LE TEMPS LONG EN ARCHITECTURE
ou la recherche d'une architecture durable dans le temps
Mémoire professionnel HMONP
Directeur d’étude Pascal Dutertre Session 2021-2022 ENSAPLV
Architecte DE Simon Reynaud
p. 2
SOMMAIRE
Curriculum Vitae 4
Remerciements 5
Introduction 6
LE TEMPS DES MATERIAUX 10
Extraction sur site
Industrialisation et éloignement du site des ressources/site de projet
Réflexion sur l’impact de la révolution des transports sur l’objet architectural
LE TEMPS DES ARTISANS 15
Exode rurale et désindustrialisation, prévalence des métiers de service
Temps de préparation en Atelier, sur chantier
Temps de travail de l’artisan entre hier et aujourd’hui
LE TEMPS DE L’ARCHITECTURE 18
10 ans / 50 ans
Le rôle de l’architecture en ville, la fabrique urbaine et la rénovation
Le cout global dans les marchés publics
Le temps de conclure 21
Le temps du projet professionnel 23
Bibliographie 25
p. 3
SIMON REYNAUD
ARCHITECTE DIPLÔMÉ D'ÉTAT
En recherche d'un CDI "engagé" à partir de Septembre 2022
+33(0)695731933
Master II à l'ENSA, Félicitations du jury au PFE
2021 | Paris La Villette Urbanités et Risques Naturels : La résilience du milieu rural portugais face aux incendies de forêts
Mémoire de recherche Séminaire Art Architecture et Cinéma, 2021 | Paris La Villette Calcaire, de la matière au matériau (écrit) Mains, Machines et Pierres (vidéo)*
Workshop "interescalar" avec l'atelier Martin (FADU) Marcelo FAIDEN et Sol CAMACHO
Fév Août 2022
Août Nov 2021
CDD ARCHITECTE JUNIOR CHEZ AGENCE LA/BA, 7 MOIS
Phase DET, espaces paysagers et parking souterrain d'une résidence de 450 logements Phase esquisse, APS, APD, parking Silo, Sète Appels d'offre Chaufferies tri énegie
STAGE DE FIN D'ÉTUDES CHEZ ARCHI KUBIK, BARCELONE, 4 MOIS
Phase PC Modificatif, programme mixte, ZAC d'Ivry, dont 750 logements Phase esquisse d'un parking d'entreprise
Master I à la FADU, Montevideo, échange universitaire
Juin 2020 | Uruguay Projet d'une Halle 2019 2020 | Uruguay Cours d'urbanisme et Patrimoine
2021 2019 CONCOURS AMITER 2021, MARSEILLE CONCOURS RIFA, MONTEVIDEO
Workshop à Dakar, CUAD et ENSAPLV
2018| Sénégal Projet de rénovation d'une école
Constitution d'une équipe pluridisciplinaire et stratégie d'envergure régionale Collaboration d'étudiants franco uruguayens, programme de 2 row houses Licence, Ecole Nationale Supérieure d'Architecture
2016 2019 | Paris La Villette
Baccalauréat, Mention Bien section internationale, en Anglais
2016 | Lycée Georges Duby
EXPÉRIENCES FORMATION COMPÉTENCES
Fév 2019 STAGE DE PREMIÈRE PRATIQUE CHEZ ELIET & LEHMANN, PARIS, 1 MOIS
Phase DCE : rénovation de 188 logements DET: ravalement de façade en pierre naturelle
Juil 2018 STAGE "OUVRIER" CHEZ PROROCH, LUBERON, 1 MOIS
(langue maternelle) (B2 Courant) (B2 Courant)
2018 2017
Travail en bureau d'étude, calepinages, devis, taille de pierre
REPRÉSENTANT ÉTUDIANT AU SEIN DE L'ENSAPLV, PARIS
Membre du Conseil des Etudes et de la Vie de l'Ecole
2014 2013 2 STAGES DE DÉCOUVERTE, AIX EN PCE
Quadr'archi, assistant suivi de chantier, 1 mois A+P Architectes, patrimoine, 1 mois
CENTRES D'INTÉRÊT
QUALITÉS
Bon relationnel et facilité d'adaptation aux différents acteurs du projet Autonome et force de propositions Méticuleux et passionné Positif et enthousiaste
Goût prononcé pour le sport, l'esprit d'équipe et le dépassement de soi (Rugby, Ski, Volleyball ) Membre d'un groupe Scout EEUdf Impliqué dans la vie associative, chez Wings Of the Ocean. Curieux et voyageur, j'apprécie découvrir de nouveaux référentiels culturels, lecture, musées Français,néle23/03/1998
Français Anglais Espagnol Sketchup Suite Office Suite Adobe Autocad Archicad Twinmotion Revit
RuedelaDentellière,LesPennesMirabeau simonreynaud2@gmailcom PermisB
Remerciements
Je commencerai ces remerciements aux architectes qui ont su, lors de mes lectures, nourrir et développer ma sensibilité pour la matière et les métiers qui la pratiquent. Je citerai notamment Fernand Pouillon, Gilles Perraudin, Hassan Fathy et André Ravéreau.
Ce mémoire a été nourri de toutes les découvertes faites principalement sur le terrain, que ce soit le chantier ou l’atelier.
Je tiens aussi à remercier tous les architectes, artisans et constructeurs que j’ai pu rencontrer au travers de mes dossiers d’études, de stages sur les chantiers. Ils m’ont permis notamment de synthétiser toutes les connaissances théoriques engrangées lors des études denses d’architecture avec une approche plus concrète
Le temps du projet est une thématique qui a nourri mon épanouissement professionnel, au sortir de mes études où je n’avais plus qu’une envie, me confronter au réel Mes futurs collègues et les artisans qui travaillent et transforment directement la matière sont ceux avec qui j’ai toujours aspirer à travailler
Dans ce domaine, je remercie plus particulièrement Yves Auzou, tailleur de pierre qui a su me faire découvrir les coulisses de son art, Antoine Vallet pour ses connaissances en charpenterie et tous les autres artisans avec qui j’ai eu la chance de travailler sur les projets. Ces rencontres ont nourri et continuent de nourrir mon attirance vers ces métiers manuels, concrets et décisifs dans l’exécution de l’architecture.
Je tiens aussi à remercier tout particulièrement mon directeur d’étude Pascal Dutertre pour son accompagnement et sa patience lors de mes questionnements, doutes et recherches. Nils Degrémont qui a beaucoup contribué à ma découverte des chantiers en pleine autonomie. En me laissant parfois seul face à mes limites lors des rencontres avec les entreprises, il m’a permis de beaucoup appréhender. Je le remercie infiniment pour cette confiance et les responsabilités qu’il a su me donner. Enfin je remercie mes proches pour leur accompagnement et relectures, notamment Lara, Joëlle et Jean et tous les amis avec lesquels j’ai pu échanger sur ce thème de mémoire.
p. 5
Introduction
« Il n’y a pas de temps pour échanger, nous devons avancer les travaux » Lors de ma première réunion de chantier de ma Mise en Situation Professionnelle, la maîtrise d’ouvrage donne le ton en même temps que mon sujet de mémoire. Très surpris, je n’arrivai pas voir dans cette fuite du temps une fin en soi du projet.
L’humain a toujours eu tendance à quantifier cette notion de « temps qui passe », que ce soit avec le passage du soleil sur un cadran, en créant les journées de 24h, les mois de 30 ou 31 jours, et les années de 365 ou 366 jours. Standardiser le temps, le modeler, une manière à nous de tenter de se l’approprier et qu’il nous apprivoise. Parce que :
« C’est pas le temps qui passe mais nous »1
Temps et durabilité
Pour autant, si “nous passons” ce qui exprime l’idée d’une durée limitée, nous connaissons aussi le temps long comme ce facteur de la Drôme du 19ème siècle, érudit, architecte artiste philosophe autodidacte. Animé et inspiré tout au long du temps de ses tournées de 30 km quotidiennes, pourrions nous dire qu’il avait le temps de penser ? Il a en tout état de cause eu sur un temps long le temps de créer son « rocher », pendant 33 années de sa vie, œuvre aujourd’hui connue sous le nom du Palais du Facteur Cheval classée aux monuments historiques.
