L'île Amsterdam des Terres australes, une faune et une flore à la croisée des origines

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L'île Amsterdam des Terres australes

Une faune et une flore à la croisée des origines

Texte :

Quentin d’Orchymont, ornithologue, chargé de l’état des lieux des populations d’oiseaux et d’otaries, Réserve nationale naturelle des Terres australes, quentin.dorchymont@laposte.net

Flavien Saboureau, botaniste, chargé de la restauration des populations de Phylica arborea, Réserve nationale naturelle des Terres australes, saboureau.fl avien@gmail.com

Isolée au sud de l'océan Indien, l'île Amsterdam fait partie de la Réserve nationale naturelle des Terres australes françaises, créée en 2006 puis étendue sur sa partie marine en 2016 et en 2022. Couvrant une superficie d’environ 1 662 000 km², soit la totalité des terres émergées et des espaces maritimes sous juridiction française (eaux territoriales et Zone économique exclusive, ZEE), cette réserve est à ce jour la plus grande réserve naturelle de France et la deuxième plus grande aire marine protégée au monde. Depuis 2019, le périmètre de la réserve naturelle est également inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Chaque année, des scientifiques et des techniciens de l’environnement sont détachés sur les districts pour l’acquisition de données et la mise en œuvre des actions de gestion, contribuant ainsi à l’amélioration des connaissances et à la préservation de l’état écologique de ce territoire exceptionnel.

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Située au milieu de l’océan Indien, entre les 37e et 38e parallèles Sud, l’île Amsterdam est une petite île volcanique de 55 km² découverte en 1522 par le navigateur portugais Sebastian Del Cano. Elle forme avec l’île SaintPaul (8 km²), à quelques 90 km, le district de Saint-Paul et Amsterdam, l’un des 3 districts subantarctiques des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Eloignée de près de 5 000 km du continent le plus proche, elle fait partie des îles les plus isolées du globe avec celles de l’archipel de Tristan Da Cunha dans l’Atlantique Sud (Gough Island, Nightingale Island, Inaccessible Island et Tristan Da Cunha). Situées sous les mêmes latitudes, Amsterdam possède de nombreux organismes en communs avec ces îles, ainsi 11 % des plantes vasculaires du district sont exclusivement partagées avec ces terres britanniques.

Cette île, très jeune à l’échelle géologique, a vu le jour au cours de deux périodes distinctes d’activités volcaniques. Une première, survenue il y a 690 000 ans, dont le Mont Fernand est l’un des derniers vestiges. La deuxième, survenue il y a quelques dizaines de milliers d’années, a formé l’île comme on la connaît aujourd’hui. Le volcan de la Dives, qui, avec ses 881 m, est le point culminant de l’île, a aussi vu le jour au cours de cette période. Cette apparition récente n’a pas encore laissé beaucoup de temps aux organismes pour évoluer et diverger. Malgré tout, le nombre d’espèces endémiques, qui seront évoquées dans cet article, est élevé pour un territoire si jeune et si restreint. Ainsi, on observe un taux d’endémisme de 24 % chez la fl ore vasculaire du district, qui s’élève à 33 % avec les espèces sub-endémiques. Une grande différence climatique existe entre le bas et le haut de l’île. La basse altitude, avec 14 °C de moyenne, se rapproche d’un climat subtropical, alors que la haute altitude, avec 7 °C de moyenne, se rapproche d’un climat subantarctique.

Lexique

Plantes vasculaires : à l’inverse des bryophytes, plantes dotées de vaisseaux permettant la circulation de la sève. On y inclut les fougères, les conifères et les plantes à fleurs.

Sub-endémiques : espèces qui se rencontrent sur un territoire restreint mais aussi et exclusivement sur un autre territoire assimilé ou limitrophe.

