A la découverte de la flore des Pyrénées centrales

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À la découverte de la flore des Pyrénées centrales

En ces temps compliqués, il est difficile d’envisager une balade au Turkestan ou dans les confins du Laos. Alors, que diriez-vous d’une randonnée dans les Pyrénées ? Presque aussi dépaysant, avec des paysages à couper le souffle et des bijoux botaniques à découvrir. Votre sac à dos est prêt ? Allons-y en bonne compagnie…

Voilà quelques mois que je rêve de découvrir la flore alpine… le mois de juin venu, je passe à l’action et j’investis dans tout le matériel nécessaire à la randonnée de longue durée : sac à dos, chaussures, réchaud, sac de couchage, matelas auto gonflant, tente, gourde, plats lyophilisés, batterie portable et j’en passe. Le maître mot : être léger malgré tout et, surtout, ne pas oublier l’appareil photo, avec un objectif macro de 105 mm pour les photos de plantes et un 18/55 mm, qui restera dans ma poche de sac à dos, pour les paysages. Fin prêt, il faut maintenant décider où grimper… Ben-

jamin et Sarah, deux amis jardiniers-botanistes qui faisaient partie comme moi de la promo 2018/2019 de Chateaufarine, à Besançon, sont déjà partis depuis quinze jours sur la Haute Route Pyrénéenne (HRP) qui va d’Hendaye à Banyuls-sur-Mer, de l’Atlantique à la Méditerranée. Ils seront normalement à Gavarnie début juillet. Il n’en faut pas plus pour me motiver, son cirque étant réputé depuis longtemps pour sa très grande richesse botanique.

Le 4 juillet, me voilà arrivé à Gavarnie, à un peu plus de 1 300 mètres d’altitude et, comme prévu, de très nombreux touristes sont là, ça grouille de monde.

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Flavien Saboureau Benjamin, Sarah et Flavien été 2020

ESPAGNE

Benjamin et Sarah sont arrivés trop tard et ils n’ont pas pu récupérer une partie de leur ravitaillement à la poste. Qu’à cela ne tienne, nous traçons sur la carte le déroulé des trois prochains jours, sachant qu’il faudra revenir lundi pour récupérer leur colis. Il est seize heures et, à peine réunis, nous partons tout de suite à l’assaut des 700 mètres de dénivelé qui nous attendent jusqu’à la cabane des soldats, dans la vallée des Pouey-Aspé. Cela faisait plusieurs mois que nous ne nous étions pas vus, alors durant les premiers dénivelés, autant avouer que nous avons plus discuté qu’herborisé. Cependant, en chemin, nous rencontrons déjà quelques spécialités pyrénéennes : c’est le cas de Potentilla alchemilloides, une belle potentille qui passe à s’y méprendre pour une alchémille. Une fois sortis des autoroutes touristiques, les sentiers sont déserts, quel plaisir ! Aux alentours de 1 700 mètres, les arbres commencent à disparaître et nous sortons peu à peu de l’étage montagnard. Là, face au magnifique cirque glaciaire, nous rencontrons l’iris des Pyrénées (Iris latifolia), une plante emblématique des Pyrénées centrales et, à ses pieds, la très courante gentiane champêtre (Gentianella campestris). Un peu plus loin sur les affleurements rocheux, nous remarquons le Paronychia kapela subsp. serpyliifolia, une étonnante caryophyllacée aux grandes bractées scarieuses.

Balade BOTANIQUE dans les PyréNéEs

À ce moment-là, nous levons la tête, et apparaît à nos yeux la remarquable saxifrage à longues feuilles (Saxifraga longifolia). Cette plante monocarpique produit d’énormes hampes florales pouvant dépasser cinquante centimètres de long, garnies de nombreuses corolles blanches. Cette plante endémique pyrénéenne se cantonne presque exclusivement au département des Hautes-Pyrénées. Le soleil commence à se cacher derrière les crêtes et la lumière se fait plus rare mais la cabane est en vue. Au milieu des pâtures, nous rencontrons l’astragale aristée (Astragalus sempervirens subsp. sempervirens), une fabacée qui, contrairement à la plupart de ses cousines françaises, a la particularité d’être très épineuse, sûrement l’une des raisons pour laquelle elle n’est pas broutée au milieu de ces pâtures rases. Quelle surprise de découvrir, après être rentré et lors du tri des photos, que si elle est très courante dans les Alpes, elle n’est connue que de quelques communes dans les Pyrénées. Nous avons donc été chanceux !