Avec l’idée de la durée, cette œuvre et cette histoire singulières lient aussi au temps long une autre notion qui fait naître l’idée de ce mémoire : le rapport entre le temps long du chantier et la durabilité du bâti dans le temps.
Aussi la recherche de ce présent mémoire vise à explorer le rapport, proportionnel ou non, entre un projet maturé avec le temps de réflexion production et un édifice idéal bien pensé dans son contexte, qui vivra des siècles et qui fera architecture. La citation d’Auguste Perret peut nous venir alors à l’esprit :
« L'architecture, c'est ce qui fait les belles ruines »
Cette citation est celle d’un architecte qui a étudié les antiques à l’école des Beaux arts de Paris et construit les premières architectures en béton armé en France. Il avait une certaine notion de l’épaisseur et du choix et de la vie des matériaux. Sa citation nous amène à réfléchir sur le potentiel des ruines. Évocatrices d’imaginaire, marqueurs du temps passé et témoin de l’histoire d’un lieu, ces ruines peuvent aussi amener à faire peau neuve, à refaire projet, à construire autour quand elles sont belles ou à reconstruire dessus, avec toute la subjectivité que cela implique. Cette vision là évoque aussi l’aspect régénératif de l’architecture dans sa vie globale. Des notions que nous verrons donc dans ce mémoire comme des pistes de réflexion et de transition vers une architecture durable.
Ce mémoire prend place à une époque où nos habitudes et façons de faire sont sans cesse questionnées. Durabilité, empreinte carbone, seconde vie des objets ou encore reconversion des bâtiments tant d’approche qui invitent l’acte de faire architecture dans une remise en question globale. Marqueur de son époque, cet art au croisement de centaines de métier est en passe d'une énième mutation, et où la pratique et la « fast architecture » sont remises en question pour une approche plus éthique et durable. 1 Le facteur cheval
p. 6
Temps et matériaux
Jeunes architectes de la génération Z, avec comme lettre la dernière de l’alphabet, à une époque où collapsologie et crises climatiques se mêlent au rythme des rapport du GIEC, notre posture est forcément questionnée à ce que produit notre profession en matière de bâtiments. Ce secteur est consommateur de 43% des énergies nationales et générateurs de 23% des émissions de gaz à effet de serre. Il constitue donc un enjeu de taille pour son action sur le climat avec des bilans lourds en consommation d’énergie ou de matériaux : 70%2 des déchets des aires urbaines sont en effet produits par ce secteur.
Dans notre société occidentale, nous n'avons eu de cesse de concevoir des objets avec une utilité définie et une dégradation inévitable. Ces objets ont donc une résonance de produit en commerce, qui a une vie finie mais qui n’est pas pensée dans son entièreté : recyclage, seconde vie, réemploi ou décomposition amenant à une régénération.
“Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”, disait Lavoisier. Il est aujourd’hui primordial de penser un objet dans sa totalité, dans une logique de durabilité et d’économie circulaire. C’est de cet effort de conception que le “durable” peut s’inscrire en architecture et se traduire au travers de deux notions transverses : la durabilité dans le temps d’un artefact, des matériaux qui le composent, mais aussi leur inscription dans l’environnement, au sens écologique du terme.
S’ils sont indispensables à la réalisation de nos projets, le choix et l’utilisation des matériaux deviennent donc un enjeu de taille et impliquent une refonte dans la façon de concevoir l’architecture.
Le temps des artisans
En pleine réflexion sur l’implication de mon futur métier dans ces enjeux contemporains, je n’ai eu de cesse de me questionner au cours de mes contrats et en particulier lors de mon année de HMONP auprès de l’agence LA/BA. C’est en effet une structure multidisciplinaire où l’espace public et l’aménagement urbain sont les protagonistes au service de la mobilité douce, réel enjeu pour un mieux vivre dans nos cités. Pressé de faire du terrain après nos longues études théoriques, collaborer avec les entreprises m’a permis de me confronter, au temps du projet, à sa mise en œuvre et donc parfois à la confrontation dans la gestion des délais entre le maître d'œuvre et les artisans.
Accompagné par une OPC peut expérimentée et projeté sur un chantier compliqué, en site occupé, avec une maîtrise d’œuvre désordonnée, j’ai beaucoup appris et découvert le temps du chantier et de ses aléas. Sur le fond, il ne faut jamais perdre de vue que les entreprises, maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre ont le même but commun, finir correctement le projet « dans les temps ».
Ces expériences m’ont confirmé l’intérêt pour le temps du projet et en particulier de mieux comprendre l’insatiable urgence qui anime aujourd’hui les chantiers. Venu à l’architecture avec à l’esprit les projets « révolutionnaires » de Gilles Perraudin et son utilisation contemporaine de la pierre massive, j’ai toujours eu un intérêt pour tout ce qui se rattachait à l’architecture vernaculaire ; celles ci se rapprochant d’ailleurs souvent des constructions en matériaux naturels. Nourris par des récits comme Les Pierres Sauvages de Fernand Pouillon, où l’architecture naît du site, contrainte par les éléments et par les ressources locales, l’écart avec les méthodes, matériaux et outils qui caractérisent le chantier contemporain m’a particulièrement marqué 2 Données
p. 7
du Ministère de l’écologie
Au travers de ces multiples découvertes et apprentissages il m’est apparu que le temps est l’un des “matériaux” que l’architecte doit savoir maîtriser pour mener à bien son projet. Mais, qu’est ce que le temps en architecture, en particulier le temps long ?
Temps et projet : une première approche
Etymologiquement, le temps vient du grec ancien τεμνεῖν (temnein), qui signifie « couper », et fait référence à une division du flot du temps en éléments finis. Si scientifiquement la notion de temps n’est pas aussi facilement quantifiable, son origine renvoie aux besoins de l’Homme de pouvoir le gérer et le définir.
Coupé en 3 parties distinctes en histoire, le temps prend la forme de passé présent futur avec un principe de causalité où le temps est considéré comme des strates qui impactent celles qui les suivent. Ainsi une certaine hiérarchie du temps existe. Par exemple, un relevé de géomètre mal exécuté aura une conséquence directe et inévitable sur les précisions d’un projet architectural.
Selon Aristote, le temps est étroitement relié au mouvement : ”le temps est le nombre du mouvement selon l’antérieur et le postérieur”.3
Une première approche du temps long en architecture est de convenir qu’il ne s’agit pas d’une question de lenteur et de passivité dans l’exercice du projet. Au contraire, c’est cette tension entre prendre le temps de réfléchir le projet dans une dynamique en mouvement que le projet prend forme.
L'antinomie du temps en grec est l’ATOMOS, l’atome qui est pour eux à l’époque une unité indivisible au cœur des électrons en mouvement. Cette tension entre atome cœur immobile et indivisible et électrons élément chargé négativement en mouvement aléatoire est intéressante pour imager le rapport entre le temps fini du projet qui prends souvent une forme linéaire et peut se traduire en graphe de Gantt et la dynamique de conception souvent non linéaire.
p. 8
3 Aristote, Physique IV
De façon plus générale, il est communément admis que le temps peut être approché sous au moins deux caractéristiques :
· Un temps cyclique : caractérisé par le cycle des minutes, des jours, des saisons, des années, de la vie…
Un temps linéaire : caractérisé par l’évolution d’une graine en plante, une transformation irréversible, le passage de la naissance à la mort
La caractéristique linéaire a servi à mesurer le temps, par exemple par le transvasement d’un liquide d’une amphore dans une autre ou encore par la combustion complète d'une bougie.
De son côté, la régularité du retour de certains événements donne une mesure plus précise. Les phénomènes périodiques naturels ont permis d’établir très tôt une durée, de définir un calendrier et donc de quantifier le temps, c'est à dire lui associer un nombre et une unité, en effectuer une mesure.