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1. Terres rouges 2. Cratère du Chaudron
Amsterdam
3. Grand-Bois
L’île
4. Falaises d’Entrecasteaux 5. Plateau des Tourbières 6. La caldeira, à près de 800 m d'altitude Photo : Quentin d’Orchymont

L'Île Amsterdam des Terres australes

Un milieu marin omniprésent

Sur ce confetti perdu au milieu de l’océan, le milieu marin est omniprésent. Près des côtes, on retrouve des espèces qui, comme la langouste de Saint-Paul ( Jasus paulensis ), font la renommée du district. Cette espèce est également connue du complexe d’îles de Tristan Da Cunha dans l’Atlantique Sud.

C’est au plus près de la côte que l’on peut observer le bovichtus ( Bovichtus veneris ), le seul poisson endémique de la zone néritique du district. Ce poisson se rencontre souvent posé sur les rochers de faible profondeur, dans la zone de déferlement des vagues. Il tient en place grâce à ses nageoires pectorales et pelviennes robustes qui lui permettent de s’accrocher aux fonds. Dans cette zone, où se trouvent de nombreuses espèces d’algues, il se fond dans le décor grâce à sa couleur mimétique. Parmi les 219 autres espèces qui composent l’ ichtyofaune 1 de l’île, on peut citer le bleu (Nemadactylus monodactylus – photo de couverture), de loin le plus abondant des poissons côtiers, ou encore le Suezichtys ornatus, l'espèce la plus colorée. Ces deux dernières espèces sont aussi présentes dans l’archipel Tristan Da Cunha et sur les deux monts sous-marins, Walter et Vema Sea Mount, à mi-chemin entre les deux complexes d’îles et l’Afrique du Sud.

Amsterdam est aussi presque entièrement entourée d’une ceinture de laminaires (Macrocystis pyrifera – photo de couverture), la plus grande algue au monde, aussi appelée kelp, et qui compose cette barrière. Pour réussir à flotter et à atteindre la surface de l’eau, cette espèce s’est dotée de pneumatocystes en forme de poire. Les thalles servent de support à de minuscules (2 mm de diamètre) vers annélides polychètes ( Spirorbis sp. ), des vers tubicoles calcifiants. La barrière formée par cette forêt sous-marine empêche bien souvent les orques (Orcinus orca) de se rapprocher trop près des côtes.

Des baleines bleues ( Balaenoptera musculus ), le plus grand animal sur Terre, et des baleines à bosse ( Megaptera novaeangliae ), se croisent parfois au large de l’île. On observe aussi régulièrement quelques espèces non nicheuses d’oiseaux marins comme le pétrel géant subantarctique ( Macronectes halli ), le pétrel à menton blanc ( Pterodroma aequinoctialis ), l’albatros hurleur ( Diomedea exulans ) ou encore l’albatros timide ( Thalassarche cauta ).

Une grande diversité d’espèces en milieux terrestres de basse altitude

Omniprésente sur le littoral de l’île, l’otarie à fourrure subantarctique (Arctocephalus tropicalis ) est l’une des espèces emblématiques d’Amsterdam. Alors qu’elle était au bord de l’extinction au cours de la première moitié du siècle dernier sur Amsterdam, chassée pour sa fourrure, on compte aujourd’hui plus de 22 000 naissances par an 2. Parfois, elles sont accompagnées d’éléphants de mer du Sud (Mirounga leonina ) venus muer ou se reposer. Sur ces milieux côtiers, souvent secs, on retrouve un cortège floristique typique dominé par deux espèces.

Lexique

Zone néritique : partie de l’océan qui s’étend à partir du niveau de la marée basse jusqu’au bord du plateau continental.

Ichtyofaune : en zoologie, l’ichtyofaune désigne et qualifie l’ensemble des poissons d’un écosystème aquatique.

Pneumatocyste : structure en forme de poire, remplie de gaz, permettant aux algues brunes de flotter.

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Bovichtus veneris, un poisson endémique du district. Suezichtys ornatus, la plus colorée des espèces. Photo : Quentin d’Orchymont Photo : Quentin d’Orchymont

La première, Poa novarae , est endémique du district ; la deuxième, la spartine (Sporobolus mobberleyanus ), connue également à Tristan Da Cunha, est sub-endémique. Elle ressemble aux spartines de France métropolitaine mais elle est bien plus grande et n’est pas inféodée aux milieux humides.