Avant d’arriver à la cabane, nous nous ravitaillons en eau dans un petit ruisseau et nous prenons alors le temps d’herboriser. C’est l’occasion de découvrir de nombreux pieds de grassettes (Pinguicula sp.) non fleuris, mais surtout l’une des trois sélaginelles françaises, Selaginella selaginoides. Elle est loin de res-

sembler aux espèces tapissantes connues dans les jardins, au point que j’ai cru être face à un lycopode tellement la ressemblance est grande. Arrivés à la cabane, carrément luxueuse, — je n’ai jamais revu une telle cabane —, nous sommes seuls pour nous partager deux chambres et la salle à manger. Le repas se fera en plein air et à la lampe frontale face aux derniers rayons du soleil transperçant la vallée. Le lendemain, après une nuit agitée à cause des souris, lever matinal. Le soleil est au beau fixe et c’est de bon augure car aujourd’hui nous partons à l’assaut de la très réputée brèche de Roland et ses plus de 2 800 mètres. Nous ne le savons pas mais cela restera l’une des plus grosses journées d’herborisation de notre vie, avec près de cent espèces végétales intéressantes repérées. Avant de plier bagage, nous explorons les affleurements rocheux qui entourent notre cabane, pour y trouver Scleranthus uncinatus, Saxifraga moschata, Sedum anglicum, Trifolium alpinum, Euphrasia salisburgensis et Atocion rupestre. Après quelques minutes de marche, suite à la rencontre avec nos premiers edelweiss (Leontopodium nivale subsp. alpinum), nous traversons un petit marais d’altitude, qui héberge entre autres Micranthes stellaris, Pinguicula grandiflora et Tofieldia calyculata, trois espèces emblématiques de ce milieu. Peu avant de nous attaquer aux gros dénivelés, nous faisons la rencontre du chardon fausse-carline (Carduus carlinoides). Cette astéracée qui s’avèrera très courante au fur et à mesure de notre randonnée est en fait une endémique pyrénéo-cantabrique. Comme beaucoup de plantes que nous allons découvrir, elle ne se rencontre donc que sur la chaîne pyrénéenne et la cordillère cantabrique, qui est un peu le prolongement de cette dernière au nord de la péninsule ibérique. Ça y est, nous entrons dans le dur et il n’est pas facile d’allier l’effort physique et la photographie de paysages ou de fleurs. La rude montée est l’occasion de rencontrer quelques plantes typiques des rocailles, des éboulis et des pelouses maigres, dites écorchées : Linaria alpina, Scutellaria alpina, Crepis pygmaea, Polystichum lonchitis, Cystopteris fragilis, Gnaphalium hoppeanum, Gentiana verna, Festuca eskia mais surtout Herniaria latifolia et Galium cespitosum Ces deux dernières espèces endémiques se ren-

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Gavarnie Vallée des Pouey-Aspé Vallon des Sarradets
Refuge des Espuguettes Hourquette d’Allans Lac des Gloriettes Brèche de Roland Glacier du Taillon
Cabane des soldats Cirque de Gavarnie Cirque
Pic
Cirque de Troumouse
Grande cascade
d’Estaubé
du Marboré
Potentilla alchemilloides Iris latifolia Astragalus sempervirens subsp. sempervirens selaginella selaginoides Paronychia kapela subsp. serpyliifolia saxifraga longifolia Herniaria latifolia Carduus carlinoides Leontopodium nivale subsp. alpinum Linaria alpina scleranthus uncinatus scutellaria alpina Galium cespitosum Tofieldia calyculata Micranthes stellaris Soleil transperçant la vallée Une cabane quatre étoiles