Le temps long en architecture fait plutôt référence au temps linéaire entre le début et la fin du projet de réalisation d’un artefact. Mais si l’on intègre dans le projet la destruction de l’artefact et le recyclage des matériaux, le caractère cyclique du temps peut être associé au projet.
Par le terme “projet” utilisé dans l’intitulé du mémoire, il est important de préciser que ce terme englobe la totalité de ce qui fait architecture. En effet les deux expressions faire projet et faire architecture se mêleront dans mon mémoire comme synonymes. Le projet en architecture constitue dans le métier les phases de diagnostics, de conception et de construction que nous étendrons, dans le but précis du mémoire, à la vie du projet.
Des notions de temps et de projet architectural cité ci dessus découle la trame réflexive de ce mémoire professionnel. Je tenterai donc d’explorer l’évolution du temps nécessaire pour faire une architecture durable et intemporelle, au travers des trois thématiques que sont : le temps des matériaux, le temps des artisans et le temps de l’architecture en elle même.
Ces trois composantes de ma réflexion ne sont bien évidemment pas exhaustives. Nous tenterons cependant d’explorer ces trois thématiques, dans un effort de spécifications et de tentative de trouver certaines réponses à la question du temps long en architecture.
p. 9
Le temps des matériaux
Fuck context ! ou Fuck concepts ! Context !4
Standardisées et urbanisées, nos vies n’ont eu de cesse de s’extraire de leur contexte. Cette standardisation a entre autres pour but d’améliorer le confort et l’espérance de vie des êtres humains. Mais si certains marqueurs comme la longévité sont parlants, la perte de connaissance de notre environnement l’est aussi. Nos efforts physiques ont proportionnellement diminué avec la mécanisation des systèmes de production, et la consommation d’énergie fossile a aussi proportionnellement augmenté. Comme l’explique Jean Marc Jancovici dans son ouvrage “Un monde sans fin”, l’humain pré époque industrielle qui produit une puissance de 10W avec ses bras et 100W avec ses jambes a tout à envier à l’Homme post industriel qui utilise des centaines de machines quotidiennement pour subvenir à ses besoins.
En prenant le simple exemple de l’éclairage, nous y sommes totalement habitués mais ne percevons plus l’impact de la lumière artificielle dans nos vies de tous les jours. Ne vivant plus uniquement avec la lumière du jour, notre horloge interne est perturbée et notre sommeil a perdu en qualité.
Il est intéressant d’observer cette tendance globale au travers du prisme architectural. Avec l’avènement du mouvement Moderne, les édifices et ceux qui les pensent n’ont eu de cesse de mettre de côté l’importance de l’analyse du contexte. Aussi avons nous vu pousser des barres de logements orientées est ouest alors même qu’elles étaient isolées spatialement et non contraintes par un alignement quelconque de voirie.
Il est donc intéressant d’observer la manière dont nos villes ont évolué, avec des tailles de plus en plus disproportionnées. Devenues des environnements propres à elles mêmes de par leur densité et exubérance, les villes et leurs concepteurs ont eu tendance à être déconnectés de leur contexte naturel et climatique. De cette constatation naît le postulat de Rem Koolhaas dans New York Délire où il développe le concept de Bigness avec le fameux “Fuck Context !”. Les édifices urbains deviennent indépendants du contexte citadin, espace congestionné par la voiture, la vitesse et la désertion par les piétons de ces voies de circulation. Cette vision « provoque l’autonomie des parties, ce qui ne revient cependant pas à une fragmentation : les parties demeurent liées au tout » (Junkspace, Rem Koolhaas, 2011, éd …. p.32)
D’une vision plus rapprochée de l’édifice en lui même, Rem Koolhaas évoque aussi l’idée même de congestion des espaces de vie par l’utilisation des matériaux qui le constituent : placoplâtre, béton, ascenseur … Aussi cette décontextualisation est plurielle, systémique et problématique aujourd’hui. L’utilisation de béton issu de sable et gravier d’une carrière lointaine n’a pas de résonance dans une construction belge par exemple. L'architecture produit aujourd’hui des matériaux les plus inertes possible. Pourtant, on redécouvre aujourd’hui l’importance des matières respirantes, qui transmettent l’énergie, laisse passer l’humidité, voire qui diffusent des odeurs chaleureuses. La méconnaissance et l’absence de curiosité dans la recherche des matériaux qui nous entourent sont symptomatiques d’une tournure industrielle de l’architecture donnant des constructions standardisées à obsolescence programmée. Il faut à nos bâtiments cinquante ans tout au plus pour assurer leur fonction avant de penser à des travaux conséquents de restructuration.
p. 10
4 Numéro de San Rocco magazine publié par Matteo Ghidoni
L’alternative du retour au contexte, à un rythme différent de l’approche architecturale est la thématique choisie par l’architecte Matteo Ghidoni dans le numéro Fuck Concepts! Context! du magazine italien San Rocco. Développer de nouveau les analyses complexes et complètes de lieux de projet, pour faire architecture, tel est le message porté par cet universitaire italien et par bien d’autres contemporains comme l’agence “Encore Heureux” avec leur projet “Super Cayrou” ou encore l’utilisation de réemploi, nouveau matériau “punk” que produit la ville d’aujourd’hui.
Déconnectées des ressources naturelles avec des villes imperméabilisées, des espaces naturels toujours plus éloignés, les décharges en marge des villes pourraient être vues comme les carrières de demain.
L’origine du matériau
Le postulat est de voir une logique autant esthétique que constructive dans le choix de matériaux locaux pour une architecture contextuelle. Une poutre en bois issue des Vosges et utilisée dans un bâtiment à Epinal réagira mieux aux aléas climatiques locaux. Le bois les aura déjà vécus en tant qu’arbre et y sera adapté.
Extraction sur site
En quoi le matériau et sa provenance impactent t ils le projet en architecture ? Indéniablement le coût écologique est différent si le bâtiment est construit en pierre massive du bassin géologique le plus proche ou en métal. Selon le bureau d'étude Éliot commandité par l’agence Barrault & Pressacco, à l’occasion de l’exposition Pierre, Révéler la ressource, explorer le matériau au Pavillon de l’Arsenal, la pierre massive serait le matériau de construction avec le plus faible bilan carbone. Nécessitant très peu de transformation une fois extrait des carrières, ce matériau est posé sur site et ne nécessite pas de liant autre qu’un mélange eau poudre de pierre, elle même produite et récupérée lors de la découpe des blocs.
Dans la même mouvance de recherche d’architectures plus locales, des architectes comme Simon Teyssou (Atelier du Rouget) analysent les secteurs proches des sites de projet afin d’affiner le cahier des charges et, s’il le faut, démarchent des artisans pour réaliser ce qu’ils n’ont pas ou plus l’habitude de faire. Reprendre le temps de démarcher ces artisans devient alors une partie intégrante du projet. Car cela n’est qu’une question d’offre et de demande. Lors d’un projet d'extension de construction en pierre massive (sur lequel je reviendrai), j'ai pu rencontrer le tailleur de pierre Yves Auzou. Interviewé pour un documentaire d'initiative personnelle, il me parlait en effet d'un certain changement de pratique économique de ses clients :
“Je faisais une cheminée par semaine il y a 20 ans, aujourd’hui j'en fais 2 par an. C'est le tout réuni que la demande est moindre. Les gens sont moins passionnés par leur habitat. Quand on dit que c'est une question d'argent moi je dis pas du tout. Je suis allé visiter des maisons ou quand on voit la voiture devant on pourrait construire en pierre, c'est un choix de vie !”
Cette vision de l’économie du projet et de nos modes de vie est intéressante et peu courante de la part d’un artisan qui a vu l’évolution des chantiers en 50 ans de carrière. Sans entrer dans le détail, force est de constater que la standardisation des matériaux et la globalisation des modes de faire poussent les populations contemporaines vers d'autres dépenses que celle de l’emploi des matériaux locaux. Pour autant, du côté des artisans la passion reste, le temps pour la réaliser n’est pas compté.
p. 11
Cette passion et le temps passé caractérisent un matériau considéré comme vivant et non pas inerte car étant le résultat de milliers d'années de transformation. Cette vision de la pierre, Yves Auzou l'a comme son fils Christophe qui reprendra l'activité paternelle.