Au sud de l’île, près de la pointe Del Cano, (nommée ainsi en hommage au capitaine du bateau qui a découvert l’île), se sont formées les Terres rouges qui hébergent, en compagnie du céleri prostré (Apium prostratum ), la grande majorité des populations de la sagine de Hooker (Sagina hookeri ). Endémique stricte d’Amsterdam, cette espèce a été décrite en 2019 et nommée en hommage de Sir Joseph Dalton Hooker, l’un des premiers botanistes à avoir travaillé sur la flore de l’île. Comme sur la majeure partie de l’île Amsterdam, les falaises côtières sont colonisées par des couples de sternes subantarctiques (Sterna vittata ). Leur population est estimée à au moins 150 couples nicheurs sur l’île 3

Ces terres rouges sont dominées au nord par les impressionnantes Grandes Ravines. L’eau qui arrive des plateaux situés en altitude a érodé ces gigantesques ravines. Les falaises ainsi formées sont colonisées par des albatros fuligineux à dos sombre (Phoebetria fusca ), oiseau qui apprécie particulièrement ces milieux verticaux, où son cri caractéristique résonne sur les parois. Au fond de ces ravines, se forment des ruisseaux temporaires qui accueillent des espèces de plantes à fleurs d’origines subantarctiques comme une renoncule

(Ranunculus biternatus ) ou encore le callitriche de l’Antarctique (Callictriche antarctica ). Cependant, c’est avant tout le royaume des plantes cryptogames. Ainsi on y retrouve l’hyménophylle chevelu (Hymenophyllum capillare ) ou encore la seule fougère endémique du district, qui est aussi la plus grande, Megalastrum taafense , nommée en l’honneur des TAAF en 2010 par Germinal Rouhan, botaniste du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Sur le mur végétal, au fond de la plus grande des ravines, les hépatiques sont abondantes. On peut y observer Calypogeia fi ssa , également présente en métropole, ou encore Riccardia insularis , une des rares bryophytes endémiques du district.

Sur la côte Est, le cratère du Chaudron domine le paysage. C’est dans ce secteur de l’île que des espèces d’oiseaux hypogées ont récemment été redécouvertes 3. Certaines étaient

Lexique

Cryptogames : opposés aux phanérogames, les cryptogames sont des organismes qui se caractérisent par des organes reproducteurs cachés ou peu apparents. Ils sont souvent représentés par les mousses, les lichens et les fougères.

Hépatique : un des embranchements des bryophytes, aussi appelé marchantiophyte, qui a conservé le plus de caractères ancestraux.

Hypogées : se dit des espèces d’oiseaux qui ont une nidification souterraine.

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« Omniprésente sur le littoral de l’île, l’otarie à fourrure subantarctique est l’une des espèces emblématiques d’Amsterdam. »
Otarie à fourrure subantarctique (Arctocephalus tropicalis), avec son petit, couramment appelé «poup’s». Photo : Flavien Saboureau

en effet connues d’ossements fossiles 4. Du fait de la présence des mammifères introduits sur l’île – rat surmulot (Rattus norvegicus) et chat haret (Felis cattus) – les petites espèces d’oiseaux nichant sous terre ont presque entièrement disparu de l’île. Des populations relictuelles subsistent sans doute dans les falaises inaccessibles aux prédateurs. Dans ce contexte, l’élimination simultanée des rats, des souris puis des chats est planifiée dans le cadre du 11e fonds européen de développement Restauration des écosystèmes insulaires de l’océan Indien (RECI) en 2024. Cette opération d’envergure devrait favoriser la conservation des milieux et des espèces face aux menaces que représentent les prédateurs introduits en milieu insulaire.

