Deux mondes parallèles de la Pierre
Après la lecture du roman Les Pierres Sauvages17, qui raconte le parcours et la vie d’un moine architecte (Guillaume Blaz) à l’époque des abbayes cisterciennes (notamment celle di Thoronet dans le Luberon), je me suis imaginé la réaction de ce personnage si j’avais pu le transporter sur un chantier contemporain en pierre massive. Et à mon avis, le convers aurait eu des sentiments contradictoires sur l’allure de la construction en pierre massive. Car si ce récit est passionnant, c’est grâce à la différence de techniques constructives et la rudesse des vies de ces constructeurs religieux. F. POUILLON propose ainsi un parallèle puissant entre la passion des artisans de la pierre d’antan (1160-1176) et l’efficacité des méthodes de construction sérielle des années 60/70. Guillaume serait aujourd’hui sonné de voir a quel point l’humain a su mécaniser les chantiers et les rendre aussi rapide. Le sien pour l’abbaye du Thoronet a duré 16 ans. Mais je me permets de penser qu’il aurait aussi été choqué de certaines inepties de conception. Le temps long du projet est une notion architecturale a part entière, mais on ne peut que s’imaginer la connaissance d’un site et la finesse conceptuelle qu’un moine architecte doit avoir à passer des mois sur un seul et même projet, à batailler avec les ressources naturelles des environs. Parce qu’a cette époque, les camions n’existent pas,
l’électricité encore moins. Et c’est donc avec la seule force de l’esprit et l’huile de coude de ses frères et convers que le projet se fera. Et aujourd’hui l’abbaye est un chef d’œuvre, inscrite au registre des Monuments Historiques depuis 1840. Le récit de ce moine est bien évidemment romancé et subtilement détourné par l’auteur lui-même constructeur, qui n’aura de cesse de promouvoir sa vision économe et pierreuse de l’architecture, à tous les prix. Mais ceci étant, ce récit est historique, nourri de recherches et de faits réels sans
a. La pierre massive aujourd’hui Aspect économique et contradictions
Le coût de la pierre a aujourd’hui sensiblement augmenté. Pourtant, ce matériau cherche et réussit très lentement à se démocratiser. C’est sur le ton de la confidence qu’un.e responsable commercial.e de la carrière de Vers Pont du Gard me racontait, qu’un effort économique a été fait pour mettre en valeur le message de Gilles Perraudin qui prônait que construire en pierre était aussi voire plus économique et éthique que de construire en béton. Si l’écart du prix peut être aujourd’hui moindre avec la mécanisation des modes d’extraction et de découpe de la pierre, certains carriers refusent d’être
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POUILLON Fernand, Les pierres sauvages, Le Seuil, 1964
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