Plus modestement, convaincu de l'importance du rayonnement de ces modes de faire, j'ai eu la chance d'entreprendre la réalisation d'un documentaire sur l'un de ces matériaux naturels qui jalonnent ma Provence natale : la pierre calcaire. Avec le soutien de mes professeurs de mémoire universitaire de Master et en parallèle d'un projet de construction mené avec une connaissance, j'ai donc complété ma découverte de ce matériaux fabuleux qui renferme êtres vivants, coquilles et fossiles. Résultat de milliers d'années de sédimentation, la matière devient alors révélatrice du temps passé, l'artisan en confrontation avec ce temps qui paraissent infinis a notre échelle de mortels, ne se soucie pas du temps qu'il donne à la matière, et par la même occasion à l'architecture.
Comme a pu nous le montrer l’intervenant de la deuxième session HMONP Emmanuel Pezrès5 (Directeur Recherche et Innovation de la ville de Rosny sous Bois), certains pôles de recherches et figures inspirantes re expérimentent pour optimiser et actualiser les méthodes de construction dans le temps, a contre courant de la tendance industrielle. Grâce à la recherche des modes de faire ancestraux (pieux en bois, liaisons tenons mortaises…), le projet de l’école primaire de Boutour naît avec la certification Passivhaus et est reconnu comme projet pilote présenté lors de la COP21. Si la critique de ces projets est souvent portée sur leur prix, le coût du m² ne s'élève pourtant pas à plus de 1781€HT. Concernant le temps du projet, c‘est là que l’analyse de cet ovni de l’architecture devient intéressante.
En, effet, avec une partie importante de recherche en innovation de la construction et en recherche sur les matériaux qui vont venir constituer le projet, il est entendable que ce projet se fasse sur plus d’un an. Si le chantier a duré deux ans, la phase d’étude et de conception a duré aussi quasiment tout autant, fait rare dans un projet de marché public où les échéances se chevauchent généralement avec précipitation.
Mais grâce à ce temps M. Pezrès et ses compères ont pu démarcher les artisans et lieux de d’extraction de ressources naturelles locales. La ville ayant choisi une maîtrise d'œuvre interne à ses services, les délais et calendriers d’avancement étaient plus malléables. M. Pezres dira d’ailleurs que ce temps de recherche des matériaux est un bonheur et une source de découvertes infinies où le territoire dévoile toutes ses richesses et mystères.
Ce temps privilégié et vu comme une véritable ressource de l’architecture est pris en compte dans les projets d’Alejandro Aravena architecte Chilien des logements sociaux de Iquique. En effet l’architecte, par souci d’économie et donc de temps, considère les besoins “élémentaires” (son agence s’appelle Elemental) d’un foyer pour y subvenir de manière minimale. Le temps du projet ne s'arrête alors pas à la livraison mais continue avec l’aménagement des lieux par les habitants. En effet, ceux ci sont incités à prendre en main et si nécessaire agrandir leur logement, au rythme de leurs besoins. L’architecture est ainsi conçue de manière évolutive, de la même sorte que l’utilisation de matériaux durables et démontables le permettent.
Industrialisation et éloignement du projet des sites des ressources
Pourtant, cette tendance n’est pas encore majoritaire dans une époque où nous suivons encore les innovations productivistes et court termistes de l’après guerre et du mouvement Moderne. Fidèle à une production architecturale optimisée et théorisée sur des principes constructifs
p. 12
5 Le Bien Commun Au Regard De La Production Techno Capitaliste, cours HMONP Juin 2022
“internationaux et révolutionnaires”, le style international a imposé au monde entier une esthétique et une prédominance des matériaux devenus aujourd’hui problématiques. Par volonté de paraître, de faire chic, la production architecturale et la recherche constructive s’est alors industrialisée et standardisée pour arriver sur une impasse que nous tentons aujourd’hui de contourner. Il est donc intéressant de réfléchir à l’objet “temps” dans cette évolution de l’architecture. Avec une accélération des moyens de transport, de communication et une urgence de reconstruction d’après guerre, l’architecture a créé les machines à habiter, la maçonnerie “traditionnelle” en blocs de béton importés, là où certains tentent d’utiliser un matériau millénaire, local et peu coûteux.
Fernand Pouillon est une figure contemporaine du mouvement moderne qui ne s’est jamais conformé aux dogmes internationalistes et productivistes classiques. Ainsi a t il été motivé par une recherche matérielle et économique du projet, étant le premier architecte de l’époque moderne à penser le chantier avec une vision d’économiste et d’opérateur de chantier.
S’il a gardé une approche matérielle que nous pourrions aujourd’hui juger de durable, il avait surtout une ingéniosité créatrice et matérielle. Son premier projet d’architecture pour des logements temporaires de déportés de la Shoah a été réalisé avec des ogives en terre cuite de l’armée américaine, récupérées sur une aire de stockage pas loin de l’Estaque à Marseille. Au delà de cette notion de temps du matériau et donc de seconde vie avec un réemploi anticipé en architecture. L’architecte méditerranéen, bien connu pour ses constructions en pierre massive, est le premier à voir le temps comme un matériau qu’il faut savoir maîtriser pour convaincre son client et lui proposer des délais imbattables6. Cette recherche d’optimisation du temps sur les chantiers comportait un temps de recherche d’industrialisation des méthodes d’extraction de la pierre. Aussi, comme le matériau le permet, les découpes commencées en amont du démarrage du chantier sont faites ensuite en flux tendu et l’architecture s’élève au fil des livraisons.
Réflexion sur l’impact de la révolution des transports sur l’objet architectural
Cette notion paraît être une source de compréhension de l’accélération du temps en architecture. En effet, c’est une conséquence d’un phénomène systémique qui est finement analysé par Hartmut Rosa dans son ouvrage « Aliénation et accélération ». Le sociologue allemand explique cette intuition frappante de la façon suivante : la société moderne prend cette tournure par un phénomène d’accélération sociale, notion qu’il décline avec trois facteurs. Il commence par la thématique d’ « Accélération technique » qu’il exprime comme un rétrécissement de l'espace avec l’accélération des modes de transports et de communication. Avec ce concept s’additionnent les deux principes d’accélération des changements sociaux (instabilité des habitudes) et l’accélération du rythme de nos vies (impression de ne jamais avoir le temps). De son côté, l’Ecole de Francfort et de Mark Horkheimer, pousse cette analyse sociologique et tente de comprendre les erreurs que prennent nos sociétés mondialisées selon trois causes : une croissance démographique exponentielle, une industrie sans limite et une augmentation des besoins de l’Homme.
Pourtant, l’architecture étant le témoin de notre époque, ne doit elle pas montrer l’exemple au travers d’une recherche de frugalité et d’économie de matériaux, même si cela doit passer par une augmentation du temps d’extraction des matériaux et de construction. Ainsi les enjeux d’économie circulaire font résonance avec une économie du bâtiment quand l’on prend en compte l’analyse du coût sur le long terme.
6 Projet des 200 logements à Aix en Provence réalisés en 200 jours.
p. 13
C’est donc des matériaux biosourcés et la notion de localisme qui sont mis en avant par les architectes tournés et engagés pour un avenir où l’architecture trouvera un second souffle et aura réussi à redévelopper les techniques de constructions traditionnelles souvent oubliées.
Pourtant, cette tendance reste aujourd’hui relativement marginale, accusée de régression par les lobbies et usagers rapides. Vues comme une régression économique, ces méthodes ne favorisent pas selon eux les échanges commerciaux, les industries délocalisées et les modes de faire contemporains. Sur ce constat alarmiste du retour en arrière, est refusée l’idée d’un localisme, d’un retour à des systèmes plus justes, éthiquement et écologiquement. Ce sont pourtant en parallèle des notions qui animent les débats politiques français et qui sont mis en avant officiellement.