Compte tenu de leurs mœurs terrestres nocturnes (en plus de leur rareté sur l’île), ces espèces sont difficilement détectables. Ainsi, au cours des deux dernières années, l’utilisation de nouvelles techniques de détection (pièges photographiques, enregistreurs acoustiques, burrowscope) a permis d’identifier une dizaine d’espèces de puffins, pétrels, prions et océanites qui fréquentent l’île Amsterdam. Parmi elles, on peut citer le prion de Macgillivray (Pachyptila macgillivrayi), espèce subendémique du district de Saint-Paul et Amsterdam (aussi présente sur l’île de Gough). Des terriers de cinq espèces ont même été découverts et deux poussins ont été observés en 2022. Ainsi, le puffin à pieds pâles (Puffinus carneipes), nicheur subtropical d’Australasie, et le puffin fuligineux (Ardenna grisea), très grand migrateur, sont actuellement reproducteurs sur l’île.

En rentrant un peu plus dans les terres, on trouvait, selon les dires des premiers explorateurs, une ceinture d’arbres sur toute la partie Nord et Est de l’île, entre 100 et 250 m d’altitude, constituée de petits arbres : les phylicas (Phylica arborea). Avec 148 espèces, le genre Phylica s’est diversifié en Afrique du Sud. Par la suite, grâce aux oiseaux, il est parti à la conquête des îles qui entourent le continent africain comme celle de SaintHéléne (Phylica polifolia), celles des Mascareignes (Phylica nitida) ou celles de Tristan Da Cunha et de Gough (Phylica arborea). Selon un article publié en 2003 5, les analyses génétiques ont révélé que les phylicas d’Amsterdam proviendraient de l’île de Gough, il y a moins de 500 000 ans.

Après de nombreux incendies, des coupes de bois par les marins et l’introduction de bovins au XIXe siècle (éradiqués depuis 2010), la surface de ces boisements s’est fortement réduite. Ainsi, dans les années 1980, il ne restait plus qu’un boisement de quelques hectares appelé Grand-Bois, et quelques individus dans des coulées de lave effondrées. C’est alors que le Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) a initié les premières opérations de renforcement des populations en plantant 8 000 arbres entre 1988 et 1993. Aujourd’hui, les TAAF, en qualité de gestionnaire de la réserve naturelle, ont repris le programme de restauration et depuis 2012 plus de 9 000 phylicas ont été plantés.

La plantation se fait désormais sur les quelques ilôts de tourbes relictuels qui n’ont pas été touchés par les incendies. Ces ilôts sont

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Les Terres rouges, près de la pointe Del Cano, avec en fond les Grandes ravines. Photo : Flavien Saboureau

souvent situés à l’intérieur de gigantesques scirpaies, exclusivement composées du scirpe noueux (Ficinia nodosa ), plante qui recouvre le plus de surface sur l’île. On y retrouve un cortège floristique très similaire à celui de la dernière « forêt vierge » (Grand-Bois). Ce petit boisement est principalement peuplé de fougères (qui, via leurs spores portées par les vents, sont pour la plupart originaires d’Afrique) comme le dryoptère de l’Antarctique (Dryopteris antarctica ), une doradille très récemment décrite (Asplenium blotiae ), la langue de cerf (Elaphoglossum succisifolium ) et le gleichenia (Gleichenia polypodiodes ), une fougère aux nombreux caractères ancestraux. Les vieux troncs des phylicas y servent de supports à un lichen aux thalles foliacés remarquables, Pseudocyphelaria aurata.

Au nord de l’île, les phylicas réintroduits sont les principaux supports pour l’un des quatre lichens endémiques du district, le caloplaca d’Amsterdam ( Caloplaca amsterdamensis ), découvert en 2007 et décrit en 2011. Possédant des thalles crustacés très discrets, il se voit très bien en « fructifi cation » grâce à ses apothécies d’un rouge remarquable. Sur les falaises voisines de la Pearl, au nord d’Entrecasteaux, on retrouve de très belles populations d’une mousse très étonnante, que l’on appelle ici l’azorelle amstellodamoise (Hypodontium pomiforme). Cette bryophyte qui était exclusivement connue d’Afrique du Sud avant 1960 est donc désormais considérée comme sub-endémique. À la manière de nombreuses plantes subantarctiques et de nombreuses plantes alpines, sa forme en coussin très dense joue un rôle de tampon thermique face

aux radiations solaires de la journée et à la fraîcheur de certaines nuits. On la trouve principalement dans les endroits exposés aux vents dominants d’ouest. Facilitatrice, elle sert souvent de support à diverses plantes comme Poa novarae ou Pentameris insularis, toutes deux endémiques du district. On peut également noter que les coulées de lave effondrées, qui parsèment l’île, renferment des espèces de diatomées endémiques récemment décrites. Certaines d’entre-elles ont révélé une étonnante similitude avec les espèces présentes dans les coulées de lave hawaïennes 6