Le phénomène de La vicariance

en botanique, une plante est dite vicariante quand, dans des niches écologiques similaires, deux espèces très proches sont séparées géographiquement. entre les alpes et les Pyrénées, les exemples de plantes vicariantes sont nombreux. le Cirsium spinosissimum une plante courante dans les alpes, est « remplacée » dans les Pyrénées par le Cirsium glabrum, une plante rare et protégée, qui est morphologiquement très proche. c’est également le cas avec Papaver alpinum subsp. alpinum et P. alpinum subsp. suaveolens ou bien Vicia cusnae et V. argentea. ces quatre magnifiques taxons fréquentent les éboulis des deux chaînes de montagne. elles avaient un ancêtre commun et lors des dernières glaciations elles se sont réfugiées en hauteur et donc séparées. ces espèces sont alors en cours de spéciation. ce phénomène étant récent à l’échelle géologique, si nous revenons dans quelques milliers d’années, elles auront peut-être évolué morphologiquement ou bien même écologiquement, et elles ne pourront alors plus être classées comme vicariantes.

contrent presque exclusivement chez nous dans les Hautes-Pyrénées.

À la frontière espagnole, au col de Boucharo, à près de 2 300 mètres, l’arrivée dans l’étage alpin se ressent immédiatement dans la végétation. Une énorme station de Geranium cinereum nous y attend. Ce géranium, protégé nationalement et donc formellement interdit à la cueillette, est un vicariant de son cousin des Alpes, le géranium argenté (Geranium argenteum), encore plus rare et plus menacé. Le col, balayé par les vents, est également l’occasion de découvrir plusieurs plantes en coussinet comme la fameuse silène acaule (Silene acaulis subsp. acaulis) mais aussi et surtout la sabline pourprée (Arenaria purpurascens), qui forme des tapis roses au sol. En France, elle est la seule sabline à présenter des fleurs de cette couleur. Cette sub-endémique pyrénéenne n’est connue en dehors de la chaîne que dans une station du Vercors. En restant au ras du sol, ces plantes se sont adaptées aux très fortes contraintes environnementales : le vent, les rayons ultraviolets et le très long enneigement. La densi-

té de leurs coussins joue le rôle de tampon thermique et régule la température à l’intérieur, entre les chaudes journées et les froides nuits d’été. Alors qu’en plaine les plantes sont en concurrence, en montagne elles semblent s’entraider et ces espèces sont souvent appelées « plantes facilitatrices » car elles permettent à d’autres espèces, comme les Poa ou les Phyteuma, de s’implanter sur elles. J’ai pu rencontrer cette adaptation dans les Alpes. Nous rencontrerons aussi Phyteuma hemisphaericum, Arenaria multicaulis et une nouvelle endémique, Anthyllis vulneraria subsp. boscii

Nous continuons notre chemin et les premiers névés, des plaques de neige isolées, commencent à apparaître. Les pelouses écorchées qui longent le chemin sont, pour moi, l’opportunité de découvrir pour la première fois une plante qui m’a toujours fasciné, la dryade à huit pétales (Dryas octopetala). Cette rosacée dite arctico-alpine se rencontre principalement dans les terres scandinaves, en Islande et en Alaska. Lors des dernières glaciations, elle s’est réfugiée sur les plus hauts sommets qui