Je peux mettre en lumière cette partie avec un exemple d’expérience personnelle de suivi de chantier et la collaboration de deux types de maçons : un tailleur poseur de pierre et un maçon “traditionnel” en parpaing. Ces deux exemples prennent place sur deux chantiers différents : le projet en pierre massive de l’école de Sénas dans le Luberon et la construction de murs de clôture en parpaing pour une résidentialisation à Marseille.
Ce qui m‘a frappé dans ces deux cas de projet est le parallèle que j’ai pu faire, travaillant en même temps sur les deux projets, entre leur rapport personnel au temps et à la matière. Rares ont été les maçons classiques que j’ai croisé sur les chantiers qui aimaient le béton, les parpaings, au point d’en prendre soin. Le cas de ce mur de séparation réalisé après un dépôt de Permis de clôture a été pour le moins expéditif, avec une posture du maçon de faire au plus vite. Artisan expérimenté et de qualité, la réalisation n’en a pas été moins bonne que si cela avait été fait plus lentement. Le point est surtout dans le fait de prendre le temps entre l’artisan et la matière, car il peut se passer quelque chose d’imperceptible et pourtant primordial dans ce temps là. Le cas du tailleur de pierre prend place dans ce temps en question. Amoureux de la pierre, l’artisan m’a bouleversé dans la passion qu’il mettait à travailler et construire. Si le mur n’était pas forcément plus droit que celui du maçon, ce rapport presque fusionnel à la matière a une force qui transcende les autres personnes autour. Comme instituant une réelle alchimie entre le travail de l’artisan, la matière et son usage à venir, le temps est aussi donné à la transmission de savoirs et de passion. Cette posture du tailleur était de voir et de traiter la pierre comme un élément vivant, non inerte, qui évolue, a une vie passée et à venir, et qu’il partage sur le temps de transformation. Si cette alchimie ne sera pas vue par les élèves de l’école de Sénas dans chaque bloc de pierre, elle se ressentira dans le bâtiment global. C’est en cette nuance du rapport temps matière fonction que je perçois l’architecture. Cela ne passe pas seulement par sa structure ou par sa fonctionnalité, mais par la passion commune que les professionnels y ont mise pour servir le lieu et faire architecture.
C’est dans ce vécu et découverte d’un monde artisan passionné que je vous propose de continuer cette réflexion et recherche sur le temps des artisans et son importance en architecture.
p. 14
Le temps des artisans
Si nous avons pu voir le changement de rapport au temps entre architecture et matériau, un intermédiaire clé est décisif entre ces deux notions : l’artisan. Avec la posture de l’architecte qui a eu tendance à s'extraire de ce milieu en cherchant une place d'intellectuel, l’artisan est resté l’interlocuteur et l’acteur décisif dans le rapport direct à la matière. C’est aussi cette figure clé qui décide de son rapport au temps et à la matière.
Aussi leur posture est aujourd’hui stratégique dans notre rapport au bâti de demain, et l’architecte se doit d’adopter une posture collaborative avec ses entreprises. Patrick Bouchain le répète, le chantier est le lieu de projet ou la collaboration entre les professionnels et les usagers est primordiale. Si la participation des usagers est facultative mais de plus en plus privilégiée, la collaboration entre architecte et entreprises est inévitable et décisive pour un projet.
Dans ma pratique architecturale, j’ai appris à privilégier le temps d’échange avec les artisans. Cela permet non seulement de prendre en compte leur avis mais aussi de les valoriser et ainsi d’établir un rapport de confiance, pour partir sur un même pied d’égalité. Leur dénomination est aussi très importante comme me l’expliquait un chargé d'affaires en étanchéité qui “préfère appeler ses gars des compagnons ou des artisans et refuse le terme ouvrier”, trop péjoratif dans le langage commun. Les déplacements sur site avec les entreprises sont tout aussi importants afin de constater les éléments du site et spécifier oralement et physiquement (croquis, simulation, mesures sur place…). C’est notamment à ce moment que l’architecte apprend de l’artisan sur la méthode et affine son dessin pour les projets suivants.
Dans le même temps, l’artisan intègre les volontés de l’architecte qui réussit généralement mieux à se faire comprendre sur place face à des Hommes de terrains, plus concrets. Ces moments sont en général une économie de temps en atelier ou sur site au même titre qu’un plaisir augmenté de l’artisan de savoir quoi et pourquoi il fait cela.
Pour ce qui est du temps de l’artisan, il se décompose en trois parties majeures : Amener, produire et évacuer. J’ai pu remarquer cette dichotomie au cours des gestions des entreprises sur chantier en remplacement d’OPC défectueux. Si l'évacuation est relativement immuable, la standardisation des matériaux et l’accélération des déplacements ont eux altéré les temps des 2 premiers axes du travail des artisans. En effet, l’acheminement des matières est un temps plus tourné vers le relationnel aux fournisseurs. Si nous utilisons ici le terme matière, c’est pour mettre en relief le changement de nature des matériaux de construction acheminés par l’artisan dans le temps. ll est en effet passé de matière première brute ou faiblement travaillée à des matériaux prêts à l’emploi. Nous pouvons prendre en exemple les tailleurs de pierre qui découpaient leurs blocs sur site, ou encore les menuisiers qui partaient de planches et de vitres mais sont devenus aujourd’hui principalement des poseurs. Ainsi les produits du bâtiment, déjà préfabriqués, demandent à l’artisan moins de temps de production. Si les artisans travaillent moins qu’avant, ces corps de métier dépassent les temps de travail moyen des autres professions avec une moyenne de 47.5 heures7 semaine soit 8.5 heures de plus qu’un travailleur classique à temps plein.
p. 15
7 Source INSEE
Si les moyens de communication et de transports ont accéléré, les distances se sont aussi agrandies. Ainsi les temps de livraison, d’acheminement et de déplacement des artisans ont pris une place plus importante dans leur quotidien. Il est courant de voir des artisans faire 2 heures de trajet quotidien, comme tel était le cas sur un chantier que j’ai pu suivre sur la réhabilitation d’une vieille ferme dans les Hautes Alpes. En effet, dans une région assez reculée j’ai eu quelques difficultés à trouver un charpentier qui voulait bien conserver la vieille mais superbe charpente composée de poutres tout juste équarries et de différentes essences afin d’y poser une couverture neuve. Cela a été le cas pour les autres corps de métier du gros œuvre, encore peu habitués à la réhabilitation et aux vieilles constructions. Trouver un maçon pour rénover les murs en vieilles pierres comme celles qui tenaient debout depuis plus de 150 ans a été aussi symptomatique de cet éloignement du corps des artisans de matériaux locaux. Pierres pourtant récupérées des champs et lit de rivière environnante, son discours était :
« Les parpaings ou la brique Monsieur, c’est plus léger et plus rapide à poser, c’est plus aisé ensuite pour l’isolation …et ça coûte moins cher »
Convaincu de l’intérêt tant architectural que matériel avec mon client, nous n’avons eu de cesse de chercher, convaincre et négocier avec les artisans les plus ouverts d’esprits et intéressés de réinventer leur métier. Pourtant, dans les faits il n’était de mon point de vue pas question de réinventer son métier mais plutôt de rester fidèles à ses origines.
Pour revenir aux bases des corporations de métier mises en place et concertées dès le Moyen Âge, leur temps de travail a bien évolué avec la révolution industrielle. Avec l’avènement de l’électricité et de l’éclairage artificiel, nous ne concevons plus les limites de temps de travail au sens strictement naturel du terme. Si les mots “temps” au sens météorologique et “ temps” au sens chronologique sont bien différenciés dans le langage courant, ils apparaissent étroitement liés quand on analyse la limite de temps de travail et d’activité des sociétés préindustrielles. Ainsi les artisans étaient calqués sur le rythme du soleil et de la lumière du jour pour assurer précision et efficience de leur travail. Une heure après le lever du soleil et à l’heure du coucher ou au son de la vesprée se passaient les journées de travail. De la même manière que les matières constituant les constructions, il est intéressant de faire ce parallèle avec la constitution du temps de travail en rapport avec son contexte saisonnier et météorologique.