Lexique

Thalles : chez les lichens, parties stériles qui peuvent, entre-autre, être foliacées ou crustacées, hébergeant les algues ou les cyanobactéries.

Apothècie : chez les lichens, partie fertile en forme de disque ou de coupe issue de la « fructification » d’un champignon ascomycète.

Facilitatrice : se dit des plantes qui n’entrent pas en compétition mais qui s’entraident mutuellement en servant par exemple de support, c’est la facilitation écologique.

Diatomées : aussi appelées Bacillariophycées, ce sont des algues brunes unicellulaires microscopiques caractérisées par un exosquelette siliceux appelé frustule. Elles sont la composante majeure du phytoplancton.

«
Au nord de l'île, les phylicas réintroduits sont les principaux supports pour l'un des quatre lichens endémiques du district, le caloplaca d'Amsterdam (Caloplaca amsterdamensis).
»
, un lichen endémique de Saint-Paul et Amsterdam. Photo : Flavien Saboureau

Les falaises d’Entrecasteaux

Alors qu’il peut faire partie du régime alimentaire des otaries en mer, il cohabite très bien avec elles sur les plages. Les changements climatiques engendrent un déplacement de ses proies principales : le krill et les calmars. Il a ainsi plus de difficultés à les atteindre. Alors que 100 000 couples nicheurs étaient dénombrés au début des années 1970, le dernier comptage de 2021 faisait état de moins de 5 800 couples 3

Lexique

Touradon : formation végétale en forme de butte ou de motte arrondie, qui s’apparente parfois à un stipe, issue de l’accumulation de matières organiques. Structure bien connue chez les Poales et plus particulièrement chez les laîches (Carex spp.).

Krill : terme d’origine norvégienne désignant des organismes (petites crevettes) présents dans tous les océans, et plus particulièrement dans les océans austraux et boréaux. Albatros

Depuis la pointe Del Cano, on devine les fameuses falaises d’Entrecasteaux. Hautes de 600 m (photo p. 32-33), elles sont le refuge d’une faune d’une rare richesse. Ainsi, nichés sur des touradons de Poa novarae, plus de 65 % de la population mondiale d’albatros à bec jaune de l’océan Indien (Thalassarche carteri) s’y reproduit, ce qui représente près de 30 000 couples au dernier comptage de 20213 ! Cette espèce tient son nom de la ligne jaune présente sur le haut de son bec. Actuellement, le succès de sa reproduction sur Amsterdam est faible du fait de la présence de pathogènes aviaires qui touchent essentiellement les poussins. Un effet sur la population se ressentira peut-être dans le futur compte tenu de la grande longévité de l’espèce, typique des albatros.

Les falaises d’Entrecasteaux hébergent aussi la majeure partie des colonies de gorfou sauteur du Nord (Eudyptes moseleyi) sur l’île ; sub-endémique, il est également connu dans le complexe d’îles de Tristan Da Cunha. Cet oiseau fait partie de la famille des Spheniscidae, celle des manchots. Il arbore des aigrettes sur la tête et a la particularité de se déplacer en sautant.