n’étaient pas touchés par les glaciers, ce que les Inuits appellent des nunataks, et s’est donc retrouvée en étau là-haut dans les Alpes, les Pyrénées et le Jura. Aujourd’hui, après le reflux des glaciers, elle tente de reconquérir les terres perdues des milliers d’années plus tôt. Ici, elle se mélange avec l’androsace velue (Androsace villosa), une androsace très poilue qui a la particularité d’arborer des fleurs à la corolle blanche, ponctuées en leur centre de jaune ou de rouge. Cette différence de couleur originale dépend de l’avancement de la fécondation. Le chemin monte encore et encore, et les éboulis, issus des moraines glaciaires, commencent à devenir bien présents. Ils hébergent la botryche lunaire (Botrychium lunaria), une fougère proche de la bien connue langue de serpent (Ophioglossum vulgatum), et qui partage avec l’osmonde (Osmunda regalis) la particularité d’avoir des frondes fertiles et des frondes stériles. Ces éboulis sont également l’occasion de faire la rencontre d’une nouvelle plante endémique pyrénéo-cantabrique, la véronique nummulaire (Veronica nummularia). Cette espèce diffère grandement de toutes ses cousines : le milieu dans lequel elle vit, ses fleurs d’un bleu profond et ses petites feuilles « grasses » ne laissent aucun doute quant à sa détermination. Nous sommes début juillet et la neige est encore très présente à cette altitude. Nous croisons de nombreux randonneurs qui rebroussent chemin car ils ne sont pas équipés pour traverser les névés. Nous hésitons nous aussi car je n’ai pas pensé à acheter des crampons avant de partir — ça sera fait une fois descendu dans la vallée — mais Benjamin et Sarah, plus expérimentés, sont mieux équipés. Benjamin passe donc devant moi et il trace la piste dans la neige glacée, jusqu’au col des Sarradets. Après plus d’une heure occupée à traverser l’énorme névé, un magnifique paysage s’offre à nous. À droite, le glacier du Taillon — hors champ sur la photo —, l’un des derniers glaciers

des Pyrénées. Il occupait encore douze hectares en 2007 et devrait disparaître dans quelques années. À gauche, le magnifique vallon des Sarradets s’ouvre sur le cirque de Gavarnie et son impressionnante cascade. Au centre, la brèche de Roland et le refuge des Sarradets, près duquel nous pique-niquerons. Nous rencontrons notre première marmotte de la randonnée, elle est bien entendu attirée par notre nourriture et se laisse approcher à quelques mètres. Les anfractuosités qu’offrent les rochers sur lesquels nous sommes assis sont colonisés par une minuscule plante, la sagine fausse sagine (Sagina saginoides), une caryophyllacée aux sépales plus grands que les pétales. Rassasiés, nous gagnons assez rapidement la brèche de Roland au milieu de beaucoup de personnes qui veulent comme nous admirer le magnifique paysage. Cette brèche impressionnante est issue de l’effondrement d’un pan entier de montagne qui culminait à 3 000 mètres d’altitude. Au sud, l’Espagne avec son paysage très minéral, et au nord la France, bien plus verte et enneigée. Là-haut, nous pensions rencontrer quelques an-

Hommes & Plantes N° 116 - 39 38 - Hommes & Plantes N° 116 Balade BOTANIQUE dans les PyréNéEs
Geranium cinereum silene acaulis subsp. acaulis Arenaria purpurascens Les coussins sont souvent très accueillants. Anthyllis vulneraria subsp. boscii Dryas octopetala sagina saginoides Botrychium lunaria Veronica nummularia Androsace villosa Un magnifique paysage avec à droite le glacier du Taillon

drosaces mais les contraintes climatiques et anthropiques sont telles que nous ne rencontrerons que le magnifique cresson des chamois (Hornungia alpina), littéralement accroché aux falaises. Redescendus au refuge, nous nous redirigeons vers le cirque de Gavarnie et nous traversons des pelouses de combes à neige, encore recouvertes de neige il y a quelques semaines ou quelques jours. Ces milieux sont d’une incroyable richesse car les plantes ont dû se spécifier pour résister à de telles contraintes. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le froid n’est pas la principale contrainte, car la neige sert d’isolant en hiver, mais bel et bien la sécheresse hivernale et la courte durée de végétation, qui dure à peine deux à trois mois. Les plantes

