Saint-Seurin je ne peux rien faire. Mais rien ! On avait plein d’envies mais rien. « Ah non c’est classé ! ». Donc il y a un décalage entre les envies des habitants et ce que la métropole leur permet de faire ? Stéphanie : Oui. Et puis il y a la question de l’ABF, même au delà de la métropole, parce-qu’il y a beaucoup de bâtiments classés comme à Saint-Seurin par exemple. Ou à Saint-Michel par exemple, c’est un projet élargi avec plusieurs interventions, il y a un endroit qui s’appelle Sainte-Croix, c’est une église, et même notre interface de la métropole nous a dit : « Même nous on a voulu planter des arbres, même nous on a pas eu l’autorisation. » Moi je comprends qu’il faille préserver les lieux, mais je me demande si ce n’est pas un peu extrême, je sais pas. Mais je voulais quand même juste contrebalancer, parce-que par exemple pour la place Dormoy, on a été invité, Les Incroyables Comestibles, à une concertation avec les habitants et acteurs du quartier pour la réfection de la place. Quand même. C’est la mairie de quartier qui a organisé ça, et qui avait imaginé deux façons de concevoir la place, alors ça ils l’avaient imaginé tout seul, et ils ont proposé aux gens, ça a été voté, et donc un des projets a été choisi. Il y a donc eu concertation. Stéphanie : Oui. Mais ce n’est pas un travail ensemble, c’est une concertation. Mais c’est déjà quand même mieux, ils ont écouté ce que les gens avaient à dire. Comme nous on était déjà présent sur la place Dormoy, j’avais beaucoup insisté sur le fait qu’il fallait essayer tant bien que mal d’imaginer par exemple un récupérateur d’eau qui s’intègrerait dans le paysage pourquoi pas, pour que nous on ait accès à de l’eau. Quitte à faire des travaux, autant l’imaginer avec ce que les habitants on mis en place. Et ça a été pris en compte ça ? Stéphanie : Et bien on ne sait pas , les travaux n’ont pas encore commencé. Moi je l’ai souligné très fortement, j’ai vu que la dame de la mairie l’a noté (rires), maintenant est-ce que ça sera pris en compte, on ne le saura que dans les années à venir. Voilà, il y a eu concertation. Mais bon je n’y crois pas trop ! (rires) Mais bon on verra, en tout cas on l’a dit. Ce sera intéressant de suivre ça pour voir si ces concertations ont vraiment une utilité ou si elles ne sont là que pour la forme. Stéphanie : Oui voilà. Mais en tout cas pour Saint-Michel il n’y a pas eu à ma connaissance
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trop de concertation, et aujourd’hui on se retrouve avec des lieux un peu stériles, la mairie se plaint que les gens ne les investissent pas, mais en même temps quand les gens veulent investir un lieu on leur met des barrières. Magali : Oui c’est ça. Le discours n’est pas très cohérent avec les actions. Vous trouvez donc qu’il y a un décalage avec les annonces faites par la Métropole en faveur de l’agriculture urbaine et ce qui est effectivement mis en place ? Magali : Oui, il y a une grosse communication « greenwashing » Comment se déroule règlementairement la mise en place d’un potager en ville ? Les démarches administratives sont lourdes ? Stéphanie : Alors là oui, c’est moi qui m’occupe de toute la partie administrative. Sur Meriadeck par exemple, je n’étais pas encore arrivée quand ça s’est créé, mais je sais que ça a été un peu compliqué sur un lieu qui avait été identifié, un grand parterre sur l’esplanade avec de la terre morte et donc pas du tout investi. Ils ont mis beaucoup de temps à savoir à qui vraiment appartenait cet espace, une partie était à la mairie, l’autre au département, donc ils ont fait une convention tripartite. Je sais que ça a été long car ils ont mis du temps à savoir vraiment à qui appartenait l’espace. Et puis il y a Saint-Michel, je suis en plein dedans, et comme je disais c’est hyper galère, voire assez décourageant. On perd même des habitants dans la bataille.
