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INTRODUCTION
from TFE Le centre-ville colonial de Casablanca : Enjeux, appropriation et prospective
by Salma Chikri
Page | 12
« L’architecture est le seul moyen dont nous disposions pour conserver vivant un lien avec un passé auquel nous sommes redevables de notre identité, et qui est constitutif de notre être. »1 (Choay. 2007, 108). Ce pouvoir de conservation est ce qu’on attribue aujourd’hui au patrimoine architectural. D’une part, la notion du patrimoine est définie comme étant un élément qui se transmet de génération en génération, un héritage2. D’une autre part, le mot « architectural » inclut tout ce que l’homme a pu bâtir comme édifice, partant de l’abri primitif au bâtiment contemporain le plus excentrique. L’architecture, inventée par nécessité est devenue au fil des années un moyen d’expression ; diverses civilisations ont essayé de se démarquer en perfectionnant leur savoir-faire architectural afin d’arriver à un résultat qui est à leur image et qui les représente au mieux. Ainsi, le patrimoine architectural permet à l’homme d’avoir une fenêtre sur l’histoire qu’il partage avec le reste de la société, une racine qui unie et procure une identité commune et, par conséquent, de la stabilité.
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Néanmoins, le patrimoine architectural ne se limite pas à ce portrait idéaliste. Il est possible de trouver certaines anomalies qui rendent la notion beaucoup plus complexe. C’est le cas du patrimoine colonial : certes, on y trouve le bâti et l’histoire, mais le lien avec le passé est différent. La société qui l’a construit n’est pas celle d’aujourd’hui. Si l’affirmation ci-dessus est à prendre à la lettre, ça voudrait dire que la présence des colons dans le passé est indispensable à l’identité actuelle des individus concernés. Une idée qui peut sembler improbable, même dérangeante, mais qui contient une partie de vérité qu’on ne peut pas nier, surtout dans le cas de notre terrain d’étude, le centre-ville colonial de Casablanca.
En effet, Casablanca est une ville marocaine qui a existé bien avant l’arrivée des Français en 1907. Cependant, elle n’a retrouvé son identité actuelle qu’à partir du protectorat. Durant cette période, la ville mutera et deviendra une vraie métropole économique dont les œuvres architecturales apparaîtront sur des revues internationales et où les architectes se feront un plaisir d’expérimenter leurs théories, faisant de la ville « Le laboratoire à ciel ouvert » du XXe siècle. « Ce qui n’est pas permis à la mesure et au sol de Paris l’est au gigantesque et au roc de Casablanca. » Affirme le critique parisien Léandre Vaillat (Vaillat 1931, p. 6), une remarque qui convaincra plusieurs architectes et urbanistes de renommée tels que Henri Prost, Auguste Perret et bien d’autres (Cohen 2004, p. 10.). Ainsi, elle gagnera une notoriété qui s’étendra au-delà des frontières comme un symbole de modernité et de la culture urbaine, une image qui a marqué toute une génération. Les parents racontent, avec beaucoup de nostalgie, leurs balades dans les grandes avenues commerciales du centre-ville où les gens sont bien habillés et les terrasses sont pleines. La ville qui ne comptait que 20 000 habitants vers la fin du XIXe siècle (Casamémoire s.d.), en accueillera presque 3 millions
1 Idée mentionnée par l’écrivain de Pierres de Venise et citée par F, CHOAY dans son ouvrage : L’allégorie du patrimoine. Paris, Seuil, 2007, p. 108 afin d’aborder la notion du passé et de l’histoire qui sont avant tout liés aux générations qui y appartenaient. 2 Ibid., p. 1.
à la fin du siècle suivant (Meskine s.d.). L’arrivé des Français a alors certainement laissé une empreinte dans l’identité des Casablancais en affectant leur environnement et leur vécu ; le patrimoine colonial est là afin d’en témoigner.
Après l’indépendance, les Français sont partis en laissant derrière eux la ville qu’ils ont construite. Par conséquent, les Casablancais se sont retrouvés face à une richesse architecturale qui est désormais la leur et dont le destin dépendra d’eux. C’est ainsi que la notion d’appropriation prendra toute son importance afin de définir la relation qu’entretiennent les Casablancais avec cet héritage. On ne peut alors aborder le sujet du patrimoine colonial sans s’attarder sur ce phénomène. Le dictionnaire Larousse défini le verbe s’approprier comme « faire sa propriété de quelque chose ou d’un bien » et selon Vincent Veschambre dans le dictionnaire de l’habitat et du logement, l’appropriation est l’ensemble des pratiques et des marquages qui font la qualité d’un lieu (Chaya 2019, P. 38.), c’est alors une notion observable sur le terrain, qui sera indispensable au raisonnement.
Aujourd’hui, le patrimoine colonial du centre de Casablanca est menacé ; seulement 78,7 % des logements sont occupés et le risque de finir en ruine ne concerne pas que les lieux abandonnés ; 63 % des nouveaux habitants sont locataires et l’entretien reste la responsabilité des propriétaires (Haut-commissariat du plan s.d.). Le centre-ville a alors perdu son éclat pour devenir synonyme d’insalubrité et d’insécurité et a succombé sous l’effet de la paupérisation. Cette situation nécessite d’agir au plus vite, une simple restauration n’est pas une réponse durable. Il faudra aller plus loin dans la réflexion et proposer des solutions de réhabilitation découlant d’une analyse approfondie qui prend en compte la complexité du site tout en le considérant comme un espace social. On se trouve alors face à une question qui s’impose :
Comment l’usager pratique et s’approprie le centre-ville colonial de Casablanca et quel avenir peut-on aspirer pour celui-ci ?
La problématique de l’habitat colonial n’est pas nouvelle, elle a déjà été traitée dans d’autres contextes avec différentes approches. Quelques exemples sont cités dans l’ouvrage dirigé par Maria Gravari-Barbas, « Habiter le patrimoine : Enjeux, approches, vécu ». Dans ce dernier, deux solutions sont mises en avant : le maintien de la population actuelle ou la gentrification. Le choix entre les deux dépend du contexte de la ville et de l’image que le centre-ville représente pour les habitants. Ainsi, afin de répondre à la question, nous allons projeter les deux options sur notre terrain d’étude selon les résultats obtenus après l’analyse afin de proposer un début de solution.