Dans la suite de cette révolution sur le temps de travail des ouvriers, leur production, et déplacements, s’est opéré un phénomène de dématérialisation de nos modes de vie. Si l’on peut prendre l’exemple de tous les outils de bureautiques rassemblés dans un seul et même objet, le téléphone (calculatrice, bloc notes, agenda, réveil, courrier, radio, archives, traitement de texte…), on peut se rendre compte de l’amenuisement de notre rapport manuel aux choses. L’avènement des métiers de services renforcé par une exode rurale a dévalué les métiers dits “professionnels” et “manuels”, au point de créer aujourd’hui des déserts d’artisans.
Cet abandon du rapport corps matière dans nos travaux est le vecteur du principe d’accélération du rythme de vie, déconnecté du temps réel et du temps des choses. Le temps est aujourd'hui une matière que l’on tend à effacer, dissoudre avec magie, comme pour l’oublier. Commander un repas en 15 minutes à n’importe quelle heure de la journée, un objet à l’autre bout du monde en moins de 48 heures, ou traverser le globe en 24 heures sont des échelles de temps consternantes. Retrouver le temps de faire, comprendre le temps des objets, car chaque chose a un temps, devient alors un nouvel enjeu vital pour l’artisan comme pour l’architecture.
p. 16
Le même tailleur de pierre rencontré lors d’un chantier et de mon documentaire m’expliquait la déshérence de son métier par des apprentis qui n’avaient pas le temps d’apprendre, de subir les aléas de la matière. Il est intéressant de mettre en parallèle cette tournure professionnelle avec l’école du Bauhaus qui ne dissociait pas expressément le concepteur du faiseur. Savoir faire implique savoir penser, savoir projeter et donc mieux conceptualiser l’architecture.
Si au cours de mes expériences et projets personnels, je n’ai eu de cesse d’apprendre des faiseurs, des sachants en matière, il me semble évident que mon plein épanouissement en architecture passe aussi par une bien meilleure connaissance et assimilation de la matière. Trop peu développée dans nos études et notre métier, si j’aborde les suivis de chantiers avec une certaine assurance et connaissance, celle ci reste théorique. Elle a pour conséquence des omissions de détails constructifs, dû selon moi à la méconnaissance du temps de faire, de toutes les étapes que connaît savamment l’artisan.
Aussi conçois je la pratique de l’architecture comme une forme de combat contre la standardisation de nos modes d'habiter et l’accélération des changements sociaux. Confronté à des matériaux de plus en plus “innovants”, standardisés et impersonnels, ma recherche de l’architecture passe par une réflexion sur la matière et une relation aux artisans qui la façonnent. Le but étant de refuser une banalisation de l’acte de construire qui passerait par une standardisation de nos gestes et construction. Cette approche de l’architecture est pour moi la véritable consécration de l’Homme dans son environnement, conscient de son impact, connaissant son environnement et désireux de s’y intégrer durablement.
Et bien au delà de la recherche d’une véritable architecture apparaît la notion de durabilité dans le temps d’un bâtiment. Prenons le cas du Centre National de Danse de Pantin. S’il est certain que ce bâtiment constitue une véritable architecture, sa structure est plus douteuse avec une nécessité de reprise structurelle après seulement 50 ans d’exploitation. Pourtant construit avec un béton de meilleure qualité que ceux d’aujourd’hui, le béton du CND de Pantin a connu une altération conséquente avec des effondrements de parties de ses façades, là où la ferme d’un petit village des Hautes Alpes avait vécu 150 ans.
p. 17
Le temps de l’architecture
Pour combien de temps construisons nous ? Pour qui, avec quels moyens et entretiens arrivons nous à répondre à ces questions ? Si ces questions méritent d’être posées aux prémices d’un projet, elles sont pourtant souvent écartées par manque d’intérêt pour l’architecture à venir ou “faute de temps”. Le temps de vie d’un projet est alors une notion qui vient interpeller et naît naturellement des deux premières parties, dans ce document de recherche qui traite du temps long en architecture.
De la même manière que les méthodes et matériaux de construction sont souvent choisies par automatisme et manque de recul, la destination d’un bâtiment et son temps de vie sont aujourd’hui calqués sur des considérations financières et d’assurance.
La conséquence caricaturale en est que l’architecte construit ainsi pour 10 ans avec en 1978 la naissance de la garantie décennale8 L’architecte assure ainsi la durabilité de son projet au client. Ce dernier lui construit tout au plus pour 50 ans, le temps d’amortir le coût de son bâtiment (dépendamment du type de prêt). Nous pourrions même rétrécir le temps d’usage du commanditaire à quelques années si l’on suit la vision immobilière du directeur immobilier du promoteur Ardian.
Bertrand Julien Laferrière explique dans une contribution pour le laboratoire de recherche PCA Stream l’accélération des montages de projets avec l’assimilation de ce secteur à celui des montages financiers. Objets sources de fortes capitalisations, l’immobilier n’est non pas seulement fait pour subvenir à un usage qui restera le sujet sur des décennies mais là pour investir, capitaliser et revendre. Le maître d’ouvrage aux nombreuses casquettes immobilières (Ardian, Société Foncière Lyonnaise…) expose l’idée que là où un bâtiment recevait maximum deux usages en 50 ans, il voit aujourd’hui sa fonction changer 6 fois en moyenne en 10 ans.
Pourtant, le mot d’ordre est de nos jours la rénovation. Promu par l’Ordre Des Architectes même dans son Manifeste pour une architecture responsable dans les métropoles et les territoires9, le principe de rénovation reste un enjeu de taille dans nos modes de faire et concevoir l’architecture.
Pour ce qui est de mon expérience personnelle lors de la rénovation d’une ancienne ferme les Hautes Alpes pour un client, il a été extrêmement difficile de réussir à trouver la motivation et l’envie chez les artisans de toucher à l‘ancien. Les artisans disaient perdre du temps à retaper des murs et que ça serait plus vite allé si on les avait détruit et reconstruit ou encore à garder une charpente qui ne connaissait pas la ligne droite et qui nécessitait des cales pour poser les chevrons et l’isolation.
La difficulté qu’ils avaient était de voir le potentiel et l’intérêt autant matériel que mémoriel dans le projet même de rénovation, et encore moins d'intérêt écoresponsable. C’était pourtant les intentions partagées par le client et moi même qui nous motivaient à nous dépasser et mener à bien ce projet. Avec un budget serré et une maîtrise d’ouvrage aussi exigeante que touche à tout, le projet a mis selon le client
“Entre 4 et 5 ans pour aboutir à ce que je voulais. Mais le temps est il vraiment significatif quand on a à cœur de réaliser un beau projet qui vivra de nouveau 150 ans certainement ?”
8 Loi Spinetta pour assurer la solidité de la structure d'une construction et donc qu’il soit utilisable pour sa fonction première
9 Site de l’Ordre des Architectes, 2015
p. 18
C’est avec cette volonté commune que nous sommes arrivés à bout du travail de rénovation de cette ferme. Aujourd’hui, ce projet a lancé une nouvelle posture chez les riverains de la région : décrépir et investir l’ancien. L’ambiance du village en est d’ailleurs impactée, comme s’il revivait une nouvelle jeunesse, fidèle à ses pierres et ses charpentes.
Si j’ai pu découvrir cette tendance de la rénovation au travers de ce projet individuel, de plus grandes instances s’y attellent. Au delà de la rénovation structurelle et architecturale d’un édifice, nous entendons de plus en plus souvent parler de rénovation énergétique pour un souci d'économie d’énergie notamment. De nombreuses agences ne font plus que ça aujourd’hui, ravalement et Isolation Thermique par l’Extérieur (ITE). Favorisées par les aides de l'État, ces commandes poussent donc à réinvestir le bâti ancien et de ne pas faire table rase, à coups de chantiers de démolition massive qui produisent des tonnes de déchets que nous ne savons pas aujourd’hui recycler ou réemployer. Dans cette optique, l’Europe avait défini dans la Directive déchet l’objectif de valoriser 70% des déchets du BTP à l’horizon 2020. Cet objectif figure également dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015. Avec 50% de valorisation des matériaux en 2022 (principalement utilisés comme sous couches routières), la France n’atteint pas encore les objectifs donnés. Il a été lancé des programmes comme le projet DEMOCLES qui réfléchit sur la notion de démolition durable.