doivent donc se dépêcher pour boucler leur cycle reproductif en été, et en conséquence ce sont bien souvent des milieux très fleuris. On y découvre la plante emblématique du milieu, la soldanelle (Soldanella alpina), une magnifique primulacée très gracile qui partage les lieux avec une de ses cousines, Primula integrifolia, et la rare renoncule alpestre (Ranunculus alpestris). Les saules rampants, souvent considérés comme les plus petits arbres du monde, comme Salix retusa, sont également légion dans ce milieu. Nous y avons aussi repéré une championne, la saxifrage à feuilles opposées (Saxifraga oppositifolia). Elle détient le record d’altitude pour une plante à fleurs en France et en Europe, avec des observations réalisées à plus de

4 500 mètres dans le Valais suisse. Cet arrêt aura aussi été l’occasion d’observer la seule station de Carex bicolor des Pyrénées françaises, une magnifique laîche avec des utricules au contraste saisissant, mi-partie vert pâle et noir. En s’éloignant des dernières neiges, nous avons également rencontré Potentilla aurea, Silene acaulis, Gentiana verna, Globularia repens, Leucanthemopsis alpina, Paronychia kapela, Geranium cinereum, Geum montanum, Veronica nummularia, Antennaria dioica, Globularia nudicaulis, Saxifraga praetermissa, Gentiana clusii, Plantago alpina, Viola biflora et la très belle Ranunculus pyrenaeus, bien entendu endémique de la chaîne pyrénéenne. Nous nous approchons de la cascade de Gavarnie, la plus haute chute d’eau de France, mais alors que nous sommes encore à plus d’un kilomètre d’elle nous avons l’impression que son eau s’écoule au ralenti, une drôle de sensation la première fois, comme si le temps ralentissait pour mieux profiter du moment ! Nous attaquons donc, non sans une petite appréhension, l’échelle des Sarradets, un passage réputé compliqué pour descendre au fond du cirque. Nous interrogeons les randonneurs qui en reviennent et ils ne nous rassurent pas en disant que c’est plus simple à monter qu’à descendre, cela dit c’est souvent le cas en montagne… Avant de nous engager, nous arpentons les pentes remplies de Rhododendron ferrugineum en fin de floraison, et dans les ruisselets qui les traversent nous observons quelques classiques des milieux humides de montagne : Pinguicula grandiflora, Bartsia alpina et Bistorta vivipara. Une fois engagés dans la descente, nous ne regrettons pas notre choix de ne pas avoir rebroussé chemin, et pour cause : les falaises sont remplies de ramondas (Ramonda myconi), LA plante emblématique des Pyrénées. Cette relique glaciaire, la seule espèce présente en France de la famille des Gesneriacées, celle des saintpaulias, croît ici en compagnie de Saxifraga longifolia sur les falaises humides et exposées nord, et elle sera le clou de la journée. Sur le bord du chemin très escarpé, nous découvrons des espèces encore jamais rencontrées aujourd’hui : Aquilegia pyrenaica, Pedicularis pyrenaica, Saxifraga umbrosa, Betonica alopecuros, Gymnadenia nigra, Thesium humifusum, Reseda glauca, Arenaria grandiflora

Après quelques frayeurs lors de la descente sur ces éboulis et dalles humides, nous arrivons presque au pied de cette cascade haute de 420 mètres au milieu de falaises de près de 1 300 mètres ! De là, nous empruntons un chemin non indiqué sur les cartes pour rejoindre la cabane des Pouey-Aspé, à côté de laquelle nous sommes passés hier. Le chemin alterne entre éboulis et sous-bois. Nous y rencontrons quelques lis martagon et quelques aconits mais nous sommes pressés car il est déjà plus de dix-huit heures. Après avoir pris un bain très revigorant dans le gave descendant tout droit

des glaciers du Taillon et du Gabiétous, nous filons vers la cabane. En chemin, nous observons à nouveau Saxifraga longifolia, accrochée aux falaises, et nous admirons pour la première fois Epipactis atrorubens, une belle orchidée facile à reconnaître grâce à ses fleurs d’un violet très foncé. Arrivés à la cabane, nous allons chercher du bois pour faire un feu à l’intérieur car nous sommes dans le Parc national des Pyrénées et il est interdit d’y faire un feu dehors. Ce fut une journée incroyable, riche en découvertes… mais si c’était à refaire nous ferions le chemin en sens inverse !