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C’est si lourd que ça décourage les habitants à faire le projet ? Stéphanie : Oui c’est très lourd ! En fait l’idée du projet est apparue il y a un an à peu près, au printemps 2017. Le collectif est encore en train de se constituer mais il y a quand même pas mal de monde et on commencé à réfléchir à ce projet à la fin de l’année 2017, et c’est vrai que les gens espéraient qu’au printemps 2018 on pourrait commencer à mettre en place quelque-chose de pérenne. En fait non, parce-que justement toutes les normes qui existent, que ce soit par rapport à l’accessibilité, par rapport aux camions poubelles, par rapport à l’urbanisme, … Il y a énormément de choses,et il y a dans le groupe aussi des gens qui sont architectes ou paysagistes de profession et qui aident un peu, mais on ne peut pas nous construire des choses. Ce qui se passe, c ‘est que comme rien ne sera possible certainement avant le printemps 2019, j’ai réussi finalement à batailler pour que l’on ait quelque-chose de provisoire. Alors on nous propose quelque-chose de provisoire très moche, ce sont des « Big Bags », des gros sacs de chantier, beaucoup plus moche que ce que l’on avait proposé mais c’est certainement plus dans les normes, je n’en sais rien. C’est tout ce qui a été accepté. C’est déjà pas mal, on ne va pas se plaindre, mais c’est vrai qu’il a fallu batailler pour avoir ne serait-ce que ce truc provisoire, et l’argument ça a été de leur dire : « attendez, vous voulez qu’il y ait quelque-chose où les habitants sont investis, là on a un collectif, on a des gens qui sont motivés et qui ont envie de faire des choses, si on attend encore un an les gens vont se démotiver complètement. » Donc des gens ont effectivement abandonné le projet ? Stéphanie : Alors je vais te dire, il y a des gens qui ont dit : « Moi j’arrête, j’ai l’impression que c’est la métropole qui décide et pas nous ». Il y a vraiment des gens, et ça a été les discours à la dernière réunion, qui ont dit « Moi j’en ai marre, je ne suis pas du tout d’accord, faisons et on verra après. » Mais nous on ne peut pas, on préfère construire ensemble, même si ça prend un peu plus de temps, que de faire et après de se retrouver dans des procédures interminables. Non merci, on est tous bénévoles donc voilà !
Magali : Oui et puis on a un nom derrière tous ces projets ! Stéphanie : Je sais par exemple que le réseau Paul Bert, une grosse association rue des Ayres, a me semble-t-il sans autorisation utilisé l’espace public juste devant, et ils ont eu je crois, à vérifier l’info, beaucoup de temps de procédures. Ils ont fait sans autorisation et après ils ont été dans la merde. Nous on a pas envie de ça ! Après chacun fait comme il veut. Donc voilà, pour nous l’argument ça a été de dire : « faisons quelque-chose de provisoire ». Nous ce qu’on essaie de faire dans le projet Saint-Michel, c’est que ces aménagements provisoires avec les « Big Bags » ça permettra au moins de maintenir la dynamique existante, de la renforcer, de mobiliser encore plus de personnes, pour qu’après quand on aura des installations pérennes on ait vraiment une organisation qui se maintienne avec des gens qui entretiennent le lieu, qui soit vraiment identifié par les habitants et qui ne soit pas dégradé. C’est un peu le risque. Justement, normalement c’est la ville qui se doit entretenir l’espace public. Au niveau de vos potagers, qui se charge de l’entretien ? Magali : Et bien ces jardins sont identifiés Incroyables Comestibles, donc les personnes qui s’occupent de l’espace