Tout est différent dans les milieux terrestres d’altitude

Après avoir traversé la ceinture de scirpes (Ficinia nodosa) puis celle des gleichenias (Gleichenia polypodioides), qui cernent l’île entre 300 et 500 m d’altitude, on arrive « sur une autre île » : les milieux d’altitude. En effet, tout y est différent, le climat se rapproche du subantarctique et de nombreux organismes sont

partagés avec Crozet et Kerguelen (autres districts subantarctiques des TAAF). La différence majeure avec ces deux îles vient de la présence de tourbières « vraies », issues de l’accumulation de mousses du genre Sphagnum. Ce genre est encore mal connu sur l’île mais on recense au minimum sept espèces dont trois sont endémiques (S. cavernulosum, S. complanatum et S. islei). On observe sur ces tourbières l’oiseau emblématique de l’île, l’albatros d’Amsterdam (Diomedea amsterdamensis), récemment décrit (1983), dont l'envergure moyenne est de 2,80 m.

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à bec jaune de l’océan Indien (Thalassarche carteri). Photo : Flavien Saboureau Colonie de gorfous sauteurs du Nord (Eudyptes moseleyi), seul manchot du district. Photo : Quentin d’Orchymont

C’est la seule espèce d’oiseau endémique stricte de l’île Amsterdam. Il est classé parmi les 100 espèces animales les plus rares au monde. Alors que l’on recensait cinq couples nicheurs en 1982, aujourd’hui plus de 60 couples se reproduisent tous les deux ans sur le plateau des Tourbières. En effet, le cycle de nidification de l’espèce s’étale sur plus d’une année et ne permet pas aux oiseaux de nicher chaque année 7 .

Sur ces tourbières d’altitude, on observe également les labbes subantarctiques (Catharacta antarctica subsp. loonbergi). Cet oiseau opportuniste est bien souvent charognard et se nourrit de tous les cadavres d’oiseaux, de poissons et de mammifères marins présents sur Amsterdam : il est le fossoyeur de l’île. Il niche exclusivement au-dessus de 500 m d’altitude.

Sur ces tourbières, milieu d’intérêt patrimonial, on trouve de nombreuses bryophytes comme la très abondante Racomitrium lanuginosum mais aussi des espèces vasculaires dites tyrphobiontes , dont certaines sont endémiques de l'île. C’est le cas de l’agrostis de De l’Isle (Agrostis delislei), une graminée nommée en l’honneur de Gaston De l’Isle, un botaniste qui a beaucoup herborisé à la fin du XIXe siècle sur Amsterdam. C’est aussi le cas de la lampourde insulaire (Acaena insularis) qui, tout comme la laîche à col court (Carex brevicaulis), bien que cette dernière ne soit pas endémique, a modifié la morphologie de ses fruits, ce qui leur permet de pouvoir s’accrocher aux plumes des oiseaux et être dispersés à travers les océans. On y observe également la langue de cerf (Elaphoglossum succisifolium), évoquée plus tôt. Exclusivement partagée avec Tristan Da Cunha, cette fougère a des frondes entières et revêtues d’écailles brunâtres.

Lorsque l’on se rapproche du sommet de l’île, au-dessus de 700 m d’altitude, apparaissent les fellfields, ces terres nues écorchées par les vents qui, n’ayant connu aucun obstacle depuis des milliers de kilomètres, ne cessent de souffler. À cette altitude, la macrofaune est rare, et seule la flore ponctue le paysage. Le plantain de Staunton (Plantago stauntonii), endémique de Saint-Paul et Amsterdam y est commun, contrairement à son cousin Plantago pentasperma, rare et strictement endémique d’Amsterdam. Ils sont bien souvent accompagnés d’une strate muscinale dominée par Jensenia difformis ainsi que par une strate lichénique dominée par Placopsis spp.

Un petit papillon aux ailes réduites à l’état de moignons

C’est caché dans cette végétation rase que l’on peut apercevoir un papillon sub-aptère endémique, inapte au vol, Brachypteragrotis patricei 8. Cet insecte a été découvert en 1956 au cœur de la caldeira dans les hauts de l’île, puis a été décrit en 1959. La petite taille de l’imago (stade adulte), 12 à 13 mm de longueur, et sa coloration brune le rendent très discret. Les ailes sont réduites à l’état de moignons, elles ne dépassent jamais le 3e segment abdominal. Bien que les causes de ce brachyptérisme (raccourcissement des ailes) ne puissent pas être explicitées avec certitude, plusieurs hypothèses évolutives apportent des éléments de réponse : les conditions climatiques rudes et en particulier les vents violents qui règnent sur les hauteurs de l’île Amsterdam réduisent fortement l’intérêt du vol pour les insectes, qui risquent alors d’être emportés en mer. L’absence de prédateurs naturels, avant les introductions provoquées par l’arrivée des humains, a pu également œuvrer en faveur de la sélection de spécimens dénués de capacité énergivore d’envol. Quelle que soit la réponse, le changement morphologique observé chez cette espèce est une parfaite illustration de la théorie de l'évolution énoncée par Charles Darwin !