Le lendemain, nous prenons le temps de nous réveiller tranquillement car la randonnée de la veille a été fatigante. Nous sommes même réveillés par les cloches des vaches qui viennent toquer à la porte… Le feu éteint, la cabane nettoyée, le sac sur le dos, nous redescendons vers Gavarnie par le chemin que nous avions pris le tout premier jour. Maintenant qu’on s’est tout raconté, c’est l’occasion d’herboriser sérieusement. Cette redescente à l’étage montagnard, dans le brouillard, nous permet de rencontrer Campanula glomerata, Astrantia major, Dianthus hyssopifolius, Phyteuma orbiculare, Epipactis atrorubens, Geranium phaeum et le magnifique lis martagon

Balade BOTANIQUE dans les PyréNéEs Hommes & Plantes N° 116 - 41 40 - Hommes & Plantes N° 116
(Lilium martagon) Hornungia alpina soldanella alpina Carex bicolor Primula integrifolia et ranunculus alpestris Globularia repens salix retusa ranunculus pyrenaeus saxifraga oppositifolia ramonda myconi rhododendron ferrugineum Epipactis atrorubens Pinguicula grandiflora Astrantia major Bartsia alpina Dianthus hyssopifolius Au sud, l’Espagne avec son paysage très minéral

Le colis récupéré à la poste et le ravitaillement fait à la petite coop du coin par Benjamin et Sarah devraient leur permettre d’être autosuffisants pendant neuf jours. Je vais les suivre pendant deux jours sur leur parcours du HRP. Nous attaquons donc par l’autre côté du cirque de Gavarnie, à l’est du gave. La montée est très raide et en l’équivalent d’un à deux kilomètres nous avalons sept cents mètres de dénivelé. Malheureusement la végétation n’est pas au rendez-vous, ou bien nous sommes déjà habitués à son cortège floristique...

Il faudra attendre l’approche du refuge des Espuguettes, caché dans le brouillard, vers 1 900 mètres, pour enfin trouver quelque chose d’intéressant avec le colchique des Pyrénées (Colchicum montanum). Ce colchique a la particularité d’avoir des tépales libres, longs et fins, ce qui lui a valu autrefois sa classification par le botaniste Louis Ramond dans le genre Merendera, en compagnie du très rare Colchicum filifolium, que l’on retrouve en région méditerranéenne. Sur le chemin qui mène au refuge, les ruisseaux sont remplis de la très courante mais toujours aussi élégante véronique cresson de cheval (Veronica beccabunga), drôle de nom ! Arrivés au refuge pour pique-niquer, et profitant du fait que le brouillard se dégage,

Balade BOTANIQUE dans les PyréNéEs

nous observons la vallée dans son intégralité, un paysage immense ! De là, nous remarquons au loin la brèche de Roland, où nous étions il y a seulement vingt-quatre heures. Étonnant de réaliser que nous avons déjà fait tout ce chemin… C’est l’heure d’attaquer la Hourquette d’Allans (2 430 mètres), un col qui va nous permettre de basculer dans le cirque d’Estaubé. Le long de la montée, nous observons Sagina saginoides, Medicago suffruticosa, Epilobium alnisifolium, Paronychia polygoniifolia, Cardamine resedifolia, Cryptogramma crispa, Leucanthemopsis alpina. Puis arrivés au col, sur roche et substrat acides, nous admirons Armeria bubanii, Phyteuma charmelii, Veronica fruticans, Geranium cinereum, Saxifraga oppositifolia, Phyteuma hemisphaericum, Pedicularis pyrenaica, Globularia repens, Silene acaulis subsp. acaulis, Sedum alpestre, Sempervivum montanum et l’étonnant asplénium ou doradille du Nord (Asplenium septentrionale). Ses frondes persistantes ont la particularité d’être fines, en forme de lanière, se divisant en deux ou trois fourches à leur extrémité. Nous basculons alors de l’autre côté du col et nous arrivons dans le cirque d’Estaubé. Malheureusement, le brouillard est aussi au rendez-vous et il nous empêche d’apercevoir le Mont Perdu, côté espagnol, le troisième sommet des Pyrénées avec