public nettoient ce dernier, mais ils n’interviennent pas sur les potagers. Stéphanie : Oui et puis on nous dit souvent que les agents des espaces vert sont très peu nombreux et qu’ils ont beaucoup de travail ! Donc au niveau de la gouvernance, ce sont les Incroyables comestibles qui se doivent d’entretenir ces espaces, la collectivité ne vous aide pas. Magali : C’est ça. On ne nous aide pas à ce niveau là. Par contre, la collectivité peut nous apporter de l’accompagnement, de l’aide. On peut avoir de la terre, on peut avoir du paillage, … Par exemple pour le jardin Saint-Seurin je vais avoir du paillage dans peu de temps, et c’est assez rapide, ils me demandent combien j’en veux et on me livre. Donc la collectivité n’est pas non plus totalement absente dans votre activité. Stéphanie : Non non pas du tout. Ils nous accompagnement quand même dans la mise en place. Du paillage, des outils. Par exemple place Dormoy, ils ont fait une spirale aromatique, et c’est eux qui ont donné les petites briques pour la construire. En terme de matériaux, ils nous aident. Justement, est-ce que de façon générale vous estimez que la collectivité vous aide dans vos action et qu’elle s’avère être un allié, ou qu’au contraire elle représente un obstacle et vous met des bâtons dans les roues ? Magali : Il y a un cadre. Elles nous accompagnent dans le cadre. Un petit cadre (rires). Donc un peu les deux. Stéphanie : Oui moi j’ai envie de te dire un peu les deux en fait. D’un côté cette lourdeur administrative est très freinante, mais en même temps il y a des gens qui nous aident. Depuis tout à l’heure je te parle de notre interface à la métropole, c’est Madame Le Mevel qui travaille aux espaces verts. Elle est à la direction des espaces verts et elle est chef du projet « Trame verte sociale ». Elle est à fond dedans, elle a vraiment des envies, mais elle est finalement elle aussi bloquée, freinée. On voit bien qu’elle ne peut pas tout décider, parce-que je pense que s’il n’y avait qu’elle on ferait un peu ce qu’on veut ! (rires). Mais voilà c’est elle qui par rapport aux normes, l’ABF, m’a dit ça, qu’il y a énormément de contraintes. Magali : Et bien en fait je pense que les contraintes que l’on a à Bordeaux on ne les a pas
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dans une petite ville. Stéphanie : En fait il y a le côté « Patrimoine de l’UNESCO » qui vient rajouter tout ça. Moi je l’ai découvert il n’y a pas longtemps, parce-que pendant longtemps je me suis dit : « Ah c’est super, Bordeaux patrimoine de l’UNESCO ! », mais aujourd’hui je me rends compte : « Est-ce que patrimoine de l’UNESCO ça signifie quelque part aussi que la ville n’appartient plus à ses habitants ? ». C’est vraiment un problème. Donc vous n’estimez pas que Bordeaux soit finalement un endroit très propice à la pratique de l’agriculture urbaine. Magali : Et bien les Bordelais ne vont pas se nourrir avec leurs jardins... Stéphanie : C’est très très compliqué pour ce qui est du centre. Mais après voilà il y a ce fameux projet de ferme urbaine. Là c’est réellement ferme urbaine, c’est vraiment dans le but de production. Ce n’est pas que de la production maraîchère. Magali : C’est comme à Darwin, mais là c’est assez compliqué avec la métropole, c’est vrai qu’ils sont arrivés sur le terrain et qu’ils se le sont appropriés. Stéphanie : Après c’est très pollué là aussi. Magali : De toute façon tout ce qui sera cultivé en ville le sera hors-sol. C’est comme à Meriadeck, il y avait des envies maraîchères mais on leur a bien signalé que c’était inenvisageable.