En parallèle de cette réflexion sur la rénovation et le réemploi des matériaux issus du parc immobilier existant, les instances nationales et européennes se mobilisent sur les constructions neuves. Le coût global dans les marchés de maîtrise d’œuvre et de travaux publics est l’une des nouvelles directives imposant une pensée sur le long terme. La norme AFNOR XP X50 155 définit la notion de coût global comme “la somme des dépenses sur l’ensemble de la vie d’un produit pour un usage donné”. Elle revient donc à penser le coût d’une construction dans son temps long. En effet, si nous pensons directement aux coûts de construction, c’est pourtant penser à moitié la vie d’un bâtiment. La maintenance et son entretien constituent proportionnellement le double du prix de construction d’un édifice (cf figure ci dessous).
Cet outil de commande de l’architecture dû à la maîtrise d’ouvrage publique met en relief le choix de matériaux de qualité ou court termiste, dans un souci de remise en question de nos modes d’habiter circulaire et durable. Si cette vision n’est pas évidente sur le plan économique, elle apparaît purement logique dans l’approche fonctionnelle d’un bâtiment. Cela met donc en évidence la prépondérance contemporaine de nos circuits de penser tournés vers le financier, et qui peuvent être
p. 19
souvent trompeurs. Pour le cas de l’entretien et la reconversion d’une structure béton comme celle du CND à Pantin, la maîtrise d’ouvrage a besoin de 15,6 millions10 d’euros seulement 50 ans après pour remettre le bâtiment à flot. Le parallèle avec l’entretien d’un bâtiment en pierre massive est dérisoire. La seule nécessité est de passer un coup de jet d’eau tous les 20/30 ans avec un prix de 50€ /m².
La réflexion des maîtres d’ouvrage du secteur public va plus loin en développant le coût global étendu, aussi appelé économie globale, qui prend en compte les revenus, externalités et coûts hors construction (image du maître d’ouvrage, qualité d’usage, les impacts sur l’activité de l’organisation…). Pourtant, si ces outils et réflexions sont inspirants et signe d’une véritable remise en question sur nos pratiques court termistes, le principe de table rase et de consumérisme constructif est encore présent dans de grands projets.
Qualifié de rénovation urbaine, le projet d’Euroméditerranée de l’établissement public d’aménagement marseillais semble ignorer ces principes. Qualifiés d’ “urbanistes du rouleau compresseur11”, l’EPA Euroméditerranée qui a entamé sa deuxième phase depuis 5 ans maintenant fait table rase sur 480 hectares de la cité phocéenne “au service de l’hygiène et de la sécurité”. Dans une course aux labels12 afin de redorer l’image de Marseille, l’intention est de reconstruire à zéro dans la plus vieille ville de France. Abstraction donc des sites archéologiques, des marchés centenaires, des écosystèmes communautaires, les promoteurs et marchés publics arrivent “avec leurs gros sabots dans un quartier finement agencé”13 .
Et si démonter les structures pouvait permettre d’en recomposer d’autres ? Là où la démontabilité des constructions faites en matériaux naturels est facilement exécutable, les structures en béton deviennent des tas de tout venant que l’on cache sous le tapis de nos autoroutes. Pourtant le réemploi a toujours insufflé créativité et spécificité dans le passé, comme pour le cas des immeubles dits “marseillais” tramé sur la dimension des mâts de bateau déclassés ou les pierres récupérées des ruines voisines. Aujourd’hui, composée avec des matières transformées et aux structures complexes, l'architecture peine à faire renaître cette notion de réemploi bien qu’elle soit d’actualité et de nécessité.
10
LE MONITEUR, La reconversion pas à pas du Centre de la danse à Pantin, Milena Chessa, 2013 11 Magazine CQFD n°93, Euromed dévore Marseille, Saskia Mori 2011 12 Le pérenne et le temporaire dans la fabrique urbaine, Iona Iosa, édition L'Harmattan, 2022 13 PRIMITIVI, Fin de la concertation Euromed, 2014
p. 20
Le temps de conclure
Au delà du journal de bord qui est le temps de l’introspection et d’une analyse sur ses compétences et celles de son agence, j’ai vu dans le mémoire professionnel le moment de synthèse entre mon parcours d’étude, mes intérêts personnels et mon rapport au métier d’architecte avec les apports que l’on peut trouver dans les lectures et découvertes.
Aussi avons nous tenté de répondre à la nécessité du temps long dans le projet architectural. Cette question est corrélée à une époque où crises plurielles s’entremêlent avec une accélération du temps de nos vies comme celui du projet. Les phases de rendu ne s’obtiennent pas les maîtrise d’ouvrage en des temps records, avec des conséquences souvent désastreuses pour l’objet architectural, que ce soit dans son processus même ou dans la réalisation finale.
Nous avons pu explorer les différentes notions de temps long en architecture au travers du rapport au matériau, à l’artisan et au temps d’exploitation du bâti.
Nous avons pu explorer une partie des conséquences directes de la direction globale de notre société sur les bases qui font l’architecture, nos matériaux. Avec des origines de matières et de production de plus en plus éloignées de nos sites de projet. Si le premier temps du matériau est symptomatique d’une direction globale de nos modes de faire, il représente également le temps clé que les artisans doivent percevoir et reprendre en main pour repenser leurs formes de pratiques professionnelles, au service de l’architecture et de notre confort. Nous avons pu voir au travers de cette mise en comparaison avec les méthodes anciennes et contemporaines les différences notables et consternantes dans l’usage abusif de matériaux inappropriés à leur site de projet.
Dans le même temps, l’artisan a un rôle à jouer dans son rapport à l’architecture, avec la maîtrise de son temps, décomposé en trois catégories du temps de déplacement, de production et d’évacuation de son travail. Et nous avons pu voir l’impact que pouvait avoir son rapport à la matière dans l’organisation de son temps de travail et son ressenti. Aussi le charpentier des Hautes Alpes découvre par la contrainte qu’il a une plus grande satisfaction à retaper une vieille charpente en bois massif qu’une structure neuve tout droite certes mais en pin polonais ou lamellé collé. Si ces observations relèvent de mon expérience, il demeure évident que le rapport matière temps artisan est déterminant dans l’alchimie qui sert et fait l’architecture. C’est selon moi cette alchimie que tout architecte passionné par son métier recherche à exploiter pour tendre vers un projet le plus qualitatif possible et au proche de ses contraintes.
Nous avons pu voir que si le rapport matériaux artisans était décisif dans la fabrique d’une architecture d’une architecture, c’était notamment lié à l’intention du maître d’ouvrage de construire dans le temps. Ainsi le rapport matériau temps de vie devient une des clés dans la conception d’une architecture. Si j’ai nourri les premières recherches de ce présent mémoire par une vision très idéale des anciennes méthodes de construction, il n‘en demeure pas moins que la durabilité dans le temps de ces constructions doit nous inspirer dans la fabrique architecturale. Le temps long dans le sens péjoratif du terme a donc disparu grâce notamment à la révolution des transports et des principes d’industrialisation des matériaux de construction. Pour autant, toute la complexité est de savoir prendre le temps du projet à des moments clés dans un monde en constante accélération. Au même titre que le choix des matériaux, il s’agit de savoir prendre le bon temps au bon moment. Dans le cas d’un projet de rénovation par exemple, le temps de concertation des usagers et de diagnostic de l’existant est décisif dans le bon fonctionnement d’un projet.
p. 21
Pour ce qui est du neuf, de nombreux facteurs entrent aussi en compte qu’il faut identifier en amont du chantier tel que le vieillissement des matériaux et la réaction aux aléas climatiques locaux afin d’effectuer une projection sur le plus long terme de ce que l’on a l’habitude de construire, dans un effort de durabilité autant écologique que temporelle.