Lexique

Tyrphobionte : se dit d’un organisme qui est strictement inféodé aux milieux tourbeux.

Sub-aptère : en zoologie, qualifie une absence partielle d’ailes, rendant l’organisme inapte au vol.

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Parade de l’albatros d’Amsterdam (Diomedea amsterdamensis), sur les tourbières dominées par une graminée endémique, Agrostis delislei Photo : Flavien Saboureau Photo : Flavien Saboureau

L'Île Amsterdam des Terres australes

C’est là que les espèces adaptées au climat subantarctique sont les plus nombreuses. Citons Austrolycopodium magellanicum, Huperzia saururus et Carex austrocompacta. Puis c’est dans les falaises qui mènent au sommet (la Dive, 881 m) que l’on peut trouver le polystiche de Marion (Polystichum marionense), exclusivement connu d’Amsterdam, de Crozet et de l’archipel de Marion et Prince Edwards. Arrivés au sommet, le seul endroit où l'on voit la mer à 360°, la vue sur la Caldeira et le plateau des Tourbières est époustouflante. À l'ouest on imagine l'Afrique du Sud à quelques 4 300 km et à l'est l'Australie à quelques 3 400 km. Lors des beaux jours, on peut distinguer l'île SaintPaul à l'horizon. Et l'on constate alors combien l'île Amsterdam forme un minuscule oasis perdu au milieu de l'océan.

Biblio

1- Duhamel G. 1989. Ichtyofaune des îles Saint-Paul et Amsterdam (Océan Indien sud). Mésogée, 49 : 21-47.

2- Villard P. 2012. La connaissance sur le patrimoine naturel terrestre de la réserve de l'île Amsterdam, TAAF. Rapport campagne d'été 2011 – 2012.

3- D’Orchymont Q. 2022. État des lieux des populations d’oiseaux nicheurs et des otaries sur l’île Amsterdam. (TAAF.DE. n. pub.).

4- Worthy T. H., Jouventin P. 1999. The Fossil Avifauna of Amsterdam Island, Indian Ocean. Smithsonian contributions to paleobiology, 89 : 39-65.

5- Richardson J. E. 2003. Species delimitation and the origin of population in island representatives of Phylica. Evolution, 57(4): 816-827.

6- Van de Vijver B., Cox E. J. 2013. New and interesting small-celled naviculoid diatoms (Bacillariophyceae) from a lava tube cave on Île Amsterdam (TAAF, Southern Indian Ocean). Cryptogamie, Algologie, 34 (1): 37-47.

7- Chaigne A. 2019. Plan national d’actions pour l’albatros d’Amsterdam, Diomedea amsterdamensis, 2018-2027.

8- Saboureau F. 2022. Les premières images d’un papillon, inapte au vol, endémique de l’île Amsterdam. Blog officiel du district de Saint-Paul et Amsterdam

Remerciements

Les auteurs remercient Clément Quetel, chef du service conservation et restauration des milieux, et Pierre Agnola, chargé de la connaissance et du suivi de la flore et des habitats terrestres, à la direction de l’environnement des TAAF, pour la relecture de leur article.

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La langue de cerf (Elaphoglossum succisifolium), sur un tapis de sphaignes (Sphagnum sp.). Photo : Flavien Saboureau Plantago stauntonii, endémique de Saint-Paul et Amsterdam, sur un tapis de Racomitrium lanuginosum. En fond la caldeira, à près de 800 m d'altitude. Photo : Quentin d’Orchymont

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