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Il y a des études qui ont été faites sur les sols à Bordeaux ? Magali : Oui il y en a eu, et puis il y en a une qui va arriver dans peu de temps, ça c’est confidentiel, mais ça s’annonce mal. J’ai pas l’info de quand ça va arriver, mais ça va arriver. Vous avez déjà une idée des résultats ? Magali : Ce sont des personnes qui sont à EELV qui ont vu passer quelque-chose, ce ne sont pas encore les résultats, mais à-priori ça va peut-être faire du bruit à Bordeaux ! (rires) Mais après les gens le savent. Stéphanie : Par exemple, dans le projet Saint-Michel il y avait une volonté de faire quelquechose sur les quais de type prairie fleurie et arbres fruitiers, et bien en fait la réponse que j’ai eu de Nolwenn Le Mevel a été que l’on ne fait pas de plantation en pleine terre d’arbres fruitiers parce-que les terres sont polluées. Mais après si vraiment la volonté c’est de faire de la pleine terre ils m’on dit que eux ils devaient faire une étude de terrain. Un autre exemple, qui n’est pas avec les Incroyables Comestibles, d’un grand espace avec des anciennes halles dans mon quartier qui veut être investi par une association d’habitants. Ça devait devenir une école à la base, mais en fait comme le terrain est très pollué le projet d’école a été abandonné. Il y a eu une étude de dépollution, on a un petit peu de mal à obtenir les résultats, on nous dit qu’on va nous les donner mais on ne les a pas, et en fait ils doivent dépolluer le terrain, et comme ça coûte hyper cher ils vont en vendre une partie à du privé pour le financer, et laisser le reste aux habitants. Cette association a envie de faire de cet espace un lieu de rencontre, un jardin partagé, parce-que c’est vers les bassins à flots, ça a été énormément construit et il reste peu d’espaces pour se rencontrer. Est-ce qu’il y a des choses qui pourraient mettre en danger les potagers existants ? Magali : Non, au vu de là où ils sont situés je ne vois pas. Ce sont des petits espaces sur l’espace public donc, … Stéphanie : Le seul risque est que les espaces ne soient avec le temps plus assez investis par les habitants et qu’ils soient dégradés par les habitants eux-mêmes. Mais pour l’instant on n’a
jamais eu de dégradation, juste des mégots de cigarette ou des tessons de bouteille, mais rien d’important. Même à Saint-Michel où on nous dit que l’espace public est parfois dégradé on n’a rien eu. Encore une fois, ce qui est dégradé ce ne sont pas des choses qui ont été construites avec les habitants. Magali : Ce qui m’embête en ce moment à Saint-Seurin ce sont les gens qui m’enlèvent mes repères de plantation ! (rires) Des enfants qui cueillent des fleurs, ou comme la dernière fois une personne qui a arraché un plan de tomate en voulant en cueillir une ! Ça tient plus de la sensibilisation que de la dégradation, et on est justement là pour ça, pour la pédagogie. Stéphanie : Oui donc on a décidé qu’on allait justement installer des panneaux pédagogiques, on a pas encore décidé comment. Mais c’est le but de notre action en même temps. Stéphanie : Je voulais te parler aussi d’un architecte à Ravezies qui est venu vers nous en nous disant que dans la réponse à un appel à projet pour construire un bâtiment privé, il souhaitait qu’il y ait devant le bâtiment une partie qui soit publique et autogérée par les Incroyables Comestibles. Et bien on a dit oui ! Donc cette utilisation de l’espace public pour un potager est voulue dès la conception par un maître d’ouvrage privé ? Stéphanie : Oui voilà ! Nous on trouve ça super. C’est la première fois que ça arrive et je trouve que c’est super parce-que pour une fois ça ne part pas des habitants. Donc s’il remporte l’appel à projet, nous derrière on va avoir un gros boulot de mobilisation. Et le risque n’est pas justement là que les gens qui viennent vivre là ne soient pas forcément intéressés et que le projet de jardin dépérisse ? Stéphanie : Je crois que ça sera des bureaux, pas du logement. Mais en tout cas nous on a dit oui car franchement c’est intéressant, et il y a tellement peu d’endroits où on peut avoir de l’espace sans se poser de question, sans qu’il y ait cette lourdeur administrative qu’on s’est dit que là on allait foncer. Oui tout ça sera réglé en amont. Stéphanie : Oui voilà, mais nous derrière on va avoir un gros travail de mobilisation des habitants, construire un collectif, mais il y a tellement d’envie franchement qu’on sait qu’on arrivera à construire un collectif, ça c’est sûr et certain. Le tout ce sera de l’organiser à travers des repas ou j’en sais rien, mais il y aura toujours moyen de mobiliser du monde sur la question. Il y a toujours des gens qui ont envie de jardiner et de mettre les mains dans la terre. Magali : Par exemple si on prend l’exemple de Todmorden ça ne s’est pas fait comme ça, les premières plantations ça a mis au moins un an entre la première idée et le premier plan de tomate. Donc là on est bien, dans l’évolution du mouvement on est bien. Et là on parle de public, et ça fait résonance à un projet. Il y a aussi des espaces privés qui sont intéressés par les jardins partagés. Il y a un projet à Mériadeck et une personne qui nous a sollicité car elle envisage un jardin dans un espace privé partagé pour l’ensemble des habitants. Mais du coup ce genre de projet rentre dans vos prérogatives ? Magali : Non c’est vrai, nous on est plutôt sur l’espace public, mais c’est juste pour dire qu’il y a cet engouement de faire un truc ensemble. Après on sort de notre mouvement, moi j’ai dit okay, je pourrais juste témoigner et amener mon expertise de l’espace public, c’était plutôt ça l’idée. C’est bien car ça montre qu’il y a de l’intérêt. Stéphanie : C’est vrai que l’on sort de notre zone d’intervention, nous on est vraiment sur
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l’espace public, et il y avait d’ailleurs un projet d’un monsieur qui a un supermarché vers le conservatoire et qui est venu vers nous car il aimerait bien pouvoir végétaliser le toit du supermarché ou un toit à coté. Mais nous on a dit non car on n’est plus dans l’espace public. Mais comme on a aussi des contacts avec un jardinier urbain de métier qui travaille sur tous ces projets, on a fait aussi le lien. C’est aussi notre rôle de mettre les gens en relation. Justement, est-ce que vous entretenez des liens avec les autres associations d’agriculteurs urbains ? Magali : Oui on a des échanges, mais pas de projet en commun. Stéphanie : Il y a quand même une volonté de créer un maximum des partenariats et de ne pas agir tout seul dans notre coin. On est pas encore trop là dedans car on est encore dans la construction de notre organisation interne. Mais il y a quand même la volonté de construire avec. Il y a « Place aux Jardins » qui nous a sollicité pour un partenariat. Magali : On a pas le sentiment en tout cas que les associations empiètent les unes sur les autres, mais plutôt un désir d’avancer ensemble. Stéphanie : Par exemple il y a l’association « La cabane à gratter », qui distribue à très bas pris de l’alimentation pour les personnes sans domicile fixe et qui propose des ateliers, qui avait le désir d’installer des installation jardinières près de l’Eglise Sainte-Croix. Je suis passé les voir la semaine dernière car c’est Nolwenn Le Mevel qui nous a parlé de ça et effectivement ils sont hyper motivés. Ça permet de créer du lien, de mélanger les gens et de toucher un public différent. On essaie d’avancer ensemble.
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Je souhaite remercier l’ensemble des personnes qui, de près ou de loin, m’ont aidé ou soutenu durant la rédaction de ce mémoire. Merci particulièrement à Julie AMBAL, Delphine WILLIS et Xavier GUILLOT pour leur disponibilité et leur bienveillance tout au long de cet exercice. Merci à Magali et Stéphanie pour m’avoir consacré de leur temps, je leur souhaite de garder toute leur énergie, c’est à partir de graines que poussent les forêts. Merci à mes parents d’avoir assuré la logistique. Merci à Fefe qui a su m’inspirer. Merci à Alex, il saura pourquoi.
Bordeaux vise le million d’habitants. Tout autour de la planète, les métropoles grandissent, dévorants des espaces naturels et agricoles. Leur soutenabilité est remise en cause. Dans le même temps, le monde agricole est en crise. Destruction des écosystèmes et de la biodiversité, mauvaise qualité des produits, situation alarmante des agriculteurs. Un peu partout dans le monde, des hommes et des femmes, loin de se résigner, cherchent des solutions à cette double problématique. Les agriculteurs urbains tentent de produire des produits de qualité, de façon responsable, tout en proposant une vision de la ville qui dépasse l’opposition communément admise entre urbanité et ruralité. S’étant emparées du sujet, les politiques mondiales encouragent l’agriculture urbaine comme étant un moyen de construire durablement la métropole de demain. C’est le cas de Bordeaux Métropole, qui s’est engagée à soutenir la pratique. L’édition 2017 d’AGORA, biennale d’architecture de Bordeaux s’est d’ailleurs construite autour du thème « Paysage Métropolitain ». Ce mémoire s’attache à dresser un état des lieux de l’agriculture urbaine dans le contexte Bordelais, en s’attardant d’une part sur les politiques urbaines à son sujet, et d’autre part en s’intéressant à ceux qui agissent. Il est ici question d’établir la place qu’occupe l’agriculture urbaine à Bordeaux, et d’identifier les dynamiques qui la portent.