ses 3 355 mètres. En redescendant, nous traversons les pelouses à Festuca eskia, qui ont donné leur nom à un milieu en phytosociologie. Ces graminées très piquantes, sur lesquelles il vaut mieux ne pas s’asseoir, sont typiques des pelouses pyrénéennes écorchées. Ici, elles sont en compagnie du réglisse des montagnes (Trifolium alpinum), un trèfle qui a la particularité d’avoir une tige souterraine au goût de réglisse. En descendant, Linaria alpina, Erinus alpinus, Androsace villosa et Atocion rupestre sont toujours au rendez-vous mais c’est la vesce des Pyrénées (Vicia pyrenaica), que nous n’avions pas encore entrevue jusque-là, qui va attirer notre attention. Cette vesce est une sub-endémique pyrénéenne, que l’on retrouve aussi en Espagne et de manière très marginale dans quelques stations des HautesAlpes, près de Gap, où elle est protégée. En arrivant à plus basse altitude, nous constatons que les milieux deviennent plus humides et les suintements monnaie courante. Il n’est donc pas rare de croiser Viola biflora, une étonnante violette aux fleurs jaunes, et Primula farinosa. Cependant, c’est sans conteste l’emblématique saxifrage faux-aizon (Saxifraga aizoides), qui est omniprésente dans ce milieu. Plus bas sur le chemin qui longe le gave, nous découvrons Hypericum richeri subsp. burseri, Gypsophila repens, Sideritis hyssopifolia subsp. eynensis, Oxytropis campestris, Oxytropis neglecta et j’en passe. Malgré cette profusion d’espèces végétales, c’est la faune qui nous a le plus impressionnés durant la descente. De nombreuses marmottes sifflent tout autour de nous et certaines se sont laissé approcher, au grand bonheur du photographe. Cette espèce originaire des Alpes a été réintroduite dans les Pyrénées en 1948. Nous avons également eu la chance d’observer plusieurs cincles plongeurs (Cinclus cinclus) dans le gave, mais sans mon objectif dédié à l’ornithologie, abandonné à la maison pour une question de poids, impossible d’en tirer quelque chose, le plaisir sera pour les yeux ! Pour terminer, le clou du spectacle est l’observation de dizaines de vautours fauves (Gyps fulvus) autour d’un cadavre de jeune veau mort récemment, un festin pour eux. Cette espèce, au bord de l’extinction il y a quelques décennies dans les Pyrénées, est aujourd’hui en grande expansion grâce aux nouvelles méthodes de gestion. Après de longues heures de marche, nous arrivons au bord du lac des Gloriettes où nous bivouaquons ce soir-là. Surprise, la pelouse où nous avons décidé de camper est recouverte de pédiculaires des bois (Pedicularis sylvatica). Même s’il est déjà vingt heures et que la nuit va bientôt tomber, il ne servait à rien de nous presser car à l’intérieur du parc national il est interdit de bivouaquer entre neuf heures et dix-neuf heures. La première nuit en tente est très fraîche et humide : quelle idée de camper à côté d’un lac…

Le lendemain, nous décidons de nous lever très tôt

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Colchicum montanum Cryptogramma crispa Asplenium septentrionale sempervivum montanum Festuca eskia Trifolium alpinum saxifraga aizoides Pedicularis sylvatica Viola biflora Une marmotte aux aguets Vicia pyrenaica Pedicularis pyrenaica Les vautours déjeunent… Une cascade de 420 mètres au milieu de falaises vertigineuses