Si le « temps long » exprimé un peu comme une expression d’architectes est venu nourrir mon mémoire professionnel, je pense pouvoir le définir après ces recherches et réflexion partagées avec vous. Ainsi me semble t il que le temps long en architecture est une démarche à adopter dans une volonté de construire dans le temps. Cela passerait par plusieurs étapes clés que sont le choix des matériaux propres à un site, la manière de les manipuler afin de ne pas les dénaturer et de les mettre en œuvre La dernière étape de cette démarche est de projeter les constructions actuelles sur des échelles plus durables dans le temps, permettant ainsi aux usagers de se projeter par la même occasion sur un plus long terme, et de relationner plus qualitativement à l’objet architectural.
Si ces différentes étapes viennent structurer ma pensée sur ce qu’est le temps long, soit le temps nécessaire à la production d’une architecture durable dans le temps, d’autres peuvent nous venir en tête, toutes aussi pertinentes. L’une d’elle qui m’est venue en finalisant la rédaction de ce mémoire est celle du temps de transmission des savoirs faires artisanaux notamment. Et de se dire : est ce qu’au final, prendre du temps sur un projet n’est il pas un gain de temps sur ceux à venir ? En effet, dans une optique de prise de temps de formation dans le cadre d’un chantier comme la construction du château de Guédelon dans l’Yonne, où des passionnés se retrouvent depuis 1997 pour avancer la construction avec les seules techniques ancestrales du Moyen Age. Nous pourrions penser que cette démarche est dérisoire en termes de technique par rapport à ce que nous sommes aujourd’hui capables de réaliser. Pour autant cette approche prend tout son sens, dans la transmission des savoirs faires ancien comme dans le fait d’assumer de se retrouver avec le temps, dans le cadre d’un chantier. Au cours de discussion transverses à la rédaction de ce mémoire, plusieurs personnes me confirmaient ce besoin de ne plus avoir le temps de rien, de devoir réapprendre à prendre le temps afin de ne pas à lui courir après. Dans cette même optique là, et pourtant à des milliers de kilomètres, est détruit et reconstruit le sanctuaire d’Ise Jingu tous les 20 ans, dans une volonté de transmettre aux nouvelles générations le génie et la sagesse de construction de ce lieu de culte. L’éphémère devient il alors capable de relationner avec l’intemporel, comme une réponse à cette recherche de durabilité dans le temps ?
p. 22
Le temps du projet professionnel
Passionné par l’architecture depuis les 14 ans, je n’ai eu de cesse de projeter l'exercice de ce métier allié avec mes envies de savoir faire. Passant du rêve d’architecte paysan (Julien Choppin, Encore Heureux) à différentes variantes comme architecte tailleur de pierre, je peux aujourd’hui comprendre que ces envies sont reliées par un besoin commun de rapport à la matière. Relier pensée et conception à une concrétisation matérielle du projet, quelle que soit la tournure de ce dernier. En parallèle, le chantier a été pour moi une autre forme de concrétisation où j’ai pu accumuler les découvertes, connaissances et m’épanouir réellement dans ce métier aux multiples facettes.
Si le chantier est le lieu de discussion et d’avancement du projet, il est aussi pour moi le moment d’explorer les différents corps de métier et synthétiser ma conception avec la réalité de leur quotidien. Si je parle de présence sur le chantier pour mon projet professionnel, c’est parce que c’est le lieu de conviction, où je sais que je suis à ma place, alternant entre concertation et organisation des différents artisans et renseignements auprès des entreprises.
Ainsi, riche de ces expériences, rencontres et collaborations, j’ai le projet de monter à terme une structure de conception architecturale où la réflexion collective et l'expérimentation matérielle prennent une place prépondérante au service d’une architecture nourrie de matériaux naturels. Si je dois encore multiplier les expériences au service des architectes pour qui je serai amené à travailler, je suis dans une projection active de réalisation de ce projet professionnel avec la création l’année dernière d’un collectif pluridisciplinaire basé dans la région marseillaise, alliant réponse à des commandes pour l’instant privées et chantiers participatifs et évolutifs. Cette posture encore expérimentale vient nourrir mes réflexions sur ma vision du métier d’architecte, j’aurai le besoin aujourd’hui confirmé de me former au métier de la taille de pierre. C’est grâce à ce matériau que je suis venu à l’architecture, avec le travail de Gilles Perraudin notamment et les nombreuses constructions centenaires en pierre massive qui m’ont accompagné dans ma jeune vie provençale. J’ai en effet un besoin de servir ce matériau, comme j’ai commencé à le faire en réalisant un premier documentaire sur sa forme et les métiers qui l’entourent.
Si la pierre massive est l’un des éléments fédérateurs d’une architecture à laquelle j’aspire, ma recherche est plus généralement de retrouver le chemin d’une architecture engagée, contextuelle et à faible impact sur son environnement. Convaincu de l’importance et de la force de ce métier dans la transition de nos sociétés, j’ai donc fait le choix de me repositionner professionnellement en allant chez Depoizier & Crest Architectes Associés (DCAA), spécialisés en logement et en construction en pierre massive, notamment pour des équipements publics. Ce changement de structure est aussi pour moi une redécouverte du contexte dans lequel j’ai grandi, après 6 ans d’études et d’expériences professionnelles entre Paris, Lyon, Montevideo et Dakar. Si j’en avais l’intuition et l’expérience de quelques petits projets personnels dans la région, je me redécouvre une aisance de conception avec une plus fine connaissance du contexte naturel de la région. Aussi, partagé entre l’expérimentation personnelle et artisane et l’exercice d’une architecture plus formelle au sein de l’agence DCAA, je commence à voir mon aisance sur site et dans les projets se former, avec des expertises qu’il me reste encore à acquérir, que ce soit dans le métier d’architecte comme d’autres formations comme tailleur de pierre et paysagiste, qui nourriront mes connaissances et projet professionnel personnel. Aussi ai je à cœur de mettre prochainement à profit mes expériences et connaissances. Et ce au service de ma sensibilité architecturale et de mes convictions, comme j’ai toujours eu à cœur de le faire lors de mon parcours : stages, rapport de licence, mémoire, PFE et premiers emplois. Je vois donc en la formation
p. 23
HMONP un réel engagement architectural et sociétal que j’ai sans relâche mené jusqu’à aujourd’hui dans les différentes étapes de mon parcours.
p. 24
Bibliographie
OUVRAGES
SAINT LEON Etienne Martin
Histoire des corporations de métiers depuis leurs origines jusqu’à leur suppression en 1791, édition Hachette Livre, 1897
IONA IOSA
Le pérenne et le temporaire dans la fabrique urbaine, édition L’Harmattan, 2022
POUILLON Fernand
Les Pierres Sauvages, édition du Seuil, 1964
FATHY Hassan Construire avec le peuple, édition Sindbad, 1985
REVEDIN Jana
La Ressource Illimitée du Temps, édition LAURe, 2019
ORDRE DES ARCHITECTES
Manifeste pour une architecture responsable dans les métropoles et les territoires [en ligne], 2015
PERRAUDIN Gilles
Construire en pierre de taille aujourd’hui, édition Les presses du réel, 2013
JANCOVICI Jean-Marc
Le monde sans fin, miracle énergétique et dérive climatique, édition Dargaud, 2021
KOOLHAAS Rem
Junkspace, Payot et Rivages, 2011
ROSA Hartmut
Aliénation et Accélération, vers une théorie critique de la modernité tardive, édition La Découverte, 2014
ARTICLES
DELAPORTE Lucie
« Sénamé Koffi Agbodjinou : « Les villes africaines sont un terrain d’expérimentation pour les Gafam » », Mediapart, 2022
MOSCONI Léa
« La question écologique ne se réduit pas à celle de l’énergie » Nathania Cahen, Marcelle, Septembre 2022
GHIDONI Matteo
Fuck Concepts ! Context !, San Rocco, 2012
EXPOSITION
BARRAULT & PRESSACO
Pierre, révéler la source, explorer le matériau, Pavillon de l’Arsenal, 2018
p. 25