Balade BOTANIQUE dans les PyréNéEs

pour profiter du lever de soleil. Dès cinq heures et demi, nous replions les tentes, enfilons une veste bien chaude — ça caille — et partons à la lueur de nos lampes frontales alors que les premiers traits de lumière viennent ponctuer en contrebas la vallée ennuagée. Aujourd’hui direction le cirque de Troumouse, le géant aux quatre kilomètres de diamètre. Le sentier emprunte tout d’abord quelques marais de pente où l’on rencontre souvent des linaigrettes, sûrement Eriophorum angustifolium, mais pas facile à identifier à la lampe frontale… puis, au fur et à mesure que nous avançons et que les rayons du soleil passent au-dessus des crêtes, nous apercevons les prémices du géant. Sur les éboulis qui mènent à son cœur, nous avons entre autres rencontré Campanula cochleariifolia, Oxytropis neglecta et la scrophulaire des chiens (Scrophularia canina subsp. hoppii). Cette plante étonnante possède des feuilles très découpées mais surtout de très petites fleurs de couleur grenat, aux étamines largement saillantes. Quelle sensation quand nous accédons au cœur du cirque, entourés de sommets dépassant 3 000 mètres d’altitude ! En son centre, les lacs issus des fontes glaciaires sont recouverts d’une étrange plante. Quelle n’est pas notre stupéfaction quand nous l’examinons de près : ses très fines feuilles flottent à la surface et forment d’impressionnants tapis. Les méninges travaillaient depuis quelques minutes quand nous avons aperçu les fleurs tout aussi étonnantes. Globulaires, elles m’ont directement fait penser à celles d’un rubanier et finalement, après quelques recherches, il s’agissait bien du rubanier à feuilles étroites (Sparganium angustifolium). Cette étonnante typhacée fait partie des rares

plantes qui, à elles seules, marquent un paysage, et pas des moindres ! Dans les pelouses pâturées par les moutons, Carduus carlinoides couvre des centaines de mètres carrés, impressionnant lui aussi... Par la suite, nos chemins se séparent avec Benjamin et Sarah. Ils se dirigent vers l’Espagne en passant par le glacier de la Munia où ils rencontreront de grosses difficultés. Il leur reste encore une trentaine de jours de trek avant d’arriver sains et saufs début août à Banyuls-sur-Mer. De mon côté, je reviens sur mes pas vers Gavarnie. Lors de la très longue descente, je croise Sambucus racemosa, Adenostyles leucophylla, Ononis sp. et de très nombreux Iris latifolia. Une fois de retour au lac des Gloriettes, où nous avions campé la veille, je prends un chemin différent, moins difficile que la veille, pour pouvoir revenir avant le coucher du soleil à Gavarnie. De là, j’admire au premier plan une prairie à Iris latifolia, au second plan le lac, au troisième le cirque d’Estaubé, qui était sous le brouillard la veille, et au quatrième le fameux Mont Perdu ! Le long du chemin qui suit la courbe des 1 800 mètres, je croise Lilium martagon, Dactylorhiza majalis, Eriophorum angustifolium, Phyteuma sp., Thalictrum aquilegifolium, Rhododendron ferrugineum, Coeloglossum viride puis, au bord du chemin qui serpente dans la forêt de Gavarnie, je rencontre Rhinanthus pumilus, Trifolium ochroleucon, Epipactis atrorubens, Laserpitium latifolium et le fameux pin à crochets (Pinus uncinata), caractérisé par ses cônes à écailles crochues. Ces trois journées ont été très riches aussi bien humainement que botaniquement. J’ai poursuivi par une visite à la réserve naturelle du Néouvielle, riche en découvertes…

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Thalictrum aquilegifolium sparganium angustifolium Lilium martagon Les moutons se reposent parmi les chardons fausses-carlines Le lac des Gloriettes et le fameux Mont Perdu au loin…

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